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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 995 ENTRE: Montréal 1965 SA MAJESTÉ LA REINE DEMANDERESSE; le 13 déc. et ET 1966 le 11 janv. .J. L. MELANSON DÉFENDEUR. Ottawa 1966 informationRéclamation par la demanderesse au défendeur, membre de le 31 janv. la Gendarmerie Royale du Canada, de $1,979.78, ajouté à la retenue de ses contributions à la caisse de retraiteLibéré sous conditions Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada, S. du C. 1959, c. 54, art. 13(2)—Arrêté ministériel P.C. 1960-379Règlement 166 des Règles et Ordonnances de la Gendarmerie Royale du Canada, (a) et (b) en vigueur le 1°' avril 1960Règlement 1915 (1)(4) valide du 16 août 1961 au 29 février 1984 donnant au Commissaire les pouvoirs de revision «Instructional and Educational Courses», art. 189(1)(2) en vigueur le 1" avril 1960—«Memorandum of Undertaking» du 9 janvier 1968 déclaré nul et de nul effetDéfinition de «la crainte ou la violence» sous les articles 994 et 995 du Code Civil de QuébecAction déboutée avec dépens. 2.Le sous-procureur général du Canada, de la part de Sa Majesté la Reine, réclame du défendeur Melanson le paiement d'une somme de $1,979.73, qui vient s'ajouter à la retenue de ses prestations à la caisse de retraite, soit $2,285.90, formant un total de $4,265.63. _Melanson, maintenant âgé de 36 ans, s'enrôla dans la Gendarmerie Royale du Canada, le 21 janvier 1952, à 22 ans, et continua son service jusqu'au 15 janvier 1963, soit pendant onze ans. _En 1957, Melanson reçut l'ordre de suivre un cours de droit à l'Université McGill, ce qu'il fit pendant trois ans, soit du 30 septembre 1957 au 5 mai 1960, et obtint le degré de bachelier en droit. Sa solde régulière et le coût de sa scolarité universitaire lui furent payés durant cette période, moins l'impôt fédéral et provincial.
996 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [ 19661 1966 Presque vingt mois après ses études légales, le 28 décembre 1961, Melansoni LA REINE contracta un autre engagement de cinq ans, à partir du 21 janvier V. 1962, avec la Gendarmerie Royale du Canada, conformément à l'art. MELANSON 13(2) de la Lot sur la Gendarmerie Royale du Canada, S.C. 1959, c. 54. Neuf mois plus tard, cependant, Melanson s'enrôla dans la Sûreté Provinciale du Québec, à des conditions plus avantageuses. Cette décision est à l'origine du litige actuel. Le 15 octobre 1962, Melanson obtint son congé du Surintendant de la: Division «C» de la Gendarmerie Royale, à Montréal, selon les conditions portées au Règlement 166 des Règles et Ordonnances de la Gendarmerie Royale du Canada, en vigueur depuis le ler avril 1960, conformément à l'arrêté ministériel PC-1960-379. En vertu du Règlement 166, Melanson ne se croyait astreint qu'au seul paiement d'un dédit de $5 par mois pour chacun des 49 mois résiduaires de son engagement quinquennal, i e., à un remboursement de $245. Le Commissaire Harvison de la Gendarmerie Royale du Canada, se-prévalant de la juridiction qui lui est accordée selon le Règlement 166, en vigueur depuis le le' avril 1960, refusa d'accepter le congé de Melanson et annula la décision du commandant local qui, néanmoins, n'avait pas outrepassé ses pouvoirs, bien que sa décision demeurât susceptible de revision par le commissaire, selon le règlement 1915, vahde du 16 août 1961 au 29 février 1964. Melanson fut alors avisé qu'il s'exposait à être arrêté comme déserteur s'il quittait le service sans se plier aux conditions exigées par le commis saire Harvison. Son commandant l'assigna à comparaître devant lui le 16 novembre 1962, lui réitéra les exigences formulées dans le message du Commissaire Harvison ci-haut mentionné, insistant sur les sane tions portées contre la désertion par les règlements de la Gendarmerie-Royale et le Code Criminel. Le 9 janvier 1963, sous la menace desdites sanctions, Melanson signa, sous protêt, en présence de son commandant et d'un sergent d'état major,. le document mstitulé «Memorandum of Undertaking» abandonnant ainsi à la Gendarmerie Royale ses contributions à la caisse de retraite, $2,285 90, et promettant de payer $1,979.73 par versements mensuels de-$32 83. Melanson a alors déclaré qu'on ne lui avait jamais demandé auparavant de signer un tel engagement. Cette soumission entachée de contrainte valut à Melanson son congé. Il est significatif, tout d'abord, que dans le document «Remarks of Board' and Commissioner», en date du 15 janvier 1963, il est spécifié que Melanson a obtenu son congé en payant la somme de w 45, dûment, déposée au crédit du Receveur général du Canada, dont quittance. Jugé, le règlement 189 n'existait pas en 1957 quand Melanson reçut ordre d'entreprendre des études de droit. Ce règlement ne reçut effet et. vigueur que le ler avril 1960, c'est-à-dire trois ans plus tard. 2. On a voulu soumettre tardivement, ex post facto, un membre de la Gendarmerie Royale à l'ordonnance 189 de 1961, au lieu de s'en tenir à, l'ordonnance 166 de 1957, en transposant les dernières lignes du règlement 166 dans le règlement 189 en vigueur seulement depuis le-1°' avril 1960.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 997 3. Les autorités de la Gendarmerie Royale du Canada ont fait erreur en 1966 tentant de vouloir lire sous le règlement 166 le dispositif du règlement LA REINE 189. V. 4. L'alinéa (b) du règlement 166 impose à un membre démissionnaire de la MELANSON Gendarmerie Royale une indemnité forfaitaire de $5 par mois jusqu'à l'expiration normale de son engagement. 5. Melanson fut menacé d'arrestation pour désertion s'il refusait de signer le «Memorandum of Undertaking» et aussi de représailles s'il ne renonçait pas à sa requête de congé. L'acquiescement de Melanson fut donné sous contrainte. 6 Les articles 994 et 995 du Code Civil de Québec édictent: 994 La violence ou la crainte est une cause de nullité. 995. La crainte produite par violence ou autrement doit être une crainte raisonnable et présente d'un mal sérieux. On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe, au caractère, et à la. condition des personnes. 7. Deux constatations s'imposent: a) la première est qu'on a prétendu obtenir tardivement de Melanson un engagement d'une portée considérable afin de l'astreindre à un règlement inexistant lors du fait qui a provoqué le litige. b) dès que l'autorité suprême acquiesçait au congédiement du caporal Melanson, celui-ci, selon le règlement 166, n'était redevable que d'une indemnité de $5 par mois pour chaque mois de son engagement inachevé, soit $245, qu'il a dûment versés. 8. La Cour déclare nulle et du nul effet la pièce D-6, «Memorandum of Undertaking» datée le 9 janvier 1963, et rejetant l'information de la demanderesse, enjoint à celle-ci de rembourser au défendeur, dans un délai de 15 jours de la date du jugement (31 janvier 1966) ses contributions à la caisse de retraite au total de $2,285 90, avec tous dépens contre la demanderesse. INFORMATION du sous-procureur général du Canada, de la part de Sa Majesté la Reine, pour le compte du Canada, en recouvrement de la somme de $1,979.73 du défendeur, en sus de la rétention de prestations à la caisse de retraite au montant de $2,285.90. Paul 011ivier, c.r. et Gaspard Côté pour la demanderesse. J. L. Melanson agit pour lui-même. DuM0ULIN J.:—Le Sous-Procureur général du Canada, «de la part de Sa Majesté de Reine», réclame du défendeur, le paiement d'une somme de $1,979.73 qui s'ajoute à la retenue d'un premier montant de $2,285.90, formant un total de $4,265.63.
'998 R.C. de 1'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 Voici les faits à l'origine du litige. LA REmN" . Le défendeur, Joseph Léonard Melanson, présentement v MELANSON âgé de 36 ans, s'enrôla dans la Gendarmerie Royale du Dumoulin J. Canada, le 21 janvier 1952, alors qu'il n'avait que 22 ans, et demeura au service de cette organisation constabulaire jus-qu'au 15 janvier 1963, soit un stage de 11 ans. En 1957, Melanson reçut ordre de suivre les cours de droit à l'Université McGill de Montréal, ce qu'il fit pendant trois années, du 30 septembre 1957 au 5 mai 1960, obtenant le degré de bachelier en droit. Le coût de la scolarité uni-versitaire, $1,500, et sa solde régulière durant cette période, une somme de $8,449.08, lui furent payés par la Gen-darmerie Royale. La récapitulation de ces deux montants s'élève au chiffre de $9,267.58, moins l'impôt fédéral et provincial. Le 28 décembre 1961, presque 20 mois après la fin de ses études légales, le défendeur contracta un autre engagement de cinq ans à partir du 21 janvier 1962, conformément à l'art. 13(2) de la Loi sur la Gendarmerie Royale, S.C. 1959, c. 54. Ce document, pièce D-1, se lit en partie comme suit: I, Reg. No. 17469, Joseph Leonard Melanson do hereby undertake to re-engage, enlist and serve in the Royal Canadian Mounted Police for five years from 21-1-62 and to be discharged at the expiration thereof, subject to the exigencies of the service, and do hereby declare myself subject to all the provisions of the Royal Canadian Mounted Police Act, Chapter 54, Revised Statutes of Canada 1959, and any Acts amending the same; and to all regulations and orders made by virtue of the said Acts, or any of them, .. . Quelque 9 mois plus tard, Melanson décida d'accepter l'offre de conditions plus avantageuses que lui firent les autorités de la Police provinciale du Québec, décision qui, on le conçoit, est la cause du litige actuel. Le 15 octobre 1962, par lettre adressée au surintendant R. J. Bélec, officier commandant de la division «C» de la Gendarmerie Royale à Montréal, (cf. pièce D-2) le défen-deur sollicita son congé à la date du 16 novembre 1962, selon les conditions portées au règlement 166 des Règles et Ordonnances de la Gendarmerie Royale du Canada, en vi-gueur depuis le 1°' avril 1960, conformément à l'arrêté ministériel P.C. 1960-379. Il importe de citer au texte cet article 166: 166. Where a member other than an officer requests to be discharged from the force prior to the termination of his term of 'engagement and the
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 999 Commissioner considers that such discharge would not affect the efficiency 1966 of the force, the Commissioner may order the discharge of that member LA REINS by purchase v. (a) where the member has six months service or less, on payment of MELANSON one hundred and twenty-five dollars; or Dumoulin J. (b) where the member has over six months service, on payment of five dollars for each month or portion thereof of the unexpired term of his engagement, but in no case less than one hundred and twenty-five dollars and on repayment of such expenses incurred on that member's behalf as the Commissioner may direct. Il est manifeste que le défendeur se croyait astreint au seul paiement d'un dédit de $5 par mois pour chacun des 49 mois à venir de son engagement quinquennal, c'est-à-dire au remboursement d'une somme de $245. Il advint, cependant, que le commissaire Harvison de la Gendarmerie Royale, ne fit pas à cette proposition un ac-cueil aussi favorable, comme il appert à la pièce D-3, une lettre qu'il écrivit, le 14 novembre 1962, à l'intention du commandant de la division «C» à Montréal. En voici la teneur: November 14, 1962. The Officer Commanding "C" Division, R.C.M.Police, MONTREAL, P.Q. Re: 17469, Cpl. MELANSON, J.L.—Application for Discharge by Purchase I refer to your minute to application of Corporal Melanson dated October 15th, 1962,-in which he has indicated his desire to obtain his discharge from the Force by purchase. 2. This N.C.O. was one of those members who were privileged to obtain legal training at public expense on the understanding that he was committed to a career in the Force and consequently there is no desire to have Corporal Melanson sever his connection with the Force. Should he purchase his discharge, he may be informed that this will be approved on payment of $4,575.39, as shown on the attached computation. On November 16th, 1962, he will have a credit amounting to $2,440 16 in the R.C.M.Police Superannuation Fund. 3. Kindly advise me as soon as possible with respect to the intentions of this N.0 O. C.W. Harvison, Commissioner P.S. Regulation 166 should be brought to the attention of Corporal Melanson. 92720-4
1000 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19661 1966 Cette communication du commissaire Harvison an- LA REINE nulait une décision du commandant local, le surintendant MELANSON R. J. Bélec, qui, le 31 octobre 1962, accordait dans les termes ci-après relatés, le congédiement demandé par le Dumoulin J. caporal Melanson. Il s'agit de la pièce M-1: Montreal, October 31st, 1962. The Officer i/c C.I.B. R.0 M. Police, Montreal. Re: 17469, Cpl. MELANSON, J.L. 1. Further to the Assistant C.I.B. Officer's minute dated 16-10-62 under same file heading, kindly be advised that it is intended to have Cpl. MELANSON's discharge effected on November 15th 1962; consequently, this N.C.O. is to return his complete kit to the Q M. Stores on that date and is to contact the N.C.O. i/c Orderly Room to finalize his discharge arrangements. R J. Bélec, Supt. Commanding "C" Division Cpl. Melanson, RCMPMONTREAL POST 1. FORWARDED for your information and compliance. S.U.I. Mtl. 1 NOV 62 J. B. Giroux, S/Sgt. CIB COORDINATING NCO Le consentement du surintendant Bélec à la requête du défendeur n'outrepassait pas les pouvoirs de cet officier, bien que sa décision demeurât susceptible de révision par le commissaire, selon le règlement 1915, valide du 16 août 1961 au 29 février 1964. Les paragraphes pertinents sont le premier et le quatrième ci-après relatés: 1915. (1) Officers Commanding Divisions are authorized to approve applications for discharge by purchase subject to final confirmation by the Commissioner. (4) Unless advised to the contrary promptly, Division Officers Commanding may assume that such requests have been confirmed and "pay on discharge" is to be requested. Apparemment, l'intention du caporal Melanson de per-muter à l'emploi de la Police provinciale s'était aussitôt ébruitée, car il serait difficile d'expliquer autrement une lettre de l'assistant-commissaire de la Gendarmerie Royale, M. F. A. Lindsay, datée le 9 octobre 1962, pièce M-4, à l'adresse, toujours, de l'officier commandant de la division «C» de Montréal. La suscription de cette pièce «University CoursesGeneral», comme aussi chaque ligne du texte, démontre sans conteste qu'elle exige l'application tardive
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1001 de l'article 189 des Règlements de la Gendarmerie Royale 1966 qui n'avait de force opérante que depuis le 1°' avril 1960, LA REINE jour de sa sanction par le Gouverneur général. V. MELANSON A ce point, il convient de reproduire cette lettre, pièce Dumoulin J. M-4, et l'article 189: October 9, 1962. CONFIDENTIAL: The 0 C. "C" DIV. RCMP, MONTREAL, QUE. RE: University CoursesGeneral It has recently come to attention that Reg. No. 17469, Cpl. Melanson, J L. of your command who was provided with university education at public expense apparently, either through a misinterpretation of policy or an oversight, has not completed the undertaking required by Regulation 189 and C.S 0. 1095. 2. Occasionally we are required to produce these agreements for the Department of Justice or Treasury Board and, needless to say, it could prove most embarrassing if we were unable to do so. Under the circumstances, will you please arrange to have the required signed undertaking obtained from this member and forwarded with the least possible delay. 3. Since this N C.O. graduated in 1960 the wording of the undertaking at C.S.O. 1095 is not completely applicable and the following agreement is to be used in this case :— "In consequence of my completion of university studies at an institution of learning at the expense of the Government of Canada I hereby agree to re-engage as and when required, and to serve in the Force for a period of five years from the date of my graduation which was on. ..19..." M F A Lindsay, A/Comm'r Director Administration and Organization Article 189: Instructional and Educational Courses. 189. (1) Every member selected to attend a university, school, college or other place, to undertake at public expense a course of studies or instruction of more than six months' duration shall, before commencing the course, sign an honourable undertaking agreeing to continue to serve m the force for the duration of the course afforded him and for five years thereafter. (2) Where a member defaults in an undertaking described in subsection (1), or otherwise induces his discharge from the force by his own conduct or actions, he may be required to pay all, or such portion as the Commissioner may direct, of the amounts paid from public funds in respect of his attendance at the course including transportation and travelling expenses for himself and family, pay and allowances paid to hlm, tuition fees and any other coincident expenses. Informé des conditions posées par le commissaire Har-vison, Melanson répondit dans un assez long document, daté le 17 décembre 1962, pièce D-4, l'habitude, par 92720--4l
1002 R.C. de 1'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 ailleurs excellente, du respect disciplinaire, laisse toutefois LA REINE transpercer son désaccord et le désir de protester. Les exi- MEIANSON gences du commissaire, c'est Melanson qui l'écrit, lui im-posaient d'accepter les conditions onéreuses d'un rem-Dumoulin J. boursement de $4,265.63 ou l'alternative d'essuyer un refus. Je consignerai, ici, l'admission catégorique du procureur de la demanderesse que Melanson ne fut jamais requis de signer l'engagement prévu à l'article 189 antérieurement au mois de décembre 1962. Avant d'examiner les autres pièces du dossier, il convient d'aborder l'étude de la preuve orale entendue à l'enquête, et de faire clairement apparaître les conjonctures et circon-stances qui induisirent le défendeur à souscrire la pièce D-6 d' cette information procède. Le premier témoin assigné par la demanderesse fut Joseph Adrien Thivierge, âgé de 55 ans, qui cumule actuel-lement les fonctions de surintendant et commandant de la Gendarmerie Royale, division «C», district de Montréal. Le commandant Thivierge rapporte que la demande de congé soumise, le 15 octobre 1962, par le caporal J. L. Melanson, reçut l'approbation du commandant Bélec mais fut désavouée, le 2 novembre 1962, par un «Telex» du commissaire Harvison. Ce télégramme fut suivi d'une lettre de cet officier supérieur dès le 14 novembre 1962, pièces M-3 et M-6. Le témoin assista à une entrevue, le lendemain ou le surlendemain, entre Bélec et Melanson, au cours de laquelle l'attention du défendeur fut attirée au règlement 166. Melanson refusa d'obtempérer aux termes imposés par le commissaire Harvison, insistant sur la faculté que lui as-surait le règlement 166 d'obtenir un congé contre paiement d'un dédit mensuel de $5. Le surintendant Thivierge admet que le commandant Bélec déclara alors au défendeur qu'il s'exposait à être arrêté comme déserteur s'il quittait le service sans se plier aux conditions exigées par le commis-saire. «Le 8 janvier 1963», continue ce même témoin, «Ottawa nous faisait parvenir un «Memorandum of Undertaking» (ce sera la pièce D-6) que Melanson signa en ma présence et celle du sergent d'état major Robitaille. J'ai fait venir le caporal Melanson à mon bureau, je lui ai présenté ce document pour signature; il éleva quelques protestations au
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1003 sujet des sommes énormes qu'on lui réclamait alors qu'on 1966 ne lui avait jamais demandé de signer un pareil document LA REINE auparavant. Je ne lui fis aucune menace, adoptant un rôle MEr.AN$ON d'absolue neutralité Dumoulin J. Le second témoin fut nul autre que l'ancien commandant de la division montréalaise, René-Jean Bélec. Cet officier déclare que, informé du cours de droit suivi par le caporal Melanson, il avait quand même approuvé sans conditions sa demande de licenciement, mais que, sur réception du désaveu de Harvison, il assigna le défendeur à comparaître devant lui, 'le 16 novembre 1962, lui réitéra les exigences formulées dans le message de Harvison, insistant sur les sanctions portées contre la désertion par les règlements de la Gendarmerie Royale et le Code criminel. Bélec ajoute qu'il avait avisé, avec un de ses subordonnés, aux mesures d'arrestation à prendre si le caporal Melanson ne se rappor-tait pas à son poste, le lundi suivant, comme il en avait manifesté l'intention. Le sergent Charles Filion de la Gendarmerie Royale, division de Montréal, a préparé la formule, pièce D-7, in-titulée «Board of Officers», qui est le document officiel de congé. «Je suis absolument convaincu», dit-il, «que Me-lanson a signé cette formule sous protêt, spécialement la partie apparaissant à la page 3 de la pièce D-7 libellée «Claims for Pay, etc.». Il a déclaré qu'il protestait en parole mais signait afin d'obtenir son congé Le défendeur se fit entendre et témoigna de façon plus précise des faits et des griefs soulevés dans sa plaidoirie écrite. Il rapporte substantiellement qu'en 1957, après six ans au service de la Gendarmerie Royale, il reçut instructions des quartiers généraux d'Ottawa, et cela sans aucune demande préalable de sa part, de s'inscrire à la Faculté de droit de l'Université McGill, dès le début de l'année univer-sitaire à l'automne. Il ne fut nullement question alors, ni pendant la durée de son stage scolaire, de signer un engagement à l'occasion de cette nouvelle affectation. Melanson laisse entendre qu'il n'aurait pas accepté de s'engager à l'avance pour une période de huit ans, mais n'est pas le noeud de l'affaire. Qu'il eût consenti ou pas n'a rien à voir, en l'occurrence, quand il est admis de part et d'autre qu'il n'a contracté aucune obligation spécifique en temps utile.
1004 R.C. de 1'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 Le témoin conclut en attirant l'attention de la Cour au LA REINE paragraphe 5 d'une communication de l'inspecteur A. N. v. MELANBON Cart, à l'adresse du commandant Bélec, datée le 16 novem- bre 1962, et produite au dossier sous la cote M-2. Selon le Dumoulin J. témoin, et il ne fut pas contredit, ces lignes laissaient présager, dans l'éventualité même d'une continuation de service, un recours à des représailles sous le couvert d'un poste de moindre importance. Il se trouvait ainsi encerclé dans un dilemme peu enviable. S'il déférait à l'injonction du commissaire, il assumait une dette de $4,265.63. Si, au con-traire, il tentait de quitter les rangs de la Gendarmerie en invoquant le règlement 166, c'est-à-dire après paiement d'une indemnité de $245, il se rendait passible d'arrestation immédiate pour désertion, incident désagréable en toutes circonstances, et particulièrement dans le cas du défendeur qui entendait se joindre à l'effectif de la Police provinciale. Enfin, s'il renonçait à ce dernier projet, il devait redouter d'encourir la rancune de ses supérieurs que la pièce M-2 insinuait, et de subir, en quelque sorte, une diminution de rang. C'est dans ces conditions que Melanson dut se résoudre à tracer son nom au bas du document intitulé «Memorandum of Undertaking», le 9 janvier 1963. Par cette pièce, cotée D-6, le défendeur abandonnait à la demanderesse ses contributions au fonds de retraite, $2,285.90, et promettait de payer un reliquat de $1,979.73 par versements mensuels de $32.83, une indemnité globale de $4,265.63. Cette soumission forcée, je ne saurais qualifier autrement le geste du défendeur, lui valut son congé, attesté par les pièces D-7 et D-8, cette dernière à l'entête «Discharge». Il est significatif, toutefois, qu'à la troisième page du document D-7, sous l'intitulé «Remarks of Board and Commissioner», en date du 15 janvier 1963, il est spécifié que le caporal Melanson a obtenu son congé en payant la somme de $245, dûment déposée au crédit du Receveur général du Canada, dont quittance. Les signataires de cette pièce sont le surintendant R. J. Bélec et l'inspecteur A. M. Cart. Quel que soit le mobile qui ait inspiré cette déclara-tion inexacte, il est certain qu'elle ne concorde guère avec la pièce D-6 (Memorandum of Undertaking) qui, celle-là, stipule un remboursement de $4,265.63.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1005 Retenons particulièrement le second paragraphe de cette 1966 convention présumée; il se lit: LA REINE I hereby state that while a member of the Royal Canadian Mounted MELA v' N SON Police, I attended McGill University and obtained a Bachelor of Civil —. Law degree, during which time I received my full salary as a member of Dumoulin J. the Royal Canadian Mounted Police and my tuition for the courses leading to the said degree was paid from public funds. Il est indéniable que ce passage fait une référence expli-cite au règlement 189, précédemment cité, des Règles et Ordonnances de la Gendarmerie Royale. Or, nous avons vu que ce règlement n'existait pas en 1957 quand Melanson reçut ordre d'entreprendre des études légales, et ne reçut effet et vigueur que le 1e° avril 1960. L'assistant commissaire F. A. Lindsay représente donc incorrectement la situation quand il prétend, dans sa lettre du 9 octobre 1962 (cf. M-4), que ce fut par suite d'un oubli ou d'une interprétation erronée des règlements qu'on n'exi-gea point, en 1957, l'acquiescement de Melanson à un texte qui ne devait être édicté que trois ans plus tard. A n'en pas douter, on a voulu soumettre tardivement, ex post facto, un membre de la Gendarmerie à une ordonnance récente issue du décret approuvé par le Gouverneur général en conseil, le 1°' avril 1960. Pour parvenir à ces fins, le commissaire Harvison, selon l'expression populaire, «a joué sur les mots». Il a tenté de transposer les dernières lignes du règlement 166 dans le règlement 189. Le savant procureur de la demanderesse convint de l'inapplicabilité au cas présent d'aucun autre règlement que le 166, pour tomber aussitôt dans la même erreur que celle du commissaire Harvison, qui consiste tout simplement à vouloir lire, sous le numéro 166, le texte du règlement 189, précédemment exclu. Au surplus, cette ordonnance 189, eut-elle été en vigueur le 30 septembre 1957, quand le défendeur commença ses études de droit, qu'elle ne lui aurait pas été opposable en décembre 1962, deux ans et demi après sa sortie de l'université, puisque, la validité de cette stipulation est assujettie impérativement à la formalité de la signature préalable du contractant. Je si-gnale derechef le premier paragraphe de 189: (1) Every member selected to attend a university, school, college or other place, to undertake at public expense a course of studies or instruction of more than six months' duration shall, before commencing the course, sign an honourable undertaking agreeing to continue to serve in the force for the duration of the course afforded him and for five years thereafter.
1006 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 La demande a tenté, comme argument ultime, de justifier LA REINE ses excessives prétentions en scindant les deux dernières v. MELANSON lignes du sous-paragraphe (b) de 166 de sa partie initiale, leur prêtant le sens du paragraphe (2) de 189. C'était Dumoulin J. une récidive de la méprise déjà relevée de vouloir transpo-ser dans le règlement 166 le dispositif de 189. Nous avons vu que l'alinéa (b) du 166 impose à tout membre démissionnaire de la Gendarmerie Royale une indemnité forfaitaire de $5 par mois jusqu'à l'expiration normale de son engagement. Cet article ajoute en finale «... and on repayment of such expenses incurred on that member's behalf as the Commissioner may direct» (l'i-talique est de moi). De toute évidence, il s'agit de dépenses minimes, telles, par exemple, le remboursement d'avances pour frais de voyage, le retour de pièces d'uni-forme ou de l'arme réglementaire. Il semblerait outrancier d'assimiler l'expression «expenses», en fonction de l'ensemble de cet article, à celle de «salaire», et d'en étendre la portée aux proportions que lui suppose la demanderesse. Ceci dit, il reste à se prononcer sur la valeur légale du consentement souscrit le 9 janvier 1963, dont le caporal Melanson, dans sa défense, demande l'annulation comme entaché de violence morale. Menacé d'arrestation pour désertion s'il refusait de signer le «Memorandum of Undertaking», et même de représailles s'il renonçait à sa requête, il serait difficile, au regard de la preuve et de la loi, de soutenir que l'acquiescement du défendeur fut donné en toute liberté d'esprit. Les articles 994 et 995 du Code Civil édictent, le premier, que: La violence ou la crainte est une cause de nullité.. . et le second, que : La crainte produite par violence ou autrement doit être une crainte raisonnable et présente d'un mal sérieux, On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe, au caractère, et à la condition des personnes. Ce dernier texte s'inspire de l'article 1112 du Code Na-poléon à l'effet que: 1112. Il y a violence, lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent, On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1007 L'illustre auteur de doctrine, Laurent, au 15° tome de son 1966 grand ouvrage «Principes de droit civil»', expose avec une LA REINE lumineuse concision ce que la loi entend par l'exercice d'une MELA NsoN violence indue, je cite: Dumoulin J. 511. Il n'y a point de consentement valable, dit l'article 1109, si le consentement a été extorqué par violence. L'article 1112 définit la violence en ces termes: «Il y a violence, lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent». Ainsi la violence que la loi prévoit est celle qui inspire une crainte et qui par porte celui qui contracte sous l'empire de cette crainte à consentir une obligation qu'il n'aurait pas souscrite s'il avait été libre de faire ce qu'il veut. Celui qui est violenté consent en ce sens qu'il préfère contracter l'obligation qu'on lui extorque que d'exposer sa personne ou ses biens au mal qu'il craint; de deux maux, il choisit le moindre, mais on ne choisit jamais volontairement un mal; son consentement est donc vicié, parce que sa liberté est altérée. La loi ne dit pas en quoi doit consister la violence, elle dit seulement quelle impression elle doit faire sur la personne vio-lentée. La violence peut consister dans de mauvais traitements infligés à celui dont on veut extorquer le consentement, ce qui implique en même temps la menace de continuer ces actes de violence, si le consentement n'est pas donné; ou il peut y avoir simplement menace d'excès; toute violence implique donc la crainte d'un mal qui doit se réaliser si le con-sentement n'est pas donné. Nous avons supposé un mal concernant la personne; le mal peut aussi concerner les biens de celui dont on veut arracher le consentement: telle est une menace d'incendier ses propriétés... 513. L'article 1112 dit qu'il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable; et le deuxième alinéa. ajoute: «On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes Cette dernière disposition corrige ce que la première a de trop absolu: elle prouve, comme nous l'avons dit pour l'erreur, que les vices du consentement ont un caractère tout à fait individuel. Telle personne a-t-elle consenti librement ou a-t-elle agi sous l'influence de la crainte que lui inspirait la violence? C'est bien une question concrète : il ne s'agit pas de savoir si un être abstrait a été libre ou s'il a été violenté, il s'agit de savoir si Pierre ou Paul a agi librement ou non. Or, une menace qui n'aurait fait aucune impression sur Pierre peut troubler l'esprit de Paul à ce point qu'il consente à tout ce qu'on lui demande pour échapper au mal qu'il redoute. C'est dire que la violence est essentiellement relative et doit, par conséquent, être appréciée par le juge d'après les circonstances in-dividuelles... (l'italique est de moi) De ce qui précède, deux constatations s'imposent. La première est qu'on a prétendu obtenir tardivement du défendeur un engagement d'une portée considérable afin de l'astreindre à un règlement inexistant lors du fait qui a provoqué le litige. La seconde, c'est que l'on a extorqué son 1 Tome 15, 3° édition, 1878, numéros 511, 513.
1008 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 consentement sous l'influence d'une pression morale exercée LA REINE par un haut supérieur hiérarchique sur un simple subal- MEL v A . N SON terne. Dès que l'autorité suprême acquiesçait au congédiement Dumoulin . du caporal Melanson, celui-ci, selon la clause 166, n'était redevable que d'une indemnité de $5 par mois pour chaque mois de son engagement inachevé, soit $245 qu'il a dûment versés comme le reconnaît la pièce D-7. L'exploit de défense, outre le rejet de l'information, con-clut que le défendeur soit remboursé de ses versements au fonds de pension s'élevant au chiffre de $2,285.90. Il eut été sans doute plus conforme aux règles de procé-dure appliquées dans les instances soumises aux tribunaux de la province de Québec de prendre pareille conclusion par voie de demande reconventionnelle. La Cour tient compte de ce que le défendeur conduisait personnellement sa cause et davantage, il va sans dire, de cette très large faculté d'amender que lui confère l'article 119 des Règles et Ordon-nances générales de la Cour de l'Échiquier, autorisant le juge à effectuer, proprio motu, les amendements qui lui paraissent justifiés. Conséquemment, je ferai droit à cette requête. Par tous ces motifs, la Cour déclare nulle et de nul effet la pièce D-6, «Memorandum of Undertaking», datée le 9 jan-vier 1963, et, rejetant l'information de la demanderesse, enjoint à celle-ci de rembourser au défendeur, dans un délai de 15 jours de la date de ce jugement, ses contributions à son fonds de pension au total de $2,285.90, avec tous dépens contre la demanderesse.
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