Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-1094-90
Celliers du Monde Inc. (appelante) (défenderesse) c.
Dumont Vins & Spiritueux Inc. (intimée) (demanderesse)
REPERTORIE' DUMONT VINS & SPIRITUEUX INC. C. CELLIERS DU MONDE INC. (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary, J.C.A.—Montréal, 6 février; Ottawa, 17 février 1992.
Pratique Res judicata La demanderesse a lancé sur le marché L'Oiseau Bleu, vin blanc léger contenu dans une bou- teille blanche opaque, de forme Hock, portant une étiquette bleue La défenderesse a lancé L'Ombrelle, vin blanc léger contenu dans une bouteille blanche opaque, de forme Hock, portant une étiquette bleue La demanderesse a saisi la Cour supérieure du Québec d'une action en passing off et en contre- façon de marque de commerce non enregistrée La Cour supérieure a statué que la bouteille blanche ne saurait être une marque de commerce, et elle a jugé qu'il y avait eu passing off La défenderesse a remis L'Ombrelle sur le marché dans la même bouteille portant une étiquette de couleur noire et or La demanderesse a intenté devant la Cour fédérale une action en contrefaçon de marque de commerce non enregistrée et en passing off Les remarques sur l'invalidité d'une marque de commerce non enregistrée faites par le juge de la Cour supé- rieure constituent-elles des ratio decidendi Le raisonnement n'a pas à être répété dans la décision pour qu'il constitue un ratio decidendi Lorsque la Cour rend jugement sur deux questions, les deux décisions sont des rationes decidendi La chose jugée ne se limite pas à la décision, mais elle comprend les motifs Il y a chose jugée lorsqu'il y a identité de parties, d'objet et de cause.
Marques de commerce Contrefaçon La demanderesse a lancé sur le marché un vin blanc léger, L'Oiseau Bleu, dans une bouteille blanche opaque, de forme Hock, portant une éti- quette et un manchon bleus Ce vin est devenu le vin blanc léger le plus vendu au Québec La défenderesse a lancé sur le marché un vin blanc léger, L'Ombrelle, dans une bouteille blanche opaque, de forme Hock, portant une étiquette et un manchon bleus La demanderesse a saisi la Cour supérieure du Québec d'une action en passing off et en contrefaçon de marque de commerce non enregistrée Elle a eu gain de cause en matière de passing off La Cour supérieure a statué que la bouteille blanche, de forme Hock, ne saurait être une marque de commerce non enregistrée La hausse des ventes ne confère pas le caractère distinctif nécessaire.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance Compétence concurrente en matière de marque de commerce Incompétence sur une action en passing off en l'absence d'une marque de commerce.
Appel est interjeté de l'ordonnance par laquelle la Section de première instance a rejeté la requête de la défenderesse à l'occasion d'une objection préliminaire selon laquelle la Cour fédérale n'avait pas compétence pour connaître de l'action principale.
Depuis 1984, la demanderesse lance sur le marché, principa- lement par l'entremise d'épiciers licenciés de la province de Québec, L'Oiseau Bleu, vin blanc léger contenu dans une bou- teille blanche opaque, de forme Hock, portant une étiquette et un manchon bleus. Ce vin est devenu le vin blanc léger le plus vendu de la province. La demanderesse a enregistré le nom «L'Oiseau Bleu» en 1985. En février 1989, elle a demandé l'enregistrement de la bouteille blanche et de la bouteille blan- che portant une étiquette bleue, comme deux marques de com merce. Ces demandes sont toujours pendantes. En mars 1989, la défenderesse lançait sur le marché un vin blanc léger, L'Ombrelle, contenu dans une bouteille blanche opaque, de forme Hock, portant une étiquette bleue. La demanderesse a saisi la Cour supérieure du Québec d'une action en passing off et en contrefaçon de marque de commerce non enregistrée. Cette Cour a statué que la bouteille blanche ne pouvait être une marque de commerce, mais elle a rendu en faveur de la deman- deresse un jugement portant qu'il y avait eu passing off Peu de temps après, la défenderesse a repris la vente de L'Ombrelle dans la même bouteille portant néanmoins une étiquette de couleur noire et or. La demanderesse a saisi la Cour fédérale de la présente action, alléguant qu'il y a eu contrefaçon d'une marque de commerce non enregistrée. Par la suite, la défende- resse a déposé un acte de comparution conditionnelle pour s'opposer à la compétence de la Cour. Le juge de première ins tance a statué que les remarques faites par le juge de la Cour supérieure du Québec sur la contrefaçon d'une marque de com merce non enregistrée étaient des opinions incidentes et que, par conséquence, il n'y avait pas chose jugée entre les parties sur cette question.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Une déclaration dans les motifs de jugement sur l'une des véritables questions en litige ne devient pas une opinion inci- dente du seul fait de n'avoir pas été expressément reproduite dans l'ordonnance. La Cour supérieure était saisie de deux questions dont les parties ont discuté et que cette Cour a tran- chées. Il n'était pas nécessaire que la Cour, en rendant un juge- ment en faveur de la demanderesse, se réfère à la question de la validité de la marque de commerce non enregistrée alléguée, sur laquelle la demanderesse n'a pas eu gain de cause, pour que ses motifs sur cette question fassent partie du ratio deci- dendi. Il ne s'agit pas d'un cas un tribunal a énoncé plu- sieurs motifs différents pour décider d'une seule question, mais d'un cas la Cour supérieure était saisie de deux questions et elle a rendu deux décisions. L'une ou l'autre question aurait pu faire l'objet d'une action distincte, et les motifs des deux décisions sont des rationes decidendi.
Pour qu'il y ait chose jugée, les parties, l'objet de l'action et sa cause doivent être identiques. En l'espèce, seule la cause, qui est la qualification juridique des faits allégués, est contes- tée. La question de passing off n'est pas chose jugée, puisque le nouvel emballage de la défenderesse est une cause distincte;
mais au, sujet de la contrefaçon d'une marque de commerce non enregistrée, c'est la bouteille de la demanderesse qui est la cause et qui est demeurée la même. Le fait que les ventes de la demanderesse aient augmenté ne permet pas à la bouteille d'acquérir un caractère distinctif que, selon la décision de la Cour supérieure, elle n'avait pas. L'invalidité de la bouteille en tant que marque de commerce non enregistrée est donc chose jugée entre les parties.
Pour que la Cour fédérale ait compétence, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solu tion du litige. En vertu de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce, la Cour a compétence sur une action en passing off seulement lorsque celle-ci est reliée à une marque de com merce, enregistrée ou non. Puisque la question de la marque de commerce non enregistrée est chose jugée entre les parties, la Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action en passing
O.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art.
20(2).
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch.
T-13, art. 7, 55.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 401.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Canadian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C.S. 329; [1939] 3 D.L.R. 641.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Dumont vins et spiritueux Inc. c. Celliers du Monde Inc., [ 1990] R.J.Q. 556 (C.S.); Roland Jacques Inc. c. Labora- toire Dr. Renaud Inc., [1980] C.A. 553 (Qué); Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440; (1990), Q.A.C. 241; 112 N.R. 241; MacDo- nald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134; (1976), 66 D.L.R. (3d) I; 22 C.P.R. (2d) 1; 7 N.R. 477; Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544; (1987), 38 D.L.R. (4th) 544; 17 C.I.P.R. 263; 14 C.P.R. (3d) 314; 12 F.T.R. 317; 80 N.R.
9 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ellard v. Millar, [1930] R.C.S. 319; Vachon c. Frenette- Vachon, [1978] C.A. 515 (Qué); Roberge c. Bolduc, [1991] I R.C.S. 374; (1991), 78 D.L.R. (4th) 666; ITO— International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electro nics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Kigowa c. Canada, [1990] I C.F. 804; (1990), 67 D.L.R. (4th) 305;
10 Imm. L.R. (2d) 161; 105 N.R. 278 (C.A.); Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [ 1990] 3 C.F. 465; (1990), 73 D.L.R. (4th) 289 (C.A.); Promotions Atlan- tiques Inc. c. Hardcraft Industries Ltd. (1987), 13 C.I.P.R. 194; 17 C.P.R. (3d) 552; 13 F.T.R. 113 (C.F. inst.);
Québec Ready Mix Inc. c. Rocois Construction Inc., [1989] I R.C.S. 695; (1989), 60 D.L.R. (4th) 124; 48 C.C.C. (3d) 501; 35 C.P.R. (3d) 304; 93 N.R. 388.
DOCTRINE
Ducharme, L. Précis de la preuve, 3e éd., Montréal: Wil- son et Lafleur, 1986.
Mayrand, Albert. Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, Cowansville, Qué.: Les Edi tions Yvon Blais Inc., 1985, «Obiter dictum», «Ratio decidendi».
Mignault, P.-B. Le droit civil canadien, tome VI, Mon- tréal: Librairie de droit et de jurisprudence, 1902. Nadeau, André et Léo Ducharme. Traité de droit civil du Québec, tome IX, Montréal: Wilson et Lafleur, 1965. Planiol, Marcel et Georges Ripert. Traité pratique de droit civil français, 2e éd., tome VII, Montréal: Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1954.
Royer, Jean-Claude. La preuve civile, Cowansville (Qué): Les Editions Yvon Blais Inc., 1987.
APPEL d'une ordonnance de la Section de pre- mière instance, T-2697-90, juge Denault, 4-12-90, non publiée, portant rejet d'une requête introduite pour contester la compétence de la Cour. Appel accueilli.
AVOCATS:
Ian MacPhee pour l'appelante (défenderesse). Louis Carbonneau pour l'intimée (demande- resse).
PROCUREURS:
Lapointe Rosenstein, Montréal, pour l'appelante
(défenderesse).
Clark Woods Rochefort Fortier, Montréal, pour
l'intimée (demanderesse).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: L'Ombrelle porte-t-elle ombrage à l'Oiseau Bleu? C'est en ces termes que monsieur le juge André Forget de la Cour supérieure du Québec entreprenait le 18 janvier 1990, un long jugement qui est au coeur du présent litiges. Devant nous, le débat s'est transformé quelque peu et nous sommes appelés à décider si l'Oiseau Bleu peut maintenant, en Cour fédérale, reléguer l'Ombrelle dans l'ombre.
[1990] R.J.Q. 556.
Une brève narration des faits, ainsi qu'une courte description des principaux acteurs, s'imposent.
L'intimée, Dumont Vins & Spiritueux Inc., s'adonne au commerce de vins qui sont, pour la plu- part, embouteillés au Québec et qu'elle vend princi- palement dans le réseau des épiciers licenciés. En octobre 1984, elle lançait sur le marché, sous la marque «L'Oiseau Bleu», une bouteille de vin blan- che opaque, de forme Hock (type Alsace), qui allait aussitôt devenir le vin blanc léger le plus vendu au Québec. La marque «L'Oiseau Bleu» a été enregis- trée auprès du Registraire des marques de commerce le 16 août 1985. Le 16 février 1989, l'intimée dépo- sait auprès dudit Registraire deux demandes d'enre- gistrement de signe distinctif, l'un, de sa bouteille blanche, l'autre, de sa bouteille blanche et de son habillage, à savoir une étiquette, un collet et un cache-goulot de couleur bleue. Ces deux demandes sont toujours pendantes, mais le 24 septembre 1991 et le ler octobre 1991, le Registraire informait l'inti- mée que, le cas échéant, ces enregistrements seraient restreints à la province de Québec.
L'appelante, Celliers du Monde Inc., est l'un des concurrents de l'intimée. En mars 1989, elle lançait sur le marché, sous la marque «L'Ombrelle», une bouteille de vin blanc léger qui était blanche et de forme Hock et qui revêtait un habillage à prédomi- nance bleue.
Le ler mars 1989, l'intimée s'adressa à la Cour supérieure du Québec aux fins d'obtenir une injonc- tion à l'encontre de l'appelante. Dans cette demande d'injonction, l'intimée recherchait une ordonnance enjoignant l'appelante,
... ses actionnaires, associés, employés, représentants, agents, licenciés, clients, cessionnaires ... d'immédiatement cesser de, directement ou indirectement:
i) UTILISER, dans le cadre de la commercialisation de tout produit alcoolisé, une bouteille blanche ou autrement appeler l'attention du public sur ses marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits et le vin de table vendu par la requérante dans une bouteille blanche sous la marque L'OISEAU BLEU ou faire passer ses marchandises alors que la marchandise commandée ou demandée est le vin L'OISEAU BLEU de la requérante;
ii) UTILISER, en liaison avec ses produits ou la publicité ou la promotion de ses produits, la marque L'OISEAU BLEU, le dessin distinctif d'une bouteille blanche ou le dessin distinctif d'une bouteille blanche avec étiquette bleue de la requérante.
Le 18 janvier 1990, monsieur le juge Forget ren- dait le jugement auquel je référais plus haut et dont il est nécessaire de reproduire de larges extraits [aux pages 558 566]:
I. Les faits
Il. Fondements du recours
La demanderesse fonde son recours, à la fois sur une préten- due violation de marque de commerce non enregistrée et un délit de substitution (passing off).
III. Ressemblance et dissemblance
IV. Fardeau de preuve
A. Violation d'une marque de commerce non enregistrée
La preuve présentée dans le présent dossier ne permet pas de conclure à la violation d'une marque de commerce non enre- gistrée. Le Tribunal n'est pas convaincu que la demanderesse a établi un signe distinctif lui permettant de revendiquer l'exclu- sivité de la bouteille blanche opaque, de type Hock, avec éti- quette bleue.
Au départ, la bouteille Hock (type Alsace) est d'usage cou- rant. Il est vrai que Dumont semble être la seule productrice québécoise à avoir utilisé la bouteille Hock, blanche opaque, pour vendre un vin blanc léger, mais le Tribunal n'est pas con- vaincu qu'elle doit pour autant bénéficier d'une exclusivité totale pour cette forme de bouteille ainsi peinte en blanc.
Le procureur de Celliers invoque la théorie de l'épuisement des couleurs. Si un fabricant monopolise le blanc, un deuxième le bleu, un troisième le vert, et ainsi de suite, on éliminera ainsi les futurs concurrents. Cette théorie a été énoncée dans une décision américaine Campbell Soup Co. c. Armour & Co. (175 F. 2d 795 (1949), 798):
[TRADUCTION] S'ils pouvaient ainsi monopoliser le rouge et toutes ses nuances, un autre fabricant pourrait, à son tour, monopoliser l'orange et toutes ses nuances, et un autre ferait la même chose avec le jaune. Le répertoire des couleurs serait, évidemment, vite épuisé.
Le Tribunal estime donc que la demanderesse n'a pas réussi à établir une violation d'une marque de commerce non enregis- trée.
8. Délit de substitution (passing off)
Le Tribunal est par ailleurs convaincu que Celliers a commis un délit de substitution (passing off) .. .
Par ces motifs, le Tribunal:
Déclare que la défenderesse, par la commercialisation d'une bouteille de vin blanc désignée sous le nom de commerce «L'Ombrelle», semblable à celle produite au présent dossier sous la cote P-11, a tenté de faire passer son produit pour celui commercialisé par la demanderesse sous le nom de commerce «L'Oiseau Bleu»;
Émet une ordonnance d'injonction permanente enjoignant à la défenderesse, ainsi qu'à ses officiers, administrateurs, actionnaires, associés, employés, représentants, agents, ces- sionnaires, ou à toute autre personne ayant connaissance de ladite ordonnance, de cesser immédiatement, directement ou indirectement:
commercialiser, vendre, offrir en vente ou annoncer un vin dans un emballage identique à celui produit au présent dossier sous la cote P-11 de façon à attirer l'attention du public sur ses marchandises ou son entreprise de manière à causer ou à vrai- semblablement causer de la confusion entre ses marchandises ou son entreprise et ceux de la demanderesse et de faire passer le vin «L'Ombrelle» pour le vin «L'Oiseau Bleu», et ce, dans quelque format que ce soit.
Le tout avec entiers dépens contre la défenderesse.
Le 26 janvier 1990, l'appelante portait cette déci- sion en appel devant la Cour d'appel du Québec; le 4 juillet 1990, elle se désistait de son appel. L'intimée, pour sa part, n'en appela pas de la décision.
En mai 1990, l'appelante remettait sur le marché son vin «L'Ombrelle», dans une nouvelle bouteille qui est toujours blanche opaque et de forme. Hock et dont l'habillage (étiquettes et cache-goulot) est simi- laire, aux dires de l'intimée, à l'habillage d'origine, sauf en ce qui a trait à la couleur, le noir et l'or ayant remplacé le bleu.
Le 10 octobre 1990, l'intimée instituait de nou- velles procédures en injonction à l'encontre de l'ap- pelante, relativement à cette nouvelle bouteille, mais elle choisissait, cette fois, de s'adresser à la Cour fédérale plutôt qu'à la Cour supérieure du Québec. Les conclusions recherchées en Cour fédérale sont les suivantes:
A) ACCUEILLIR la présente action;
B) DÉCLARER que la défenderesse Celliers a, par la com mercialisation au Canada de son vin L'OMBRELLE, appelé attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement cau- ser de la confusion au Canada entre son vin L'OMBRELLE et le vin L'OISEAU BLEU commercialisé par la demande- resse Dumont contrairement aux dispositions de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce;
C) DÉCLARER que la défenderesse Celliers a ainsi adopté ses méthodes d'affaires contraire aux honnêtes usagers industriels ou commerciaux ayant cours au Canada;
D) DÉCLARER que la défenderesse Celliers a fait passer ses vins blancs légers pour ceux de la demanderesse Dumont contrairement aux dispositions de l'alinéa 7c) de la Loi .sur les marques de commerce;
E) RENDRE une ordonnance d'injonction interlocutoire ordonnant à la défenderesse Celliers, ses actionnaires, asso- ciés, employés représentants, agents, licenciés, clients, ces- sionnaires et à toute autre personne ayant connaissance de ladite ordonnance d'immédiatement cesser de, directement ou indirectement:
i) employer ou utiliser une bouteille blanche ou permettre qu'une bouteille blanche soit employée ou utilisée en association avec l'importation et/ou la fabrication, la mise en marché, la promotion, la vente, la distribution de vins;
ii) utiliser une bouteille blanche ou permettre qu'une bou- teille blanche soit utilisée sur des dépliants publicitaires, prospectus, factures, cartes d'affaires, enseignes, vitrines, catalogues, étiquettes, réclames ou autre matériel com mercial ou promotionnel, en association avec des vins;
iii) appeler l'attention du public sur ses vins ou son entre- prise de manière à causer ou 3 vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses vins ou son entreprise et les vins ou l'entreprise de la demanderesse Dumont;
iv) faire passer ses vins ou son entreprise pour ceux de la demanderesse Dumont;
y) tout acte de concurrence déloyale ou contraire aux hon- nêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada par l'utilisation d'une bouteille blanche en liaison avec la vente de vins;
vi) cesser de détourner la marque de commerce BOU- TEILLE BLANCHE de la demanderesse Dumont de sa fonction et de son caractère de marque de commerce.
F) ACCORDER une injonction définitive 3 la demanderesse contre la défenderesse selon les termes et modalités men- tionnés au paragraphe précédent; ...
Le 30 novembre 1990, l'appelante, après en avoir reçu l'autorisation, déposa une comparution condi- tionnelle en vertu de la Règle 401 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] aux fins de s'objecter à la compétence de la Cour: Les fondements de cette objection étaient les suivants: il y aurait chose jugée entre les parties sur la question de violation d'une marque de commerce non enregistrée et par consé- quent„ vu l'absence de marque de commerce, la Cour fédérale n'aurait pas compétence pour entendre une simple affaire de délit de substitution (passing off).
Le 4 décembre 1990, monsieur le juge Denault rejetait la requête de l'appelante. Il n'y a pas, con- cluait-il, chose jugée; le jugement de la Cour supé- rieure ne contenant aucun dispositif précis quant à l'argument relatif à la violation d'une marque de commerce non enregistrée, les commentaires de mon-
sieur le juge Forget à cet égard n'étaient qu'obiter dicta; de plus, la bouteille de l'appelante que vise la procédure en Cour fédérale n'étant plus la même que celle que visait la procédure en Cour supérieure, il n'y avait pas identité de cause et, partant, pas de pos- sibilité de chose jugée. La Cour fédérale, dans ces circonstances, avait compétence en raison «de l'inter- prétation qu'a donnée la Cour d'appel fédérale de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce dans Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. 2 et des articles 20(2) de la Loi sur la Cour fédé- rale et 55 de la Loi sur les marques de commerce».
C'est cette ordonnance qui fait l'objet du présent appel.
Obiter dictum ou ratio decidendi?
Dictum Ce qui est dit
obiter incidemment, par occasion
L'opinion qu'émet un juge, sans que cette opinion soit nécessaire pour appuyer la décision qu'il rend.
L'obiter dictum est opposé à la ratio decidendi .. .
RATIO (ou RATIONES) DECIDENDI La raison (ou les raisons) de la décision
Le motif essentiel d'un jugement ou d'un arrêt, le fondement de la décision, est une ratio decidendi; la proposition qui n'est pas essentielle au dispositif d'un jugement est plutôt un obiter dictum ... 3
L'autorité de la chose jugée ne s'applique qu'aux points débattus par les parties, qui sont décidés par le jugement et qui devaient l'être pour la solution du litige ... Elle ne s'attache pas aux simples énonciations qui n'ont pas fait l'objet d'une contestation ... les opinions qu'émet le juge sur des points simplement énoncés par lui et qui n'étaient pas en litige ne jouissent pas de l'autorité de la chose jugée. Il s'agit alors de ce qu'on appelle couramment un obiter dictum, c'est-à-dire, suivant la définition de Jéraute (Vocabulaire français-anglais et anglais-français de termes et locutions juridiques, Paris, Lihr. gen. de dr., 1953, p. 319), un «avis incidemment exprimé sur un point de droit, et n'ayant pas force de précédent» 4 .
2 [1987] 3 C.F. 544.
3 A. Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, Cowansville, Yvon Biais, 1985, aux p. 193 et 239.
4 A. Nadeau et L. Ducharme, Traité de droit civil du Qué- bec, tome IX, Montréal, Wilson et Lafleur, 1965, la p. 467, para. 568.
J'ai déjà exprimé l'opinion qu'aucun de deux motifs alterna- tifs, donnés pour justifier une décision, ne doit être traité d'obi- ter dictum, puisque chacun fait partie du ratio decidendi (Nadeau c. Nadeau, [1977] C.A. 248, 265). Je n'ai pas changé d'idée depuis, d'autant plus que je m'appuyais sur un extrait de l'opinion formulée par lord Simon, pour le House of Lords, dans Jacob c. London County Council ([1950] A.C. 361, 368), qui montre l'absurde qui résulterait de l'opinion contraire 5 .
En l'espèce, l'intimée avait recherché deux ordon- nances d'injonction en Cour supérieure du Québec, l'une relative au délit de substitution, l'autre relative à l'utilisation de signes distinctifs non enregistrés. Il s'agissait, en pratique, d'une procédure à deux volets, lesquels auraient pu tout aussi bien faire l'objet de procédures distinctes qui eussent vraisemblablement été réunies pour fins d'audition. Les deux volets ont été débattus par les parties, la Cour supérieure était invitée à se prononcer sur chacun d'eux, et elle s'est, de fait, prononcée sur chacun d'eux, dans les termes que j'ai rappelés plus haut.
Il est certes vrai, comme l'a soutenu le procureur de l'intimée, que le «dispositif» du jugement ne fait état que du volet (le délit de substitution) que la Cour accepte et passe sous silence le volet (l'absence de violation de marque non enregistrée) que la Cour rejette. Mais le temps n'est plus, s'il le fut, les termes d'un dispositif étaient scrutés à la loupe sans égard aux motifs qui le sous-tendaient et aux conclu sions qui étaient recherchées dans la procédure et tout ce qui ne trouvait point écho dans le dispositif était nécessairement considéré comme obiter dictum.
Même l'ouvrage du professeur Jean-Claude Royer auquel nous réfère l'intimée, propose une approche que je qualifierais de ponctuelle, de «cas par cas» 6 :
776—Généralités—En principe, l'autorité de la chose jugée ne concerne que le dispositif du jugement. Dans certains cas, elle s'étend aux motifs.
777—Le dispositif—Le dispositif est la décision formelle qui tranche un litige. Il est généralement contenu dans les conclu sions d'un jugement.
778—Les motrifs—Le dispositif contient parfois une décision implicite qui jouit de l'autorité de la chose jugée. [Mes souli- gnements.]
5 Roland Jacques Inc. c. Laboratoire Dr. Renaud Inc., [1980] C.A. 553 (Qué.), à la p. 555, M. le juge Bélanger, J.C.A.
6 J.-C. Royer, La preuve civile, Cowansville, Yvon Biais, 1987, à la p. 286.
C'est le professeur Léo Ducharme qui résume le mieux, à mon avis, la souplesse relative de la notion de ratio decidendi, lorsqu'il affirme quel:
Ce que le jugement décide de façon implicite bénéficie de l'autorité de la chose jugée (Vachon c. Frenette-Vachon, [ 1978] C.A. 515; Droit de la famille-75, J.E. 83-883 (C.S.)) tout comme ce qui y est expressément affirmé.
Monsieur le juge Forget s'est dit d'avis, après ana lyse de la preuve et examen du droit applicable, que l'intimée «n'a pas réussi à établir une violation d'une marque de commerce non enregistrée». Ce faisant, il décidait de l'un des deux points débattu par les par ties et qu'il se devait de décider pour la solution du litige puisque l'une des ordonnances recherchées por- tait précisément sur ce point. Il eût sans doute été pré- férable qu'il précisât, dans le dispositif, que la demande n'était accueillie qu'en partie ou encore qu'il rejetait cette partie de la demande qui visait la marque de commerce non enregistrée, mais l'on com- prend aisément qu'ayant disposé en des termes aussi nets d'un volet de la demande qu'il rejetait, il n'ait pas cru nécessaire, du fait qu'il accordait par ailleurs l'autre recours recherché, d'en faire état expressé- ment dans le dispositif. Ce qui a nettement et expres- sément été jugé dans les motifs, ne devient pas sim ple obiter dictum du seul fait d'avoir été passé sous silence dans le dispositif. C'est une question de pers pective et d'appréciation globales. Pour reprendre les mots de monsieur le juge Gonthier dans Rocois Cons truction Inc. c. Québec Ready Mix Inc. 8 ,
Lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a chose jugée, le tribunal saisi a à sa disposition un jugement dont il peut évaluer les termes et la portée, ce qui lui permet de cerner de manière pré cisé l'autorité relative de chose jugée qui devrait lui être recon- nue.
Est-il nécessaire d'ajouter qu'en l'espèce, il ne s'agit pas d'un cas un tribunal énonce plusieurs motifs pour décider d'une question alors qu'un seul de ces motifs eût suffi (et même dans ce cas, comme le constatait monsieur le juge Bélanger dans l'affaire Roland Jacques Inc. 9 , ces motifs constituent des rationes decidendi), mais d'un cas un tribunal
7 L. Ducharme, Précis de la preuve, 3e éd., Montréal, Wilson
& Lafleur, 1986, la p. 1I I. Voir Ellard v. Millar, [1930] R.C.S. 319, la p. 326, M. le juge Rinfret; Vachon c. Frenette- Vachon, [1978] C.A. 515 (Qué.), à la p. 516, M. le juge Jacques, J.C.A.
R [1990] 2 R.C.S. 440, la p. 465.
9 Supra, note 5.
décide de deux questions qui lui sont soumises et les motifs donnés à l'appui de chacune des deux «décisions» constituent très certainement des rationes decidendi.
L'autorité de la chose jugée
Qui dit chose jugée ou res judicata, dit identité de parties, d'objet et de cause. Je suis fort heureusement dispensé de l'analyse de cette notion de chose jugée, car la Cour suprême du Canada, dans deux arrêts récents 10 , en a fait une étude exhaustive.
L'intimée admet, dans son mémoire, ,«que son action en injonction permanente intentée devant la Cour fédérale, division de première instance, met en présence les mêmes parties et que son objet, tel que défini par nos auteurs, c'est-à-dire "le droit que l'on veut faire reconnaître" est identique». Il ne reste par conséquent qu'à décider s'il y a, aussi, identité de cause.
La «cause» a été définie par monsieur le juge Gon- thier dans Rocois , i 1, comme «l'essence de la qualifi cation juridique des faits allégués». Dans Roberge, madame le juge L'Heureux-Dubé a fait sienne cette définition 12 , tout, en disant privilégier ce qu'elle appelait la «conception concrète» ou «spéciale» de la cause par rapport à une «conception dite abstraite ou générale», la première paraissant «plus rationnelle» et la seconde risquant «de se confondre avec l'objet».
En l'espèce, soutient l'intimée, la cause, dans la procédure instituée en Cour fédérale, serait distincte de celle que l'on retrouvait dans la procédure insti- tuée en Cour supérieure, et ce, pour trois raisons: la seconde action a été intentée suite au lancement sur le marché par l'appelante d'une bouteille de vin nou- velle et différente; c'est un nouveau fait qui est à l'origine du litige entre les parties; le champ de pro tection accordé par les marques de commerce, même non enregistrées, est un concept dynamique 'et même si la bouteille de l'intimée est la même dans les deux procédures, cette bouteille a continué à accroître sa distinctivité depuis l'institution des procédures ayant
I0 Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc.,
supra, note 8 et Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, aux p.
401 3 418, Mme le juge L'Heureux-Dubé.
I I Supra, note 8, 3 la p. 456.
12 Supra, note 10, aux p. 418 et 425.
donné lieu au jugement de la Cour supérieure et la Cour fédérale aura à juger de cet aspect selon une preuve différente.
Ces prétentions sont séduisantes et le procureur de l'intimée les a défendues avec une ferveur et une aisance remarquables. Je ne crois pas, cependant, pouvoir les accepter.
La procédure en Cour fédérale vise à toutes fins utiles, encore qu'à l'égard d'une bouteille différente, les mêmes objectifs que celle instituée en Cour supé- rieure. L'intimée, dans son mémoire, le reconnaît franchement, lorsqu'elle précise que le recours insti- tué devant la Cour fédérale l'est tant en «passing -off qu'en contrefaçon de marques de commerce non enregistrées, ces deux (2) recours devant être distin- gués».
La Cour fédérale, comme la Cour supérieure avant elle, est donc en présence d'un recours à deux volets, et les conclusions recherchées dans l'une et l'autre des procédures, quoique couchées en des termes quelque peu différents, sont à toutes fins pratiques les mêmes. Il est clair, à n'en pas douter, qu'il n'y a pas chose jugée relativement au volet passing off, puis- que la bouteille en litige, pour ce volet, est celle de l'appelante, que cette bouteille est différente et que les faits donnant ouverture à l'allégation de délit de substitution ne sont pas les mêmes. Les deux pre- mières prétentions de l'intimée sont bien fondées dans la mesure elles visent le volet passing off, mais elles n'ont rien à voir avec le second volet, celui de la contrefaçon d'une marque de commerce non enregistrée, lequel est autonome et concerne, non pas la bouteille nouvelle de l'appelante, mais la bouteille de l'intimée, qui est demeurée la même.
Cependant, nous dit l'intimée, et c'est sa troisième prétention, ce deuxième volet ne vise pas véritable- ment la même bouteille que celle qui était en jeu devant la Cour supérieure, car la reconnaissance d'une marque de commerce non enregistrée est affaire d'usage et l'usage de cette bouteille est davan- tage source de distinction, aujourd'hui, qu'il ne l'était il y a deux ans.
Cette prétention est valable sur le plan des prin- cipes et elle pourrait très certainement, dans un cas donné, faire échec à l'application de l'autorité de la
chose jugée. Encore faudrait-il, à mon avis, que ce nouvel usage et cette nouvelle distinctivité soient allégués dans la seconde procédure et, surtout, que le premier jugement ait conclu, non pas qu'il ne saurait y avoir marque de commerce non enregistrée, mais qu'il n'y avait pas encore marque de commerce non enregistrée.
En l'espèce, la seconde procédure n'allègue rien de neuf, si ce n'est une mise à jour des chiffres de vente. Ces chiffres peuvent, règle générale, avoir une inci dence sur l'usage d'une marque, mais la Cour supé- rieure n'en a pas tenu compte et dans le cas présent ils ne constituent pas un indice de nouvel usage ou de nouvelle distinctivité. Par ailleurs, la décision de monsieur le juge Forget est claire la page 564]: si l'intimée n'a pas «établi un signe distinctif lui per- mettant de revendiquer l'exclusivité de la bouteille blanche opaque, de type Hock, avec étiquette bleue», c'est que «la bouteille Hock (type Alsace) est d'usage courant» et qu'en plus, en vertu de «la théorie de l'épuisement des couleurs», l'intimée ne saurait monopoliser le blanc. Qu'il se passe deux ans ou dix ans, que les ventes doublent ou décuplent, ne change- ront rien au constat juridique de monsieur le juge Forget: il n'y a pas et il ne peut y avoir, en l'espèce, marque de commerce non enregistrée. Cette affaire-ci présente une analogie certaine avec l'affaire Cana- dian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canadas 3 , la Cour suprême du Canada a décidé qu'un arrêt prononcé quatre années auparavant par le Comité judiciaire du Conseil privé relativement à une marque de commerce que le Comité avait refusé de reconnaître, avait force de chose jugée dans les cir- constances puisqu'aucune preuve n'avait pu être faite d'un usage différent de la marque en question.
Ce serait, à mon avis, fausser le principe même de l'autorité de la chose jugée, que de ne le rendre appli cable qu'à la totalité de ce qu'un jugement a décidé, quand ce jugement a disposé en même temps de plu- sieurs demandes qui lui étaient soumises et qui étaient distinctes les unes des autres. Ainsi que le constatait madame le juge L'Heureux-Dubé dans Roberge 14 ,
La raison d'être de cette présomption légale irréfragable de validité des jugements est ancrée dans une politique sociale
13 [1939] R.C.S. 329.
14 Supra, note 10, à la p. 402.
d'intérêt public visant à assurer la sécurité et la stabilité des rapports sociaux. L'inverse signifierait l'anarchie, avec la pers pective de procès sans fin et de jugements contradictoires.
Elle référait notamment à cet extrait de Planiol et Ripert, dans leur Traité pratique de droit civil fran- çais 15 :
Il y a une nécessité sociale de premier ordre à ce que les litiges ne recommencent pas indéfiniment sur le même sujet.
Il y a autorité de la chose jugée une fois que la chose est jugée, et il importe peu que la chose ait été jugée seule ou avec d'autres. Comme le notent Nadeau et Ducharme 16 , «cette règle (de la chose jugée) ne signifie pas non plus que dans une affaire donnée il ne puisse y avoir qu'un seul jugement défi- nitif». À une époque l'on cherche à éviter la multi- plicité des procédures et à réunir dans une même pro- cédure des causes d'action compatibles, ce serait bien mal servir cette «nécessité sociale» que de permettre à une partie déboutée sur un point de recommencer ce point pour la seule raison qu'elle avait combiné plu- sieurs recours en une seule procédure. Au risque de simplifier, je dirais qu'il y a chose jugée quand, dans une nouvelle procédure, une partie cherche, peut-être en d'autres mots, à obtenir du même adversaire la chose même (ou l'une des choses) qui lui avait été refusée dans une instance antérieure.
J'en viens donc à la conclusion qu'en l'espèce, la «cause», c'est-à-dire «l'essence de la qualification juridique des faits allégués», est à toutes fins pra- tiques identique dans l'une et l'autre des procédures: la bouteille opaque de couleur blanche de l'intimée, qui constitue le fait matériel sur lequel se fonde direc- tement et immédiatement le droit réclamé, est la même dans les deux procédures 17 . Il y a, par consé- quent, identité de parties, d'objet et de cause. Il y a chose jugée.
15 2e éd., tome VII, 1954, no 1552, à la p. 1015.
16 Supra, note 4, à la p. -456, no 560.
17 En Cour fédérale, l'intimée n'insiste plus sur le signe dis- tinctif que serait l'habillage de sa bouteille et ne fait pas état, dans les conclusions qu'elle recherche, de la couleur de cet habillage. Cette différence ne me paraît pas significative aux fins de déterminer s'il y a chose jugée: le jugement de la Cour supérieure s'étant prononcé sur l'un et l'autre des signes dis- tinctifs invoqués par l'intimée, celle-ci ne saurait éviter l'appli- cation de l'autorité de la chose jugée en se limitant, dans une nouvelle procédure, à un seul de ces signes. Comme le rappe-
(Suite à la page suivante)
La compétence de la Cour fédérale
Aux termes de l'article 55 de la Loi sur les marques de commerce 18 ,
55. La Cour fédérale peut connaître de toute action ou procé- dure en vue de l'application de la présente loi ou d'un droit ou recours conféré ou défini par celle-ci.
Aux termes du paragraphe 20(2) de la Loi sur la Cour fédérale 19 , la Cour fédérale a compétence con- currente dans les cas l'on cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi fédérale, ou de toute autre règle de droit relativement à un brevet d'inven- tion, un droit d'auteur, une marque de commerce ou un dessin industriel.
L'appelante soutient qu'à compter du moment où, en raison de l'autorité de la chose jugée, l'intimée ne peut plus prétendre que ses signes distinctifs consti tuent une marque de commerce non enregistrée, la Cour fédérale n'a pas compétence pour se pencher sur le seul volet de la procédure instituée qui demeure, soit le délit de substitution. Cette prétention est bien fondée.
La Cour fédérale, créature statutaire, n'a de com- pétence que celle qui lui est expressément attribuée par le Parlement, et cette compétence ne peut lui être attribuée qu'à l'égard d'un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige 2 o.
En l'espèce, les dispositions législatives sur les- quelles se fonde l'intimée sont les alinéas b), c) et e) de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce, qui se lit comme suit:
7. Nul ne peut:
(Suite de la page précédente)
lait Mignault, Le droit civil canadien, Montréal, 1902, t. VI, à la p. 105, «il importe de compléter la règle en disant qu'il n'est pas nécessaire que les deux demandes concluent identiquement à la même condamnation, mais qu'il y aura chose jugée dès que l'objet de la seconde action se trouve implicitement com- pris dans l'objet de la première».
18 L.R.C. (1985), ch. T-13.
L.R.C. (1985), ch. F-7.
20 Voir /TO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics lnc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la p. 766; Kigowa c. Canada, [1990] I C.F. 804 (C.A.); Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 3 C.F. 465 (C.A.).
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à dis- créditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde:
(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,
(ii) soit leur origine géographique,
(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d'exé- cution;
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.
La Cour suprême du Canada, dans MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd. 21 , en est venue à la conclu sion que l'alinéa 7e) était inconstitutionnel et elle a paru soulever un doute quant à la validité des autres alinéas. Notre Cour, dans Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. 22 , a été d'avis que les propos du juge en chef Laskin, dans MacDonald, ne menaient pas nécessairement à la conclusion que les autres alinéas de l'article 7 étaient inconstitutionnels et monsieur le juge MacGuigan, J.C.A., au nom de la Cour, a exprimé l'opinion que les alinéas a) à d) étaient «constitutionnellement valides dans la mesure on peut les considérer comme un complément de l'économie de la Loi en matières de marques de com merce, car il ne s'agit pas d'étendre la compétence fédérale mais simplement de fermer une chaîne de compétence qui, sans cela, resterait incomplète».
Se référant de façon particulière à l'alinéa 7b), monsieur le juge MacGuigan, J.C.A. ajoutait ce qui suit, aux pages 560 et 561:
Rien de tout cela, pas même le recours civil (en tout état de cause, analogue à celui qui a été confirmé dans l'arrêt Procu- reur général du Canada c. Québec Ready Mix Inc., précité) n'est sujet à controverse. Le point litigieux est le droit du Par- lement de créer un recours civil relativement à une marque de commerce qui n'est pas déposée en vertu de la Loi.
21 [1977] 2 R.C.S. 134, la p. 172.
22 Supra, note 2, à la p. 556.
L'alinéa 7b) reflète dans la Loi l'action en passing off issue de la common law, le passing off consistant à laisser croire que les biens ou les services d'une personne sont en réalité ceux d'une autre, ou que quelqu'un d'autre les offre ou y est associé. Il s'agit de fait de «parasiter» au moyen d'une déclaration ten- dant à induire en erreur.
En common law, le droit sur une marque de commerce est donc issu de l'usage d'une marque par une entreprise pour désigner ses produits au public. L'entreprise n'avait pas à déposer sa marque pour protéger son droit de l'utiliser et pré- venir l'usage abusif que pourrait en faire une autre entreprise. L'action en passing off était le recours disponible pour faire respecter les droits sur les marques de commerce. Sans l'action en passing off, les droits que reconnaît la common law sur les marques de commerce auraient peu de valeur.
Comme l'a démontré l'historique du juge en chef Laskin dans l'arrêt MacDonald, précité, la Loi canadienne a tradition- nellement visé la protection des marques non déposées aussi bien que celle des marques déposées, ce en quoi elle se com pare à la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30], dont le champ d'application dépasse le droit d'auteur enregis- tré. Dans les deux lois, le rôle de l'enregistrement est d'offrir des avantages en sus de ceux que fournit la common law.
Le Parlement, à l'alinéa 7b), entend protéger le renom asso- cié aux marques de commerce. De la sorte, comme l'a dit le juge Laskin, cet alinéa est un «complément» du système de protection de toutes les marques de commerce établi par la loi. Ainsi, le recours civil qu'il prévoit, de concert avec l'article 53, se trouve à «véritablement faire partie intégrante du sys- tème global de surveillance»: voir Procureur général du Canada c. Québec Ready Mix Inc., précité, aux pages 79 C.F.; 226 N.R.; 172 C.P.R. Il y a, en somme, un lien rationnel et fonctionnel avec le système visant les marques de commerce envisagé par le Parlement, en vertu duquel même les marques non enregistrées seraient protégées contre la fraude.
À mon sens, l'alinéa 7b) ressortit clairement à la compé- tence conférée au gouvernement fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Il me paraît ressortir de ces motifs que l'alinéa 7b) est valide dans la mesure l'action en passing off est reliée à une marque de commerce, enregistrée ou non, mais qu'il ne le serait pas dans un cas, comme en l'espèce, l'action en passing off, du fait qu'il y a chose jugée relativement à l'absence de marque de commerce non enregistrée, n'est reliée à aucune marque de commerce. Le même raisonnement vaut, à mon avis, à l'égard de l'alinéa c) 23 .
23 Voir Promotions Atlantiques Inc. c. Hardcraft Industries Lrd. (1987), 13 C.I.P.R. 194 (C.F. 1rc inst.), aux p. 198 et 199, M. le juge Strayer.
Le redressement recherché par l'appelante ne pou- vant s'appuyer sur l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce, cette Cour ne saurait avoir compétence 24 .
J'accueillerais en conséquence l'appel, je déclare- rais que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre la demande déposée au greffe de la Cour le 11 octobre 1990 et je rejetterais ladite demande, avec dépens en faveur de l'appelante en première instance et en appel.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je suis d'accord. LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'y souscris.
24 Voir Québec Ready Mix Inc. c. Rocois Construction Inc., [1989] 1 R.C.S. 695.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.