Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

1970] R.C.E. MERCK & CO. v. SHERMAN & ULSTER 673 [TRADUCTION] Sheerwood et al (Appelantes) v. Le Lake Eyre et al (Intimés) Le Président Jackett et les Juges Noël et Kerr.—Ottawa, les 22 juin et 7 juillet 1970. Transport de marchandisesCargaison endommagéeCargaison arrimée «en pontée.— Clause de connaissement prévoyant l'arrimage «en pontée»—Conversations ne stipulant pas les mêmes conditionsLe chargeur est-il lié par la clause? S, photographe professionnel installé au Canada, a remis au bateau Lake Eyre, à Toronto, deux grands containers d'effets personnels pour les faire expédier en Australie, il avait l'intention de travailler. Au cours des discussions avec les agents de la compagnie maritime au sujet du transport, S a toujours insisté pour que les marchandises soient arrimées au-dessous du pont. Les agents de la compagnie, bien que lui assurant de se conformer à ses désirs, ne se sont jamais réellement engagés à arrimer ces marchandises sous le pont. Le connaissement du transport a été remis à S à l'aéroport de Toronto juste avant son départ pour l'Australie; il stipulait: «en pontée, aux risques du chargeur». S a aussitôt téléphoné aux agents de la compagnie pour demander que ses biens soient arrimés sous le pont ou qu'ils soient débarqués à Montréal, port vers lequel se dirigeait le navire. S n'a cependant pas renoncé à son connaissement et il ne fut pas donné suite à sa demande. Ses biens, arrimés «en pontée», ont été endommagés en mer par le mauvais temps. Arrêt: S avait droit à des dommages-intérêts correspondant aux pertes subies. Les parties n'avaient pas conclu d'accord exprès quant à l'arrimage des mar-chandises «en pontée». La clause du connaissement à cet effet n'énonçait pas correctement l'accord verbal conclu entre les parties. McCutcheon v. David MacBrayne Ltd [1964] 1 All E.R. 430 (H.L.); S.S. Ardennes (Cargo Owners) v. S.S. Ardennes (Owners) [1951] 1 K.B. 55; Svenska Traktor Akt. v. Maritime Agencies (Southampton) Ltd [1953]2 Q.B. 295, ci-mentionnés. APPEL du jugement rendu par le juge Wells, juge de district en amirauté du district d'amirauté de l'Ontario, rejetant l'action en dommages-intérêts, d'un montant de $60,000.00, pour l'avarie subie par les marchandises expé-diées sur le bateau de l'intimé. J. J. Mahoney, c.r., pour les appelantes. A. S. Hyndman, c.r., pour les intimés.
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 675 LE PRÉSIDENT 7ACKETT-11 s'agit d'une action en dommages pour avaries subies par des marchandises appartenant à l'un ou l'autre des appelants alors qu'elles étaient transportées sur le navire intimé de Toronto au port de Sydney (Australie) . Les parties s'accordent à reconnaître que ces avaries sont attribuables au fait que ces marchandises étaient transportées «en pontée», et que, si le contrat de transport autorisait le voiturier à transporter ces marchandises en pontée, l'action doit être rejetée, alors que si le voiturier était tenu de les transporter sous le pont, on doit y faire droit. On allègue dans l'exposé de demande que l'appelant Sheerwood a conclu avec les propriétaires du navire intimé un contrat de transport des marchan-dises en question de Toronto à Sydney, et que ce contrat stipulait notamment que les marchandises «devaient être transportées sous le pont» du navire intimé. Ces allégations sont niées dans l'exposé de défense; on y affirme qu'elles contredisent les conditions et stipulations expresses d'un contrat d'engagement de fret (en date du 18 mai 1962) et d'un connaissement, «tous deux établis relativement à la cargaison des demandeurs, et acceptés par eux». Certains faits sont incontestés: l'appelant Sheerwood était l'actionnaire majoritaire de la compagnie appelante, qui exploitait une entreprise de photo-graphie au Canada; il avait décidé d'expédier en Australie le matériel de cette entreprise et ses biens personnels, dans un container qu'il avait lui-même fabriqué, et qui mesurait 36 pieds de long, 8 pieds de large et 8 pieds de haut; il avait pris, à l'occasion de plusieurs communications téléphoniques, un certain nombre de dispositions avec la March Shipping Agency, Limited', de Toronto; à la suite de ces entretiens, il a reçu de cette compagnie certains documents, divisé son container en deux containers de 18 pieds de long, les a apportés à Toronto et livrés au navire intimé; il est ensuite allé aux bureaux de la March Shipping, un nouvel entretien a eu lieu; conformément aux dispositions arrêtées au cours de cet entretien, il a ensuite rencontré, à l'aéro-port de Toronto, juste avant de quitter le Canada par avion, un agent de cette compagnie, à qui il a versé le fret de cet envoi et qui lui a remis un document constituant le connaissement de cet envoi; il a protesté énergique-ment, sur réception de ce connaissement, contre la stipulation suivante de ce document: «En pontée, aux risques du chargeur». Les documents que Sheerwood a reçus de la March Shipping Agency, Limited avant de livrer ses containers au navire intimé à Toronto sont tous rédigés sur un imprimé de cette compagnie et adressés à la compagnie appe-lante; March Shipping y confirme un «engagement» pour les fins d'un transport à destination de Sydney. Tous ces imprimés comportent une clause dont voici un extrait: La compagnie de navigation délivrera pour cet envoi son connaissement habituel, dont les chargeurs sont censés avoir pris connaissance. On a remis à la compagnie appelante trois documents de ce type: a) En date du 26 avril 1962, on a confirmé un engagement «prévu sur le navire Baltic Sea», les «dates de réception de la cargaison au port d'embarquement» étant fixées au «7/11 mai à Toronto», pour On a pris pour acquis, lors du procès, que la March Shipping Agency, Limited agissait, durant toutes ces transactions, en qualité de mandataire des intimés. 93532-8
[1970] R.C.E. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 677 le transport de Toronto à Sydney d 1 container» de «marchandises diverses», pesant «30,000 et mesurant «1960 pi. cu.», à un taux de transport océanique «A déterminer lorsque le contenu du container nous sera précisé»; sur une ligne réservée aux «Observations» appa-raissaient les mots «Arrimage en pontée»; b) En date du 18 mai 1962, on a confirmé un engagement «prévu sur le navire Lake Eyre», les «dates de réception de la cargaison au port d'embarquement» étant fixées au «27/31 mai à Toronto», pour le transport de Toronto à Sydney d1 container» de «marchandises», pesant «25,0001 et mesurant «2,000 pi. cu.», à un «taux de transport océanique» «constitué par le tarif (en pontée ou sous le pont, au choix de l'armateur) plus le péage sur la Voie maritime»; c) En date du 24 mai 1962 (dans un document ayant pour effet de modifier celui du 18 mai pour «Changer ... le port d'embarquement» et portant le même «numéro de contrat») on a confirmé un engagement «prévu sur le navire Lake Eyre», les «dates de réception de la cargaison au port d'embarquement» étant fixées au «29 mai/3 juin à Montréal», pour le transport de Montréal à Sydney d'un container pesant «25,000» et mesurant «2,500 pi. cu.», à un taux de transport océanique «conforme au tarif», ce taux devant être «déterminé lorsque le contenu du container sera précisé», sans aucune mention d'arrimage «en pontée». Aucun de ces accords n'a eu de suite, mais ils révèlent que la question de «l'arrimage en pontée» a été envisagée, entre autres, par les parties, avant que les containers ne soient expédiés à Toronto. D'après les constatations de fait et l'examen des preuves auxquels s'est livré le savant juge de première instance, il appert que lorsque la question de l'arrimage en pontée a été abordée par Sheerwood et les employés de la March Shipping 'au cours de leurs entretiens, le personnel de cette compagnie a promis de faire tout en son pouvoir pour veiller à ce que les containers soient placés sous le pont, et a amené Sheerwood à croire qu'il en serait probablement ainsi; il appert d'autre part qu'en ces occasions, Sheerwood s'est laissé tromper sans obtenir l'assurance que ses containers seraient placés sous le pont, bien qu'il ait su que ces derniers n'étaient pas à l'épreuve des intempéries et qu'il ne se soit pas assuré contre les risques du transport en pontée. Il est manifeste, selon moi, d'après les constatations du savant juge de première instance et d'après les preuves, qu'en fait, les appelants et la March Shipping n'ont conclu aucun accord, avant la livraison des containers au navire et le paiement du fret, en vertu duquel les marchandises auraient être transportées sous le pont ou auraient pu être transportées en pontée. Je partage entièrement l'avis du savant juge de première instance, lorsqu'il dé-clare que Sheerwood, en livrant au navire ces deux containers de 18 pieds par 8 pieds par 8 pieds, fut «l'artisan de son propre malheur»: il aurait soit veiller à ce que ces colis puissent résister aux intempéries et les assurer contre les risques d'un transport en pontée, soit obtenir l'assurance que ces containers seraient transportés sous le pont. D'autre part, à mon avis, égale- 93532-81
1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 679 ment, le comportement de la March Shipping Agency, dans ses transactions avec l'expéditeur Sheerwood, n'est pas au-dessus de tout reproche. En lui promettant, comme le savant juge de première instance l'a constaté, «de faire tout en leur pouvoir pour expédier toutes ces marchandises sous le pont», on s'efforçait de lui inspirer un sentiment trompeur de sécurité. Compte tenu des obligations de l'agence envers ce client, simple particulier désireux d'expédier un important chargement, j'estime qu'on aurait , dès le début, le prévenir qu'il n'était pas certain que ses containers seraient expé-diés sous le pont et qu'avant de les livrer au voiturier à Toronto, il devrait prendre des dispositions pour le cas ils resteraient en pontée. A mon sens, il n'existait aucun accord écrit, antérieur à la remise des marchandises au navire, et relatif au transport qu'on a en définitive effectué. Si, par ailleurs, le bulletin d'engagement du 24 mai 1962, constituait un tel accordnonobstant le fait qu'il ne prévoit pas un transport au départ de Toronto—,cet accord stipulerait que ce transport est régi par «le connaisse-ment habituel de la compagnie de navigation»; or, ce dernier ne prévoit abso-lument pas le transport en pontée. En outre, il appert, d'après les constatations du juge et les preuves, que les appelants n'ont pas donné, avant la remise des containers au navire, leur consentement verbal au transport de ces marchandises en pontée. Dans ces conditions, j'estime que, dès lors que le fret était calculé et payé sans qu'on ait convenu avec les appelants de transporter leurs marchandises en pontée, il existait un contrat de transport de ces marchandises à la destination prévue, régi par les seules stipulations légales applicables à ce genre de contrat. Voir McCutcheon v. David Mac-Brayne Ltd 2. Le fait de remettre à l'expéditeur, au moment du paiement du fret des marchandises déjà reçues à bord, un connaissement qui comporte une stipulation spéciale, dont on n'a pas préalablement convenu avec lui, ne saurait, à mon avis, modifier le contrat verbal préexistant à la remise de ce connaissement à l'expéditeur. Je ne vois à cet égard aucune différence entre le connaissement dont il est question ici et le reçu, donnant avis des exigences générales du transporteur, que l'on a remis après la passation du contrat dans l'affaire McCutcheon v. MacBYayne, que je viens de citer (jugement de lord Hodson, à la page 434). Dans ce genre de situations, l'état du droit quant au connaissement remis au chargeur par l'armateur a été clairement exposé par le Juge en chef Goddard dans l'arrêt S.S. Ardennes (Cargo Owners) v. S.S. Ardennes (Owners)3, aux pages 59-60: Il est, à mon sens, bien établi qu'un connaissement ne constitue pas par lui-même le contrat liant l'armateur et l'expéditeur, bien que, selon certains arrêts, il puisse avoir une grande force probante quant aux conditions de ce contrat: voir le jugement de lord Bramwell dans l'affaire Sewell v. Burdick (1884) 10 App. Cas. 74, à la page 105, et l'arrêt Crooks v. Allan, 5 Q.B.D. 38. Le contrat est pré-existant à la signature du connaissement; ce dernier n'est signé que par une seule des parties, et remis par elle à l'expéditeur, généralement après le chargement des marchandises sur le navire. Certes, si l'expéditeur constate que le connaissement comporte une clause qui ne le satisfait pas, ou ne comporte pas une clause qu'il 2 [1964] 1 All E.R. 430 (H.L.) a [1951] 1 K.B. 55.
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 681 a exigée, il pourrait, s'il en a le temps, réclamer ses marchandises; mais il n'est pas pour autant, à mon avis, empêché de prouver qu'un contrat avait été effectivement conclu avant la signature du connaissement, et dont la teneur était différente de celle du connaissement, ou qui comportait une clause supplémentaire. Il ne prend aucune part à l'établissement du connaissement; il ne le signe pas. Il est inutile de citer d'autres arrêts que ceux mentionnés à l'appui de la thèse selon laquelle le connaissement n'est pas en lui-même le contrat; on peut donc à mon avis recevoir la preuve de la teneur véritable du contrat. Rien ne nous autorise ici à conclure que Sheerwood, après avoir reçu le connaissement, ait consenti à la stipulation prévoyant 1 arrimage en pontée». Puisqu'il appert que le contrat était un contrat verbal, et que l'expé-diteur n'avait pas expressément consenti au transport des marchandises en pontée, la question relève, à mon avis, du principe énoncé par le juge Pilcher dans l'arrêt Svenska Traktor Akt. v. Maritime Agencies (Southampton) Ltd4, aux pages 299-300: En common law, l'armateur n'est autorisé à arrimer des marchandises en pontée que dans certaines circonstances: le principe est énoncé très précisément dans le traité de Scrutton sur les charte-parties (15 0 édition, p. 157), dans les termes suivants: `L'armateur et le capitaine ne seront autorisés à arrimer des marchandises en pontée que (1) par les usages du commerce, ou du port d'em-barquement, prescrivant l'arrimage en pontée des marchandises de cette catégorie pour un voyage de ce genre; ou que (2) par convention expresse avec l'expéditeur de ces marchandises, qui accepte qu'elles soient arrimées de cette façon En l'espèce, si l'on fait abstraction de la clause spéciale du connaissement, dont j'ai déjà signalé qu'elle n'a jamais, à mon avis, été incorporée au contrat, on n'a établi aucun usage ni aucune convention expresse. Par conséquent, il faut faire droit à l'appel; les appelants doivent recouvrer par jugement de la Cour les dommages subis par eux en raison du fait que les intimés ont livré une partie des marchandises en question en mauvais état, et n'ont pas livré certaines de ces marchandises, avec intérêt au taux de 5 p. cent; si les parties ne peuvent s'entendre sur le montant de ces dommages et de cet intérêt, les appelants pourront obtenir, pour le faire déterminer, un renvoi au juge subrogé, ou, si ce dernier n'est pas disponible, à tel autre fonctionnaire de la Cour dont les parties pourront convenir, ou encore, si elles ne peuvent s'entendre sur cette désignation, à tel fonctionnaire que désignera la Cour. Les appelants ont également droit aux dépens du procès, en première instance et en appel. LE JUGE NOELIl s'agit de l'appel d'une décision rendue par le juge d'Amirauté Wells, en qualité de juge du district d'Amirauté de l'Ontario; cette décision rejetait l'action en dommages intentée par l'appelant pour avaries, au montant de $60,000.00, subies par ses marchandises au cours de leur transport, sur le pont du navire des intimés, de Toronto (Canada) à Sydney (Australie), en 1962. Après avoir fait escale à Brisbane (Australie), ce navire, en route pour Sydney, traversa une zone de très gros temps. Les deux caisses contenant les marchandises de l'appelant, qui se trouvaient sur le pont, furent atteintes par les vagues, se sont déplacées, et leur contenu a 4 [1953] 2 Q.B. 295.
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 683 été en partie perdu, en partie avarié. En mai 1962, l'appelant, qui exploitait alors, sous la raison sociale School Photography Ltd, une entreprise compor-tant un laboratoire à Shelboume et un autre en Saskatchewan, décida d'émi-grer en Australie et de monter dans ce pays une entreprise du même genre. Il acheta l'armature de l'un de ces véhicules que l'on désigne sous le nom de «caravane», mesurant 36 pieds de long par 8 de large et 8 de haut, afin d'y emballer l'équipement photographique et les appareils de son établissement, ainsi que des effets personnels, notamment une automobile, en vue de leur transport par mer jusqu'en Australie. L'appelant prit contact avec la March Shipping Agency (mandataire des intimés) afin d'expédier ce container sur un navire en partance pour l'Australie. On décida finalement de charger la cargaison de l'appelant à bord du Lake Eyre, à Toronto. L'appelant divisa d'abord, à ses frais, la caravane en deux parties égales, de manière à pouvoir les placer sous le pont; mais on constata par la suite que la hauteur de ces caisses ne permettait pas de les loger sous le pont; d'autre part, il était également impossible de les placer dans la cale sans réduire les barrots mobiles des panneaux d'écoutille, ce qui aurait compromis la sécurité du navire. L'appelant remit en paiement trois billets de mille dollars, dont deux furent aussitôt encaissés par la March Shipping Agency; l'on convint que la personne qui serait chargée de remettre le connaissement à l'appelant, le lendemain, au moment de son départ par avion pour l'Australie, disposerait également de liquide suffisant pour pouvoir accepter le paiement du solde, soit $714.12. Le lendemain, juste avant le départ de l'appelant pour l'Australie, on lui remit un connaissement dont les dernières clauses, selon lui, n'étaient pas conformes au contrat qu'il croyait avoir conclu avec l'armateur; ce connaissement stipu-lait en effet que les marchandises seraient transportées en pontée, aux risques du chargeur, alors que l'appelant affirme avoir exigé et cru comprendre que ses marchandises seraient transportées sous le pont. L'appelant garda le connaissement par-devers lui, mais déclara aussitôt au représentant de l'armateur, un certain Fisher, que, le connaissement n'étant pas conforme à l'accord qu'il avait entendu conclure, les marchandises devaient être soit placées sous le pont, soit déchargées à Montréal, port vers lequel se dirigeait alors le navire, et il parvint le 7 juin 1962. Fisher, l'agent de l'armateur, ne donna cependant pas suite aux instructions de l'appelant, et les marchan-dises restèrent sur le pont du navire; c'est ainsi que, comme je l'ai déjà relaté, après l'escale de Brisbane, elles furent soumises à la violence des éléments, et que, les vagues balayant le pont du navire, elles furent en partie perdues et en partie gravement endommagées. Le savant juge de première instance justifie le rejet de l'action de l'appe-lant en signalant que ce dernier a toujours su qu'il était possible que le transport s'effectue en pontée, qu'il n'a pas cherché à savoir si ses caisses pour-raient résister à ces conditions de transport, et qu'il a négligé d'assurer ces marchandises de façon satisfaisante contre les risques du transport en pontée, bien qu'on lui ait dit de le faire. Il observe enfin que l'armateur n'a commis aucune négligence dans la manipulation des marchandises de l'appelant, et que l'on a fourni à ce dernier exactement les services prévus par le contrat. Pour ce qui est des instructions données à Fisher, le représentant de l'arma-teur, de placer les marchandises sous le pont ou de les décharger à Montréal,
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 685 le savant juge de première instance reconnaît comme valable l'explication donnée par Fisher: ce dernier a déclaré qu'ils les aurait déchargées si l'ap-pelant « ... lui avait rendu les connaissements qui se trouvaient en sa possession, et qui constituaient maintenant les titres négociables de ces mar-chandises, et lui avait versé les frais supplémentaires qu'entraînerait leur déchargement ... ». Il ajoute également foi à la parole de Fisher lorsque ce dernier déclare que l'appelant refusa cette proposition, en ajoutant qu'il n'avait pas pris d'assurance et qu'il partait le soir même pour l'Australie. Le savant juge déclare qu'ayant eu à choisir entre les témoignages contradictoires de l'appelant d'une part et des agents et employés de la March Shipping Agency d'autre part, il avait eu à l'audience le sentiment que la version des faits donnés par les employés de l'agence maritime correspondait de plus près à la vérité. Du reste, il porte un jugement extrêmement critique sur le témoignage de l'appelant. Il déclare dans l'exposé de ses motifs que «l'exactitude de son témoignage lui inspire des doutes sérieux; que c'est une grossière déformation des faits que de dire qu'il a fait preuve de bon sens par son comportement dans toute cette affaire. A mon avis, il a été, à tous égards, l'artisan de son propre malheur, et lorsque ce désastre s'est abattu sur lui, il n'a pas craint d'enjoliver son témoignage à son profit». Compte tenu du jugement porté par le magistrat de première instance sur le témoignage et le comportement de l'appelant, il est extrêmement difficile pour un tribunal d'appel de prendre en considération les preuves produites en première instance et les conclusions auxquelles elles ont donné lieu. Le char-geur qui, au moment de la livraison de ses marchandises à bord du navire, reçoit un connaissement stipulant le transport «en pontée, aux risques du chargeur», qui ne le conteste pas, et qui le signe par la suite au point de livrai-son, ne peut, bien sûr, attaquer plus tard cette stipulation et prétendre qu'elle ne l'oblige pas; si c'était le cas ici, la Cour devrait rejeter l'appel. Mais il ne me semble pas que nous soyons en présence d'une telle situation. Au con-traire, les preuves révèlent que, dès le début de ses entretiens avec les manda-taires de l'armateur, l'appelant s'est opposé à ce que ses marchandises soient transportées en pontée; et de nouveau, au moment de son départ par avion pour l'Australie, il a donné à Fisher instructions de faire placer ses marchan-dises dans la cale ou de les faire décharger à Montréal; le savant juge de première instance écarte cependant ces faits, quoiqu'il admette que l'appelant a fait pression en ce sens, et déclare que « ... bien que le personnel de la March Shipping Agency Limited, qui aurait savoir, à la seule vue des containers, qu'il était impossible d'accéder à cette demande, ait dans une certaine mesure manqué de franchise, il a cependant refusé de s'engager à les transporter sous le pont, déclarant simplement «qu'ils feraient tout en leur pouvoir pour tenter de trouver un arrangement» ... » Avec déférence, j'estime que ces considérations ne suffisent pas, en droit, à trancher cette affaire; en effet, pour les fins du transport par mer, le seul mode d'arrimage reconnu est l'arrimage sous le pont, sauf convention expresse ou usage dérogatoire; or, ainsi que je le démontrerai plus loin, on n'a établi en l'espèce l'existence d'aucune convention prévoyant expressément l'arrimage en pontée, ni d'aucun usage justifiant cette pratique. Voir l'affaire Svenska
[1970] R.C.A. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 687 Traktor Aktiebolaget v. Maritime Agencies (Southampton) Ltd,5 aux pages 299 et 300, le juge Pilcher cite le passage suivant de Scrutton on Charter Parties, 15e édition, p. 157: L'armateur et le capitaine ne seront autorisés à arrimer des marchandises en pontée que (1) par les usages du commerce, ou du port d'embarquement, prescrivant l'arrimage en pontée des marchandises de cette catégorie pour un voyage de ce genre; ou que (2) par convention expresse avec l'expéditeur de ces marchandises, qui accepte qu'elles soient arrimées de cette façon. L'arrimage en pontée qui n'est pas justifié selon ces critères fait perdre le bénéfice des clauses d'irresponsabilité que renferme la charte-partie ou le connaissement, et met à la charge de l'armateur, par l'effet du contrat de transport, les dommages subis par ces marchandises. Après lecture de la transcription des dépositions, il m'est apparu que la thèse de l'appelant serait plus facilement conciliable, non seulement avec l'attitude que voudrait normalement prendre un chargeur placé dans sa situation et à qui l'on demanderait le même prix pour le transport en pontée ou sous le pont, mais encore avec certains éléments de preuve qui ne sont pas contestés et dont une partie a d'ailleurs été rapportée par les propres témoins des intimés. Dans ces conditions, l'on pourrait être justifié de ne pas sous-crire à l'avis du juge de première instance sur certains éléments de fait, et un tribunal d'appel pourrait alors tirer de ces faits des inférences différentes de celles auxquelles est parvenu le juge de première instance. Voir l'arrêt rendu le 4 mai 1970 par la Cour suprême dans l'affaire Cominco Ltd v. T. E. Bil-ton, et qui n'a pas encore été publié; le juge Spence, donnant un avis dissident, déclare, à la page 13 de l'exposé de ses motifs: Je me rends compte qu'en tirant cette conclusion, je suis en désaccord avec le juge de première instance sur une question de fait. Je souligne qu'en le faisant, je me fonde seulement sur des éléments de preuve incontestés, la plus grande partie de cette preuve venant du défendeur Bilton lui-même. Il est d'ailleurs bien établi qu'une Cour d'appel peut, dans ces circonstances, tirer des conclusions qui diffèrent de celles du juge de première instance. Un exposé des dépositions de l'appelant et de certains des témoins appelés par les intimés illustrera ce que j'avance. Stokoe, l'un des employés de l'agence maritime, a déclaré à Sheerwood, quelque temps avant le chargement, que le container, dans son état premier, n'aurait pu être logé sous le pont en raison de son volume et de sa longueur, mais qu'à son avis, une fois divisé en deux parties égales, il serait réduit à une dimension qui permettrait de le placer sous le pont. M. Sheerwood l'a alors fait diviser en deux de façon à ce qu'il puisse être placé sous le pont. On a produit un certain nombre de billets d'engagement, comportant quel-ques mentions «arrimage en pontée ou sous le pont au choix de l'armateur»; les employés des intimés ont également apporté quelques témoignages sur ce qui survint au mois d'avril, au sujet des marchandises transportées en pontée mais à cette époque, on n'avait pas encore divisé le container en deux, et il était encore question de le transporter d'un seul bloc. Ces témoignages sont donc sans valeur, et il était inutile de les apporter. Les intimés ont également soulevé, au cours du procès, un certain nombre de questions aucunement pertinentes qui ont pu, dans une certaine mesure, brouiller les cartes et influer de façon abusive et inutile sur le comportement 5 2 Q.B. 295.
[1970] R.C.Ê. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 689 de l'appelant; par exemple, en insinuant que ce dernier avait ramassé une copie non-signée du connaissement dans une corbeille à papier au bureau de l'agence maritime, et en signalant que l'appelant avait payé en billets de mille dollars et que l'un de leurs employés avait songé à prendre note de leurs numéros de série. Toutefois, je ne puis rien trouver dans la preuve qui permette de penser que l'appelant ne soit pas un homme honnête et donc digne de créance, ni qu'il ait enjolivé les faits dans son récit. Ainsi que l'un des employés de l'agence l'a déclaré, il s'agit d'un «individu sympathique», dont le témoignage doit à mon avis bénéficier du crédit que l'on accorde à celui d'une personne honnête, bien que dénuée d'expérience en matière de contrat de transport de marchandises par mer. Il appert, de la suite des dépositions, que l'on a complété l'emballage des deux caisses le 4 juin 1962, et que le 5 juin, on les a expédiées au quai pour être chargées sur le Lake Eyre. Le même jour, on disposa des bâches sur les caisses pour les protéger de la pluie alors qu'elles se trouvaient sur le quai; je dois préciser que l'appelant n'a jamais consenti à ce que l'on utilise ces bâches pour les fins du transport en pontée; il ne semble d'ailleurs pas, d'après les témoignages, qu'il ait jamais envisagé ou discuté cette éventualité. La pièce numéro 5 est un connaissement, en date du 4 juin 1962, qui semble avoir été établi le 5 juin 1962 et porte la mention «containers en pontée ou sous le pont, au choix de l'armateur». L'appelant prétend qu'on ne lui a remis ce connaissement, qui n'est pas signé, qu'à titre de reçu; qu'il a mani-festé son mécontentement et son désaccord quant au droit conféré au voiturier de transporter la marchandise en pontée ou sous le pont, à son choix; et que Fisher lui a affirmé qu'il la ferait mettre sous le pont. Stokoe reconnaît, à la page 92 de la transcription, que Sheerwood a été contrarié lorsqu'on a parlé, à cette occasion, de transport en pontée. Les intimés prétendent n'avoir établi ce document que pour calculer le fret, et avoir rédigé à cette occasion plusieurs copies de ce connaissement, qui ont été ensuite jetées au panier. C'est alors que l'un des employés des intimés a insinué que l'appelant aurait ramassé dans la corbeille à papier la copie qu'il détenait. Le navire leva l'ancre à midi, le 6 juin 1962, à destination de Montréal. Le même jour, mais avant le départ, on a établi le connaissement produit sous la cote 6, et Stokoe, employé de la March Shipping Agency, convint de retrouver l'ap-pelant à l'aéroport dans la soirée pour lui remettre le véritable connaisse-ment, qui l'autoriserait à toucher les marchandises à leur arrivée à Sydney. On ne s'entend pas sur la date véritable du départ de l'appelant. Il ne fait cependant aucun doute, d'après les preuves, et peu importe que l'appelant ait pris l'avion pour Sydney le 6 ou le lendemain, qu'il est parti le soir du jour on lui a remis le connaissement produit sous la cote 6; et c'est , à mon avis, le seul fait qui doive nous retenir, puisque dans ce cas, il faut admettre qu'il n'a disposé que de très peu de temps, au maximum de quelques heures, et non pas, comme le prétend l'avocat des intimés, de 24 heures, pour protester et faire mettre sa marchandise en sécurité. Il y a également lieu de noter que le connaissement produit sous la cote 6 ne renferme plus l'expression «en pontée ou sous le pont au choix de l'armateur», que l'on a remplacée par «en pontée aux risques du chargeur». Bien que l'on ait recouru à des expressions différentes dans les deux connaissements et bien que l'avocat de
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v: NAVIRE «LAKE EYRE» 691 l'appelant n'invoque, à quelque titre que ce soit, cette modification, il reste que, la thèse constamment défendue par l'appelant étant qu'il n'avait jamais consenti au texte de la pièce n° 5 arrimage en pontée ou sous le pont au choix de l'armateur»), cette modification me paraît renforcer dans une cer-taine mesure l'allégation de l'appelant, qui affirme n'avoir pas donné son consentement exprès au transport de ses marchandises en pontée, et soutient que jusqu'au moment il a quitté le bureau de l'agence, le 5 juin 1962, date à laquelle il a fait livrer ses caisses sur le quai, on lui a promis de pren-dre toutes les mesures possibles afin de faire placer ses marchandises sous le pont; l'appelant, qui n'avait pas l'habitude de traiter ce genre d'affaires, s'est contenté de cette assurance pour se convaincre de la possibilité de ces arrangements. Cette interprétation est également compatible avec le témoignage de Kearney, l'un des vice-présidents de la March Shipping Agency Ltd, qui dirigeait le bureau; il a reconnu très franchement que la veille du jour l'on a remis à l'appelant, à l'aéroport, le connaissement coté 6, c'est-à-dire au moment l'appelant a quitté le bureau de la March, il avait lieu de croire qu'il serait impossible de donner suite au désir exprimé par ce dernier de faire charger ses marchandises sous le pont. Aux pages 193 et 194 de la transcription, Kearney a déclaré: Q. Quelle fut la teneur de l'entretien que vous avez eu avec M. Sheerwood à votre bureau? R. Eh bien, autant qu'il m'en souvienne, cela le préoccupait un peu, l'entreposage, or nous ne pouvions lui préciser s'il se ferait sous le pont ou non, et il fallait que nous nous en assurions. Ce qui n'a pas été fait avant le lendemain, mais à ce moment-là nous lui avons dit que nous ferions de notre mieux pour le faire sous le pont, mais que nous ne pouvions le lui préciser tout de suite. ° On pourra cependant observer qu'ii existe un certain écart (qui n'a cependant pas d'importance pour cette affaire) entre ces deux expressions, si l'on s'en rapporte à l'arrêt Svenska Traktor Aktiebolaget v. Maritime Agencies (Southampton) Ltd., (1953) 2 Q.B. 295, à la page 299: ... L'intention qu'expriment la loi et son annexe me semble assez manifeste. En common law, l'armateur n'est autorisé à arrimer des marchandises en pontée que dans certaines circonstances . Le Carriage of Goods by Sea Act de 1924 vise à régir les relations entre armateurs et propriétaires de marchandises à partir de principes bien connus. En excluant, par définition, des .marchandises. dont le transport est régi par la loi les marchandises transportées en pontée en vertu d'une stipulation expresse, la loi vise, selon moi, à laisser à l'armateur la liberté de transporter des marchandises en pontée, à ses propres conditions, et sans être astreint aux obligations créées par la loi, dans toutes les circonstances , si cette loi n'existait pas, il aurait le droit de les transporter en pontée, pourvu cependant que ces marchandises soient effectivement transportées en pontée et que le connaissement régissant ce transport prévoie de façon manifeste le transport en pontée de cette cargaison. Cette disposition manifeste du connaissement constitue un avis et un avertissement, à l'adresse de ses consignataires et endossataires, investis de la propriété des marchandises par l'article 1 du Bill of Lading Act de 1855, que les marchandises qu'ils doivent prendre en charge sont expédiées en pontée. Ils acceptent donc ces effets en pleine connaissance de cause, et savent que le transport de ces marchandises en pontée n'est pas régi par la loi. Si d'autre part, il n'existe aucun accord spécifique entre les parties quant au transport en pontée et qu'aucune disposition manifeste du connaissement ne vienne préciser que les marchandises aient été effectivement transportées en pontée, les con-signataires ou les endossataires du connaissement seront en droit de supposer qu'il s'agis-sait de marchandises dont le transport ne pouvait être effectué par l'armateur que con-formément aux dispositions de la loi. Une autorisation, donnée en termes généraux, de transporter éventuellement des marchandises en pontée ne constitue pas, selon moi, une disposition du contrat de transport prévoyant le transport effectif de ces marchandises en pontée. Toute autre interprétation s'écarterait à mon avis du sens normal des mots de l'article Ic). Je décide par conséquent que le transport par les armateurs des tracteurs des demandeurs était régi par la règle 2 de l'article III de la loi. 93532-9
[1970] R.C.E. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 693 Kearney a même déclaré avoir parlé au capitaine Dragemark plus tard, dans la soirée du même jour ou le lendemain matin; ce n'est qu'à ce moment-là que le capitaine lui annonça qu'il fallait charger les marchandises en pontée, que c'était le seul endroit l'on pouvait les mettre, faute de place dans les entreponts, ces containers étant d'un demi-pied trop hauts. Il a par la suite reconnu qu'on aurait pu utiliser le connaissement non-signé produit sous la cote 5, si les containers avaient été placés sous le pont; voilà qui tend à établir que ce connaissement a très bien pu être dressé à cette fin, et non pas, comme on l'a prétendu, pour calculer le fret; cependant, comme on a constaté par la suite qu'il était impossible de charger les containers sous le pont, on a rédigé un nouveau connaissement, la pièce n° 6, en remplaçant la mention «en pontée ou sous le pont au choix de l'armateur» par «arrimage en pontée aux risques du chargeur». Selon Fisher (voir la page 130 de la transcription), on a effectué cette modification parce qu'à son avis, si l'on avait utilisé le premier connaissement, «il aurait pu y avoir des conséquences du point de vue juridique si quelque chose était arrivé à la mar-chandise»; il a estimé qu'il n'y aurait pas de conséquences du point de vue juridique dans le cas du deuxième connaissement, précisant que «le deuxième stipule «en pontée aux risques du chargeur» et qu'en vertu du droit maritime, nous ne sommes pas responsables de ce genre de choses». Il appert donc que, sur tous les points importants, il n'existait aucune contradiction radicale entre le témoignage des préposés des intimés et celui de l'appelant. Ce dernier, avant même qu'il ait fait diviser en deux son grand container et jusqu'au moment il a fait livrer ses caisses au navire, et même de nou-veau par la suite, comme on le verra plus loin, a été induit par les employés de la March Shipping à penser que ses caisses seraient transportées sous le pont. Ce n'est que peu avant de prendre l'avion pour Sydney qu'il a reçu un connaissement indiquant, pour la première fois, non seulement que ses containers seraient transportés en pontée, mais encore que ce transport s'effec-tuerait à ses risques. Il est impossible de soutenir que ce connaissement (Pièce n° 6), qui n'est pas le contrat lui-même' mais tout au plus une preuve par-tielle de l'existence d'un contrat, en renferme les stipulations obligatoires; en effet, non seulement les parties n'étaient-elles pas d'accord sur la clause d'ar-rimage en pontée, mais encore appert-il que la partie qui a unilatéralement stipulé cette clause avait jusque-là convenu de faire tout en son pouvoir pour placer les marchandises sous le pont, tandis que l'autre partie avait toujours eu l'impression qu'elles seraient placées sous le pont. Dans ces circonstances, il est impossible de constater ici l'existence, conformément à la règle de droit, d'une convention expresse de transport en pontée, et de dire que l'appelant a obtenu les services pour lesquels il avait contracté. ° (1879) 5 Q.B. 38 à la page 40: Crooks & Co. and Another v. Allan and Another Un connaissement ne représente pas le contrat, mais seulement la preuve du contrat; la personne qui accepte le connaissement que lui remet l'armateur, ne s'engage pas nécessairement, indépendamment des circonstances, à se soumettre à toutes ses dispositions. Si l'expéditeur, au moment de l'envoi de ses marchandises ou durant leur transport, ne sait pas que le connaissement qu'on lui remettra contient une telle clause, il est en droit de supposer que ses marchandises seront reçues suivant les clauses habituelles et peut exiger un connaissement exprès à cet effet. 93532-91
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 695 Ce connaissement ne pourrait obliger l'appelant que si, en fait, en le rece-vant, il en avait accepté la remise et la teneur, et avait autorisé le transport des marchandises en conformité de ses stipulations. Cela aurait, évidemment, exigé de sa part une acceptation expresse, a posteriori, des stipulations du connaissement, ou un comportement qui manifeste suffisamment cette accep-tation. Les preuves ne révèlent à mes yeux aucune acceptation par l'appelant des stipulations du connaissement, ni aucun comportement qui me permette d'en présumer. Au contraire, je n'ai pu constater, de la part de l'appelant et en ce qui concerne le transport en pontée de ses marchandises, qu'une attitude persistante de refus, d'opposition et de protestation, depuis le début des transactions jusqu'au moment il a quitté le pays. D'autre part, comme on le verra plus loin, le comportement des employés de l'agence maritime paraît manifester le désir de conserver un client, désir qui a pu les pousser, à l'occasion, à lui laisser croire, tout au long de leurs transactions, que ses containers seraient probablement transportés sous le pont et qu'eux-mêmes feraient tout en leur pouvoir à cette fin, bien qu'ils aient certainement su, à un moment donné, que la hauteur des containers ne permettait pas de le faire. Je constate par ailleurs que mes conclusions sur cette phase des transactions sont justifiées aussi bien par le témoignage de l'appelant que par celui des intimés. Sheer-wood, en recevant le connaissement (Pièce N° 6) des mains de Stokoe, à l'aéroport, en fit lecture, et a déclaré qu'il avait été contrarié en voyant la clause «en pontée aux risques du chargeur». Après avoir . cherché son numéro dans le bottin téléphonique, il appela Fisher à son domicile. Il pro-testa énergiquement, disant que Fisher lui avait assuré que le transport «se ferait sous le pont». Il a ensuite déclaré, aux pages 43 et 44, que Fisher lui avait dit: R. II a laissé entendre qu'ils allaient à Montréal. Ils pourraient prendre la cargaison et la mettre sous le pont. J'ai accepté. Nous avons discuté qui allait payer cela. Je dis que je l'avais déjà divisée en deux pour qu'on la mette sous le pont. Q. Avez-vous dit que l'on pouvait retirer la marchandise à Montréal, ou l'avez-vous laissé entendre? R. C'était dans le cours de la conversation. Je ne sais plus qui a laissé entendre qu'elle serait déchargée à Montréal, mais je crois que c'est au cours du deuxième ou du troisième entretien que j'ai eu ce soir-là avec M. Fisher, car il a dit qu'il appellerait le capitaine Dragemark, je ne m'en souviens plus. Q. Lui avez-vous dit de la décharger? R. J'ai dit de la décharger ou de la mettre sous le pont. Q. Qu'a-t-il dit? R. Il a dit qu'il voulait le connaissement, Monsieur. Q. Je crois que vous avez déclaré qu'il vous a dit qu'il se mettrait en contact avec le capitaine Dragemark. Savez-vous s'il l'a fait? R. Pas de façon certaine, non. Q. Avez-vous eu d'autres entretiens avec lui? R. J'ai rappelé après ce que j'ai estimé être un délai suffisant pour lui permettre de parler au capitaine Dragemark à Montréal. Q. Qu'a-t-il dit? R. II a dit qu'il parlerait au capitaine Dragemark. Et à la page 45: Q. Quel fut le résultat de cette seconde conversation avec Fisher? R. II m'a assuré qu'on la placerait sous le pont ou qu'on la déchargerait.
[1970] R.C.A. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 697 Q. Et qu'avez-vous fait ensuite? R. J'ai pris mon avion pour l'Australie. Q. Vous attendiez-vous, à la suite de cette conversation avec M. Fisher, à ce que les marchandises soient sur le navire, restent sur ce navire? R. J'étais presque certain qu'ils leur trouveraient une place s'ils le voulaient. Q. Redoutiez-vous qu'elles ne restent sur le pont? R. Non. J'ai cru M. Fisher sur parole. Pourquoi me serais-je méfié de lui? Je n'avais jamais eu de contacts avec lui qui m'auraient permis de douter de sa parole. La déclaration de Sheerwood, qui affirme avoir dit à Fisher de placer ses containers sous le pont ou de les décharger à Montréal, est confirmée par Fisher et par le capitaine Dragemark, deux des employés de l'agence maritime. Aux pages 141 et 142 de la transcription des dépositions, Fisher a donné les réponses suivantes: Q. II vous a donné des instructions précises? R. II a dit «Je veux que l'on décharge ces containers à Montréal». Q. A-t-il aussi dit quelque chose à propos de leur chargement sur un autre navire? R. Il en a parlé de la façon suivante; je lui ai dit: «Qu'allez-vous faire si nous les déchargeons et si vous m'apportez les connaissements et ainsi de suite, et qu'allons-nous faire de ces marchandises en entrepôt? Il a dit: «Ou bien je déciderai de les faire charger sur un autre bateau d'Atlanttralik, ou bien sur un bateau de la Manse, s'ils en ont un plus tôt. Q. Et je suppose que vous avez craint qu'il ne les expédie sur un navire d'une ligne concurrente? R. C'est une des choses que je redoutais un peu, parce que je dois veiller aux intérêts de ma compagnie. Q. Pourquoi redoutiez-vous cela? R. Supposons qu'il les ait expédiées sur un bateau de la ligne Manse, et qu'il ait gardé en sa possession les trois premiers connaissements du Lake Eyre, il aurait pu présenter ces connaissements à notre agent en Australie, en exigeant la remise des marchandises, et si les marchandises n'avaient pas été sur le navire, il aurait pu nous poursuivre pour la valeur de toutes ces marchandises. Q. Pouvez-vous me dire comment il aurait pu se faire remettre les containers par vous, pour les expédier sur un navire de la ligne Manse, sans vous re-mettre les connaissements? R. Si nous prenions le risque. Q. Votre compagnie a-t-elle jamais remis une cargaison sans obtenir les con-naissements? R. Non, Monsieur. Q. Par conséquent vous n'auriez pas pris ce risque, n'est-ce pas? R. Non, Monsieur. Q. Donc, M. Sheerwood n'aurait pas été capable de faire ce dont vous me parlez? R. Non, Monsieur. Q. Alors, quel était votre véritable motif pour ne pas vouloir qu'il recoure à une autre ligne? R. Eh bien, nous essayons de garder les cargaisons pour notre ligne, autant que possible. L'avocat des intimés a lui aussi évoqué le risque qu'on prenait en laissant l'appelant en possession des connaissements; ceux-ci, a-t-il observé, sont des effets négociables, susceptibles de passer, à la suite d'un transfert, à des tiers
[1970] R.C.E. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 699 qui pourraient réclamer les marchandises à leur point de livraison. A mon avis, il n'y avait guère lieu de s'inquiéter, en l'espèce, puisque le connaisse-ment produit sous la cote 6 stipule que les marchandises ne doivent être livrées qu'à l'appelant, à l'exclusion de ses mandataires ou cessionnaires. Dans l'arrêt Henderson v. Comptoir d'Escompte de Paris 8, le Conseil privé a jugé qu'un connaissement qui stipule que les marchandises ne peuvent être livrées qu'à certains consignataires désignés est incessible. Enfin, Fisher a soutenu que si Sheerwood lui avait donné l'autorisation écrite de décharger les containers à Montréal, et avait convenu de payer les frais de chargement et de déchargement que cela entraînait, ainsi que des droits de grue considérables, il aurait fait décharger les containers à Montréal. Nous l'avons vu, les intimés avaient reçu de l'appelant $2,714.12, somme plus que suffisante pour couvrir les frais ou débours qu'auraient pu encourir les intimés en déchargeant la marchandise. De plus, selon Fisher (voir la page 107 de la transcription), Sheerwood lui avait dit «Vous pouvez me faire confiance à ce sujet. Je suis solvable. Je vais prendre bien soin de ces trois connaissements». En définitive, j'estime que puisque le connaissement n'ex-primait pas ce dont les parties avaient convenu, il ne constituait alors qu'un reçu pour les marchandises, dont l'appelant aurait besoin pour en obtenir délivrance soit d'un entrepôt à Montréal, au cas elles seraient déchargées du navire, soit au point de livraison si elles étaient arrimées sous le pont. Il était donc justifié de refuser de s'en départir. Il est d'autre part impossible, à mon avis, de soutenir la proposition des intimés, d'exiger une autorisation écrite pour décharger la marchandise du navire. Puisque le connaissement qu'ils avaient délivré n'avait aucune force obligatoire, ils n'étaient pas habilités à exiger, comme Fisher prétend l'avoir fait, une autorisation écrite pour décharger la marchandise du navire. De plus, leur comportement a contraint l'appelant à contester le connaissement qu'on a voulu lui imposer, quelques minutes avant qu'il ne quitte le pays, de la seule façon qui lui était encore possible, en leur disant de placer sa mar-chandise sous le pont ou de la décharger à Montréal. Ils n'avaient absolument pas le droit d'exiger une autorisation écrite, et auraient donner suite aux instructions verbales qu'ils ont reçues. Par suite des agissements de leur représentante, l'agence maritime, ils sont devenus des dépositaires qui, sans avoir le droit de transporter la marchandise de l'appelant en pontée, et après avoir reçu instructions de placer cette marchandise sous le pont ou de la dé-charger du navire à Montréal, décidèrent, de peur de perdre un client et une commission, de l'expédier outre-mer en pontée, dans des containers insuffisam-ment protégés, de sorte qu'en raison du gros temps, le contenu de ces containers s'est soit perdu ou avarié. Cette décision ayant été prise sans auto-risation, et ayant aussi assumé les risques de son exécution, ils ne peuvent se prévaloir des limitations dont le Carriage of Goods by Sea Act leur ac-corderait le bénéfice, et sont responsables de toutes pertes et avaries subies par les marchandises de l'appelant. Pour ces motifs, je souscris au jugement que propose sur cet appel le Président de la Cour. 8 (1873) L.R. 5 P.C. 253.
[1970] R.C.É. SHEERWOOD v. NAVIRE «LAKE EYRE» 701 LE JUGE KERBJ'ai eu l'occasion de lire les motifs du jugement donnés par le Président et mon confrère, le juge Noël. Ils ont analysé en profondeur les points litigieux, les éléments de preuve et les règles de droit; je puis donc me permettre d'être concis. Du débat sur l'arrimage des marchandises «en pontée» ou «sous le pont», je conclus que les intimés n'avaient ni le droit, ni l'autorisation, en vertu d'une convention avec le chargeur, d'un usage ou d'une autre source, de transporter ces marchandises en pontée. Je fais donc droit à l'appel et statue dans le sens que propose le Président.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.