Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-524-92
Native Women's Association of Canada, Gail Stacey -Moore et Sharon Mclvor (appelantes)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
et
Le Conseil national des autochtones du Canada, le Ralliement national des Métis et la Inuit Tapirisat du Canada (intervenants)
RÉPERTORIÉ.' NATIVE WOMEN'S ASSN. OF CANADA C. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney et Stone, J.C.A. et juge suppléant Gray—Toronto, 11 juin; Ottawa, 20 août 1992.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fonda- mentales Appel du rejet d'une demande visant à interdire au gouvernement du Canada de verser toute autre somme aux organisations autochtones tant qu'il n'aura pas accordé à la Native Women's Association of Canada une somme égale et le droit égal de participer au processus de révision de la Consti tution Le gouvernement fédéral a alloué 10 millions de dol lars à des groupes autochtones, dont certains sont opposés à l'application de la Charte en matière d'autonomie gouverne- mentale autochtone et à l'égalité des sexes La NWAC repré- sente les femmes autochtones qui, vraisemblablement, perdront leurs droits si la position de l'Assemblée des premières nations (APN) prédomine La NWAC a reçu 5 % du montant versé aux intervenants et à l'APN La somme versée est si inégale qu'elle ne saurait prima facie respecter le droit de la NWAC à la liberté d'expression Atteinte à la liberté d'expression des femmes autochtones contrairement aux art. 2b) et 28 de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'éga- lité La menace de perdre le droit à l'égalité des femmes autochtones si des gouvernements autochtones autonomes non assujettis à la Charte sont créés ne constitue pas le déni actuel d'un droit garanti à l'art. 15 de la Charte En sollicitant et en, finançant la participation des organisations autochtones qui sont partisanes de l'autonomie autochtone à prédominance masculine au processus de révision de la Constitution, tout en excluant la participation de la Native Women's Association of Canada, le gouvernement canadien a accordé aux premières une priorité dans l'exercice d'une activité relevant de l'expres- sion, dont la liberté est garantie également aux personnes des deux sexes en vertu de l'art. 28.
Droit constitutionnel Conférences constitutionnelles Peuples autochtones Le droit des peuples autochtones de participer au processus de révision de la Constitution d'une
façon différente de celle des autres Canadiens découle des art. 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui portent sur les conférences constitutionnelles, et non de «droits exis- tants-ancestraux ou issus de traités» reconnus et confirmés à l'art. 35(1) La question du droit des femmes autochtones de participer, au même titre que les hommes autochtones, ne naît pas de l'art. 35(4).
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition Demande visant à interdire au gouvernement du Canada d'ac- corder toute autre somme permettant à certaines organisations autochtones de participer au processus de révision de la Cons titution tant qu'il n'aura pas accordé à la Native Women's Association of Canada une somme égale et la même possibilité de participer au processus Réparation inappropriée La preuve ne démontre pas qu'il faut nécessairement verser aux femmes autochtones la même somme pour qu'elles puissent jouir du même degré de liberté d'expression Les appelantes n'ont démontré aucun fondement à une réparation privant d'autres organisations autochtones de leur financement Mais le jugement déclaratoire porte que la liberté d'expression et le droit à l'égalité garanti à l'art. 28 ont été violés.
Compétence de la Cour fédérale Le gouvernement solli- cite et . finance la participation des partisans d'une position au processus de révision de la Constitution et exclut la participa tion de ceux qui s'y opposent Aucune preuve ne démontre que la décision d'accorder un . financement a été prise par nul autre qu'une source autorisée du gouvernement fédéral Il est vraisemblable qu'elle a été prise par un office fédéral Le versement de deniers doit être autorisé par une loi du Parle- ment La décision est assujettie à l'art. 28 Si l'invitation à se joindre au processus n'est pas autorisée par une loi ou un règlement, il doit s'agir de l'exercice de la prérogative royale La Loi exige que la demande de jugement déclaratoire rela- tivement à la décision d'un office fédéral se fasse conformé- ment à l'art. 18 La Cour n'interviendrait pas dans un pro- cessus législatif si elle accordait une réparation Le processus de modification de la Constitution n'avait pas pris naissance lorsque la violation de la Charte s'est produite L'argument du raz de marée ne devrait pas être accueilli lors- qu'un droit garanti par la Constitution a été violé Il n'existe une cause d'action que si on établit sur le plan constitutionnel un grief fondé sur le traitement préférentiel accordé à un autre par le gouvernement.
Il s'agit d'un appel formé contre le rejet d'une demande en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au gouvernement du Canada de verser toute autre somme à certaines organisations autochtones désignées tant qu'il n'aura pas versé une somme égale à la Native Women's Association of Canada (NWAC) et tant qu'il ne lui aura pas conféré le droit égal de participer au processus de révision de la Constitution, dont le droit de parti- ciper aux conférences des premiers ministres.
Le gouvernement fédéral a décidé qu'un processus parallèle à celui du comité parlementaire dont le mandat est d'examiner et de présenter des recommandations sur des propositions con- cernant un Canada renouvelé, et notamment la modification de la Consitution de manière consacrer un droit à l'autonomie gouvernementale autochtone, devrait être mis en oeuvre au sein
des peuples autochtones. En conséquence, il a alloué à cer- taines organisations autochtones désignées la somme de 10 000 000 $, une partie de laquelle était expressément affectée à l'étude des questions féminines. Les montants versés à la NWAC par l'Assemblée des premières nations (APN) et le Conseil national des autochtones du Canada (CNAC) à l'aide de leurs subventions et la subvention supplémentaire accordée par le Secrétariat d'État représentent environ 5 % de la somme versée à chacune des quatre organisations.
L'APN s'est activement opposée à la lutte des femmes autochtones pour mettre fin à l'inégalité des sexes consacrée dans la Loi sur les Indiens. Principalement en raison du rejet par l'APN de l'application de la Charte en matière d'autono- mie gouvernementale des autochtones, les appelantes ont com- mencé à craindre qu'une résolution constitutionnelle soit con- venue sans qu'elle prévoie l'application de la Charte en matière d'autonomie gouvernementale des autochtones. Elles s'inquiètent du financement par le gouvernement du Canada d'un point de vue qui, s'il prédomine, abrogera les droits des femmes autochtones garantis par la Charte. Les intervenants ne parlent pas au nom des femmes des premières nations dont les intérêts seront probablement lésés si la position de l'APN pré- domine; or, la NWAC représente ces femmes.
Les appelantes allèguent (1) la violation de leur droit à la liberté d'expression garanti à l'alinéa 2b) de la Charte, qui doit être interprété conjointement avec l'article 28 qui prévoit que les droits et libertés mentionnés dans la Charte sont garantis également aux personnes des deux sexes; (2) la violation des droits à l'égalité des deux femmes appelantes et des femmes représentées par la NWAC, garantis à l'article 15; et (3) la vio lation de leurs droits, contrairement à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, selon lequel les droits ancestraux ou issus de traités sont reconnus et confirmés, et garantis égale- ment aux personnes des deux sexes. L'intimée a soutenu que le processus de révision de la Constitution fait partie d'un proces- sus législatif dans lequel la Cour ne doit pas intervenir, et que la décision de solliciter et de financer la participation des orga nisations autochtones désignées n'émanait pas d'un «office fédéral», ce qui la soumettrait au contrôle de la Cour en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. La définition d'«office fédéral» a été modifiée le Ici février 1992 afin d'y inclure toute personne ou groupe de personnes exerçant des pouvoirs prévus par une ordonnance prise en vertu d'une pré- rogative royale. L'intimée a également invoqué l'argument du «raz de marée» si on devait conclure à une violation de l'alinéa 2b). Les questions en litige sont les suivantes: 1) le gouverne- ment du Canada a-t-il violé les droits constitutionnels des appelantes en versant des deniers aux organisations autoch- tones désignées et en permettant leur participation aux discus sions constitutionnelles, sans accorder à la NWAC une somme égale et sans lui offrir la même possibilité de participer? 2) Une action fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédé- rale peut-elle réparer cette violation? 3) La violation est-elle survenue au cours d'un processus législatif dans lequel la Cour ne devrait pas intervenir?
Appel: l'appel devrait être accueilli.
Si l'on se reporte aux normes de la société canadienne en général, il est dans l'intérêt des femmes autochtones, si jamais elles sont assujetties à l'autonomie gouvernementale des autochtones, de continuer à jouir de la protection accordée par la Charte et, en particulier, des droits et libertés qui leur sont garantis par les articles 15 et 28, ou par des dispositions équi- valentes également consacrées dans des chartes autochtones. Ces intérêts ne sont pas représentés à cet égard par l'APN, qui soutient un résultat contraire, ni par l'ambivalence du CNAC et de la ITC. En sollicitant et en finançant la participation de ces organismes au processus actuel de révision de la Constitution et en excluant la participation égale de la NWAC, le gouverne- ment canadien a accordé aux partisans de l'autonomie autoch- tone à prédominance masculine une voix privilégiée dans l'exercice d'une activité relevant de l'expression, dont la liberté est garantie à tous à l'alinéa 2b), et aussi bien aux femmes qu'aux hommes en vertu de l'article 28. Son geste a ainsi porté atteinte à la liberté d'expression des femmes autochtones, contrairement à l'alinéa 2b) et à l'article 28 de la Charte. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de financer également la NWAC pour respecter le droit à l'égalité prévu à l'article 28, la somme actuellement versée est si inégale qu'elle ne saurait prima facie respecter le droit de la NWAC à liberté d'expres- sion égale garantie par la Charte.
Le droit des peuples autochtones de participer au processus de révision de la Constitution d'une façon différente de celle des autres Canadiens découle des articles 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982, et non de «droits existants-ances- traux ou issus de traités», reconnus et confirmés par le para- graphe 35(1). En conséquence, le droit des femmes autoch- tones de participer, au même titre que les hommes autochtones, ne naît pas du paragraphe 35(4).
La menace de la perte de cette égalité, si des gouvernements autochtones autonomes, non visés par la Charte, sont créés, ne constitue pas elle-même le déni actuel d'un droit garanti à l'ar- ticle 15. Il s'agit d'une «conséquence purement hypothétique» qui ne permet pas à la Cour d'intervenir dans le processus actuel de révision de la Constitution. La loi ne confère à per- sonne le droit d'être présent à la table des conférences constitu- tionnelles ni le droit à un financement public en vue d'élaborer et de communiquer une position constitutionnelle.
Il est possible d'intenter une action fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour réparer la violation des droits des appelantes. Aucune preuve n'a démontré que la décision d'inviter les organisations autochtones désignées à entrepren- dre un processus parallèle à celui du comité parlementaire a été prise par nul autre qu'une source autorisée du gouvernement fédéral, et il n'est guère vraisemblable, sinon légalement impossible, que la décision de verser des deniers publics ait été prise par une autre entité qu'un office fédéral. Le versement des deniers doit avoir été autorisé par une loi du Parlement. Si l'invitation à se joindre au processus n'a pas été autorisée par une loi ou un règlement, il doit s'agir de l'exercice de la préro- gative royale. Finalement, la Loi exige que la demande de jugement déclaratoire relativement à la décision d'un office fédéral se fasse conformément à l'article 18.
La Cour n'interviendrait pas dans un processus législatif si elle accordait aux appelantes la réparation appropriée. La juris prudence a établi que le processus législatif visant à modifier la Constitution débute dès que les premiers ministres sont con- voqués à une conférence en vue d'adopter une résolution cons- titutionnelle qu'ils soumettront à leur législature. Par consé- quent, le processus de modification n'avait pas pris naissance lorsque la violation de la Charte s'est produite. Il a également été établi que la rédaction d'une résolution constitutionnelle fait partie du processus législatif de modification dans lequel les tribunaux n'interviendront que si des droits garantis par la Charte ont été violés. La publication des propositions, leur exa- men par le public par l'entremise d'un comité parlementaire et la mise sur pied d'un processus parallèle au sein des peuples autochtones font partie intégrante de l'élaboration d'une poli- tique plutôt que de sa mise en oeuvre.
La décision de financer sera prise en fonction du manque d'argent, pour permettre à un groupe d'intérêt par ailleurs désavantagé et particulièrement intéressé de s'exprimer de manière efficace et informée. La décision équitable de financer un groupe de préférence à un autre devrait se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. L'argument du raz de marée est un argument de commodité administrative qui ne doit pas être accueilli lorsqu'on a établi la violation d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution. Seul celui qui pourra établir sur le plan constitutionnel son grief fondé sur le traitement pré- férentiel accordé à un autre par le gouvernement, pourra obte- nir le concours des tribunaux.
La prohibition n'est pas la réparation appropriée. La preuve ne permet pas au tribunal de conclure qu'il faut nécessairement verser aux femmes autochtones une somme égale pour qu'elles puissent jouir du même degré de liberté d'expression garanti à l'article 28 de la Charte. La question du montant approprié du financement devrait être tranchée par l'exécutif, conscient du besoin de respecter cette égalité. En outre, les appelantes n'ont démontré aucun fondement à une réparation privant les organi sations autochtones désignées de leur financement. Enfin, le processus de révision de la Constitution se situe maintenant au- delà de la consultation. Le tribunal peut déclarer, et déclarerait, que le gouvernement fédéral a porté atteinte à la liberté d'ex- pression des femmes autochtones de façon incompatible avec l'alinéa 2b) et l'article 28 de la Charte en incluant une organi sation telle que I'APN, dont les intérêts sont indiscutablement opposés à ceux des femmes autochtones selon les normes de la société canadienne en général, tout en excluant la NWAC, une organisation qui défend leurs intérêts, dans un processus de révision de la Constitution visant à l'aider à choisir le contenu d'une résolution constitutionnelle devant être présentée au Par- lement, et qui affecte les droits des autochtones.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Lui de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 1l (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. I, 2b), 15, 28.
Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de /982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35(1), (4) (édicté par la Pro clamation de 1983 modifiant la Constitution, TR/84- 102, annexe, art. 2) [L.R.C. (1985), appendice II, no 46], 37, 37.1 (mod., idem, art. 4).
Loi de crédits 3, 1991-1992, L.C. 1991, ch. 53.
Loi de crédits 4, 1991-1992, L.C. 1992, ch. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod. idem, art. 4).
Loi sur le processus de détermination de l'avenir poli- tique et constitutionnel du Québec, L.Q. 1991, ch. 34. Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), eh. I-5, art. 12(1)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 1 Admin. L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Penikett v. Canada (1987), 45 D.L.R. (4th) 108; [1988] 2 W.W.R. 481; 21 B.C.L.R. (2d) 1; [1988] N.W.T.R. 18; 2 Y.R. 314 (C.A.T.Y.); autorisation d'appeler refusée [1988] 1 R.C.S. xii; (1988), 46 D.L.R. (4th) vi; 27 B.C.L.R. (2d) xxxv; 3 Y.R. 159.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326; (1989), 103 A.R. 321; 64 D.L.R. (4th) 577; [1990] 1 W.W.R. 577; 71 Alta. L.R. (2d) 273; 45 C.R.R. 1; 102 N.R. 321; Re: A Complaint by Gene Keyes against Pandora Publishing Association, décision en date du 17 mars 1992, Tribunal des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, encore inédite.
DÉCISIONS CITÉES:
Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1988] 2 C.F 552; (1988), 52 D.L.R. (4th) 681; 31 Admin. L.R. 123; 22 F.T.R. 80; 87 N.R. 389 (C.A.); Ope ration Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110; Schachter c. Canada, Doc. 21889, jugement en date du 9-7-92, C.S.C., encore inédit; Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DOCTRINE
Canada. Bâtir ensemble l'avenir du Canada—Proposi- tions, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1991.
APPEL du rejet ([1992] 2 C.F. 462 (ire inst.)) d'une demande en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au gouvernement du Canada de verser toute autre somme à certaines organisations autoch- tones tant qu'il n'aura pas versé une somme égale à la NWAC et tant qu'il ne lui aura pas conféré le droit égal de participer au processus de révision de la Constitution. Appel accueilli.
AVOCATS:
Mary Eberts pour les appelantes.
Graham Garton, c.r., pour l'intimée.
John D. Richard, c.r., pour l'intervenant le Ral-
liement national des Métis.
Dougald E. Brown pour l'intervenante la Inuit
Tapirisat du Canada.
Martin W. Mason pour l'intervenant le Conseil
national des autochtones du Canada.
PROCUREURS:
Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto, pour les appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timée.
Lang, Michener, Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour l'intervenant le Ralliement natio nal des Métis.
Nelligan/Power, Ottawa, pour l'intervenante la Inuit Tapirisat du Canada.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l'intervenant le Conseil national des autochtones du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit d'un appel formé contre le rejet [[1992] 2 C.F. 462 (l r e inst.)], avec dépens s'ils sont demandés, de la requête des appelantes en vue d'obtenir une ordonnance interdi- sant au gouvernement du Canada de verser toute autre somme à l'Assemblée des premières nations, au Conseil national des autochtones du Canada, au Ral- liement national des Métis et à la Inuit Tapirisat du Canada, ci-après appelées collectivement «organisa-
tions autochtones désignées», (1) tant qu'il n'aura pas versé une somme égale à l'appelante, la Native Women's Association of Canada, ci-après appelée «NWAC», et (2) tant qu'il n'aura pas conféré à la NWAC le droit égal à celui des mêmes organisations de participer au processus de révision de la Constitu tion, dont le droit de participer aux conférences des premiers ministres afin de discuter du renouvelle- ment de la Constitution. Je retiens de leur argument que les appelantes sont avant tout intéressées à parti- ciper à ce processus; leur intérêt dans le financement vise à rendre cette participation aussi bien informée et efficace que celle des organisations autochtones désignées.
Les appelantes
Les appelantes Gail Stacey -Moore et Sharon McI- vor sont respectivement une Mohawk de Kahnawake (Québec) et un membre de la Bande indienne de Lower Nicola de la Colombie-Britannique. Elles sont toutes deux membres de la direction de la NWAC. Il ressort de la preuve abondante, qu'il n'est pas néces- saire de revoir, qu'elles, individuellement, et les femmes autochtones, comme groupe, sont double- ment désavantagées au sein de la société canadienne en raison de leur origine ethnique et de leur sexe, et dans certaines sociétés autochtones en raison de leur sexe. Selon la preuve non contredite, elles sont égale- ment sérieusement lésées en raison de leur sexe parmi les membres de la société autochtone qui rési- dent ou réclament le droit de résider sur des réserves indiennes.
Organisation à but non lucratif, la NWAC a été constituée en 1974. Son conseil d'administration est formé de membres provenant de toutes les provinces et des territoires. La preuve démontre qu'il s'agit d'une organisation populaire, fondée et dirigée par les femmes autochtones, soit métis soit indiennes ins- crites ou non inscrites. Si rien n'indique que les femmes Inuit ne sont pas les bienvenues, la preuve ne fait pas état de leur participation. La NWAC a notam- ment pour objectif de représenter les femmes autoch- tones sur le plan national afin de faire progresser les questions et les préoccupations qui les touchent et de soutenir et promouvoir des objectifs communs visant à l'autodétermination des autochtones. Le dossier
regorge d'éléments de preuve démontrant les efforts déployés par la NWAC pour atteindre ces objectifs, dont la publication de rapports et d'exposés de prin- cipes et des comparutions lors d'enquêtes judiciaires et devant les comités parlementaires. La NWAC est un porte-parole national sérieux, établi et reconnu, agissant au nom des femmes autochtones et pour elles.
Le processus actuel de révision de la Constitution
En juin 1991, la Législature du Québec a adopté une loi prévoyant la tenue, par le gouvernement pro vincial, d'un referendum sur la souveraineté du Qué- bec entre le 8 et le 22 juin ou entre le 12 et le 26 octobre 1992 1 . Peu avant l'entrée en vigueur de la Loi, le gouvernement canadien a mis sur pied un comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes [TRADUCTION] «dont le mandat est d'exa- miner et de présenter des recommandations au Parle- ment sur ... des propositions concernant un Canada renouvelé, contenues dans les documents que le gou- vernement consultera». Au nombre de ses 28 propo sitions, figurait celle-ci:
Le gouvernement du Canada propose de modifier la Consti tution de manière n consacrer un droit à l'autonomie gouver- nementale autochtone invocable devant les tribunaux afin de reconnaître l'autorité des autochtones sur leurs propres affaires au sein de la fédération canadienne ... [C]e droit ... serait exercé dans le cadre constitutionnel canadien et assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés 2 .
Pendant que le comité parlementaire vaquait à sa tâche, le gouvernement fédéral paraît avoir décidé ou convenu qu'un processus parallèle devrait être mis en oeuvre au sein des peuples autochtones. En consé- quence, il a accordé un financement aux organisa tions autochtones désignées. Celles-ci avaient parti- cipé aux conférences constitutionnelles convoquées en 1983, 1984, 1985 et 1987 conformément aux articles 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] (mod. par Proclamation de 1983 modifiant la Constitution,
I [Loi sur le processus de détermination de l'avenir politique et constitutionnel du Québec] L.Q. 1991, ch. 34.
2 Bâtir ensemble l'avenir du Canada—Propositions, à la p. 8 D.A. 11I, à la p. 414.
TR/84-102, annexe, art. 4) [L.R.C. (1985) appendice II, 46]] 3 , lesquels exigeaient expressément qu'à l'ordre du jour figurent des «questions constitution- nelles qui intéressent directement les peuples autoch- tones du Canada» et que «le premier ministre du Canada invite leurs représentants à participer aux tra- vaux relatifs à ces questions».
Tous savent que le processus se situe désormais au-delà de l'étape du comité parlementaire. Lorsque le présent appel a été entendu, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux, à l'exception de ceux du Québec, mais avec la participation des organisations autochtones désignées, à certaines, à tout le moins, des réunions, prenaient part à la conception d'une proposition constitutionnelle devant être présentée au Québec. Le processus est depuis parvenu à, l'étape des réunions fermées des premiers ministres, dont celui du Québec, qui excluent toutefois les représen- tants des territoires et des peuples autochtones.
Les accords de contribution
Quelque 10 000 000 $ auraient été alloués aux organisations autochtones désignées. Une partie des deniers versés a expressément été affectée à l'étude des questions féminines. L'Assemblée des premières nations et le Conseil national des autochtones du Canada ont chacun alloué 130 000 $ de leur subven- tion à la NWAC, et une subvention supplémentaire accordée par le Secrétariat d'État a porté la somme totale versée à la NWAC à environ 5 % de celle ver sée à chacune des quatre organisations en vertu des accords de contribution.
Les accords de contribution n'ont pas été produits en preuve. Ils ont été conclus en application du Pro gramme de révision des affaires constitutionnelles des autochtones du Secrétariat d'État. L'autorisation parlementaire en matière de dépenses se trouve appa- remment aux postes destinés à ce ministère dans les Lois de crédits n 0 3 et 4 pour 1991-1992 4 . L'affec- tation des sommes ne semble avoir été précisée dans aucune Loi du Parlement ni aucun règlement.
3 Dans ce cas, ces articles exigeaient que des conférences constitutionnelles, réunissant les premiers ministres, soient tenues dans un délai d'un, trois et cinq ans à compter du 17 avril 1982.
4 Loi de crédits n" 3 pour 1991-1992, L.C. 1991, ch. 53 et Loi de crédits n" 4 pour /99/-/992, L.C. 1992, ch. 7.
Les préoccuptations des appelantes
Au cours du processus, établi parallèlement aux travaux du comité parlementaire et incluant des dis cussions que les organisations autochtones désignées avaient entre elles aussi bien qu'avec le gouverne- ment fédéral, les appelantes ont commencé à craindre qu'une résolution constitutionnelle soit convenue sans qu'elle ne prévoie l'application de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] en matière d'autonomie gouvernementale des autoch- tones. La NWAC a réclamé une participation et un financement égaux. Le gouvernement fédéral a alors exprimé le souhait que les préoccupations des femmes autochtones soient examinées au sein de la collectivité autochtone elle-même et que, à cette fin, les accords de contribution avaient exigé des organi sations autochtones désignées qu'elles consacrent une partie de leurs subventions aux questions féminines.
Dans son affidavit, Mme Stacey -Moore expose avec éloquence le fondement des préoccupations de la NWAC et des femmes autochtones.
[TRADUCTION] 86. L'exclusion de la NWAC de tout finance- ment direct en matière constitutionnelle et de toute participa tion directe dans les discussions sur la Constitution constitue une menace sérieuse à l'égalité des femmes autochtones. L'[Assemblé des premières nations], en particulier, est forte- ment d'avis que la Charte canadienne des droits et libertés ne devrait pas s'appliquer en matière d'autonomie gouvernemen- tale des autochtones. Sans la Charte, les femmes autochtones seront sans défense contre les actes discriminatoires des Con- seils de bande, ou de toute autre forme de gouvernement auto- nome à être établi. Il en serait ainsi puisque la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas à la Loi sur les indiens, ni d'ailleurs les codes provinciaux relatifs aux droits de la personne, pour des motifs de compétence. Bien que l'APN ait exprimé le désir d'établir une Charte autochtone des droits, Ovide Mercredi, le grand chef, a récemment avisé la NWAC que I'APN n'avait rien fait dans ce sens, et la NWAC devrait élaborer une Charte si nous désirons obtenir un résultat bientôt.
87. Même si une Charte autochtone des droits modèle était conçue, la position des femmes au sein des collectivités autochtones ne serait pas nécessairement protégée. L'accepta- tion de cette Charte par chaque entité autonome, et le maintien de méthodes d'exécution efficaces et bien financées représen- tent de sérieux défis pour les femmes qui souhaitent pouvoir compter sur un tel texte.
88. Comme je l'ai mentionné dans mon allocution aux chefs en assemblée, pièce «W»,
L'Assemblée des premières nations propose un Code autochtone des droits de la personne qui, selon elle, sera plus avantageux que la Charte des droits et libertés. Ce code modèle de l'APN sera-t-il consacré dans la Constitution canadienne? Il est probable qu'il ne le soit pas. Pourquoi? Parce que les chefs de l'Assemblée des premières nations ont déjà exprimé leur désir qu'aucun code ne soit imposé à leurs gouvernements. Les Premières nations ne veulent d'au- cun code des droits de la personne, fédéral ou autochtone, imposé par des tiers. Il s'ensuit que chaque femme au sein de chaque collectivité doit y lutter quotidiennement, isolée des organisations féminines autochtones, pour qu'un code des droits de la personne modèle soit conçu au sein de sa collectivité. Jusqu'à ce que ce code appartenant à la collecti- vité soit en place, les droits des femmes et des enfants ne sont pas garantis.
89. Si ceux qui préconisent la non-application de la Charte canadienne en matière d'autonomie gouvernementale des autochtones l'emportent, les femmes autochtones n'auront aucune protection en vertu d'aucun texte garantissant leurs droits fondamentaux de la personne et ceux à l'égalité. En pareilles circonstances, nous ne serons pas les partenaires égales des hommes autochtones dans la conception d'une posi tion autochtone à l'égard de l'autonomie gouvernementale: leur domination historique sera tout simplement répétée dans ce nouveau cadre.
90. Les femmes autochtones sont à un tournant. Le gouverne- ment du Canada finance un point de vue qui, s'il prédomine, abrogera les droits des femmes autochtones garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Il en a fait le point de vue officiel «représentatif», en négligeant le fait qu'il s'agit du point de vue d'organisations dominées par les hommes qui, dans leur propre collectivité, n'ont pas, autant que les femmes, besoin des garanties à l'égalité accordées par la Charte. A titre de femme autochtone, je prévois que le prix de l'autonomie gouvernementale des autochtones sera la perte des mes droits existants à l'égalité.
91. La raison pour laquelle les femmes craignent l'absence de protection de leurs droits au sein de la collectivité autochtone est évidente. Comme je l'ai dit dans mon allocution aux chefs, pièce «W»,
Pourquoi sommes-nous si inquiètes en tant que femmes? Nous n'avons jamais parlé d'autonomie gouvernementale dans nos collectivités. Il y a tant à apprendre. Nous vivons dans un chaos. Nos enfants sont victimes d'un taux propor- tionnellement élevé d'agressions sexuelles et d'inceste. La violence faite aux femmes, les viols en bande, l'abus de drogues et d'alcool et toutes sortes de perversions imagi- nables ont été introduits dans nos vies quotidiennes. La mise sur pied de programmes, de services et de politiques visant à faire face à la violence familiale a été confiée aux hommes. En est-il résulté une diminution de cette forme de violence? La femme et l'enfant sont-ils en sécurité dans leur propre
maison, au sein d'une collectivité autochtone? Les statis- tiques démontrent qu'il n'en est rien ...
92. La NWAC désire obtenir une chance égale d'influer sur le débat public et de protéger la destinée de ses membres et des autres femmes autochtones du Canada. Elle croit qu'une col- lectivité ne peut être forte si plus de la moitié de celle-ci demeure sans droits et sans voix. Elle croit que le gouverne- ment du Canada ne devrait pas financer la défense d'une posi tion qui cherche à priver les femmes autochtones du Canada de la protection constitutionnelle fondamentale.
Mme Mclvor atteste avoir lu cet affidavit et être en parfait accord avec le témoignage de Mme Stacey- Moore.
Les intervenants
Constitué en 1972, le Conseil national des autoch- tones du Canada, ci-après «CNAC», est une organi sation nationale qui cherche à promouvoir les droits et les intérêts des Métis, des Indiens non inscrits, et des Indiens inscrits qui vivent hors des réserves au Canada. Il nie être une organisation masculine ou dominée par les hommes. Il est formé d'organisations provinciales et territoriales qui envoient toutes des délégués à une réunion annuelle au cours de laquelle sont élus un président et un vice-président qui, avec le président de chaque organisation composante, for- ment la direction. Si les président et vice-président sont présentement des hommes, celui qui a négocié l'accord de contribution était, en fait, une femme. Les présidents de ses composantes de l'Alberta, du Yukon et du Labrador sont présentement des femmes, de même que la majorité des membres du conseil d'ad- ministration de sa composante affiliée de la Colom- bie-Britannique. Outre l'attribution de 130 000 $, le Conseil a assigné à la NWAC quatre de ses sièges lors de la Conférence autochtone sur la Constitution tenue du 13 au 15 mars 1992 afin de lui permettre d'y être représentées. Il s'est activement opposé à la dis crimination fondée sur le sexe née de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5]. Quant à la Charte, selon le CNAC, elle devrait s'appliquer aux «gouver- nements visés par la Loi sur les Indiens», mais lors- que l'autonomie gouvernementale sera acquise, son application devrait être laissée au gré de chaque «nation». Le dossier suggère que certaines «nations» ayant, nonobstant la Charte, persisté à bannir les
5 Le gouvernement du Canada a également assigné quatre de ses sièges à la NWAC de sorte que des 184 délégués à la table, 8 représentaient la NWAC.
Indiennes non mariées à des Indiens, et non l'inverse, choisiront encore la domination masculine.
Selon le CNAC, le juge de première instance a eu raison de conclure que les appelantes n'avaient établi aucune violation prima facie de leurs droits garantis par la Charte.
Le Ralliement national des Métis, ci-après le «RNM», est une fédération d'organisations de l'On- tario, des provinces de l'Ouest et des Territoires du Nord-Ouest. Selon lui, la NWAC ne représente pas les femmes métis; 130 000 $ de sa subvention visaient à permettre à ces dernières de voir à leurs propres préoccupations. Bien que les femmes métis ne forment aucunement la moitié des membres de la direction de ses organisations composantes, la preuve démontre qu'au cours des années, elles en ont formé une partie importante. Le RNM appuie la proclama tion du paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 [édicté par la Proclamation de 1983 modi- fiant la Constitution, TR/84-102, annexe, art. 2 [L.R.C. (1985), appendice II, 46]] et l'application de la Charte, notamment et particulièrement l'article 15, en matière d'autonomie gouvernementale des autochtones. En outre, il propose une Charte métis.
De même, selon le RNM, le juge de première ins tance n'a commis aucune erreur en concluant que la preuve ne démontrait la violation d'aucun droit garanti par la Charte et que, quoiqu'il en soit, on n'avait établi aucun fondement à une réparation le privant de son financement.
La Inuit Tapirisat du Canada, ci-après «ITC», est une organisation nationale représentant les Inuits des Territoires du Nord-Ouest, du Québec et du Labra- dor. Elle aussi nie que la NWAC représente les femmes Inuits. Les intérêts particuliers de ces der- nières sont représentés par une organisation natio- nale, la Pauktuutit, qui vise à promouvoir l'égalité des femmes Inuits au sein des institutions gouverne- mentales et de la société canadienne. La présidente de la Pauktuutit est membre du conseil d'administration de la ITC, dont les postes de président et de secré- taire-trésorier sont actuellement occupés par des femmes. Les préoccupations des Inuits en matière constitutionnelle sont confiées à un comité de la ITC, dont trois des sept membres, dont la présidente de la Pauktuutit, sont présentement des femmes. Le per-
sonnel et les experts-conseils de la Pauktuutit pren- nent part aux groupes de travail techniques qui entou- rent le comité. La Pauktuutit ne réclame pas un financement distinct du gouvernement du Canada; elle partage le financement alloué à la ITC. Celle-ci s'est déclarée disposée à considérer l'application de la Charte à toute entente relative à un gouvernement Inuit autonome que pourraient négocier les Inuits et le gouvernement du Canada.
La ITC nie être une organisation dominée par les hommes et elle soutient que sa participation au pro- cessus de révision de la Constitution et son finance- ment à cette fin ne violent aucun droit garanti par la Charte aux appelantes.
L'Assemblée des premières nations
L'Assemblée des premières nations, ci-après «APN», n'est pas intervenue en l'espèce. A l'excep- tion de ce que les appelantes ont déposé, rien dans la preuve ne s'y rapporte. L'APN est une association nationale de chefs indiens. Son électorat principal, sinon le seul, paraît être formé des Indiens inscrits résidant dans les réserves. Soixante des 633 chefs membres de l'APN sont des femmes. L'APN, comme son prédécesseur, la Fraternité des Indiens du Canada, s'est vigoureusement et sans cesse opposé à la lutte des femmes autochtones pour mettre fin à l'inégalité des sexes historiquement consacrée dans la Loi sur les Indiens, et elle est intervenue lors de pro- cédures parlementaires et légales afin de contrer ces efforts. Elle s'est opposée à l'abrogation de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens 6 lors de l'entrée en vigueur du paragraphe 15(1) de la Charte et à la pro clamation de la modification de la Loi constitution- nelle de 1982 qui a ajouté le paragraphe 35(4).
Comme le juge de première instance l'a conclu et comme la lecture des affidavits de Mme Stacey - Moore et de Mme Mclvor le révèlent clairement, les appelantes craignent surtout la position de l'APN. Les intervenants ne parlent pas au nom des femmes des premières nations dont les intérêts, à tout le
6 12. (1) Les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être inscrites [comme Indien]:
b) une femme qui a épousé un non-Indien, sauf si cette femme devient subséquemment l'épouse ou la veuve d'une personne décrite à l'article I I.
moins comparativement aux normes de la société canadienne en général, sont non seulement vraisem- blablement mal représentés par I'APN, mais seront probablement lésés si la position de l'APN prédo- mine; or, la NWAC représente ces femmes. La preuve montre clairement que l'APN néglige leurs préoccupations. Elle rejette catégoriquement l'impo- sition de la Charte en matière d'autonomie gouverne- mentale des autochtones et promet plutôt une Charte autochtone qui ne peut à ce jour être qualifiée d'im- parfaite.
La question en litige
La première question est la suivante: le gouverne- ment du Canada a-t-il violé un droit constitutionnel de la NWAC ou des femmes qu'elle représente en versant des deniers à l'ensemble ou à l'une quel- conque des organisations autochtones désignées et en permettant leur participation aux discussions consti- tutionnelles, sans accorder à la NWAC une somme égale et sans lui offrir la même possibilité de partici- per? Les appelantes allèguent premièrement la viola tion de leur droit à la liberté d'expression garanti à l'alinéa 2b) de la Charte qui, soulignent-elles, doit être interprété conjointement avec l'article 28; deuxièmement, elles allèguent la violation des droits à l'égalité des deux femmes appelantes et des femmes représentées par la NWAC garantis à l'article 15 de la Charte et enfin, la violation de leurs droits, contrairement à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expres- sion, ...
28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
35. (1) Les droits existants ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada sont reconnus et con firmés.
(4) Indépendamment de toute autre disposition de la pré- sente loi, les droits ancestraux ou issus de traités visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.
Si l'on conclut à la violation d'un droit constitution- nel des appelantes, la deuxième question est de savoir si une action fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale 7 peut réparer cette violation et, dans l'affirmative, si la violation est survenue au cours d'un processus législatif dans lequel la Cour ne devrait toutefois pas intervenir.
Article 35 Droits existants ancestraux ou issus de traités
Le présent appel porte sur la participation de la NWAC au processus actuel de révision de la Consti tution. Le droit particulier des peuples autochtones d'y participer d'une façon différente de celle des autres Canadiens découle des articles 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982, et non de «droits exis- tants ancestraux ou issus de traités», reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1). En conséquence, le droit des femmes autochtones de participer, au même titre que les hommes autochtones, ne naît pas du paragraphe 35(4). La demande reposant sur cette disposition est sans fondement.
Article 15 Droits à l'égalité
Le droit garanti à l'article 15 de la Charte, selon lequel la loi ne fait acception de personne et s'ap- plique également à tous, et selon lequel tous ont droit au même bénéfice de la loi, est garanti aux individus et non aux groupes. Les deux femmes appelantes craignent de perdre cette égalité si des gouverne- ments autochtones autonomes, non visés par la Charte, sont créés. Je conviens que la plupart, sinon tous les membres de la NWAC, partagent très proba- blement cette crainte. La plupart devraient le faire, si encore une fois on applique les normes de la société canadienne en général. La menace, toutefois, ne constitue pas elle-même le déni actuel d'un droit garanti à l'article 15. Si jamais le résultat redouté se concrétisait, ce serait au moyen d'une modification
7 L.R.C. (1985), ch. F-7, mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4.
constitutionnelle à laquelle le gouvernement fédéral, le Parlement et le nombre requis de gouvernements provinciaux et de Législatures auraient pris part. On ne peut prédire le résultat d'un tel processus législatif futur 8 . Une «conséquence purement hypothétique» ne permet pas à la Cour d'intervenir dans le processus actuel de révision de la Constitution 9 .
La présumée violation à l'article 15 en l'espèce est ainsi décrite dans l'exposé modifié des appelantes.
[TRADUCTION] 134. Selon l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Constitution est la loi fondamentale du Canada. Si les femmes ne prennent aucune part dans la conception de la Constitution même de leur société, on ne peut dire que la loi ne fait acception de personne et s'applique également 'a tous et que tous ont droit au même bénéfice de la loi. Les femmes ont été exclues du processus constitutionnel de 1864 et de 1867 parce qu'elles n'avaient ni le droit de vote ni le droit d'occuper des postes au gouvernement. Même après avoir accordé nomi- nalement ces droits aux femmes, on ne leur a laissé que peu de place dans le processus de l'établissement de la Constitution. Les collectivités autochtones sont au tournant de leur histoire, au moment seront prises des décisions dont les répercus- sions sur la nature et la forme du gouvernement autochtone se feront sentir pendant les décennies à venir. Exclure les femmes autochtones en 1992 de l'établissement des institutions gouver- nementales comme on a exclu les femmes en 1864, ce serait fondamentalement leur refuser l'égalité.
Aussi valable que cet argument puisse être, il ne reflète simplement pas une violation d'un droit garanti à l'article 15.
La loi ne confère à personne le droit d'être présent à la table des conférences constitutionnelles ni le droit à un financement public en vue d'élaborer et de communiquer une position constitutionnelle. Si les articles 37 et 37.1 ne sont pas épuisés, la loi peut encore accorder aux représentants des peuples autochtones du Canada le droit limité d'être présents. On ne peut dire qu'en raison des sommes versées aux organisations autochtones désignées en vue de per- mettre leur participation au processus actuel de révi- sion de la Constitution, la loi fait acception de cer- taines femmes, autochtones ou autres, qu'elle ne s'applique pas également à tous et que tous n'ont pas droit au même bénéfice de la loi.
R Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1988] 2 C.F. 552 (C.A.).
9 Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441.
Alinéa 2b) et article 28 Liberté d'expression
Il est inutile d'examiner toute la jurisprudence exposant le rôle primordial de la liberté d'expression dans une société libre et démocratique. Elle est regroupée dans l'exposé suivant du juge Cory dans l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur gené- ral) 10 :
Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d'expression dans une société démo- cratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expres- sion libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insis- ter sur l'importance primordiale de cette notion.
En l'espèce, le juge de première instance a conclu ceci [aux pages 479 et 480]:
Compte tenu des faits, il est évident que la Native Women's Association of Canada a eu et continuera à avoir de nombreu- ses occasions de faire connaître son point de vue, tant aux autorités politiques compétentes qu'au public, et même aux groupes qui participeront à la conférence, dont certains du moins partagent la préoccupation de cette association en ce qui concerne le maintien de l'application de la Charte aux peuples autochtones. Sans aucun doute, plus on mettra d'argent à la disposition de ce groupe, plus il élèvera la voix, mais on ne peut certainement pas dire qu'il est privé de la liberté de parole en violation de la Charte.
Quant à la discrimination fondée sur le sexe, la [NWAC] a reçu des sommes minimes non parce qu'elle est composée de femmes, mais parce que le gouvernement ne veut pas recon- naître qu'elle devrait être considérée comme un groupe distinct des quatre groupes désignés au sein de la collectivité autoch- tone et qu'elle devrait être traitée en conséquence. La question de savoir si cela va à l'encontre de la justice naturelle sera exa minée en même temps qu'un autre argument lié à l'ordonnance de prohibition, mais la chose ne constitue pas en soi de la dis crimination fondée sur le sexe en violation de la Charte.
Selon les appelantes, il a mal compris leur argument relatif à la liberté d'expression, et il a commis une erreur en tenant compte du seul objectif ou objet de l'action gouvernementale, négligeant son effet. Elles soulignent les limites imposées aux dépenses lors d'élections fédérales pour démontrer que le gouver- nement reconnaît que le financement inégal des opi nions politiques permet aux idées de certains de s'im- poser à l'attention du public aux dépens des autres.
Io [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1336.
Dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général)", le juge Dickson, juge en chef du Canada, a dit, au nom de la majorité:
Même si le but poursuivi par le gouvernement n'était pas de contrôler ou restreindre la transmission d'une signification, la Cour doit encore décider si l'action du gouvernement a eu pour effet de restreindre la liberté d'expression de la demanderesse. À cette étape-ci, il appartient à la demanderesse d'établir que cet effet s'est produit. Pour ce faire, elle doit formuler sa thèse en tenant compte des principes et des valeurs qui sous-tendent la liberté garantie.
... [Ces principes et valeurs] peuvent se résumer ainsi: (1) la recherche de la vérité est une activité qui est bonne en soi; (2) la participation à la prise de décisions d'intérêt social et politique doit être encouragée et favorisée; et (3) la diversité des formes d'enrichissement et d'épanouissement personnels doit être encouragée dans une société qui est essentiellement tolérante, même accueillante, non seulement à l'égard de ceux qui transmettent un message, mais aussi à l'égard de ceux à qui il est destiné. Pour démontrer que l'action du gouvernement a eu pour effet de restreindre sa liberté d'expression, la deman- deresse doit établir que son activité favorise au moins un de ces principes ... [L]a demanderesse doit au moins décrire le message transmis et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l'enrichissement et l'épanouissement personnels.
Faire connaître ses opinions en matière constitution- nelle au public et aux gouvernements est incontesta- blement une activité relevant de l'expression, proté- gée à l'alinéa 2b).
Les appelantes soutiennent qu'en finançant et, par le fait même, en appuyant cette activité des organisa tions autochtones dominées par les hommes, le gou- vernement canadien a accru leur capacité de commu- niquer leurs positions défavorables à la Charte au point d'exclure à toutes fins pratiques la position con- traire défendue par la NWAC. Le geste du gouverne- ment a donné aux organisations dominées par les hommes une capacité de communiquer avec effica- cité qui a été niée aux femmes autochtones, et il a ainsi porté atteinte à la garantie de l'article 28 en vertu de laquelle la liberté d'expression comprend également la liberté des hommes et des femmes. Elles adoptent un passage d'une décision récente d'un tri bunal des droits de la personne de la Nouvelle- Écosse 1 2 :
[ 1989] I R.C.S. 927, aux pp. 976 et 977.
12 Re: A Complaint by Gene Keyes against Pandora Publis hing Association. Décision rendue le 17 mars 1992, encore iné- dite à la p. 40.
[TRADUCTION] ... [L]es femmes ne peuvent acquérir ni pouvoir ni voix si on leur parle, si on parle en leur nom et particulière- ment si on parle d'elles. C'est en étant écoutées que les femmes acquièrent un pouvoir.
À mon avis, il ne s'agit pas de savoir si les organi sations autochtones désignées sont dominées par les hommes, mais si elles soutiennent l'autonomie gou- vernementale des autochtones dominée par les hommes. Je ne crois pas qu'une organisation compo sée surtout d'hommes soit, en fait, nécessairement incapable de défendre l'égalité des sexes au nom de ses membres féminins, et je ne crois pas que l'effet de l'article 28 sur l'alinéa 2b) prescrive une telle con clusion constitutionnelle.
Si l'on se reporte aux normes de la société cana- dienne en général, il est dans l'intérêt des femmes autochtones, si jamais elles sont assujetties à l'auto- nomie gouvernementale des autochtones, de conti- nuer à jouir de la protection accordée par la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, des droits et libertés qui leur sont garantis par les articles 15 et 28, ou par des dispositions équivalentes égale- ment consacrées dans des chartes autochtones, si cela est légalement possible. Il n'est aucunement certain que cette dernière possibilité puisse être ou soit réali- sée. Les intérêts des femmes autochtones, mesurés à la seule aune que cette Cour puisse reconnaître en l'absence de preuve contraire, soit celle de la société canadienne en général, ne sont pas représentés à cet égard par l'APN, qui soutient un résultat contraire, ni par l'ambivalence du CNAC et de la ITC.
À mon avis, en sollicitant et en finançant la partici pation de ces organismes au processus actuel de révi- sion de la Constitution et en excluant la participation égale de la NWAC, le gouvernement canadien a accordé aux partisans de l'autonomie autochtone à prédominance masculine une voix privilégiée alors que la liberté d'expression est garantie à tous à l'ali- néa 2b), et aussi bien aux femmes qu'aux hommes en vertu de l'article 28. Son geste a ainsi porté atteinte à la liberté d'expression des femmes autochtones, con- trairement à l'alinéa 2b) et à l'article 28 de la Charte. À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en concluant différemment.
Cela ne signifie pas qu'il serait nécessaire de financer également la NWAC pour respecter le droit à l'égalité prévu à l'article 28. La preuve ne permet pas de conclure ainsi. Toutefois, la somme actuellement versée est si inégale qu'elle ne saurait prima facie respecter le droit de la NWAC à liberté d'expression égale garantie par la Charte.
La position de l'intimée
L'intimée soutient (1) que la demande est de nature hypothétique et ne convient pas à une répara- tion à caractère préventif; (2) que la demande vise un processus législatif dans lequel la Cour ne doit pas intervenir; (3) que, comme l'a conclu le juge de pre- mière instance, on n'a établi aucune violation d'un droit garanti par la Charte; et (4) que la décision de solliciter et de financer la participation des organisa tions autochtones désignées n'émane pas, en tout état de cause, d'un «office fédéral», ce qui la soumettrait au contrôle de la Cour en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. L'intimée invoque égale- ment l'argument du «raz de marée» si on devait con- clure à une violation de l'alinéa 2b). On n'a pas allégué la justification en vertu de l'article premier.
Compte tenu des conclusions que j'ai tirées précé- demment, je ne devrai étudier en détail que l'argu- ment du raz de marée et les deuxième et quatrième arguments relatifs à la violation de l'alinéa 2b) et de l'article 28 de la Charte. Je suis d'accord avec les premier et troisième arguments relatifs à la violation alléguée de l'article 15 et j'ai conclu que le droit constitutionnel garanti soit à l'article 15 ou à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'avait pas été violé.
Si je conclus à bon droit que l'alinéa 2b) et l'article 28 ont été violés, il s'agit alors d'une violation réelle, et non hypothétique. Il est évident que, même si le financement contesté ou l'étape du processus de révi- sion de la Constitution pour laquelle il a été versé sont choses du passé, le processus pourrait se repro- duire. Une réparation, même un jugement déclara- toire, pourrait avoir un effet important sur la partici pation subséquente de la NWAC dans ce processus.
Je reconnais et, selon moi, cela n'a été contesté par aucune partie, que même si la controverse visée expressément par la requête est devenue théorique, une décision devrait être rendue à cet égard 13 .
L'existence du recours fondé sur l'article 18
En l'espèce, l'avis de requête original a été déposé le 18 mars 1992. Le ler février 1992, les modifica tions de la Loi sur la Cour fédérale adoptées en 1990 sont entrées en vigueur 14 . Les passages soulignés ci- dessous ont été ajoutés à la définition pertinente.
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre orga- nisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pou- voirs prévus par une loi fédérale ou par une ordon- nance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'ex- clusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La preuve démontre que la décision d'inviter [TRA- DUCTION] «les représentants des peuples autochtones à participer pleinement au processus constitutionnel» a été prise le 12 mars 1992, par les représentants fédé- raux, provinciaux et territoriaux. De toute évidence, il ne s'agit pas de la décision d'un office fédéral, ce dont l'intimée fait état pour contester la disponibilité de la réparation fondée sur l'article 18. Toutefois, aucune preuve ne démontre que la décision d'inviter les organisations autochtones désignées à entrepren- dre un processus parallèle à celui du comité parle- mentaire a été prise par nul autre qu'une source auto- risée du gouvernement fédéral, et il n'est guère vraisemblable, sinon légalement impossible, que la décision de verser des deniers publics ait été prise par nul autre qu'un office fédéral. Selon mon interpréta- tion de la Constitution, le versement des deniers doit avoir été autorisé par une loi du Parlement. Si, comme il paraît, l'invitation à se joindre au processus n'a pas été autorisée par une loi ou un règlement, il doit s'agir de l'exercice de la prérogative royale.
13 Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] I R.C.S. 342.
14 L.C. 1990, ch.8, art. I.
Enfin, je soulignerais que la Loi telle que modifiée exige que la demande de jugement déclaratoire relati- vement à la décision d'un office fédéral se fasse con- formément à l'article 18. Je crois possible d'obtenir réparation de la violation des droits des appelantes par voie d'une demande fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
La Cour devrait-elle intervenir?
L'intimée soutient que le processus de révision de la Constitution est une partie essentielle d'un proces- sus législatif dans lequel un tribunal ne doit pas s'im- miscer; les appelantes prétendent qu'il s'agit d'une partie intégrante d'un processus politique, dont la légalité est assujettie au contrôle judiciaire.
Dans Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.B.) 15 , on cherchait à faire échec à l'intention annoncée de réduire les contribu tions fédérales aux programmes de partage des frais avec les provinces. On a soutenu que la théorie de l'expectative légitime empêchait le gouvernement de déposer un projet de loi devant le Parlement. La Cour suprême a précisé que la théorie faisait partie des règles d'équité procédurale qui pourraient créer un droit d'être entendu, mais qu'elle ne limitait pas le droit, ultimement, de rendre une décision. Elle a éga- lement affirmé de nouveau la non-application des règles d'équité procédurale à un organisme exerçant des fonctions purement législatives, avant de con- clure que le dépôt par le pouvoir exécutif d'un projet de loi devant le Parlement faisait partie intégrante du processus législatif. De façon plus générale, elle a conclu:
La rédaction et le dépôt d'un projet de loi font partie du pro- cessus législatif dans lequel les tribunaux ne s'immiscent pas .... [Ill n'appartient pas aux tribunaux judiciaires d'inter- caler dans le processus législatif d'autres exigences procédu- raies. Je ne traiterai pas de la question de l'examen en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés dans le cas d'at- teinte possible à un droit garanti.
Cette dernière réserve serait capitale s'il était décidé que la violation de la Charte en question s'était pro- duite dans le cadre d'un processus législatif.
15 [1991] 2 R.C.S. 525, aux p. 558 et s.
En concluant ainsi, la Cour suprême a invoqué l'arrêt Penikett v. Canada 16 . Cette affaire est née d'une requête en radiation d'une requête présentée par le gouvernement du territoire du Yukon en vue d'obtenir certains jugements déclaratoires concernant l'accord du lac Meech. Conformément à l'accord, les gouvernements fédéral et provinciaux s'étaient enten- dus pour modifier la Constitution canadienne de façon à ce que la création d'une nouvelle province exige, notamment, le consentement de toutes les pro vinces existantes. Le gouvernement du Yukon n'avait pas été invité à prendre part à la réunion d'où est l'accord, et il n'avait pas été consulté par le gouver- nement du Canada avant que celui-ci s'engage à recommander la modification au Parlement.
Le juge de première instance avait conclu que la Charte s'appliquait à la Partie V de la Loi constitu- tionnelle de /982 qui prévoyait la procédure de modi fication de la Constitution. La Cour d'appel du terri- toire du Yukon, en désaccord, avait conclu [TRADUCTION] «La Charte ne peut servir d'obstacle à une modification constitutionnelle.»
Le juge de première instance avait également con- clu que si on établissait l'existence et la violation d'une obligation d'équité issue de la common law, un jugement déclaratoire à cet effet consisterait simple- ment en une déclaration de droits et d'obligations entre d'une part, les résidents du territoire et, d'autre part, le premier ministre et le gouvernement du Canada, et il ne constituerait pas une intervention dans le processus législatif ou le processus de modifi cation. À cet égard, la Cour d'appel a conclu ceci la page 120]:
[TRADUCTION] En convoquant la conférence des premiers minis- tres au lac Meech, le premier ministre a lancé le processus législatif qui pourrait entraîner la modification de la Constitu tion.
Elle a conclu [également à la page 120] en outre que les questions d'équité et de justice fondamentale sou- levées par l'exclusion du Yukon
[TRADUCTION] ... ne peuvent être tranchées par la voie judi- ciaire parce qu'elles tendent à contester le processus législatif.
... [I]'accord du lac Meech faisait partie d'un processus légis- latif visant à modifier la Constitution si la proclamation néces-
16 (1987), 45 D.L.R. (4th) 108 (C.A.T.Y.), aux p. 118 120. Autorisation d'en appeler refusée, [1988] 1 R.C.S. xii.
saire était autorisée par résolutions du Sénat et de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque pro vince.
La Cour d'appel a fixé le début de ce processus légis- latif au moment la conférence des premiers minis- tres a été convoquée. Encore une fois, il est bien connu que le processus en cause au lac Meech était très différent du processus mis en branle en l'espèce, du moins à l'échelle nationale, par la publication des propositions du gouvernement fédéral qui ont ensuite fait l'objet de discussions publiques.
Je déduis du Renvoi relatif au RAPC que le terme «rédaction» dans l'expression «rédaction et dépôt d'un projet de loi» désigne la préparation d'un projet de loi en vue de son dépôt une fois qu'il a été décidé que la question doit être examinée. Je ne crois pas que l'expression «rédaction ... d'un projet de loi» convienne pour décrire le processus de consultation, public ou privé, par comité parlementaire ou autre- ment, que le gouvernement peut choisir d'entrepren- dre après avoir décidé qu'il serait peut-être préférable qu'une question fasse l'objet d'une loi, mais avant d'avoir choisi la façon dont il souhaite que la législa- ture s'y prenne ou d'avoir décidé si une proposition législative est politiquement acceptable. En d'autres termes, l'expression ne désigne pas l'élaboration d'une politique, un processus politique, mais le geste, postérieur au choix de la politique, nécessaire à la mise en oeuvre d'une loi.
Les arrêts Renvoi relatif au RAPC et Penikett me semblent avoir établi les principes suivants, appli- cables au processus de modification de la Constitu tion.
a. La Charte, qui forme la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, ne peut être invoquée pour intervenir dans le processus de modification de la Constitution prévue à la Partie V;
b. Le processus de modification de la Constitution, qui est législatif, débute dès la convocation des premiers ministres en vue de convenir d'une résolution constitutionnelle qu'ils pré- senteront à leur Législature;
c. La rédaction d'une résolution constitutionnelle fait partie d'un processus législatif de modification dans lequel les tribu- naux ne s'immisceront pas sauf, peut-être, si un droit garanti par la Charte risque d'être violé.
En l'espèce, le processus de modification prévu à la Partie V n'avait pas pris naissance lorsque la viola tion de la Charte s'est produite.
À mon avis, on ne peut dire que la rédaction d'une résolution constitutionnelle débute lorsque le gouver- nement fédéral publie des propositions, les soumet à l'examen du public par l'entremise d'un comité par- lementaire et lorsqu'il met sur pied un processus parallèle au sein des peuples autochtones. Cela me semble faire partie intégrante de l'élaboration d'une politique plutôt que de sa mise en oeuvre. Je conclus par conséquent que la Cour n'interviendrait pas dans un processus législatif si elle accordait aux appelantes la réparation appropriée.
L'argument du «raz de marée»
Selon l'intimée, si la Cour conclut que, l'alinéa 26) ayant été violé, la NWAC doit avoir droit à une parti cipation égale au processus de révision de la Consti tution et à un financement égal, il s'ensuit que tous les particuliers et les groupes d'intérêts devraient jouir des mêmes avantages. Cet argument n'est pas convaincant.
Le Parlement a le droit d'accorder des subsides à son gré, mais s'il choisit de verser une somme, il doit respecter les exigences de la Charter. Le gouverne- ment a la même obligation lorsqu'il exerce le pouvoir discrétionnaire de financement que le Parlement lui a conféré. En général, je croirais que la décision de financer sera prise en fonction du manque d'argent, pour permettre à un groupe d'intérêt par ailleurs désavantagé et particulièrement intéressé de s'expri- mer de manière efficace et informée. Il serait proba- blement facile de justifier, en vertu de l'article pre mier de la Charte, la décision équitable de financer un groupe de préférence à un autre. L'argument du raz de marée serait sans fondement aucun si les con ditions donnant droit à un financement étaient pres- crites par la loi, soit par une loi du Parlement ou un règlement' 8 , de façon à ce que l'article premier puisse être invoqué. L'argument du raz de marée est, en l'occurence, essentiellement un argument de com- modité administrative qui ne doit pas être accueilli lorsqu'on a établi la violation d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution 19 .
17 Schachter C. Canada, (C.S.C.). Jugement encore inédit rendu le 9 juillet 1992.
18 Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118.
19 Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177, aux p. 218 et s.
Seul celui qui pourra établir sur le plan constitu- tionnel son grief fondé sur le traitement préférentiel accordé à un autre par le gouvernement, pourra obte- nir le concours des tribunaux. Les groupes d'intérêts ne peuvent tous se plaindre qu'en raison de l'avan- tage conféré aux organisations autochtones dési- gnées, leur liberté d'expression garantie par la Charte a été violée. Or, à mon avis, la NWAC peut à bon droit formuler cette plainte. On ne devrait donc pas lui refuser une réparation en raison d'éventuelles demandes d'autres groupes ou particuliers qui ne sont pas dans la même situation à l'égard de ceux que le gouvernement a choisi d'avantager, soit les organisa tions autochtones désignées.
Réparation
À mon avis, dans les circonstances de l'espèce, il est impossible d'accorder aux appelantes la répara- tion qu'elles réclament, soit interdire au gouverne- ment de verser toute autre somme aux organisations autochtones désignées tant qu'il: (1) n'aura pas versé une somme égale à la NWAC; et tant qu'il (2) n'aura pas conféré à la NWAC la chance égale de participer au processus de révision, dont le droit de participer aux conférences des premiers ministres pertinentes.
En premier lieu, la preuve ne permet pas au tribu nal de conclure qu'il faut nécessairement verser à la NWAC une somme égale à celle accordée à chaque organisation autochtone désignée pour que les femmes autochtones puissent jouir du même degré de liberté d'expression garanti à l'article 28 de la Charte. Une telle somme serait peut-être insuffisante ou excessive. Il me semble que la question du montant approprié du financement devrait être tranchée par l'exécutif, conscient du besoin de respecter cette éga- lité. En outre, l'égalité ne doit pas être obtenue par l'immixtion du tribunal dans le financement, déjà convenu, des organisations autochtones désignées, même s'il n'a pas été entièrement épuisé. Je suis d'accord avec les arguments du RNM et de la ITC selon lesquels les appelantes n'ont démontré aucun fondement à une réparation privant les organisations autochtones désignées de leur financement.
En deuxième lieu, il est bien connu que le proces- sus de révision de la Constitution se situe maintenant au-delà de la consultation. Tout processus de cette nature passera, à un moment, à moins qu'il n'avorte
plus tôt, d'une étape consultative à une étape législa- tive dans laquelle les tribunaux ne s'immisceront pas. Bien que le Renvoi relatif au RAPC paraisse avoir laissé la question sans réponse, je ne peux franche- ment concevoir des circonstances, mêmes fondées sur la Charte, le tribunal pourrait à bon droit interve- nir, si indirectement cela soit-il, dans la convocation d'une conférence des premiers ministres ou de toute autre réunion purement intergouvernementale et leur dicter leur liste d'invités.
Ceci étant dit, le tribunal peut déclarer que le gou- vernement fédéral a porté atteinte à la liberté d'ex- pression des femmes autochtones de façon incompa tible avec l'alinéa 2b) et l'article 28 de la Charte en incluant une organisation telle que l'APN, dont les intérêts sont indiscutablement opposés à ceux des femmes autochtones selon les normes de la société canadienne en général, tout en excluant la NWAC, une organisation qui défend leurs intérêts, dans un processus de révision de la Constitution visant à l'ai- der à choisir, et à gagner l'appui du public et des gou- vernements provinciaux à cet égard, le contenu d'une résolution constitutionnelle devant être présentée au Parlement, et qui affecte les droits des autochtones. A mon avis, cela n'est rien de plus que de déterminer dans un jugement déclaratoire les droits et obligations nés de la Charte entre les femmes autochtones et le gouvernement du Canada.
Conclusion
J'accueillerais l'appel, et je le déclarerais, et j'ac- corderais aux appelantes leurs dépens contre l'inti- mée, en appel et devant la Section de première ins tance. La ITC et le RNM ont réclamé les dépens. J'ordonnerais que les intervenants ne soient pas res- ponsables des dépens et qu'ils n'y aient pas droit.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ce jugement.
LE JUGE SUPPLÉANT GRAY: Je souscris à ce jugement.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.