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2 Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA ROBERT DAOUST ET SA MAJESTÉ LA REINE ....... .... Couronne—Pétition de droit—Pénitencier—Détenu—Médecin du péniten- cier—Faute médicale—Faute lourde—Moindre faute—Responsabilité du médecin—Responsabilité de la Couronne—Droit commun anglais— Droit civil—Loi sur la responsabilité de la Couronne 1952-53 S. du C., ch. 30, arts (3)(a), 4(2)

En s'évadant d'une prison en 1962, le pétitionnaire fit une chute et se blessa le pied gauche Une fois repris, il fut condamné à la détention au Pénitencier St-Vincent-de-Paul. Dès son entrée en octobre 1963 et à plusieurs reprises par après, il se serait plaint de très vives douleurs au pied. Suivant le diagnostic du médecin du pénitencier après examen des radiographies, ces douleurs étaient causées par les pieds plats du pétitionnaire et il prescrivit un support plantaire. Vu la persistance des douleurs, un nouvel examen médical eut heu en 1965 et le diagnostic révéla, cette fois, l'existence d'arthrose dans le pied qui nécessita une intervention chirurgicale. Alléguant faute, incurie, incom­pétence et négligence grossière des représentants de l'intimée sous la garde desquels sont les détenus, le pétitionnaire poursuivit en recouvre­ment de dommages pour incapacité partielle permanente, douleurs, ennuis, diminution de jouissance de la vie, etc. Tout en niant en fait et en droit, l'intimée offrit un montant de $500 00 refusé par le pro­cureur de la demande, à titre de compensation pour «douleurs, ennuis, inconvénients pendant deux ans».

Quant aux dommages la Cour les jugea minimes et les fixa à la somme de $300 00

Jugé: Contrairement au cas du malade qui se présente à un hôpital de son choix pour se faire traiter, le détenu dans un pénitencier, en cas de maladie, n'a d'autre choix que d'être vu et examiné par le médecin qui est à l'emploi et à la solde de l'institution. La Couronne dans un tel cas assume, quant à ce service, la responsabilité des actes ou omissions de ses préposés, professionnels ou non, pourvu toujours que le préposé lui-même puisse être poursuivi in tort per-sonnellement. Ici, en acceptant la responsabilité de fournir des soins médicaux au pétitionnaire, la Couronne par l'entremise du médecin, et ce dernier, s'engagèrent envers le détenu de le soigner avec com­pétence et habileté.

Le droit commun anglais ne reconnaissant pas la «faute lourde» du droit civil français, ni même de degrés de faute, il suffit de la moindre faute du médecin pour engager sa responsabilité car celui-ci est tenu d'exercer diligence et prudence. Ici, l'imprudence du médecin du pénitencier, ayant 12 ans d'expérience en médecine générale mais sans expérience dans le domaine de la radiographie, consista à ne pas avoir jugé nécessaire de consulter, lors de son examen des radio-graphies, un radiologiste ou un orthopédiste, comme cela fut fait lors du diagnostic de 1965. 91303-1

[19691 129 REQUÉRANT, Montréal 1969 11 fév. ....INTIMÉE. Ottawa 26 mars

130 2 R.C. de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 ARRÊTS ET OUVRAGES CONSULTÉS PAR LA COUR: ROBERT Petit v. Hôpital Ste-Jeanne d'Arc (1940) 78 S.0 564; Hôtel Dieu DAOUST St-Vallier v. Martel [1968] B.R. 389; Cité de Verdun v. Thibault v. (1940) 68 B R 1; Nadeau: Traité de droit civil du Québec, Vol. 8, LA REINE p. 353; Hillyer v. Governors of St. Bartholomew's Hospital [1909] 2 K B. (C.A.) 820; Roe v. Minister of Health [1954] 2 W.L.R. (C.A.) 915 à la p. 923; Crépeau: La responsabilité civile du méde­

cin et de l'établissement hospitalier éd. 1956, pp 150, 153; Beausoleil v La Communauté des Soeurs de la Charité de la Providence [1965] B.R. 37 à la p 43; The Sisters of St. Joseph of the Diocese of London v. Fleming [1938] R.C.S. 173 à la p. 192; Vancouver General Hospital v. Fraser [1952] 2 R C S. 36, 64; Cardin v La Cité de Montréal et al. [1961] R.0 S. 655; Grossman v. The King [19521 1 R C.S. 571; The Kzng v. Canada Steamship Lanes Ltd. [1927] RC.S 68; The King v. Hochelaga Steamship Co. [1940] RC.S. 153; Gagné v. Sa Majesté la Reine [19671 RC. de l'E Vol. 1, 263; Salmond on the Law of Torts (1953) llè. éd. 493; Nelligan v. Clement (1939) 67 B R. 328 à la p. 332; Halsbury 2è. éd. Vol. XXII, no 601; Elder et autres v. King [1957] BR. 87; Nesbitt v. Holt [1953] 1 RCS 143; G. v. C. [1960] BR. 161; Parent v. Lapointe [1952] 1 R C.S. 376; Wilson v Swanson [1956] RCS. 804.

PÉTITION DE DROIT pour recouvrer certains dom-mages.

Jacques Laurier pour le requérant. Pierre Delage et Raymond Roger pour l'intimée. WALSH J.:—Le requérant allègue que le 16 octobre 1963 il fut confié au pénitencier St-Vincent-de-Paul et que dès son arrivée il informa les autorités qu'il ressentait de très vives douleurs à son pied gauche à la suite d'une fracture survenue lors d'une évasion et pour laquelle il fut con­damné à un an de détention.

La pétition continue : 3. Le représentant médical de l'intimée à cette institution lui fit passer plusieurs radiographies et diagnostiqua que les douleurs étaient

causées par les pieds plats du requérant que l'on contraignit à porter des supports; 4. A plusieurs reprises, le requérant se plaignit aux autorités de l'inefficacité de ce traitement mais les employés de l'intimée refusè­rent de donner au requérant les soins exigés par son état, soit par malice, soit par négligence grossière, et ce pendant deux ans; 5. Le requérant étant en captivité et sous la garde des employés de l'intimée, il se trouvait dans l'impossibilité de voir lui-même aux soins nécessités par son état et qui lui causait d'indicibles souffrances;

6. Après son transfert à l'Institut Leclerc, soit vers le mois de mai 1965, le requérant obtint un nouvel examen médical à cette

institution l'on diagnostiqua l'existence d'une fracture du pied gauche considérablement aggravée par le manque de soin;

2 Ex C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 7. Ce diagnostic fut confirmé par un spécialiste mandé sur les lieux à cette fin et qui constata une paralysie partielle du pied blessé; 8. A la suite de ces circonstances, le requérant fut transféré à l'hôpital Reine-Marie, à Montréal, afin de lui prodiguer des soins immédiats et urgents; 9. Le requérant, par la faute, l'incurie, l'incompétence et la Walsh J. négligence grossière des employés de l'intimée a subi un préjudice considérable qui se détaille ainsi.-

- incapacité partielle permanente $ 8,000 00 douleurs, ennuis, inconvénients pendant deux ans $ 3,000 00 diminution de la jouissance de la vie, impossibilité de faire du sport, etc. $ 4,000 00 $15,000.00 10 Le requérant a droit de réclamer la somme de $15,000 00 de Sa Majesté la Reine aux droits du Canada;

11 Les employés, administrateurs, gardiens et médecins du Péni­tencier de St-Vincent-de-Paul sont les employés de l'État Fédéral Canadien et les détenus qui s'y trouvent sont sous leur garde.

A la suite d'une motion de l'intimée pour détails, le re­quérant précisa que ce fut au Dr Lefebvre au pénitencier de St-Vincent-de-Paul et au Dr Harris à l'institut Leclerc qu'il se plaignit ainsi qu'à ses gardiens, et que ce sont les gardes et le Dr Lefebvre, médecin de l'institution pénale, auxquels il réfère dans le paragraphe 9 de sa pétition.

En défense, l'intimée admet que le requérant était en cap­tivité et sous la garde de ses représentants mais nie la péti­tion quant au surplus.

L'intimée plaide aussi que lors de l'examen d'entrée que le requérant a subi quelques jours après son arrivée au péni-tencier, il ne fit part d'aucune douleur qu'il aurait pu ressen­tir ou fracture qu'il aurait pu avoir au pied gauche, mais que le médecin de l'institution, le docteur J. Lefebvre, constata de lui-même que le requérant avait un léger abaissement de la voûte plantaire au pied gauche; que quinze jours après son entrée, lors d'une entrevue avec un officier préposé au classement des détenus, il déclara ne point ressentir ou con­server de séquelles sérieuses des quatre blessures subies an­térieurement et ne parla que d'une fracture à l'épaule droite subie à son évasion de la prison de Joliette au cours de l'année 1962; que durant son séjour au pénitencier St-Vincent-de-Paul, du 16 octobre 1963 au 18 mars 1965, le requérant ne s'est plaint qu'une seule fois, soit le ou vers le 28 février 1964, au cours d'une visite au médecin de l'institution, le docteur J. Lefebvre, qu'il ressentait des

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[19691 131 1969 `- ROBERT DAOUST V. LA REINE

132 2 R.0 de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 douleurs au pied gauche, et à cette occasion ledit médecin ROBERT lui recommanda de porter des supports plantaires qui lui DAOUST V. furent fournis le ou vers le 9 avril; qu'après le 28 février LA REINE 1964 et jusqu'au 18 mars 1965, date de son transfert à l'ins-Walsh J. titut Leclerc, le requérant en aucune façon et à aucun mo­ment ne s'est plaint de nouveau de douleurs ou aggravation de ses douleurs au pied gauche, nonobstant qu'il fit soixante-cinq demandes de toutes sortes à différents échelons du personnel de l'institution; que même après son transfert à l'institut Leclerc le 18 mars 1965, ce n'est que le ou vers le 27 mai 1965 qu'il se plaignit aux autorités de cette insti­tution de ses douleurs au pied gauche, bien qu'il ait vu le médecin de l'institution le ou vers le 31 mars au sujet de la blessure qu'il avait déjà subie à l'épaule droite; que dans les jours qui suivirent le 27 mai 1965, les représentants médi­caux de l'intimée firent subir au requérant une radiogra­phie de la cheville gauche, le confièrent aux soins d'un ortho­pédiste et après une référence à la Clinique d'orthopédie de l'hôpital Reine-Marie de Montréal il y fut admis le 4 août 1965 à l'instance des autorités de l'institut Leclerc pour y

subir, le 12 août 1965, une intervention chirurgicale au pied gauche; que le 8 septembre 1965 il fut libéré de l'hôpital et remis entre les mains des autorités de l'Institut Leclerc; que pendant son séjour à l'hôpital il fit preuve de manque de collaboration avec les autorités médicales et que même, quelques heures avant sa libération de l'hôpital, dans un moment de colère, il réussit à briser le plâtre recouvrant son pied gauche, ce qui nécessita d'autres soins.

La défense continue comme suit: 23. La condition physique actuelle du requérant et le préjudice qui peut en résulter pour lui sont dus uniquement à son seul fait, particulièrement en raison de son attitude négative à l'égard des autorités, son manque de collaboration et son défaut, soit par négli­gence ou de propos délibéré, à informer lesdites autorités de son état en temps utile;

24. Les préposés de l'intimée n'ont commis aucune faute, ont fait preuve de diligence et ont pris tous les moyens qui leur sont apparus les plus aptes à rétablir promptement le requérant dans la meilleure condition physique possible;

25. L'intimée ne doit rien au requérant et les dommages qu'il lui réclame sont d'ailleurs exagérés et totalement injustifiés;

26. II n'y a aucun lien de droit entre le requérant et l'intimée.

Le dossier contient l'affidavit du Dr Jean-Guy Harris en date du 3 février 1969, qui déclare qu'il est médecin en

2 Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [19691 133 charge de l'institut Leclerc depuis 1960, que le 27 mai 1965 1969 le requérant se présenta à son bureau et se plaignit de ma- ROBERT laises à son pied gauche, et le même jour il fut radiographié DAOUST V. à l'hôpital du pénitencier de St-Vincent-de Paul; les pelli- LA REINE cules sont jointes à son affidavit. Le Dr Harris poursuit qu'il Walsh J. l'a fait examiner par un orthopédiste, le docteur Maurice l'Ecuyer, le 8 juin 1965, qui fit les mêmes constatations à l'égard dudit pied gauche, soit a) aucun mouvement d'ab-duction ou d'adduction, b) flexion limitée, et qu'alors ils en sont arrivés à la conclusion que le requérant devrait subir une intervention chirurgicale et que vers le 13 juillet 1965 le requérant fut envoyé à la clinique d'orthopédie de l'hô-pital Reine-Marie à Montréal pour subir d'autres examens.

A l'audition, d'autres affidavits de témoins experts furent produits de consentement. L'affidavit du docteur André Mackay fut produit comme exhibit P-1, sous réserve du droit de le contre-interroger quand il témoignerait. Il récite ses qualifications comme «Fellow of the Royal College of Physicians of Canada» depuis 1950, et spécialiste en méde­cine interne. Il dit qu'il examina le requérant le 13 mars 1968 à son bureau et constata une douleur au pied gauche au repos et une limitation marquée des mouvements de ce pied; il déclare qu'à la marche il y a une douleur qui irradie jusqu'à la fesse et à la colonne vertébrale et le pied devient raide; il y a une atrophie musculaire d'un demi-pouce au niveau de la cuisse gauche et un quart de pouce au niveau du mollet gauche; la cheville gauche présente une ankylose quasi-complète et que, comme résultat d'un oedème rétro-malléolaire, il a de la difficulté à se tenir debout sur ce pied; une arthrodèse de la cheville avait évidemment été prati-quée; il donne une incapacité de 12.45% pour l'ankylose totale de la cheville en citant une autorité (McBride), et il dit que si on tient compte du métier de sableur de planchers cette incapacité doit être portée à 26%; il ré-examina le requérant le 29 janvier 1969. Il constata qu'il boite d'une façon assez prononcée, que l'atrophie musculaire du mem­bre inférieur gauche a progressé et nota une diminution d'un pouce et demi à mi-cuisse et d'un pouce au tiers inférieur de la cuisse ainsi qu'au mollet; la cheville gauche présente une déformation avec saillie exagérée de la malléole in-terne; il n'y a aucun mouvement de latéralité et seulement un petit mouvement de flexion-extension de quinze de-grés; en tenant compte des légers mouvements de flexion, il

134 2 R C. de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 réduit l'incapacité partielle permanente à 9.15% de façon ROBERT générale et à 23% pour l'occupation de sableur de planchers. DAOUST V. L'affidavit du docteur J. G. Shannon fut produit comme LA REINE exhibit D-1 et le procureur du requérant abandonna le droit Walsh J. de l'examiner là-dessus.

Il se qualifie comme «Fellow of the Royal College of Physicians and Surgeons of Canada since 1962» et con­sultant en orthopédie à l'hôpital Reine-Marie à Montréal depuis 1946; il dit que sous sa direction on pratiqua une triple arthrodèse du pied gauche du requérant le 12 août 1965 et qu'il fut libéré de l'hôpital le 8 septembre; le 28 novembre 1968 il examina le pied, prit des radiographies et constata a) qu'il marchait avec un boitement protectif du côté gauche, b) qu'il était capable de marcher sur la pointe des pieds, c) qu'il n'y avait que quelques degrés de mouvement dans la jointure de la cheville mais non dans la jointure sous-astragale, d) que le pied se trouvait dans une attitude de 15 dégrés valgus, e) que les radiographies indiquaient une triple arthrodèse bien guérie, f) que les radiographies indiquaient un bloc d'os sur l'astragale qui

limitait le mouvement de la cheville postérieurement; et enfin g) qu'il se trouvait une atrophie de â de pouce du mollet et d'un pouce de la cuisse gauche en comparaison avec le côté droit. L'affidavit du docteur Jacques Lefebvre fut produit comme exhibit D-2. Il dit qu'il est médecin depuis 1952 et surintendant médical du pénitencier St-Vincent-de-Paul depuis 1957. Il examina le requérant à quelques reprises durant son incarcération à l'égard de son pied gauche. A son examen d'entrée vers le 22 octobre 1963 il remarqua que l'arche plantaire du pied gauche était abaissée, avec pré­sence d'orteils en marteau. Le ou vers le 27 février 1964, à la demande du requérant, il examina le pied gauche qui fut radiographié et les pellicules qu'il produit avec son affidavit ne révèlent aucune image de fracture; il recommanda donc au requérant de porter un support plantaire et il lui en donna un le ou vers le 6 avril 1964. Un autre document désigné «Détermination du débat» fut produit comme exhibit D-3 par lequel les parties convin­rent que les blessures du requérant sont la conséquence d'une chute au bas d'un mur de la prison provinciale de Joliette survenue le 5 décembre 1962 à l'occasion d'une éva-sion; que le 12 février 1963 il fut admis à l'hôpital St-Luc

2 Ex. C.R EXCHEQUER COURT OF CANADA [1969] 135 pour se faire faire une exérèse de l'extrémité externe de la 1969 clavicule droite; qu'il fut incarcéré au pénitencier St-Vin- ROBERT cent-de-Paul le 16 octobre 1963, et qu'à sa demande son DAOUST V. pied gauche fut examiné et radiographié le ou vers le 27 fé- LA REINE vrier 1964; qu'il fut recommandé qu'il portât un support Walsh J. plantaire qu'il reçut le 6 avril; que vers le 18 mars 1965 il était transféré à l'institution Leclerc, également une institu­tion fédérale, et qu'après en avoir fait de nouveau la de­mande il fut de nouveau examiné au pied gauche et des radiographies furent prises le ou vers le 27 mai 1965; que comme résultat on décida de le faire examiner par un or­thopédiste qui l'examina à l'institution le ou vers le 8 juin 1965, et l'on conclut qu'il devait être opéré; après un autre examen à la clinique d'orthopédie de l'hôpital Reine-Marie le 13 juillet 1965 il était admis à l'hôpital le ou vers le 4 août 1965 pour y subir une intervention chirurgicale audit pied gauche et le 8 septembre il retournait de l'hôpital au péni­tencier St-Vincent-de-Paul.

Ce document tente aussi d'établir un montant de $500 de dommages, si l'intimée est déclarée responsable, pour l'item «douleurs, ennuis, inconvénients pendant deux ans» réclamé au paragraphe 9 de la pétition de droit, mais l'avo-cat du requérant en signant le document refusa d'accepter ce chiffre.

Ce document dit aussi que les parties ne s'entendent pas sur l'existence d'une faute d'un ou de plusieurs préposés ou officiers de Sa Majesté la Reine, ni sur l'existence d'une responsabilité de la Couronne pour quelque motif que ce soit, ni sur le quantum des dommages réclamés par les item premier et troisième du paragraphe 9 de la pétition de droit.

A l'audition le requérant déclara qu'il exerçait le métier de sableur de planchers et qu'avant son accident il travail­lait à $3.15 de l'heure, 48 heures par semaine, surtout durant l'été. La machine est maintenant trop lourde pour lui, dit-il, et il ne peut travailler qu'une heure ou une heure et demie au plus par jour et cela en finissant les planchers avec une brosse. Son frère est contracteur et il est à son emploi. Il exhiba sa carte de compétence du Comité conjoint du métier de la construction de Montréal portant la date du 16 février 1968, qui le décrit comme «parqueteur-poseur de parquets» et il expliqua que les sableurs sont dans cette catégorie, mais qu'il a toujours

136 2 R C. de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 travaillé à sabler les planchers en bois, et non à les poser. ROBERT Il admit en contre-interrogatoire qu'il avait travaillé comme DAOUST V. tailleur durant 18 mois au pénitencier, ajoutant qu'il n'avait LA REINE fait que des pantalons. Walsh J. Il déclare qu'il a souffert et souffre encore de douleurs au pied gauche. La nature de la douleur, dit-il, est un peu différente après l'intervention chirurgicale mais elle existe encore et il boite quand il marche. Il éprouve de la diffi­culté à bien dormir. Il était autrefois intéressé dans les sports mais ne peut participer maintenant. Il déclare avec insistance qu'il s'est plaint de ses douleurs au docteur Lefebvre à son premier examen et au moins 15 fois par la suite. Il dit avoir vu une notation «pas de traitement» écrite par le docteur Lefebvre sur sa carte.

Il admit qu'il était en liberté, après l'évasion pendant laquelle il s'est blessé le 5 décembre 1962 jusqu'au mois de février 1963, mais qu'il n'a pas fait de démarches pour faire traiter ses blessures parce qu'il voulait rester caché. Il admit aussi que lorsqu'il fut repris et envoyé à la prison provinciale de Bordeaux, il y a vu un médecin à sa demande qui, après l'avoir fait radiographier, lui déclara que tout était correct, bien qu'on s'occupa de pratiquer une inter­vention chirurgicale à son épaule à l'hôpital St-Luc.

Le docteur André Mackay répéta à l'audition les faits exposés dans son affidavit que j'ai résumé ci-haut. Il déclara que le requérant se plaignait de douleurs à la jambe et dans le dos. Il expliqua la différence entre l'arthrite et l'arthrose en disant que c'est plutôt d'arthrose que souffre le requérant et que ceci peut résulter d'un traumatisme même sans l'existence d'une fracture. L'intervention chi-rurgicale—l'arthrodèse—qui fut pratiquée pouvait être né­cessitée par une fracture ou par l'arthrose. Il déclara qu'il est spécialiste en médecine interne et qu'il fait souvent des expertises pour les tribunaux, mais n'étant pas expert dans les radiographies, il se refusa à examiner les pellicules produites comme exhibits.

En défense, le docteur Jacques Lefebvre fit lecture de l'affidavit auquel j'ai fait allusion plus haut. Il déclara que c'est lui qui constata à l'examen d'entrée que le requé­rant souffrait d'un abaissement de l'arche plantaire, mais que ce dernier ne s'est plaint de douleurs au pied que le

2 Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 27 février 1964 lorsqu'il fit prendre des radiographies et recommanda et obtint pour lui un support plantaire. Il ajouta qu'il se rend au pénitencier quand on l'appelle et qu'il lui est nécessaire d'y aller presque cinq jours par semaine. Il voit environ 30 prisonniers par semaine. Il Walsh J. reçoit un salaire mais il a aussi des patients privés à son

bureau. Il a vu le requérant à peu près quinze fois mais pas en rapport avec son pied. En consultant ses notes il relata qu'il l'a vu le 12 juin 1964 concernant son épaule, le 16 octobre pour prendre une radiographie de sa vésicule biliaire, les 3, 9 et 16 septembre et les 9 et 20 novembre pour des symptômes de névrose, et le 3 janvier 1965 quand il a été admis à l'hôpital à St-Vincent-de-Paul dans un état demi-conscient, mais que durant toutes ces visites le requérant ne s'est jamais plaint de son pied.

Le Dr Murray McIntyre témoigna en anglais et son té­moignage fut interprété par Me Raymond Roger, dûment assermenté à cette fin avec le consentement de l'avocat du requérant.

Il est spécialiste en orthopédie avec 25 ans d'expérience et est attaché à la clinique de l'hôpital Reine-Marie entre autres. C'est lui qui a examiné le requérant à l'hôpital Reine-Marie le 13 juillet 1965. Il constata que le requérant boitait de la jambe gauche, qu'il n'y avait pas d'articula-tion dans la jointure sous-astragale et une articulation limitée de la cheville. Il était évident, dit-il, qu'il devait être opéré à une date prochaine et il s'occupa de son admis­sion à l'hôpital ainsi que de la prise de radiographies. Ces radiographies n'indiquaient aucune fracture, le problème résultant d'arthrose en conséquence de sa chute deux ans auparavant. Il produisit comme pièce D-4 une copie du rapport du Dr J. G. Shannon qui contient les mêmes déclarations que son affidavit (exhibit D-1), et en plus le diagnostic d'ar-thrite dégénérative de la jointure sous-astragale et une esti­mation de l'incapacité permanente à 20 p. 100. Il dit qu'il était d'accord avec le diagnostic et avec l'incapacité de 20 p. 100, mais qu'il l'appellerait «arthrose» au lieu d'ar-thrite». Il ajoute qu'après une triple arthrodèse il résultera toujours une incapacité d'au moins 12 p. 100 et dans le présent cas, se basant sur les affidavits et le témoignage des autres témoins qui avaient examiné le requérant après, ainsi

[1969] 137 1969 ROBERT DAOUST V. LA REINE

138 2 R.0 de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 que sur la faiblesse de la jambe qui reste encore, il est d'avis ROBERT que l'intervention chirurgicale n'a pas été un succès complet. DAOUST v Il n'a pas eu l'occasion de le revoir lui-même. LA REINE Il examina les pellicules des radiographies prises au péni-, Walsh J. tenciër le 27 février (produites avec l'exhibit D-2) et dé­clara qu'elles révèlent de l'arthrose dans deux des jointures, soit l'astragale scaphoïdienne et entre le calcanéum et le cuboïde. Il n'y a cependant aucune indication de fracture. Le seul moyen de soulager le boitement douloureux du re­quérant serait de faire une triple arthrodèse, la condition ne pouvant que détériorer et un support plantaire n'aiderait pas beaucoup. Il déclara d'autre part que les résultats de l'intervention chirurgicale auraient été les mêmes même si on l'avait pratiquée dans le temps parce qu'il s'agit de la même opération. Il dit que l'arthrose dégénérative résulte de la chute en décembre 1962. Si le requérant s'était fait traiter immédiatement, il aurait peut-être été possible d'éviter l'intervention chirurgicale plus tard, mais en février 1964, quinze mois après, il était déjà trop tard pour faire autre chose que la triple arthrodèse. Le délai jusqu'au mois d'août 1965 n'a pas changé l'incapacité mais les souffrances dans l'intervalle auraient augmenté. Il soupçonne que la join­ture de la cheville était aussi impliquée au début, sans que personne ne s'en soit aperçu, ce qui a eu pour effet d'aggra-ver l'incapacité et il suggère que peut-être une autre inter­vention chirurgicale consistant en une arthrodèse de la jointure de la cheville pourrait diminuer en quelque sorte l'incapacité.

La responsabilité de l'intimée dans cette cause, si elle est responsable, résulte de l'article 3(1) (a) de la Loi sur la res­ponsabilité de la Couronne, 1-2 Elizabeth II, c. 30, qui se lit comme suit :

3. (1) La Couronne est responsable in tort des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier en état de majorité et capacité a) à l'égard d'un acte préjudiciable commis par un préposé de la Couronne.

L'article 4(2) se lit comme suit: 4. (2) Il ne peut être ouvert de procédures contre la Couronne, en vertu de l'ahnéa a) du paragraphe (1) de l'article 3, relativement à quelque acte ou omission d'un préposé de la Couronne, à moins que l'acte ou omission, indépendamment des dispositions de la présente loi, n'eût entraîné une cause d'action in tort contre le préposé en question ou son représentant personnel.

2 Ex C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA Il faut d'abord déterminer si le docteur Lefebvre était un «préposé de la Couronne» au sens de l'article 3(1) (a) quand il examina et traita le requérant au cours de ses devoirs comme surintendant médical du pénitencier, et si on en arrive à une conclusion affirmative, il sera alors nécessaire de déterminer si son acte ou omission eût entraîné une cause d'action in tort contre lui.

Le savant procureur de l'intimée cita plusieurs décisions de la province de Québec un hôpital ou même une ville s'exonéra de responsabilité pour les actes des médecins ou même des garde-malades à son emploi, se basant sur le principe qu'ils agissaient comme professionnels et que l'hôpital ne pouvait exercer un contrôle sur leur conduite quand ils agissaient comme tels. (Petit v. Hôpital Ste-Jeanne d'Arc'; Hôtel-Dieu St-Vallier v. Martel2; Cité de Verdun. v. Thibault3).

Il cita au même effet Nadeau: Traité de droit civil du Québec4:

Le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de com­mettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail. C'est un droit de surveillance et de direction qui s'étend jusque et c'est, en même temps, le signe propre d'une personne qui en détient une autre sous son autorité.

Il faut cependant référer à ces précédents avec prudence parce que certaines de ces causes sont fondées sur une obli­gation contractuelle plutôt que délictuelle et aussi se récla­ment d'une jurisprudence anglaise qui elle-même a beau­coup changé depuis. Quant à la jurisprudence anglaise, elle a beaucoup évolué depuis la cause de Hillyer v. Governors of St. Bartholomew's Hospital5 au point que dans la cause de Roe v. Min. of Health6 Denning L.J. déclara (traduction de Me Crépeau dans son livre de droit comparé, La responsabilité civile du médecin et de l'établissement hospitalier7 ) :

Je crois que les autorités hospitalières sont responsables des fautes commises par tous les membres de leur personnel, non seulement pour les fautes des mfirmières et des médecins, mais également pour celles des anesthésistes et des chirurgiens Il importe peu

1 (1940) 78 S C. 564. 2 [1968] B R. 389. 3 (1940) 68 B R. 1. 4 Vol. 8, p. 353. 5 [1909] 2 K B. (C.A.) 820 6 [1954] 2 w L.R. (C A ) 915 à la p. 923. 7 éd 1956, pp. 150, 153.

[1969] 139 1969 ROBERT DAOUST LA REINE waish J.

140 2 R C. de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19691 1969 qu'ils soient engagés à titre permanent ou temporaire, à plein ROBERT temps ou à temps partiel, qu'ils soient résidents ou consultants: DAO-UT l'hôpital répond d'eux tous. La seule exception concerne le cas v. des consultants ou anesthésistes choisis par le malade lui-même. LA REINE Walsh J. On peut résumer l'état actuel de la jurisprudence anglaise comme le fait Crépeau (supra) comme suit: A—Les autorités hospitalières sont responsables de toute négligence commise par les membres du «personnel permanent» en vertu du principe de la responsabilité du commettant.

B—Les autorités hospitalières sont responsables des négligences com-mises, dans l'exécution des soins et traitements que l'établisse-ment s'est engagé à donner au malade, par tout chirurgien, méde-cm, anesthésiste ou autre «officier médical» non choisi par le malade lui-même. Comme cette négligence constitue un manque­ment à l'obligation assumée à l'égard du malade, les autorités hospitalières engagent alors leur responsabilité personnelle. Il est cependant nécessaire de noter que, par une stricte application de la règle du précédent, seule la première proposition constitue le droit positif anglais actuel, parce qu'elle exprime l'opinion majoritaire de la Cour d'appel.

Crépeau critique fortement les causes de Petit v. Hôpital Ste-Jeanne d'Arc (supra) et Cité de Verdun v. Thibault (supra) qui s'inspiraient des principes du Common Law énoncés dans la cause de Hillyer qui eux-mêmes n'ont pas été suivis dans les causes plus récentes en Angleterre comme ci-haut indiqué. Il dit que dans ces causes on basait la res­ponsabilité surtout sur l'existence présumée d'un contrat exprès ou tacite entre l'hôpital ou la ville et le malade. Dans la cause la plus récente de Hôtel-Dieu St-Vallier v. Martel (supra) le jugement était fondé encore une fois sur la ques­tion de contrat entre l'hôpital et le malade qui a souffert

une incapacité par la négligence de l'anesthésiste. Le juge Taschereau, dissident, cite avec approbation les remarques du juge Casey dans Beausoleil v. La Communauté des Saurs de la Charité de la Providence8 il dit:

In this case the patient contracted with the hospital for all necessary services; of these one was the giving of the anaesthetic. On this premise and since for the purposes of this action I see no essential difference between the position of Dr. Forest and that of any other employee, the hospital must answer for his fault.

Il conclut : Rien ne démontre qu'un contrat médical soit intervenu entre le demandeur et l'anesthésiste...qui déclare s'être rendu à la salle d'opération le matin de l'intervention et sans même avoir com-muniqué, au préalable, avec le patient.

8 [1965] B R. 37 à la p. 43.

2 Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA Si on se réfère à la jurisprudence de notre Cour suprême, nous trouvons la cause de The Sisters of St. Joseph of the Diocese of London v. Fleming9, le patient fut brûlé par l'application d'un traitement diathermique administré par une garde-malade avec expérience dans l'administration de tels traitements. L'hôpital fut déclaré responsable. Cette cause discute au long la cause de Hillyer déjà citée et con­clut comme suit:

There may be cases...where the particular work upon which a nurse may for the time being be engaged is of such a highly profes­sional and skilful nature and calling for such special training and knowledge in the treatment of disease that other considerations

would arise; but that is a totally different case from the one before us.

L'on ne peut par conséquent inférer de ce jugement que dans la présente cause la Couronne serait tenue responsable. Mais dans une cause plus récente, Vancouver General Hospital v. Fraser10, l'hôpital fut tenu responsable dans un cas un interne fit une erreur en examinant lui-même les radiographies et en décidant qu'il n'y avait pas de fracture du cou. Il laissa partir le patient de l'hôpital, et on dut le ramener le lendemain il mourut quelques jours après. Il fut décidé dans cette cause que:

The hospital undertook to treat the patient and was responsible for the negligence of its internes; and there was evidence on which the jury might properly find that the death of the patient resulted from his discharge from the hospital due to the interne's negligence either in not reading the X-ray films correctly or in not calling a radiologist

Le juge Locke, nonobstant sa dissidence sur la question que la mort résultait du mauvais diagnostic, déclare à la p. 64:

...The decision in Hillyer v. Governors of St. Bartholomew's Hospital (1909) 2 K B 820, does not, in my opinion, touch the present matter and the views expressed by Kennedy L J. must be considered in the light of the comments made upon them in this Court by Davis J. in delivering the judgment of the majority in Sisters of St. Joseph v. Fleming (1936) S C.R. 173, 190, and of Lord Greene M.R. in Gold v. Essex County Council (1942) 2 K.B. 293. Dr. Heffelfinger was an

employee of the appellant and if there was negligence on his part in the present matter it was, in my opinion, in the course of his employment and if damage resulted the appellant is liable (Cassidy v. Ministry of Health (1951) 1 T L.R 539 at 548, Denning L J.). Dans une autre cause, Cardin v. La Cité de Montréal et alii, l'aiguille d'une seringue hypodermique se cassa dans

9 [1938] R.C.S 173 à la p. 192. 10 [1952] 2 R.C.S. 36, 64 11 [1961] R.0 S 655.

[1969] 141 1969 ROBERT DAOUST y. LA REINE Walsh J.

142 2 R.0 de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 le bras d'un enfant nerveux au cours d'une vaccination à une ROBERT clinique opérée par la ville, lui causant une paralysie après DAOUST V. trois interventions chirurgicales sans succès, la Cour trouva LA REINE la ville responsable pour la négligence du médecin sans Walsh J. apparemment même discuter de la responsabilité de la ville pour le médecin à son emploi agissant dans ses fonctions professionnelles.

Dans la cause de Grossman v. The King12, le juge Kerwin dit à la page 594:

It must now be taken as settled by this Court in Anthony v. The King (1946) S C.R. 569 that the Crown's officer or servant must owe a duty to the third person the breach of which would make him liable to that third party before the Crown's responsibility could attach under this section; that is, the rule respondeat superior applies.

et, après, à la page 595, il dit: The true rule, however, is I think that which distinguishes those cases where an agent is not fiable in tort to third persons who have suffered a loss because of the agent's failure to perform some duty which he owed to his principal alone from those cases where, in addition to a duty owing to the principal, the agent owed a duty to the third party.

A la page 603, le juge Taschereau, en référant à The King y. Canada Steamship Lines Ltd.13 et à The King v. Hoche­laga Steamship Co.", dit:

What this Court held in these two cases clearly indicates that the employees of the Crown failed in their duty to third parties, that their neghgence, although arising only out of an omission to act, entailed their personal liability and consequently the vicarious lia­bility of the Crown. The Court was not merely confronted with cases of nonfeasance of acts which should have been done by the servant, as the result of a contract between the employer and the employee and which would not involve the personal liability of the latter to third persons, but with the failure to perform a duty owed to the victims (Halsbury, vol. 22, p. 255) .

Dans la cause de Gagné v. Sa Majesté la Reine15, le juge Noël distingua aussi entre le «non-f easance» et le «mal-feasance».

Dans la présente cause il est évident que le requérant n'a pas choisi ni engagé le docteur Lefebvre. Ni n'a-t-il con­tracté avec le pénitencier comme un patient qui se présente à un hôpital de son choix pour se faire traiter. Évidemment

12 [1952] 1 R.0 S 571 14 [19401 RCS 153.

13 [1927] R.0 S 68 15 [1967] R C. de l'É. vol. 1, 263.

2 Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA tous les prisonniers subissent un examen médical de rou- tine à leur entrée au pénitencier, et durant leur incarcéra- tion s'ils se plaignent de quelque maladie, ils ont le droit de voir le médecin du pénitencier qui est engagé et payé par les autorités fédérales. Il me semble que la Couronne en fournissant ces soins prend la responsabilité des actes ou

omissions actionnables de ses préposés, professionnels ou non, pourvu toujours que le préposé lui-même puisse être poursuivi in tort personnellement. En acceptant la responsa­bilité de fournir des soins médicaux au prisonnier, ce qui était évidemment nécessaire, la Couronne par l'entremise de son préposé, le docteur Lefebvre, et le docteur Lefebvre lui-même, assumèrent l'obligation envers un tiers, en ce cas le réclamant, de le traiter avec compétence et habileté.

Il me faut maintenant considérer si le docteur Lefebvre est responsable in tort envers le réclamant. Dans le «Com-mon Law» on ne reconnaît pas de degrés de faute. On ne connaît pas la «faute lourde» du droit civil. S'il existe une faute certaine la responsabilité du médecin sera engagée sans considérer la gravité de la faute. (Crépeau, op. cit. p. 207). Le médecin en effet est tenu d'être diligent et prudent. Crépeau à la p. 212 suggère que le critère objectif doit être le suivant: «Qu'aurait fait à la place du défendeur et dans les mêmes circonstances `externes', un autre praticien con­sciencieux et averti?»

Salmond" dit: ...For just as it is not sufficient that the defendant has acted in good faith to the best of his judgment and belief and has used as much care as he himself believed to be required of him in the circumstances by reason and justice, so, on the other hand, the law does not require the highest degree of care of which human nature is capable.

Le juge Létourneau, dans Nelligan v. Clement17, en commentant l'opinion du juge Mignault dans la cause de Dupont v. Martin, 19 décembre 1922, dit que:

...l'erreur, la négligence et l'imprudence ne sont toutefois faute génératrice de responsabilité que s'il a été manqué aux règles de la profession ou de la science médicale, que si le médecin recherché a fait ou omis ce que n'eût pas fait ou omis un médecin...possédant une science normale parmi les membres de sa profession

16 Salmond on the Law of Torts, 1953, llè éd. 493 17 (1939) 67 B R. 328 à la p. 332.

[19691 143 1969 ,_- ROBERT DAOUST V. LA REINE Walsh J.

144 2 R C. de l'É COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1969] 1969 Halsbury 18 dit: ROBERT A person is not hable in negligence because some one else of DAOIIST v. greater skill and knowledge would have prescribed different treatment LA REINE or operated in a different way. R. v. Bateman, (1925) 41 T.L.R. 557. Walsh J. J'ai examiné avec soin la jurisprudence et les auteurs sur la question de faute médicale, mais plusieurs des causes ne nous aident pas parce que, quand on laisse un instrument ou une compresse, par exemple, dans un patient au cours d'une intervention chirurgicale, il est évident qu'on peut présumer quelque négligence et l'obligation s'impose au chirurgien de s'exculper. Elder et autres v. King19; Nesbitt v. Holt20; G. v. C. 21 . La règle de res ipsa loquitur s'applique dans la province de Québec (Parent v. Lapointe22). Le juge en chef Kerwin explique bien la portée de cette règle dans la cause de Nes­bitt v. Holt précitée il dit à la p. 146:

Res ipsa loquitur is not a doctrme but "The rule is a special case within the broader doctrine that courts act and are entitled to act upon the weight of the balance of probabilities"...It may apply in malpractice cases depending on the circumstances...

Mais dans la présente cause, il ne s'agit pas de l'applica-tion de cette règle, et je crois que le fardeau de la preuve doit reposer sur le requérant. La preuve ne fut pas très complète quant à la négligence du docteur Lefebvre. Le requérant ne fit aucune preuve que le docteur Lefebvre «a fait ou omis ce que n'eût pas fait ou omis un médecin possé­dant une science normale parmi les membres de la profes-sion». D'autre part, le docteur Lefebvre n'essaya pas de s'exculper, sauf en disant que les radiographies ne mon­traient aucune fracture. Son témoignage n'indique pas s'il constata l'existence de l'arthrose ou non, et il n'expliqua pas sa recommandation quant au support plantaire.

Donc le requérant doit reposer sa cause quant à la négligence du docteur Lefebvre, premièrement sur le témoi­gnage du Dr McIntyre, témoin expert de l'intimée, qui constata sans difficulté dans les radiographies l'existence de l'arthrose (tout en corroborant le docteur Lefebvre qu'elles ne montraient aucune fracture) et qui indiqua qu'un sup­port plantaire ne pouvait corriger la situation, qui néces-

18 éd., Vol. XXII, 601. 20 [1953] 1 R.C.S. 143. 22 [1952] 1 R.C.S. 376.

19 [1957] B.R. 87. 21 [1960] B.R. 161.

2 Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA sitait une intervention chirurgicale, et que la condition ne pouvait que détériorer sans cette intervention; et deuxiè- mement, sur le fait que dès que le requérant fut examiné encore à l'institut Leclerc en mai 1965, et que d'autres radiographies furent prises, il fut référé à un orthopédiste sans délai. La preuve ne révèle pas si ces dernières radio­

graphies firent apparaître l'arthrose plus clairement que celles prises à la demande du docteur Lefebvre, mais le D' McIntyre n'éprouva pas de difficulté à le constater sur les premières radiographies que le docteur Lefebvre examina.

La présente cause ressemble à celle de Vancouver Gen­eral Hospital v. Fraser (supra). Le jugement du juge Kerwin a trouvé que le docteur fut négligent en n'interpré-tant pas la radiographie correctement ou en n'appelant pas un radiologiste. La seule distinction qu'on peut faire est que dans cette cause il s'agissait de l'opinion d'un interne, tandis que dans la présente cause le docteur Lefebvre avait douze ans d'expérience en pratique générale. Dans la cause de Wilson v. Swanson23, au cours d'une intervention chi-rurgicale, un chirurgien très compétent a fait un diagnostic de cancer de l'estomac après consultation avec un patholo­giste et comme résultat il enleva plus des organes du patient qu'il n'aurait été nécessaire si on n'avait pas soupçonné la malignité. Plus tard, après d'autres examens, on détermina que la tumeur était bénigne. En exculpant le chirurgien, le jugement décida que le demandeur n'avait pas réussi à établir même une présomption prima facie de négligence. Je crois que dans la présente cause il y a assez de preuve devant la Cour, même si ladite preuve ne fut pas faite par le requérant ou ses propres témoins, pour établir une cause prima facie de négligence contre le docteur Lefebvre.

Je trouve significatif que l'expert du requérant, le docteur Mackay, n'a pas même voulu regarder les radiographies en Cour parce qu'il ne se jugeait pas expert dans cette spécia-lité, mais le docteur Lefebvre, un praticien de médecine générale, n'a pas hésité à les examiner après les avoir fait prendre et à formuler son diagnostic là-dessus, sans juger à propos d'appeler un spécialiste pour en faire l'examen. Il est aussi significatif que les médecins à l'institut Leclerc

23 [1956] R.C.S. 804. 91303-2

[1969] 145 1969 ROBERT DAOIIST V. LA REINE Walsh J.

146 2 R C de 1'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19691 1969 qui sont à l'emploi de la Couronne, comme le docteur ROBERT Lefebvre, ont jugé nécessaire de référer le requérant à un DAOUST V. orthopédiste, et il est donc difficile de voir pourquoi le LA REINE docteur Lefebvre n'est pas arrivé à la même conclusion walshJ. quinze mois avant, en février 1964. Il me semble que si le docteur Lefebvre ne constata pas l'existence d'arthrose en examinant les radiographies en février 1964, c'est parce qu'il n'avait pas assez d'expérience dans cette spécialité, et en ce cas il fut quelque peu imprudent en ne les montrant pas à un spécialiste en radiographies ou à un orthopédiste. Si, au contraire, il constata l'existence de l'arthrose, alors il fit montre de quelque imprudence en n'envoyant pas le requérant à un orthopédiste comme le médecin à l'institut Leclerc le fit quinze mois après. Son erreur de jugement n'est peut-être pas grave, mais je l'ai déjà dit, il n'est pas nécessaire que la faute lourde existe pour le trouver cou­pable de manque de prudence ou de diligence.

Quant aux dommages soufferts par le requérant à cause du délai à pratiquer l'intervention chirurgicale que sa con­dition nécessitait, ils sont minimes. Le docteur André Mac-kay, seul témoin médical du requérant, s'est contenté de relater l'incapacité dont le requérant souffre maintenant sans exprimer d'opinion sur la question de l'origine de cette incapacité ou si elle aurait été moindre si l'intervention chirurgicale avait été pratiquée plus tôt. Après son dernier examen, il dit que l'incapacité est de 9.15 p. 100 de façon générale et de 23 p. 100 pour l'occupation de sableur de plan-chers. Le docteur Shannon dans son rapport produit comme exhibit D-4 dit que l'incapacité permanente sera de 20 p. 100. Le docteur McIntyre en témoignant comme témoin de l'intimée était d'accord avec cette estimation. Mais il s'est exprimé bien clairement et nettement et sans contradiction par d'autre preuve médicale à l'effet que les maux de pied du requérant, l'arthrose, ont résulté du traumatisme souffert dans la chute qu'il fit du mur de la prison provinciale à Joli­ette le 5 décembre 1962, que dans le temps un traitement compétent aurait peut-être évité la chirurgie plus tard, mais qu'en octobre 1963, date de son entrée au pénitencier St-Vincent-de-Paul, il était déjà trop tard pour éviter une in­tervention chirurgicale éventuelle, que la triple arthrodèse qu'il fallait pratiquer a toujours eu pour résultat une in­capacité d'au moins 12 p. 100, et dans le présent cas 20 p. 100, et que les résultats auraient été les mêmes même s'il

2 Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1969] 147 y avait eu intervention chirurgicale en février 1964 au lieu 1969 de septembre 1965, sauf que dans l'intervalle il a souffert ROBERT et ses souffrances ont augmenté. Sa réclamation se limite DAOUBT V. donc à la souffrance qu'il a endurée par suite du retard à LA REINE l'opérer. Walsh J. Le requérant lui-même expliqua qu'il n'avait pas cherché à se faire traiter après son évasion parce qu'il voulait rester caché. Cela peut expliquer pourquoi il ne s'est pas dans le temps fait traiter immédiatement après avoir reçu ses bles-sures, mais on ne peut certes blâmer la Couronne pour ce délai. Il a été repris en février 1963 et admet qu'à la prison provinciale de Bordeaux il fut radiographié et envoyé à l'hô-pital St-Luc à Montréal le 12 février 1963 on pratiqua une intervention chirurgicale sur son épaule. Apparem­ment ou il ne s'est pas plaint des douleurs au pied gauche durant cette période, ou s'il s'en est plaint on n'a rien fait pour le traiter, et ici encore on ne peut évidemment pas blâmer l'intimée pour le manque de traitement.

Il est donc apparent que l'incapacité dont il souffre main-tenant, que j'établirais à 20 p. 100, résulte entièrement des blessures reçues lors de sa chute en décembre 1962 et du manque de traitement pendant l'année suivante, pour la­quelle l'intimée ne peut pas être trouvée responsable, et nul­lement du retard à lui fournir l'intervention chirurgicale qui fut faite éventuellement. Il ne peut par conséquent rien être accordé au poste des dommages pour incapacité par­tielle permanente, pour laquelle il réclame $8,000, ni pour diminution de la jouissance de la vie, impossibilité de faire du sport, etc., pour lesquelles il réclame $4,000.

Il ne reste que sa réclamation de $3,000 pour douleurs, en-nuis, inconvénients, pendant deux ans. Je ne suis pas con­vaincu que c'est à l'examen d'entrée en octobre 1963 que le docteur Lefebvre aurait déterminer l'existence de l'ar-throse dégénérative de son pied. Le requérant dit qu'il s'est plaint de douleurs dans son pied dans le temps, mais le docteur Lefebvre nie ce témoignage en disant que ce n'est qu'en février 1964 qu'il a reçu la plainte et il a immédiate­ment fait prendre les radiographies. A tout événement, je ne trouve pas que le docteur Lefebvre est à blâmer pour ne pas avoir pris des radiographies en octobre 1963. Il le serait cependant à partir de février 1964 après qu'il eut l'oc-casion de voir les radiographies. Il ne peut s'agir par consé- 91303-21.

148 2 R.C. de 1'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19691 19fi9 quent d'une période de deux ans, mais seulement de dix- ROBERT huit mois à partir de février 1964 jusqu'en août 1965, date DAOUST v de l'intervention chirurgicale. Il me faut ajouter que le LA REINE requérant déclara à l'audition qu'il souffre encore après Walsh J. cette intervention—ses souffrances sont un peu différentes mais elles existent encore. D'après l'affidavit du Dr Mackay (exhibit P-1) il souffre d'une douleur au pied gauche au repos, et à la marche il y a une douleur qui irradie jusqu'à la fesse et à la colonne vertébrale. D'après le témoignage du docteur McIntyre dont il a été question plus haut, il aurait eu les mêmes résultats (et alors éprouvé les mêmes dou-leurs) même si l'intervention chirurgicale avait été prati­quée plus tôt. Il ne s'agit pas donc d'établir la valeur de la totalité de ses douleurs entre février 1964 et août 1965, mais seulement la valeur de l'excédent de ses douleurs durant cette période en comparaison avec les douleurs dont il souffre mainte-nant.

Dans le document intitulé «Détermination du débat» (exhibit D-3) l'intimée a offert le montant de $500 pour ces douleurs sous réserve pour l'intimée d'en être trouvée responsable. Le procureur du requérant ayant refusé d'ac-cepter ce montant, l'on ne peut dire qu'il y eut acceptation de la pollicitation et l'intimée n'est aucunement liée par cette offre. Comme il ne s'agit pas d'une période de deux ans mais de dix-huit mois, et que ce n'est que l'excédent des souffrances durant cette période dont il s'agit, souffrances qui auraient pu être un peu diminuées mais non entière­ment supprimées, et étant donné les souffrances qui sem­blent exister encore, même après l'intervention chirurgicale, j'établirais les dommages sous ce chiffre à $300.

Jugement pour $300 et les frais.

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