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T-3388-90
Réjean A. Éthier (requérant) c.
Le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et la Commission de la fonction publique (intimés)
RÉPERTORIÉ.' ÉTRIER C. CANADA (COMMISSAIRE DE IA GRC) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Cullen—Ottawa, 12 juin et 6 août 1991.
Fonction publique Procédure de sélection Concours Le requérant soutient qu'un agent du personnel a promis de tenir un concours restreint au terme de son emploi à durée déterminée Peut-il plaider estoppel? Demande d'un bref de certiorari visant à annuler la décision de tenir un concours public pour pourvoir au poste de gérant de l'économat à la Direction générale de la GRC Le titulaire précédent, qui n'est plus fonctionnaire, obtient la nomination pour une durée indéterminée La loi habilite la Commission de la fonction publique à décider de nommer des personnes choisies à l'inté- rieur ou à l'extérieur de la fonction publique Examen de la jurisprudence relative à l'équité procédurale La détermina- tion du genre de concours à tenir relève de la prérogative patronale Le requérant ne peut revendiquer le droit de se faire entendre à ce sujet La décision ne met pas directement fin à l'emploi du requérant Il n'y a pas d'obligation géné- rale d'agir équitablement en l'espèce.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demande d'annulation d'un concours et de la décision de tenir un concours public afin de pourvoir au poste de gérant de l'économat à la Direction générale de la GRC pour une période indéterminée La personne occupant le poste pour une durée déterminée soutient qu'un agent du personnel lui a promis la tenue d'un concours restreint à l'expiration de son contrat Examen de la jurisprudence relative à l'équité pro- cédurale Le requérant ne peut revendiquer le droit de se faire entendre au sujet du genre de concours La décision ne met pas directement fin à l'emploi Les intimés n'assument pas d'obligation générale d'agir équitablement La crainte raisonnable de partialité n'est pas prouvée.
Pratique Preuve L'affidavit supplémentaire produit au soutien de la demande de certiorari renferme des déclarations découlant de renseignements et de croyances et qui sont du ouï-dire Les portions admissibles ne peuvent être séparées des portions non admissibles L'affidavit est radié dans sa totalité Les pièces jointes à l'affidavit constituent du ouï- dire Elles visent à établir la véracité de la teneur de celui-ci Sont-elles couvertes par une exception à la règle du ouï- dire? Double ouï-dire Inadmissibilité des documents constitués à l'occasion d'une enquête Règles de common law applicables aux pièces commerciales Exception relative
aux documents publics Nécessité de l'existence d'un droit d'accès public à l'égard des documents «d'enquête».
Le requérant a demandé à la Cour de prononcer, en applica tion de l'article 18, une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari annulant la décision des intimés de pourvoir au poste de gérant de l'économat à la Direction générale de la GRC à Ottawa par voie de concours public et annulant le concours lui- même. Les intimés ont demandé la radiation de l'affidavit sup- plémentaire du requérant et des pièces qui y étaient annexées parce qu'ils constituaient du ouï-dire aux termes de la Règle 332 des Règles de la Cour fédérale et des règles de preuve de la common law. Le requérant, qui a commencé à travailler à l'économat de la GRC en 1979, en fut nommé gérant, avec sta- tut de fonctionnaire fédéral, pour une durée déterminée, savoir du 7 juin 1988 jusqu'au mois de décembre 1989. Avant l'expi- ration du terme, il fut décidé de tenir un concours public pour pourvoir au poste pour une durée indéterminée. C'est le prédé- cesseur du requérant qui obtint la nomination. Le requérant contesta la régularité du processus suivi, mais la Commission de la fonction publique, après une enquête interne, déclara sa plainte non fondée. Le requérant poursuivit alors les intimés, leur reprochant d'avoir manqué à leur devoir d'agir équitable- ment en ne lui fournissant pas l'occasion d'être entendu avant de décider de la tenue d'un concours public. 11 soutint aussi que la décision avait été prise pour des motifs incorrects, savoir pour donner à son prédécesseur la possibilité de repren- dre son poste, que les règles applicables à l'estoppel empê- chaient les intimés de tenir un concours public, à cause des déclarations qu'un agent du personnel de la GRC lui avaient faites et que l'intervention d'un autre employé de la GRC fai- sait naître une crainte raisonnable de partialité. Les intimés ont allégué que la décision de tenir un concours public avait été prise dans l'exercice de bonne foi d'un pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
La Cour devait déterminer si les intimés avaient manqué à leur devoir d'agir équitablement en décidant de tenir un con- cours public sans offrir au requérant l'occasion de se faire entendre et devait se prononcer sur l'admissibilité de l'affidavit supplémentaire produit par le requérant à l'appui de sa demande et des pièces qui y étaient jointes.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Pour être admissible conformément à la Règle 332(1) des Règles de la Cour fédérale, l'affidavit supplémentaire du requérant aurait reposer sur les propres connaissances et croyances de ce dernier, non sur du ouï-dire. Puisque l'affida- vit se compose de déclarations découlant de renseignements et d'opinions constituant du ouï-dire et non de connaissances per- sonnelles, et comme les portions admissibles du document ne peuvent être séparées des portions inadmissibles, il doit être radié dans sa totalité. Les deux pièces jointes à l'affidavit sont des documents affirmatifs produits pour établir la véracité des déclarations faites et constituent donc du ouï-dire. Pour être admissibles, elles doivent donc être couvertes par l'une des quatre exceptions reconnues à la règle du ouï-dire. (1) Les pièces pourraient être admises en vertu du paragraphe 26(1) de la Loi sur la preuve au Canada si elles pouvaient être considé- rées comme un «livre» au sens de cette disposition. Mais le
mot «livre» ne vise pas tout type de pièce et n'englobe pas les rapports constitués d'opinions et d'interprétations que sont les pièces produites en l'espèce. Ce paragraphe est donc inapplica ble. (2) L'exception prévue au paragraphe 30(1) de la Loi est également inapplicable pour deux raisons. Premièrement, l'ad- missibilité de documents en vertu de cette disposition est assu- jettie à la condition préalable que la preuve orale de leur teneur soit admissible. Autrement dit, leur auteur doit avoir eu une connaissance personnelle des événements relatés ou des décla- rations faites, autrement ceux-ci constitueraient un double ouï- dire. Cette condition n'est pas remplie. En outre, comme les notes avaient été établies au cours de l'enquête relative à la plainte du requérant, elles étaient exclues en raison du sous- alinéa 30(10)a)(i) de la Loi sur la preuve au Canada. (3) Bien que les pièces satisfassent à la plupart des exigences prévues par la common law à l'égard de l'exception visant les pièces commerciales, elles ne remplissent pas la condition voulant que l'auteur ait une connaissance personnelle des éléments consignés. Cette connaissance fait défaut dans le cas des deux pièces. (4) Bien que les deux pièces soient conformes aux exi- gences fondamentales de l'exception visant les documents publics, il est possible qu'une autre exigence s'ajoute dans le cas des «documents d'enquête», celle du droit d'accès public. Les pièces en question proviennent d'enquêtes effectuées dans l'exercice d'une charge publique. L'accès limité prévu à la Loi sur l'accès à l'information n'équivaut pas au vaste accès public nécessaire à l'efficacité des motifs justifiant l'examen public et n'est pas suffisant pour constituer une garantie de fia- bilité. Aucune des exceptions invoquées à la règle du ouï-dire n'autorise donc l'admission des pièces; elles doivent être radiées.
En ce qui concerne le devoir d'agir équitablement, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique semble conférer à la Com mission le pouvoir discrétionnaire de nommer des personnes choisies à l'intérieur ou à l'extérieur de la fonction publique. Mais à l'égard de certaines décisions pouvant être considérées de nature administrative, le décideur doit, dans certaines situa tions, respecter l'équité procédurale. Le premier des trois fac- teurs à examiner pour déterminer s'il existe une obligation d'agir équitablement est la nature de la décision et, plus préci- sément, son caractère irrévocable. Une décision de nature pré- liminaire, comme en l'espèce, ne fera pas naître, généralement, le devoir d'agir équitablement. Le deuxième facteur est la rela tion existant entre l'organisme et le particulier. En l'espèce, il s'agit d'une relation employeur-employé. Le fait qu'un employé occupe un poste pour une durée déterminée n'exclut pas nécessairement l'existence d'un devoir d'agir équitable- ment à l'expiration du contrat ou à l'occasion de la décision de ne pas le renouveler. Toutefois, la relation existant entre les parties en l'espèce n'est pas de celles qui donnent ouverture au droit de se faire entendre relativement au genre de concours à tenir. La décision en cette matière relève de la prérogative patronale, que la loi a dévolue à la Commission de la fonction publique. Le troisième facteur consiste à se demander si la décision a des répercussions importantes sur la personne visée. Si elle n'en a pas, il n'y a pas de droit à l'équité procédurale. La décision de tenir un concours public n'a pas mis fin à l'em- ploi du requérant; elle n'a fait que le priver de certains avan-
tages dont il aurait joui dans un concours restreint. Compte tenu de ces trois facteurs, les intimés n'assumaient pas d'obli- gation générale d'agir équitablement.
Même si un agent du personnel avait véritablement promis au requérant que s'il acceptait une nomination à durée détermi- née il y aurait un concours restreint à l'expiration de son con- trat, cela n'est pas suffisant pour fonder l'estoppel parce que l'agent n'avait pas le pouvoir de s'engager de la sorte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1. Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10, art. 10(1).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, art. 26(1), 30(1),(10)a)(i),(11),(12).
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, art. 8, 11.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 332(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14,010; 106 N.R. 17; Ridge v. Baldwin, [1963] 2 All E.R. 66 (H.L.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. O'Brien, [1978] 1 R.C.S. 591; (1977), 76 D.L.R. (3d) 513; [1977] 5 W.W.R. 400; 35 C.C.C. (2d) 209; 38 C.R.N.S. 325, 16 N.R. 271; Finestone v. The Queen, [1953] 2 R.C.S. 107; (1953), 107 C.C.C. 93; 17 C.R. 211; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; R. v. Laverty (No. 2) (1979), 47 C.C.C. (2d) 60; 9 C.R. (3d) 288 (C.A. Ont.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Nowlan v. Elderkin, [1950] 3 D.L.R. 773 (C.S.N: E.); R. v. Grimba and Wilder (1977), 38 C.C.C. (2d) 469 (C. Cté. Ont.); Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608; (1970), 14 D.L.R. (3d) 4; 73 W.W.R. 347; 12 C.R.N.S. 349.
DÉCISIONS CITÉES:
Okeynan c. Pénitencier de Prince Albert et Comité de libération conditionnelle, (1988) 20 F.T.R. 270 (C.F. Pe inst.); Regina v. Northern Electric Company, Limited et al., [1955] O.R. 431; [1955] 3 D.L.R. 449; 111 C.C.C. 241; 24 C.P.R. 1; 21 C.R. 45 (H. C.); Slaight Communi cations Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries
and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.); Cantwell e. Canada (Ministre de l'Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. lre inst.).
DOCTRINE
Ewart, J. Douglas. Documentary Evidence in Canada, Toronto: Carswell Legal Publications, 1984.
Lederman, S. N. «The Admissibility of Business Records: A Partial Metamorphosis» (1973), 11 Osgoode Hall U . 373.
Wade, H. W. R. Administrative Law, 5th ed., Oxford: Cla- rendon Press, 1982.
AVOCATS:
Charles T. Hackland pour le requérant. Geoffrey S. Lester et Hélène Laurendeau pour les intimés.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Le requérant se prévaut de l'ar- ticle 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7 pour demander à la Cour de prononcer une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari. L'af- faire porte sur de prétendues irrégularités commises dans la dotation du poste de gérant de l'économat à la Direction générale de la GRC à Ottawa. Le requérant demande à la Cour de rendre une ordonnance annu- lant la décision des intimés de pourvoir au poste par voie de concours public ainsi qu'une ordonnance annulant le concours et déclarant le poste vacant.
Les intimés ont présenté une demande concomi- tante visant la radiation de l'affidavit supplémentaire souscrit par le requérant au soutien de sa demande ainsi que des pièces qu'il y a annexées. Ils soutien- nent que ces documents reposent sur des croyances et des renseignements du requérant et constituent du ouï-dire suivant la Règle 332 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] et les règles de preuve de la common law.
LES FAITS
Le requérant a commencé à travailler à l'économat de la Gendarmerie royale du Canada en 1979. De 1981 1987, il y a occupé le poste de gérant adjoint. Il n'avait pas, pendant cette période, le statut de fonc- tionnaire fédéral. Au mois de février 1988, le gérant de l'économat, M. Gilles Charbonneau, démissionna de la fonction publique. L'employeur organisa un concours public pour lui trouver un remplaçant. C'est le requérant qui se classa premier. Il fut donc nommé gérant de l'économat pour une durée déterminée, savoir du 7 juin 1988 au 1 er mai 1989, avec statut de fonctionnaire fédéral. Il y eut des prolongations au contrat, et il occupa le poste jusqu'au mois de décem- bre 1989.
La raison pour laquelle le requérant a été nommé pour une durée déterminée plutôt qu'indéterminée n'est pas claire. Lorsque M. Charbonneau occupait le poste, celui-ci était un poste à durée indéterminée et, suivant les lignes directrices de la Commission de la fonction publique, il est préférable de pourvoir les postes dont les fonctions sont de nature permanente en y nommant les employés pour une durée indéter- minée. M. J. A. Lebel, surintendant de la GRC, qui avait la charge de l'administration et du personnel à la Direction générale de l'organisme, a déclaré dans son affidavit que le requérant avait été nommé pour une durée déterminée pour qu'il [TRADUCTION] «ait la possibilité de faire la preuve de son aptitude à exécu- ter les attributions de son poste au lieu d'être nommé immédiatement à titre permanent». Il a ajouté que c'est sur les conseils de l'agente de dotation de la Commission de la fonction publique, Mme Lise Péla- deau, qu'il avait procédé de cette façon. Mme Péla- deau, toutefois, a affirmé que, selon elle, c'est M. Lebel seul qui avait pris la décision. La supérieure de Mme Péladeau, M 1 e Louise Parry, a indiqué dans son témoignage que la Commission de la fonction publique n'approuvait pas le recours à des nomina tions à durée déterminée à des fins probatoires.
Le requérant déclare que lorsqu'il a accepté le poste, M. Lebel l'a informé qu'il pouvait choisir entre plusieurs statuts. Il pouvait opter pour une nomination à durée indéterminée à titre d'employé non gouvernemental ou bien pour une nomination pour une durée déterminée à titre de fonctionnaire.
Lebel lui aurait en outre fait valoir que s'il choisissait la nomination à durée déterminée, il y aurait un con- cours restreint à l'expiration du contrat, et que s'il ne se présentait pas d'autres candidats qualifiés, sa nomination à ce poste serait confirmée pour une durée indéterminée. Lebel a nié avoir promis au requérant qu'il procéderait par voie de concours res- treint; il aurait tout au plus mentionné l'existence de cette possibilité. Il a affirmé en outre qu'il n'avait pas le pouvoir de faire une déclaration de ce genre qui lierait les intimés.
Pendant l'été 1988, le surintendant Lebel fut rem- placé par le surintendant Yves Campagna, lequel reçut l'instruction du surintendant principal Yelle de communiquer avec Charbonneau et de voir si ce der- nier était intéressé à revenir à son ancien poste. MM. Yelle, Campagna et Charbonneau se rencontrèrent par la suite afin de discuter de cette possibilité. Charbon- neau se déclara prêt à revenir s'il pouvait toucher une prime de rendement en plus de son salaire. Campagna s'enquit de cette possibilité auprès de Michel Chate- laine, le cadre responsable de l'administration du per sonnel de la fonction publique à la Direction générale de la GRC. Ce dernier l'informa qu'il n'était pas pos sible d'accorder de telles primes. Charbonneau déclara alors à Campagna qu'il n'était pas intéressé au poste. Il changea d'avis par la suite, mais, comme nous le verrons, on ne sait trop si M. Campagna a été mis au courant de ce revirement avant de décider de tenir un concours public ou après.
Le terme du contrat du requérant approchant, Mmes Louise Parry et Lise Péladeau ont résolu de combler le poste par voie de concours restreint. Toutefois, il fut décidé de procéder autrement au cours d'une brève rencontre, tenue le 9 mai 1989 entre Mme Parry, de la Commission de la fonction publique, et M. Campagna, de la GRC. M ine Parry, en consulta tion avec M. Campagna, prit la décision de tenir un concours public et de pourvoir au poste de gérant de l'économat pour une durée indéterminée. Malheu- reusement, les circonstances de cette réunion demeu- rent, à plusieurs égards importants, nébuleuses. Il appert que Mme Parry présenta un certain nombre d'options en rapport avec la dotation de ce poste et que M. Campagna indiqua qu'il préférait tenir un concours public afin de trouver le candidat le mieux qualifié. Dans son témoignage, Mme Parry déclara
qu'elle en avait conclu que M. Campagna n'était pas entièrement satisfait du rendement du requérant. Per- sonne n'a expliqué pourquoi on avait opté pour un concours restreint jusqu'au 9 mai, s'il était manifeste qu'il serait difficile d'obtenir suffisamment de candi- dats qualifiés pour le poste.
Il appert également que Mme Parry, qui n'exerçait ses fonctions que depuis quelques semaines au moment de la rencontre, savait que le requérant avait été nommé pour une durée déterminée, mais ignorait, quand la décision de tenir un concours public fut prise, ses longs états de service à l'économat ainsi que les circonstances ayant présidé à sa nomination. Mme Péladeau, par contre, était au courant de ces faits. Il semble en outre qu'au moment de la rencon- tre, M. Campagna ait pu avoir des réserves quant au rendement du requérant, bien qu'il ait nié, en contre- interrogatoire, avoir éprouvé autre chose qu'une entière satisfaction à l'égard du travail de celui-ci. Quatre jours avant la réunion du 9 mai, M. Campagna avait signé l'évaluation du rendement du requérant, laquelle mentionnait que les profits de l'économat avaient sérieusement diminué sous sa direction. Ce fait était inexact. Le requérant formula un grief à ce sujet et, au mois de février 1990, l'évaluation fut modifiée pour indiquer une hausse substantielle des profits.
Le témoignage de Campagna souffre d'imprécision à d'autres égards. Il a affirmé, en contre-interroga- toire, qu'il ne se souvenait pas du moment Char- bonneau l'avait informé qu'il souhaitait participer au concours visant son ancien poste; il ne savait pas si c'était avant ou après la rencontre du 9 mai. Il ne se rappelait pas non plus s'il avait avisé Mme Parry du fait que Charbonneau entendait se porter candidat. Mme Parry a affirmé qu'elle n'en a pas été informée et a ajouté qu'il serait incorrect d'opter pour un pro- cessus donné dans le but de faciliter la participation d'un candidat particulier à un concours.
Le requérant soutient qu'on ne peut faire autrement que conclure de ces circonstances que la décision de tenir un concours public visait à donner à Charbon- neau la chance de se porter candidat au poste. En effet, celui-ci n'étant plus fonctionnaire, il n'aurait pu prendre part à un concours restreint. M. Campagna et Mme Parry nient avoir opté pour un concours public
dans ce but. Ils affirment avoir cherché par à obte- nir le candidat le plus qualifié.
C'est au mois de juin 1989 que le requérant fut informé pour la première fois de la décision de tenir un concours public. Il affirme que, bien qu'il consi- dérât cette décision extrêmement injuste compte tenu de son rendement et de sa compréhension des décla- rations faites par Lebel, il ne croyait pas avoir d'autre choix que de se présenter au concours. On n'a pas établi clairement sur quelles bases il a été jugé admis sible au concours. La politique de la Commission de la fonction publique est, en effet, de ne pas inscrire à un concours visant à doter un poste pour une durée indéterminée un candidat qui occupe ce poste pour une durée déterminée. Cette politique aurait ren- dre le requérant inadmissible, mais il semble qu'il ait été admis à se présenter par une sorte d'autorisation administrative. Charbonneau, par contre, ne faisait l'objet d'aucune restriction de ce genre puisqu'il venait de l'extérieur, et son nom fut extrait du réper- toire de la fonction publique et porté sur la liste des candidats. C'est lui qui obtint la nomination à durée indéterminée au poste, au mois de novembre 1989.
Le requérant entreprit de contester la régularité du processus suivi. S'il avait pris part à un concours res- treint, à titre d'employé nommé pour une période déterminée, il aurait été assuré d'un droit d'appel contre la nomination de Charbonneau et d'une audience devant un arbitre. A titre de candidat externe à un concours public, par contre, il n'avait d'autre recours que de contester le processus suivi auprès de la Direction générale des appels et enquêtes de la Commission de la fonction publique. Après une enquête interne, la Commission déclara la plainte non fondée.
Le requérant prit alors action contre les intimés, puis entreprit un recours en prérogative devant la Cour. Pendant le contre-interrogatoire mené relative- ment aux affidavits soumis à l'appui de la dite action, il demanda la production des dossiers concernant le concours, mais sa requête fut rejetée. Il réclama alors une copie du dossier de l'enquête effectuée par la Direction des enquêtes en invoquant la Loi sur l'accès à l'information [L.R.C. (1985), chap. A-1]. Il obtint une série de [TRADUCTION] «Notes au dossier»
consignées par Michelle Grosleau, la personne char gée de l'enquête, ainsi que des documents internes de la GRC portant sur le concours public. Il annexa ces documents à un affidavit supplémentaire qu'il déposa à l'appui de sa demande de certiorari. Les intimés présentèrent une requête visant à faire radier l'affida- vit et les pièces parce que ceux-ci constituaient du ouï-dire et étaient irrecevables.
POSITION DU REQUÉRANT
Le requérant expose que les intimés ont manqué à leur devoir d'agir équitablement en ne lui fournissant pas l'occasion d'être entendu avant de décider de la tenue d'un concours public. Il soutient également qu'ils ont pris cette décision pour des motifs incor- rects en tenant compte d'éléments non pertinents, c'est-à-dire le désir de donner à Charbonneau une occasion de reprendre son poste. Il ajoute que les intimés ne pouvaient tenir un concours public à cause des déclarations que Lebel lui avaient faites et aux- quelles il avait ajouté foi. Il soutient en outre que l'in- tervention de Campagna dans le processus décision- nel fait naître une crainte raisonnable de partialité.
POSITION DES INTIMÉS
Les intimés nient que Lebel ait fait au requérant des déclarations les liant relativement au genre de concours qui serait tenu à l'expiration du contrat. Ils nient également avoir fait reposer la décision de tenir un concours public sur des motifs incorrects ou avoir enfreint quelque procédure ou politique que ce soit en prenant la décision. Ils affirment que celle-ci procède de l'exercice de bonne foi d'un pouvoir discrétion- naire conféré par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), chap. P-33].
REQUÊTE DES INTIMÉS
J'examinerai d'abord la requête des intimés visant à faire radier en totalité ou en partie l'affidavit sup- plémentaire du requérant de même que les pièces y afférentes. Les intimés font valoir que cet affidavit ne se restreint pas aux faits que le requérant est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a et que les pièces qui y sont jointes n'ont pas été prou- vées et constituent du ouï-dire. Leurs arguments se
prêtent bien à un examen en deux temps: d'abord celui de l'admissibilité de l'affidavit et puis celui de l'admissibilité des pièces qui y sont jointes.
L'affidavit
C'est la Règle 332(1) des Règles de la Cour fédé- rale qui régit la teneur des affidavits déposés devant la Cour. Elle est ainsi conçue:
332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires pour les- quelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce qu'il croit et indiquant pourquoi il le croit.
Les demandes de bref de prérogative, tel le bref de certiorari, présentées en application de l'article 18 ne sont pas des requêtes interlocutoires par nature. Les affidavits reposant sur des renseignements et des croyances ne sauraient donc suffire à fonder ces requêtes (Okeynan c. Pénitencier de Prince Albert et Comité de libération conditionnelle (1988), 20 F.T.R. 270 (C.F. ire inst.)). En conséquence, l'affidavit
souscrit par le requérant en l'instance doit reposer sur ses propres connaissances et croyances et non sur du ouï-dire.
Suivant la définition donnée ci-haut, il apparaît clairement que le gros de l'affidavit supplémentaire de la partie requérante se compose de déclarations fondées sur des renseignements et des croyances, sur des opinions ne reposant pas sur des connaissances personnelles et sur du ouï-dire. Le requérant renvoie, dans son affidavit, à de larges extraits de documents apparemment préparés par Grosleau pendant son enquête et à une série de documents internes de la GRC touchant la dotation du poste de gérant de l'éco- nomat et provenant des dossiers de la CFP. À mon avis, il n'est pas possible de séparer les parties admis- sibles de cet affidavit des parties inadmissibles. Celui-ci doit donc être radié dans sa totalité.
Les pièces
Deux pièces sont jointes à l'affidavit supplémen- taire: la pièce «A», les «Notes au dossier» de l'en- quêteur, et la pièce «B», les documents internes de la GRC. Les intimés font valoir que ces pièces consti tuent du ouï-dire et qu'elles devraient être radiées du dossier de la requête. Le juge Dickson (tel était alors
son titre) a donné du ouï-dire la définition suivante dans l'arrêt R. c. O'Brien, [1978] 1 R.C.S. 591, à la page 593:
Il est bien établi en droit que la preuve d'une déclaration faite à un témoin par une personne qui n'est pas elle-même assignée comme témoin est une preuve par ouï-dire, qui est irrecevable lorsqu'elle cherche à établir la véracité de la déclaration; toute- fois, cette preuve n'est pas du ouï-dire et est donc recevable lorsqu'elle cherche à établir non pas la véracité de la déclara- tion, mais simplement que celle-ci a été faite.
En l'espèce, il ne fait pas de doute que les documents en cause constituent du ouï-dire. Ils ne sont pas pro- duits à titre de preuve matérielle visant à établir leur
statut de document juridique ayant un effet exécu- toire, comme dans le cas d'un contrat ou d'un testa ment, lorsqu'il s'agit de démontrer qu'une déclara- tion a été faite. Ces documents ont plutôt un caractère affirmatif et leur dépôt en preuve vise «à établir la véracité de la déclaration». Pour être admissibles, ils doivent donc être couverts par l'une ou l'autre des exceptions reconnues à la règle du ouï-dire, savoir:
1. Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5;
2. Le paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada;
3. L'exception prévue par la common law pour les pièces commerciales;
4. L'exception prévue par la common law pour les documents publics.
1. Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la preuve au Canada
Le paragraphe 26(1) de la Loi prévoit que certains documents d'origine gouvernementale sont admis- sibles si leur caractère officiel est établi de la façon qui y est prévue. Il est ainsi conçu:
26. (1) La copie de toute écriture passée dans un livre tenu par un organisme ou ministère du gouvernement du Canada, ou par une commission, un conseil ou un autre secteur de l'ad- ministration publique fédérale est admise comme preuve de cette écriture, et des affaires, opérations et comptes qui s'y trouvent consignés, s'il est prouvé par le serment ou l'affidavit d'un fonctionnaire de cet organisme, ministère, commission, conseil ou autre secteur de l'administration publique fédérale, que ce livre était à l'époque l'écriture a été passée un des livres ordinaires tenus par cet organisme, ministère, commis sion, conseil ou autre secteur de l'administration publique fédérale, que l'écriture a été passée dans le cours usuel et ordi-
flaire des affaires de cet organisme, ministère, commission, conseil ou autre secteur de l'administration publique fédérale, et que cette copie en est une copie conforme.
En l'espèce, les deux parties ont convenu que les documents satisfont aux conditions de preuve énon- cées au paragraphe 26(1), mais les intimés prétendent que les documents ne constituent pas un «livre» au sens visé par la disposition.
J'incline à penser, comme les intimés, que les pièces ne forment pas un «livre». Il est vrai qu'il a été jugé, dans l'affaire Nowlan v. Elderkin, [1950] 3 D.L.R. 773 (C.S.N.-E.), qu'il ne fallait pas donner une interprétation étroite au mot «livre» et que ce terme pouvait s'appliquer à des dossiers retenus ensemble de façon assez lâche. Mais je ne saurais accepter que le mot «livre» pourrait viser tout type de pièce quel qu'il soit. Par exemple, le paragraphe 30(12) de la Loi inclut les «livres» dans la définition de «pièce», ce qui laisse supposer que la définition du mot «livre» est plus étroite. Suivant l'interprétation que je fais de ce mot, les écritures passées dans un «livre» visent la transcription de pièces produites dans l'activité ordinaire du gouvernement ou ce que Ewart décrit dans son ouvrage, Documentary Évi- dence in Canada, comme des documents de type «registre». À mon avis, «livre» n'englobe pas les rap ports constitués d'opinions et d'interprétations, ce que sont, en fait, les pièces visées en l'espèce. En conséquence, j'estime que le paragraphe 26(1) ne saurait fonder l'admission de ces pièces.
2. Le paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada
L'admission en preuve des pièces en application du paragraphe 30(1) se heurte à deux obstacles pos sibles. Le premier résulte de l'exigence de l'admissi- bilité des renseignements qu'elles contiennent comme preuve orale et le second de l'impossibilité, énoncée au sous-alinéa 30(10)a)(i), d'invoquer cet article pour rendre admissible en preuve une pièce établie au cours d'une investigation ou d'une enquête.
Le paragraphe 30(1) prévoit que les pièces établies dans le cours d'affaires ou d'activités exercées par le gouvernement peuvent être produites en preuve dans certaines circonstances:
30. (1) Lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des rensei- gnements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur produc tion de la pièce.
(12) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent arti cle.
«affaires» Tout commerce ou métier ou toute affaire, profes sion, industrie ou entreprise de quelque nature que ce soit exploités ou exercés au Canada ou à l'étranger, soit en vue d'un profit, soit à d'autres fins, y compris toute activité exer- cée ou opération effectuée, au Canada ou à l'étranger, par un gouvernement, par un ministère, une direction, un conseil, une commission ou un organisme d'un gouvernement, par un tribunal ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale ...
Le double ouï-dire. Il convient de signaler qu'aux termes de ce paragraphe, l'admissibilité des docu ments en preuve est assujettie à la condition préalable que la preuve orale de leur teneur soit également admissible. Cette exigence se prête à plusieurs inter- prétations. Les avocats des intimés soutiennent que, pour que les déclarations contenues dans les pièces soient admissibles, l'auteur de la pièce doit avoir eu une connaissance personnelle des événements relatés ou des déclarations faites, autrement celles-ci consti- tueraient un double ouï-dire. C'est cette interprétation que S. N. Lederman défend dans son article intitulé «The Admissibility of Business Records: A Partial Metamorphosis» (1973), 11 Osgoode Hall L.J. 373, aux pages 394 et 395:
[TRADUCTION] En outre, rien ne porte à croire que l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada permette, comme le fait l'ar- ticle 36 de la Loi sur la preuve de l'Ontario, l'admission en preuve de pièces fondées sur des renseignements fournis par d'autres personnes. Il ne faut pas oublier que l'article 30 s'ou- vre sur ces mots:
Lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admis sible dans une procédure judiciaire ...
La Loi ne fait que prévoir une façon de prouver des faits admissibles. Elle ne rend pas admissible un document faisant état d'un fait dont la preuve testimoniale serait inadmissible. Ainsi, si l'auteur d'une pièce était convoqué comme témoin, il ne pourrait témoigner de ce qu'une autre personne lui a dit. Ce serait une preuve par ouï-dire inadmissible. C'est cette même restriction que formule l'article 30 de la Loi canadienne à l'égard des pièces commerciales. Cette disposition ne com- porte pas de paragraphe analogue au paragraphe 36(4) de la Loi ontarienne, lequel prescrit que l'absence de connaissance personnelle de la part de leur auteur n'a pas d'effet sur l'admis- sibilité des pièces commerciales.
L'application d'un tel raisonnement nous amène clairement à conclure à l'inadmissibilité des notes prises par l'enquêteur Grosleau, puisque celles-ci sont entièrement constituées de déclarations faites par d'autres personnes. Pour ce qui est des documents déposés sous la cote «B», il appert que leur auteur, Lise Péladeau, n'avait aucune connaissance person- nelle des faits qui y étaient relatés. Ces documents constituent donc également un «double ouï-dire».
Des tribunaux ont aussi jugé qu'il était possible d'interpréter l'exigence de l'admissibilité de la preuve orale comme signifiant que la pièce en ques tion doit être liée aux questions en litige et que si un témoin quelconque, et pas seulement l'auteur de la pièce, avait une connaissance personnelle de ce qui y est relaté, elle serait admissible bien qu'elle constitue un double ouï-dire. Dans l'affaire R. v. Grimba and Wilder (1977), 38 C.C.C. (2d) 469 (C. Cté. Ont.), la Couronne, s'autorisant du paragraphe 30(1), a voulu présenter le témoignage d'un expert en dactyloscopie du Federal Bureau of Investigation pour confirmer que les empreintes prises au moment de l'arrestation de l'accusé étaient identiques à celles qui figuraient dans les dossiers d'empreintes du F.B.I. L'expert n'était pas l'auteur du dossier et n'avait pas de con- naissance personnelle de son exactitude. Le juge Cal- laghan a admis son témoignage en disant à la page 471:
[TRADUCTION] Le législateur a inclus l'article 30 dans la Loi sur la preuve au Canada en 1968 [par 1968-69, chap. 14, art. 4, tout comme l'art. 29A]. Il semble que la justification de l'ad- mission en preuve d'une certaine forme de ouï-dire réside dans la garantie circonstancielle inhérente d'exactitude qui s'attache, en matière commerciale, aux documents sur lesquels on se fie dans la conduite quotidienne des affaires de l'entre- prise et qui font régulièrement l'objet de vérifications et de contre-vérifications. Ainsi, sous le régime de l'article 30, les documents qui sont produits et conservés de façon systéma- tique et auxquels on fait régulièrement appel, ne devraient pas être soustraits à l'examen de la Cour pour la seule raison qu'ils contiennent du ouï-dire ou un double ouï-dire.
Toutefois, j'estime que les pièces en cause n'offrent pas la même garantie particulière de fiabilité que des documents tirés d'une banque organisée d'empreintes digitales. En conséquence, j'estime qu'en l'absence d'une telle garantie inhérente, il m'est impossible d'admettre les pièces en preuve en vertu du para- graphe 30(1).
Investigation ou enquête. Même si l'on concluait à l'admissibilité des pièces sous le régime du para- graphe 30(1), le sous-alinéa 30(10)a)(i) aurait, selon moi, l'effet d'exclure la pièce «A». Cette dernière disposition prévoit ce qui suit:
30....
(10) Le présent article n'a pas pour effet de rendre admis- sibles en preuve dans une procédure judiciaire:
a) un fragment de pièce, lorsqu'il a été prouvé que le frag ment est, selon le cas:
(i) une pièce établie au cours d'une investigation ou d'une enquête ...
Dans l'affaire R. v. Laverty (No. 2) (1979), 47 C.C.C. (2d) 60 (C.A. Ont.), un enquêteur travaillant pour un service d'incendie avait pris des notes pen dant l'enquête qu'il effectuait sur un incendie sur- venu dans la maison de l'accusé. Le juge Zuber, J.C.A., considérant que les notes prises dans ces cir- constances étaient des notes établies au cours d'une enquête, les a donc jugées inadmissibles aux termes du sous-alinéa 30(10)a)(i). Il m'apparaît possible de formuler un raisonnement analogue en l'espèce, puis- que les notes qui composent le gros de la pièce «A» ont été établies au cours de l'enquête effectuée au sujet de la plainte du requérant. En conséquence, je conclus que le sous-alinéa 30(10)a)(i) empêche l'ad- mission en preuve des documents de la pièce «A» en preuve sous le régime du paragraphe 30(1).
3. L'exception prévue par la common law à l'égard des pièces commerciales
Même si les documents qui composent les pièces ne satisfont pas aux exigences de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, il demeure encore pos sible de les admettre en preuve si celles de la com mon law sont respectées. Les dispositions de l'article 30 ne sont ni impératives ni exclusives. Ainsi que le prévoit le paragraphe 30(11):
30....
(11) Les dispositions du présent article sont réputées s'ajou- ter et non pas déroger:
a) à toute autre disposition de la présente loi ou de toute autre loi fédérale concernant l'admissibilité en preuve d'une pièce ou concernant la preuve d'une chose;
b) à tout principe de droit existant en vertu duquel une pièce est admissible en preuve ou une chose peut être prouvée.
Il est possible que l'exception prévue en common law à l'égard des pièces commerciales et formulée par la Cour suprême du Canada dans Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608 s'applique aux pièces produites en l'espèce. Dans son ouvrage intitulé Documentary Evidence in Canada (Carswell, 1984), J. D. Ewart résume ainsi les effets de l'arrêt Ares, à la page 54:
[TRADUCTION] ... il est possible de dire que la règle moderne permet l'admission en preuve d'une pièce contenant (i) une écriture originale (ii) faite de façon concomitante (iii) dans l'exécution des activités routinières (iv) de l'entreprise (v) par une personne qui a une connaissance personnelle du fait con signé, parce qu'elle en est l'auteur ou qu'elle l'a constaté ou formulé et (vi) qui a l'obligation d'établir cette pièce et (vii) n'a aucun motif de consigner de fausses données. Vue sous cet angle, la règle reflète, par suite de l'arrêt Ares, une conception plus moderne et réaliste de la common law à l'égard des docu ments produits dans le cours des affaires.
En l'espèce, les documents réunissent la plupart des éléments exigés sauf celui de la connaissance personnelle de l'auteur de la pièce du fait qu'il y con- signe. Dans le cas des deux pièces, l'auteur n'avait pas une connaissance personnelle des faits relatés. Elles ne peuvent donc être admises en preuve. En outre, il semble que les pièces renferment en grande partie des opinions et non des faits.
4. L'exception prévue par la common law pour les documents publics
Ewart présente ainsi les exigences applicables à cette exception, à la page 151 de son ouvrage:
[TRADUCTION] (i) le document doit avoir été fait par un fonc- tionnaire,
(ii) dans l'exercice de fonctions ou d'obligations déterminées et de nature publique,
(iii) dans l'intention de créer un écrit permanent.
À mon avis, les deux pièces remplissent ces condi tions. Toutefois, une quatrième condition est suscepti ble de s'appliquer, soit celle de l'existence d'un droit d'accès public au document. Cette exigence s'ex- plique du fait que si un document est accessible au public, sa fiabilité s'accroît, car on peut supposer qu'il sera contesté en cas d'inexactitude. Selon Ewart, il n'est pas certain que cette quatrième exi- gence s'applique au Canada, car il est possible de voir dans la décision faisant autorité à ce sujet, Fines - tone v. The Queen, [1953] 2 R.C.S. 107, l'exclusion
de cette exigence ou, du moins, la restriction de son application aux documents «d'enquête» par opposi tion aux documents de «nature conservatoire».
Selon l'interprétation que je fais de l'arrêt Fine - stone, la règle de l'accès du public aux documents n'a été atténuée qu'en ce qui a trait à l'inscription de faits certifiables comme les naissances, les décès et les mariages. À mon avis, il est encore nécessaire d'appliquer la règle de l'accès du public aux docu ments «d'enquête». Les documents visés en l'espèce proviennent d'enquêtes effectuées dans l'exercice d'une charge publique. L'argument de l'exactitude assurée par l'examen public cesse d'être concluant lorsqu'il s'agit de documents qui, comme les pièces en cause, ont été établis dans une optique de non- divulgation (Regina v. Northern Electric Company, Limited et al., [1955] O.R. 431 (H. C.), le juge en chef McRuer, à la page 468).
Il faut, puisque j'ai conclu qu'il doit exister un droit d'accès du public aux pièces pour que celles-ci soient admissibles en vertu de l'exception applicable aux documents publics, que les intimés établissent l'existence d'un tel droit. Le requérant invoque le fait qu'il a obtenu accès aux pièces sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Je ne crois pas, cependant, que l'accès limité qui est prévu à la Loi précitée équivaille au vaste accès public qui est, selon moi, nécessaire à l'opération de la justification que représente l'examen public, laquelle justification veut que l'accès public constitue une garantie circonstan- cielle de fiabilité, puisqu'il permet de dénoncer les erreurs.
J'estime donc qu'aucune des exceptions invoquées à la règle du ouï-dire n'autorise l'admission des pièces en question. En conséquence, elles sont radiées de même que l'affidavit.
REQUÊTE DU REQUÉRANT
J'en viens à présent à l'examen des allégations du requérant selon lesquelles les intimés auraient manqué à leur devoir d'agir équitablement en déci- dant de tenir un concours public sans lui accorder la possibilité de se faire entendre.
ÉQUITÉ
La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10, paragraphe 10(1) prévoit que le personnel civil nécessaire à l'exercice de fonc- tions comme la gestion de l'économat est nommé conformément à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. L'article 8 de cette dernière loi donne à la Commission de la fonction publique la compétence exclusive pour déterminer si les postes seront pour- vus par des personnes faisant ou non partie de la fonction publique:
8. Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commis sion a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n'est régie par aucune autre loi fédérale.
L'article 11 de la Loi exige de procéder par voie de nomination interne, sauf si la Commission est d'avis que cette façon de faire ne sert pas les intérêts de la
fonction publique:
11. Les postes sont pourvus par nomination interne sauf si la Commission en juge autrement dans l'intérêt de la fonction publique.
En dépit du fait que la Loi semble conférer à la Commission le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il convient de recruter à l'interne ou à l'externe, il est clair qu'en exerçant ce pouvoir, qui peut être con- sidéré de nature administrative, le décideur doit, dans certaines situations, respecter l'équité procédurale (Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311). Cette obligation découle du fait que les décideurs sont des organismes publics qui tirent leurs pouvoirs de la loi et qui doivent, de ce fait, les exercer conformément
aux préceptes du droit administratif.
Le requérant soutient qu'en l'espèce, il fallait, pour satisfaire à l'équité, lui permettre de présenter des observations aux intimés en rapport avec la décision de tenir un concours public. Il ne prétend pas que tous les employés nommés pour une durée détermi- née devraient avoir la possibilité de se faire entendre sur le type de concours à organiser; il fait plutôt valoir qu'en raison de circonstances particulières à son cas, telles ses longs états de service à l'économat et les déclarations qui lui auraient été faites, il s'im-
posait que l'administration observe les règles de l'équité procédurale.
Dans Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, Madame le juge L'Heureux- Dubé a énuméré les facteurs que la Cour doit exami ner pour déterminer s'il existe un devoir d'agir équi- tablement la page 669):
L'existence d'une obligation générale d'agir équitablement dépendra de l'examen de trois facteurs: (i) la nature de la déci- sion qui doit être rendue par l'organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le par- ticulier, et (iii) l'effet de cette décision sur les droits du parti- culier. Notre Cour a affirmé dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, précité, que dans les cas ces trois éléments se retrouvent, une obligation générale d'agir équita- blement incombe à un organisme décisionnel public ...
Nature de la décision
À l'évidence, le devoir d'agir équitablement ne s'impose pas à l'égard de toutes les décisions. L'un des facteurs importants à considérer est le caractère irrévocable de la décision. Comme le dit le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Knight la page 670):
L'irrévocabilité de la décision est également un facteur qui doit être pris en considération. Une décision de nature préliminaire ne fait naître en général aucune obligation d'agir équitable- ment, alors qu'une décision d'une nature plus définitive peut avoir un tel effet ...
En l'espèce, la décision de procéder par concours public n'était pas une décision finale. Il s'agissait plutôt d'une décision de nature préliminaire. Elle n'avait pas pour effet de mettre fin à l'emploi du requérant, mais plutôt de modifier les circonstances présidant au déroulement du concours tenu pour pourvoir au poste.
Relation entre le requérant et les intimés
Le lien existant entre le requérant et les intimés était un lien employeur-employé. Ce rapport a classi- quement été divisé en trois catégories. Lord Reid décrit celles-ci dans l'arrêt Ridge v. Baldwin, [1963] 2 All E.R. 66 (H.L.):
a) les relations de maître à serviteur la décision de congédier n'est soumise à aucune obligation d'agir équitablement;
b) l'occupation d'une fonction à titre amovible il n'existe aucune obligation d'agir équitablement;
c) l'occupation d'une fonction dont on ne peut être démis que pour un motif valable—il incombe à l'em- ployeur d'agir équitablement.
Le poste occupé par le requérant étant un poste de durée déterminée, il ne se classe facilement dans aucune des catégories décrites par lord Reid. Dans l'arrêt Knight, le juge L'heureux-Dubé a signalé que ces catégories ne tiennent pas compte de la situation un contrat de travail à durée déterminée n'est pas renouvelé, la situation applicable en l'espèce. Le juge a expressément refusé d'examiner les incidences d'un tel rapport contractuel dans cette dernière affaire. Elle a cependant affirmé qu'en droit administratif cana- dien, il est maintenant établi que l'équité procédurale constitue une exigence essentielle de la décision de mettre fin à un emploi appartenant aux deux der- nières catégories décrites par lord Reid. Comme il en a été fait mention plus haut, cependant, la décision dont la Cour est saisie ne met pas fin à un emploi. Le requérant soutient que la décision de procéder par voie de concours public était inextricablement liée à la décision de ne pas renouveler son contrat, de façon à favoriser la candidature de Charbonneau. Toutefois, il ne m'est pas possible de tirer une telle conclusion à partir de la seule preuve par affidavit dont je dispose.
À mon avis, le fait qu'un employé occupe un poste pour une durée déterminée n'exclut pas nécessaire- ment l'existence d'un devoir d'agir équitablement à l'expiration du contrat ou à l'occasion de la décision de ne pas le renouveler. Le statut précaire de l'emploi n'est pas sans ressemblance avec la situation des employés en période de probation, à l'égard de laquelle l'obligation d'agir équitablement est recon- nue depuis longtemps. Le contenu de cette obligation variant avec les circonstances de chaque cas, il est difficile de formuler une règle énonçant ce qu'il faut faire pour agir équitablement dans une situation don- née. Toutefois, je suis convaincu, en l'espèce, que la relation existant entre les parties n'est pas de celles qui donnent ouverture au droit de se faire entendre relativement au genre de concours à tenir, quoique je n'écarte pas que d'autres types de décision visant des employés nommés pour une durée déterminée doi- vent être prises dans le respect de l'équité procédu- rale. J'estime qu'en l'espèce, le devoir d'agir équita- blement ne va pas jusqu'à exiger la participation du titulaire du poste au processus de recrutement. Les
décisions portant sur le genre de concours à tenir relèvent à mon avis de la prérogative patronale, que la loi a incontestablement dévolue à la Commission de la fonction publique.
Effet de la décision
Le droit à l'équité procédurale n'existe que si la décision est importante et a de graves répercussions sur la personne visée (Knight, à la page 677). Il ne fait pas de doute qu'en règle générale, les décisions mettant fin à un emploi satisfont à cette condition. Toutefois, en l'espèce, la décision n'a pas eu pour effet direct de mettre fin à l'emploi. Celui-ci s'est ter- miné de façon naturelle par l'arrivée du terme prévu. La décision de tenir un concours public n'a fait que priver le requérant de certains avantages dont il aurait joui s'il avait pris part à un concours restreint ou de certains droits d'appel dont il aurait pu se prévaloir si des concours concomitants, publics et restreints, s'étaient tenus. À mon avis, ces conséquences n'ont pas le même degré de gravité que la cessation de l'emploi.
Toute compte fait, j'estime que les intimés n'assu- maient pas, dans le cas qui nous occupe, d'obligation générale d'agir équitablement, et je ne vois rien, dans l'ensemble des dispositions législatives applicables, qui puisse modifier ma conclusion.
Pouvoir discrétionnaire
Il est bien établi en droit que les articles 8 et 11 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ne con- fèrent pas une discrétion absolue à la Commission et que celle-ci doit exercer ses pouvoirs de façon raison- nable, en faisant preuve de bonne foi et en tenant compte des éléments pertinents (voir Slaight Commu nications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, la page 1076; Padfield v. Minister of Agriculture, Fishe ries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.)). Le requérant soutient principalement qu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire de recruter à l'intérieur ou à l'exté- rieur de la fonction publique, les intimés ont tenu compte d'éléments non pertinents, comme le désir de voir Charbonneau reprendre son poste. Si les intimés n'avaient pris que cet élément en considération, il y aurait eu, à mon avis, ouverture à certiorari. Le requérant a plaidé avec force pour que je conclue en
ce sens. Les intimés, de leur côté, ont insisté sur le fait que la décision de procéder par concours public avait été prise de bonne foi, dans le but de rassembler le plus de candidats qualifiés possible. Le raisonne- ment proposé par le requérant suppose l'existence de conclusions relatives à la crédibilité que la seule preuve par affidavit dont je dispose ne saurait me per- mettre de tirer. À moins de pouvoir dire que la déci- sion repose entièrement sur ce facteur non pertinent, je ne crois pas approprié de délivrer un bref de certio- rari (voir Cantwell c. Canada (Ministre de l'Environ- nement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. ire inst.)).
Estoppel
M. Lebel a admis lui-même, dans son affidavit, qu'il n'avait pas le pouvoir de promettre au requérant que la dotation de son poste se ferait par concours restreint, si tant est qu'il l'ait promis. En l'espèce, les déclarations qu'il a faites ne sauraient fonder l'estop- pel invoqué contre les intimés. Le requérant peut, tout au plus, prendre action contre Lebel pour man- quement à la garantie d'autorisation, mais, en l'es- pèce, la Cour n'a pas à s'occuper de cette question. Voir Wade, Administrative Law, (5e éd.) aux pages 335 à 346.
Crainte raisonnable de partialité
De toute évidence, la partialité peut fonder l'annu- lation d'une décision dans certains cas. Toutefois, l'existence de la partialité ou d'une crainte raisonna- ble de partialité est une question de fait. Je ne suis pas assez certain que Campagna ait manifesté à l'égard de Charbonneau un préjugé favorable qui, ainsi que le requérant le soutient, a porté préjudice à ses possibilités de conserver son poste. Campagna nie avoir entretenu un préjugé défavorable au requérant. Compte tenu de cette dénégation, il faut plus, encore une fois, qu'une preuve ou une inférence établie par affidavit pour fonder une telle accusation de mau- vaise foi.
CONCLUSION
À mon avis, il ne convient pas, en l'espèce, que j'use de ma discrétion et que je décerne un bref de certiorari. Dans cette affaire, le processus de commu nication a connu des défaillances et des malentendus sont survenus de part et d'autre à de nombreuses
reprises. Le système de freins et de contre-poids mis en place afin de prévenir les nominations abusives à la fonction publique a, en outre, fait défaut à des étapes importantes du processus. Toutefois, il me semble que le requérant n'a pas établi, comme il en avait le fardeau, que l'administration avait l'obliga- tion d'agir équitablement dans les circonstances, qu'elle a abusé de son pouvoir discrétionnaire en décidant de procéder par voie de concours public, qu'il y avait estoppel ou qu'il existait une crainte rai- sonnable de partialité.
La requête est rejetée avec dépens en faveur des intimés.
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