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A-246-91
West Kootenay Power and Light Company, Limited (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
REPERTORI$' WEST KOOTENAY POWER AND LIGHT CO. C. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et MacGuigan, J.C.A.—Saskatoon, 25 novembre; Ottawa, 6 décem- bre 1991.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Une société de service public n'incluait que les comptes facturés dans le cal- cul de son revenu, tant pour les fins de ses états financiers que pour celles de ses déclarations de revenus Elle a adopté la comptabilité d'exercice en 1979, pour les fins comptables et fiscales, en incluant les montants relatifs à l'électricité fournie mais non facturée Elle a continué à utiliser la comptabilité d'exercice pour ses états financiers, mais elle est revenue à la méthode du montant facturé pour les déclarations de revenus Est-elle obligée d'utiliser la même méthode comptable pour la préparation de ses états financiers et de ses déclarations de revenus? Il n'est pas absolument obligatoire d'utiliser la même méthode comptable La comptabilité d'exercice per- met un meilleur rattachement des produits et des charges d'une société de service public fournissant un service continu Une somme est à recevoir lorsque son bénéficiaire a un droit cer tain au paiement de la somme Les produits non facturés sont suffisamment déterminables pour constituer des sommes à recevoir.
Il s'agit de l'appel d'une décision de la Section de première instance rejetant l'appel interjeté par le contribuable à l'égard de nouvelles cotisations établies à l'égard des années d'imposi- tion 1983 et 1984.
L'appelante est une société ouverte qui produit et distribue de l'électricité dans le sud-est de la Colombie-Britannique. Elle est régie par la British Columbia Utilities Commission. La facturation applicable aux usagers domestiques se fait suivant un cycle de deux mois et les compteurs sont relevés bimestriel- lement. Avant 1979, la société n'inscrivait pas dans ses comp- tes de l'année les montants afférents à l'électricité fournie mais non facturée. En 1979, elle a commencé à inclure les produits non facturés, en tenant une comptabilité d'exercice pour les fins de ses états financiers et de ses déclarations de revenus. En 1983, tout en conservant la comptabilité d'exercice pour la pré- paration de ses états financiers, l'appelante est revenue à la déclaration des seuls produits facturés pour les fins fiscales. Le prix de vente estimatif de l'électricité fournie mais non encore facturée à la fin de l'année s'établissait à approximativement 3,9 millions de dollars pour chacune des années 1983 et 1984. Le ministre a établi de nouvelles cotisations sur la base de ces montants.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Il n'est pas souhaitable d'ériger la conformité entre les états financiers et les déclarations de revenus en exigence absolue. Les contribuables qui sont dans la même situation, exception faite de la méthode comptable qu'ils appliquent pour la prépa- ration de leurs états financiers, doivent être traités de la même façon. Cela est particulièrement vrai lorsque la loi oblige les entreprises à tenir leur comptabilité d'une manière déterminée. En matière de déclaration de revenus, la règle veut que la méthode à suivre soit celle qui donne l'image la plus fidèle, qui représente le plus exactement les revenus et qui permette le meilleur rattachement des charges et des produits. Dans Mari time Telegraph and Telephone Company Limited c. La Reine, la Section de première instance a statué que même si la méthode du montant facturé et la comptabilité d'exercice sont toutes deux conformes aux principes comptables généralement reconnus (PCGR), la comptabilité d'exercice donne une image plus fidèle du revenu d'une société de service public fournis- sant un service continu. En l'espèce, lorsque l'appelante a laissé la méthode du montant facturé pour la comptabilité d'exercice en 1979, la direction était d'avis que celle-ci présen- tait un portrait plus fidèle du revenu parce qu'elle permettait un meilleur rattachement des produits et des charges.
Pour qu'un montant constitue une somme à recevoir, il faut que le bénéficiaire ait un droit certain, mais non nécessaire- ment immédiat, au paiement. L'alinéa 12(1)b) de la Loi fait une distinction entre une somme à recevoir et une somme due. Le contribuable avait un droit certain au paiement de l'électri- cité qu'il avait fournie, et les montants visés étaient suffisam- ment déterminables pour constituer des sommes à recevoir, même s'ils n'avaient pas fait l'objet d'une facturation ou s'ils n'étaient pas exigibles. L'exonération prévue à l'alinéa 12(1)b) ne s'applique qu'aux méthodes comptables acceptées pour les fins du calcul du revenu et, compte tenu du principe de «l'image plus fidèle», il n'est pas possible d'accepter la méthode du montant facturé employée par le contribuable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 9(1), 12(1)b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 140, art. 4), 248(1) «biens» (mod. par S.C. 1974- 75, chap. 26, art. 125; 1980-81-82-83, chap. 140, art. 128).
Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1979, chap. 370, art. 31, 32.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
La Reine c. Maritime Telegraph and Telephone Co. Ltd. (1990), 91 DTC 5038 (C.F. 1re inst); Minister of National Revenue v. John Colford Contracting Co. Ltd., [1960] R.C.É. 433; (1960), 26 D.L.R. (2d) 15; [1960] C.T.C. 178; 60 DTC 1131.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Willingale (Inspector of Taxes) v International Commer cial Bank Ltd, [1978] 1 All ER 754 (H.L.); Neonex Inter national Ltd c La Reine, [1978] CTC 485; (1978), 78 DTC 6339; 22 N.R. 284 (C.A.F.); Cyprus Anvil Mining Corp. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 153; (1989), 90 DTC 6063; 104 N.R. 299 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Consolidated Textiles Ltd. v. Minister of National Reve nue, [1947] R.C.É. 77; [1947] 2 D.L.R. 172; [1947] C.T.C. 63; Minister of National Revenue v. Benaby Real- ties Limited, [1968] R.C.S. 12; (1967), 64 D.L.R. (2d) 665; [1967] C.T.C. 418; 67 DTC 5275; Maple Leaf Mills Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 558; (1976), 76 DTC 6182; Commissioners of Inland Revenue v. Gardner, Mountain & D'Ambrumenil, Ltd. (1947), 29 T.C. 69 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Guay (J. L) Ltée c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 237; [1971] C.T.C. 686; (1971), 71 DTC 5423 (1re inst.); confirmée par [1972] C.F. 1441 (C.A.); Newfoundland Light and Power Co. Ltd. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 235; (1986), 86 DTC 6323 (C.F. Ire inst.); Commission hydroélectrique de Québec c. Sous- ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1970] R.C.S. 30; [1969] C.T.C. 574; (1969), 69 DTC 5372; R. c. Derbecker, [1985] 1 C.F. 160; [1984] CTC 606; (1984), 84 DTC 6549 (C.A.).
DOCTRINE
Arnold, Brian J. «Conformity Between Financial State ments and Tax Accounting» (1981), 29 Can. Tax J. 476.
AVOCATS:
I. H. Pitfeld pour l'appelante.
J. Shipley et Al Meghji pour l'intimée.
PROCUREURS:
Thorsteinssons, Vancouver, pour l'appelante. Le sous procureur général du Canada pour l'in- timée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit, en l'espèce de déterminer le moment de l'assujettissement à l'im- pôt. Faut-il inclure dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise dans une année d'imposition les produits d'exploitation estimatifs non facturés au 31 décem- bre, soit la clôture de l'année d'imposition du contri- buable?
I
L'appelante est une société ouverte qui produit et distribue de l'énergie hydro-électrique dans le sud-est de la Colombie-Britannique. Son activité, y compris les tarifs qu'elle pratique, est régie par la British Columbia Utilities Commission («la BCUC»). Pen dant la période visée, la facturation des services four- nis aux usagers domestiques suivait un cycle de deux mois et les compteurs étaient relevés bimestrielle- ment.
À la fin des exercices financiers en cause, savoir les années 1983 et 1984, l'appelante avait livré de l'électricité qu'elle n'avait pas encore facturée à ses clients. En fait, le tarif approuvé par la BCUC ne per- mettait pas à l'appelante de facturer l'électricité four- nie au 31 décembre avant la fin du cycle de factura- tion se terminant après cette date.
La méthode comptable utilisée par l'appelante jus- qu'en 1979 ne tenait pas compte des produits d'ex- ploitation non facturés. Mais suivant les conseils de ses comptables, l'appelante avait changé de méthode cette année-là et s'était mise à calculer son revenu, tant pour les fins de ses états financiers que pour cel- les de ses déclarations de revenus, en se fondant sur des estimations des produits d'exploitation qu'elle prévoyait recevoir. Elle a appliqué cette comptabilité d'exercice jusqu'en 1982.
En 1983, l'appelante a substitué la méthode des produits «facturés» à la comptabilité d'exercice pour les fins de sa déclaration de revenus tout en conser- vant cette dernière méthode comptable pour la prépa- ration de ses états financiers annuels. Elle a éliminé de son revenu les produits d'exploitation estimatifs non facturés à la fin de l'exercice et n'a déclaré que les produits facturés.
Le prix de vente estimatif de l'électricité fournie mais non encore facturée s'établissait à 3 919 176 $ à la fin de l'exercice financier 1983 et à 3 874 834 $ à la fin de l'exercice financier 1984 («les produits d'exploitation non facturés»). Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations le 21 mai 1987 et y a ajouté ces montants au revenu de l'appelante pour les années d'imposition 1983 et 1984.
L'exposé conjoint des faits partiel a touché en par- tie à la question des incidences des principes comp- tables généralement reconnus («les PCGR») sur la situation factuelle (dossier d'appel, vol. IV, aux pages 495 et 496):
[TRADUCTION] 3. Selon les principes comptables généralement reconnus, appliqués aux faits de l'espèce, il serait acceptable de comptabiliser les produits d'exploitation non facturés de l'une des manières suivantes:
a) la demanderesse pourrait inclure les produits d'exploita- tion non facturés à la clôture de l'exercice dans le calcul de son bénéfice pour l'établissement des états financiers (comme elle l'a fait dans ses états financiers relatifs aux exercices en cause);
b) la demanderesse pourrait exclure les produits d'exploita- tion non facturés à la clôture de l'exercice dans le calcul de son bénéfice pour l'établissement des états financiers. Si elle optait pour cette solution, les produits d'exploitation non facturés seraient inclus dans le calcul de son bénéfice pour l'établissement des états financiers à l'égard de l'exercice suivant, au moment les sommes seraient fac- turées et inscrites à titre de créances.
4. Selon les principes comptables généralement reconnus, les conventions comptables suivies par l'entreprise doivent être les mêmes pendant tout l'exercice et ne pas changer d'un exercice à l'autre. Les modifications doivent être apportées d'une manière conforme à l'article 1506 du Manuel de l'Institut canadien des comptables agréés, dont copie est annexée aux présentes.
5. Cet accord n'a pas pour effet d'empêcher les parties de pro- duire une preuve quant à la question de savoir si, selon les principes comptables généralement reconnus, les produits d'exploitation non facturés constituaient un revenu gagné à l'égard de l'année durant laquelle l'électricité a été livrée.
Le passage pertinent de l'article 1506 du Manuel de l'Institut canadien des comptables agréés, l'ar- ticle 1506.02 est ainsi rédigé:
MODIFICATIONS DE CONVENTIONS COMPTABLES
Les conventions comptables comprennent les principes parti- culiers et les méthodes d'application particulières de ces prin- cipes choisis par l'entreprise pour la préparation de ses états financiers. On s'attend à ce que les conventions comptables suivies par l'entreprise soient les mêmes pendant tout l'exer- cice et ne changent pas d'un exercice à l'autre. Toutefois, on peut être amené à faire certaines modifications pour se confor- mer à de nouvelles recommandations du Manuel, aux Notes d'orientation en comptabilité publiées par le Comité de direc tion du Comité des normes comptables, aux Abrégés des déli- bérations du Comité sur les problèmes nouveaux de l'I.C.C.A. ou à de nouvelles exigences de la loi ou si l'on estime que ces modifications aboutiront à une meilleure présentation des évé-
nements et des opérations dans les états financiers de l'entre- prise.
Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, modifiée par S.C. 1980-81-82-83, chap. 140, paragraphe 4(1) («la Loi»), sont les suivantes:
9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.
12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, les sommes appropriées suivantes:
b) toute somme à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l'année, dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise, bien que la somme ou une partie de la somme puisse n'être due que dans une année postérieure, sauf dans le cas la méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du revenu tiré de son entreprise et acceptée aux fins de la pré- sente Partie, ne l'oblige pas à inclure dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition toute somme à recevoir qui n'a pas été effectivement reçue dans l'année et, aux fins du présent alinéa, une somme est réputée à recevoir pour services rendus dans le cadre de l'exploitation de l'entre- prise à compter de celui des jours suivants à survenir le pre mier:
(i) le jour a été remis le compte à l'égard des services qui ont été rendus, et
(ii) le jour aurait été remis le compte pour ces services si la remise de ce compte n'avait pas subi un retard indu;
(2) Les dispositions des alinéas (1)a) et b) ont été édictées pour plus de précision et ne doivent pas s'interpréter comme signifiant que toute somme qui n'y est pas visée ne doit pas être incluse dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise pour une année d'imposition, qu'elle soit reçue ou à recevoir dans l'année ou non.
Au début de l'exercice 1983, le tarif approuvé par la BCUC pour application aux usagers domestiques était le suivant (dossier d'appel, vol. I, à la page 126):
[TRADUCTION] Pour une période de deux mois
Première tranche 40 kWh 10,00 $
Deuxième tranche 360 kWh 4,270 ¢ par kWh
Tranches supérieures 400 kWh 2,398 ¢ par kWh
Il a été augmenté deux fois pendant les années d'im- position visées (dossier d'appel, vol. I, aux pages 127 et 128), mais le régime général de tarification diffé- rentielle fondée sur le volume d'énergie consommée n'a pas changé. De fait, les volumes jalons de con- sommation (40, 360 et 400 kWh) indiquant les chan- gements de barèmes ont été chaque fois conservés.
L'appelante a employé deux méthodes d'estima- tion des produits d'exploitation non facturés pour les fins de ses états financiers. La première, la méthode de la «consommation proportionnelle» permet de dresser le compte de chaque client au moyen d'un programme informatique prenant en considération la consommation à une date donnée et le taux de con- sommation passée et tenant compte des variations des conditions météorologiques ou d'autres facteurs. La seconde méthode, utilisée principalement à des fins de vérification, est celle de la «charge brute» par laquelle on arrive à un montant à partir du chiffre de la production au 31 décembre duquel on soustrait les pertes estimatives par ligne imputables à l'énergie perdue au cours de la transmission.
Le juge MacKay, à la première instance [[1991] 1 C.T.C. 327, aux pages 331 et 332] est parvenu aux conclusions suivantes quant aux faits:
De l'avis de M. Ash, la société ne disposait pas en pratique des ressources nécessaires pour tenter de relever tous les comp- teurs le 31 décembre de chaque année. Elle employait environ vingt releveurs et utilisait chaque mois environ vingt dates de facturation de sorte qu'il aurait fallu plus de quatre cents rele- veurs pour relever tous les compteurs un jour donné.
Certes, il serait possible théoriquement de déterminer les sommes effectivement dues à cette date par les clients à l'égard desquels la facture n'a pas été dressée, mais je conviens qu'il n'était pas possible de le faire en pratique, de façon raisonna- ble. Même si cela était possible, ce serait contraire aux prin- cipes approuvés par la commission provinciale en ce qui con- cerne la facturation et le recouvrement des produits d'exploitation selon un cycle d'un ou deux mois et un tarif qui tient compte du volume de la consommation. Au surplus, cela aurait pour effet de répartir sur la clôture de l'exercice une par- tie plus importante des comptes des clients et, par conséquent, des produits d'exploitation que ne le justifient les produits gagnés moyens répartis sur l'ensemble du cycle de facturation. J'accepte donc que les produits d'exploitation attribuables aux comptes non facturés à la fin de l'exercice ne peuvent être
estimés que d'une façon raisonnable sans que l'on fasse comme si l'estimation était exacte à l'égard d'un client ou de tous les clients.
Bien sûr, cette conclusion relative aux produits d'ex- ploitation non facturés ne règle pas la question en litige.
Le juge de première instance a ensuite décrit com ment il percevait cette question la page 332):
Essentiellement, la question soulevée dans les arguments des parties consiste à décider si un contribuable qui utilise la méthode de la comptabilité d'exercice pour calculer ses pro- duits d'exploitation, conformément aux P.C.G.R., aux fins de ses états financiers et de sa comptabilité générale, peut utiliser une autre méthode comptable, également conforme aux P.C.G.R., aux fins de ses déclarations de revenus. L'avocat de Sa Majesté a reconnu que, si en 1983, la société était revenue à la pratique qu'elle suivait avant 1979, comptabilisant les pro- duits d'exploitation selon les factures remises tant aux fins de ses états financiers qu'aux fins de l'impôt, la question posée par les nouvelles cotisations établies par le ministre n'aurait pas été soulevée.
Le juge de première instance, comme il analysait la question en litige sous l'angle de la continuité entre les états financiers et la déclaration de revenus, a accordé beaucoup d'attention à la déposition de M. Dennis Culver, un comptable agréé témoignant pour l'intimée, qui a cité, en particulier, l'article 1506.02 mentionné plus haut. Le juge de première instance résume ainsi le témoignage de M. Culver la page 333):
De l'avis de M. Culver, le changement de méthode de calcul des produits d'exploitation aux fins de l'impôt seulement, accompagné du maintien de la comptabilité d'exercice aux fins des états financiers, ressemblait à une tentative pour appliquer [TRADUCTION] «en même temps deux méthodes qui soient con- formes aux P.C.G.R.». Quand on a adopté la comptabilité d'exercice aux fins des états financiers, d'après M. Culver, uti- liser une autre méthode serait incompatible avec les P.C.G.R. et la méthode suivie pour l'information financière de base est aussi applicable à tous les autres comptes établis pour la même période.
Pour déterminer quel était le droit applicable, le juge de première instance a suivi la décision rendue par la juge Reed dans l'affaire La Reine c. Maritime Telegraph and Telephone Co. Ltd. (1990), 91 DTC 5038 (C.F. lre inst.). La société en cause dans cette affaire fournissait des services téléphoniques et d'autres services de télécommunication; elle avait adopté pour présenter ses déclarations de revenu la méthode du «montant facturé», alors que pour sa
comptabilité générale et pour les différents rapports qu'elle soumettait à l'organisme de réglementation qui la régissait elle continuait à se servir de la comp- tabilité d'exercice. La juge Reed a conclu que les produits d'exploitation non facturés mais gagnés ne sont pas des sommes à recevoir au sens de l'ali- néa 12(1)b) de la Loi. Ces montants sont plutôt régis par le paragraphe 9(1), car cette méthode donne une image plus fidèle que l'autre du revenu réalisé au cours de l'exercice.
Le juge MacKay a donc conclu ce qui suit (aux pages 335 et 336):
Si l'exclusion des produits d'exploitation non facturés de la comptabilisation des bénéfices aux fins de l'impôt n'est pas exigée par la Loi, est-il possible d'étayer la thèse de la deman- deresse selon laquelle leur exclusion, selon une méthode con- forme à un aspect des principes comptables généralement reconnus, est permise par la Loi? Dans son témoignage, mis en doute mais non abandonné au cours du contre-interrogatoire, l'expert Culver a dit clairement que les P.C.G.R. ne permet- taient pas d'adopter une méthode aux fins des états financiers et une autre aux fins de l'impôt sur le revenu, car le principe de la continuité, énoncé en l'occurrence à l'article 1506.02, veut que la méthode suivie soit la même pendant tout l'exercice et d'un exercice à l'autre. Par surcroît, les principes qui sous-ten- dent les décisions de la Cour d'appel dans Neonex Internatio nal Ltd. c. La Reine, [1978] C.T.C. 485; 78 D.T.C. 6339 (C.A.F.) et dans Cyprus Anvil Mining Corporation c. La Reine, [1990] 1 C.T.C. 153; 90 D.T.C. 6063 (C.A.F.); inf. [1985] 2 C.T.C. 74; 85 D.T.C. 5306 (C.F. Ire inst.), justifient, à mon sens, la conclusion selon laquelle la Loi ne permet pas de déclarer les produits d'exploitation aux fins de l'impôt selon une méthode différente de celle suivie aux fins de présenter fidèlement la situation financière d'une société aux action- naires et aux créanciers, mis à part les dispositions de la Loi qui exigent expressément un traitement différent, Dans Neo- nex, relativement à la déduction de dépenses engagées pour la fabrication d'enseignes non achevées en vertu d'un contrat sti- pulant le paiement après l'achèvement, la Cour s'est appuyée sur le principe du rattachement des charges et des produits à l'exercice et a conclu que le traitement comptable aux fins de l'impôt et celui aux fins des états financiers dressés à l'inten- tion des actionnaires et du grand public devaient être les mêmes. Dans Cyprus Anvil, invoquant le principe de la conti- nuité des méthodes, la Cour a interdit à la société le calcul de ses bénéfices aux fins de l'impôt d'une manière différente de celle suivie dans sa propre comptabilité, pour une période elle était exonérée d'impôt, qui avait une incidence sur sa situation fiscale au cours de la période suivante. Certes, les faits sont tout différents dans ces deux affaires et dans l'espèce, mais le principe général étaye la conclusion qui y est énoncée, c'est-à-dire que la Loi ne permet pas de faire une déclaration de revenu aux fins de l'impôt comme celle qu'a faite la deman- deresse. Cette conclusion repose aussi sur l'interprétation du
paragraphe 12(2), rapproché du paragraphe 9(1), donnée par la juge Reed dans Maritime Telegraph, supra.
Je conclus que la Loi de l'impôt sur le revenu n'exige pas du contribuable qu'il comptabilise les produits d'exploitation, et par conséquent les bénéfices, selon les factures établies pour une année d'imposition alors qu'aux fins des états financiers, il inscrit les produits gagnés ou les créances, y compris les pro- duits d'exploitation non facturés estimatifs à la fin de l'exer- cice, et la Loi ne le lui permet pas non plus. Il se peut bien que le contribuable puisse choisir de calculer son bénéfice selon les factures établies, du moins dans le secteur d'activité de la demanderesse, les sociétés semblent adopter l'un ou l'autre des deux traitements, à la condition que les raisons appropriées d'agir ainsi soient justifiables d'après les P.C.G.R., s'il suit cette méthode tant aux fins des états financiers qu'aux fins de l'impôt. En pareil cas, la demanderesse serait simplement dans la même situation qu'avant 1979.
II
L'appelante soutient que le juge de première ins tance a commis deux erreurs, la première, en détermi- nant que les produits d'exploitation estimatifs non facturés constituaient un revenu imposable même s'ils n'étaient pas une somme à recevoir au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi et, la deuxième, en jugeant que le contribuable devait utiliser pour calculer le montant de ses bénéfices à des fins fiscales la méthode qui servait au calcul de ceux-ci pour les fins de l'information financière générale de l'entreprise, même si les PCGR lui donnaient le choix entre deux méthodes. Je commencerai par la deuxième erreur. Pour ne pas alourdir le texte, je considère qu'en con- cluant que la Loi fait obligation aux contribuables d'utiliser la même méthode comptable pour la prépa- ration de leurs états financiers et pour celle de leurs déclarations de revenus, le juge de première instance a exprimé le principe de la continuité.
L'appelante fait valoir que ce principe, tel qu'il est énoncé à l'article 1506.02 du Manuel de l'Institut canadien des comptables agréés, n'exige que l'usage continu d'une méthode comptable donnée pour une fin spécifique et non l'utilisation de la même méthode pour différentes fins. Elle soutient en outre que la conclusion du juge ne repose sur aucune déci- sion canadienne, tandis qu'une décision anglaise, Willingale (Inspector of Taxes) y International Com mercial Bank Ltd, [1978] 1 All ER 754 (H.L.) établit la position contraire. Bref, l'appelante prétend qu'elle
avait le droit d'utiliser l'une ou l'autre des deux méthodes comptables en question, décrites dans l'ex- posé conjoint des faits partiel.
Dans l'affaire Willingale, le contribuable avait ins- crit à ses états financiers des revenus relatifs à des lettres de change escomptées, calculés sur une base quotidienne, mais, dans sa déclaration de revenus, il n'avait inclus l'escompte qu'au moment les lettres étaient venues à échéance ou avaient été cédées. La Chambre des lords a rendu, à trois contre deux, un jugement très partagé en faveur du contribuable. On peut dire que lord Fraser of Tullybelton a exprimé l'avis de la majorité lorsqu'il a écrit (aux pages 761 et 762):
[TRADUCTION] ... à mon sens, la comptabilité tenue par la banque pour ses fins commerciales reposait sur le principe de l'anticipation des bénéfices qu'elle retirerait des lettres de change et des effets qu'elle détenait. Il existe à n'en pas douter d'excellentes raisons, sur le plan commercial, pour procéder ainsi.
Mais cette méthode ne convient pas à l'évaluation de l'obliga- tion de la banque au titre de l'impôt sur le revenu des corpora tions.
L'appelante conclut que l'arrêt Willingale rejette le principe de la continuité. Je n'estime pas qu'elle en fait une interprétation correcte, car la décision ne fait qu'établir qu'un contribuable n'est pas tenu d'antici- per des bénéfices futurs.
Le juge de première instance a cité les décisions Neonex International Ltd c La Reine, [1978] CTC 485 (C.A.F.); Cyprus Anvil Mining Corp. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 153 (C.A.F.) à l'appui du principe de la continuité. L'affaire Neonex portait sur la déduc- tion de dépenses engagées pour la fabrication d'en- seignes non achevées. Le juge de première instance a correctement conclu que la Cour s'était «appuyée sur le principe du rattachement des charges et des pro- duits». Mais, en toute déférence, ce dernier principe diffère du principe de la continuité, qui doit prendre la forme d'une règle de droit plutôt que d'une conclu sion factuelle. Dans l'affaire Neonex, le juge Urie avait écrit (aux pages 500 et 501):
À mon avis, la méthode que l'appelante a utilisée pour cal- culer son revenu imposable n'est conforme ni aux principes comptables généralement reconnus ni à la méthode appropriée de calcul du revenu imposable ... Les dépenses subies au titre des enseignes inachevées ont été engagées en vue de produire
un revenu au cours de l'année suivante ou d'une année d'impo- sition subséquente, mais non au cours de l'année l'appe- lante en réclame la déduction. Il s'ensuit donc que le revenu de l'appelante ne serait représenté ni proprement ni fidèlement si elle pouvait adopter cette méthode aux fins de l'impôt, alors qu'à l'intention de ses actionnaires et de ses créanciers, elle employait la méthode comptable généralement reconnue, pro- bablement parce qu'elle assurait un état fidèle des profits et pertes, état qu'ils étaient en droit d'exiger.
Dans l'affaire Neonex, la Cour a rendu une déci- sion favorable à la présentation fidèle des résultats de
l'entreprise, qui reposait sur la conclusion de fait selon laquelle le contribuable qui utiliserait une méthode différente de la méthode suivie pour la pré- paration des états financiers, ne présenterait pas pro- prement et fidèlement sa situation.
Dans Cyprus Anvil, la Cour a appliqué le principe de la continuité, mais celui-ci se rapportait aux propres déclarations antérieures de revenus du contri- buable ainsi qu'à ses états financiers et reposait sur les règles de la saine gestion financière ou commer- ciale. Le juge Urie, J.C.A., a indiqué (aux pages 158 et 159):
La période d'exonération de trois ans accordée par le para- graphe 83(5) de la Loi et l'article 28 des RAIR a été prévue à titre de mesure fiscale d'encouragement à la mise en valeur de nouvelles mines et, suivant l'intimée, son objectif était d'exo- nérer de l'impôt le fruit des efforts consentis en vue de réaliser des bénéfices au cours des trois années prescrites.
En substance, ce que cette prétention signifie c'est que peu importe comment l'intimée calcule son bénéfice pour les fins de ses états financiers ou de l'impôt, elle a le droit, en vertu de l'objectif poursuivi par les mesures législatives d'encourage- ment, de maximiser ses profits pour cette période d'exonéra- tion.
Il me semble que lorsqu'on expose la question en litige aussi succinctement et sèchement, on constate immédiatement la fausseté de la thèse de l'intimée. La période d'exonération ne peut exister isolément et les règles à appliquer lorsqu'il s'agit de calculer le bénéfice que la compagnie tire de sa production de concentrés au cours de la période d'exonération doivent, comme notre Cour l'a affirmé dans un contexte factuel et légis- latif différent dans l'arrêt Denison Mines Ltd. c. M.R.N., [1972] 1 C.F. 1324; C.T.C. 521; 72 D.T.C. 6444, à la p. 524 [D.T.C. 6446]:
... être jugée[s] selon de solides principes commerciaux et non selon ce qui peut avantager le contribuable, compte tenu des particularités de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le fait incontestable que le paragraphe 8(5) soit une mesure législative d'incitation ne donne pas, à mon sens, droit à la per-
sonne qui bénéficie d'un avantage accordé par la loi de propo ser une méthode de calculer le bénéfice qu'elle prétend avoir réalisé durant la période d'exonération d'une façon qui est con- traire à sa méthode de calculer son revenu avant, pendant et après la période d'exonération tant pour ses propres fins de présentation de l'information financière que pour celles de la déclaration fiscale. Permettre au contribuable de modifier ses méthodes comptables habituelles dans le seul but de maximiser ses profits au cours des périodes d'exonération fausse non seu- lement le revenu gagné au cours de cette période, mais égale- ment celui qui est réalisé au cours des périodes précédentes et ultérieures. Cela n'est ni logique, ni autorisé par la loi, ni con- forme aux bonnes méthodes commerciales ou comptables.
Il s'agit, selon moi, d'une notion différente de celle du principe de continuité entre les états financiers et les déclarations de revenus. Elle concerne plutôt la présentation fidèle et exacte du revenu en appliquant les principes d'une saine gestion commerciale.
Dans l'affaire Maritime Telegraph, la juge Reed a retenu, je le répète, la méthode qui permettait d'avoir une «image plus fidèle» du revenu de la compagnie la page 5039):
Il ressort clairement de la preuve que les deux méthodes comptables susmentionnées sont conformes aux principes comptables généralement reconnus. Par ailleurs, même si cer- tains éléments de preuve montrent que certaines entreprises de services publics emploient la méthode du montant facturé, aucun ne permet de conclure qu'une seule grande société cana- dienne de téléphone emploie la méthode du montant facturé aux fins de ses états financiers généraux. En outre, il est juste de conclure que la méthode du montant gagné donne une image plus «fidèle» du revenu de l'entreprise pour l'année en question si on la compare à la méthode du montant facturé. L'entreprise de la demanderesse consiste à fournir un service continu qui, par sa nature même, donne lieu à un revenu qui s'accroît quotidiennement'.
Laissant de côté la jurisprudence, je souscris à l'analyse faite par le professeur Brian J. Arnold dans «Conformity Between Financial Statements and Tax Accounting» (1981), 29 Can. Tax J. 476, la page 487, l'égard des principes généraux en cause:
[TRADUCTION] Il n'est pas opportun, pour deux motifs fonda- mentaux, d'exiger l'emploi des mêmes méthodes comptables
1 A mon avis, l'appelante soutient à bon droit que les faits de l'affaire Maritime Telegraph ne sont pas aussi favorables au contribuable que ceux de la présente espèce, parce que les registres de la compagnie de téléphone indiquaient la date exacte des appels, et que seules les méthodes mécaniques de calcul n'avaient pas été appliquées. Pour les motifs déjà exprimés, cependant, j'en viens à une conclusion différente de celle de l'appelante sur les principes applicables en l'espèce.
pour la préparation des états financiers et pour celle des décla- rations de revenus. D'abord, il s'ensuivrait une différence d'as- sujettissement à l'impôt entre les contribuables sur la base de critères largement étrangers au régime fiscal. L'établissement des bénéfices de l'entreprise conformément aux principes et aux usages comptables habituels permet à l'occasion au contri- buable de choisir entre différentes méthodes. Si l'on estime cette souplesse inacceptable en matière fiscale (et une telle position serait très contestable), il conviendrait d'inclure dans la Loi des dispositions édictant clairement les règles à suivre pour le calcul des bénéfices à des fins fiscales. En exigeant la conformité des états financiers et de la déclaration de revenus d'un contribuable, on transfère simplement aux états financiers la souplesse admise à l'égard de la déclaration de revenus. Le fisc devrait traiter de la même façon les contribuables qui se trouvent dans la même situation, que ceux-ci emploient ou non des méthodes comptables différentes pour la préparation de leurs états financiers. Deuxièmement, une exigence de confor- mité produira des effets différents suivant les contribuables. Les sociétés qui doivent faire vérifier leurs états financiers ou qui sont tenues de suivre des usages ou des méthodes comp- tables déterminés ne pourront pas déclarer leurs revenus au fisc avec la même souplesse que les sociétés privées ou les particu- liers, auxquels il sera davantage possible d'adopter d'autres méthodes comptables pour la préparation de leurs états finan ciers.
Beaucoup de comptables ont, à un moment ou l'autre, exprimé l'avis que l'exigence de conformité dans le calcul des bénéfices à des fins fiscales et à des fins de comptabilité géné- rale aurait le fâcheux effet de restreindre l'évolution des prin- cipes comptables généralement reconnus. Le développement de la comptabilité générale subira des pressions encore plus fortes s'il doit y avoir uniformité entre les états financiers et les déclarations de revenus. Il est à prévoir que les propriétaires et les gestionnaires d'entreprise tenteront de convaincre leurs comptables de préparer les états financiers de l'entreprise sui- vant une méthode qui diminue l'assujettissement à l'impôt, mais qui ne permet pas de donner aux autres utilisateurs de ces états les renseignements les plus précis et les plus sûrs. [Le renvoi en bas de page a été omis.]
Il n'est pas souhaitable, à mon avis, d'ériger la conformité entre les états financiers et les déclara- tions de revenus en exigence absolue, et j'ai la con viction que ce n'est pas ce que font les décisions pré- citées. Elles établissent plutôt que la méthode applicable est celle qui donne l'image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur «rattachement» des charges et des produits.
Souvent, le résultat obtenu ne différera pas de celui auquel on serait parvenu en appliquant le principe de la continuité, mais la méthode de «l'image la plus
fidèle» ou du «rattachement» n'aboutit pas à des effets absolus et exige un examen factuel minutieux de la situation du contribuable.
Les résultats pratiques des deux principes étant si apparentés, il se peut que le juge de première instance soit implicitement parvenu à une conclusion à l'égard de l'application du principe de l'image la plus fidèle, même s'il ne l'a pas fait de façon claire et catégo- rique. Du témoignage de M. Culver que, manifeste- ment, il trouve globalement persuasif, il dit, par exemple la page 333):
Voici ce que je conclus de l'interrogatoire et du contre-inter- rogatoire de M. Culver. À son avis, la méthode de la comptabi- lité d'exercice reflète mieux la situation financière d'une société parce qu'elle vise à rattacher les charges et les produits, et par conséquent le bénéfice net, à un exercice, conformément à l'un des principes fondamentaux des P.C.G.R.
M. Culver lui-même s'est exprimé très catégorique- ment sur ce point dans le rapport qu'il a soumis en qualité d'expert (dossier d'appel, annexe 1, à la page 6):
[TRADucTtoN] Si je devais choisir entre l'inscription ou la non- inscription des produits d'exploitation non facturés, j'opterais pour la première solution. À mon avis, on rattache plus étroite- ment les produits de l'entreprise aux charges pertinentes lors- qu'on inscrit les produits d'exploitation non facturés (Voir le manuel de l'ICCA, art. 1000.41 à 1000.43), ce qui permet de déterminer plus exactement les bénéfices nets réalisés dans une période donnée.
Mais cette conclusion du témoin expert importe moins que les deux aveux de M. Stephen A. Ash, le vice-président aux finances de l'appelante et le seul témoin qu'elle a fait entendre. L'aveu le plus général a trait au changement apporté en 1979 dans la façon de traiter les produits d'exploitation non facturés (transcription de la déposition, à la page 91):
[TRADUCTION] Q. Serait-il juste de dire qu'en tenant compte des produits d'exploitation non facturés vous donniez une image plus exacte des bénéfices réalisés par la compagnie pendant l'exercice?
R. Nous essayions de présenter quels seraient les revenus —quels seraient ultimement les revenus pendant l'exer- cice.
Q. La présentation serait-elle plus exacte si vous incluiez les produits d'exploitation non facturés que si vous les excluiez?
R. C'est pour cela que nous l'avons fait, oui.
Il a reconnu la même chose à l'égard des dépenses (transcription, à la page 85):
[TRADUCTION] Q. Diriez-vous, alors, que dans la déclaration de votre revenu imposable pour 1983, le revenu est diminué du montant de certaines dépenses engagées dans le but de gagner ce qu'on est convenu d'appeler un produit d'exploi- tation non facturé?
R. Ces montants sont inclus dans nos dépenses, oui.
Finalement, M. Ash a fait, à l'égard de la princi- pale raison motivant le changement de méthode effectué en 1979, un aveu équivalant à une reconnais sance du fait que la comptabilité d'exercice donne une image plus fidèle du revenu de la société (Trans- cription, à la page 33):
[TRADUCTION] Q. Pourquoi la compagnie essayait-elle, à ce moment-là de donner une meilleure image de ses bénéfices dans la présentation de ses états financiers? Au profit de qui?
R. C'était pour les actionnaires. Nous risquions sérieuse- ment d'enregistrer des pertes. Nous craignions sérieuse- ment de ne pas pouvoir obtenir de capitaux si notre situation empirait. Nous cherchions donc à améliorer nos gains.
La seule conclusion qu'il m'est possible de tirer du témoignage qui précède est que, même dans l'opinion de la tête dirigeante de la société appelante, la méthode de la comptabilité d'exercice adoptée en 1979 tant pour la présentation des états financiers que pour celle des déclarations de revenus donnait une image plus fidèle des bénéfices réalisés par l'appe- lante parce qu'elle rattachait les produits aux charges de façon plus juste et plus exacte, malgré le fait que les produits estimatifs du fragment final de l'année ne pouvaient être qu'approximatifs.
Bien qu'à mon avis, le juge de première instance se soit trompé quant au principe à appliquer, l'ana- lyse que je propose pour résoudre le problème aboutit au même résultat. Je crois que le juge de première instance est parvenu implicitement à ce résultat et qu'il l'aurait atteint de toute manière s'il avait claire- ment abordé la question sous cet angle.
III
Il me reste à déterminer, principalement, si les pro- duits d'exploitation non facturés dont il est question sont visés par l'alinéa 12(1 )b) de la Loi et constituent
une somme à recevoir et, dans l'affirmative, s'ils sont exclus de l'application de la disposition aux termes de l'exception qui y est prévue.
La Loi ne définit nulle part ce qu'est une «somme à recevoir». M. Culver, témoin de l'intimée, recon- naît qu'aux termes des PCGR les produits d'exploita- tion non facturés à la fin de l'exercice ne constituent pas une somme à recevoir à l'égard de celui-ci (trans- cription, aux pages 129 et 130). Cette affirmation est pertinente, certes, mais elle n'est pas décisive à l'égard du concept juridique en cause.
Dans l'affaire Maritime Telegraph, la juge Reed a conclu que les montants afférents à des services télé- phoniques non facturés n'étaient pas des sommes à recevoir au sens de l'alinéa 12(1)b) et que les disposi tion applicable à l'espèce étaient les paragraphes 9(1) et 12(2) (aux pages 5040 et 5041):
Je ne crois pas que le revenu gagné mais non facturé soit une somme «à recevoir» visée à l'alinéa 12(1)b). Il me semble que cet alinéa concerne des montants facturés, notamment le cas des comptes clients. Le paragraphe s'applique particulièrement aux entreprises qui font la vente de biens ou de services lors- que ces services sont rendus à l'occasion ou de façon disconti nue. La demanderesse n'exploite pas une telle entreprise. Elle fournit un service continu à ses clients et elle en tire un béné- fice sur une base continue.
Les revenus gagnés mais non facturés du contribuable à la fin de l'exercice sont assimilés à son revenu en vertu du para- graphe 9(1) de la Loi, et il n'est pas nécessaire d'invoquer l'alinéa 12(1)b) à cet égard. Ce revenu était comptabilisé par le contribuable en application du paragraphe 9(1) avant 1984 et il devrait également l'être après cette date.
Enfin, je suis d'avis que le paragraphe 12(2) est pertinent. Ce paragraphe prévoit très clairement que l'alinéa 12(1)b) «ne doit s'interpréter comme signifiant que des sommes qui n'y sont pas visées ne doivent pas être incluses dans le calcul du revenu». Il me semble que l'argument du contribuable en l'es- pèce nous obligerait à ne pas tenir compte de cette directive.
En l'espèce, le juge de première instance semble partager les vues de la juge Reed.
Le passage classique applicable à la notion de «somme à recevoir» se trouve dans la décision Minis ter of National Revenue v. John Colford Contracting Co. Ltd., [1960] R.C.É. 443, aux pages 440 et 441. Le juge Kearney y dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Puisque les mots «sommes recevables» ou «recevable» ne sont pas définis dans la Loi, il faut trouver leur sens ordinaire dans le domaine ils sont employés. En cher- chant dans les dictionnaires, nous pouvons lire la définition de «receivable» [TRADUCTION] (recevable) que donne le Shorter Oxford, (troisième édition) [TRADUCTION] «qui peut être reçu». L'énoncé est si vaste qu'il ne nous est pas d'une grande utilité. D'après cette définition, est recevable toute chose qui peut être remise à quiconque est capable de la recevoir. Il est possible d'appliquer cet adjectif au legs prévu dans le testament d'une personne encore en vie, mais personne ne considérerait un tel legs comme une somme recevable du légataire potentiel. A défaut d'une définition contraire dans la loi, je pense qu'il ne suffit pas que le soi-disant bénéficiaire ait un droit précaire de recevoir la somme en question, mais il doit avoir un droit cer tain de la recevoir, même si elle n'est pas nécessairement exi- gible. Le juge Cameron mentionne une deuxième acception: [TRADUCTION] «à recouvrer», et Eric L. Kohler donne la défini- tion suivante dans A Dictionary for Accountants, 1957, la page 408: [TRADUCTION] «recouvrable, sans égard à l'exigibi- lité». A mon sens, ces deux définitions supposent un droit.
L'appelante soutient qu'une somme qui ne peut être déterminée de façon raisonnable ou pratique et de laquelle on ne peut réclamer le paiement confor- mément au tarif formant la base des rapports contrac- tuels aux termes desquels l'appelante fournit de l'électricité pour consommation par le client ne cons- titue pas une somme à recevoir au sens de la Loi. La Loi, a-t-on fait valoir, vise des montants certains et non des estimations et les opinions qui en découlent inévitablement.
Je considère que les affaires Guay (J. L) Liée c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 237 ore inst.); et Newfoundland Light and Power Co. Ltd. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 235 (C.F. lre inst.), citées par l'appelante, n'ajoutent rien à la décision Colford. Dans Consolidated Textiles Ltd. v. Minister of Natio nal Revenue, [ 1947] R.C.É. 77, le président Thorson a établi que les dépenses ne peuvent être déduites qu'à l'égard du revenu afférent à l'exercice elles sont effectuées et qu'il n'est pas possible de les venti- ler à l'égard de l'année le revenu qui en découle est gagné. Il a déclaré ce qui suit la page 80):
[TRADUCTION] [U]ne telle répartition des dépenses ne peut tout au plus constituer qu'une approximation soumise à l'opinion du vérificateur. Il m'est impossible de croire que le Parlement ait pu vouloir faire dépendre la déductibilité des dépenses d'un facteur aussi incertain.
À mon avis, cette décision est le pendant de l'arrêt Colford pour ce qui est des dépenses et n'ajoute rien d'important.
Dans Minister of National Revenue v. Benaby Realties Limited, [1968] R.C.S. 12, le juge Judson a établi, au nom de la Cour suprême du Canada, que l'indemnité versée par suite d'une expropriation doit être déclarée à l'égard de l'année elle a été reçue (aux pages 15 et 16):
[ntanuctioN] Selon moi, la prétention du ministre est bien fondée. Il est vrai qu'au moment de l'expropriation, le contri- buable a acquis le droit de recevoir une indemnité en contre- partie du terrain, mais en l'absence d'un contrat exécutoire entre les parties ou d'un jugement fixant l'indemnité, le pro- priétaire n'avait rien de plus que le droit de réclamer une indemnité, et il n'existe aucune somme qui puisse être prise en considération à titre de somme recevable en contrepartie de l'expropriation.
En matière fiscale, les comptes ne peuvent demeurer ouverts jusqu'à ce que le montant du bénéfice soit finalement déter- miné. Les contribuables sont tenus de produire une déclaration de revenus à l'égard de chaque année d'imposition (art. 44(4)), et le ministre doit, «avec toute la diligence possible», les exa miner et fixer l'impôt à payer pour l'année. L'indemnité paya ble en application de la Loi sur les expropriations, cependant, est souvent déterminée plus de quatre ans après l'expropriation et, dans beaucoup de cas, le ministre ne pourrait plus modifier la cotisation initiale à cause de la prescription de quatre ans qui lui est applicable (art. 46(4)).
A mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu canadienne exige que les profits soient pris en considération ou donnent lieu au paiement d'un impôt dans l'année leur montant est établi avec certitude
L'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Maple Leaf Mills Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 558, cité par l'intimée, affaiblit quelque peu l'arrêt Benaby. Le juge Judson, dissi dent, cite ce dernier arrêt en insistant sur «l'année il [le montant] a été déterminé» la page 568). La majorité de la Cour a confirmé le critère appliqué dans l'arrêt Colford, au sujet duquel elle écrit (aux pages 566 et 567):
Ce critère est celui que cette Cour a appliqué aux affaires fiscales découlant d'expropriations; pour qu'un montant soit considéré comme une somme à recevoir au cours d'une année d'imposition, il y a deux conditions à remplir:
(1) un droit à l'indemnité;
(2) un accord obligatoire entre les parties ou un jugement fixant le montant.
Mais nous sommes aux prises ici avec des faits très différents. Toutefois, en ce qui a trait au revenu minimum garanti, les conditions prescrites étaient remplies: le droit au revenu mini-
mum n'est pas contesté et l'accord obligatoire entre les parties stipule le montant de ce revenu.
Si nous appliquons le principe de l'arrêt Colford aux faits de l'espèce, les produits d'exploitation non facturés paraissent à première vue constituer une somme à recevoir parce qu'ils découlent du «droit certain [de l'appelante] de la recevoir, même si elle n'est pas nécessairement exigible». L'électricité pro- duite, vendue et consommée est une denrée ou une marchandise: Commission hydroélectrique de Québec c. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1970] R.C.S. 30. Elle correspond égale- ment à la définition de «biens» énoncée au para- graphe 248(1) de la Loi. Lorsqu'un bien est vendu, livré et consommé, la remise d'un compte n'est pas une condition préalable du droit au paiement (articles 31 et 32 de la Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1979, chap. 370).
Le libellé même de l'alinéa 12(1)b) établit une dis tinction entre la somme «à recevoir» et la somme «due». Une somme peut donc être «à recevoir» même si elle n'est due que dans une année subséquente. Comme le juge Hugessen de la présente Cour l'a écrit dans R. c. Derbecker, [1985] 1 C.F. 160: «l'expres- sion "lui est due" ne vise que le droit du contribuable d'exiger le paiement et non pas la question de savoir s'il l'a effectivement exigé» la page 161).
Cette position ne souffre qu'un argument contraire, savoir que les produits d'exploitation non facturés ne sont pas à recevoir parce qu'en pratique on ne peut en déterminer le montant exact. Dans l'affaire Commis sioners of Inland Revenue v. Gardner, Mountain & D'Ambrumenil, Ltd. (1947), 29 T.C. 69 (H.L.), à la page 93, le vicomte Simon s'est dit disposé à accep- ter une [TRADUCTION] «estimation du montant de la rémunération future», et même [TRADUCTION] «une réduction du montant à payer ultérieurement». À mon avis, le montant en cause en l'espèce peut être déter- miné avec assez de certitude pour être considéré comme une somme à recevoir.
Je suis convaincu que l'appelante avait le droit absolu d'être payée pour l'électricité livrée et de recevoir un montant établi par une estimation raison- nable. Supposons, par exemple, qu'un incendie ait détruit la maison d'un client le 31 décembre à minuit. L'appelante aurait certainement droit, à la date d'exi-
gibilité, au paiement de l'électricité fournie depuis la dernière facturation jusqu'au 31 décembre, et les tri- bunaux seraient disposés à déterminer le montant en appliquant un procédé ressemblant probablement à la méthode de la consommation proportionnelle employée par l'appelante.
Il me faut donc conclure que l'appelante avait le droit incontestable d'être payée: les montants en jeu étaient suffisamment déterminables pour constituer une somme à recevoir, même s'ils n'avaient pas encore été facturés ou s'ils n'étaient pas encore exi- gibles. Elle devait, en conséquence, les inclure dans le calcul de son revenu pour l'année, à moins qu'ils ne constituent des revenus exonérés aux termes de l'exception prévue à l'alinéa 12(1)b).
À mon avis, cet alinéa n'a pas pour effet d'exoné- rer ces revenus, à cause des mots «acceptée aux fins de la présente Partie». Comme je l'ai déjà exposé, j'estime que les principes à appliquer pour les fins de cette partie de la Loi sont ceux de «l'image plus fidèle» ou du «rattachement des charges et des pro- duits», lesquels ont pour effet, en l'espèce, d'interdire à l'appelante le recours à la méthode des factures éta- blies.
Étant donné cette conclusion, il n'y a pas lieu d'examiner la question de l'applicabilité du para- graphe 9(1) pris séparément de l'alinéa 12(1)b) ou du paragraphe 12(2).
IV
L'appel est rejeté avec dépens.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs. LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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