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T-3125-90
The Clorox Company (appelante)
c.
Sears Canada Inc. (intimée)
RÉPERTORIÉ' CLOROX CO C. SEARS CANADA INC Ore /MT)
Section de première instance, juge Joyal—Ottawa, 5 février et 25 mars 1992.
Marques de commerce Enregistrement Appel contre le refus d'enregistrer la marque de commerce «K.C. Master piece» et le dessin y afférent, à utiliser pour une sauce de gril- lades L'intimée fait valoir la confusion avec sa propre marque «Masterpiece» utilisée pour des gâteaux et chocolats La registraire a procédé étape par étape et conclu que la demanderesse n'avait pas démontré l'absence de probabilité de confusion Application légaliste de l'art. 6(5) de la Loi, ne tenant pas compte de «toutes les circonstances de l'espèce» Il ne faut pas accorder la même importance aux différents sujets d'enquête Il ne faut pas réduire le processus de déci- sion à un calcul mathématique «Masterpiece», mot commun du dictionnaire, ne devrait jouir que d'une protection restreinte et son utilisateur ne doit pas être autorisé à le monopoliser indûment Des différences comparativement négligeables sont suffisantes pour éviter la confusion Le critère de la même catégorie générale ne s'applique guère aux produits de supermarché La probabilité de confusion doit être envisagée à la lumière des circonstances de l'espèce.
Appel contre la décision de la registraire qui a refusé d'enre- gistrer la marque de commerce «K.C. Masterpiece» et le dessin y afférent, à utiliser pour une sauce de grillades, par ce motif que, tout bien considéré, la demanderesse n'avait pas démontré l'improbabilité d'une confusion avec la marque «Masterpiece» déposée et utilisée par l'intimée pour des gâteaux et chocolats, en particulier des cakes, exclusivement vendus dans les maga- sins Sears. La registraire a procédé étape par étape en tenant compte des facteurs prévus au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, ainsi que des circonstances de l'espèce. Elle a conclu que la marque «Masterpiece» était suggestive de la qualité des marchandises, et que la marque «K.C. Master piece» et le dessin y afférent possédaient un caractère distinctif plus marqué en raison de ce dessin. La registraire reconnaissait qu'étant donné la nature des marchandises et leur mode de dis tribution, les produits en cause n'étaient pas concurrents, bien qu'il s'agisse de produits alimentaires qu'on trouve normale- ment dans les mêmes magasins. En appliquant le principe de la première impression et du vague souvenir, elle a conclu que si une décision catégorique était impossible pour ce qui était de la question de la confusion, le litige devait être tranché au détri- ment de la demanderesse.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
La démarche de la registraire comporte un risque, en ce qu'elle tend à appliquer de façon légaliste les dispositions du
paragraphe 6(5) et à ignorer le premier alinéa de ce para- graphe, aux termes duquel il faut tenir compte «de toutes les circonstances de l'espèce». Les alinéas subséquents du para- graphe 6(5) ne visent pas à circonscrire les limites de ces cir- constances, mais à focaliser l'attention de l'autorité décision- nelle sur les sujets d'enquête plus spécifiques dont elle doit s'occuper. Ces sujets d'enquête ne sont pas exhaustifs, et ils ne présentent pas tous la même importance. Affirmer le contraire reviendrait à réduire le processus de décision à un calcul mathématique. Il faut pondérer l'importance à accorder aux facteurs individuels prévus aux différents alinéas du para- graphe 6(5) par la considération plus générale de toutes les cir- constances de l'espèce. Une décision, rendue en application du paragraphe 6(5), sur la question de la confusion ne saurait être la somme des épreuves respectivement prévues aux alinéas subséquents. Les circonstances de l'espèce sont prépondé- rantes.
La registraire n'a pas analysé certaines de ces circonstances. (1) «Masterpiece», étant un mot commun du dictionnaire, ne devrait jouir que d'une protection restreinte. La marque est descriptive de la qualité des rr.uchandises. (2) «Masterpiece» est une marque maison utilisée exclusivement dans les maga- sins Sears. (3) L'utilisateur d'une marque ne jouissant que d'une protection restreinte ne doit pas être autorisé à monopo- liser indûment le mot qui la constitue. Des différences compa- rativement négligeables sont suffisantes pour éviter la confu sion. Le fait que la marque de l'appelante présente un caractère distinctif légèrement plus marqué peut être suffisant pour évi- ter la confusion. (4) La doctrine de la protection restreinte s'applique également au critère de la similitude des marchandi- ses. Vu la grande variété de produits en vente dans les super- marchés, mieux vaut ne pas trop se fier au critère de la «même catégorie générale». Autrement, l'application de ce critère abs traction faite de toute autre considération reviendrait à accorder le monopole sur un mot du dictionnaire, ce que les tribunaux n'accepteront pas volontiers. (5) Enfin, la probabilité de confu sion visée au paragraphe 6(2) ne doit pas être déterminée dans l'abstrait, mais à la lumière des circonstances de l'espèce. Il est peu probable que les marchandises en question se trouvent l'une à côté de l'autre sur le même rayon dans le même maga- sin. Une application littérale de la règle signifierait un critère de possibilité, et non pas de probabilité, de confusion.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 6(2),(5), 12(1)d).
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
General Motors Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678; (1949), I 0 C.P.R. 101.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.); Office Cleaning
Services Ltd. v. Westminster, Window & General Cleaners Ltd. (1946), 63 R.P.C. 39 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Mani- toba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. lre inst.); Mission Pharmacal Co. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 101; 34 F.T.R. 176 (C.F. Pe inst.); Mitac Inc. c. Mita Industrial Co. Ltd., T-236-90, juge Denault, jugement en date du 9-1-92, C.F. ire inst., encore inédit; Maximum Nutrition Ltd. c. Kellogg Salada Can. Inc: (1987), 11 C.I.P.R. 1; 14 C.P.R. (3d) 133; 9 F.T.R. 136 (C.F. irC inst.); Panavision, Inc. c. Matsushita Elec tric Industrial Co. Ltd., T-2728-89, juge Joyal, jugement en date du 14-1-92, C.F. Ire inst., encore inédit; Freed & Freed Ltd. v. Registrar of Trade Marks et al., [1950] R.C.E 431; [1951] 2 D.L.R. 7; (1950), 14 C.P.R. 19; 11 Fox Pat. C. 50.
DOCTRINE
Fox, Harold G. The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3rd ed., Toronto: Carswell Co. Ltd., 1972.
APPEL du refus d'enregistrer une marque de com merce et le dessin y afférent (1990), 33 C.P.R. (3d) 489 (Comm. oppos.). Appel accueilli.
AVOCATS:
David J. McGruder pour l'appelante. R. Scott Jolliffe pour l'intimée.
PROCUREURS:
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour l'appelante. Gowling, Strathy & Henderson, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: Il y a en l'espèce appel contre la décision par laquelle la registraire des marques de commerce a refusé d'enregistrer la marque de com merce «K.C. Masterpiece» et le dessin y afférent, à utiliser pour une sauce de grillades. La demande, 490,598, est fondée sur l'utilisation et l'enregistre- ment aux États-Unis. Voici la marque de commerce et le dessin en question:
L'intimée s'oppose à l'enregistrement de cette marque de commerce par ce motif qu'elle n'est pas enregistrable par application de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13], en ce qu'elle crée de la confusion avec la pro- pre marque de l'intimée «Masterpiece», enregistrée sous le numéro 154,632 pour des marchandises com- prenant des «gâteaux et chocolats». L'intimée sou- tient aussi que la demanderesse n'a pas droit à l'enre- gistrement en raison de l'utilisation antérieure par l'intimée de la marque de commerce «Masterpiece». Enfin, elle fait valoir que la marque de commerce de la demanderesse est dépourvue de caractère distinctif.
LA DÉCISION DE LA COMMISSION DES OPPOSITIONS
Dans ses motifs réfléchis de décision, le membre de la Commission des oppositions (ci-après appelé la registraire) a épluché la demande ainsi que les preuves et témoignages produits par les deux parties. Elle a rejeté la demande. Le texte intégral de ses motifs de décision est publié au recueil (1990), 33 C.P.R. (3d) 489 (Comm. opp.).
Voici les conclusions qu'elle a tirées pour arriver à sa décision:
1. C'est à la demanderesse qu'il incombe de prou- ver l'improbabilité d'une confusion entre la marque de commerce envisagée et celle qui a été enregistrée.
2. Cette preuve doit être administrée au regard des facteurs prévus au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce ainsi que de toutes les cir- constances de l'espèce.
3. La marque de commerce enregistrée «Master- piece» possède un certain caractère distinctif inhé- rent, bien qu'elle soit dans une certaine mesure
suggestive de la qualité des marchandises. Par con- tre, la marque envisagée «K.C. Masterpiece» et le dessin y afférent possèdent un caractère distinctif plus marqué en raison de ce dessin.
4. En ce qui concerne la nature des marchandises et de leur mode de distribution, la registraire recon- naît que la sauce pour grillades d'une part, et les gâteaux et chocolats de l'autre ne sont pas des pro- duits concurrents et que, vu leur dissemblance, ils ne risquent pas d'être considérés comme émanant de la même source; il faut néanmoins tenir compte du fait qu'il s'agit de produits alimentaires qu'on trouve normalement dans les mêmes maga- sins.
5. Bien que selon les preuves administrées, la marque enregistrée «Masterpiece» s'applique aux marchandises vendues exclusivement dans les magasins de détail de Sears et faisant généralement l'objet d'une promotion à l'occasion des fêtes de Noël, la registraire note que l'état déclaratif des marchandises de l'intimée ne prévoyait nullement ces restrictions, et que les marchandises en cause, étant des produits alimentaires, pourraient bien se retrouver sur les mêmes rayons dans un même magasin.
6. Bien que la marque envisagée possède un carac- tère distinctif plus marqué en raison du dessin y afférent, le mot «Masterpiece» en est l'élément prédominant. En appliquant le principe de la pre- mière impression et du vague souvenir, la regis- traire conclut que si une décision catégorique est impossible pour ce qui est de la question de la con fusion, le litige doit être tranché au détriment de la demanderesse.
7. Enfin, la registraire considère l'utilisation du mot «Masterpiece» sur le registre des marques de commerce ainsi que dans les noms commerciaux et les dénominations sociales. Elle constate que cette démarche n'est pas d'un grand secours. Les mar- chandises et services portant les marques enregis- trées sont tout à fait dissemblables et l'utilisation du mot dans les dénominations sociales ne permet de tirer aucune conclusion particulière. En fait, les marchandises respectives des parties en présence relèvent de la même catégorie générale, et c'est sur cette base que le litige doit être tranché.
L'ARGUMENTATION DE L'APPELANTE
L'avocat de l'appelante soutient que la registraire est parvenue à une conclusion erronée, et qu'il appar- tient à la Cour, une fois saisie d'un appel de ce genre, de tirer sa propre conclusion pour ce qui est de savoir s'il peut y avoir confusion entre les deux marques concurrentes. Plus spécifiquement, il fait valoir ce qui suit:
1. L'examen de la question de la confusion exige que la marque soit considérée dans son ensemble, à la lumière de la première impression qu'elle suscite chez une personne d'intelligence moyenne et faisant preuve de précaution ordinaire; la ques tion se pose en fait de savoir si l'utilisation des deux marques de commerce dans la même région pourrait porter à croire que les marchandises en cause proviennent de la même source. L'appelante invoque à cet effet Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.); Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. ler inst.); H. G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Compe tition, 3e éd., 1972, aux pages 167 169.
2. La marque enregistrée «Masterpiece» est une marque très faible. Il s'agit d'un mot commun du dictionnaire, d'un terme apparemment laudatif ou descriptif, et communément adopté comme marque de commerce. Des marques de ce genre ne jouis- sent que d'une protection restreinte. L'appelante cite à cet égard cette conclusion de lord Simonds
dans Office Cleaning Services Ltd. v. Westminster Window and General Cleaners Ltd. [(1946), 63 R.P.C. 39 (H.L.)], telle qu'elle a été reprise par le juge Rand dans General Motors Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678, à la page 691:.
[TRADUCTION] La conclusion est bien simple en fin de compte: lorsqu'un marchand utilise des mots communs pour en faire son nom commercial, le risque de confusion est inévita- ble. Mais c'est un risque à courir à moins qu'on ne consente un monopole indu à celui qui s'en sert le premier. La Cour accep- tera des différences comparativement négligeables comme étant suffisantes pour éviter la confusion. On peut faire con- fiance au public pour faire la distinction quand un nom com mercial est composé en tout ou en partie de mots qui décrivent les marchandises ou les services en cause.
L'avocat de l'appelante cite également Harold G. Fox (op. cit.), à la page 173:
[TRADUCTION] Dans le cas une partie soutient que deux mots créent de la confusion parce qu'ils évoquent la même idée, il faut prendre en considération la nature de ces mots. S'ils pos- sèdent un caractère distinctif, c'est-à-dire s'ils ont été inventés, de petites différences ne suffisent pas pour les distinguer, mais s'il s'agit de mots communs ou de termes descriptifs, qui les adopte adopte aussi leurs désavantages. Personne n'a le droit de s'attribuer l'usage exclusif du vocabulaire général ni de s'approprier les mots communs pour couvrir un domaine étendu. [Mots non soulignés dans le texte.]
3. L'avocat de l'appelante soutient, sur la base des faits dont la registraire a été saisie, que si la marque «Masterpiece» de l'intimée était limitée à l'origine aux gâteaux et aux chocolats, son utilisa tion est devenue plus limitée encore puisque à la date à retenir, l'intimée l'a effectivement réservée aux cakes. Pour ce qui est de la «date à retenir», la Cour d'appel fédérale a, dans Park Avenue Furni ture Corp. (op. cit.), posé pour règle qu'en matière de confusion, la date à retenir est celle de la déci- sion dans la procédure d'opposition. Depuis cet arrêt, il se trouve que d'autres marques comportant le mot «Masterpiece» ont été enregistrées et, par conséquent, la marque a encore perdu de son caractère distinctif. En effet, la marque «Meaty Masterpiece» a été enregistrée pour des pâtées pour chats et il est notoire que dans l'industrie ali- mentaire, les pâtées pour chats sont considérées comme des aliments ordinaires.
4. Il s'ensuit encore que si les marques en conflit visent l'une et l'autre des produits alimentaires, il faut tenir compte de la distinction inhérente, com mune ou évidente entre un condiment, telle la sauce pour grillades, d'une part, et un produit de confiserie, tels les cakes, de l'autre.
5. L'avocat de l'appelante soutient que la regis- traire n'a pas accordé suffisamment d'attention aux preuves relatives à la manière dont l'intimée utili- sait sa marque au cours des années 1981 à 1985. «Masterpiece» est une marque maison de l'inti- mée, et le produit auquel elle s'applique n'est en vente que dans les magasins Sears. Les produits portant cette marque se trouvent au rayon des bon bons, et un pourcentage infime de la superficie totale des rayons de l'intimée, 0,65 p. 100, est con- sacré à l'ensemble de ses produits alimentaires. Il s'ensuit que la marque de l'intimée n'est guère
exposée au public et qu'en conséquence, elle n'a guère de caractère distinctif.
L'ARGUMENTATION DE L'INTIMÉE
L'avocat de l'intimée attire l'attention de la Cour sur les motifs soigneusement formulés de la décision de la registraire, et qui indiquent à quel point elle a pris en considération les divers facteurs prévus aux paragraphes 6(2) et 6(5) de la Loi sur les marques de commerce. Une analyse de cette décision fait ressortir ce qui suit:
1. La registraire note la faiblesse de la marque de commerce «Masterpiece».
2. Elle reconnaît qu'il incombe à la demanderesse de prouver qu'il n'y a aucune probabilité de confu sion entre la marque «Masterpiece» et la marque «K.C. Masterpiece» avec le dessin.
3. Elle note que l'intimée a utilisé sa marque de commerce pendant un certain nombre d'années, que cette marque est annoncée dans les catalogues de Sears et qu'elle s'identifie avec des produits de confiserie de Sears.
4. Elle applique le critère de la première impres sion et du vague souvenir pour conclure que le mot «Masterpiece» constitue l'élément prédominant.
5. Elle constate que les deux marques s'appliquent à la même catégorie de marchandises, savoir des produits alimentaires.
6. Elle conclut que si les marchandises en question ne sont pas semblables, il s'agit dans les deux cas de produits alimentaires qu'on peut normalement trouver dans les mêmes magasins.
7. Se trouvant dans l'impossibilité de trancher catégoriquement la question de savoir s'il y a ou non probabilité de confusion, elle s'est fondée à bon droit sur la disposition relative à la charge de la preuve pour faire droit à l'opposition et refuser l'enregistrement.
L'avocat de l'intimée soutient que dans sa déci- sion, la registraire a instruit le dossier au regard de tous les facteurs prévus au paragraphe 6(5). Aucun fait ayant un rapport avec la question n'a été négligé. Chaque point soulevé par la demanderesse a été exa- miné. On ne peut trouver aucune erreur dans le rai- sonnement de la registraire et en conséquence, la Cour devrait vraiment répugner à intervenir.
À l'appui, il cite les conclusions de cette Cour dans Mission Pharmacal Co. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 101, la page 107; Mitac Inc. c. Mita Industrial Co. Ltd., T-236-90, jugement en date du 9 janvier 1992, le juge Denault (C.F. I i e inst.), encore inédit; Maximum Nutrition Ltd. c. Kellogg Salada Can. Inc. (1987), 11 C.I.P.R. l (C.F. lie inst.), aux pages 3 et 4; Panavision, Inc. c. Mat- sushita Electric Industrial Co. Ltd., T-2728-89, le juge Joyal, jugement en date du 14 janvier 1992 (C.F. lre inst.), encore inédit (appel pendant).
Il ressort de tous ces précédents que la Cour ne devrait pas intervenir dans une décision rendue par le registraire à l'issue d'une procédure d'opposition, à moins qu'elle ne conclue que le registraire a tiré la mauvaise conclusion sur les faits.
L'avocat de l'intimée cite aussi Freed & Freed Ltd. v. Registrar of Trade Marks et al., [1950] R.C.É. 431, une décision de 1950 par laquelle le président Thorson de la Cour de l'Échiquier du Canada a jugé que si le juge saisi de l'appel formé contre le refus d'enregistrement de la part du registraire n'était pas libéré de la responsabilité de trancher le litige compte tenu des faits de la cause, la charge de la preuve incombait quand même au demandeur. Par ailleurs, en matière de confusion, ce qui est en cause, ce n'est pas tant l'effet probable de l'utilisation des deux marques sur l'esprit du juge, mais la question de savoir s'il y a probabilité de confusion dans l'esprit des marchands ou des usagers au sujet des marchan- dises portant ces marques.
CONCLUSIONS
Je conviens certainement avec l'avocat de l'inti- mée que la décision de la registraire est bien structu rée. Elle était saisie d'une situation que les deux par ties reconnaîtront comme difficile. Pour la résoudre, elle a judicieusement procédé étape par étape et a conclu que, tout bien considéré, la demanderesse n'avait pas tout à fait démontré l'absence de probabi- lité de confusion.
Il se trouve cependant que même si elle est cor- recte à tous autres égards, cette démarche comporte toujours un risque. Elle tend à appliquer de façon légaliste les dispositions du paragraphe 6(5) de la Loi et, dans le processus de décision, à ignorer la disposi-
tion plus générale du premier alinéa du même para- graphe, aux termes duquel il faut tenir compte «de toutes les circonstances de l'espèce». Les alinéas sub- séquents du paragraphe 6(5) ne visent pas, à mon avis, à circonscrire les limites de ces circonstances, mais à focaliser l'attention de l'autorité décisionnelle sur les sujets d'enquête plus spécifiques dont elle doit nécessairement s'occuper. La doctrine en matière de marques de commerce ne laisse cependant aucun doute à ce propos: ces sujets d'enquête ne sont pas exhaustifs et ils ne présentent pas tous la même importance. D'affirmer le contraire reviendrait tout bonnement à réduire le processus de décision à un calcul mathématique.
Les remarques ci-dessus ne signifient pas que tel est le virus qu'on pourrait trouver dans la décision de la registraire. Loin de là. Je répète qu'il ne ressort de la lecture de cette décision aucune faute particulière dans l'une ou l'autre des observations qu'elle fait au regard des alinéas 6(5)a), b), c), d) et e). Chacune d'elles est fondée et, prise isolément, pourrait être facilement approuvée par la Cour.
Par contre, il me semble qu'une décision, rendue en application du paragraphe 6(5), sur la question de la confusion ne saurait être la somme des épreuves respectivement prévues aux alinéas subséquents. Le premier alinéa de ce paragraphe parle de «toutes les circonstances de l'espèce». Les circonstances de l'es- pèce sont prépondérantes. C'est au regard de ces cir- constances qui ne sont pas didactiquement énumérées dans ces alinéas que l'affaire en instance appelle cer- taines conclusions, lesquelles ne sont pas expressé- ment analysées dans la décision entreprise.
En premier lieu, il est constant que la marque «Masterpiece» consiste en un mot commun du dic- tionnaire et, de ce fait, ne devrait jouir que d'une pro tection restreinte. Qui plus est, comme l'a fait obser ver la registraire, cette marque est suggestive, je dirais descriptive, de la qualité des marchandises. En effet, les catalogues de Sears présentent le cake Mas terpiece comme étant «le meilleur», le haut de gamme pour ainsi dire.
En deuxième lieu, la marque «Masterpiece» de l'intimée est une marque maison utilisée exclusive- ment dans les magasins Sears au Canada et, vu le volume de vente des produits portant cette marque,
elle n'est guère connue du public. Puisqu'il s'agit d'une marque maison, il est peu probable que Sears vende ses cakes Masterpiece dans des magasins qui ne sont pas les siens propres.
En troisième lieu, si la marque «Masterpiece» elle- même ne doit jouir que d'une protection limitée, il est établi, à la suite du précédent General Motors (op. cit.), que son utilisateur ne doit pas être autorisé à monopoliser indûment ce mot. «Des différences com- parativement négligeables, a conclu la Cour dans cette affaire, sont réputées suffisantes pour éviter la confusion.» Il y a lieu de noter que la marque de l'ap- pelante est composée à la fois du nom commercial «K.C. Masterpiece» et du dessin, lequel comprend non seulement une bordure stylisée mais aussi les mots «People Crave it!» et «The Barbecue Sauce». Le fait, comme l'a constaté la registraire, que le mot «Masterpiece» prédomine sur la marque et sur le des- sin et appelle ainsi l'application du critère de la pre- mière impression et du vague souvenir, ne diminue en rien le principe ou la doctrine que je viens de rap- peler. La registraire a conclu elle-même que la marque de l'appelante présente «un caractère distinc- tif légèrement plus marqué»; on pourrait dire que ce niveau minimum est tout ce qui est nécessaire pour éviter la confusion.
En quatrième lieu, je dois faire remarquer qu'à mon avis, la doctrine de la «protection restreinte» s'applique également au critère de la similitude des marchandises. Il est bien vrai que les cakes et la sauce pour grillades peuvent être considérés comme appartenant à la catégorie générale des produits ali- mentaires, mais ce critère ne peut être appliqué sur une base manichéenne. Il suffit de considérer les mil- liers de variétés d'aliments, de viandes, de confise- ries, de céréales, etc. dans un supermarché quel- conque, pour comprendre que, dans certains cas, mieux vaut ne pas trop se fier au critère de la «même catégorie générale». Autrement, dans le cas d'une marque faible comme «Masterpiece», l'application de ce critère abstraction faite de toute autre considé- ration reviendrait à accorder le monopole sur un mot du dictionnaire, ce que les tribunaux ont toujours rejeté.
En dernier lieu, il échet d'examiner la question de la probabilité de confusion au sens du paragraphe
6(2) de la Loi sur les marques de commerce. À cet égard encore, l'importance que l'autorité décision- nelle accorde à ce critère doit être subordonnée aux circonstances de l'espèce. La règle vise la probabilité de confusion au cas les marchandises portant les marques en conflit, comme dans le cas de figure clas- sique adopté par la jurisprudence en la matière, se trouveraient l'une à côté de l'autre sur le même rayon dans le même magasin. Voilà une éventualité qui me paraît fort peu probable en l'espèce. Les marchandi- ses de l'intimée n'ont certainement pas été mises en vente en dehors de ses propres établissements. De fait, la registraire a relevé ce fait particulier, mais a fait remarquer que l'état déclaratif des marchandises de l'intimée ne comportait aucune restriction à cet égard et qu'ainsi, rien ne l'empêchait d'utiliser la marque en dehors des magasins Sears.
Je dois cependant faire observer que le paragraphe 6(2) parle de probabilité de confusion, et que cette probabilité doit être déterminée non pas dans l'abs- trait, mais à la lumière des circonstances de l'espèce. Autrement, une application mécanique ou littérale de la règle signifierait un critère de possibilité de confu sion et non pas de probabilité de confusion.
Il y a bien entendu la possibilité que l'intimée cède l'utilisation de sa marque à quelqu'un d'autre pour des cakes et des chocolats. J'estime néanmoins que l'apparence distinctive de la marque de l'appelante éviterait quand même toute probabilité de confusion.
DÉCISION
J'ai examiné les motifs de la décision de la regis- traire et je tiens à répéter qu'elle les a invoqués avec soin. Si je dois être en désaccord avec elle, ce n'est pas au sujet de ses conclusions sur les faits au regard de chacun des motifs, mais au sujet de sa conclusion finale. À ce propos, on pourrait dire que son hésita- tion à se prononcer de façon catégorique sur la ques tion de la confusion tenait à ce qu'elle ne pouvait savoir, à la date de sa décision, que par son arrêt Park Avenue Furniture (supra), la Cour d'appel fédérale allait prolonger considérablement la date à retenir, c'est-à-dire la date à laquelle les faits sont figés, et que la marque «Meaty-Masterpiece» pour pâtées
pour chats allait être déclarée enregistrable. Si elle avait pu savoir, sa conclusion aurait pu être diffé- rente.
Quoi qu'il en soit, je préférerais pondérer l'impor- tance à accorder aux facteurs individuels prévus aux différents alinéas du paragraphe 6(5) de la Loi par la considération plus générale de toutes les circons- tances de l'espèce. En conclusion, on pourrait dire, pour appliquer un aphorisme bien connu, qu'en matière de confusion, la disposition générale du para- graphe 6(5) est plus grande que la somme de ses par ties.
En conséquence, je dois rendre une décision qui est plus favorable à l'appelante et conclure qu'elle s'est acquittée de la charge qui lui incombe de prouver l'absence de toute probabilité raisonnable de confu sion. L'appelante a le droit de faire enregistrer sa marque de commerce et le dessin y afférent.
L'appelante a aussi droit à ses dépens.
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