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A-86-19

2020 CAF 67

Angang Steel Company Limited et Angang International Trade Corporation (demanderesses)

c.

Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, ArcelorMittal Dofasco G.P. et Stelco Inc. (défendeurs)

Répertorié : Angang Steel Company Limited c. Canada (Agence des services frontaliers)

Cour d’appel fédérale, juges Webb, Rennie et Mactavish, J.C.A.—Ottawa, 11 décembre 2019; 31 mars 2020.

Antidumping — Marge de dumping — Contrôle judiciaire relativement à une décision définitive de dumping rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada à l’égard de certaines feuilles d’acier résistant à la corrosion — Le président a déterminé la valeur normale des produits en question selon les modalités fixées par le ministre conformément à l’art. 29(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (Loi) — La marge de dumping s’élevait à 53,3 p. 100 du prix à l’exportation — Les demanderesses n’ont pas soutenu que leur marge de dumping était minimale — Elles ont soutenu notamment que le président n’aurait pas dû utiliser les modalités fixées par le ministre pour déterminer leur marge de dumping et qu’il aurait dû établir une marge de dumping inférieure en application de l’art. 41(1)b)(i) de la Loi — Il s’agissait de savoir si la décision définitive du président rendue en vertu de l’art. 41(1)b) de la Loi pouvait être annulée si la marge de dumping était inférieure à celle établie par le président — Il n’existait aucun motif justifiant que la décision définitive soit annulée ou de se pencher sur le recours aux modalités fixées par le ministre pour l’établissement de la marge de dumping — Une décision définitive de dumping ne peut pas être annulée si la réduction de la marge de dumping n’a pas pour effet de rendre cette marge minimale — Les modifications apportées à l’art. 41 de la Loi ont fait en sorte que l’attention est désormais portée sur l’exportateur plutôt que sur le pays — Elles n’ont rien changé au fait qu’une décision définitive de dumping ne peut être annulée parce que la marge de dumping établie pour un exportateur donné serait inférieure à celle calculée par le président, sans qu’elle soit pour autant minimale — La marge de dumping de 2 p. 100 est le critère donnant lieu à la décision définitive selon laquelle les marchandises ont été sous-évaluées — L’intention du législateur n’était pas que la marge de dumping soit utilisée pour calculer le montant des droits antidumping imposés sur des marchandises ayant déjà été importées — Il a prévu que le montant de ces droits serait établi séparément — Les renseignements nécessaires pour l’établissement de la marge de dumping sont des renseignements dont l’exportateur a connaissance — Les demanderesses n’ont pas fait valoir que leur marge de dumping, si le président n’avait pas utilisé les modalités fixées par le ministre, aurait été minimale; elles ont soutenu que la marge de dumping ne devrait pas être aussi importante que celle précisée par le président — La décision définitive était que la marge de dumping n’était pas minimale — Il n’existait aucun motif justifiant que la décision soit annulée si le résultat demeurait inchangé, c’est-à-dire que la marge de dumping n’était pas minimale — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire relativement à une décision définitive de dumping rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (le président) à l’égard de certaines feuilles d’acier résistant à la corrosion en provenance de l’étranger.

Les renseignements fournis par les demanderesses n’étaient pas suffisants pour permettre au président de déterminer la valeur normale et les prix à l’exportation des produits en question. En conséquence et selon les modalités fixées par le ministre conformément au paragraphe 29(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (Loi), le président a déterminé que la valeur normale pour les demanderesses était le prix à l’exportation plus un montant égal à 53,3 p. 100 de ce prix à l’exportation. La marge de dumping s’élevait donc à 53,3 p. 100 du prix à l’exportation. Les demanderesses ont soutenu non pas que leur marge de dumping était minimale (c’est-à-dire inférieure à 2 p. 100 du prix à l’exportation), mais que, notamment, le président n’aurait pas dû utiliser les modalités fixées par le ministre pour déterminer leur marge de dumping. Les demanderesses ont soutenu en outre que le président aurait dû établir une marge de dumping inférieure en application du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la Loi.

Il s’agissait de savoir si la décision définitive du président rendue en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi pouvait être annulée si la marge de dumping, bien qu’elle ne soit toujours pas minimale, était inférieure à celle établie par le président.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Il n’existait aucun motif justifiant que la décision définitive du président soit annulée ou de se pencher sur les observations des demanderesses concernant le recours aux modalités fixées par le ministre conformément au paragraphe 29(1) de la Loi pour l’établissement de leur marge de dumping. La question en litige était l’interprétation de la Loi relativement à la question de savoir si la Cour a compétence pour annuler une décision définitive de dumping. Dans les arrêts Seah Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada (Seah Steel) et JFE Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada (JFE Steel), la Cour a conclu qu’une décision définitive de dumping rendue par le président ne pouvait pas être annulée si la réduction de la marge de dumping n’avait pas pour effet de rendre cette marge minimale. Lorsque les affaires Seah Steel et JFE Steel ont été tranchées, la décision définitive était rendue relativement à un pays donné. Les modifications apportées par la suite à l’article 41 ont fait en sorte que l’attention est désormais portée sur l’exportateur plutôt que sur le pays. Les modifications n’ont rien changé au fait qu’une décision définitive de dumping ne peut être annulée par la Cour simplement parce que la marge de dumping établie pour un exportateur donné, plutôt que pour un pays donné, serait inférieure à celle calculée par le président, sans qu’elle soit pour autant minimale. Le critère donnant lieu à la décision définitive selon laquelle les marchandises ont été sous-évaluées au titre de l’alinéa 41(1)b) de la Loi est la conclusion voulant que la marge de dumping soit de 2 p. 100 ou plus. L’analyse textuelle de la Loi a étayé la conclusion selon laquelle la Cour ne peut réviser que la décision définitive de dumping (c’est-à-dire que la valeur normale dépasse le prix à l’exportation et que cette différence n’est pas minimale).

L’intention du législateur n’était pas que la marge de dumping soit utilisée pour calculer le montant des droits antidumping qui pourraient être imposés sur des marchandises ayant déjà été importées. Le législateur n’a pas prévu que le montant des droits antidumping qui serait imposé sur les marchandises par le Tribunal canadien du commerce extérieur serait la somme précisée par le président en vertu du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la Loi. Au contraire, le législateur a prévu que le montant de ces droits serait établi séparément. Les renseignements nécessaires pour l’établissement de la marge de dumping (et donc les droits antidumping) sont des renseignements dont l’exportateur a connaissance. Le calcul de la valeur normale dépend des renseignements fournis par l’exportateur. Les demanderesses n’ont pas fait valoir que leur marge de dumping, si le président n’avait pas utilisé les modalités fixées par le ministre, aurait été minimale. Elles ont simplement soutenu que la marge de dumping ne devrait pas être aussi importante que celle précisée par le président.

Par conséquent, la décision définitive rendue en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi se résumait à la conclusion que la marge de dumping n’était pas minimale. Il n’existait aucun motif justifiant que la décision du président soit annulée si le résultat demeurait inchangé (c’est-à-dire que la marge de dumping n’était pas minimale), même si la somme précisée par le président était supérieure à celle qui aurait dû être précisée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15, art. 2(1) « marge de dumping », « minimale », « sous-évalué », 3–5, 15–23.1, 24–28, 29, 30, 30.2, 30.3, 31, 35, 37.1, 38, 39(1), 41, 42, 43, 55, 56–62, 96.1(1).

Règlement sur les mesures spéciales d’importation, DORS/84-927, art. 37.1(1)c)(ii.1).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B, colonne III.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, 1868 R.T.N.U. 226, art. 5.8.

Canada – Mesures antidumping visant les importations de certains tubes soudés en acier au carbone en provenance du Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu, Document de l’OMC WT/DS482/R, art. 7.18, 7.19, 7.37.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Seah Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada, 2017 CAF 172, [2017] A.C.F. no 886 (QL); JFE Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada, 2018 CAF 111, [2018] A.C.F. no 705 (QL).

DÉCISION EXAMINÉE :

Uniboard Surfaces Inc. c. Kronotex Fussboden GmbH et Co. KG, 2006 CAF 398, [2007] 4 R.C.F. 101.

DÉCISION CITÉE :

Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 2, [2013] A.C.F. no 11 (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire relativement à une décision définitive de dumping rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (Agence des services frontaliers du Canada, COR 2018 IN, 6 février 2019) à l’égard de certaines feuilles d’acier résistant à la corrosion en provenance de l’étranger. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Paul M. Lalonde et Sean Stephenson pour les demanderesses.

Jennifer Francis et Adrian Johnston pour le défendeur le président de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Paul Conlin et Ben Mills pour la défenderesse ArcelorMittal Dofasco G.P.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dentons Canada LLP, Toronto, pour les demanderesses.

La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur le président de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Conlin Bedard LLP, Ottawa, pour les défenderesses ArcelorMittal Dofasco G.P. et Stelco Inc.

Les présents motifs sont la version publique des motifs de jugement confidentiels remis aux parties. Les deux versions sont identiques, car aucun renseignement confidentiel n’a été divulgué dans les motifs de jugement confidentiels.

            Ce qui suit est la version française des motifs publics du jugement rendus par

 [1]       Le juge Webb, J.C.A. : Angang Steel Company Limited et Angang International Trade Corporation (collectivement Angang) ont déposé une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’alinéa 96.1(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15 (la LMSI), relativement à la décision définitive de dumping rendue par le président (le président) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) le 22 janvier 2019 (numéro de dossier COR 2018 IN) Énoncé des motifs de la décision définitive de dumping rendue à l’égard de certaines feuilles d’acier résistant à la corrosion en provenance de Chine, du Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu (Taipei chinois), de l’Inde et de la Corée du Sud (la décision définitive). Les motifs de la décision définitive ont été publiés le 6 février 2019.

[2]        Le président a conclu que les réponses fournies par Angang aux questionnaires qu’il avait diffusés n’étaient pas suffisantes pour permettre que soient déterminés la valeur normale et les prix à l’exportation des produits en question. En conséquence, le président a déterminé la valeur normale et les prix à l’exportation selon les modalités fixées par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) conformément au paragraphe 29(1) de la LMSI. La valeur normale pour Angang a été établie comme étant le prix à l’exportation plus un montant égal à 53,3 p. 100 de ce prix à l’exportation. La marge de dumping (qui est la différence entre la valeur normale et le prix à l’exportation) était donc 53,3 p. 100 du prix à l’exportation.

[3]        Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande.

I.          Les faits

[4]        La LMSI est la loi qui régit l’imposition de droits antidumping ou compensateurs lorsque des marchandises sont sous-évaluées au Canada. Les marchandises importées au Canada sont « sous-évaluées » (au sens du paragraphe 2(1) de la LMSI) lorsque leur valeur normale est supérieure à leur prix à l’exportation. La « marge de dumping » est définie au paragraphe 2(1) de la LMSI comme étant la différence entre ces deux sommes. La valeur normale est déterminée conformément aux articles 15 à 23.1 et 30 de la LMSI, et le prix à l’exportation est déterminé conformément aux articles 24 à 28 et 30 de la LMSI. Dans les cas où il est impossible de déterminer la valeur normale ou le prix à l’exportation conformément à ces dispositions, cette somme est alors déterminée selon les modalités que fixe le ministre (article 29 de la LMSI).

[5]        Une enquête sur un dumping possible de marchandises est ouverte au titre du paragraphe 31(1) de la LMSI par le président, de sa propre initiative ou suivant une plainte satisfaisant aux conditions énoncées au paragraphe 31(2) de la LMSI. En général, l’enquête sur le dumping comporte deux étapes — une décision provisoire et une décision définitive — et les responsabilités liées à chaque étape sont distinctes. Si la clôture d’enquête prévue à l’article 35 de la LMSI n’a pas lieu, le président doit rendre une décision provisoire dans laquelle il procède à l’estimation de la marge de dumping pour chaque exportateur et pour les marchandises visées par l’enquête (article 38 de la LMSI). Dans les 90 jours suivant la décision provisoire de dumping, le président doit, selon le cas :

a)         clore l’enquête s’il est convaincu qu’il n’y a pas de dumping ou que la marge de dumping est minimale (alinéa 41(1)a) de la LMSI);

b)         si la clôture de l’enquête n’a pas eu lieu, rendre une décision définitive selon laquelle les marchandises ont été sous-évaluées et préciser pour chaque exportateur la marge de dumping et les marchandises qui font l’objet de la décision (alinéa 41(1)b) de la LMSI).

[6]        L’adjectif « minimale » est défini au paragraphe 2(1) de la LMSI. Cette définition, relativement à une marge de dumping, est rédigée ainsi :

Définitions

2 (1) […]

minimale S’entend :

a)    dans le cas de la marge de dumping, d’une marge inférieure à deux pour cent du prix à l’exportation des marchandises.

[7]        Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) est chargé de mener l’enquête et de décider, à titre provisoire, si le dumping a causé un dommage ou s’il menace d’en causer un (articles 37.1 et 42 de la LMSI). Le TCCE est également chargé de rendre les ordonnances ou les conclusions indiquées, conformément à l’article 43 de la LMSI, à la suite d’une décision définitive rendue par le président. Des droits antidumping sont imposés en vertu des articles 3 à 5 de la LMSI à la suite d’une ordonnance ou de conclusions rendues par le TCCE. La décision définitive rendue par le président, en soi, n’entraîne pas l’imposition de droits antidumping.

[8]        L’article 30.2 de la LMSI dispose que la marge de dumping relative à des marchandises d’un exportateur donné est égale au résultat obtenu en retranchant la moyenne pondérée du prix à l’exportation des marchandises de la moyenne pondérée de la valeur normale des marchandises. Si ce résultat est un nombre négatif, la marge de dumping est égale à zéro. S’il est impossible de déterminer la marge de dumping relative à toutes les marchandises en cause, elle peut être établie sur le fondement d’un échantillonnage au titre de l’article 30.3 de la LMSI.

[9]        La LMSI fixe des délais stricts à l’intérieur desquels le président doit déterminer les sommes. Aux termes du paragraphe 38(1) de la LMSI, le président rend une décision provisoire de dumping dans la période comprise entre le soixantième jour et le quatre-vingt-dixième jour suivant l’ouverture d’une enquête prévue à l’article 31 de la LMSI (à moins que le président ne proroge le délai de 45 jours par application du paragraphe 39(1) de la LMSI pour les raisons qui y sont énoncées). Dans les 90 jours suivant la décision provisoire de dumping rendue en vertu du paragraphe 38(1) de la LMSI, le président doit rendre la décision définitive de dumping en vertu de l’article 41 de la LMSI.

[10]      La valeur normale des marchandises doit être déterminée en fonction du prix de marchandises similaires qui sont vendues aux personnes et dans les circonstances précisées à l’article 15 de la LMSI. Lorsque les ventes de marchandises similaires remplissant les conditions énumérées sont insuffisantes, sous réserve de l’article 20 de la LMSI, la valeur normale est déterminée en utilisant le prix auquel des marchandises similaires sont vendues à des personnes dans des pays étrangers ou en additionnant le coût de production, une somme raisonnable pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente, et une somme raisonnable pour les bénéfices (article 19 de la LMSI).

[11]      Si le président est d’avis que les renseignements fournis sont insuffisants pour permettre la détermination de la valeur normale ou du prix à l’exportation, la somme à utiliser pour cette valeur normale ou ce prix à l’exportation doit être établie de la manière précisée par le ministre. En l’espèce, bien que le président ait utilisé les renseignements fournis par Angang pour estimer la marge de dumping aux fins de la décision provisoire de dumping, le président, dans sa décision définitive, a estimé que les renseignements reçus d’Angang n’étaient pas suffisants pour permettre le calcul de la marge de dumping (paragraphe 141 des motifs de la décision définitive).

[12]      La valeur normale et le prix à l’exportation pour Angang (qui faisait partie du groupe nommé « Chine – tous les autres exportateurs » dans les motifs de la décision définitive) ont été établis selon les modalités fixées par le ministre conformément au paragraphe 29(1) de la LMSI (paragraphes 176 à 184 des motifs de la décision définitive). Il a été déterminé que la valeur normale était le prix à l’exportation plus un montant égal à 53,3 p. 100 de ce prix à l’exportation (paragraphe 182). Il a donc été établi que la marge de dumping s’élevait à 53,3 p. 100 du prix à l’exportation (paragraphe 184).

II.         La question en litige

[13]      Dans la présente demande, Angang ne soutient pas que sa marge de dumping est minimale (c’est-à-dire inférieure à 2 p. 100 du prix à l’exportation). Elle fait plutôt valoir que le président n’aurait pas dû utiliser les modalités fixées par le ministre visées au paragraphe 29(1) de la LMSI pour déterminer sa marge de dumping. Angang soutient donc que le président aurait dû établir une marge de dumping inférieure en application du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la LMSI pour Angang (même si cette somme révisée aurait toujours été d’au moins 2 p. 100 du prix à l’exportation).

[14]      La question en litige en l’espèce est de savoir si la Cour a compétence pour annuler une décision définitive rendue par le président en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LMSI lorsque l’exportateur, à l’égard duquel cette décision a été rendue, ne fournit aucun fondement permettant qu’il soit conclu que la marge de dumping est minimale. En d’autres termes, la décision définitive du président rendue en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LMSI peut-elle être annulée si la marge de dumping, bien qu’elle ne soit toujours pas minimale, est inférieure à celle établie par le président?

[15]      En l’espèce, la question en litige est donc l’interprétation de la LMSI relativement à la question de savoir si la Cour a compétence pour annuler une décision définitive de dumping.

III.        Analyse

[16]      Les dispositions législatives doivent être interprétées sur le fondement d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10).

A.        Analyse textuelle

[17]      Le point de départ de l’analyse, en l’espèce, est le paragraphe 96.1(1) de la LMSI. Cette disposition énonce le droit de demander à la Cour de réviser et d’annuler la décision définitive qui est en cause dans la présente demande :

Demande

96.1 (1) Sous réserve des articles 77.012 et 77.12, une demande de révision et d’annulation peut être présentée à la Cour d’appel fédérale relativement aux décisions, ordonnances ou conclusions suivantes :

[…]

     b) la décision définitive rendue par le président au titre de l’alinéa 41(1)b).    

[18]      Dans les arrêts Seah Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada, 2017 CAF 172, [2017] A.C.F. no 886 (QL), et JFE Steel Corporation c. Evraz Inc. NA Canada, 2018 CAF 111, [2018] A.C.F. no 705 (QL), notre Cour a conclu qu’une décision définitive de dumping rendue par le président en vertu de l’article 41 de la LMSI ne pouvait pas être annulée si la réduction de la marge de dumping n’avait pas pour effet de rendre cette marge minimale. Par exemple, une réduction qui ferait passer la marge de dumping de 50 p. 100 à 10 p. 100 ne changerait rien au fait que la marge de dumping n’est pas minimale, c’est-à-dire qu’elle n’est pas inférieure à 2 p. 100 du prix à l’exportation.

[19]      Angang soutient que la LMSI a été modifiée et que les arrêts Seah Steel et JFE Steel ne s’appliquent plus. Les modifications auxquelles Angang renvoie en particulier sont celles apportées à l’article 41 de la LMSI. Lorsque les affaires Seah Steel et JFE Steel ont été tranchées, la décision définitive était rendue relativement à un pays donné. La question était de savoir si un pays donné faisait du dumping de marchandises et si la marge de dumping des marchandises de ce pays était minimale. L’attention est désormais portée sur l’exportateur plutôt que sur le pays.

[20]      L’article 41 de la LMSI dispose maintenant ce qui suit :

Décision définitive ou clôture de l’enquête

41 (1) Dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa décision provisoire rendue en vertu du paragraphe 38(1), le président, selon le cas : 

a) clôt l’enquête au sujet des marchandises d’un exportateur donné si, au vu des éléments de preuve disponibles, il est convaincu qu’il n’y a pas de dumping ou de subventionnement des marchandises ou que la marge de dumping ou le montant de subvention octroyée relativement aux marchandises est minimal;     

b) rend une décision définitive de dumping ou de subventionnement concernant les marchandises visées par l’enquête et au sujet desquelles n’a pas eu lieu la clôture d’enquête prévue à l’alinéa a) si, au vu des éléments de preuve disponibles, il est convaincu qu’il y a eu dumping ou subventionnement; dans ce cas, le président précise, relativement à chacun des exportateurs de marchandises à l’égard desquelles l’enquête est menée, ce qui suit : 

(i) dans le cas des marchandises sous-évaluées, les marchandises objet de la décision et leur marge de dumping,     

                 (ii) dans le cas de marchandises subventionnées :     

                             (A) les marchandises objet de la décision,      

                             (B) le montant de subvention octroyée pour elles,      

(C) sous réserve du paragraphe (2), lorsque tout ou partie de la subvention octroyée pour les marchandises est une subvention prohibée, le montant de toute subvention prohibée octroyée pour elles.  

[21]      Il faut commencer l’interprétation de l’article 41 de la LMSI en examinant le libellé de cette disposition. À la suite des modifications apportées à l’article 41, la première décision du président consiste à déterminer si l’enquête doit être close à l’égard d’un exportateur donné en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la LMSI. L’enquête doit être close si le président est convaincu qu’il n’y a pas de dumping des marchandises du fait de cet exportateur ou que la marge de dumping relative à ces marchandises réalisée par cet exportateur donné est minimale. Aux termes du paragraphe 2(1) de la LMSI, « sous-évalué » est le « [q]ualificatif de marchandises dont la valeur normale est supérieure à leur prix à l’exportation ». Par conséquent, les marchandises sont sous-évaluées si leur valeur normale dépasse leur prix à l’exportation, quel que soit le montant de cette différence. Une fois qu’il a été déterminé que la valeur normale dépasse le prix à l’exportation, l’enquête concernant l’exportateur donné ne peut être close que si le président est convaincu que la marge de dumping de cet exportateur est inférieure à 2 p. 100 du prix à l’exportation. Toute marge de dumping égale ou supérieure à 2 p. 100 signifierait que l’enquête ne peut être close en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la LMSI.

[22]      L’alinéa 96.1(1)b) de la LMSI dispose qu’une « demande de révision et d’annulation peut être présentée à la Cour [...] relativement [...] [à] la décision définitive rendue par le président au titre de l’alinéa 41(1)b) » (non souligné dans l’original). La seule décision définitive mentionnée à l’alinéa 41(1)b) se trouve au début de cet alinéa : « le président [...] b) rend une décision définitive de dumping ou de subventionnement ». Cette décision définitive doit être rendue « concernant les marchandises visées par l’enquête et au sujet desquelles n’a pas eu lieu la clôture d’enquête prévue à l’alinéa a) ». La deuxième partie de cette phrase ne fait que préciser les marchandises auxquelles la décision définitive s’appliquera.

[23]      La seule condition à laquelle doit satisfaire le président pour qu’il puisse rendre cette décision définitive est qu’il doit, « au vu des éléments de preuve disponibles, [être] convaincu qu’il y a eu dumping ou subventionnement ». Nous avons déjà écrit plus haut que le terme « sous-évalué » est défini au paragraphe 2(1) de la LMSI :

Définitions

2 (1)

sous-évalué  Qualificatif de marchandises dont la valeur normale est supérieure à leur prix à l’exportation.

[24]      La raison pour laquelle cette condition figure à l’alinéa b) n’est pas claire puisque, aux termes de l’alinéa a), le président doit clore l’enquête s’il est convaincu qu’il n’y a pas eu de dumping. Par conséquent, pour que l’alinéa b) soit applicable, le président doit être convaincu à la fois qu’il y a eu dumping et que la marge de dumping n’est pas minimale (c’est-à-dire que la marge de dumping s’élève à 2 p. 100 ou plus du prix à l’exportation).

[25]      L’alinéa 41(1)b) de la LMSI impose une obligation supplémentaire au président. Le libellé de l’alinéa dispose d’abord que le président doit rendre une décision définitive de dumping puis impose la deuxième obligation, selon laquelle le président doit préciser les marchandises visées et la marge de dumping :

Décision définitive ou clôture de l’enquête

41 (1) […] le président

[...]

b) rend une décision définitive de dumping [...]; dans ce cas, le président précise, relativement à chacun des exportateurs de marchandises à l’égard desquelles l’enquête est menée, ce qui suit :

(i) dans le cas des marchandises sous-évaluées, les marchandises objet de la décision et leur marge de dumping [...]

[26]      Le libellé exige que le président prenne des mesures distinctes : qu’il rende une décision définitive de dumping et qu’il précise les marchandises visées ainsi que la marge de dumping. Le droit de révision prévu à l’alinéa 96.1(1)b) de la LMSI est précis et ne s’applique qu’à la décision définitive du président.

[27]      Angang soutient que les modifications apportées à l’article 41 sont importantes, car l’élément central était auparavant la conclusion selon laquelle un pays fait du dumping alors qu’il est désormais la conclusion selon laquelle un exportateur donné fait du dumping. Bien que les modifications apportées à cet article aient changé l’élément central sur lequel repose la décision définitive, le faisant passer du pays à l’exportateur donné, le critère donnant lieu à la décision définitive demeure le même, soit la question de savoir si la marge de dumping est minimale.

[28]      À mon avis, la modification du libellé de l’article 41 ne change rien au fait qu’une décision définitive de dumping ne peut être annulée par la Cour simplement parce que la marge de dumping établie pour un exportateur donné, plutôt que pour un pays donné, serait inférieure à celle calculée par le président, sans qu’elle soit pour autant minimale. Le critère donnant lieu à la décision définitive selon laquelle les marchandises ont été sous-évaluées au titre de l’alinéa 41(1)b) de la LMSI est la conclusion voulant que la marge de dumping soit de 2 p. 100 ou plus. Que la marge de dumping s’élève à 15 p. 100 ou à 50 p. 100, on en arrivera à la même décision définitive, soit que l’exportateur a sous-évalué ses marchandises et que la marge de dumping n’est pas minimale.

[29]      Par conséquent, l’analyse textuelle étaye la conclusion selon laquelle la Cour ne peut réviser que la décision définitive de dumping, c’est-à-dire la décision selon laquelle la valeur normale dépasse le prix à l’exportation et que cette différence n’est pas minimale. Si ce résultat demeurait inchangé, il n’existerait aucun motif d’annuler la décision définitive.

B.        Analyse contextuelle et téléologique

[30]      Angang soutient que les modifications à l’article 41 ont été apportées en raison de réserves quant à la version précédente de l’article 41 soulevées dans une décision d’un groupe spécial de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le Groupe spécial avait estimé que la version précédente de cet article (qui reposait sur la décision selon laquelle un pays fait du dumping) n’était pas conforme à l’article 5.8 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, 1868 R.T.N.U. 226 (l’Accord antidumping). L’article 5.8 stipule ce qui suit :

5.8.           Une demande présentée au titre du paragraphe 1 sera rejetée et une enquête sera close dans les moindres délais dès que les autorités concernées seront convaincues que les éléments de preuve relatifs soit au dumping soit au dommage ne sont pas suffisants pour justifier la poursuite de la procédure. La clôture de l’enquête sera immédiate dans les cas où les autorités détermineront que la marge de dumping est de minimis ou que le volume des importations, effectives ou potentielles, faisant l’objet d’un dumping, ou le dommage, est négligeable. La marge de dumping sera considérée comme de minimis si, exprimée en pourcentage du prix à l’exportation, elle est inférieure à 2 pour cent. […]

[31]      La demande visée à l’article 5.8 fait ouvrir une enquête sur un dumping allégué. Le Groupe spécial de l’OMC, dans le rapport intitulé Canada – Mesures antidumping visant les importations de certains tubes soudés en acier au carbone en provenance du Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu, Document de l’OMC WT/DS482/R (le rapport du Groupe spécial), a fait observer ce qui suit :

7.18          Les parties s’accordent à dire que la deuxième phrase de l’article 5.8 exige la clôture immédiate de l’enquête dans le cas où la « marge de dumping » est de minimis. Elles ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la « marge de dumping » déclenchant la clôture immédiate concerne le pays exportateur dans son ensemble, ou chaque exportateur ou producteur individuellement. C’est la question que nous devons résoudre.

7.19          La même question a été examinée par le Groupe spécial et l’Organe d’appel dans l’affaire Mexique – Mesures antidumping visant le riz. Le Groupe spécial et l’Organe d’appel ont tous deux constaté que l’expression « marge de dumping » figurant à l’article 5.8 désignait la marge de dumping individuelle d’un exportateur ou d’un producteur, plutôt qu’une marge de dumping à l’échelle du pays. Le Groupe spécial a observé que l’article 6.10 de l’Accord antidumping disposait qu’« [e]n règle générale, les autorités détermineront une marge de dumping individuelle pour chaque exportateur connu ou producteur concerné du produit visé par l’enquête » […]

[…]

7.37          Nous rappelons notre avis selon lequel la deuxième phrase de l’article 5.8, lue à la lumière du contexte de l’expression « marge de dumping » telle qu’utilisée dans d’autres dispositions de l’Accord antidumping, exige la clôture immédiate de l’enquête en ce qui concerne les exportateurs pour lesquels des marges de dumping individuelles de minimis ont été calculées. Nous rappelons en outre que cette approche est compatible avec les décisions du Groupe spécial et de l’Organe d’appel concernant la même question dans l’affaire Mexique – Mesures antidumping visant le riz. Pour les raisons expliquées plus haut, nous constatons que le Canada n’a pas établi que nous avions des raisons impérieuses de nous écarter de ces décisions. Nous reconnaissons donc le bien-fondé de l’allégation du Taipei chinois selon laquelle le Canada a agi en violation de la deuxième phrase de l’article 5.8 en ne clôturant pas immédiatement l’enquête en ce qui concerne deux exportateurs du Taipei chinois pour lesquels des marges de dumping de minimis avaient été calculées. [Notes en bas de pages omises.]

[32]      Il semble manifeste que la principale réserve à l’égard de l’article 5.8 de l’Accord antidumping que le Groupe spécial de l’OMC a exprimée dans sa décision était que la LMSI n’exigeait pas la clôture immédiate de l’enquête relative à un exportateur donné si la marge de dumping calculée pour cet exportateur était de minimis. Il a été dit plus haut que l’expression « de minimis » signifie moins de 2 p. 100 du prix à l’exportation. La réserve soulevée par le Groupe spécial de l’OMC a donc été corrigée par l’ajout à la LMSI de l’alinéa 41(1)a), qui prescrit la clôture de l’enquête si la marge de dumping pour un exportateur donné est minimale. Cette décision est toutefois peu utile lorsqu’il s’agit d’interpréter l’alinéa 41(1)b) de la LMSI et, plus précisément, de déterminer si la Cour peut annuler une décision définitive de dumping si l’exportateur n’allègue pas que la marge de dumping qui s’applique à lui est minimale, mais plutôt que la marge de dumping devrait être inférieure à celle précisée par le président.

[33]      Dans ce contexte, il est important d’établir la pertinence de la marge de dumping précisée par le président en vertu du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la LMSI. Il a été dit plus haut que l’alinéa 41(1)b) de la LMSI dispose qu’une décision définitive de dumping doit être rendue concernant les marchandises visées au sujet desquelles il n’y a pas eu la clôture d’enquête prévue à l’alinéa a). La deuxième obligation du président aux termes de cet alinéa est de préciser, relativement à chacun des exportateurs, les marchandises auxquelles s’applique la décision de dumping ainsi que la marge de dumping des marchandises. Cependant, la marge de dumping qui est précisée pour un exportateur donné, ce dont il sera question plus loin, n’est pas utilisée pour déterminer le montant des droits antidumping qui pourraient être imposés à la suite de conclusions du TCCE. En fait, le président précise ainsi la marge de dumping afin de déterminer que la marge de dumping pour un exportateur donné n’est pas minimale.

[34]      Comme il a été dit plus haut, les droits antidumping ne sont pas imposés par le président sur les marchandises, mais plutôt sur les marchandises à l’égard desquelles le TCCE a rendu une ordonnance ou des conclusions (article 3 de la LMSI). Après la décision définitive de dumping rendue par le président, le TCCE doit déterminer si les marchandises sous-évaluées ont causé un dommage ou menacent d’en causer un. S’il tire une telle conclusion, alors, et pas avant, des droits antidumping seront imposés.

[35]      Le rôle limité que joue la marge de dumping précisée par le président en vertu du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la LMSI pour l’application de la LMSI est confirmé dans les motifs de la décision définitive. Il est écrit ce qui suit au paragraphe 255 de ces motifs :

     Si, en revanche, le TCCE conclut que les marchandises sous-évaluées ont causé un dommage, les droits antidumping payables sur les marchandises en cause dédouanées par l’ASFC durant la période provisoire seront rendus définitifs, conformément à l’article 55 de la LMSI. Les importations dédouanées par l’ASFC après le jour des conclusions du TCCE seront frappées de droits antidumping équivalents à la marge de dumping.

[36]      L’article 55 de la LMSI est libellé ainsi :

Décision de l’agent désigné

55 (1) Après avoir :

a) rendu la décision définitive de dumping ou de subventionnement prévue au paragraphe 41(1);

b) reçu, le cas échéant, l’ordonnance ou les conclusions du Tribunal visées à l’un des articles 4 à 6 au sujet des marchandises objet de la décision définitive,

le président fait déterminer par un agent désigné, dans les six mois suivant la date de l’ordonnance ou des conclusions :

c) la question de savoir si les marchandises visées au paragraphe (2) sont en fait de même description que celles désignées dans l’ordonnance ou les conclusions;

d) la valeur normale et le prix à l’exportation de ces marchandises ou le montant de subvention octroyée pour elles;

e) si les articles 6 ou 10 s’appliquent aux marchandises, le montant de la subvention à l’exportation octroyée pour elles.    

[37]      Cet article dispose que le président doit désigner une autre personne qui sera chargée de déterminer la valeur normale et le prix à l’exportation, c’est-à-dire la marge de dumping, pour toutes les marchandises qui ont été dédouanées (paragraphes 55(1) et (2) de la LMSI). Si le législateur avait voulu que la marge de dumping déterminée par le président dans sa décision définitive soit également utilisée pour imposer des droits antidumping sur les marchandises qui ont été dédouanées, l’article 55 de la LMSI aurait pu le prévoir. Cependant, cet article dispose que le président désigne un agent qui rendra sa décision dans les six mois suivant la date de l’ordonnance ou des conclusions du TCCE.

[38]      Par conséquent, il est évident que l’intention du législateur n’était pas que la marge de dumping déterminée par le président dans sa décision définitive de dumping soit utilisée pour calculer le montant des droits antidumping qui pourraient être imposés sur des marchandises ayant déjà été importées. L’octroi d’un délai supplémentaire de six mois, prévu à l’article 55 de la LMSI, à l’agent désigné pour qu’il établisse la valeur normale et le prix à l’exportation étaye également la conclusion voulant que le législateur n’ait pas eu l’intention d’obliger l’agent désigné à simplement utiliser les chiffres précisés par le président en vertu du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la LMSI. Un délai de six mois pour déterminer la marge de dumping serait inutile s’il fallait utiliser celle précisée par le président en vertu du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la LMSI.

[39]      Comme cela a été mentionné au paragraphe 255 des motifs de la décision définitive, pour les marchandises importées après que le TCCE a conclu à l’existence d’un dommage, le montant des droits équivaudra à la marge de dumping. Le terme « marge de dumping » est défini au paragraphe 2(1) de la LMSI :

Définitions

2 (1) […]

marge de dumping Sous réserve des articles 30.2 et 30.3, l’excédent de la valeur normale de marchandises sur leur prix à l’exportation.

[40]      L’article 56 de la LMSI dispose que l’agent désigné détermine la valeur normale et le prix à l’exportation des marchandises qui sont importées après que le TCCE a rendu une ordonnance ou des conclusions. L’article 56 ne dispose pas que la marge de dumping sera celle précisée par le président dans sa décision définitive de dumping. Les articles 56 à 62 de la LMSI énoncent les droits de révision et d’appel applicables aux décisions rendues en vertu du paragraphe 55(1) ou du paragraphe 56(1) de la LMSI.

[41]      Par conséquent, le législateur n’a pas prévu que le montant des droits antidumping qui sera imposé sur les marchandises par le TCCE serait la somme précisée par le président en vertu du sous-alinéa 41(1)b)(i) de la LMSI. Au contraire, le législateur a prévu que le montant de ces droits serait établi séparément.

[42]      Il est important de souligner que les renseignements nécessaires pour l’établissement de la marge de dumping (et donc les droits antidumping) sont des renseignements dont l’exportateur a connaissance. Le montant des droits antidumping est la différence entre la valeur normale et le prix à l’exportation (article 3 de la LMSI et définition de « marge de dumping » au paragraphe 2(1) de la LMSI). La valeur normale est généralement le prix auquel l’exportateur donné vend des marchandises similaires à un acheteur sans lien de dépendance (article 15 de la LMSI). Il existe plusieurs règles relatives à l’établissement de la valeur normale, dont la possibilité qu’elle soit établie par l’ajout au coût de production d’une somme pour les frais administratifs et les bénéfices (article 19 de la LMSI). Le calcul de la valeur normale dépend des renseignements fournis par l’exportateur et, par conséquent, relève de sa connaissance.

[43]      Le prix à l’exportation est le prix de vente de l’exportateur donné, sous réserve de certains ajustements. L’établissement du prix à l’exportation est également censé relever de la connaissance de l’exportateur donné.

[44]      Par conséquent, l’exportateur est censé être capable de fournir la valeur normale et le prix à l’exportation à l’agent désigné, lequel en déterminera le montant aux fins du calcul des droits antidumping.

[45]      En raison des délais relativement courts dans lesquels le président doit rendre une décision provisoire et une décision définitive, le processus a été décrit comme étant une « course contre la montre » (Uniboard Surfaces Inc. c. Kronotex Fussboden GmbH et Co. KG, 2006 CAF 398, [2007] 4 R.C.F. 101, au paragraphe 45). L’imposition de telles contraintes temporelles étaye la conclusion selon laquelle la marge de dumping est précisée en vertu de l’alinéa 41(1)b) pour confirmer que la marge de dumping d’un exportateur donné n’est pas minimale, et non pour calculer le montant de droits antidumping qui pourraient être imposés par la suite. Comme cela a été mentionné plus haut, l’octroi de six mois supplémentaires après l’ordonnance ou les conclusions du TCCE accordés à l’un agent désigné pour qu’il établisse la marge de dumping des marchandises dédouanées avant cette ordonnance ou ces conclusions, au titre de l’article 55 de la LMSI, étaye également cette conclusion.

[46]      Il est manifeste que le législateur n’avait pas l’intention que la marge de dumping précisée par le président soit utilisée pour l’imposition des droits antidumping. Changer une marge de dumping de 2 p. 100 ou plus du prix à l’exportation pour une autre marge de dumping également de 2 p. 100 ou plus du prix à l’exportation n’entraînerait aucune conséquence juridique directe. Que la marge de dumping soit de 15 p. 100 ou de 50 p. 100, par exemple, elle reste supérieure au seuil de minimis (moins de 2 p. 100) prévu par la LMSI servant à déterminer si une marge de dumping est minimale.

[47]      Le sous-alinéa 37.1(1)c)(ii.1) du Règlement sur les mesures spéciales d’importation, DORS/84-927, dispose que « l’importance de la marge de dumping » est un facteur qui peut être pris en compte pour décider si le dumping de marchandises a causé un dommage ou un retard. Dans la présente demande, Angang n’a pas présenté d’observations sur la question de savoir si l’importance de la marge de dumping constituait un facteur que le TCCE devait prendre en compte dans sa décision. Angang n’a pas non plus fait valoir que, si sa marge de dumping était inférieure à la somme précisée par le président, cela pourrait avoir ou aurait une incidence sur la décision rendue par le TCCE en l’espèce.

[48]      Par conséquent, aux termes de la LMSI, la décision définitive qui est rendue par le président et qui fait l’objet d’un contrôle par notre Cour est la décision définitive de dumping rendue en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LMSI. Cette décision ne changera pas, sauf si la marge de dumping est minimale. Dans d’autres situations, notre Cour a conclu que les affaires ne seront pas renvoyées à un tribunal si le résultat est inévitable, même si des erreurs ont été commises dans la décision (Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 2, [2013] A.C.F. no 11 (QL)). Comme cela a été dit plus haut, Angang n’a pas fait valoir que sa marge de dumping, si le président n’avait pas utilisé les modalités fixées par le ministre, aurait été minimale. Elle soutient simplement que la marge de dumping ne devrait pas être aussi importante que celle précisée par le président.

IV.       Conclusion

[49]      À mon avis, la décision définitive de dumping qui peut être révisée et annulée par notre Cour est la décision définitive selon laquelle des marchandises ont été sous-évaluées. Puisqu’il y a clôture de l’enquête conformément à l’alinéa 41(1)a) de la LMSI si la marge de dumping est minimale, la décision définitive rendue en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LMSI se résume à la conclusion que la marge de dumping n’est pas minimale. Il n’existe aucun motif justifiant que la décision du président soit annulée si le résultat demeure inchangé (c’est-à-dire que la marge de dumping n’est pas minimale), même si la somme précisée par le président est supérieure à celle qui aurait dû être précisée. Angang n’ayant pas fait valoir que sa marge de dumping serait minimale, il n’existe aucun motif justifiant que la Cour annule la décision définitive ou qu’elle se penche les observations concernant le recours aux modalités fixées par le ministre conformément au paragraphe 29(1) de la LMSI pour l’établissement de sa marge de dumping.

[50]      Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande, avec dépens. Les dépens seront taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 

Le juge Rennie, J.C.A. : Je suis d’accord.

La Mactavish, J.C.A. : Je suis d’accord.

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE VISANT UNE DÉCISION DÉFINITIVE DE DUMPING RENDUE PAR LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA DATÉE DU 22 JANVIER 2019 (COR 2018 IN)

DOSSIER  :

A-86-19

 

INTITULÉ  :

ANGANG STEEL COMPANY LIMITED et ANGANG INTERNATIONAL TRADE CORPORATION c. LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA, ARCELORMITTAL DOFASCO G.P. et STELCO INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE  :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE  :

Le 11 décembre 2019

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DU JUGEMENT  :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT  :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS  :

Le 31 mars 2020

COMPARUTIONS:

Paul M. Lalonde

Sean Stephenson

Pour les demanderesses

Jennifer Francis

Adrian Johnston

Pour LE DÉFENDEUR

le président de L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Paul Conlin

R. Benjamin Mills

Pour la défenderesse

ARCELORMITTAL DOFASCO

G.P.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada LLP

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour LE DÉFENDEUR LE PRÉSIDENT DE

L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Conlin Bedard LLP

Ottawa (Ontario)

Pour les défenderesses

ARCELORMITTAL DOFASCO G.P. et STELCO INC.

 

 

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