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A-81-17

2017 CAF 252

Frank Williams (appelant)

c.

Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (intimé)

Répertorié : Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Stratas et Webb, J.C.A.—Toronto, 22 septembre; Ottawa, 28 décembre 2017.

Douanes et Accise — Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — Appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale, qui a rejeté une requête en jugement sommaire présentée par l’appelant — L’appelant a demandé que lui soient restituées des espèces en devises américaines saisies à un bureau de douane — Au poste des déclarations, il a dit à l’agent qu’il n’avait pas l’intention d’entrer au Canada et qu’il n’avait pas en sa possession des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN — Une inspection secondaire a révélé que l’appelant avait en sa possession l’équivalent de 13 518,50 $CAN — Les espèces ont été saisies à titre de confiscation en vertu de l’art. 18(1) de la Loi — L’appelant a fait valoir que l’élément déclencheur de l’obligation de faire une déclaration en application de l’art. 12(1) de la Loi n’était pas présent parce qu’il avait déjà exprimé sa décision de ne pas les importer en application de l’art. 13 de la Loi — La Cour fédérale a conclu notamment que le fait de ne pas avoir l’intention d’entrer au Canada n’avait rien à voir avec l’obligation de déclaration — Il s’agissait de savoir si l’appelant a déclenché l’application de l’art. 13 et, dans l’affirmative, s’il était obligé de faire la déclaration prévue à l’art. 12(1) — La Cour fédérale n’a commis aucune erreur en partant du principe que l’appelant a déclenché l’application de l’art. 13 — C’est la substance, et non la forme, de ce que le voyageur dit qu’il convient d’examiner — Les mots de l’appelant, à savoir qu’il n’avait pas eu l’intention d’entrer au Canada, signifiaient qu’il n’avait pas l’intention d’importer les espèces — La personne qui a exprimé son intention de ne pas importer des espèces n’a pas besoin de faire la déclaration prévue à l’art. 12(1) — Cela favorise l’objet de protection de la vie privée des personnes aux termes de l’art. 3b) de la Loi — Sinon, l’art. 13 n’a aucune utilité pratique — Même si la déclaration prévue à l’art. 12(1) de la Loi n’a pas été faite, l’art. 14(3) de la Loi exige de l’agent des services frontaliers qu’il remette les espèces ou effets qui sont retenus dès lors que le voyageur l’informe que les espèces ou les effets ne sont pas importés — L’art. 14(3) confirme l’interprétation selon laquelle le défaut de faire une déclaration ne justifie pas de confisquer les espèces ou effets dans la mesure où la personne a dûment et en temps opportun renoncé à leur importation ou exportation — Les mots « en tout temps » de l’art. 13 sont précis et non équivoques — Aucun motif ne justifiait d’en donner une interprétation atténuée — La saisie des espèces de l’appelant n’était pas autorisée par la loi — L’ordonnance a été annulée et la requête en jugement sommaire a été accueillie — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale, qui a rejeté une requête en jugement sommaire présentée par l’appelant.

Dans son action sous-jacente, l’appelant a demandé que lui soient restituées des espèces en devises américaines qu’un agent des services frontaliers a saisies à un bureau de douane. Au poste des déclarations, l’appelant a dit à l’agent qu’il n’avait pas l’intention d’entrer au Canada et que c’était par accident qu’il s’y trouvait. Il a déclaré qu’il n’avait pas en sa possession des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN. Une inspection secondaire a révélé que l’appelant avait en sa possession l’équivalent de 13 518,50 $CAN. Les espèces « ont été saisies à titre de confiscation » apparemment en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Dans son action sous-jacente, l’appelant a fait valoir que l’élément déclencheur de l’obligation de faire une déclaration en application du paragraphe 12(1) de la Loi n’était pas présent parce qu’il avait déjà exprimé sa décision de ne pas les importer en application de l’article 13 de la Loi. La Cour fédérale a conclu notamment que le fait que l’appelant n’avait pas l’intention d’entrer au Canada n’avait rien à voir avec son obligation de déclaration, qui l’emporte sur l’article 13.

Il s’agissait de savoir si l’appelant a déclenché l’application de l’article 13 et, dans l’affirmative, s’il était obligé de faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La Cour fédérale n’a commis aucune erreur justifiant l’annulation de sa décision en partant du principe que l’appelant avait déclenché l’application de l’article 13. C’est la substance, et non la forme, de ce que le voyageur dit qu’il convient d’examiner. Les mots de l’appelant, à savoir qu’il n’avait pas eu l’intention d’entrer au Canada, peuvent seulement être interprétés comme signifiant qu’il retournerait directement aux États-Unis. Dans les circonstances, l’appelant a posé l’acte objectif nécessaire pour déclencher l’application de l’article 13, à savoir qu’il a communiqué sa décision de ne pas importer les espèces.

La personne qui a exprimé son intention de ne pas importer des espèces au Canada n’a pas besoin de faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1). L’article 13 peut seulement vouloir dire que la personne qui renonce à importer les effets ou espèces n’a pas besoin de faire la déclaration prévue à la Loi. Cela favorise l’objet de protection de « la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant » aux termes de l’alinéa 3b) de la Loi. Lorsqu’une personne fait la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi, son droit à la vie privée disparaît. Si l’article 13 n’a pas pour effet d’écarter l’obligation de déclaration et d’empêcher toutes ces atteintes à la protection de la vie privée, il n’a aucune utilité pratique. Même si la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi n’a pas été faite, le paragraphe 14(3) de la Loi exige de l’agent des services frontaliers qu’il remette les espèces ou effets qui sont retenus dès lors que le voyageur l’informe que les espèces ou les effets ne sont pas importés. Le paragraphe 14(3) va légèrement plus loin que l’article 13 et confirme l’interprétation selon laquelle le défaut de faire une déclaration ne justifie pas de confisquer les espèces ou effets dans la mesure où la personne a dûment et en temps opportun renoncé à leur importation ou exportation. Les mots « en tout temps » de l’article 13 avant que les espèces soient retenues en application de l’article 14 ou confisquées en application de l’article 18 sont, pour reprendre les termes employés dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, « précis et non équivoque[s] ». Aucun motif s’accordant avec l’objet de la Loi ne justifie d’en donner une interprétation atténuée. L’article 13 ne dépend pas d’une intention subjective de renoncer à l’importation. Pour qu’il s’applique, la personne doit exprimer la décision de renoncer à l’importation. L’article 13 exerce une fonction très limitée à la frontière : il protège un aspect du droit à la vie privée de la personne qui n’importe pas d’espèces ou d’effets. Il ne protège pas les voyageurs qui se livrent à des activités illégales. Pour ces motifs, la saisie et la confiscation des espèces de l’appelant n’étaient pas autorisées par la loi.

L’ordonnance a été annulée et la requête en jugement sommaire de l’appelant a été accueillie.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91, 92.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17, art. 3, 12(1),(4),(5), 13, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 30, 55(3), 55.1, 56, 56.1, 74(1).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 36(1).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 11(1), 98, 99, 107, 110, 153, 153.1, 160, 160.1, 161, 163.5.

Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412, art. 2(1).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 215(2)b).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140.

décisions citées :

Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152; Maple Lodge Farms Ltd. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2017 CAF 45; Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143; Canada c. Guindon, 2013 CAF 153, [2014] 4 R.C.F. 786; R. (Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union, [2017] UKSC 5, [2017] 2 W.L.R. 583; Hodge v. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117, 9 C.R.A.C. 13 (P.C.); Gray (In Re) (1918), 57 S.C.R. 150, 42 D.L.R. 1; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929; Ontario Public School Boards’ Assn. v. Ontario (Attorney General) (1997), 151 D.L.R. (4th) 346, 45 C.R.R. (2d) 341 (Div. gén. Ont.); Azouz c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1222; Zeid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 539; Hoang c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 182, [2006] 4 R.C.F. 309.

DOCTRINE CITÉE

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2014.

APPEL d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale (T-944-16, 2017 CF 234, la juge McDonald, ordonnance rendue le 24 février 2017, non publiée), qui a rejeté une requête en jugement sommaire présentée par l’appelant. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Leo Salloum, pour l’appelant.

Jacob Pollice, pour l’intimé.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Grill Barristers, Toronto, pour l’appelant.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : M. William interjette appel de l’ordonnance rendue le 24 février 2017 par la Cour fédérale (la juge McDonald) : 2017 CF 234. La Cour fédérale a rejeté une requête en jugement sommaire présentée par M. Williams dans le cadre d’une action qu’il a intentée.

[2]        Dans son action, M. Williams demande que lui soient restituées des espèces en devises américaines qu’un agent des services frontaliers a saisies à un bureau de douane. Une partie des espèces ont été déclarées confisquées.

[3]        La question de savoir si M. Williams aura gain de cause dépend uniquement d’une question de droit : la saisie et la confiscation de ses espèces étaient-elles autorisées par la loi? M. Williams dit qu’elles ne l’étaient pas. Le ministre intimé dit qu’elles l’étaient. La Cour fédérale a donné raison au ministre. M. Williams interjette maintenant appel de cette décision.

[4]        Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel et j’accorderais un jugement sommaire en faveur de M. Williams.

[5]        L’agent des services frontaliers n’avait aucun pouvoir de saisir les espèces en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi). Le ministre intimé n’a invoqué aucun autre pouvoir légal pour justifier la saisie. Par conséquent, M. Williams a droit à la restitution de toutes ses espèces.

A.        La nature de la requête devant la Cour fédérale

[6]        La requête en jugement sommaire a été présentée par M. Williams en vertu de l’alinéa 215(2)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Dans son avis de requête, M. Williams a demandé expressément à la cour de statuer sur le point de droit concernant le pouvoir de l’agent des services frontaliers, puis de faire ensuite droit à son action étant donné qu’il ne restait aucune véritable question litigieuse à trancher.

[7]        Les parties n’ont déposé aucun affidavit dans la requête en jugement sommaire. Ainsi, les seuls faits sur lesquels la Cour fédérale a pu s’appuyer pour statuer sur la requête de M. Williams sont ceux que le ministre a plaidés ou qu’il a admis dans sa défense.

[8]        Cela étant, l’essentiel de la requête de M. Williams est clair : sa requête doit être accueillie parce que, selon les faits plaidés ou admis par le ministre, l’agent des services frontaliers n’avait aucun pouvoir légal de saisir ses espèces.

B.        Les faits sous-tendant la requête en jugement sommaire

[9]        Le 3 juillet 2015, M. Williams circulait en direction est, vers le Canada, sur le pont Blue Water. Le pont relie Port Huron au Michigan (États-Unis) à Sarnia en Ontario (Canada). Au poste des déclarations de l’Agence des services frontaliers du Canada, M. Williams a dit à l’agent des services frontaliers [traduction] qu’« il s’était trompé de route et n’avait pas l’intention d’entrer au Canada ». Voir l’exposé de la défense, aux paragraphes 5 et 6.

[10]      L’agent des services frontaliers a ensuite [traduction] « posé les questions habituelles, y compris celle de savoir si M. Williams avait en sa possession des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN » : exposé de la défense, au paragraphe 6. M. Williams a répondu faussement qu’il n’en avait pas.

[11]      L’agent des services frontaliers a ensuite dirigé M. Williams vers une aire d’inspection secondaire, où il a été interrogé au sujet du renflement que présentait la poche avant de son short. M. Williams a répondu qu’il avait environ 6 000 $. Lorsqu’on lui a demandé de montrer les espèces pour inspection, M. Williams [traduction] « a admis qu’il pouvait, en fait, avoir en sa possession jusqu’à environ 10 000 $ étant donné qu’il gardait 2 500 $ pour un de ses passagers ». Voir l’exposé de la défense, au paragraphe 7.

[12]      En fait, M. Williams avait en sa possession 10 758 $US, ce qui équivalait à 13 518,50 $CAN : exposé de la défense, au paragraphe 8. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas déclaré les espèces, M. Williams a répondu [traduction] qu’« il a été dérouté lorsqu’on lui a d’abord posé la question, parce qu’il n’avait pas l’intention de venir au Canada et qu’il avait effectivement oublié qu’il avait cet argent dans sa poche » : exposé de la défense, au paragraphe 9.

[13]      Peu après, les espèces de M. Williams « ont été saisies à titre de confiscation » apparemment en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi : exposé de la défense, au paragraphe 10. Le ministre a ensuite décidé, dans une décision administrative, que la somme de 2 020 $US devait être restituée à M. Williams parce qu’il avait été prouvé qu’elle était d’origine légitime : exposé de la défense, aux paragraphes 11 à 13. Le reste, 8 738 $US, est demeuré saisi à titre de confiscation.

[14]      Dès réception de la décision du ministre, M. Williams a intenté une action devant la Cour fédérale, sollicitant la restitution des 8 738 $US. C’est ainsi qu’une personne s’estimant lésée peut obtenir la révision de la décision du ministre : article 30 de la Loi. M. Williams a également réclamé des intérêts avant jugement à compter de la date de la saisie, et ce, sur les fonds entiers saisis au départ étant donné qu’aucune restitution n’avait eu lieu.

C.        La Loi

[15]      La Loi crée un régime visant à réglementer l’importation ou l’exportation des espèces ou effets par les voyageurs transfrontaliers. La Loi prévoit que toute quantité d’espèces ou effets peut être importée ou exportée.

[16]      Le paragraphe 12(1) de la Loi impose cependant une exigence en matière de déclaration. Il prévoit que les personnes qui franchissent la frontière « sont tenues de déclarer [...] l’importation ou l’exportation des espèces ou effets [nationaux ou étrangers] d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire ». Le seuil de déclaration est de 10 000 $CAN : Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412, paragraphe 2(1).

[17]      Par conséquent, l’objet de la Loi n’est pas d’empêcher les mouvements transfrontaliers de grande quantité d’espèces et d’effets, mais plutôt de suivre ces mouvements. Cet objet vise à atteindre d’autres objectifs, plus généraux, dont la détection et la prévention du recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes et du crime organisé. Ceux-ci sont exposés explicitement à l’article 3 de la Loi :

Objet

3 La présente loi a pour objet :

a) de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de recyclage des produits de la criminalité et aux infractions de financement des activités terroristes, notamment :

(i) imposer des obligations de tenue de documents et d’identification des clients aux fournisseurs de services financiers et autres personnes ou entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités susceptibles d’être utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité ou pour le financement des activités terroristes,

(ii) établir un régime de déclaration obligatoire des opérations financières douteuses et des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets,

(iii) constituer un organisme chargé du contrôle d’application des parties 1 et 1.1 et de l’examen de renseignements, notamment ceux portés à son attention au titre du sous-alinéa (ii);

b) de combattre le crime organisé en fournissant aux responsables de l’application de la loi les renseignements leur permettant de priver les criminels du produit de leurs activités illicites, tout en assurant la mise en place des garanties nécessaires à la protection de la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant;

c) d’aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational, particulièrement le recyclage des produits de la criminalité, et la lutte contre les activités terroristes;

d) de renforcer la capacité du Canada de prendre des mesures ciblées pour protéger son système financier et de faciliter les efforts qu’il déploie pour réduire le risque que ce système puisse servir de véhicule pour le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

[18]      Afin de favoriser l’atteinte de ces objectifs généraux, les déclarations recueillies en application du paragraphe 12(1) sont transmises au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) : paragraphe 12(5) de la Loi. La Loi sur les douanes permet par ailleurs la communication à grande échelle, dans certaines circonstances, des renseignements obtenus au moyen de ces déclarations : voir p. ex., les alinéas 107(4)c) et 107(5)k) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1.

[19]      De plus, la Loi prévoit la possibilité de retenir temporairement des espèces ou effets importés ou exportés (article 14), d’intercepter le courrier (articles 17 et 21) et de fouiller des personnes (article 15) et des moyens de transport (article 16).

[20]      La Loi dispose également que, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne n’a pas, en contravention du paragraphe 12(1) de la Loi, déclaré des espèces ou effets dont la valeur dépasse le seuil de déclaration, l’agent des services frontaliers peut « saisir à titre de confiscation » les espèces ou effets (article 18). Dans la présente affaire, les parties conviennent que, si M. William n’était pas tenu de déclarer ses espèces, conformément au paragraphe 12(1) de la Loi, l’agent des services frontaliers n’avait aucun motif raisonnable de les saisir.

[21]      Si l’on tient compte des faits principaux de la présente affaire et du régime législatif que nous venons d’expliquer, il est possible de conclure que la Loi permettait la saisie des espèces de M. Williams. Ce dernier transportait des espèces d’une valeur supérieure à 10 000 $CAN de l’autre côté de la frontière et ne l’a pas déclaré. À première vue, le paragraphe 12(1) exige qu’une déclaration soit faite dans de telles circonstances. Et comme nous l’avons mentionné, l’article 18 permet la saisie des espèces lorsqu’une personne ne fait pas une déclaration qu’elle aurait dû faire.

[22]      Or, pareille conclusion serait prématurée. C’est qu’il existe une autre disposition qui, selon M. Williams, le libère de l’obligation de déclaration prévue au paragraphe 12(1). Il s’agit de l’article 13.

[23]      L’article 13 permet à la personne qui a l’obligation de déclarer les espèces de « renoncer à poursuivre leur importation ou exportation », « en tout temps » avant leur rétention en application de l’article 14 ou leur confiscation en application de l’article 18. Les parties conviennent que, pour que l’article 13 s’applique, la personne ne doit pas seulement renoncer à poursuivre l’importation ou l’exportation des espèces, elle doit aussi faire connaître sa décision à l’agent des services frontaliers.

[24]      Si, comme en l’espèce, une personne déclenche l’application de l’article 13 dès son arrivée au Canada ― p. ex., en déclarant qu’elle n’importe rien au Canada ― cette personne est-elle obligée de faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi?

[25]      La réponse à cette question de droit est déterminante quant à l’issue de la présente affaire :

●     Si la réponse est oui ― p. ex., même si M. Williams a déclenché l’application de l’article 13, il devait quand même faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi ― alors le fait que M. William ne se soit pas conformé au paragraphe 12(1) de la Loi autorisait l’agent à confisquer les espèces en application de l’article 18 de la Loi. Comme il est mentionné, l’article 18 permet la saisie des espèces lorsque l’agent a des motifs raisonnables de croire que la déclaration exigée par la Loi n’a pas été faite. Ainsi, les espèces ont été dûment saisies.

●     Si la réponse est non ― p. ex., M. Williams a déclenché l’application de l’article 13 et n’avait donc pas à faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi ― alors M. Williams n’a pas contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi. Cela change tout : la condition préalable à l’application de l’article 18 ― qui n’autorise la saisie que s’il existe un doute raisonnable qu’une déclaration doit être faite et qu’elle n’a pas été faite ― n’est pas présente. Par conséquent, l’agent n’était pas légalement autorisé à saisir les espèces de M. William en application de l’article 18 de la Loi de sorte que M. Williams a droit à la restitution de ses espèces.

D.        La thèse de M. Williams

[26]      Dès son arrivée au Canada, M. Williams a déclaré que c’était par accident qu’il s’y trouvait, et plus tard, dans le même ordre d’idées, il a dit qu’il n’avait pas eu l’intention de venir au Canada. C’est là l’expression d’une décision de ne pas entrer au Canada et, partant, de ne rien importer au Canada. L’article 13 lui permet de faire cette déclaration « en tout temps » avant que les espèces soient retenues ou confisquées. M. Williams affirme que cela comprend aussi le temps qui précède la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi. Il insiste sur les mots « en tout temps ».

[27]      Ainsi, selon M. Williams, l’élément déclencheur de l’obligation de faire une déclaration en application du paragraphe 12(1) ― « l’importation ou l’exportation » d’espèces d’une valeur supérieure à 10 000 $CAN ― n’était pas présent. M. Williams affirme qu’il n’était pas tenu de déclarer qu’il importait des espèces parce qu’il avait déjà exprimé sa décision de ne pas les importer en application de l’article 13.

E.        La décision de la Cour fédérale

[28]      La Cour fédérale a rejeté la thèse de M. Williams. Elle a adopté celle du ministre. Devant notre Cour, le ministre a adopté les motifs de la Cour fédérale.

[29]      Au paragraphe 14 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu que l’obligation imposée par le paragraphe 12(1) de la Loi de déclarer à l’agent « l’importation [...] des espèces » d’une valeur supérieure à 10 000 $CAN [traduction] « est la première étape de l’importation d’espèces ».

[30]      Selon la Cour fédérale, il n’est possible de prendre la décision de « renoncer à poursuivre leur importation ou exportation » qu’après avoir fait la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi. Ce n’est qu’après avoir fait cette déclaration qu’une personne peut [traduction] « choisir de renoncer à l’importation en application de l’article 13 » (au paragraphe 16).

[31]      Toujours selon la Cour fédérale, le fait que M. Williams n’avait pas l’intention d’entrer au Canada [traduction] « n’a rien à voir avec son obligation de déclaration ni avec l’obligation qu’il a de répondre honnêtement aux questions » posées par l’agent des services frontaliers conformément au paragraphe 12(1) de la Loi (au paragraphe 18). À son avis, l’interprétation que donne M. Williams de l’article 13 ne s’accorde pas avec l’obligation de déclaration imposée par le paragraphe 12(1) de la Loi. En effet, l’obligation de déclaration prévue au paragraphe 12(1) l’emporte sur l’article 13.

[32]      Par conséquent, selon la Cour fédérale, l’agent des services frontaliers en l’espèce ― qui avait des motifs raisonnables de croire que M. Williams n’avait pas fait la déclaration requise par le paragraphe 12(1) ― avait le pouvoir en vertu de l’article 18 de la Loi « de saisir à titre de confiscation les espèces ».

[33]      Dans sa décision, la Cour fédérale n’a pas analysé le rôle des mots « en tout temps » à l’article 13. L’effet de sa décision est que les mots « en tout temps » sont interprétés comme voulant dire [traduction] « en tout temps après qu’une déclaration a été faite en application du paragraphe 12(1) de la Loi »; par conséquent, la décision de ne pas importer, dont il est question à l’article 13, n’écarte pas l’obligation de déclaration imposée par le paragraphe 12(1) de la Loi.

F.         Analyse

1)         M. Williams a-t-il déclenché l’application de l’article 13?

[34]      La Cour fédérale est partie du principe que M. Williams avait déclenché l’application de l’article 13. À mon avis, la Cour fédérale n’a commis à cet égard aucune erreur justifiant l’annulation de sa décision.

[35]      La plupart des voyageurs transfrontaliers ne connaissent pas la Loi. L’article 13 ne les oblige pas à utiliser une suite exacte de mots pour déclencher l’application de l’article 13. C’est donc la substance, et non la forme, de ce que le voyageur dit qu’il convient d’examiner.

[36]      Dans sa défense, le ministre concède que, dès son arrivée au Canada et avant que l’agent des services frontaliers lui pose des questions, M. Williams a dit à ce dernier qu’il était arrivé au Canada accidentellement. Plus tard, au cours de l’inspection secondaire, mais avant que ses espèces soient saisies à titre de confiscation en vertu de l’article 18, M. Williams a déclaré qu’il n’avait pas eu l’intention d’entrer au Canada, confirmant ainsi ce qu’il avait déclaré plus tôt. Ses mots peuvent seulement être interprétés comme signifiant qu’il retournerait directement aux États-Unis.

[37]      M. Williams transportait ses espèces sur lui. Nul ne peut importer au Canada quelque chose qu’il a sur lui à moins d’entrer au Canada. Compte tenu des circonstances de l’espèce, j’estime que la déclaration de M. William, selon laquelle il n’avait pas l’intention d’entrer au Canada, est en substance une déclaration qu’il n’avait pas l’intention d’importer quoi que ce soit au Canada. S’il entendait retourner directement aux États-Unis, il n’importait rien au Canada.

[38]      Dans les circonstances, M. Williams a posé l’acte objectif nécessaire pour déclencher l’application de l’article 13, à savoir qu’il a communiqué sa décision de ne pas importer les espèces. Je conclus que M. Williams a déclenché l’application de l’article 13. Nous ferons donc de même.

[39]      Compte tenu de ce qui précède, la Cour fédérale pouvait, dans les circonstances, partir du principe que M. Williams avait déclenché l’application l’article 13. Nous ferons donc de même.

[40]      Ainsi, nous devons maintenant répondre à la question de droit posée plus tôt : si, comme en l’espèce, une personne déclenche l’application de l’article 13 dès son arrivée au Canada ― p. ex., en déclarant qu’elle n’importe rien au Canada ― cette personne est-elle obligée de faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi? Pour ce faire, nous devons interpréter les dispositions pertinentes de la Loi.

2)         L’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi

[41]      Nous devons interpréter les dispositions pertinentes de la Loi en fonction de leur texte, de leur contexte et de leur objectif : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559.

[42]      Dans la présente analyse, « [l]orsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation » : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10.

[43]      Néanmoins, la cour doit tenir compte du contexte global de la disposition devant être interprétée, « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » : ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48.

[44]      Que la saisie autorisée par la Loi soit d’application semblable aux infractions de responsabilité absolue créées par de nombreuses lois de nature réglementaire est également pertinent pour le processus d’interprétation législative. Comme je l’expliquerai plus loin, ce sont les actes et les omissions des voyageurs, et non leurs intentions, qui sont pertinents dans le cadre de ce régime. La Cour a conclu que de telles dispositions peuvent produire des effets draconiens et doivent, pour cette raison, faire l’objet d’un examen minutieux : Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152; Maple Lodge Farms Ltd. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2017 CAF 45, aux paragraphes 18 et 19, citant Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143; et Canada c. Guindon, 2013 CAF 153, [2014] 4 R.C.F. 786, aux paragraphes 54 et 55.

[45]      J’aimerais donner quelques indications supplémentaires concernant l’interprétation de la Loi. Je précise que rien dans ces indications ne doit être interprété comme un commentaire sur la façon dont la Cour fédérale a interprété la Loi.

[46]      L’interprétation législative peut être difficile. Il faut être vigilant afin de ne pas introduire de considérations externes dans l’analyse correcte et objective du texte, du contexte et de l’objet de la Loi.

[47]      Les appréciations personnelles de la conduite morale des parties, bonne ou mauvaise, n’ont rien à faire dans l’analyse. Dans l’affaire qui nous occupe, un voyageur transfrontalier a fait une fausse déclaration à un agent des services frontaliers quant à la somme en espèces qu’il avait en sa possession. Dans un tel cas, certains pourraient laisser leur réaction devant les faits fausser leur interprétation de la loi. Ce serait là une erreur.

[48]      Il serait tout aussi erroné de laisser des politiques personnelles ou des préférences politiques jouer un rôle dans notre interprétation de la loi : par exemple, viser un résultat que nous préférons personnellement, s’attacher à ce que nous aimons et ignorer ce que nous n’aimons pas, ou encore s’appuyer sur ce que nous croyons être ce qu’il y a de mieux pour la société canadienne. Ce qui est commun à ces pratiques, c’est que l’analyse est axée sur le sens que nous voulons donner à la loi plutôt que sur le véritable sens de la loi.

[49]      Dans notre système juridique, le point de départ est que seuls des législateurs élus ― et non des juges non élus ― ont le pouvoir « exclusif » d’exprimer leurs politiques personnelles ou préférences politiques dans des textes ayant force exécutoire : voir le préambule des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. On y consacre un principe obtenu au prix de luttes sanglantes quatre siècles auparavant : pour un rappel et une analyse plus récente du principe, voir R. (Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union, [2017] UKSC 5, [2017] 2 W.L.R. 583, aux paragraphes 40 à 46. La seule exception étant lorsque la loi délègue expressément le pouvoir de légiférer : voir Hodge v. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117, 9 C.R.A.C. 13 (P.C.) (règlement pris par des délégataires), et In Re Gray (1918), 57 S.C.R. 150, 42 D.L.R. 1 (ordonnances qui ressemblent à une loi adoptée par des délégataires). Mais encore, la délégation doit souvent respecter des exigences strictes de nature constitutionnelle : voir, p. ex., Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929 et Ontario Public School Boards Assn. v. Ontario (Attorney General) (1997), 151 D.L.R. (4th) 346, aux paragraphes 362 à 365, 45 C.R.R. (2d) 341 (Cour de l’Ontario (Division générale), aux paragraphes 356 à 359) (analyse relative à des dispositions dites Henri VIII).

[50]      En l’absence d’un argument convaincant voulant que la loi soit incompatible avec la Constitution, les juges ― comme tout le monde ― sont liés par la loi. Ils doivent la prendre telle qu’elle est. Ils ne doivent pas y insérer le sens qu’ils veulent lui donner. Ils doivent en dégager son sens véritable et l’appliquer, rien de plus.

[51]      Comment faire? Comme la jurisprudence l’indique, nous devons examiner le texte, le contexte et l’objet de la loi aussi objectivement et équitablement que possible. Pour ce faire, et plus particulièrement en ce qui concerne l’objet, nous avons de l’aide : la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, les règles d’interprétation législative connues à la fois des rédacteurs législatifs et des tribunaux, et les autres outils d’interprétation tels que ― dans certaines circonstances et avec la prudence voulue ― les documents extrinsèques, contemporains (p. ex., les résumés d’études d’impact de la réglementation ou les déclarations explicatives officielles), les débats législatifs et l’historique de la loi.

[52]      Il est fréquent dans le processus d’interprétation de procéder à un examen des effets probables ou des résultats d’interprétations opposées pour voir laquelle de ces interprétations s’harmonise le mieux avec le texte, le contexte et l’objet de la loi. Cette façon de faire est appropriée. Le juge procède à cet examen non pas pour cerner l’interprétation qui s’accorde avec ses politiques personnelles ou ses préférences politiques. Il examine plutôt ces effets ou résultats au regard des critères habituels et reconnus que sont le texte, le contexte et l’objet, afin de dégager le sens véritable de la loi. Par exemple, si une interprétation est contraire à l’objet de la loi, mais qu’une autre interprétation ne l’est pas, cette dernière pourrait être préférable à la première.

[53]      C’est avec ces considérations à l’esprit que je vais d’abord examiner l’objet de la Loi. Bien que les objectifs principaux de la Loi, énoncés à l’article 3, soient de détecter et de décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et du crime organisé, les deux parties conviennent que l’article 13 a un objectif différent : « assur[er] la mise en place des garanties nécessaires à la protection de la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant » : alinéa 3b) de la Loi. L’article 13, tel qu’interprété par M. Williams, est conforme à cet objectif. La personne qui a exprimé son intention de ne pas importer des espèces au Canada n’a pas besoin de faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1). Les renseignements qui auraient autrement été divulgués dans la déclaration, et communiqués à d’autres organismes, demeurent privés.

[54]      À cet égard, le ministre estime qu’il est difficile de comprendre le rôle de l’article 13.

[55]      Le législateur n’a pas adopté l’article 13 sans raison. L’un des principes d’interprétation reconnus est que le législateur ne légifère pas en vain. Alors, comment expliquer l’article 13? Qu’est-ce que cela donne à un voyageur transfrontalier d’exprimer la décision de ne pas importer en vertu de l’article 13?

[56]      L’article 13 peut seulement vouloir dire que la personne qui renonce à importer les effets ou espèces n’a pas besoin de faire la déclaration prévue à la Loi. Cela favorise l’objet de protection de « la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant » (alinéa 3b) de la Loi). Lorsqu’une personne fait la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi, son droit à la vie privée disparaît. Toutes les déclarations « doivent » être envoyées au CANAFE qui peut, dans certaines circonstances et à certaines fins, communiquer les renseignements qu’elles contiennent aux forces policières locales, à l’Agence du revenu du Canada, aux organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières, à l’Agence des services frontaliers du Canada, au Centre de la sécurité des télécommunications, au Service canadien du renseignement de sécurité et même aux gouvernements étrangers ― et la Loi sur les douanes permet également de communiquer, dans certaines circonstances, les renseignements obtenus au moyen d’une déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces à l’ensemble des institutions gouvernementales, dont le CANAFE : voir, p. ex., paragraphes 12(5) et 55(3), articles 55.1, 56 et 56.1 de la Loi et alinéas 107(4)c) et 107(5)k) de la Loi sur les douanes.

[57]      Interrogé par la Cour, le ministre n’a pas pu expliquer de façon plausible le rôle de l’article 13. Dans toutes les interprétations de l’article 13 qui ont été proposées par le ministre, le voyageur transfrontalier doit faire une déclaration honnête avant que l’article 13 puisse être invoqué. Or, lorsque la déclaration est faite, il est déjà trop tard. Si l’article 13 n’a pas pour effet d’écarter l’obligation de déclaration et d’empêcher toutes ces atteintes à la protection de la vie privée, il n’a aucune utilité pratique. Permettre à quelqu’un de ne pas faire de déclaration sur le fondement de l’article 13 empêche ces conséquences et favorise l’atteinte de l’objectif important énoncé à l’alinéa 3b) de la Loi ― « [assurer] la mise en place des garanties nécessaires à la protection de la vie privée des personnes à l’égard des renseignements personnels les concernant ».

[58]      Examinons maintenant le contexte. La Loi va de pair avec la Loi sur les douanes. La Loi n’a pas pour effet d’écarter ou de modifier les dispositions de la Loi sur les douanes. La Loi sur les douanes renferme des dispositions obligeant ceux qui se présentent à un bureau de douane à répondre aux questions que leur pose l’agent des services frontaliers, à donner des renseignements véridiques et à collaborer pleinement avec l’agent qui procède à une fouille autorisée : p. ex., paragraphe 11(1), articles 98, 99 et 153.1. Les objectifs sous-tendant l’obligation imposée par la Loi sur les douanes de faire une divulgation complète et franche à la frontière comprennent ceux de la Loi et s’appliquent à d’autres lois.

[59]      Ces obligations ainsi que d’autres obligations prévues par la Loi sur les douanes s’appliquent, peu importe que l’article 13 de la Loi s’applique. Plus précisément, la personne qui déclare qu’elle fait demi-tour et retourne immédiatement aux États-Unis et n’importe rien au Canada n’est pas, de par cette déclaration, dispensée de répondre honnêtement à toutes les questions qui lui sont posées et de collaborer pleinement comme l’exige la Loi sur les douanes.

[60]      La Loi sur les douanes prévoit, à l’égard d’un certain nombre de dispositions, les sanctions applicables en cas d’infraction, lesquelles sont distinctes de celles prévues par la Loi : partie VI de la Loi sur les douanes.

[61]      L’examen de la Loi et de la Loi sur les douanes révèle que les infractions à la Loi sur les douanes ne constituent pas un motif justifiant de confisquer les espèces en application de l’article 18 de la Loi. Certes, ces infractions peuvent entraîner des sanctions sévères. Ces sanctions sont cependant celles de la Loi sur les douanes, et la saisie prévue à l’article 18 de la Loi n’en fait pas partie.

[62]      En interprétant la Loi, ceux qui ont à l’esprit ses objectifs de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement du terrorisme pourraient hésiter à conclure que l’article 13 dispense les gens de divulguer des renseignements nécessaires. Or, ce serait là adopter une vision trop étroite du cadre législatif. Les gens ne sont pas dispensés de l’obligation de divulguer des renseignements nécessaires. Les obligations prévues par la Loi sur les douanes demeurent. Ne pas s’y conformer peut entraîner des sanctions sévères.

[63]      Concrètement, cela signifie que, même si l’invocation par M. Williams de l’article 13 de la Loi a pour effet de le dispenser de l’obligation de faire la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi, les obligations générales que lui impose la Loi sur les douanes demeurent. Si l’agent des services frontaliers lui pose des questions concernant les espèces, ces obligations lui imposent de répondre honnêtement à ces questions.

[64]      Cette interprétation est compatible avec une autre disposition de la Loi, le paragraphe 14(3), qui précise que les espèces ou effets qui sont retenus, mais qui ne sont pas encore saisis par un agent des services frontaliers doivent être remis à la personne si « l’agent constate qu’ils ont été déclarés en conformité avec le paragraphe 12(1) [de la Loi] » ou si « l’importateur ou l’exportateur informe l’agent qu’il a renoncé à poursuivre leur importation ou exportation ». Le « ou » est disjonctif. Ainsi, même si la déclaration prévue au paragraphe 12(1) de la Loi n’a pas été faite, le paragraphe 14(3) exige de l’agent des services frontaliers qu’il remette les espèces ou effets qui sont retenus dès lors que le voyageur l’informe que les espèces ou les effets ne sont pas importés ― autrement dit, si l’on prend la situation de M. Williams, la personne fait demi-tour et retourne aux États-Unis. Le paragraphe 14(3) va légèrement plus loin que l’article 13, qui permet seulement à la personne de renoncer à l’importation des espèces ou effets tant que ceux-ci ne sont pas retenus. Néanmoins, le paragraphe 14(3) confirme l’interprétation selon laquelle le défaut de faire une déclaration ne justifie pas de confisquer les espèces ou effets dans la mesure où la personne a dûment et en temps opportun renoncé à leur importation ou exportation.

[65]      Examinons maintenant le libellé de l’article 13. Les mots « en tout temps » ― avant que les espèces soient retenues en application de l’article 14 ou confisquées en application de l’article 18 ― sont, pour reprendre les termes employés dans l’arrêt Canada Trustco, « précis et non équivoque[s] ». Aucun motif s’accordant avec l’objet de la Loi ne justifie d’en donner une interprétation atténuée, compte tenu particulièrement des obligations générales de déclaration imposées par la Loi sur les douanes. En fait, même si l’article 13 ne contenait pas les mots « en tout temps », il aurait sans doute fallu les ajouter par interprétation pour y donner du sens : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2014), aux pages 211 à 214.

[66]      Encore une fois, si l’on examine le texte, le paragraphe 12(1) oblige à déclarer « l’importation [...] des espèces » d’une valeur supérieure à 10 000 $CAN. M. Williams, qui a déclaré qu’il n’avait pas l’intention d’entrer au Canada, n’importait rien. Comme il n’importait rien, il n’avait pas de déclaration d’importation à faire en vertu du paragraphe 12(1).

[67]      Le ministre soutient que l’intention subjective de M. Williams de ne pas importer d’espèces n’est pas pertinente : Azouz c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1222; Zeid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 539; Hoang c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 182, [2006] 4 R.C.F. 309. Je suis d’accord avec lui, mais seulement dans la mesure où il veut dire que la décision de renoncer à l’importation doit être exprimée à l’agent des services frontaliers et que le voyageur ne peut pas invoquer en défense qu’il n’avait pas l’intention de contrevenir à l’obligation de déclaration ou ne savait pas qu’il y contrevenait. Les décisions susmentionnées n’étayent que ces deux propositions et aucune d’elles ne justifie la saisie des espèces de M. Williams.

[68]      Tel que je l’ai interprété, l’article 13 ne dépend pas d’une intention subjective de renoncer à l’importation. Pour qu’il s’applique, comme les parties en conviennent, la personne doit exprimer la décision de renoncer à l’importation. En substance, M. Williams a exprimé à l’agent des services frontaliers sa décision de ne pas importer. Ce faisant, il a déclenché l’application de l’article 13.

[69]      Devant la Cour, M. Williams n’a formulé aucune observation concernant son intention. Il a plutôt prétendu que, parce qu’il exprimé sa décision de ne pas importer, il ne saurait être considéré en droit comme ayant importé des espèces. En arrivant au Canada accidentellement, il a exprimé en substance sa décision de faire demi-tour et de retourner immédiatement aux États-Unis. Il n’avait donc, selon le paragraphe 12(1), aucune obligation de déclarer « l’importation ou l’exportation des espèces ». C’est pourquoi aucun motif ne justifiait la saisie de ses espèces en application de l’article 18.

[70]      Le ministre a également invoqué le paragraphe 12(4) de la Loi, qui impose au voyageur l’obligation de « répondre véridiquement aux questions que lui pose un agent dans l’exercice des attributions » que lui confère la partie 2 de la Loi, et il a ajouté que M. Williams n’a pas répondu véridiquement quand l’agent lui a demandé combien d’argent en espèces il avait sur lui, une question qui entre dans le champ d’application de la partie 2 de la Loi. Mais cela est sans importance. La confiscation des espèces en application de l’article 18 n’est possible que si l’agent a des motifs raisonnables de croire qu’il y a infraction au paragraphe 12(1), non au paragraphe 12(4). Le libellé de l’article 13 n’assujettit pas le voyageur transfrontalier à l’obligation de faire une déclaration ou une déclaration exacte; encore une fois, la disposition peut être invoquée « en tout temps » avant la rétention des espèces en application de l’article 14 ou leur confiscation en application de l’article 18. Et, comme nous l’avons mentionné, la Loi et la Loi sur les douanes offrent des recours concernant le défaut de M. Williams de répondre véridiquement aux questions, notamment l’obligation prévue au paragraphe 12(4) de la Loi pourrait être invoquée : voir, p. ex., paragraphe 74(1) de la Loi et paragraphe 11(1), articles 153, 153.1, 160, 160.1 et 161 de la Loi sur les douanes. Or, aucun de ces recours ne permet la confiscation des espèces non déclarées en application de l’article 18 de la Loi.

[71]      Je rappelle que cette interprétation de l’article 13 n’est pas une sorte d’échappatoire pour les blanchisseurs d’argent, les financiers du terrorisme et les autres criminels transnationaux. La Loi et son article 13 n’occupent que peu d’espace dans le grand univers des obligations créées par la Loi sur les douanes et des mécanismes d’enquête et d’exécution puissants qui l’accompagnent. Avec en toile de fond la possibilité d’une détention et de lourdes conséquences financières, l’agent des services frontaliers exerce les vastes pouvoirs que lui confère la Loi sur les douanes pour questionner les voyageurs sans motif valable, les fouiller eux et leurs effets, saisir ces effets, exiger qu’ils répondent véridiquement aux questions posées, arrêter ceux qui commettent des infractions au Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, ainsi que pour communiquer les renseignements ainsi recueillis afin de protéger les intérêts des Canadiens et de leurs institutions gouvernementales : voir, p. ex., paragraphe 11(1), articles 98, 99, 107, 110, 153, 153.1, 160, 160.1, 161, 163.5 de la Loi sur les douanes. Ces pouvoirs et sanctions sont très préoccupants pour les voyageurs transfrontaliers, y compris M. Williams.

[72]      L’article 13 exerce une fonction très limitée à la frontière : il protège un aspect du droit à la vie privée de la personne ― soit le montant des espèces ou effets en sa possession ― qui n’importe pas d’espèces ou d’effets. Il ne protège pas les voyageurs qui se livrent à des activités illégales.

[73]      Pour les motifs qui précèdent, la saisie et la confiscation des espèces de M. Williams n’étaient pas autorisées par la loi.

[74]      Il n’est pas nécessaire d’examiner les observations subsidiaires présentées par M. Williams sur le fondement de la Déclaration canadienne des droits ou de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés].

[75]      Les présents motifs ne modifient en rien les recours pouvant être pris en vertu de la Loi sur les douanes à l’encontre M. Williams eu égard aux faits de la présente affaire.

G.        Dispositif proposé

[76]      Pour les motifs qui précèdent, je serais d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler l’ordonnance de la Cour fédérale, de faire droit à la requête en jugement sommaire de M. Williams, avec dépens afférents à l’action, et avec dépens afférents à la requête devant la Cour et la Cour fédérale. Des intérêts avant jugement seront applicables à partir de la date de la saisie jusqu’à la restitution des espèces, et ils seront calculés en tenant pour acquis que le fait générateur est survenu en Ontario, en application du paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.

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