Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1970] R.C.É. RAYON SAID INDUSTRIAS v. WEST COAST LINES 565 [TRADUCTION] Rayon Said Industrias Quimicas S.A. et al (Demanderesse) v. West Coast Lines, S.A. et al (Défendeur) Le juge Noël en amirauté, Montréal, le 22 décembre 1969. AmirautéCompétenceDéfenderesses étrangèresCargaison endommagée entre Mont-réal et le ChiliSignification ex juris du bref Motion en annulationDiscrétion judiciaireRègle 20(b). Les destinataires d'une cargaison transportée de Montréal au Chili à bord du navire Nordpol ont intenté une action en dommages contre le propriétaire du navire, une société danoise, et contre les affréteurs, investis de la direction nautique et commerciale du navire, deux sociétés américaines. Un juge de la Cour a rendu une ordonnance pour faire signifier un bref d'assignation hors du ressort du tribunal, sur la foi d'un affidavit affirmant notamment que les défenderesses ont négligé de charger, d'arrimer, de surveiller et de transporter convenablement la cargaison, et que le navire n'était pas en bon état de navigabilité. Jugé: La motion en annulation de la signification est rejetée, les défenderesses n'ayant pas démontré que le juge avait fait un usage abusif de sa discrétion en rendant cette ordonnance. En vertu de la Règle 20(b), la Cour peut être justifiée d'assigner devant elle un défendeur étranger, lorsqu'il est possible qu'un manque-ment à une obligation contractuelle soit survenu à l'intérieur de son ressort. Renvoi à: Johnson v. Taylor Bros. & Co. [1920] A.C. 144; Rein v. Stein [1892] 1 Q.B. 753; Vitkovice Horni a Hutni Tezirstvo v. Korner [1951] 2 All E.R. 334. MOTION des défenderesses en annulation de la signification d'un bref d'assignation à l'extérieur du ressort. B. Cleven, pour les défenderessesrequérantes. T. H. Bishop et D. F. Marier, pour les demanderesses, contrd. LE JUGE NOELI1 s'agit de requêtes au nom de trois défenderesses étrangères West Coast Lines, S.A. (New York), West Coast Lines Inc. (New York) (poursuivies en qualité d'affréteurs et/ou de personnes investies de la direction nautique et/ou commerciale 'du navire de transport Nordpol) et Dampskibsselkabet Norden A/S (Copenhague) propriétaire dudit navire, en vue d'obtenir une ordonnance annulant le bref d'assignation et la signification qui en a été faite, en vertu de la Règle 26A des Rules in Admiralty. Le bref d'assignation fut émis au nom d'une société chilienne ainsi que de deux corporations canadiennes, au greffe de Montréal de la Cour de l'Échiquier du Canada, le 14 juin 1968. L'approbation du bref d'assignation porte que Les demanderesses, en qualité de propriétaires et destinataires d'une cargaison de balles de pulpe, et propriétaires, détenteurs et endossataires contre valeur des connaissements correspondant à ladite cargaison, transportée à bord du navire NORDPOL de Montréal (P.Q.) à Valparaiso (Chili), réclament la somme de trente-six mille dollars ($36,000.00) . conjointement et solidairement aux défenderesses, pour rupture de contrat, délit et tort, à raison de pertes et dommages à ladite cargaison, alors qu'elle était aux soins et sous la surveillance des défenderesses, .. . On prétend également que le navire n'était pas en bon état de naviga-bilité avant la traversée ainsi qu'au début et au cours de celle-ci. 93532-11
[1970] R.C.E. RAYON SAID INDUSTRIAS v. WEST COAST LINES 567 La demande d'autorisation, en date du 6 juin 1967, pour faire signifier un bref d'assignation, sur action personnelle, hors du ressort, s'appuie sur un affidavit daté du même jour et signé par William Tetley, C.R., qui dé-clarait: (1) qu'il estimait que les demanderesses ont une cause valable d'action contre les défenderesses; (2) que le connaissement fut remis à Montréal, P.Q.; (3) que la cargaison fut déchargée en mauvais état puisqu'elle était sale, humide et envahie de poussière jaune, de poudre blanche et d'eau de mer, et était cassée aux coins et aux endroits les fils métalli-ques l'entouraient; (4) qu'il ressort de tous les faits révélés aux demanderesses que les dé-fenderesses n'ont pas convenablement chargé, manipulé, arrimé, transporté, surveillé et déchargé la cargaison des demandeurs, et ne l'ont pas livrée dans le même bon ordre et état que celui dans lequel elles l'avaient reçue, et ont donc rompu leur obligation légale et contractuelle. Le 11 juin 1969, la Cour a fait droit, ex parte, sur la foi de cet affidavit, à la demande d'émission d'un bref d'assignation conjointe, sur action per-sonnelle, pour signification à l'extérieur du ressort, ainsi qu'à la demande d'autorisation de signifier un bref d'assignation, sur action personnelle, à l'extérieur du ressort; la Cour n'a pas donné ses motifs, et a également fait droit à une requête en prolongation jusqu'en juin 1970 du délai de signification du bref. Après la signification du bref d'assignation aux défenderesses étrangères, celles-ci produisirent une comparution sous réserve, en vertu de la règle 26A des Rules in Admiralty. MM. McMaster, Meighen, Minnion, Patch et Cor-deau comparurent pour la défenderesse Dampskibsselskabet Norden, pro-priétaire du navire Nordpol et MM. Beauregard, Brisset et Reycraft com-parurent pour les défenderesses West Coast Lines S.A. et West Coast Lines Inc. Les défenderesses, dans leurs requêtes en annulation du bref d'assignation et de la signification, prétendent que les demanderesses n'auraient pas être autorisées à assigner hors du ressort de la Cour, puisque cette dernière n'avait pas le droit de le faire. Le seul alinéa de la Règle 20 des Rules in Admiralty qui peut s'appliquer en l'espèce est l'alinéa (b) , qui permet à la Cour d'autoriser l'assignation d'une personne à l'extérieur du ressort lorsque: (b) L'action découle d'une violation réelle ou prétendue d'un contrat, commise à l'intérieur du district ou de la division od est introduite l'instance, quel que soit par ailleurs le lieu de conclusion du contrat, qui, selon ses termes, doit être exécuté à l'intérieur de ce district ou de cette division. Cette règle permet d'exercer une compétence personnelle sur des dé-fendeurs résidant à l'étranger, dans certaines circonstances; cette compétence est dite compétence «présumée» à l'égard d'un défendeur absent. Il s'agit d'une compétence élargie, qui ne peut être exercée par le juge ou par la Cour que pour de bonnes raisons, et qu'il n'y a pas forcément lieu d'exercer. J
[1970] R.C.E. RAYON SAID INDUSTRIAS v. WEST COAST LINES 569 Si l'action est devant un tribunal qui n'est pas commodément situé pour les parties ou même pour les témoins, on peut même en refuser l'exercice.' Les défenderesses prétendent que les demanderesses n'avaient et n'ont aucun droit d'être autorisées à assigner hors du ressort du tribunal en vertu de la Règle 20(b), pour les raisons suivantes: (1) Il n'est allégué nulle part que la rupture du contrat s'est produite dans le ressort du tribunal; (2) on a établi aucun fait permettant de rattacher la cause d'action à la Règle 20(b), le signataire de l'affidavit ne faisant que décrire les allégués de l'action; (3) rien dans le dossier n'indique la croyance du signataire de l'affidavit au bien-fondé de la cause d'action; (4) l'affidavit ne porte pas le signataire d'une personne au courant des faits; (5) de simples allégations, à l'appui d'un bref ou dans un exposé de demande, sont insuffisantes; (6) l'autorisation de signifier à l'étranger ne doit être donnée qu'avec une grande prudence, surtout lorsque le défendeur étranger n'est pas sujet britannique; (7) l'étranger devrait toujours avoir le bénéfice du doute; (8) le tribunal le plus commodément situé en l'espèce se trouve au Chili et non au Canada; tous ceux qui peuvent témoigner sur l'état de la cargaison, à son déchargement et à sa livraison au Chili, vivent au Chili, ainsi que la première demanderesse; et enfin, (9) l'affidavit n'indique aucun fondement de demande contre West Coast Line S.A. et West Coast Lines Inc.2 1 Voir Cheshire, Private International Law, 7e, édition, p. 79: La règle de common law, selon laquelle une action personnelle n'est recevable contre un défendeur que si elle a été signifiée au moyen d'un bref alors qu'il se trouvait en Angleterre, empêche souvent le demandeur de faire valoir sa réclamation devant le tribunal qui serait le plus approprié en l'espèce. Comme nous l'avons vu, le seul fait que le délit ait été commis en Angleterre, ou que le contrat y ait été passé et rompu, ne suffit pas à donner compétence au tribunal anglais, même si le défendeur est domicilié et réside habituellement dans le pays. Par ailleurs, si le débiteur anglais s'enfuit à l'étranger ou si un étranger rentre chez lui après avoir contracté une obligation en Angleterre, l'appareil judiciaire anglais ne peut intervenir. Dans un tel cas, le seul recours de la partie lésée est de poursuivre le contrevenant à son lieu de résidence, conformément à l'adage actor sequitur forum rei .. . C'est à partir de considérations de cet ordre que le Common Law Procedure Act de 1852 a créé un type complètement nouveau de compétence juridictionnelle, ordinaire- ment désignée compétence «présumée», en donnant aux tribunaux un pouvoir discrétion- naire d'assigner à comparaître des défendeurs absents, qu'ils soient anglais ou étrangers.. z Selon l'exposé de la demande (paragraphes 9, 14 et 15), les défenderesses sont pour-suivies en qualité de «charterers and/or operators and/or managers. (affréteurs et/ou per-sonnes investies de la direction nautique et/ou commerciale.) du navire Nordpol, parce que .the defendants dispute among themselves as to their responsibility. les défenderesses ne sont pas d'accord entre elles quant à leur responsabilité.) et «refuse to provide information to the public in general and to plaintiffs in partioular as to the contractual arrangements and responsibilities amongst them or as to which if not all, are the carrier, or in effect to disclose their principals so that plaintiff is entitled to sue all defendants;. refusent de fournir des renseignements au public en général et aux demanderesses en particulier sur leurs relations contractuelles, sur le partage des responsabilités entre elles, ou sur la détermination du ou des transporteurs, ou même de dévoiler l'identité de leurs commettants, de sorte que la de-manderesse est justifiée de poursuivre toutes les défenderesses;.).
[1970] R.C.É. RAYON SAID INDUSTRIAS v. WEST COAST LINES 571 D'autre part, les demanderesses prétendent que, bien qu'on n'ait constaté les dommages subis par leur cargaison qu'au moment de la livraison au Chili, et qu'en ce qui concerne cette obligation, la violation a donc eu lieu à l'extérieur du ressort, l'original du constat de dommages n° MC-16240, émis le 27 novembre 1967 à Santiago du Chili par l'A fia Chilena Seguros Limitado, ainsi que le certificat d'analyse émis le 4 janvier 1968 à Toronto par la Warnoch Hersey Company Ltd., révèlent que les défenderesses ont négligé de charger, de manipuler, d'arrimer, de transporter, de surveiller, de décharger et de livrer convenablement et soigneusement la cargaison des demanderesses et de la conserver en aussi bon état qu'elles l'avaient reçue, et que les défenderesses ont par conséquent violé, à l'intérieur du ressort du tribunal, leurs obligations légale et contractuelle de charger, manipuler, arrimer, transporter et surveiller convenablement et soigneusement la car-gaison des demanderesses. Bien qu'on n'ait pas précisément allégué rupture du contrat dans les limites du ressort, on peut à mon avis déduire de l'exposé des faits dans l'affidavit de Me Tetley la possibilité que, dans l'hypothèse d'une violation des obligations susdites, cette violation se soit produite dans les limites du ressort du tribunal, puisque le point d'expédition était Montréal, ont été effectués le chargement et l'arrimage, et puisque le navire a vogué dans les eaux canadiennes avant d'atteindre l'Atlantique. J'ajoute d'ailleurs que l'exposé de la demande produit par les procureurs des demanderesses, après l'audition des présentes motions, confirme cette interprétation des allégations qu'elles contiennent. La question principale reste cependant de savoir si, compte tenu du fait que l'obligation de délivrance était exécutoire au Chili, une éventuelle violation de l'obligation de charger, manipuler, arrimer, transporter et sur-veiller convenablement la cargaison, exécutoire au Canada, peut être con-sidérée, dans les circonstances de l'espèce, comme suffisamment importante ou essentielle 3 pour justifier la signification d'une action intentée au Canada à trois sociétés étrangères, deux d'entre elles ayant leur siège à New York et l'autre à Copenhague. On a également allégué que le navire des défenderesses ne se trouvait pas en bon état de navigabilité avant le voyage, au début et pendant le cours de celui-ci; il faut donc considérer l'importance de cette obligation et 8 Comme le signalait le vicomte Haldane, dans l'arrêt Johnson v. Taylor Bros. & Co. [1920] A.C. 144, à la page 153), la Cour peut .refuse to give such leave in an instance in which the proceedings, though for a breach within the jurisdiction and in the letter within the terms of the rule, is in substance not so. (.refuser de donner cette autorisation, lorsque la violation sur laquelle porte l'action, bien qu'elle ait été commise à l'intérieur des limites du ressort et qu'elle soit visée par la lettre de la règle, ne répond pas, dans sa substance, à ces critères»); lord Buckmaster signalait pour sa part, aux pages 160-161: at must, however, be remembered that the issue of the writ, even in a case within the words of the rule, can only be made by leave d the Court, and in granting such leave regard ought to be had to the real breach in respect of which the action is brought, and not merely to a breach on which it is necessary to rely, not to obtain relief but only to found jurisdiction under the rule.. (.11 faut cependant se rappeler que l'émission du bref, même dans un cas visé par la lettre de la règle, exige l'autorisation de la Cour; pour donner cette autorisation, celle-ci devra tenir compte de la violation qui fait véritablement l'objet de l'action, et non pas uniquement d'une violation qu'il faut nécessairement invoquer, non pour en obtenir réparation mais pour donner compétence au tribunal par l'effet de la règle..)
[1970] R.C.t. RAYON SAID INDUSTRIAS v. WEST COAST LINES 573 son rapport éventuel avec la cause du dommage, afin de savoir si elle peut être jugée suffisante pour permettre aux demanderesses d'amener trois parties étrangères à comparaître devant cette cour. Il convient également de considérer la commodité du for, eu égard au domicile des parties et au lieu de résidence des témoins. Sur la foi de l'affidavit produit par Me Tetley, un juge de cette cour a autorisé l'émission et la signification d'un bref conjoint; on me demande aujourd'hui d'annuler l'ordonnance rendue que le juge, dans l'exercice de sa discrétion, avait le pouvoir d'émettre. Les questions de signification à l'extérieur du ressort revêtent une importance primordiale. Même si cette signification a été autorisée par l'or-donnance d'un juge, la question de savoir s'il y avait lieu ou non de signi- fier ce bref peut, bien sûr, faire l'objet d'une révision après audition des parties, sur requête de la partie assignée à comparaître. Bien qu'on ne m'ait pas fourni d'éléments plus complets ou plus précis que ceux d'après lesquels le juge a ordonné la signification, j'ai eu par contre l'occasion d'examiner l'affaire de façon plus approfondie. J'ai en outre en-tendu les plaidoyers complets des parties sur le point de savoir s'il y avait lieu ou non de signifier le bref aux défenderesses étrangères à l'extérieur du ressort du tribunal. En dépit de la situation je me trouve, et du fait que je n'aurais peut-être pas autorisé cette signification à l'étranger sur la seule foi de l'affidavit produit par Me Tetley, je ne suis pas prêt à dire que les défenderesses m'ont démontré que le juge avait fait, en autorisant cette signification, un usage abusif de son pouvoir discrétionnaire, ce qui me permettrait de casser son jugement. La jurisprudence soutient en effet, à l'égard d'une règle britan-nique analogue à la Règle 20b) des Règles de l'Amirauté, que lorsqu'une partie d'un contrat doit être exécutée à l'intérieur du ressort d'une juridic-tion et qu'on allègue violation de cette partie du contrat, la Cour peut éven-tuellement assigner un défendeur étranger ou absent à comparaître devant elle (voir Robey & Co. v. The Snaefell Mining Co.4. Dans l'arrêt Rein v. Stein 5, lord Lindley déclarait en effet (p. 757) : ... A mon avis, il n'est pas nécessaire que la totalité du contrat soit exécutoire à l'intérieur du ressort. Il suffit qu'une de ses parties soit exécutoire à l'intérieur du ressort et qu'il y ait violation de cette partie du contrat à l'intérieur du ressort;... Dans un arrêt plus récent, Vitkovice Horni a Hutni Tezirstvo v. Korner°, on a cassé, en appel, le jugement du magistrat de première instance, qui avait refusé de faire signifier hors des limites de son ressort, au motif qu'on ne lui avait pas démontré qu'une violation de contrat était survenue à l'in-térieur de ces limites. On a même affirmé, à cette occasion: ... sur requête visant à faire signifier un bref d'assignation hors des limites du ressort, en vertu de la règle R.S.C., Ord. 11, r. 1(e), il incombait au demandeur, en vertu de la règle R.S.C., Ord. 11, r. 4, non pas de «démontrer. à la Cour son bon droit, mais de faire suffisamment apparaître qu'il y avait lieu, en l'espèce, de signifier hors des limites du ressort; à cette fin, il ne lui était pas nécessaire d'établir les faits hors de tout doute raisonnable, mais simplement de manifester des pré-tentions défendables; le savant juge faisait donc erreur en croyant qu'il n'avait pas (1888) 20 Q.B.D. 152. 6 [1892] 1 Q.B. 753. 6 [1951] 2 All E.R. 334.
[1970] R.C.É. RAYON SAID INDUSTRIAS v. WEST COAST LINES 575 compétence pour autoriser la signification hors des limites du ressort parce qu'on ne lui avait pas «démontré» qu'une violation avait eu lieu à l'intérieur du ressort; et puisqu'il n'a pas voulu faire usage de sa discrétion, la Court of Appeal avait compétence pour réviser son ordonnance et exercer sa propre discrétion, en vertu de la règle Ord. 11, r. 4; et d'après les preuves rapportées à la Cour, il y avait lieu en l'espèce d'autoriser la signification hors des limites du ressort. Les deux motions doivent, par conséquent, être rejetées et les dépens suivront l'issue de la cause.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.