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[1970] R.C.A. M.R.N. v. SPROSTON 603 [TRADUCTION] Le Ministre du Revenu national (Appelant) v. Sproston (Intimé) Le Juge suppléant SheppardVancouver, les 25 février et 2 mars 1970. Impôt sur le revenu Mari et femmeOrdonnance de séparationVersement direct d'une pension alimentaire aux enfantsNon déductibleArticle 11(1)1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par une ordonnance de séparation, on a enjoint à S de verser à titre de pension alimentaire, $225 par mois à sa femme, et $90 pour l'entretien de chacun de ses quatre enfants. Se conformant à cet ordre, S a versé à sa femme les $225, mais a versé directement aux enfants les mensualités de $90. Jugé: En vertu de l'article 11(1)1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S n'a pas le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, les sommes versées directement aux enfants. Renvoi: Lumbers y. M.N.R. [1943] Ex.C.R. 202; Brown v. M.N.R. [1966] R.C. de l'$. 289; M.N.R. v. Trottier [1967] 2 R.C. de l'A. 268 et [1968] R.C.S. 728; M.N.R. v. Armstrong [1956] S.C.R. 446. APPEL de l'impôt sur le revenu. F. J. Dubrule et J. R. Power pour l'appelant. E. C. Chiasson pour l'intimé. LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARDIl S'agit de savoir si l'intimé Edward H. Sproston a, en vertu de l'article 11(1)1)1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le droit de déduire de son revenu imposable des années 1963 et 1964 les verse-ments mensuels qu'il a fait par chèque à chacun de ses quatre enfants; et pour cela, il faut préciser si les termes de l'article 11(1) 1) «son conjoint ... à qui il était tenu de faire le paiement à l'époque le paiement a été fait et durant le reste de l'année» impliquent nécessairement que les paiements soient faits au conjoint, ce que dénie l'intimé et affirme l'appelant. Le 30 juillet 1940, l'intimé Sproston a épousé Frances Melrose Baillie- Hamilton; quatre enfants sont nés du mariage, dont voici les noms et dates de naissance: Ronald Hugh 1944 Jerilyn Melrose 1948 Russell Edward 1946 Frances Aileen 1952 Par la suite, l'intimé et sa femme se séparèrent et, le 19 octobre 1962, la Cour suprême de Colombie-Britannique rendit une ordonnance de séparation 1Voici l'article 11(1)1) de la Loi de l'impôt sur le revenu: .11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragraphe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans ' calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition: 1). un montant payé par le contribuable pendant l'année conformément à -un décret, ordonnance ou jugement d'un tribunal compétent, ou en conformité d'une convention écrite, à titre de, pension alimentaire . autre allocation payable périodiquement pour l'entretien de la personne qui la reçoit 'ou des enfants issus dti mariage, ou, à la fois,' de la personne: qui reçoit et des enfants issus du mariage, si le, contribuable vivait séparé, et était séparé en conformité du.divorce, d'une séparation judiciaire ,pu d'une convention_ écrite de , séparation; de son conjoint ou ancien 'conjoint, à 'qui il était=tenu'de faire le paiement à l'époque paiement â 'été fait et durant le reste de l'année
[1970] R.C.E. M.R.N. v: SPROSTON 605 à la suite d'une action prise sous l'intitulé «Frances Melrose Sproston, de-manderesse, v. Edward Hugh Sproston et Gertrude Odette Hennessey, dé-fendeurs», et par ordonnance rendue le 23 avril 1963 en cette action, la Cour a ordonné à Sproston, intimé en l'espèce: . . . que le défendeur Edward Hugh Sproston verse à la demanderesse à titre de pension alimentaire permanente, la somme de deux cent vingt-cinq dollars ($225.00) le premier jour de chaque mois, ainsi que la somme de quatre-vingt dix dollars ($90.00) pour l'entretien de chacun de ses quatre enfants mineurs, à savoir: Ronald Hugh, Russell Edward, Jerilyn Melrose, et Frances Aileen Sproston, les dites sommes destinées aux quatre enfants devant être versées à la demanderesse jusqu'à ce que chaque enfant mineur ait atteint l'âge de vingt et un ans (21), ou subvienne à ses propres besoins, que tous les paiements en vertu de la présente commencent le 1" janvier 1963, et soient faits ensuite le premier jour de chaque mois; Le défendeur avait donc reçu l'ordre de verser, à partir du ler janvier 1963, la somme de $225.00 à sa femme, et la somme de $90.00 par enfant «pour l'entretien de chacun de ses quatre enfants». Au cours des années 1963 et 1964, les sommes destinées à l'entretien des enfants ont été versées mensuelle-ment, soit en une somme globale de $360.00 payable aux quatre enfants, soit par chèque de $90.00 à chaque enfant, et envoyés par lettre adressée aux quatre enfants ou à l'un d'entre eux. De toutes façons, ces sommes n'étaient pas versées.à la femme, Frances Melrose Sproston. Dans une lettre datée du 3 mai 1963, et adressée aux quatre enfants, l'intimé envoya un chèque de $90.00 pour chacun des cinq mois précédents, à partir du ler janvier 1963, et dans une lettre datée du ler juin 1963, l'intimé écrivit «Je vous donnerai de mes nouvelles une fois par mois avec votre chèque Lorsque la première lettre arriva, la mère était sortie; les enfants ouvrirent la lettre, et à son retour annoncèrent leur décision de déposer la somme reçue à leur propre compte de banque; la mère expliqua alors qu'elle devait faire face à une hypothèque de $200.00 par mois., plus les impôts sur la maison, et que la pension mensuelle de $225.00 accordée par l'ordonnance ne suffisait plus. En conséquence, les enfants convinrent de lui verser les chèques. Chaque enfant transmettait à sa mère par endossement le chèque qu'il recevait père, et la mère encaissait les chèques et consacrait ces fonds à l'entre-tien de la maison. En établissant la cotisation d'impôt sur le revenu de l'intimé pour les années 1963 et 1964, le ministre en exclut la somme de $4,320.00 par an versée aux enfants, mais autorisa l'intimé à faire certaines déductions qui seraient exclues par l'article 26(5) si l'intimé bénéficiait d'une défalcation à raison des versements faits aux enfants. En appel, la Commission d'appel de l'impôt autorisa l'intimé à déduire les paiements faits aux enfants; le ministre interjette maintenant appel devant cette Cour. Quant à savoir si l'article 11(1) l) vise les paiements faits aux enfants, l'intimé Sproston prétend que (1) l'obligation créée par l'ordonnance du 23 avril 1963 consiste à pourvoir au bien-être des enfants, qu'elle permet donc d'envoyer les chèques directement aux enfants; (2) que l'article 11(1) l) vise les paiements faits aux enfants; dans la mesure les termes qui suivent l'expression «conformément à» n'obligent pas à verser l'argent au conjoint, puisque l'article 11(1) l) autorise la déduction dun montant payé par le contribuable pendant l'année conformément à un décret, ordonnance ou juge-ment d'un tribunal compétent»; or, les paiements faits aux enfants sont des
[1970) R.C.E. M.R.N. v. SPROSTON 607 paiements faits conformément à l'ordonnance du 23 avril 1963. Les paiements faits aux enfants ne sont pas des paiements faits «conformément à» l'ordon-nance, pour les raisons suivantes: (1) L'obligation consiste à verser toutes les sommes d'argent à l'épouse, demanderesse lors de l'action en séparation; elle seule pouvait faire exécuter l'ordre de paiement; c'est pourquoi les termes mêmes de l'ordonnance exigent que le paiement soit fait à l'épouse. Rien ne prouve que les enfants aient reçu mandat de l'intimé Sproston afin de verser les sommes à l'épouse pour le compte de Sproston, acquittant ainsi l'obligation de Sproston en vertu de l'ordonnance. Cet argument n'a pas été invoqué. Par conséquent, il s'ensuit que lorsque le père envoyait l'argent aux enfants, cet argent était transféré inconditionnellement aux enfants, et qu'aucun lien de fidéicommissaire ne découlait des rapports de payeur à payer, ni de la volonté des parties, qui était de permettre aux enfants d'utiliser cet argent, et non de les obliger à le conserver pour leur père. La lettre de Sproston datée du ler juin 1963, l'intimé déclare «Je vous donnerai de mes nouvelles une fois par mois avec votre chèque», prouve qu'on écartait l'idée d'une fiducie, puisqu'on entendait faire une donation. En définitive, l'argent versé aux enfants n'était pas versé à la femme con-formément à l'ordonnance, et ne déchargeait donc pas l'intimé de l'obligation qu'il avait envers sa femme. (2) L'intimé prétend que les termes de l'article 11(1)/), «confor-mément à», servent à préciser la nature de l'ordonnance, et n'exigent pas le paiement àà l'épouse. Cet argument ne saurait être retenu. L'article traite des paiements et de leur déduction. Cette intention ressort des termes mêmes du début de l'article 11(1)/), «un montant payé» par le contribuable, qui autorisent la déduction de certaines sommes de son revenu imposable. La suite de l'article au conjoint à qui il était tenu de faire le paiement à l'époque le paiement a été fait») indique égale-ment les paiements dont on peut autoriser la déduction du revenu impo-sable de l'intimé. Puisque l'article, lorsqu'il s'applique, autorise une déduction au revenu normalement imposable, il faut donc se conformer strictement à toutes les exigences de l'article avant d'accorder une exemption. Dans l'affaire Lumbers v. M.N.R. [1943] Ex.C.R. 202 (2 D.T.C. 631), le juge Thorson déclarait (à la page 211) : Il est bien établi qu'on doit donner une interprétation limitative aux dispositions d'exemption d'une loi sur l'impôt. Dans l'affaire Wylie v. City of Montreal, [1885] 12 Can. S.C.R. 384, le juge en chef sir W. J. Ritchie déclarait, à la page 386: Je suis tout à fait disposé à reconnaître que la volonté d'exemption doit être exprimée en termes clairs et non-équivoques; que l'imposition est la règle et l'exemption l'exception, et qu'il faut donc l'interpréter de façon limitative; On peut exprimer cette règle de façon quelque peu différente dans le contexte particulier de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu. De même que des sommes reçues et détenues par un contribuable ne constituent pas un revenu imposable, sauf disposition contraire et claire de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, de même, un contribuable ne peut, pour tout ce qui constituerait normalement un revenu imposable, en sa possession, demander et obtenir une
[1970] R.C.E. M.R.N. v. SPROSTON 609 exemption d'impôt sur le revenu que si son cas est expressément prévu par une disposition d'exemption de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu; il doit démontrer que tous les éléments constitutifs requis pour justifier l'exemption se retrouvent en l'espèce, et que toutes les conditions exigées par l'article d'exemption sont remplies. L'un des éléments requis en l'espèce est la clause de paiement au conjoint, l'épouse de l'intimé. Par ailleurs, la jurisprudence a établi que les termes de l'article précisent quels paiements peuvent être déduits, et non pas simple-ment la nature de l'obligation conformément à laquelle le paiement doit être fait. Dans l'affaire Brown v. M.N.R. [1964] D.T.C. 812, (devant la Commission d'appel de l'impôt) et [1966] Ex.C.R. 289, [1965] D.T.C. 5184 (devant le juge Cattanach), le contribuable cherchait à déduire, en vertu de l'article 11(1)1), la somme de $1,170.00 versée au père de sa femme, à titre de remboursement du loyer qu'elle devait à ses parents, conformément à une ordonnance de la Cour suprême de l'Ontario. W. O. Davis, c.r., de la Commission d'appel de l'impôt, déclarait, page 814: Le 4 avril 1962, l'appelant fit un chèque de $1,170 à Wilfred Baker, père de Wilhelmina Brown, épouse de l'appelant, en conformité du paragraphe 2 de l'ordonnance rendue par le Senior Master. L'intimé a refusé d'admettre ce paie-ment en déduction du revenu de l'appelant, au motif qu'il ne s'agissait pas d'une «allocation payable périodiquement pour l'entretien de la personne qui la reçoit», ainsi que pour d'autres motifs énoncés dans sa notification donnée en vertu de l'article 58 de la Loi de l'impôt sur le revenu et exposés ci-dessus. M. le juge Cattanach, à [1966] Ex. C.R. à la page 291, a approuvé ce juge-ment, dans les termes suivants: Puisque je partage les conclusions, auxquelles est parvenu le savant membre de la Commission d'appel de l'impôt et que je suis d'accord avec le raisonnement qui l'y a conduit, l'appel est rejeté avec dépens. Dans l'affaire M.N.R. v. Trottier, [1967] 2 Ex.C.R. 268, [1968] S.C.R. 728, 67 D.T.C. 5029, le contribuable et sa femme dirigeaient un hôtel avant leur séparation. La femme réclama un droit à la moitié de l'hôtel, pour laquelle le contribuable lui proposa $45,000.00. Plus tard, on dressa un certain nombre d'actes pour donner effet à cet accord, y compris une seconde hypo-thèque sur l'hôtel, pour $45,000.00 avec intérêts, et le contribuable demanda à déduire en vertu de l'article 11(1)1), ses paiements pour cette hypothèque; niais il ne fut pas admis à le faire. Le juge Cattanach déclarait, .à la page 277: L'article 11(1) l) permet de déduire, dans le calcul du revenu imposable: un montant payé par le contribuable pendant l'année ... en conformité d'une convention écrite, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour l'entretien de la personne qui la reçoit... Pour pouvoir être déduits de son revenu, les paiements faits par l'intimé à sa femme doivent correspondre exactement à ces termes exprès. Tout en tenant compte de ces considérations, un examen du paragraphe 2 de la convention de séparation, Annexe D, révèle que MIDe Trottier accepta une seconde hypothèque de $45,000 sur l'hôtel «à titre de règlement complet de toute réclamation d'aliments contre son mari». Bien que la valeur de la seconde hypothèque pourrait ne pas être de $45,000, il me semble cependant que les termes du paragraphe indiquent que M0 B Trottier a obtenu de son mari, en échange de son droit à l'entretien, un droit incorporel. et: Il me semble donc que l'on ne peut pas prétendre que les paiements en question aient constitué, pour employer les termes de l'article 11(1) I), «un
[1970] R.C.E. M.R.N. v. SPROSTON 611 montant payé par le contribuable pendant l'année, en conformité d'une convention écrite, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour l'entretien de la personne qui la reçoit. La Cour suprême du Canada a approuvé ce jugement (1968) D.T.C. 5216; le juge en chef (au nom de la Cour) a déclaré, à la page 5219: Même si j'ai énoncé mes motifs en mes propres termes, je tiens à dire que je suis tout à fait d'accord avec les motifs du juge Cattanach. Dans l'affaire M.N.R. v. Armstrong, [1956] S.C.R. 446, le jugement de divorce ordonnait au contribuable de faire des paiements mensuels à sa femme; par la suite sa femme accepta une somme globale de $4,000.00, réglée en une fois, à la place d'un certain nombre de versements à échoir. On a jugé que la somme de $4,000.00 n'était pas versée conformément au jugement de divorce et que l'article 11(1) l) ne lui était donc pas applicable. Le juge en chef déclarait à la page 447: Le critère consiste à savoir si elle a été versée conformément à un décret, une ordonnance ou un jugement, et non pas si elle a été versée en raison d'une obligation juridique imposée ou assumée. II n'existait, en vertu du jugement, aucune obligation pour l'intimé de verser une somme globale au lieu des mensualités prévues au jugement. L'intimé soutient que l'article renferme une équivoque. A mon avis, il n'en est rien; il peut être utile de citer à cet égard l'observation du vicomte Simonds dans l'arrêt Kirkness v. John Hudson & Co. Ltd., [1955] A.C. 696, à la page 712: Cela veut dire qu'il revient à chacun de nous de décider du sens des mots en question. En prenant cette décision, chacun devra nécessairement tenir compte de l'opinion des autres; mais s'il se fait en définitive sa propre opinion et ne pense pas que ces mots soient «raisonnablement et également susceptibles de divers sens», il n'a pas le droit de dire qu'il subsiste une équivoque. Pour lui du moins, il n'y a pas d'équivoque, et il doit juger l'affaire en fonction de cette opinion. Le juge Kellock déclarait à la page 448: Il me semble que le paiement en question n'est pas visé par le texte de loi. Il ne s'agissait pas d'un montant payable «conformément à» ce jugement, mais plutôt d'un montant payé pour se libérer de l'obligation qu'il imposait. Le juge Locke déclarait à la page 449: L'appelant a versé les $4,000.00 dans le but d'obtenir ce qu'il supposait être sa libération de l'obligation d'entretenir son enfant mineur, dans la mesure cet entretien était mis à sa charge par le jugement conditionnel. Il est à mon avis impossible de dire que cette somme unique a été payée, pour reprendre les termes de l'article, conformément à ce jugement de divorce. Certes, elle a été payée en conséquence de l'obligation d'entretenir le mineur, créée par le jugement; mais ceci n'entre pas dans le cadre de l'article. L'intimé s'est appuyé sur les définitions du terme «pursuant» données par le dictionnaire juridique Black, à la page 1401, et par le New Standard Dictionary de Funk et Wagnall, éd. 1943, à la page 2014, mais ces définitions ne nous sont d'aucune utilité, compte tenu de la jurisprudence sur cet article. Il s'ensuit que l'article exige que le paiement soit fait à l'épouse, pour que l'intimé, en qualité de contribuable, puisse le déduire. Puisque tel n'est pas le cas, en l'espèce l'intimé n'a donc pas le droit à l'appel, la cotisation du ministre est confirmée, mais sans dépens puisque le ministre ne réclame pas de frais. 93532-4
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