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[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 159 [TRADUCTION] Beukenkamp (Réclamant) v. Secrétaire d'État (Intimé) Présent: Le Juge ThurlowOttawa, les 2 et 16 décembre 1969. Biens ennemisCompétenceArticle 41(2) du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920)—Actions de compagnie appartenant d un ressortissant neutre et attribuées au CurateurDroit des héritiers du propriétaire de reprendre l'instance sans le consentement du CurateurSurvie de la cause d'action Dévolution aux héritiers d défaut d'administrateurDomicile du Curateur. En 1934, B intentait une action devant cette cour, en vertu de l'article 41(2) du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920), en revendication de son droit, à titre de ressortissant des Pays-Bas, sur certaines actions d'une com-pagnie canadienne qui avaient été attribuées au Curateur des biens ennemis. Le Curateur a consenti à la poursuite, comme l'exige l'article 41(2). B est décédé en 1953, et ses quatre enfants ont demandé à être adjoints à l'action à titre de demandeurs. Jugé, les enfants de B avaient le droit d'être adjoints à l'action à titre de demandeurs, de reprendre l'instance et, à cette fin, d'amender l'exposé de la demande pour alléguer le droit dont ils prétendent avoir été investis au décès. de B. 1. Le Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920) n'enlève pas leur droit de propriété aux personnes n'ayant pas la nationalité allemande et dont les biens ont été confisqués. L'article 41(2) ne crée pas une nouvelle cause d'action, mais établit simplement une procédure permettant de déterminer l'existence d'une cause d'action à l'égard d'un droit de propriété. Cette cause d'action est passée, au décès du réclamant, à ses ayants droit. Le consentement du Curateur à la poursuite ne faisait pas partie de la cause d'action, et une fois donné, était également valable pour les successeurs du requérant. Compte tenu de Secretary of State of Canada v. Alien Property Custodian for the U.S., [1931] S.C.R. 170. 2. Les quatre enfants de B, en la qualité d'héritiers qui leur est reconnue par le droit des Pays-Bas, domicile du de cujus (le droit néerlandais n'exige pas la nomination d'un administrateur), pouvaient faire valoir leurs droits en tant que successeurs de B devant cette cour, qui a compétence pour tout le Canada, bien qu'ils ne se soient pas fait confier par une Cour de vérification l'administration des biens du de cujus. Quoique le droit des provinces de common law puisse exiger, dans de telles circonstances, la nomination d'un administrateur, le droit du Québec autorise les héritiers à faire valoir leurs droits successoraux sans l'intervention d'un administrateur. Le . Curateur, qui est un fonctionnaire fédéral, peut de ce fait être censé domicilié n'importe na au Canada. Renvoi à Crosby v. Prescott, [19231 S.C.R. 446 et Vanquelin v. Bouard, (1863) 15 C.B.N.S. 341 et 143 E.R. 817. MOTION Pierre Genest, c.r., pour les demandeurs. D. H. Aylen et R. W. Law, pour le défendeur. LE JUGE THURLOW: Cette action a été introduite le 6 octobre 1934 par le dépôt d'un exposé de demande en revendication visant à faire établir le droit du réclamant à 145 actions de la Compagnie du Chemin de fer Canadien du Pacifique, qu'il prétend avoir achetées avant l'ouverture des hostilités de la Grande Guerre, ainsi qu'aux accroissements correspondants, qui ont été attribués au défendeur en sa qualité de Curateur des biens ennemis. Dans l'exposé de sa demande, le réclamant prétendait n'avoir jamais été un ennemi au sens du Décret concernant le traité de paix avec
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 161 l'Allemagne (1920) et avoir toujours été depuis sa naissance sujet et citoyen des Pays-Bas. Le consentement par écrit du Curateur à la poursuite, exigé par l'article 41(2) du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920), a été déposé le même jour. L'exposé de la demande a été amendé en 1937; une défense et une adjonction de parties à l'instance ont été produites plus tard dans cette même année. Dans sa défense, le Curateur, en plus de démentir les prétentions du réclamant, a allégué que les actions lui avaient été à juste titre et légalement attribuées conformément à une ordonnance générale d'attribution prise par la Cour supérieure de la province de Québec, en date du 23 avril 1919, en vertu des Décrets codifiés concernant le commerce avec l'ennemi, confirmés par le Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920) et ses modifications. Le réclamant, Adriaan Beukenkamp, est décédé en 1953, mais en dépit de l'extraordinaire longueur du retard apporté à la conclusion de l'affaire, aussi bien avant que depuis sa mort, il semble suffisamment clair, d'après le contenu du dossier, que la revendication n'ait jamais été abandonnée. On demande aujourd'hui une ordonnance permettant l'adjonction à l'instance des quatre enfants du réclamant à titre de demandeurs et les autorisant à continuer la poursuite. Cette requête a été introduite par un avis au Curateur, qui l'a repoussée pour deux motifs principaux, dont le second comporte deux arguments distincts. Comme premier motif, il allègue que même si les règles 225 à 228 de cette Cour pourvoient à la reprise de la poursuite quand celle-ci est annulée par la mort de l'unique demandeur, ces mêmes règles ne s'appliquent pas quand la cause d'action que l'on cherche à faire valoir dans le procès s'éteint. Il soutient que c'est le cas en l'espèce, que la cause d'action s'est éteinte puisque, si j'ai bien saisi l'argument, le droit d'action découle entière-ment de la loi, et que le consentement du Curateur à la poursuite par le réclamant en question est un élément essentiel à la cause d'action elle-même. Il a prétendu que les droits de propriété du réclamant avaient été supprimés par la législation du temps de guerre, et qu'on ne lui laissait qu'un recours, qu'il ne pouvait exercer qu'avec le consentement du Curateur à la poursuite. L'avocat soutient au surplus que le consentement donné à Adriaan Beuken-kamp en 1934, et la cause d'action dont il était l'une des conditions, avaient pris fin par la mort de ce dernier et que seul un nouveau consentement, que les demandeurs n'avaient pas, pourrait leur donner le droit d'intenter ou de poursuivre l'action contre le Curateur. A l'appui de sa thèse, d'après laquelle les droits du réclamant avaient été écartés et qu'on ne lui avait accordé qu'un recours limité, l'avocat mentionna l'affaire Secretary of State of Canada and Custodian v. Alien Property Custodian for the United States(1), dans laquelle le juge Lamont, parlant au nom de la majorité de la Cour suprême, après avoir cité l'article 33 des Décrets codifiés de 1916, portant sur les conséquences des ordonnances d'attribution, déclarait (à la page 180): Cet article envisage l'éventualité d'ordonnances d'attribution visant des biens appartenant à une personne qui n'est pas en fait ennemie, bien qu'elle soit apparue telle au tribunal qui a pris l'ordonnance; l'article prévoit qu'une telle ordonnance 1 [1931] S.C.R. 170. 92621-11
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 163 sera valide et que la propriété des biens sera attribuée au Curateur canadien, non-obstant le fait qu'ils n'aient pas été réellement propriétés ennemies au moment de leur dévolution. L'article 36 stipule: 36(1). Le Curateur devra, sous réserve de toute autre disposition de ces décrets et règlements, détenir toute somme et tout bien qui lui seront attribués en vertu de l'un quelconque de ces décrets et règlements, jusqu'à la fin des hostilités; il devra par la suite en régler la gestion comme pourra décider le Gouverneur général par décret en conseil. A la lecture de ces dispositions, je pense qu'on voulait laisser au Curateur canadien tous les droits de propriété visés par les ordonnances d'attribution, jus-qu'après la fin de la guerre; à cette date, les droits des propriétaires non-ennemis seraient reconnus et justice faite par décret. Ce décret a été pris; il est connu sous le nom de Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920)_ L'article 33 du décret précise: 33. Tous biens, droits et intérêts au Canada appartenant aux ennemis le 10' jour de janvier 1920, ou appartenant jusque aux ennemis et en la possession ou sous le contrôle du Curateur à la date du présent arrêté, appartiendront au Canada et seront par les présentes attribués au Curateur. (2) Nonobstant toute disposition d'un arrêté antérieur attribuant au Cura-teur des biens, droits ou intérêts quelconques appartenant antérieurement à un ennemi, tels biens, droits ou intérêts appartiendront au Canada, et le Curateur les détiendra aux mêmes conditions et avec les mêmes pouvoirs et devoirs, en ce qui les concerne, que les biens, droits et intérêts à lui attribués par le présent arrêté. et la partie pertinente de l'article 34 précise: 34. Toutes mesures attributives de propriété ... et toutes autres ordon-nances, tous règlements, toutes décisions et instructions d'un tribunal quel-conque du Canada ou d'un Département quelconque du Gouvernement du Canada, rendus ou donnés ou réputés avoir été rendus ou donnés par l'application des dispositions des Décrets codifiés concernant le commerce avec l'ennemi, 1916, ou conformément à toute autre législation canadienne de guerre s'appliquant aux biens, droits et intérêts ennemis; . . . sont par les présentes validés et sont considérés finals et obligatoires pour tous sous réserve des dispositions des articles 33 et 41. Par cet article, les ordonnances d'attribution des 14 et 17 octobre 1919, visant toutes les valeurs en question (à l'exception des obligations émises par la Cité de Montréal) sont validées et confirmées et obligatoires pour tous, sous réserve des dispositions de l'article 41. L'article 41(2) et (3) précise que: (2) Au cas de contestation quant à savoir si des biens, droits et intérêts appartenaient à un ennemi le 10° jour de janvier 1920 ou avant cette date, le Curateur ou, avec le consentement du Curateur, le réclamant peut demander à la Cour de l'Échiquier du Canada une déclaration quant à la propriété de ses biens, droits ou intérêts, nonobstant qu'ils aient été attribués au Curateur par un ordre antérieurement donné, ou que le Curateur en ait disposé ou convenu d'en disposer. Le consentement du Curateur à toute poursuite par un réclamant sera par écrit et pourra être donné sous réserve de telles conditions que le Curateur juge à propos. (3) Si la Cour de l'Échiquier déclare que les biens, droits ou intérêts n'ap-partenaient pas à un ennemi ainsi que prévu au paragraphe précédent, le Curateur s'en dessaisira, ou, si le Curateur, avant cette déclaration, a disposé ou convenu de disposer des biens, droits ou intérêts, il en cédera le produit. A mon avis, loin de supprimer les droits d'une personne se trouvant dans la situation dans laquelle le réclamant prétendait être, le Décret concernant 92621-111
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 165 le traité de paix avec l'Allemagne (1920) a eu pour effet de maintenir et de protéger les droits des personnes autres que les nationaux allemands dont les biens avaient été confisqués. A mon avis, la cause d'action d'un réclamant, dans une instance prévue par l'article 41(2), réside dans les faits qui, une fois établis, donnent droit à la cession des titres. C'est-à-dire qu'en l'espèce, il faut établir que le réclamant a acheté les actions avant le début de la guerre et a continué à les détenir jusqu'à ce qu'elles soient attribuées au Curateur; de même qu'il faut prouver qu'il n'a jamais été ennemi au sens du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920). Le consente-ment du Curateur à la poursuite de l'affaire devant le tribunal, bien qu'essen-tiel à la procédure, ne constitue pas à mon avis un élément de la cause d'action elle-même. Faisant allusion aux dispositions relatives à cette procédure, le juge Lamont disait en la même espèce (page 181) : L'attitude des autorités canadiennes lors de l'adoption de l'article 41 me semble être la suivante: Elles se disent: «La guerre est maintenant terminée et certains biens ont été attribués à notre Curateur par ordonnance de la cour. Or, on prétend que ces biens n'étaient pas des biens ennemis se trouvant au Canada, ni lors de la prise des ordonnances attributives, ni lors de l'adoption du Décret concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920). Nous laisserons donc à la Cour de l'Échiquier le soin de statuer sur ces prétentions. Si elles sont fondées, notre Curateur abandonnera alors toute revendication sur ces biens». Le fait de laisser à la Cour de l'Échiquier le soin de régler ces litiges implique nécessairement que la Cour doive déterminer, dans les cas des ordonnances d'attribution ont été prises, les droits des parties à la date de l'attribution et, en l'absence d'ordonnance attributive, en date du 14 avril 1920. Puisque l'article 41 a été rédigé afin de rendre pleine justice à toute per-sonne qui, n'étant pas ennemie, a vu ses biens attribués à l'appelant, l'intention du législateur, à mon avis, était que les droits des parties au litige devaient être déterminés sans tenir compte des ordonnances de dévolution et à la lumière des considérations qui auraient dfi guider, et qui sans aucun doute auraient guidé, les cours supérieures dans la prise des ordonnances attributives, et si tous les faits relatifs à la propriété de ces valeurs, faits que nous connaissons maintenant, avaient été exposés à ces tribunaux. Il serait inutile de porter le débat devant la Cour de l'Échiquier si cette cour était forcée de respecter les ordonnances d'attribution. Il ajoutait, à la page 184: Le Curateur des États-Unis s'étant fait attribuer la totalité des droits du propriétaire ennemi sur les titres en question et ayant en sa possession les certificats représentant ces valeurs, régulièrement endossés, était autorisé, par le droit canadien aussi bien qu'américain, à en faire inscrire la propriété à son nom ou à celui de son mandataire, à condition que le Canada n'invoque pas la prépondérance de son pouvoir législatif sur les compagnies ayant émis les certificats. Le Canada, à mon avis, a affirmé son pouvoir prépondérant quand les tribunaux, en vertu des Décrets codifiés, ont attribué les actions à l'appelant; cependant, comme on pouvait s'y attendre de la part d'un pays civilisé, le Canada a abandonné ses prétentions sur tous les biens attribués au Curateur qui n'étaient pas propriétés ennemies lors de leur attribution. Comme toutes les valeurs en question avaient cessé d'être propriétés ennemies lors de leur attribution à l'appelant, c'est à juste titre, à mon avis, que la Cour de l'Échiquier les a confiées au Curateur des États-Unis. Se référant à un argument d'après lequel les biens de personnes non ennemies se trouvaient confisqués en vertu de l'article 34 du Décret concernant le traité de paix, dès lors que ces biens avaient été antérieurement attribués
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 167 au Curateur par une ordonnance d'un tribunal, le juge Duff, en son nom personnel et en celui du juge Newcombe, affirmait dans le même arrêt (page 196): La réponse à cela repose à mon avis sur des considérations plus larges. Le Décret concernant le traité de paix a été adopté conformément à la Loi sur les traités de paix (1919), qui prévoyait que le gouverneur en conseil pouvait prendre tous les décrets qu'il jugerait nécessaires à l'exécution du traité et à l'application de chacune de ses dispositions. C'est l'objet du Décret concernant le traité de paix dont il est question dans cette affaire. Le traité prévoit que les puissances alliées et associées pourront s'attribuer, à l'intérieur de leur territoire, tous les droits de propriété et intérêts appartenant à des ressortissants allemands au moment de l'entrée en vigueur du traité. Il prévoit également que toutes les ordonnances d'attribution et autres actes administratifs des différentes puissances, relativement aux biens de ressortissants allemands, devaient être ratifiés et confirmés entre l'Allemagne et ses ressortissants et les gouvernements des puis-sances alliées et associées. L'article 34 du décret donne manifestement effet, au Canada, à cette clause de ratification. En fait, d'après la loi, le gouverneur en conseil ne pouvait dépasser les termes du traité. La loi n'autorisait que les décrets conçus afin d'assurer l'exécution des dispositions du traité. Il faut limiter la portée des articles 33 et 34 en fonction de cet objectif. Rien, dans les deux affaires précitées, ne me convainc que le droit que l'on cherche à faire déclarer au moyen d'une action intentée en vertu de l'article 41 ne soit pas le droit de propriété originaire du réclamant, droit qui n'était pas visé par la confiscation (celle-ci devant s'étendre qu'aux biens des ressortissants allemands) ; j'incline à croire que le droit à recouvrer la propriété des biens détenus par le Curateur, mais non confisqués, subsisterait, que l'on ait ou non prévu un recours qui permette de le faire reconnaître. De plus, je ne vois pas pourquoi ce droit ne survivrait pas à la mort de la personne qui le détient, ni pourquoi il ne serait pas transmis à ceux à qui reviennent les biens du de cujus. A mon avis, ce n'est pas un droit nouveau ou une nouvelle cause d'action que crée l'article 4, mais un recours permet-tant de faire reconnaître un droit existant ou une cause d'action. Bien sûr, la procédure ainsi prescrite découle entièrement de la loi, et ne peut être intentée sans le consentement du Curateur; mais à mon avis, seuls les faits démontrant le droit constituent la cause d'action, et le consentement du Curateur n'est pas un élément de ces faits. Ceci mis à part, si l'on cherche à interpréter le document par lequel le Curateur a donné son consentement à la présente poursuite, il ne semble pas que la procédure ait être terminée dans le délai de trois mois dont il y est fait mention; par conséquent, j'estime que l'on consentait plutôt à ce que l'action soit intentée dans les trois mois, et continue par la suite jusqu'à son terme. Il était concevable que le réclamant, personne physique, ne vive pas suffisamment longtemps; et comme l'actionconsidérée comme entièrement nouvelle ou spéciale ou comme une action ordinaire, modifiée quant à la forme, en revendication de droitsvisait à obtenir la déclaration d'un droit sur un bien transmissible par décès à autrui, je ne vois pas de motifs suffisamment convaincants pour réserver le droit de poursuivre l'action unique-ment à la personne désignée, de son vivant, en limitant soit l'action elle-même, soit le consentement du Curateur à celle-ci. Puisque dans une instance
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 169 de ce genre, la cause d'action survit à la mort du réclamant, on doit à mon avis considérer que l'action envisagée par l'article peut être poursuivie, à la mort du demandeur, par les personnes qui ont le droit d'agir à sa place, et que le consentement du Curateur, sous réserve des restrictions expresses qu'il peut comporter, s'étend à cette modalité de l'action. Étant donné que le consentement donné par le Curateur en l'espèce ne renferme pas de stipulations limitant expressément sa portée à une action introduite de son vivant par Adriaan Beukenkamp et excluant la reprise de l'instance par ceux qui seraient habilités à agir en son nom après sa mort, je ne pense pas que son décès ait mis fin au consentement ou que cette reprise, par les personnes qui, à sa mort, se sont vu attribuer ses droits, de l'instance entreprise de son vivant et avec l'autorisation nécessaire, ne soit pas couverte par cette autorisation. La première objection de l'intimé est donc à écarter. Le seconde objection consistait à dire qu'il n'a pas été démontré que, dans l'hypothèse la cause d'action aurait subsisté et il serait possible de reprendre l'instance, les auteurs de la présente requête soient véritable-ment les parties ayant le droit de le faire. Comme nous l'avons déjà signalé, deux questions distinctes ont été soulevées à l'appui de cette objection. On a tout d'abord allégué, ce qui partait exact, que, d'après la preuve, Adriaan Beukenkamp est devenu en 1952 incapable de gérer ses biens; que le curateur provisoire de ses biens, nommé en vertu du droit néerlandais, a voulu céder les droits revendiqués dans cette instance par le réclamant à un certain D. J. Sholtz; et que si cette transaction a eu lieu et a effectivement transféré au cessionnaire le droit de reprendre l'instance, il semble que ce soit luiou son successeur ou son cessionnaireplutôt que les requérants qui ait qualité pour reprendre l'instance. Si les faits et les conséquences de la cession que l'on se proposait d'effectuer étaient clairement établis, il ne fait aucun doute qu'il serait utile de trancher la question dès maintenant; mais à mon avis ce n'est pas le cas. Je ne pense donc pas qu'il y ait lieu de statuer ici sur ce point. Cette question me paraît devoir être plus utilement soulevée comme moyen de défense au fond, puisque sa validité en tant qu'objection préliminaire dépend de certains éléments de fait qui n'ont pas encore été portés à la connaissance du tribunal. Sa validité dépend à mon avis de la réponse à certaines questions, notamment celle de savoir si les droits du réclamant étaient véritablement cessibles, compte tenu du Décret concernant le traité de paix et, si oui, de savoir si un curateur provisoire pouvait, en vertu du droit des Pays-Bas, faire cession de biens dont on lui avait confié la gestion, et si la cession qu'il se proposait de faire devait être effectuée en faveur de Sholtz en qualité de fidéicommis-safre du de cujus. Il n'est, bien sûr, pas impossible que, lorsque les faits seront connus, cette cession s'avère lourde de conséquences sur l'étendue des droits dévolus aux requérants à la mort du réclamant. D'autre part, sans préjuger des objections que l'on pourra éventuellement faire à cette cession, il me paraît raisonnable de penser qu'à un titre ou à un autre, la cession envisagée ne pouvait avoir l'effet de dépouiller Adriaan Beukenkamp des droits qu'il cherchait à faire reconnaître par cette action. S'il en est ainsi, ce qui me paraît vraisemblable, je ne pense pas, en fonction du dossier actuel-lement présenté à la Cour, que la cession alléguée puisse être opposée avec succès au droit éventuel des requérants de reprendre l'instance afin de faire
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ETAT 171 reconnaître, s'il y a lieu, les droits auxquels ils ont succédé à la mort de leur père et qui peuvent maintenant leur être dévolus. Quand l'affaire sera en-tendue, ils devront évidemment établir ces droits, ou subir les conséquences d'une insuffisance de preuve, mais la possibilité qu'ils ne réussissent pas à faire la preuve de leurs droits ne me paraît pas être un motif suffisant ou satis-faisant pour leur refuser l'occasion de les démontrer s'ils le peuvent. Le second aspect de l'objection consistait à dire que même si la cession que l'on se proposait d'effectuer n'avait pas pour effet de dépouiller le réclamant de ses droits, seul un représentant légal nommé par une cour de vérification, plutôt que les requérants, aurait alors qualité pour reprendre l'instance, à moins que l'on ne puisse démontrer que les certificats étaient en la possession du réclamant, aux Pays-Bas, au moment de sa mort, et qu'ils avaient été subséquemment remis en la possession des requérants, aux Pays-Bas, en leur qualité d'héritiers. A l'appui de cette thèse l'avocat a cité différentes affaires: Whyte v. Roset, Morrice v. Smart 3, Fidelity Trust Co. P. Fenwick4, Tansil v. King 5 et Crosby v. Prescott 6. Il semble, d'après cette jurisprudence, qu'en général seul l'exécuteur testamentaire ou l'administrateur investi de sa charge par une cour de vérification de la province appropriée peuvent intenter une action devant les tribunaux d'une province de common law en revendication des biens personnels du de cujus situés dans cette province. Cependant, lorsqu'un ayant droit, reconnu comme tel par les tribunaux d'un pays étranger, a été, dans cet État, envoyé en possession des biens du de cujus, il peut recourir en son nom propre aux moyens de contrainte des tribunaux d'une province de common law afin d'obtenir la sanction des droits ainsi acquis, sans devoir se faire confier l'administration des biens ou en recevoir la possession par les tribunaux de ladite province. Voir l'affaire Crosby v. Prescott. Le même principe s'applique également à l'héritier qui, ayant hérité directement dans un territoire étranger prévaut le système civiliste, a été envoyé en possession des biens par les tribunaux de cet État. Voir l'affaire Vanquelin v. Bouard7. Selon le droit du Québec, en cas de succession ab intestat, on ne nomme pas de représentant légal; à la mort du de cujus, l'héritier prend immédiate-ment qualité d'ayant droit et peut intenter une action en son propre nom devant les tribunaux de cette province en revendication des biens du de cujus situés dans la province, y compris les créances du de cujus contre des débiteurs domiciliés dans la province. De même, une personne qualifiée d'héritière par la loi du domicile étranger du de cujus est habilitée à revendiquer les biens du de cujus situés dans la province de Québec. Devant ce tribunal, dont la compétence territoriale s'étend à l'ensemble du Canada, les deux droits ont cours, l'application de chacun étant fonction de la province le litige a pris naissance. Ainsi, je ne pense pas qu'il y ait de règle empêchant l'héritier d'une personne domiciliée au Québec au 2 (1842) 3 Q.B. 493, 114 E.R. 596. e (1882) 26 Sol. Jo. 752. * (1921) 51 O.L.R. 23. 8 [1947] O.W.N. 807. 6 [1923] S.C.R. 446. 7 (1863) 15 C.B.N.S. 341, 143 E.R. 817.
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 173 moment de sa mort, de présenter en son propre nom une pétition de droit devant ce tribunal, afin d'obtenir la reconnaissance d'un droit auquel il a succédé à la mort du de cujus. D'autre part, si le domicile du de cujus à la date du décès était situé dans une autre province, je pense que l'intervention du représentant légal serait nécessaire pour introduire cette instance devant la Cour, du moins s'il est question de biens meubles. Dans l'un ou l'autre cas, le lieu de résidence de l'héritier ou du représentant légal est à mon avis une question sans importance. Par contre, il est important pour déterminer le droit applicable de localiser le domicile du de cujus au moment de sa mort, et de préciser les effets du système juridique applicable en cet endroit sur ses droits patrimoniaux, compte tenu du fait que, devant cette Cour territorialement compétente pour tout le Canada, la Couronne du chef du Canada, en sa qualité d'intimée dans cette action, peut être considérée comme résidant n'importe au Canada. Il ne serait pas raisonnable, à mon sens, de sou-tenir que la Couronne du chef du Canada ne réside qu'à Ottawa, dans la province d'Ontario. Devant ce tribunal, le Curateur des biens ennemis, fonctionnaire fédéral exerçant sa charge à travers tout le Canada, doit à mon avis être censé, comme la Couronne elle-même, résider n'importe au Canada, et non pas seulement dans la province se trouve l'endroit de son travail; je ne vois pas de motif déterminant pour lequel le régime en vigueur dans l'une des provinces de common law serait nécessairement applicable aux circonstances de l'espèce. Les biens impliqués en l'espèce, c'est-à-dire les actions de la Compagnie du Chemin de fer Canadien du Pacifique et les accroissements correspondants, peuvent sans aucun doute être considérés comme étant situés en territoire canadien, et l'on pourrait peut-être préciser leur localisation dans les limites d'une province particulière du Canada. Cette question n'est cependant pas pertinente, à mon avis. Ce que l'on demande en l'espèce, et que la Cour pourra éventuellement accorder, n'est pas la propriété même des actions et de leurs accroissements, mais une déclaration de droit sur ces biens. On demande cette déclaration à l'encontre du fonctionnaire à qui a été remis le contrôle des biens et qui s'en est vu attribuer la gestion. Ce fonctionnaire, devant cette Cour, doit être considéré comme présent en tous points du Canada, et peut à ce titre être traduit devant la Cour en n'importe quel point du Canada. Les droits revendiqués par les réclamants découlent de la loi du domicile du de cujus, situé en territoire étranger, loi- qui n'exige pas l'intervention d'un représentant légal. Devant cette Cour, leur droit à la succession de leur défunt père, ainsi qu'il ressort du dossier produit à l'appui de la demande, est au moins égal à celui d'un administrateur étranger qui, s'il avait agi en justice dans une province de common law, n'aurait pu réussir sans se faire conférer l'administration de ces biens par les tribunaux de cette province, mais qui, s'il avait porté l'affaire devant les tribunaux du Québec, aurait pu réussir sans se conformer à cette condition. Héritiers du de cujus et habilités à agir au nom de leur père par la loi du domicile de ce dernier, les requérants auraient été, à mon avis, habilités à agir devant les tribunaux du Québec, afin de faire reconnaître les droits auxquels ils avaient ainsi succédé, contre un défendeur résidant dans cette province; pour les mêmes raisons, j'estime qu'ils sont habilités à intenter ou reprendre une
[1970] R.C.É. BEUKENKAMP v. SECRÉTAIRE D'ÉTAT 175 instance devant cette Cour, afin de faire reconnaître les droits qui leur ont été dévolus par la loi du domicile de leur père à la mort de ce dernier, contre un fonctionnaire fédéral justiciable de cette Cour en tous points du Canada. J'en arrive à cette conclusion, à l'égard d'héritiers directement reconnus tels par le droit d'un État étranger, sans tenir compte de la localisation des biens impliqués en l'espèce sur le territoire d'une province canadienne en particulier; j'ajouterai cependant que si la localisation des biens impliqués était une considération dont il faille tenir compte, le fait que le siège social de la Compagnie du Chemin de fer Canadien du Pacifique soit situé dans la province de Québec, et que le Curateur revendique son droit aux actions en vertu d'une ordonnance d'attribution prise par la Cour supérieure de cette province, m'apparaissent des éléments non négligeables. D'autre part, je ne pense pas que la localisation des certificats d'action au moment de la mort du de cujus présente une importance quelconque, car depuis la prise de l'ordonnance d'attribution, ils ne représentent à mon avis ni les actions elles-mêmes ni un droit, susceptible de sanction, à ces titres; je croirais plutôt qu'ils ne constituent qu'un élément de preuve au moyen duquel le droit du réclamant à ces actions pourrait être démontré. Il est donc fait droit à la requête. J'ajouterai cependant, avant de me dessaisir de la question, que rien dans ces motifs ne permet de conclure de manière définitive que les requérants sont effectivement les héritiers du réclamant ou que les droits de ce dernier leur ont été dévolus à sa mort en vertu du droit des Pays-Bas. Le dossier actuellement produit devant la Cour m'apparaît suffisant pour démontrer l'état et le titre des requérants aux fins de cette motion; mais quand l'affaire sera entendue, ces derniers devront, dans la mesure on ne les aura pas reconnus, en faire la preuve devant la Cour. Les requérants pourront donc être adjoints à l'instance en qualité de demandeurs; il pourront reprendre l'instance, et à cette fin amender l'exposé de demande pour pouvoir alléguer les droits qu'ils prétendent leur avoir été dévolus au décès de leur père sur les biens qui font l'objet de la déclaration de droits qu'ils sollicitent par cette instance. Les dépens de la motion seront inclus dans ceux de l'instance principale.
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