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T-209-92
Commission canadienne des droits de la personne (requérante)
c.
Canadian Liberty Net et Derek J. Peterson (intimés)
RÉPERTORIÉ' CANADA (COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE) C. CANADIAN LIBERTY NET (Ire INST.)
Section de première instance, juge Muldoon—Van- couver, les 5 et 6 février; Toronto, le 3 mars 1992.
Droits de la personne Le système de messagerie électro- nique parlé des intimés diffuse des messages portant sur la supériorité de la race blanche, mettant en doute le nombre des victimes de l'Holocauste et recommandant de faire venir de «jeunes allemands turbulents capables de mettre les choses au clair» au lieu d'un plus grand nombre d'immigrants du Tiers- monde La Commission canadienne des droits de la per- sonne a demandé la constitution d'un Tribunal des droits de la personne chargé d'examiner les plaintes La CCDP sollicite la délivrance d'une injonction interdisant aux intimés de com- muniquer par voie téléphonique des messages haineux jusqu'à ce que le Tribunal rende une ordonnance définitive Affaire inédite au Canada La Cour est-elle compétente pour accor- der l'injonction et dans l'affirmative, celle-ci devrait-elle être délivrée?
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance La CCDP sollicite la délivrance d'une injonction interdisant la communication de messages haineux par système de messagerie électronique jusqu'à ce que soit rendue l'ordon- nance définitive du Tribunal des droits de la personne Ren- voi aux critères de compétence établis dans l'arrêt ITO de la C.S.C. Les art. 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale sont attributifs de compétence La Loi canadienne sur les droits de la personne est l'ensemble de règles de droit fédérales sur lequel est fondé le recours Le Parlement a désigné la Cour fédérale aux fins de l'exécution des ordonnances du Tribunal Aucune disposition n'interdit à la CCDP de présenter une requête introductive d'instance en vertu de sa loi constitutive Le Tribunal n'a le pouvoir d'ordonner la cessation d'actes discriminatoires qu'à l'issue de son enquête La Cour est habilitée à rendre une injonction interlocutoire.
Injonctions La CCDP sollicite la délivrance d'une injonc- tion pour interdire la communication de messages haineux jus- qu'à ce que le Tribunal des droits de la personne rende une ordonnance définitive Le Tribunal n'est habilité à ordonner la cessation d'actes discriminatoires qu'à l'issue de son enquête En application de la Loi, le tribunal visé par l'art. 44 peut accorder une injonction dans tous les cas il lui parait juste et opportun de le faire Revue de la jurispru dence sur les recours autonomes en injonction La Règle 469 ne constitue pas un obstacle lorsqu'il existe une compétence
légitime sur laquelle s'appuyer La common law ou la loi (ou les deux) accorde à la cour supérieure le pouvoir d'empê- cher que la loi soit bafouée à l'étape interlocutoire Renvoi à la doctrine sur les injonctions quant au recours à ce redresse- ment en cas de violation continue de la loi dont l'exécution est assurée par des amendes impuissantes à dissuader les contre- venants La CCDP est habilitée à solliciter la délivrance d'une injonction en qualité de gardien de la législation fédé- rale en matière de droits de la personne et non à titre de quasi- demandeur sous la surveillance générale du procureur général La situation du procureur général n'est pas la même dans un État fédéral et dans un État unitaire La requérante a non seulement démontré l'existence d'une question sérieuse à tran- cher par les tribunaux mais elle a établi une présomption La liberté de parole des intimés, garantie par la Charte, est limitée lorsqu'elle se heurte aux droits garantis par la Charte d'autrui.
La requérante demande la délivrance d'une injonction interlo- cutoire enjoignant aux intimés de s'abstenir, jusqu'à ce qu'une ordonnance définitive soit rendue dans le cadre des procédures pendantes devant un Tribunal des droits de la personne, de communiquer, par voie téléphonique, des messages suscep- tibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes apparte- nant à un groupe identifiable du fait de l'origine ethnique ou de la religion, en violation du paragraphe 13(1) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne (la Loi).
Les intimés exploitent un système de messagerie électro- nique parlé dont l'objectif, selon la publicité, est de «promou- voir la conscience culturelle et raciale chez la population blan- che». L'interlocuteur entend d'abord un message enregistré conseillant aux personnes qui seraient choquées par le contenu des messages de racrocher, puis, un menu de messages est offert. L'un d'eux, «taxe kascher», affirme que les exigences des juifs orthodoxes font augmenter le prix de certains produits alimentaires, un autre soutient que Hollywood est dominé par les juifs, un troisième, enfin, prétend que le nombre des vic- times de l'Holocauste a été beaucoup exagéré. Un autre enre- gistrement, qui commente la violence survenue dans une école secondaire d'Edmonton et attribuée à la bande «Brown Nation», conclut: «Peut-être avons-nous besoin en ce moment au Canada, non pas d'un plus grand nombre d'immigrants du Tiers-monde, mais d'une couple de milliers de jeunes Alle- mands turbulents capables de mettre les choses au clair.»
Des plaintes ont été portées auprès de la Commission et, après enquête, celle-ci a demandé au président du Comité du Tribu nal des droits de la personne de constituer, en application de l'alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la per- sonne, un Tribunal des droits de la personne pour examiner les plaintes.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Tous les critères permettant de conclure à la compétence de la Cour fédérale et énoncés dans l'arrêt ITO—International Ter minal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre sont respectés. En application des articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale, il y a attribution de compétence par une loi. La Loi canadienne sur les droits de la personne constitue un
ensemble de règles de droit essentiel à la solution du litige. La condition précisée à l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale et voulant qu'aucun autre tribunal n'ait été habilité à accorder la réparation demandée est remplie car l'article 57 de la Loi canadienne sur les droits de la personne confère à la seule Cour fédérale le pouvoir d'assurer l'exécution des ordonnances du Tribunal des droits de la personne ou du Tribunal d'appel. Ceux-ci ne peuvent pas non plus accorder le redressement demandé puisque la Loi ne les habilite à ordonner la cessation d'actes discriminatoires qu'à l'issue d'une enquête.
En application de l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour peut accorder une injonction dans tous les cas il lui paraît juste ou opportun de le faire et non pas seulement lors- qu'une action a été intentée devant elle. En l'espèce, il ne peut y avoir aucune action à laquelle la demande serait accessoire puisque ce n'est pas à la Cour, mais au Tribunal, qu'est confé- rée la compétence de trancher les plaintes au fond. La Cour peut, notamment, accorder une injonction à la demande de l'officier public compétent contre une menace de violation de la loi dans des circonstances il n'existerait aucun autre recours pour régler l'affaire avant qu'il ne soit causé au public un sérieux préjudice. Bien que cet officier soit habituellement le procureur général, la Commission n'a pas besoin d'être appuyée par le principal conseiller juridique, car elle est, en toute indépendance, le gardien de la législation fédérale rela tive aux droits de la personne: la Commission est tenue aux termes de la loi qui l'a créée de tenter d'empêcher la perpétra- tion des actes disciminatoires.
Les droits garantis par la Charte, comme la liberté d'expression des intimés, font l'objet d'une restriction inhérente lorsque les champs respectifs de chaque liberté se heurtent. Ces droits sont garantis par l'État, sous réserve seulement des limites raison- nables prescrites par la loi conformément à l'article premier. La Loi satisfait à l'exigence que la limitation soit prescrite par la loi et dans l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, il a été décidé que son paragraphe 13(1) constituait une limite raisonnable de la liberté d'expression. La balance des inconvénients favorise la protection des personnes contre le dénigrement en raison de leur ascendance plutôt que la perte temporaire de la liberté d'expression.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 1, 26), 7, 12, 15, 24, 26, 27, 28, 29, 32.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3(1), 13, 27, 40(4) (mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), ch. 31, art. 62), 44(3)a) (mod. idem, art. 64), 53(2), 54(1), 56(2), 57, 58, 67.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, I) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 92(14), 101.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2, 25, 44.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 6
(édictée par DORS/90-846, art. 2), 337(2)b), 469. Supreme Court of Judicature (Consolidation) Act, 1925
(R.-U.) 1925, 15 & 16 Geo. 5, ch. 49, art. 45(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Siskina (Owners of cargo lately laden on board) v. Distos Campania Naviera S.A., [1979] A.C. 210 (H.L.); Chief Constable of Kent v. V, [1983] Q.B. 34 (C.A.); Amchem Products Inc. v. British Columbia (Workers' Compensa tion Board) (1989), 65 D.L.R. (4th) 567; [1990] 2 W.W.R. 601; 42 B.C.L.R. (2d) 77; 38 C.P.C. (2d) 232 (C.S.); conf. (1990), 75 D.L.R. (4th) 1; [1991] 1 W.W.R. 243; 50 B.C.L.R. (2d) 218; 44 C.P.C. (2d) 1 (C.A.); R. c. L'Association nationale des employés et techniciens en radiodiffusion, [1980] 1 C.F. 716 (lce inst.); inf. [1980] 1 C.F. 820; (1979), 107 D.L.R. (3d) 186; 79 CLLC 14,231; 31 N.R. 19 (C.A.); Attorney-General v Chaudry, [1971] 3 All ER 938 (C.A.); B.C. (A.G.) v. Wale, [1987] 2 W.W.R. 331; (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 333; [1987] 2 C.N.L.R. 36 (C.A.); Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225; NWL Ltd v Woods, [1979] 3 All ER 614 (H.L.); Canada (Commission de.c droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; (1990), 75 D.L.R. (4th) 577; 13 C.H.R.R. D/435; 3 C.R.R. (2d) 116.
DÉCISIONS CITÉES:
McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 9 N.R. 471; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] I R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; 12 C.P.C. 248; 30 N.R. 249; Stafford Borough Council v Elkenford Ltd, [1977] 2 All ER 519 (C.A.); Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; (1975), 12 N.S.R. (2d) 85; 55 D.L.R. (3d) 632; 32 C.R.N.S. 376; 5 N.R. 43; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; American Cyanamid Co. v. Ethi- con Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Irwin Toy Ltd. c. Qué- bec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167.
DOCTRINE
Halsbury's Laws of England, vol. 24, 4th ed., London: Butterworths, 1979.
Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, Toronto: Canada Law Book Ltd., 1983.
Spry, I.C.F. The Principles of Equitable Remedies: Speci fic Performance, Injunctions, Rectification and Equi table Damages, 4th ed., Toronto: Carswell Co., 1990.
DEMANDE d'injonction interlocutoire relative à des procédures devant un tribunal des droits de la personne. Demande accueillie.
AVOCATS:
Joseph J. Arvay, c.r., Victoria, pour la requé-
rante.
Douglas H. Christie, Victoria, pour les intimés.
PROCUREURS:
Arvay, Finlay, Victoria, pour la requérante. Douglas H. Christie, Victoria, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Selon les avocats des deux par ties, l'affaire dont il s'agit est inédite au Canada. C'est pratiquement le cas.
La requérante (ci-après dénommée parfois la Com mission ou la CCDP) demande que soit prononcée une ordonnance enjoignant aux intimés (ci-après par- fois dénommés le Net et Peterson), ou à leurs prépo- sés, mandataires ainsi qu'à toute personne ayant con- naissance de l'ordonnance, de s'abstenir
[TRADUCTION] ... jusqu'à ce qu'une ordonnance définitive soit rendue dans le cadre des procédures pendantes devant le Tribu nal canadien des droits de la personne [le Tribunal], de com- muniquer ou de faire communiquer, par voie téléphonique, des messages susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable du fait de la race, de l'origine nationale ou ethnique, de la couleur ou de la religion, et en particulier le message joint comme pièce «B» (annexe I) à l'affidavit de Lucie Veillette, en date du 23 janvier 1992.
Les articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale W.R.C. (1985), ch. F-7], ainsi que les articles 13, 27 et 57 de la Loi canadienne sur les droits de la per- sonne, L.R.C. (1985), ch. H-6, sont invoqués dans la requête introductive d'instance. L'affidavit de L. Veillette, précité, ainsi que celui de Réal Fortin en
date du 23 janvier 1992 et de Gordon Thompson en date du 24 janvier 1992 ont été déposés à l'appui de cette requête.
Il s'agit d'une requête indépendante en injonction interlocutoire, la requérante n'ayant produit aucune déclaration en cette Cour. Toutefois, les messages téléphoniques en cause ont fait l'objet de cinq plaintes déposées par trois plaignants auprès de la CCDP. Dans quatre de ces plaintes, on allègue que les messages téléphoniques dénigrent les juifs et les non-blancs; la cinquième porte également sur la déni- gration des non-blancs. L'avocat de la requérante assimile ces messages à de la «propagande hai- neuse», télescopant ainsi la prose législative des para- graphes 3(1) et 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci-après, à l'occasion, la Loi).
LES FAITS:
Selon les plaignants, il est possible, en signalant un numéro de téléphone annoncé en Colombie-Britan- nique, d'entendre «à la carte» des messages qui, font- ils valoir, sont susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris pour des motifs de distinction illicite. Le numéro de téléphone est annoncé dans un petit journal, lequel se réclame d'une audience de «12 000 lecteurs et plus», ainsi qu'il appert de la pièce «A» de l'affidavit de Réal Fortin.
Voici les passages pertinents de l'article intitulé «Canadian Liberty Net» paru dans le journal en ques tion:
[TRADUCTION] Le premier système de messagerie électronique parlé a fait son apparition au Canada. Il vise à promouvoir la conscience culturelle et raciale chez la population blanche. Le service est entièrement gratuit, mais dépend pour son fonction- nement des dons, lesquels sont toujours bienvenus.
L'objectif de Liberty Net est d'offrir une tribune permettant le libre échange des idées et des opinions des citoyens et des organisations en Amérique du Nord et dans le monde. Le ser vice permet d'écouter des messages de leaders de divers mou- vements pro-liberté provenant d'aussi loin que l'Australie, ainsi que des messages portant sur des sujets plus près de chez nous.
Bien que Liberty Net ne croit pas avoir enfreint quelque loi que ce soit, il fait face à une menace de fermeture. En effet, à la suite de la découverte de la ligne téléphonique, le bureau du procureur général de la C.-B. a déclenché une enquête et deux
plaintes ont été portées devant la Commission canadienne des droits de la «personne».
[Deux des trois plaignants] allèguent avoir été victimes de dis crimination de la part de Liberty Net. Ils disent que dans cer- tains messages, on prétend qu'il n'y a jamais eu d'«Holo- causte», que les étrangers non-blancs importent la criminalité au pays et, Dieu nous préserve!, que tous les consommateurs doivent payer une taxe sur les produits «kascher». Au terme de l'enquête, il a été recommandé que la question soit déférée à un tribunal des droits de la personne (et le bal est reparti).
La décision n'a pas encore été rendue. Il sera intéressant de voir combien de centaines de milliers de dollars de nos impôts seront ainsi gaspillés pour une autre chasse aux sorcières!
Tous peuvent bénéficier gratuitement de ce service, mais Liberty Net a besoin d'aide pour payer ses dépenses de fonc- tionnement. Vos contributions financières seraient grandement appréciées. Vous n'avez qu'à signaler le (604) ... [le numéro] ... pour entendre un message ou en laisser un.
Il serait trop long de reprendre ici le texte intégral des différents messages transcrits par les enquêteurs de la CCDP. Après écoute d'un programme, un enquêteur a toutefois fait un résumé qui est, à quelques exceptions près, conforme aux transcrip tions.
Ce résumé est reproduit à la pièce «C» de l'affida- vit de M 1 T 1 e Veillette, à la page 00031. Le voici avec les corrections mineures que la Cour a apportées entre crochets:
[TRADUCTION] 13. L'enquêteur a appelé au numéro de télé- phone, du 12 au 15 décembre 1991, inclusivement. Chaque fois, le choix de messages offerts a semblé identique. Le pro gramme se déroule comme suit:
a) Un enregistrement présente le Canadian Liberty Net, pro gramme de messages 'commandé par ordinateur. La voix con- seille à ceux qui seraient choqués par le contenu des messages de quitter la ligne et de ne pas rappeler.
b) Un «menu» est ensuite offert, la sélection des messages se faisant à partir d'un appareil à clavier. Au «menu principal» figurent les titres «leadership», «histoire», «divers», et «laisser un message».
c) La sélection «leadership» présente des messages canadiens et américains.
d) L'un des deux messages canadiens fait part des dernières informations sur le procès de Ernst [Zündel] à Munich. L'autre, de l'organisation «Heritage Front», aborde la question des problèmes que les «étrangers» apportent au Canada et indique un numéro de botte postale à Toronto les auditeurs peuvent écrire pour demander de plus amples informations.
e) Trois messages américains sont présentés sur la question du leadership. Le premier est de la National Alliance, organisation dont le siège est en Virginie-Occidentale. Ce groupe attribue le
développement de la civilisation occidentale à la population blanche qui a su préserver la supériorité de sa race de la menace que faisait peser le mélange racial avec les nombreuses tribus et races de «sous-hommes». Le second message est de Tom Metzger du mouvement White Aryan Resistance [W.A.R.]. Metzger, autocensurant ses propos, fournit une adresse postale en Californie d'où il affirme pouvoir faire pas ser clandestinement la «liberté de parole». Le troisième mes sage est de Fred Leuchter [«expert en techniques d'exécu- tion»], lequel prétend avoir été victime d'une conspiration [pour détruire sa crédibilité à cause d'un témoignage antérieur à propos d'Auschwitz, Berkenau, etc.].
f) Le titre «Histoire» offre deux messages niant tous deux l'Holocauste [ou, du moins, le nombre de victimes des nazis].
g) La catégorie «divers» comporte un choix de quatre mes sages. Dans le message intitulé «Musique», le narrateur affirme que les [courants] modernes qui incarnent la négation de la créativité sont en train de supplanter la musique euro- péenne [ainsi que l'architecture]. Dans le message intitulé «Taxe kascher», on affirme que les exigences des juifs ortho- doxes font augmenter le prix de certains produits alimentaires. Les consommateurs, recommande-t-on, devraient éviter les produits kascher, identifiables à l'étiquette. Le message portant le titre «Changements de nom à Hollywood» énumère une série de noms à consonance juive (portant par exemple les suf fixes «stein», «ski», «man») accompagnés de leur version. Dans «Les maîtres d'Hollywood», le narrateur affirme que Hollywood est dominé par les juifs et cite des exemples passés et actuels de producteurs cinématographiques portant des noms à consonance juive.
h) La sélection «Laisser un message» met le demandeur en liaison avec le Canadian Liberty Net par l'intermédiaire d'une boîte à lettres vocale.
Outre qu'ils dénigrent l'ensemble de l'humanité, sur les plans racial et religieux, à l'exception des purs Européens, ces messages semblent à la Cour stupides et futiles. La Cour aura l'occasion d'y revenir.
D'après l'affidavit de l'agent des droits de la per- sonne Yamauchi, des messages additionnels étaient disponibles lorsqu'il a signalé, le 28 janvier 1992, le numéro de Canadian Liberty Net. On en retrouve la transcription à la pièce «A» de son affidavit daté du lendemain. Ces nouveaux messages dénigrent sous plusieurs rapports la valeur de la vie humaine non «aryienne». Au sujet des «six millions de morts de l'Holocauste», le message tire l'horrible et stupide conclusion suivante:
[TRADUCTION] Si le Dr Samuel Kerkovsky avait pris la peine de vérifier ses calculs, il aurait compté seulement 70 000 noms
dans les registres des morts d'Auschwitz et non 500 000. Ces registres ne font non plus aucune mention de l'utilisation de gaz létaux.
Serait-il possible que les alliés occidentaux, les médias et les organisations vouées à la mémoire des victimes se soient injustement acharnés contre ces fervents nazis des années trente et quarante qui auraient massacré quelques milliers d'êtres humains de moins qu'on le prétend? Allons donc!
Les passages suivants d'un autre message du Cana- dian Liberty Net sont tellement sinistres et compor- tent une incitation à la violence telle qu'il vaut la peine de les reprendre ici:
[TRADUCTION] Récemment à Edmonton, une bande appelée «Brown Nation» a terrorisé des étudiants blancs dans les écoles secondaires ... Les extraits suivants sont tirés du Cal- gary Herald du 30 novembre 1991:
La police a recommandé aux étudiants de l'école secondaire Bonnie Doon d'Edmonton de se déplacer toujours par cou ple, après le passage d'une nouvelle bande d'adolescents armés de fusils, de pinces à levier et de bâtons de baseball. Cet incident est le dernier en date d'une série d'attaques de la bande Brown Nation dont au moins cinq écoles du sud de la ville ont été la cible cet automne.
«Ils s'attaquent aux blancs», dit Barb, une étudiante de 12e année. «Ils ne vous toucheront pas si vous êtes de couleur».
La bande Brown Nation compte plus d'une centaine de jeunes Indiens des Indes orientales, d'Hispaniques, de Chi- nois, de noirs et de Pakistanais, tous âgés de 15 21 ans et venant pour la plupart des écoles secondaires Harry Ainley et J. Percy Page. Certains ne vont pas à l'école.
«Les membres de la bande identifient certaines personnes et les attendent à l'école, à l'arrêt d'autobus ou simplement sur la rue», dit Dan Bateman, conseiller en orientation à Bonnie Doon. «Leur technique de base est de frapper», a dit M. Bateman.
Étudiants et enseignants de Bonnie Doon ont été terrifiés lundi, 25 novembre, en voyant arriver, à l'heure du lunch, plus d'une cinquantaine de membres de la bande Brown Nation à bord d'au moins sept véhicules et d'une camion- nette.
«Ils avaient des pinces à levier et des bâtons de baseball et les enseignants ont intervenir pour les disperser», a raconté Samantha, étudiante de 11e année.
Naturellement, rien n'a transpiré de cet incident à l'extérieur de Calgary car les journaux sont trop occupés à parler par exemple des jeunes Allemands qui terrorisent les étrangers en Allemagne. Si de cinquante à cent blancs allaient dans des écoles battre et menacer des étudiants non-blancs, la Loi sur les mesures de guerre serait adoptée et l'armée appelée à la res- cousse. Peut-être avons-nous besoin en ce moment au Canada,
non pas d'un plus grand nombre d'immigrants du Tiers-monde, mais d'une couple de milliers de jeunes Allemands turbulents capables de mettre les choses au clair.
Pour faire quoi? Passer à la contre-attaque? Difficile d'y voir un défi lancé en faveur d'un débat ou d'un match de soccer, ou encore d'une manifestation d'amour et de respect pour «mettre les choses au clair». Le message n'incite pas les Canadiens respec- tueux des lois et non violents d'origine allemande à faire quoi que ce soit, mais réclame plutôt l'immigra- tion de milliers de «jeunes Allemands turbulents». Qu'entend-on par là? Des néo-nazis? Pour terroriser les «étrangers» au Canada? Malgré ses incohérences (tous les blancs étant des victimes, en particulier les personnes «identifiées»), ce message est la manifesta tion évidente d'un fléau social séculaire. Le racisme engendre le racisme; et la violence. Et la violence engendre à son tour la violence.
Les intimés pourraient vraisemblablement conti- nuer tout bonnement à accroître leur répertoire de messages, de façon à couper le sifflet à la CCDP et à l'empêcher de saisir un tribunal d'une ou de plusieurs plaintes portant sur une situation récente, ayant atteint son point de cristallisation. L'expression «cou- per le sifflet» est peut-être trop forte et comporte-t- elle un jugement de valeur excessif. Peut-être les intimés ne font-ils que continuer innocemment à transmettre par téléphone leur conception des «lumières» et du «bon citoyen» au fil des idées qui traversent leur esprit, sans arrière-pensée. Point n'est besoin d'insister, la liberté de parole et d'expression n'a pas nécessairement à être l'incarnation des lumières ou du civisme pour bénéficier de la protec tion constitutionnelle.
Rien dans la preuve n'indique que Canadien Liberty Net soit une personne morale. Il ressort plutôt qu'il s'agit d'«un groupe de personnes» au sens de l'article 13 de la Loi. Leur nombre n'est pas non plus en preuve. Des pièces «D», «E» et «F» de l'affidavit de Veillette, du paragraphe 4 de l'affidavit de Yamau- chi ainsi que du paragraphe 4 de l'affidavit de Vicki Lynn Hobman, il ressort les faits suivants: Derek J. Peterson a souscrit l'abonnement à la ligne télépho- nique en cause; Cori Keating a loué la boîte postale par laquelle Net communique et Tony McAleer fait fonctionner l'appareil de communication par fax.
À la suite des plaintes et des enquêtes menées rela- tivement à celles-ci, la Commission a décidé le 17 janvier 1992, en vertu de l'alinéa 44(3)a) de la Loi, de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner les plaintes et, conformément au paragraphe 40(4), de les enten- dre conjointement. Mme Veillette a écrit au président, Sidney Lederman, c.r., le 20 janvier 1992, pour lui transmettre la demande de la CCDP.
Deux questions d'ordre général sont soumises en l'espèce à la Cour: cette dernière peut-elle interdire les activités contestées des intimés? Et dans l'affir- mative, convient-il qu'elle le fasse? L'avocat des intimés a soulevé la première question à titre d'objec- tion préliminaire à la compétence de la Cour d'accor- der une injonction dans les circonstances.
COMPÉTENCE:
L'avocat des intimés fait valoir que les deux dispo sitions de la loi constitutive de cette Cour, les articles 25 et 44, n'ont pas pour effet d'investir la Cour du pouvoir d'accéder à la demande de la requérante. On se rappellera que la CCDP n'a pas introduit devant cette Cour une poursuite par voie de déclaration. En outre, la Cour fédérale, comme tout autre tribunal au Canada, ne peut statuer, prononcer des ordonnances de cesser et de s'abstenir ou prendre les autres dispo sitions que la Loi réserve à la compétence du tribunal des droits de la personne (ci-après dénommé parfois le tribunal).
Les deux dispositions de la Loi sur la Cour fédé- rale qu'invoque au long la requérante ont été, tout comme la Loi elle-même, adoptées par le Parlement en vertu de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 511:
101. Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Par- lement du Canada pourra, de temps à autre, prévoir la constitu tion, le maintien et l'organisation d'une cour générale d'appel pour le Canada, ainsi que l'établissement d'autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada.
Cette disposition constitutionnelle a été interprétée à maintes reprises, tant par le Comité judiciaire du Conseil privé que par la Cour suprême du Canada.
Or, si tous les tribunaux canadiens doivent souscrire fidèlement à l'interprétation de la Cour suprême, il est aisé de remarquer que dans trois arrêts d'impor- tance capitale' ayant eu pour effet de réduire dramati- quement la compétence de cette Cour quant aux demandes reconventionnelles et aux mises en cause de la Couronne, les juges d'alors (seul le juge Martland étant dissident dans le dernier arrêt) n'ont tout simplement pas examiné ou interprété les expressions soulignées précédemment.
Si l'on compare le pouvoir accordé au Parlement, en vertu de l'article 101, de créer cette Cour, et le pouvoir des législatures provinciales, en vertu de l'ar- ticle 92, paragraphe 14, de constituer leurs tribunaux supérieurs, on constate d'emblée que le texte consti- tutionnel ne mène pas forcément à la conclusion que la Cour fédérale détient ou pourrait détenir une com- pétence inhérente inférieure dans sa propre sphère à celle des tribunaux provinciaux dans la leur, ni que la Cour fédérale est «uniquement» un tribunal de créa- tion législative alors que ce n'est en quelque sorte pas le cas des tribunaux provinciaux. Certes, il faut se plier aux interprétations de ces textes constitutionnels faisant autorité, en particulier lorsqu'elles provien- nent de la Cour suprême. Ainsi, il ne devrait pas y avoir présomption d'absence de compétence, à moins d'un énoncé judiciaire faisant autorité. Il faut donc examiner les deux dispositions de la Loi sur la Cour fédérale sur lesquelles s'appuie la requérante:
25. La Section de première instance a compétence, en pre- mière instance, dans tous les cas—opposant notamment des administrés—de demande de réparation ou de recours exercé en vertu du droit canadien ne ressortissant pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d'une des Lois constitu- tionnelles de /867 à /982.*
44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu'elle peut accorder, la Cour peut, dans tous les cas il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d'exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition soit selon les moda- lités qu'elle juge équitables.
McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; et R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [I980] I R.C.S. 695 (juge Martland dissident).
* I l faut noter que la version française de l'art. 25, contraire- ment au texte anglais, emploie l'expression «droit canadien» au lieu de «lois du Canada» dont traite l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Pour un exposé sérieux de la question de la compé- tence de cette Cour, il faut se reporter à l'arrêt de la Cour suprême ITO—International Terminal Opera tors Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, décision très partagée dans laquelle le juge McIntyre a rédigé l'opinion majoritaire. Il en ressort trois critères d'analyse essentiels.
Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. Il semble clair que les articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale, pré- cités, satisfont à cette première exigence en attribuant compétence à la présente Cour. Ces deux dispositions n'ont aucun sens, sinon celui d'être attributives de compétence. Plus précisément, ensemble elles lui attribuent la compétence d'accorder une injonction, s'il lui paraît juste ou opportun de le faire, dans le cas ce recours est exercé, entre administrés, en vertu du droit canadien, et ne ressortit pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d'une des Lois constitutionnelles de 1867 1982.
Une distinction a été établie entre les deuxième et troisième critères en raison des circonstances particu- lières de l'arrêt ITO mais, de façon générale, on peut les ramener à un seul: il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales—une «loi du Canada» au sens l'expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867—essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. La présente espèce est fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne, une authentique «loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de /867. N'eût-été des dispositions de cette loi visant la situation en cause —le dénigrement et le mépris dont les non-blancs et les juifs sont l'objet de la part des intimés (ce qui, aux dires de la requérante, les rend susceptibles d'être exposés de façon répétée par téléphone à la haine ou au mépris)—selon les termes de l'article 13 de la Loi, le présent recours n'aurait pu être intenté. Il est donc manifeste que la Loi est cet ensemble de règles de droit fédérales qui, dans les circonstances particu- lières de l'espèce, est essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence de cette Cour qu'invoque la requé- rante. La Loi canadienne des droits de la personne décrit et dénonce un acte discriminatoire qu'un Tri-
bunal des droits de la personne peut, le cas échéant, interdire, uniquement toutefois «à l'issue de son enquête».
Par le biais des articles 57 et 58 de la Loi, le Parle- ment a créé une symbiose juridictionnelle entre la CCDP, ses enquêteurs et les tribunaux d'une part, et la Cour fédérale d'autre part. Cette dernière y est en effet désignée aux fins de l'exécution des ordon- nances rendues par un tribunal ou un tribunal d'appel ainsi que des ordonnances de divulgation de rensei- gnements de la part d'un ministre fédéral. Aucun autre tribunal visé à l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale n'est ainsi désigné agent exécuteur de la CCDP, des enquêteurs, des tribunaux ou du tribunal d'appel. La Loi canadienne sur les droits de la per- sonne est assurément une loi exécutoire en vertu de laquelle cette Cour peut légitimement entendre des requêtes introductives d'instance portant demande de réparation à l'encontre de la CCDP. Il en est ainsi parce que la CCDP, tout comme les tribunaux, sont à n'en pas douter des offices fédéraux, suivant la défi- nition de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, sous réserve du pouvoir de surveillance de la présente cour supérieure. Aucune disposition législative ni aucune règle de pratique n'interdit à la Commission de présenter une requête introductive d'instance en vertu de sa loi constitutive.
L'avocat des intimés soutient qu'il existe, en con- formité avec l'article 25, un autre tribunal compétent à l'égard du présent recours, savoir un tribunal des droits de la personne ou un tribunal d'appel, investi du pouvoir de rendre une ordonnance de cesser et de s'abstenir en vertu des paragraphes 53(2), 54(1) et 56(2). Ainsi dans les circonstances, affirme-t-il, l'ar- ticle 25 écarte en réalité la compétence de cette Cour, au lieu de la lui attribuer. On notera, toutefois, que le tribunal (ou tribunal d'appel) ne peut exercer son pouvoir d'ordonner la cessation d'actes discrimina- toires, aux termes du paragraphe 53(2) de la Loi, qu'«à l'issue de son enquête». Aucun tribunal ou tri bunal d'appel n'est donc habilité à rendre une ordon- nance interlocutoire. Ce pouvoir, le Parlement l'a conféré à cette Cour, et non au tribunal non formé de juges professionnels, dût-il s'agir d'une «cour visée à l'article 101», comme l'avocat des intimés semble le laisser entendre.
Encore là, fait valoir l'avocat des intimés, on ne saurait trouver en droit un cas une injonction peut
être accordée pour restreindre l'exercice d'une liberté protégée par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, 44]]. Cet argument empiète d'une certaine manière sur la question de l'opportunité d'accorder l'injonction recherchée. Il soulève en effet la question de la nature discrétionnaire de ce recours ainsi que la question que la Cour se doit de considérer eu égard à l'article premier de la Charte, lequel, rappelons-le, dispose:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. [Passage non sou- ligné dans l'original.]
Le passage souligné énonce le critère devant être appliqué aux fins de décider de la légitimité d'une restriction supposée à l'exercice d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte. Que l'avocat ait pu ou non trouver de cas de restriction interlocutoire d'une liberté apparemment garantie par la Charte dans des circonstances il n'y a pas encore eu pondération judiciaire au regard des limites raisonnables dont il est question à l'article premier, cela n'est pas absolu- ment impensable. De fait, de telles restrictions inter- viennent le plus souvent eu égard à la liberté de parole et d'expression en matière de marques de commerce, de droits d'auteur et de publicité.
En ce qui regarde l'application de la loi, le fonc- tionnement du gouvernement et la politique, les cyniques sont nombreux à dire que «l'argent parle»: une injonction interlocutoire peut ainsi être obtenue dans les affaires commerciales de marques de com merce, de droits d'auteurs, de brevets et de dessins industriels, et plus particulièrement à la demande des géants commerciaux dont les intérêts peuvent être menacés. Les cyniques ont peut-être raison, mais la présente espèce se prête mal au cynisme. Il ne semble pas en effet que les géants commerciaux subissent un plus grand préjudice de la contrefaçon alléguée de leurs marques de commerce, droits d'auteurs et publi- cité que ceux qu'on tourne en ridicule et qu'on déni- gre parce qu'ils sont juifs et non-blancs.
L'avocat des intimés soutient en outre qu'une demande autonome, comme celle présentée en l'es- pèce sans qu'une action en injonction permanente
n'ait été intentée, excède la compétence de cette Cour. Des pouvoirs sont dévolus au tribunal des droits de la personne aux paragraphes 53(2), 54(1) et 56(2) de la Loi. Ces pouvoirs et cette compétence ne sont pas dévolus à cette Cour ni à aucune autre. Ils comprennent le pouvoir de prononcer une ordon- nance permanente de cesser et de s'abstenir si la plainte est justifiée. Mais le tribunal n'a pas le pou- voir de prononcer une ordonnance interlocutoire, alors que la Cour n'a pas celui de prononcer une ordonnance permanente. Or la possibilité de «répa- rer» (si l'on peut dire) cette asymétrie juridictionnelle est prévue aux articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale. Ainsi, une demande indépendante peut être accueillie—si elle est justifiée—sans faire violence à l'objectif et à l'intention du Parlement mais au con- traire en harmonie avec eux.
De telles requêtes indépendantes en injonction, sans qu'une action soit intentée devant la Cour, sont devenues assez courantes au cours des dernières décennies et plusieurs ont été accueillies. C'est-à-dire qu'aux termes de l'article 44, l'injonction est accor- dée indépendamment de toute autre forme de répara- tion que la Cour peut accorder, dans tous les cas il lui paraît juste ou opportun de le faire. Les mots sou- lignés sous-entendent la possibilité d'une réparation autonome, et non seulement une réparation accordée concurremment dans une procédure unique. Dans les circonstances, rappelons-le, cet article doit être rap- proché de l'article 25, mais malgré l'opposition des intimés, on ne saurait supposer que le Parlement a édicté une disposition qui resterait lettre morte «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada».
En ce qui a trait aux recours autonomes en injonc- tion qui sont devenus de plus en plus reconnus au cours des récentes décennies, l'avocat de la requé- rante cite un arrêt de la Chambre des lords qu'il con- sidère comme un point tournant, Siskina (Owners of cargo lately laden on board) v. Distos Compania Naviera S.A., [1979] A.C. 210. Dans cette affaire, lord Denning, maître des rôles de la Cour d'appel, avait infirmé la décision du juge Kerr et accordé une injonction en Angleterre interdisant que soit retirée une indemnité d'assurance en attendant l'issue du litige opposant les parties devant les tribunaux de l'Italie ou de Chypre, ou encore les résultats de l'ar- bitrage, et imposant aux propriétaires de la cargaison des conditions visant à accélérer le règlement du
litige ou de l'arbitrage. Aux pages 235 et 236, le maître des rôles invite les juges anglais à ne pas se comporter en [TRADUCTION] «êtres timorés» et à «aborder positivement la réforme du droit». L'un des collègues de lord Denning, lord Lawton, a répondu à cet appel à l'audace, tandis que son autre collègue, lord Bridge (aux pages 242 et 243) a décliné l'invita- tion, de sorte que l'arrêt de la Cour d'appel n'a pas été unanime. La Chambre des lords a rejeté l'appel à l'audace. Dans des termes pertinents quant à la pré- sente espèce, lord Diplock a souligné que le para- graphe 45(1) de la Supreme Court of Judicature (Consolidation) Act, 1925 [(R.-U.) 1925, 15 & 16 Geo. 5, ch. 49] (différent de l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale, moins restrictif à cet égard) n'attri- buait compétence qu'en matière d'ordonnance inter- locutoire. Il a conclu que cette formulation la page 254] [TRADUCTION] «présuppose l'existence d'une action, réelle ou potentielle, visant à obtenir une répa- ration au fond ... dont l'ordonnance interlocu- toire ... n'est que l'accessoire». Lord Hailsham a souscrit au résultat, tout en prévoyant pour l'avenir (aux pages 260 et 261) une évolution plus conforme à l'appel à l'audace de lord Denning. Toutefois, à l'ins- tar du lord-juge Bridge de la Cour d'appel, lord Hailsham a entrevu la nécessité de procéder à des réformes législatives aussi bien que judiciaires.
La réforme est intervenue, de fait, par voie législa- tive, bien que l'avocat de la requérante soutienne que les modifications apportées ne soient pas encore aussi larges que les articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale. L'avocat a cité l'arrêt de la Cour d'appel anglaise Chief Constable of Kent v. V, [1983] Q.B. 34, où, aux pages 42 et 43, le maître des rôles Den- ning, triomphant, poursuit ainsi, après avoir repris le passage précité de lord Diplock:
[TRADUCTION] Ce raisonnement est maintenant dépassé depuis l'adoption du paragraphe 37 (1) de la Supreme Court Act 1981, entré en vigueur le l" janvier 1982. Ce paragraphe dispose:
[TRADUCTION] «La Haute Cour peut, par ordonnance (interlo- cutoire ou définitive) accorder une injonction ou nommer un séquestre dans tous les cas il lui paraît juste et opportun de le faire.»
Les mots entre parenthèses montrent que le Parlement n'ap- préciait pas que la compétence de la Cour soit restreinte à l'«interlocutoire». Il n'est donc plus nécessaire que l'injonc- tion soit accessoire à une action en revendication d'un droit reconnu en common law ou en equity. Il peut s'agir d'un recours indépendant. Dans son libellé actuel, ce paragraphe
confère clairement à la Haute Cour une compétence nouvelle et élargie en matière d'injonction. Cette compétence est beaucoup plus large que celle dont nos tribunaux ont jamais joui aupara- vant. Il n'y a aucune raison que les tribunaux réduisent cette compétence sous prétexte d'anciennes distinctions techniques. Le Parlement a ainsi rétabli le droit dans l'état mon distin- gué prédécesseur, sir George Jessel, M.R., a dit qu'il se trou- vait dans l'arrêt Beddow v. Beddow (1878) 9 Ch.D. 89, 93, et que j'ai appliqué dans l'arrêt Mareva Compania Naviera S.A. v. International Bulkcarriers S.A. [1975] 2 Lloyd's Rep. 509, 510: «J'ai le pouvoir illimité d'accorder une injonction dans tous les cas il serait approprié ou juste de le faire: ...» Sous réserve, toutefois, de cette nuance: je ne qualifierais pas ce pouvoir d'«illimité». J'estime que celui qui demande une injonction doit avoir un intérêt suffisant pour justifier son recours. Alors qu'il devait auparavant avoir un «droit reconnu en common law ou en equity, on exige maintenant qu'il ait un intérêt pour agir, un intérêt suffisant. C'est un critère sage et raisonnable, le même que celui dont le législateur autorise l'utilisation au paragraphe 31 (3) de la Supreme Court Act 1981. Ensuite, il doit être juste et opportun qu'une injonction soit accordée à son instance comme, par exemple, pour la pré- servation d'actifs ou de biens à l'égard desquels il y aurait autrement risque de perte ou de dissipation. Sur ce point, j'es- time que l'arrêt Siskina, [1979] A.C. 210, serait tranché diffé- remment aujourd'hui. Les propriétaires de la cargaison avaient manifestement un intérêt suffisant: il aurait été des plus juste et opportun d'accorder une injonction, comme je l'ai souligné à la Cour d'appel dans l'arrêt Siskina, [1979] A.C. 210, 228E. I1 était par trop injuste que la Chambre des lords la leur refuse.
À l'appui de son argumentation en faveur de la compétence de la Cour aux finx d'accorder l'injonc- tion demandée, pour des motifs en quelque sorte ana logues à ceux sous-tendant l'injonction Mareva, l'avocat de la requérante cite des passages de l'ou- vrage de I.C.F. Spry, The Principles of Equitable Remedies: Specific Performance, Injunctions, Rectifi cation and Equitable Damages, 4e éd. (Toronto: Carswell Co., 1990). À la page 443, l'auteur exprime l'avis que même à l'époque elle a rendu l'arrêt Siskina, la Chambre des lords avait adopté une atti tude [TRADUCTION] «indûment restrictive» quant à l'évolution de la common law, de l'equity et de la législation en 1979. I1 affirme, à la page 444, que dans d'autres juridictions que l'Angleterre, même, [TRADUCTION] «les pouvoirs en matière d'injonction interlocutoire des tribunaux investis d'une compé- tence en equity doivent, sous réserve des restrictions territoriales applicables, être maintenant considérés comme n'étant soumis à aucune limite». Cette notion n'est pas facilement assimilable au Canada la Cour fédérale est un «simple» tribunal de création
législative sans, dit-on, aucune compétence inhérente mais jouissant néanmoins d'une compétence territo- riale trans -provinciale, alors que les tribunaux pro- vinciaux supérieurs, créés également par la loi—pro- vinciale —sont considérés comme investis d'une compétence inhérente, mais qui ne peut être exercée territorialement que «dans et pour la province».
Étant donné, comme je l'ai souligné précédem- ment, que le Parlement agissait en vertu d'une dispo sition constitutionnelle lui conférant le pouvoir, «nonobstant toute disposition» de la Loi constitution- nelle de 1867, de prévoir l'établissement d'une Cour fédérale du Canada «pour assurer la meilleure exécu- tion des lois du Canada», on peut conclure que la compétence inhérente de la Cour fédérale dans sa propre sphère s'exerce dans la mesure elle n'a pas été supprimée par la loi ou l'autorité judiciaire. Dans cette perspective, il est manifeste qu'il peut y avoir de nombreux cas—dont le présent—où il serait juste et opportun d'enjoindre à une personne, une firme ou une société de cesser de faire apparemment fi des lois du Canada jusqu'à ce que la question soit tranchée par arbitrage conformément au droit fédéral ou devant le tribunal administratif fédéral compétent. Dans cette perspective donc, la compétence de cette Cour, qu'elle soit inhérente ou qu'elle résulte de la loi, est bien fondée.
La jurisprudence qu'a citée l'avocat de la requé- rante, et dont une partie seulement est mentionnée dans les présents motifs, provient d'Angleterre, ce qui lui a fait dire qu'il s'agissait d'une affaire inédite au Canada. Pourtant, la délivrance d'une injonction interlocutoire qui ne serait pas accessoire à une demande de réparation au fond par voie d'action a au moins un précédent au Canada. Il en existe peut-être d'autres, mais l'arrêt de principe à cet égard paraît être l'arrêt Amchem Products Inc. v. British Columbia (Workers' Compensation Board) (1989), 65 D.L.R. (4th) 567 (C.S.C.-B.), pour le jugement du juge en chef Esson de la Cour suprême de Colombie-Britan- nique, et (1990), 75 D.L.R. (4th) 1, pour le jugement unanime de la Cour d'appel de Colombie-Britannique rendu principalement par le juge Hollinrake, J.C.A. L'appel et l'appel incident ont été rejetés.
Dans cette affaire, 194 défendeurs privés s'étaient portés demandeurs dans une action intentée au Texas
contre 28 sociétés demanderesses pour les dommages qu'ils auraient subis en raison de l'exposition aux fibres d'amiante de produits que ces sociétés auraient manufacturés et commercialisés à l'extérieur du Canada. Il s'agissait pour la plupart de sociétés amé- ricaines dont aucune, toutefois, n'avait été constituée en personne morale au Texas. Aucune des sociétés demanderesses n'avait de lien avec la Colombie-Bri- tannique, mais les défendeurs privés (demandeurs au Texas) habitaient ou avaient habité la Colombie-Bri- tannique ils alléguaient avoir subi les préjudices. Les sociétés demanderesses (défenderesses au Texas) n'ont pas réussi à convaincre les tribunaux du Texas de décliner compétence, apparemment au motif qu'il n'était pas loisible à un tribunal de cet État d'accor- der une suspension pour cause de forum non conve- niens. Les demanderesses ont demandé une injonc- tion «anti -poursuite» en Colombie-Britannique pour empêcher les défendeurs de donner suite à l'action intentée au Texas, et la Cour suprême de Colombie- Britannique a accordé une injonction interlocutoire.
Dans l'une des parties des motifs de son jugement de première instance intitulée «La Cour a-t-elle le pouvoir d'accorder une injonction interlocutoire?», le juge en chef Esson écrit, aux pages 596 et 597:
[TRADUCTION] Je conviens que la seule réparation importante à laquelle conclut l'action est l'injonction.
La question de savoir si une injonction interlocutoire ne peut être accordée qu'à titre accessoire à une autre réparation cher- chée par action a, au cours des dernières années, beaucoup retenu l'attention des tribunaux anglais, en particulier en ce qui a trait aux injonctions générales de ce type. En effet, dans pres- que toutes les affaires citées devant le tribunal dans lesquelles des injonctions anti -poursuites avaient été accordées, la requête avait été présentée dans le cadre d'un litige préexistant. Dans de nombreux cas cependant, comme par exemple dans les affaires Castanho [[1981] A.C. 557 (H.L.)] et SNI [[1987] 3 All E.R. 510 (C.P.)], la requête avait été présentée par les défendeurs dans une action l'injonction ne pouvait être con- sidérée comme accessoire à une autre réparation. J'estime que la meilleure définition, c'est de dire que cette forme d'injonc- tion constitue une exception au principe fondamental selon lequel l'injonction est réservée à certaines catégories de sujets exclusives. Cette conception a été adoptée par la Chambre des lords dans l'arrêt paraissant faire autorité sur ce point: South Carolina Co. v. Assurantie Maatschappij «De Zeven Provin- cien» N. V., [1987] A.C. 24, le lord Brandon, à la page 40. Il est intéressant de souligner que lord Brandon, parlant au nom de la majorité sur cette question, a exprimé une conception plus étroite que celle des lords Mackay et Goff qui ont dit douter que le pouvoir de la cour d'accorder des injonctions ne soit plus restreint à des catégories exclusives.
Notre droit en matière d'injonction étant essentiellement le même que celui de l'Angleterre, je ne vois aucune raison de ne pas souscrire à la conception exprimée par lord Brandon. Cela suffit à disposer de l'objection.
En Cour d'appel, le juge Hollinrake, J.C.A. a fait sien cet énoncé en se bornant à le citer la page 24) et à dire qu'il était d'accord avec ce que le juge en chef Esson avait dit à ce sujet.
Ainsi, à tout le moins dans l'arrêt Amchem, la requête autonome en injonction interlocutoire est un recours connu au Canada et il a reçu l'approbation du tribunal de première instance comme de la Cour d'appel de Colombie-Britannique. Elle a été accordée afin d'empêcher l'oppression de personnes ne rési- dant pas en Colombie-Britannique, mais néanmoins venues en cour provinciale uniquement pour présen- ter leur demande d'injonction.
Cette Cour est-elle empêchée, en raison de sa pro- pre Règle 469 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], d'assumer compétence comme l'ont fait les instances de Colombie-Britannique? Dans cette affaire, évidemment, les requérants avaient rempli une déclaration bidon, comme l'a écrit le juge en chef dans ses motifs. En présentant une telle procédure bidon, la CCDP ne se serait, à n'en pas douter, con- formée que de façon purement formelle à la Règle 469 puisque la seule réparation demandée en l'espèce est l'injonction. De fait, cette Cour ayant pour rôle de veiller à l'exécution des ordonnances des tribunaux des droits de la personne, mais non de statuer au fond comme seuls ces derniers le peuvent, il n'y aurait rien à plaider dans une déclaration. Il n'y a aucune action dont la Cour puisse avoir la saisine étant donné que ce n'est pas à elle, mais aux tribunaux qu'est confé- rée la compétence de statuer en vertu de la Loi.
Toutefois, s'il existe une compétence légitime sur laquelle s'appuyer, comme l'ont démontré la juris prudence et la doctrine, la Règle 469 relative aux actions ordinaires ne constituera pas un obstacle. Tel est en effet l'objet et le sens de la Règle 6 [édictée par DORS/90-846, art. 2] qui permet à la Cour de dispen ser de l'observation des règles ordinaires lorsque cela s'avère nécessaire «dans l'intérêt de la justice».
Y a-t-il des circonstances une partie pourrait obtenir protection semblable contre l'oppression même si elle n'était la requérante en injonction, mais
seulement représentée pour ainsi dire par un «protec- teur»? Dans d'autres circonstances, la collectivité au sens large ou le public en général pourraient-ils obte- nir pareille protection par l'entremise d'un interces- seur? Une situation de ce genre, bien que sur demande ex parte, s'est présentée en cette Cour en 1979, dans l'affaire R. c. L'Association nationale des employés et techniciens en radiodiffusion, [1980] 1 C.F. 716 (1 re inst.), décision rendue par le juge A. L. Thurlow, alors juge en chef adjoint. À la différence de l'affaire Amchem, le juge Thurlow était saisi d'une clause privative du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, ch. L-1 (mod. par S.C. 1972, ch. 18, art. 1; 1977-78, ch. 27, art. 63)], mais également de ce qui semble avoir été une poursuite bidon semblable à celle intentée dans cette autre affaire postérieure d'une dizaine d'années. Dans sa requête, le procureur général demandait que soit accordée une injonction provisoire pour empêcher la violation par les défen- deurs du paragraphe 180(2) du Code du travail. Deux des défendeurs avaient comparu à l'audience, sans faire toutefois d'observations. Le juge en chef adjoint Thurlow a accordé l'injonction afin d'empêcher les défendeurs de mettre à exécution leur intention avouée de bafouer la loi.
Aucun des avocats n'a remarqué que la décision précitée, R. c. ANETR, a été infirmée par la Section d'appel dont l'arrêt est rapporté aux pages 820 et s. du même volume. Le juge Pratte, J.C.A. énonce ainsi, à la page 825, le fondement de la décision de la Cour:
Il ressort de la déclaration que la Couronne et le procureur général ont simplement agi au nom de la Société Radio- Canada; il est clair que le procureur général n'a pas agi de son propre chef comme représentant de l'intérêt public. Pour cette raison, il s'agit ici d'un cas le Code confère une compétence spéciale au Conseil canadien des relations du travail et où, par conséquent, la Division de première instance n'est pas compé- tente.
En l'espèce, la CCDP agit assurément à titre de représentante de l'intérêt public vu qu'il ne s'agit pas d'un conflit de travail mettant avant tout en jeu les intérêts des employeurs et des employés.
Le seul réconfort que la CCDP peut retirer de cette infirmation réside dans les motifs concordants du juge suppléant Kerr, lequel s'exprime comme suit à la page 826:
Comme, à notre avis, le procureur général n'agissait pas en l'espèce de son propre chef, c'est-à-dire en tant que gardien
des droits publics garantis par la loi, il ne faut en aucune façon interpréter le présent jugement comme signifiant que la Divi sion de première instance ne serait pas compétente pour accor- der, à la demande du procureur général agissant alors comme gardien des droits publics garantis par la loi, une injonction contre une menace de violation de l'article 180 du Code cana- dien du travail dans des circonstances il n'existerait aucun autre recours pour régler l'affaire avant qu'il ne soit causé au public un sérieux préjudice.
Des messages téléphoniques visant à dénigrer et à tourner une partie de la société en dérision en raison de son ascendance, et à soulever contre elle une autre partie de la société, sont, à première vue, de nature à causer au public un préjudice sérieux. Dans cette affaire exceptionnelle, le juge en chef adjoint avait accordé une injonction interlocutoire valable seule- ment pour neuf jours, à l'expiration desquels elle ces- sait automatiquement d'être en vigueur.
Cette façon d'agir par ordonnance pour empêcher que la loi ne soit bafouée n'a apparemment rien de si exceptionnel en droit anglais qu'on ne puisse y avoir recours, du moins comme principe général, comme l'ont fait les tribunaux de Colombie-Britannique. La Cour d'appel anglaise donne à nouveau l'exemple, cette fois dans l'arrêt Stafford Borough Council v Elkenford Ltd, [1977] 2 All ER 519. La quatrième édition du traité d'Halsbury, publiée .en 1979 à l'époque de l'évolution du droit en cause en l'espèce, contient le passage suivant, au volume 24, à la
page 520, alinéa 921:
[TRADUCTION] Loi prévoyant un recours particulier. Lors- qu'une loi prévoit un recours particulier en cas de contraven tion à un droit découlant de ses dispositions ou de la common law, la compétence des tribunaux de protéger ce droit par injonction n'est pas exclue à moins que la loi ne l'écarte expressément ou implicitement. De plus, nonobstant le recours prévu à un tribunal inférieur, la Haute Cour a le pouvoir d'as- surer l'observance de la loi par voie d'injonction lorsque cela est juste et opportun. Si la loi ne fait que créer une infraction, sans créer de droit de propriété, et qu'elle prévoit un recours par procédure sommaire, la personne lésée par la perpétration de l'infraction est restreinte à l'exercice de ce recours som- maire et ne peut demander une injonction, bien que des procé- dures puissent être intentées par le procureur général en cas d'atteinte à l'intérêt public.
La Haute Cour, toutefois, est compétente pour accorder un jugement déclaratoire et une injonction accessoire, même si cela a pour effet d'établir l'existence ou la non-existence d'une responsabilité sur laquelle seule une cour des poursuites som- maires peut statuer. Dans les cas il n'y aurait pas d'autre recours pour redresser une injustice, le tribunal a en effet le pouvoir discrétionnaire d'intervenir par voie de jugement
déclaratoire et d'injonction dans un litige à l'égard duquel un tribunal de création législative a statué. Cependant, si le légis- lateur a désigné un tribunal spécial, un autre tribunal n'inter- viendra pas par injonction, en règle générale, pour l'empêcher de statuer.
L'instance inférieure en l'espèce, le Tribunal, peut, comme nous l'avons souligné, accorder l'injonction définitive. Mais en vertu de la common law ou de la loi, ou des deux à la fois, c'est à la cour supérieure qu'il revient d'intervenir au stade interlocutoire afin d'empêcher que la loi ne soit bafouée. On trouvera un exemple de cas le procureur général s'est adressé à une cour supérieure pour obtenir une injonction afin de faire cesser des actes posés en contravention d'une loi—cesser de bafouer la loi selon l'expression du lord-juge Phillimore—dans l'arrêt Attorney -Gene ral y Chaudry, [1971] 3 All ER 938 (C.A.). Dans cette affaire, la cour supérieure a, à l'instance du pro- cureur général, ordonné la suppression d'un risque d'incendie résidentiel jusqu'à ce que la cour de magistrats puisse se prononcer. Dans l'arrêt B.C. (A.G.) v. Wale, [1987] 2 W.W.R. 331 (C.A.C.-B.), le juge McLachlin, alors juge à la Cour d'appel, a reconnu, pour la majorité, le pouvoir du procureur général d'agir au nom d'un groupe de mécontents (page 342) ainsi que le recours de la Couronne à l'in- jonction pour assurer l'exécution de ce qui paraît être, à première vue, le droit applicable.
C'est une question délicate que celle de savoir si ce rôle incontesté du principal conseiller juridique de la Couronne—le procureur général—relève de la com- pétence de la Cour ou de son pouvoir discrétionnaire. Il y a lieu, toutefois, d'examiner cette question au chapitre de la compétence.
Dans son livre injunctions and Specific Perfor mance (Toronto: Canada Law Book Ltd., 1983), Robert J. Sharpe confirme, à la page 121, la [TRADUC- TION] «compétence bien établie d'accorder une injonction à la demande du procureur général pour empêcher une atteinte aux droits de la collectivité». Il fait observer, à la page 122, que le rôle du [TRADUC- TION] «procureur général de se prévaloir de l'intérêt public pour intenter des poursuites afin d'interdire des nuisances publiques est très ancien et encore important». Ce n'est pas seulement sur la base de la nuisance publique que le procureur général peut demander une injonction. Voici ce que dit le profes-
seur Sharpe [aux pages 128 et 1291 au sujet des lois qui ne relèvent pas véritablement du droit criminel mais dont l'exécution est assurée par des amendes, par ailleurs impuissantes à dissuader les contreve- nants:
[TRADUCTION] Il existe aujourd'hui une jurisprudence consi- dérable en faveur de la délivrance d'injonctions en pareils cas au Canada. En Alberta, un tribunal a accordé une injonction interdisant la pratique illégale de la dentisterie, bien qu'il n'y ait eu aucune preuve de préjudice réel, pour le motif qu'il y avait eu violation ouverte, continue, flagrante et lucrative de la loi et inefficacité totale des pénalités prévues. Plus récemment en Ontario, une compagnie de camionnage qui continuait à fonctionner sans le permis requis, malgré de nombreuses con- damnations, a vu ses activités interdites à l'instance du procu- reur général, le tribunal ayant conclu que ce recours était approprié [TRADUCTION] «lorsque la règle de droit qu'édicte une loi publique est bafouée». La Cour d'appel de l'Alberta a jugé qu'une injonction pouvait être accordée à la demande du pro- cureur général pour empêcher de nouvelles violations de la Loi sur le dimanche lorsque les faits révèlent [TRADUCTION] «une insouciance manifeste et continue à l'égard d'une loi publique impérative et de ses sanctions habituelles, insouciance à laquelle il ne serait vraisemblablement pas possible de remé- dier sans l'intervention de la Cour.»
Le raisonnement dans ce genre de cas semble clair: malgré l'absence de préjudice réel ou appréhendé à l'égard des per- sonnes ou des biens, l'intérêt du public à l'observance de la loi justifie l'intervention en équité lorsque le défendeur est un récidiviste que les pénalités prévues n'arrêteront pas.
Notons que si la Loi sur le dimanche [S.R.C. 1970, ch. L-131, précitée, a été invalidée, la Loi canadienne sur les droits de la personne, quant à elle, est toujours en vigueur.
L'avocat de la CCDP fait valoir que la Cour se doit d'exercer sa compétence à l'égard de la demande d'injonction interlocutoire de la Commission parce que le rôle de cette dernière quant à la bonne exécu- tion et au respect des dispositions de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne est, en réalité, assimilable à celui du procureur général. Voilà un argument de poids étant donné le statut que le Parle- ment a conféré à la CCDP en adoptant cette Loi.
La CCDP se présente devant la Cour de son propre chef, en toute indépendance, et non à titre de quasi- demandeur sous la surveillance générale du procureur général. Elle est véritablement le gardien de la légis- lation fédérale en matière de droits de la personne. Ainsi, au seul article 27, partie II de la Loi, la CCDP
est investie d'une gamme considérable d'attributions et de pouvoirs discrétionnaires:
27.(l) Outre les fonctions prévues par la partie Ill au titre des plaintes fondées sur des actes discriminatoires et l'applica- tion générale de la présente partie et des parties I et Ill, la Commission :
[a) à g) autorisant des recherches, des études, exécute des programmes de sensibilisation publique, examine les règles, règlements, décrets, arrêtés et autres textes pour déceler les cas d'incompatibilité avec les principes énoncés à l'article 2];
h) dans la mesure du possible et sans transgresser la partie III, tente, par tous les moyens qu'elle estime indiqués, d'empêcher la perpétration des actes discriminatoires visés aux articles 5 à 14. [Non soulignés dans le texte ori ginal.]
Point n'est besoin d'élaborer davantage (bien qu'on puisse en dire beaucoup plus) pour affirmer que, parmi les moyens d'empêcher la perpétration des actes discriminatoires visés à l'article 13, la CCDP peut présenter devant cette Cour une demande d'in- jonction interlocutoire, remplissant ainsi le même rôle que le procureur général, puisqu'elle est de façon générale, quoique non exclusive, responsable de l'ap- plication des parties I, II et III, les plus importantes, de la Loi. (Étant donné que les non-blancs que les intimés dénigrent et tournent en dérision du point de vue racial comprennent à coup sûr les peuples autochtones, il peut sembler inquiétant que l'article 67, à la partie IV, prévoit que la Loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi). La présente Cour est également établie pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada—y compris les lois touchant les droits de la personne—rôle que n'exclut pas la responsabilité générale dont est investie la CCDP au paragraphe 27(1) de la Loi.
C'est à la fin des années soixante-dix que le Canada a connu un tournant en matière de qualité pour agir dans un litige. On en voit l'illustration dans les arrêts suivants de la Cour suprême du Canada:
Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138;
Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; et
Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575.
La notion d'administration autoritaire de la justice devenant de plus en plus diluée, celle des actions par quasi-demandeurs intentées par des personnes inté- ressées sous la supervision du conseiller juridique principal de la Couronne a vu sa faveur diminuer. Dans un passage dont on peut dire aujourd'hui qu'il vient appuyer le droit de la CCDP de présenter sa requête en l'espèce tout comme la compétence de la Cour de s'en saisir, le juge Laskin dit ceci dans l'arrêt Thorson, aux pages 146 et 147:
Si le droit d'un particulier d'entamer des procédures comme celles-ci de son propre chef est subordonné à une requête préa- lable au procureur général lui demandant d'intenter des procé- dures ou de consentir à une action par quasi-demandeur (rela- tor action) (voir Attorney General v. Independent Broadcasting Authority, ex parte McWhirter [[1973] 1 All. E.R. 689], la page 698), cette condition a été remplie en l'espèce. Cepen- dant, je doute que cette condition soit applicable dans un sys- tème fédéral quand le procureur général est le représentant juri- dique d'un gouvernement tenu d'appliquer les lois adoptées par le Parlement et la validité d'une loi est contestée. La situa tion est sensiblement différente de celle de la Grande-Bretagne à régime unitaire, aucune législation n'est inconstitution- nelle et le procureur général, lorsqu'il agit comme gardien de l'intérêt public, le fait contre des autorités subalternes délé- guées. Voire, dans pareille situation, la décision du procureur général d'agir de son propre chef ou d'autoriser une action par quasi-demandeur relève de son pouvoir discrétionnaire et n'est pas sujette à un examen judiciaire; voir London County Coun cil v. Attorney General [[ 1902] A.C. I65]. Néanmoins, ce qu'a dit Lord Denning dans l'arrêt McWhirter, précité, relativement à la situation d'un particulier lorsque le procureur général refuse sans motif valable d'intenter des procédures ex officio ou d'autoriser des procédures par quasi-demandeur, est perti nent à une distinction que je fais et sur laquelle, à mon avis, repose le résultat dans la présente affaire. Je commenterai cette question plus loin dans ces présents motifs.
En l'espèce, naturellement, la requérante ne conteste pas la validité de la Loi mais cherche, à la place du procureur général, à obtenir son exécution interlocu- toire. Les pouvoirs et les responsabilités dont la CCDP est investie lui confèrent un statut tel qu'elle est la requérante naturelle et toute désignée pour demander à la Cour d'accorder une injonction inter- locutoire autonome, qui ressortit à cette dernière et qu'elle peut accorder ou refuser. Vu toutes ces consi- dérations, la Cour estime qu'elle a compétence en l'espèce pour agir en vertu des articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale qu'invoque la requérante. La
Cour possède donc, dans les circonstances, la compé- tence voulue pour accorder l'injonction interlocutoire recherchée par la requérante.
LA COUR DEVRAIT-ELLE ACCORDER L'IN- JONCTION?
La requérante n'a qu'à démontrer l'existence d'une question sérieuse à trancher, comme l'a dit lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid Co. y. Ethi- con Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.). En réalité, elle est allée plus loin en établissant une présomption, satis- faisant ainsi à un critère plus exigeant, comme l'a également dit et expliqué plus tard, lord Diplock dans l'affaire NWL Ltd y Woods, [ 1979] 3 All ER 614 (H.L.). C'est ce qu'on appelle «l'exception Woods». Elle s'applique lorsque le fait d'accorder ou de refu- ser une injonction interlocutoire à cette étape aurait pour effet de statuer définitivement sur le litige en faveur de la partie qui a l'avantage dans les procé- dures. Ce n'est apparemment pas le cas en l'espèce, car si les intimés réussissent, la requérante ne retirera sûrement pas l'affaire au Tribunal des droits de la personne. De même, si la requérante a gain de cause en l'espèce, il sera encore loisible aux intimés de se présenter devant le Tribunal et de laisser la requé- rante prouver que leurs messages sont «susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris» les personnes con- tre lesquelles ils sont dirigés du fait qu'elles appar- tiennent «à un groupe identifiable sur la base» de motifs de distinction illicite. En définitive, il appar- tient au Tribunal de trancher après avoir entendu la preuve et les plaidoiries des parties. La thèse des intimés, opposés à l'injonction, s'appuie sur des arguments qui sont loin d'être négligeables.
L'argument le plus convaincant soulevé par les intimés est le suivant: il ne saurait y avoir de liberté de parole et d'expression si l'on n'est pas libre d'être blessant puisque la liberté d'expression mais sans offenser existe même dans les états et les sociétés totalitaires. Une société véritablement libre et démo- cratique exige que soit garanti l'exercice de droits et libertés vraiment «mordants», de manière qu'on puisse invoquer cette garantie lorsque l'on en a vrai- ment besoin, comme les intimés le prétendent main- tenant. Ils n'ont probablement pas besoin, ayant sans doute largement dépassé ce cadre, des timides
«libertés» de parole et d'expression accordées par les états totalitaires.
L'argument est si puissant lorsque les circons- tances s'y prêtent que bon nombre jugeront qu'il favorise la thèse des intimés dans ces cas-là. En effet, il s'appuie sur le libellé, sinon sur le fond, de la Constitution canadienne, dont l'objectif, les valeurs et les impératifs doivent figurer parmi les plus huma- nitaires et les plus tolérants du monde. Cela ne veut pas dire que ces valeurs soient empreintes de senti- mentalité à l'eau de rose et que leur application n'exige aucune rigueur intellectuelle car elles ne con- duisent certainement pas nécessairement à leur pro- pre affaiblissement, suppression ou extinction. Elles doivent être maintenues par tous les pouvoirs législa- tif, exécutif et judiciaire du gouvernement, sans être trahies par leur affaiblissement ni faire l'objet d'un compromis dans leur mise en oeuvre permanente au sein de cette société libre et démocratique. Seule la société décadente n'a pas la ferme volonté de mainte- nir ses propres valeurs fondamentales.
Cela dit, il est préférable que le procureur général n'ait pas sollicité une injonction contre les intimés car, contrairement à tant d'autres sociétés libres et démocratiques de la même tradition, au Canada, le procureur général est membre du Cabinet. Il fait par- tie du gouvernement de l'heure et ce n'est pas un officier judiciaire indépendant. Par conséquent, il vaut mieux ne pas donner prise aux soupçons de par- tisanerie qui ne manqueraient pas de peser sur le gou- vernement si celui-ci intentait des procédures dans le cadre desquelles les intimés affirmeraient à coup sûr qu'on cherche à supprimer, et non à soutenir, les droits que leur garantit la Charte. La CCDP (tout comme d'autres commissions, telles la Commission de réforme du droit du Canada, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, par exemple) ne fait pas partie du gouvernement; elle est indépen- dante. Toutefois, elle a été constituée par le Parlement pour vivifier la mise en oeuvre, l'objet et la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La CCDP s'acquitte de sa mission, de manière impar- faite (comme toutes les institutions humaines) mais conformément à l'idée consciencieuse qu'elle se fait de son mandat, tout en étant assujettie au contrôle
judiciaire grâce à une procédure d'appel interne. Comme la CCDP le sait très bien, elle n'a aucun lien de dépendance avec la Cour.
La délivrance d'une injonction interlocutoire dans ces circonstances constituerait-elle une atteinte injus- tifiée portée aux droits et libertés des intimés? Au- delà de la barrière des mots, en quoi consistent essen- tiellement leurs droits et libertés? L'une des déclara- tions des droits et libertés de la personne les plus libérales au monde doit-elle faire admettre comme justes le dénigrement d'êtres humains et la dérision dont on les couvre sans raison légitime? Car la Cour a conclu que tel était bien l'objet de ces messages, ou de la plupart d'entre eux.
Reste le problème et le fléau des messages télépho- niques des intimés. Le procédé est-il irréprochable, est-ce ou non aller au-delà des limites permises que d'avertir les auditeurs que le message qu'ils sont sur le point d'entendre peut en offusquer certains et de les inviter, si c'est le cas, à sortir du programme, pour dénigrer et tourner ensuite les juifs et les non-blancs en dérision en prétendant qu'il ne s'agit pas d'êtres humains ou de vouloir réduire la gravité de la furie meurtrière du lâche Holocauste perpétré par les nazis parce qu'un peu moins de six millions de «sous- hommes» ont été supprimés sans pitié?
Le beau régime humanitaire canadien des droits et libertés de la personne se désintéresse-t-il froidement de l'utilisation du téléphone—moyen de communica tion de masse—pour porter atteinte à la dignité d'êtres humains en les tournant en dérision pour l'unique raison qu'ils sont ce qu'ils sont? Personne ne choisit ses parents biologiques ni ses ancêtres. Par conséquent, nul n'est justifié à essayer de faire valoir sa soi-disant noblesse de caractère ou de naissance en s'appuyant sur son ascendance.
En effet, ils sont nombreux, très nombreux, ceux qui comptent parmi leurs ancêtres des fanatiques, des haineux, voire des nazis. Quiconque prétend donner une leçon d'histoire sur la transmission de la civilisa tion n'a pas à commencer par séparer les «vrais hommes» des êtres qui ne sont pas humains. Les gorilles et les chimpanzés ne sont pas humains. Ce qui caractérise la race humaine ou, en vue du respect qu'on doit aux intimés, les races humaines, est son interfécondité. Voilà à n'en pas douter un moyen
d'identifier et de définir tous les êtres humains de la planète. À nouveau, il est tout à fait remarquable que dans son hymne dithyrambique à la civilisation euro- péenne pure, «l'historien» de l'enregistrement soit néglige à dessein, soit ignore l'existence du grand empire sémite des Abbasides islamiques (750-1250 environ) avec ses officiers et ses érudits juifs, perses et même chrétiens. Des centres culturels urbains prospères, habités et inspirés par des races non euro- péennes, voire par des populations mixtes, fleuris- saient dans des endroits aussi éloignés que Cordoba à l'ouest, Palerme, Le Caire et Bagdad, jusqu'à Nisha- pur à l'est. Presque toutes les encyclopédies euro- péennes ou américaines pourraient enseigner à l'au- teur de la «leçon d'histoire» que la culture, le savoir et l'érudition des Abbasides ont préservé l'enseigne- ment des anciens Grecs et ont largement éclipsé une Europe qui se débattait dans l'ignorance générale et la brutalité des premiers siècles du Moyen Âge. Cette grave omission de la «leçon d'histoire» révèle à quel point elle peut être futile et stupide.
Immuablement fondé, en bonne part, sur la vénéra- tion et le culte des ancêtres, le racisme nourrit en son sein deux propensions pernicieuses. La première est la tendance à outrager autrui en raison d'une préten- due supériorité due à d'imaginaires vertus intellec- tuelles, physiques et culturelles héritées d'aïeux dont le fanatisme, le sectarisme et l'abjection semblent avoir été aussi constants que ceux de leurs descen dants actuels. Par qui, après tout, le racisme a-t-il été transmis au monde moderne dit avancé? L'autre pro- pension est d'alimenter les plaintes et les ressenti- ments des ascendants pour constamment les assener, toutes griffes de la culpabilité dehors, à la tête de cer- tains contemporains dont les ancêtres depuis longtemps disparus sont peut-être les seuls à porter la paternité sanglante. Et ainsi de suite. Or, de même qu'on ne peut se réclamer des mérites de ses ancêtres, on ne saurait se voir imputer leurs méfaits. Les racis- tes n'oublient rien et n'apprennent rien. (C'est peut- être pourtant dans le mélange des races, idée qu'ab- horrent les propagateurs de haine, de supériorité et de violence, que réside le salut de l'humanité; les êtres humains pourraient alors s'attaquer à l'élimination du virus domination/damnation de l'intolérance reli- gieuse.) Stupidement élevé au rang de religion ou de philosophie politique et faussement glorifié, le racisme est, dans ses propensions, clairement hostile
aux impératifs et aux valeurs sublimes de la Constitu tion du Canada.
Ceci démontre la sottise de ceux qui vouent un culte à l'ascendance ou s'en font les apôtres. Cette sottise, toutefois, devient carrément nuisible et peut devenir meurtrière lorsqu'elle est dirigée contre d'autres êtres humains en raison de l'identité d'an- cêtres qu'ils n'ont pas choisis. C'est ce qui arrive lorsqu'on reproche à des personnes ce qu'elles ne peuvent changer même si elles le désiraient. La pour- riture du racisme s'attaque à autrui pour le dénigrer et le tourner en dérision simplement parce qu'il respire, parce qu'il est en vie.
Souvent les racistes sont d'une ignorance si aveugle qu'ils dénigrent les gens sans savoir qui sont leurs victimes. Par exemple, le programme portant soi-disant sur la «taxe kascher» pourrait être exprimé librement et légitimement pour informer les consom- mateurs qu'ils paient tous un peu plus (si c'est le cas) pour satisfaire aux exigences religieuses d'une petite minorité et que ce coût devrait à juste titre être sup porté par ceux qui sont à la source de ces exigences. La liberté de pensée, d'opinion et d'expression per- met et protège sûrement cette communication qui ne tourne personne en dérision. Les intimés peuvent être étonnés d'apprendre que les juifs ne sont pas les seuls à rechercher la nourriture kascher, voire des savons. Ils sont renvoyés au A1 -Qur'an (le Coran), Surah V, versets 3 et 5. Il en va de même des plaintes abstru- ses, mais futiles, portant sur la diffusion de l'architec- ture et de la musique de l'Europe occidentale qui pourraient être exprimées de façon légitime et proté- gées par les dispositions de la Charte précitées. Il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur le fond —cette tâche revient à un tribunal des droits de la personne—mais il se peut que les passages concer- nant l'architecture et la musique ne constituent pas une violation dans la forme dans laquelle ils sont dif- fusés. Cependant, ils font partie d'un «menu» dans lequel ils renforcent les messages racistes qu'ils accompagnent.
Le Canada, dont la Constitution affirme la liberté de conscience et de religion en même temps que la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expres- sion doit être—est—par implication nécessaire un État séculier. (La seule exception historique qui
remonte à une époque il était impossible de pré- voir autre chose qu'une nation euro -chrétienne ou aborigino-chrétienne, est la reconnaissance de sys- tèmes scolaires confessionnels.) Cependant, compte tenu des dispositions constitutionnelles mentionnées ci-dessus, le Canada ne pourrait jamais devenir une théocratie, peu importe les croyances d'une majorité de la population au sujet de Dieu, de Yahweh, d'Al- lah ou de dieux multiples, car l'État serait toujours tenu de garantir toutes ces libertés simultanément. L'article 29 de la Charte constitue l'exception notoire mentionnée ci-dessus, et apparemment indéracinable, à la sécularité de l'État canadien. Peut-être que l'ex- ception confirme la règle.
Ces libertés font-elles alors l'objet d'une restric tion naturelle ou inhérente, mises à part les considéra- tions inspirées par l'article premier de la Charte et même en dépit de l'exclusivité que cet article s'ar- roge? Cette restriction s'impose de manière inhérente et naturelle lorsque les champs respectifs de chaque liberté se heurtent. Par exemple, lorsque les croyances religieuses exigent l'excision des filles ou incitent les croyants à assassiner les présumés blas- phémateurs, la liberté de conscience, de religion et de croyance doit tout simplement céder le pas devant le droit à la vie et à la sécurité de la personne qui est également garanti. Ces pratiques, même si elles sont soutenues par une sémantique musclée sur la liberté de religion, doivent attirer l'attention des autorités policières et des sociétés d'aide à l'enfance.
Les personnes contre lesquelles sont dirigés des messages de dénigrement déshumanisants sont en butte à l'humiliation et à la moquerie. La Charte ne garantit sûrement pas la diffusion de tels messages. Il y a donc une restriction inhérente à la liberté de parole et d'expression lorsque celle-ci se heurte aux droits énoncés aux articles 7, 12, 15, 27 et peut-être 28. Bien qu'en vertu de l'article 32, la Charte s'ap- plique aux gouvernements et aux législatures, il ne faut pas oublier que les droits et libertés dont jouis- sent les citoyens sont garantis, et si ce n'est pas par l'État, par qui? Le rôle de la Cour n'est pas proactif, comme le démontre l'article 24, mais réactif. Qui donc doit garantir les juifs et les moins qu'humains qui n'appartiennent pas à la race européenne contre le traitement cruel qui leur est infligé par ce dénigre- ment pernicieux, ces motifs de distinction manifeste-
ment discriminatoires fondés sur la race, l'origine ethnique, la couleur, la religion ou l'héritage culturel ou parfois même le sexe, si ce n'est l'État? Cela a déjà été dit, la Cour peut garantir des droits et des libertés mais seulement s'ils ont été violés ou si l'exercice en a été refusé. Il ressort de ces considéra- tions, qu'il n'y a pas incitation à la violation de l'ar- ticle 26 de la Charte car la restriction par le jeu des heurts de certains droits et libertés ne revient pas à conclure qu'ils sont garantis, comme si les autres droits et libertés n'existaient pas, mais plutôt à définir la limite naturelle ou inhérente de leur portée.
Dans la mesure cette notion de restriction inhé- rente ou naturelle a été analysée par la jurisprudence, notamment dans l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, il est impératif de la réexaminer ou de la modifier, car dans le jugement précité, il semble qu'aucun des juges de la Cour suprême du Canada, en interprétant l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, n'a reconnu de limite au con- tenu de l'expression ou du message compte tenu de l'alinéa 26) de la Charte. Peut-être qu'aucune expres sion de la liberté de parole ne peut être si horrible (mis à part l'incitation au meurtre, la publication de l'infâme fatwah ou autre expression similaire) qu'elle déborde le cadre de la protection garantie par l'alinéa 26) même s'il y a apparemment heurt avec d'autres droits garantis par la Charte. Bien entendu, on peut soutenir que les autres droits eux-mêmes englobent des restrictions inhérentes et raisonnables prescrites par la loi, dont la justification peut se démontrer.
Quoi qu'il en soit, le Parlement a voulu que l'État garantisse les droits des citoyens lorsqu'il a adopté des limites prescrites par la loi, sous la forme de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce texte législatif remplit l'exigence de l'existence de la «loi» ou «d'une loi» de l'article premier de la Charte. Dans l'arrêt Taylor, une mince majorité des juges de la Cour suprême du Canada, soit quatre des sept juges, a décidé qu'en dépit de l'incompatibilité du para- graphe 13(1) de la Loi avec la liberté énoncée à l'ali- néa 2b) de la Charte, cette disposition n'en constituait pas moins une restriction raisonnable au sens de l'ar- ticle premier de la Charte.
Il appartiendra au Tribunal des droits de la per- sonne, et non à la Cour, de décider si les messages transmis par les intimés sont véritablement suscep- tibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi. Ayant conclu que ces messages dénigraient et tour- naient bel et bien en dérision les êtres humains qu'ils visaient, la Cour juge qu'ils sont susceptibles d'avoir pour effet la commission du délit que la Loi vise à réprimer. Devraient-ils faire l'objet d'une injonction, même de façon provisoire? Il y a en l'espèce une question sérieuse à trancher par un tribunal, confor- mément à la législation adoptée par le Parlement. Voilà, tel qu'il est, le dilemme lorsque des valeurs et des impératifs garantis par la Constitution se heurtent ou semblent le faire. Ernst Ziindel a été condamné à la détention mais faut-il enjoindre aux intimés, qui diffusent des informations sur son compte, de cesser de le faire? L'ensemble du menu qu'ils proposent devrait-il être visé par l'injonction ou seulement cer- taines parties? Certains de leurs messages concréti- sent-ils les idéaux et impératifs de la Constitution qui protège, du moins ils affirment, la transmission télé- phonique de ces messages?
Il n'est pas facile de choisir entre d'une part la liberté d'expression et de parole et d'autre part, sa suspension en vue de faire obstacle au dénigrement verbal de certaines personnes à qui l'on reproche d'être ce qu'elles sont. Exerçant son pouvoir discré- tionnaire, la Cour conclut que l'expression du mes sage de dénigrement peut attendre ou être suspendu en attendant l'issue des délibérations du Tribunal. Si celui-ci décide que les messages diffusés par les intimés n'exposent personne à la haine ou au mépris sur la base de la race, de l'origine nationale ou eth- nique, de la couleur ou de la religion, il convient de remarquer que, sauf cataclysme génocide, il subsis- tera toujours dans la population de nombreux citoyens dont l'origine n'est pas purement euro- péenne que les intimés pourront dénigrer. Ils n'auront donc subi aucun préjudice irréparable. Ce point de vue peut être apprécié au regard de la dégradation et de l'humiliation pernicieuses auxquelles sont soumi- ses les personnes qui servent de cibles aux intimés.
Il convient également de se prononcer dans ce sens en ce qui concerne la balance des inconvénients. A n'en pas douter, le fait d'être dénigré et tourné en
dérision simplement parce qu'on respire représente davantage qu'un simple inconvénient alors qu'il n'est pas terrible du tout pour les intimés d'être contraints pour un temps au silence. Certes, il est terrible d'être privé de sa liberté de parole, même pour une période relativement courte. Les intimés affirment dans les faits leur liberté de dénigrer des personnes en raison de leur ascendance, mais l'objectif des procédures intentées devant le Tribunal est précisément de déci- der, avec autorité, si l'on peut démontrer qu'il est jus tifiable d'y faire obstacle définitivement. Ces procé- dures ne visent pas à trancher avec autorité la question de savoir si les cibles des intimés sont réel- lement des êtres humains qui méritent de ne pas être dénigrés parce qu'ils sont ce qu'ils sont. Il en va de même, bien entendu, de ceux qui dénigrent les per- sonnes dont les ancêtres sont européens simplement parce qu'elles sont ce qu'elles sont. Après tout, la Loi vise les droits de la personne.
Comme la Cour a conclu que les messages des intimés dénigrent les personnes qu'ils visent et qu'ils portent atteinte à la dignité de ces personnes; la requérante a soit établi une présomption, soit a au moins démontré qu'il existait une question sérieuse à trancher par un tribunal des droits de la personne. Il s'agit dans les deux cas d'un motif permettant de décerner une injonction interlocutoire.
La Cour conclut que si certains des messages des intimés pourraient être exprimés légitimement sans dénigrement et dérision, le contexte dans lequel il faut replacer le menu proposé par les intimés suggère si fortement le dénigrement, l'humiliation et la déri- sion dirigés contre les juifs et les non-blancs qu'il convient de les assujettir provisoirement à une injonction.
Environ une semaine et demie après l'audience de Vancouver, qui a eu lieu les 5 et 6 février 1992, deux enregistrements sonores de messages diffusés sur le «Liberty Net» des intimés ont été communiqués par l'avocat de la requérante, bien qu'ils n'aient pas été admis en preuve. Ces enregistrements ont été rejetés pour ce motif. Par une lettre datée du 26 février, l'avocat des intimés a fait savoir ce qui suit:
[TRADUCTION] La présente confirme qu'au nom de Canadian Liberty Net, je ne m'oppose pas à ce que vous fassiez parvenir les enregistrements sonores à Monsieur le juge Muldoon. Je ne désire pas en recevoir de copie.
N.B. Il est entendu que les enregistrements communiqués au juge reprennent les messages qui constituent l'objet de la plainte elle-même et ne concernent pas M. Joseph Thompson.
Le juge—l'auteur du présent jugement—a écouté quelques passages tirés du côté A de la bande, dont l'original a été enregistré le 14 décembre 1991 par M. Yamauchi; il n'a pas entendu le côté portant l'éti- quette «copie de messages supplémentaires». Bien que le niveau du son et la qualité de l'enregistrement aient été mauvais, il semble confirmer la transcription des messages jointe en annexe à l'affidavit.
À l'audience, l'avocat de la requérante avait l'im- pression qu'aucun tribunal des droits de la personne n'avait été constitué et qu'il était impossible d'en prévoir la formation immédiatement. Si tel avait été le cas, la Cour aurait assorti son ordonnance de con ditions. Cependant, depuis l'audience, la constitution d'un tribunal a été annoncée et celui-ci est sur le point de commencer ses travaux. Il convient de réduire au minimum tout délai nécessaire et les intimés auraient, et ont par les présentes, le droit de demander que l'ordonnance soit assortie de condi tions si le Tribunal ne procède pas avec célérité en collaboration, bien entendu, avec les intimés qui, autrement, ne seraient pas fondés à se plaindre des retards.
Sera rendue une ordonnance enjoignant aux intimés ou à leurs préposés, mandataires ainsi qu'à toute personne ayant connaissance de l'ordonnance, de s'abstenir d'accomplir les actes décrits dans l'avis introductif d'instance de la requérante. Les dépens suivront la cause et il faudra attendre l'issue des déli- bérations du Tribunal et de tout appel formé contre cette décision pour demander une ordonnance con- cernant les dépens. Si les parties estiment que ces procédures, pratiquement inédites, qui ont été enta- mées par la CCDP, qui a assumé le rôle du procureur général, ne devraient pas entraîner de frais, il y a suf- fisamment de temps pour présenter des observations à cet effet.
Les avocats de la requérante peuvent rédiger un projet d'ordonnance conformément à la Règle 337(2)b) des Règles de la Cour. Ils devraient donner aux avocats des intimés la possibilité de leur présen- ter ou de présenter à la Cour des observations sur la forme du projet avant de le faire signer.
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