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A-183-18

2020 CAF 80

La Banque Toronto-Dominion (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

et

L’Association des banquiers canadiens (intervenante)

Répertorié : Banque Toronto-Dominion c. Canada

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Near et Gleason, J.C.A.—Toronto, 8 octobre 2019; Ottawa, 29 avril 2020.

Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Fiducies réputées — Appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a conclu que, selon l’art. 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi), l’appelante devait verser au receveur général une partie du produit de la vente faisant l’objet d’une fiducie réputée — L’art. 222(1) de la Loi dispose que les montants perçus au titre de la TPS sont réputés être détenus en fiducie et doivent être versés au receveur général — L’art. 222(3) dispose que les biens du débiteur fiscal détenus par un créancier garanti sont également détenus en fiducie — Avant de devenir client de l’appelante, le débiteur dans la présente affaire a perçu de la TPS en raison de son entreprise, mais il ne l’a pas versée au receveur général — L’appelante, qui n’était pas au fait des dettes du débiteur, a accordé à ce dernier une marge de crédit qui était garantie par une sûreté enregistrée sur un immeuble lui appartenant — Le débiteur a vendu et transféré l’immeuble — Il a remis à l’appelante deux chèques en fiducie pour lui rembourser les sommes dues — Par la suite, l’appelante a levé l’hypothèque — L’Agence du revenu du Canada a fait valoir un droit à l’encontre de l’appelante en raison d’une fiducie réputée au titre de l’art. 222 de la Loi — L’appelante a refusé de payer le montant réclamé — Il s’agissait principalement de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant 1) qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait d’événement déclencheur pour que des biens précis soient visés par la fiducie, et 2) que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux — Les questions soulevées dans le présent appel portaient sur l’interprétation correcte des art. 222(1) et (3) de la Loi — La jurisprudence portant sur les fiducies réputées selon la Loi de l’impôt sur le revenu est pertinente — À la suite de la décision dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp (Sparrow), des modifications ont été apportées à l’art. 222 de la Loi pour accorder la priorité absolue à la fiducie réputée — Le législateur a voulu accorder la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont également grevés d’une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après la perception de la TPS — En l’espèce, le débiteur était réputé détenir le montant au titre de la TPS en fiducie, séparé de ses propres biens — Les biens du débiteur, jusqu’à concurrence de la dette fiscale, étaient réputés être des biens dans lesquels la Couronne avait un droit de bénéficiaire — L’appelante avait l’obligation légale de verser le produit qu’elle a reçu à la Couronne — L’évolution de la loi fait partie du « contexte global » dans lequel les lois doivent être interprétées — Le législateur a élargi la portée des dispositions sur les fiducies réputées afin de garantir le recouvrement des retenues à la source et de la TPS non versées en priorité sur toutes les dettes — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis — La version antérieure des dispositions sur la fiducie réputée renvoyait à des événements déclencheurs — Il n’est plus question d’événements déclencheurs dans la version actuelle — Cela représente l’intention du législateur qu’il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert aux acquéreurs de bonne foi à titre onéreux — Les créanciers garantis ne peuvent avoir recours à ce moyen de défense — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a conclu que, selon le paragraphe 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi), l’appelante devait verser au receveur général une partie du produit de la vente faisant l’objet d’une fiducie réputée.

Le paragraphe 222(1) de la Loi dispose que les montants perçus au titre de la taxe sur les produits et services sont réputés être détenus en fiducie et doivent être versés au receveur général. Le paragraphe 222(3) dispose que les biens du débiteur fiscal et les biens du débiteur fiscal détenus par un créancier garanti sont également détenus en fiducie selon le paragraphe (1). Avant de devenir client de l’appelante, le débiteur dans la présente affaire a perçu de la TPS en raison de son entreprise d’aménagement paysager, mais il ne l’a pas versée au receveur général. En 2010, l’appelante, qui n’était pas au fait des dettes du débiteur en application de la Loi, a accordé à ce dernier une marge de crédit qui était garantie par une sûreté enregistrée sur un immeuble lui appartenant. En 2011, le débiteur a vendu et transféré l’immeuble. Il a remis à l’appelante deux chèques en fiducie pour rembourser la marge de crédit et l’hypothèque et acquitter les sûretés enregistrées sur l’immeuble. Par la suite, l’appelante a levé la sûreté et l’hypothèque enregistrées sur l’immeuble. L’Agence du revenu du Canada a fait valoir un droit à l’encontre de l’appelante en raison d’une fiducie réputée au titre de l’article 222 de la Loi, au motif que le produit que l’appelante avait reçu de la vente de l’immeuble aurait dû être versé au receveur général, jusqu’à concurrence du montant réputé être détenu en fiducie. L’appelante a refusé de payer le montant réclamé. La Cour fédérale a conclu notamment que l’appelante avait l’obligation légale de rembourser la dette fiscale au moyen du produit qu’elle avait reçu; que l’appelante ne pouvait pas invoquer le moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à l’encontre de l’obligation légale au paragraphe 222(3) de la Loi; qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait d’événement déclencheur pour que la fiducie réputée existe; et que la fiducie réputée de la Couronne découle de l’intention expresse du législateur que certaines dettes fiscales aient un rang supérieur aux créances garanties.

Il s’agissait principalement de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait d’événement déclencheur pour que des biens précis soient visés par la fiducie et que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux.

Arrêt  : l’appel doit être rejeté.

Les questions soulevées dans le présent appel portaient sur l’interprétation correcte des paragraphes 222(1) et (3) de la Loi. La jurisprudence portant sur les fiducies réputées selon la Loi de l’impôt sur le revenu est pertinente pour l’interprétation des dispositions sur les fiducies réputées de la Loi sur la taxe d’accise. À la suite de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp (Sparrow), des modifications ont été apportées à l’article 222 de la Loi pour accorder la priorité absolue à la fiducie réputée. L’on peut déduire du sens grammatical et ordinaire du libellé des paragraphes 222(1) et (3) de la Loi que le législateur a voulu accorder la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont également grevés d’une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après la perception de la TPS. Cela découle du libellé « malgré tout droit en garantie le concernant » au paragraphe 222(1). En l’espèce, lorsque le débiteur a perçu le montant au titre de la TPS, il était réputé « à toutes fins utiles [...] le détenir en fiducie pour Sa Majesté [...], séparé de ses propres biens » (paragraphe 222(1)). Lorsque l’appelante a prêté de l’argent au débiteur et a reçu sa garantie, les biens du débiteur, jusqu’à concurrence de la dette fiscale, étaient déjà réputés être des biens dans lesquels la Couronne avait un droit de bénéficiaire (paragraphe 222(3)). Il s’ensuit que lorsque les biens du débiteur ont été vendus, l’appelante avait l’obligation légale de verser le produit qu’elle a reçu à la Couronne en raison du paragraphe 222(3) de la Loi. Cette disposition vise à assurer la perception de la TPS non versée en interprétant la disposition sur la fiducie réputée de manière à assurer qu’un créancier garanti soit tenu de remettre le produit de la vente d’un bien du débiteur qu’il reçoit et qui devient assujetti à une fiducie en faveur de la Couronne. Le législateur a pris la décision de politique générale qu’en échange de la priorité absolue habituelle des fiducies prévues par la Loi sur la taxe d’accise, la priorité n’existe plus en cas de faillite aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et ne s’applique pas aux arrangements en application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Il s’agit d’un outil d’interprétation extrinsèque pertinent qui ajoute un contexte à l’interprétation de l’article 222. L’évolution de la loi fait partie du « contexte global » dans lequel les lois doivent être interprétées. En l’espèce, la Loi a été modifiée en réponse à l’arrêt Sparrow. Le législateur a voulu élargir la portée des dispositions sur les fiducies réputées afin de garantir le recouvrement des retenues à la source et de la TPS non versées en priorité sur toutes les dettes.

La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis. Le terme « priorité » n’apparaît qu’une seule fois aux paragraphes 222(1) et (3). L’appelante n’a pas tenu compte des autres termes des paragraphes 222(1) et (3) et de l’attribution d’un droit de bénéficiaire, dont le produit « est payé » à la Couronne. L’appelante n’a pas tenu compte non plus de l’évolution des dispositions sur la fiducie réputée. La version antérieure des dispositions sur la fiducie réputée renvoyait à des événements déclencheurs comme la liquidation, la cession, la mise sous séquestre ou la faillite; il n’en est plus question dans la version actuelle. Cela représente l’intention du législateur qu’il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis. L’appelante s’est appuyée à tort sur l’utilisation du terme « priorité » dans l’arrêt Sparrow et dans l’arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N. (First Vancouver). Dans l’arrêt First Vancouver, la comparaison par la Cour suprême de la fiducie réputée à une « charge flottante » n’étayait pas l’exigence qu’il y ait un événement déclencheur pour que la fiducie réputée s’applique. Même si le législateur a rédigé des dispositions visant à recouvrer les dettes fiscales de tiers, le droit de la Couronne au produit d’un bien réputé être détenu en fiducie découle de l’obligation légale créée lorsque le débiteur fiscal a perçu la TPS et a omis de la verser.

La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert aux acquéreurs de bonne foi à titre onéreux. Les créanciers garantis, comme l’appelante, ne peuvent avoir recours au moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux. Il serait irrationnel que le législateur, dans le but de s’assurer que la TPS perçue et non versée soit recouvrée par priorité sur toutes les dettes, entende maintenir le moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi et ainsi annuler le droit de bénéficiaire préexistant de la Couronne aux biens de la fiducie réputée. Cela aurait pour effet de vider de leur contenu les dispositions sur les fiducies réputées.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 227.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3.

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 221, 222, 317, 323, 325.

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 86(2).

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36, art. 37.

Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46.

Personal Property Security Act, S.A. 1988, ch. P-4.05.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 23(3).

Règlement sur les droits en garantie (TPS/TVH), DORS/2011-55, art. 2.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Banque royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720; Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70, [2005] 3 R.C.S. 425; Canada (Attorney General) v. Community Expansion Inc. (2004), 72 O.R. (3d) 546, [2004] O.J. no 5493 (QL) (C.S.), conf. par 2005 CanLII 1402, [2005] O.J. no 186 (QL) (C.A.); i Trade Finance Inc. c. Banque de Montréal, 2011 CSC 26, [2011] 2 R.C.S. 360; Canada (Procureure générale) c. Banque nationale du Canada, 2004 CAF 92.

DÉCISION CITÉE :

Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379.

DOCTRINE CITÉE

Ministère des Finances, communiqué de presse, 1997-030, « Retenues à la source non versées et TPS impayée » (7 avril 1997).

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2018 CF 538), qui a conclu que, selon le paragraphe 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise, l’appelante devait verser au receveur général une partie du produit de la vente faisant l’objet d’une fiducie réputée. Appel rejeté.

ONT COMPARU  :

Christine Lonsdale et Daniel Goudge pour l’appelante.

Louis L’Heureux et Edward Harrison pour l’intimée.

Harvey Chaiton pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McCarthy Tétrault LLP, Toronto, pour l’appelante.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intimée.

Chaitons LLP, Toronto, pour l’intervenante.

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Dawson, J.C.A. : En règle générale, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, la « personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe » sur les produits et services « payable par l’acquéreur » (article 221, Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi)).

[2]        Le paragraphe 222(1) de la Loi dispose que les montants perçus au titre de la taxe sur les produits et services sont réputés être détenus en fiducie. Ces montants doivent être versés au receveur général ou retirés de la fiducie en tant que crédits de taxe sur les intrants ou de déduction de taxe :

Montants perçus détenus en fiducie

222 (1) La personne qui perçoit un montant au titre de la taxe prévue à la section II est réputée, à toutes fins utiles et malgré tout droit en garantie le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, séparé de ses propres biens et des biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ceux de la personne, jusqu’à ce qu’il soit versé au receveur général ou retiré en application du paragraphe (2). [Non souligné dans l’original.]    

[3]        Le paragraphe 222(3) dispose que les biens du débiteur fiscal et les biens du débiteur fiscal détenus par un créancier garanti sont également détenus en fiducie selon le paragraphe (1) :

222 (1) […]

Non-versement ou non-retrait

(3) Malgré les autres dispositions de la présente loi (sauf le paragraphe (4) du présent article), tout autre texte législatif fédéral (sauf la Loi sur la faillite et linsolvabilité), tout texte législatif provincial ou toute autre règle de droit, lorsquun montant quune personne est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada nest pas versé au receveur général ni retiré selon les modalités et dans le délai prévus par la présente partie, les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en labsence du droit en garantie, seraient ses biens — dune valeur égale à ce montant sont réputés :

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est perçu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté du chef du Canada a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie. [Non souligné dans l’original.]          

[4]        Ce sont là les dispositions qui constituent le fondement du présent appel. L’article 222 est reproduit intégralement à l’annexe des présents motifs.

[5]        La question centrale soulevée dans le présent appel est l’interprétation juste des paragraphes 222(1) et (3) de la Loi  : un créancier garanti qui reçoit le produit de la vente des biens d’un débiteur fiscal à un moment où celui-ci doit de la TPS à la Couronne est-il tenu de payer le produit, ou une partie de celui-ci égale à la dette fiscale, au receveur général par priorité sur tout droit en garantie? La question se pose en raison des faits qui suivent.

Les faits

[6]        Monsieur M. Weisflock (le débiteur) possédait et exploitait une entreprise d’aménagement paysager à titre d’entreprise à propriétaire unique. Il était tenu de percevoir et de verser la TPS au receveur général.

[7]        En 2007 et en 2008, avant de devenir client de la Banque Toronto-Dominion, le débiteur a perçu de la TPS de 67 854 $ en raison de son entreprise d’aménagement paysager, mais ne l’a pas versée au receveur général.

[8]        En 2010, la Banque a accordé des prêts au débiteur. En mars 2010, la Banque a accordé une marge de crédit de 246 000 $ au débiteur et à son épouse. La marge de crédit était garantie par une sûreté enregistrée sur un immeuble appartenant au débiteur consentie à la Banque. Plus tard, en avril 2010, la Banque a accordé un prêt de 352 000 $ au débiteur et à son épouse. Ce prêt était garanti par une hypothèque, qui était également enregistrée sur l’immeuble.

[9]        Au moment des deux demandes de prêt, la Banque n’était pas au fait des dettes du débiteur en application de la Loi.

[10]      Vers le 28 octobre 2011, le débiteur a vendu et transféré l’immeuble à des acquéreurs sans lien de dépendance pour 881 000 $. La Banque n’a pas exécuté sa sûreté contre le débiteur. L’avocat du débiteur a plutôt remis à la Banque deux chèques en fiducie de 245 147,78 $ et de 334 546,49 $ pour rembourser la marge de crédit et l’hypothèque et acquitter les sûretés enregistrées sur l’immeuble.

[11]      Par la suite, la Banque a levé la sûreté et l’hypothèque enregistrées sur l’immeuble.

[12]      Le 18 avril 2013 et le 2 février 2015, l’Agence du revenu du Canada a fait valoir un droit à l’encontre de la Banque en raison d’une fiducie réputée au titre de l’article 222 de la Loi, au motif que le produit que la Banque avait reçu de la vente de l’immeuble aurait dû être versé au receveur général, jusqu’à concurrence du montant réputé être détenu en fiducie. Le montant réclamé au titre de la fiducie réputée était de 67 854 $.

[13]      La Banque a refusé de payer le montant réclamé.

[14]      En conséquence, la Couronne a intenté une action contre la Banque pour obtenir 67 854 $, ainsi que les intérêts et les dépens. La Banque a contesté la demande.

[15]      Le procès devant la Cour fédérale s’est déroulé uniquement sur la base d’un exposé conjoint des faits.

La décision de la Cour fédérale

[16]      Pour les motifs dont la référence est 2018 CF 538, la Cour fédérale a conclu que, selon le paragraphe 222(3) de la Loi, la Banque devait verser la partie du produit de la vente qui faisait l’objet de la fiducie réputée. En arrivant à cette conclusion, la Cour fédérale a estimé ce qui suit :

         Les montants versés par le débiteur à la Banque étaient le « produit » de la vente de l’immeuble du débiteur et faisaient l’objet de la fiducie réputée (motifs, au paragraphe 16).

         Lors de la vente de l’immeuble du débiteur fiscal, celui-ci est tenu de verser le produit de la vente, ou le montant moindre qu’il faut pour rembourser la dette fiscale, au receveur général (motifs, au paragraphe 31).

         En l’espèce, le débiteur était tenu de rembourser sa dette fiscale avec le produit de la vente de l’immeuble, mais il ne l’a pas fait. Il a plutôt remboursé la Banque, une créancière garantie. Par conséquent, la Banque avait l’obligation légale de rembourser la dette fiscale au moyen du produit qu’elle a reçu (motifs, au paragraphe 33).

         En tant que créancière garantie du débiteur, la Banque ne peut pas invoquer le moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à l’encontre de l’obligation légale au paragraphe 222(3) de la Loi. Si la Banque pouvait invoquer ce moyen de défense, cela contrecarrerait l’objectif de la fiducie réputée, ce qui lui ferait perdre tout son sens (motifs, aux paragraphes 44 et 46).

         Il n’est pas nécessaire qu’il y ait d’événement déclencheur pour que la fiducie réputée qu’établit l’article 222 de la Loi existe (motifs, aux paragraphes 54 à 56).

         La fiducie réputée de la Couronne découle de l’intention expresse du législateur que certaines dettes fiscales aient un rang supérieur aux créances garanties. Le législateur voulait que le versement de la TPS à la Couronne l’emporte sur les versements aux créanciers garantis (motifs, aux paragraphes 63 et 64).

         Le législateur s’est penché sur les difficultés que la fiducie réputée pouvait présenter aux créanciers garantis en prévoyant qu’on pouvait, aux termes du paragraphe 222(4) de la Loi, avoir recours à une sûreté visée par règlement (motifs, au paragraphe 65).

[17]      Il s’agit d’un appel du jugement de la Cour fédérale selon lequel la Banque devait verser à la Couronne 67 854 $, ainsi que les intérêts.

Les questions soulevées en appel

[18]      La Banque soulève trois questions dans le présent appel :

1.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait d’événement déclencheur pour que des biens précis soient visés par la fiducie?

2.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux?

3.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte du fait que les sûretés de la Banque ne découlaient pas d’un prêt accordé à l’entreprise du débiteur?

Examen des questions en litige

a.         Interprétation textuelle, contextuelle et téléologique

[19]      Les questions soulevées dans le présent appel portent sur l’interprétation correcte des paragraphes 222(1) et (3) de la Loi. Comme il s’agit d’une question de droit, l’interprétation des dispositions par la Cour fédérale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[20]      Je commence en examinant l’interprétation qu’il convient de donner aux paragraphes 222(1) et (3) de la Loi. Il faut interpréter ces dispositions suivant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. La Cour aurait pu tirer profit d’observations bien étayées de la Banque et de l’intervenante sur ces points. Au lieu de cela, à part de brèves mentions des articles 317, 323 et 325 de la Loi (que j’examinerai ci-dessous), leurs observations ont surtout porté sur la jurisprudence antérieure et sur les passages de la jurisprudence qui appuyaient leurs observations. L’intervenante a également présenté des observations fondées sur des considérations de politique générale. Selon elle, la décision de la Cour fédérale mène à une incertitude inacceptable pour les prêteurs garantis, ce qui nuirait de façon importante aux opérations commerciales et aux prêts garantis.

[21]      Je commence en soulignant, à titre de contexte, que les montants retenus par les employeurs des salaires versés aux employés au titre de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance-emploi (les retenues à la source) doivent être versés au receveur général dans un délai donné. Les employés sont réputés avoir payé ces montants, que l’employeur les verse ou non au receveur général. Lorsqu’un employeur a effectué des retenues à la source, mais ne les a pas encore versées au receveur général, les montants sont réputés être détenus en fiducie pour Sa Majesté en raison du paragraphe 227(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

[22]      Cette fiducie est semblable aux fiducies réputées visées au paragraphe 222(1) de la Loi sur la taxe d’accise, au paragraphe 23(3) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, et au paragraphe 86(2) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23.

[23]      Ainsi, en raison de la ressemblance des dispositions sur les fiducies réputées (notamment le paragraphe 227(4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise), la jurisprudence portant sur les fiducies réputées selon la Loi de l’impôt sur le revenu est pertinente pour l’interprétation des dispositions sur les fiducies réputées de la Loi sur la taxe d’accise.

[24]      Dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411 [aux pages 431 et 432] la Cour suprême a examiné la portée des dispositions sur les fiducies réputées de la Loi de l’impôt sur le revenu qui étaient alors en vigueur. Les paragraphes 227(4) et (5) de la Loi de l’impôt sur le revenu disposaient notamment ce qui suit :

227.

(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant quelconque en vertu de la présente loi est réputée retenir le montant ainsi déduit ou retenu en fiducie pour Sa Majesté.       

(5) Malgré la Loi sur la faillite, en cas de liquidation, cession, mise sous séquestre ou faillite d’une personne, un montant égal à l’un ou l’autre des montants suivants est considéré comme tenu séparé et ne formant pas partie du patrimoine visé par la liquidation, cession, mise sous séquestre ou faillite, que ce montant ait été ou non, en fait, tenu séparé des propres fonds de la personne ou des éléments du patrimoine  :

a) le montant réputé, selon le paragraphe (4), être détenu en fiducie pour Sa Majesté;

[25]      À titre de comparaison, les paragraphes 222(1) et (3) de la Loi sur la taxe d’accise étaient libellés comme suit à l’époque :

222. (1) La personne qui perçoit un montant au titre de la taxe prévue à la section II est réputée, à toutes fins utiles, détenir ce montant en fiducie pour Sa Majesté jusqu’ à ce qu’il soit versé au receveur général ou retiré en application du paragraphe (2).

[...]

            (3) En cas de liquidation, cession, mise sous séquestre ou faillite d’une personne, un montant égal à celui réputé par le paragraphe (1) détenu en fiducie pour Sa Majesté est considéré, à toutes fins utiles, comme tenu séparé et ne formant pas partie des actifs visés par la liquidation, cession, mise sous séquestre ou faillite, que ce montant ait été ou non, en fait, tenu séparé des propres fonds de la personne ou des actifs.

[26]      Dans l’arrêt Sparrow, la majorité des juges de la Cour suprême ont conclu que la fiducie réputée au profit de la Couronne en application du paragraphe 227(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu n’avait pas priorité de rang sur les garanties que la Banque Royale possédait aux termes de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, et de la loi de l’Alberta intitulée Personal Property Security Act (Loi sur les sûretés mobilières), S.A. 1988, ch. P-4.05 (au paragraphe 89). La fiducie réputée n’avait pas pour effet de supprimer une garantie existante; elle permettait plutôt « de retourner en arrière pour chercher un élément d’actif qui, au moment où l’impôt est devenu exigible, n’était pas assujetti à une garantie opposée » (au paragraphe 99). Cela dit, la majorité des juges ont souligné qu’il était loisible au législateur d’utiliser un libellé clair pour « accorder la priorité absolue à la fiducie réputée » (au paragraphe 112).

[27]      Le législateur a accepté cette invitation et a modifié l’article 227 de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise et les dispositions équivalentes du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour suprême a ensuite examiné les dispositions modifiées sur les fiducies réputées de la Loi de l’impôt sur le revenu dans l’arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720. À l’époque, les paragraphes 227(4) et (4.1) disposaient ce qui suit :

227.

(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l’absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.   

(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et linsolvabilité (sauf les articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l’absence d’une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d’une valeur égale à ce montant sont réputés  :

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.

[28]      Le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour unanime dans l’arrêt First Vancouver, a conclu que le législateur avait modifié les dispositions relatives à la fiducie réputée « de façon à accorder la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque le ministre et des créanciers garantis font valoir concurremment un droit sur les biens du débiteur fiscal » (au paragraphe 28). La fiducie réputée n’a toutefois pas d’effet sur les biens que le débiteur fiscal vend à un acquéreur de bonne foi à titre onéreux (au paragraphe 43).

[29]      Après l’examen du contexte, j’examinerai maintenant le libellé, le contexte et l’objet des paragraphes 222(1) et (3) de la Loi sur la taxe d’accise.

[30]      Après l’arrêt Sparrow, des modifications semblables à celles apportées au paragraphe 227(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu ont été apportées à la disposition sur les fiducies réputées au paragraphe 222(1) de la Loi sur la taxe d’accise. Les mots « malgré tout droit en garantie le concernant » ont été ajoutés. Ainsi, la « personne qui perçoit un montant au titre de la [TPS] est réputée, à toutes fins utiles et malgré tout droit en garantie le concernant, [...] le détenir en fiducie pour » la Couronne, « jusqu’à ce qu’il soit versé au receveur général ou retiré » en application de la Loi.

[31]      De même, et de manière comparable aux modifications apportées à la Loi de l’impôt sur le revenu après l’arrêt Sparrow, le paragraphe 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise a été modifié pour que la fiducie s’applique également aux « biens [du débiteur fiscal] — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens ». Le paragraphe 222(3) a également été modifié pour supprimer le renvoi aux événements déclencheurs, soit la liquidation, la cession, la mise sous séquestre ou la faillite. Au lieu de cela, « lorsqu’un montant qu’une personne est réputée [...] détenir en fiducie [...] n’est pas versé au receveur général ni retiré » de la façon prévue par la Loi, « les biens [du débiteur fiscal] — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens — » sont réputés « être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par [le débiteur fiscal], [...] qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie ». Alors que le paragraphe 222(3) continuait de disposer que les montants réputés être détenus en fiducie étaient également réputés être séparés des biens du débiteur fiscal, le passage « qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie » a été ajouté. Enfin, le paragraphe 222(3) a été modifié pour ajouter que les biens réputés être détenus en fiducie sont en outre réputés être « des biens dans lesquels Sa Majesté du chef du Canada a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie ».

[32]      L’analyse qui précède est fondée sur la version anglaise des dispositions. On n’a pas fait valoir qu’il existe une ambiguïté entre la version anglaise et la version française, laquelle a également force de loi.

[33]      Je déduis du sens grammatical et ordinaire du libellé des paragraphes 222(1) et (3) que le législateur a voulu accorder la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont également grevés d’une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après la perception de la TPS. Cela découle du libellé « malgré tout droit en garantie le concernant » au paragraphe 222(1).

[34]      En l’espèce, lorsque le débiteur a perçu le montant au titre de la TPS, il était réputé « à toutes fins utiles [...] le détenir en fiducie pour Sa Majesté [...], séparé de ses propres biens » (paragraphe 222(1)).

[35]      Lorsque le débiteur n’a pas versé ou retiré le montant « selon les modalités et dans le délai prévus », les biens du débiteur « d’une valeur égale à ce montant sont réputés [...] être détenus en fiducie [...] séparés des propres biens » du débiteur fiscal, « ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est perçu », et être « des biens dans lesquels Sa Majesté [...] a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant ».

[36]      Ainsi, lorsque la Banque a prêté de l’argent au débiteur et a reçu sa garantie, les biens du débiteur, jusqu’à concurrence de la dette fiscale, étaient déjà réputés être des biens dans lesquels la Couronne a un droit de bénéficiaire (paragraphe 222(3)).

[37]      Lors de la vente des biens du débiteur, « malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant [...] le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie ».

[38]      Il s’ensuit que lorsque les biens du débiteur ont été vendus, la Banque avait l’obligation légale de verser le produit qu’elle a reçu à la Couronne en raison du paragraphe 222(3) de la Loi.

[39]      L’objet et le contexte des dispositions sur la fiducie réputée confirment le sens grammatical et ordinaire du libellé.

[40]      Ces dispositions visent à assurer la perception de la TPS non versée. Cet objectif est atteint en accordant une priorité à la fiducie réputée à l’égard des biens qui sont également grevés d’une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après la perception de la TPS, sauf dans le cas d’un droit en garantie visé par règlement. Lorsqu’on examine les dispositions correspondantes de la Loi de l’impôt sur le revenu, il est évident que l’objectif est de garantir, dans la mesure du possible, la perception d’une partie importante des recettes fiscales de l’État.

[41]      Pour atteindre cet objectif, il convient d’interpréter la disposition sur la fiducie réputée de manière à assurer qu’un créancier garanti soit tenu de remettre le produit de la vente d’un bien du débiteur qu’il reçoit et qui devient assujetti à une fiducie en faveur de la Couronne.

[42]      Les facteurs contextuels les plus importants se trouvent aux paragraphes 222(1.1) et (4) de la Loi et dans l’évolution de la Loi.

[43]      Le paragraphe 222(1.1) dispose que la fiducie disparaît au moment de la faillite à l’égard des montants perçus « ou devenus percevables » avant la faillite. À cet égard, le paragraphe 37(1) de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36, dispose ce qui suit :

Fiducies présumées

37 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et par dérogation à toute disposition législative fédérale ou provinciale ayant pour effet dassimiler certains biens à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté, aucun des biens de la compagnie débitrice ne peut être considéré comme tel par le seul effet d’une telle disposition. [Non souligné dans l’original.]

[44]      Le paragraphe 37(2) de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies prévoit plusieurs exceptions à cette disposition d’allégement. Une exception vise les paragraphes 227(4) et (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cependant, l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise ne fait pas partie des exceptions. Par conséquent, le paragraphe 37(1) s’applique aux fiducies réputées en application de la Loi sur la taxe d’accise. La Cour suprême a confirmé que la fiducie réputée en application de la Loi sur la taxe d’accise n’est pas visée par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. La protection offerte par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies est ainsi semblable à celle prévue par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379).

[45]      Cela est pertinent parce que, lorsque le ministère des Finances a annoncé les modifications postérieures au prononcé de l’arrêt Sparrow dans le communiqué de presse 1997-030, « Retenues à la source non versées et TPS impayée » (7 avril 1997), il a déclaré qu’en échange de la « priorité absolue » à accorder à la perception de la TPS non versée, « l’État a renoncé à toutes autres priorités dans les cas de faillite ». Il s’agit d’un outil d’interprétation extrinsèque pertinent qui ajoute un contexte à l’interprétation de l’article 222. Il indique que le législateur a pris la décision de politique générale qu’en échange de la priorité absolue habituelle des fiducies prévues par la Loi sur la taxe d’accise, la priorité n’existe plus en cas de faillite aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et ne s’applique pas aux arrangements en application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

[46]      Le deuxième facteur contextuel découle du fait que les paragraphes 222(1) et (3) disposent explicitement qu’ils s’appliquent malgré tout « droit en garantie ». Cette règle générale est toutefois limitée par le paragraphe 222(4), qui dispose : « Pour l’application des paragraphes (1) et (3), n’est pas un droit en garantie celui qui est visé par règlement. » Le droit en garantie est celui visé à l’article 2 du Règlement sur les droits en garantie (TPS/TVH), DORS/2011-55.

[47]      En général, une hypothèque sera un droit en garantie visé par règlement lorsqu’un prêteur enregistre une hypothèque sur l’immeuble d’un débiteur avant la constitution d’une fiducie réputée. Cela démontre encore une fois qu’on reconnaît l’éventuelle sévérité de la disposition sur la fiducie réputée et qu’on offre un moyen par lequel le créancier garanti qui prête de l’argent à un emprunteur peut se protéger et obtenir une garantie avant que l’emprunteur omette de verser la TPS qu’il a perçue. Les prêteurs qui avancent des fonds et prennent une garantie d’un emprunteur qui ne respecte pas l’obligation de verser la TPS perçue ne bénéficient pas de ces protections. Ces prêteurs peuvent toutefois se renseigner auprès de l’emprunteur relativement à l’observation des dispositions régissant la TPS et prendre certaines mesures, qui sont brièvement abordées ci-dessous.

[48]      L’évolution de la loi fait partie du « contexte global » dans lequel les lois doivent être interprétées (Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70, [2005] 3 R.C.S. 425, au paragraphe 28). En l’espèce, comme il a été expliqué ci-dessus, la Loi a été modifiée en réponse à l’arrêt Sparrow de la Cour suprême. Le législateur a voulu élargir la portée des dispositions sur les fiducies réputées afin de garantir le recouvrement des retenues à la source et de la TPS non versées en priorité sur toutes les dettes.

[49]      Après avoir examiné le libellé, le contexte et l’objet des paragraphes 222(1) et (3), je me penche maintenant sur les arguments précis présentés par la Banque et soutenus par l’intervenante.

b.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait d’événement déclencheur pour que des biens précis soient visés par la fiducie?

[50]      La Banque soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis. La Banque reconnaît que les dispositions sur la fiducie réputée accordent une priorité absolue à la Couronne, mais elle fait valoir que ces dispositions n’imposent pas d’exigence légale de faire de versement au moment où la TPS aurait dû être versée.

[51]      La Banque fait valoir qu’un principe fondamental des priorités est qu’il faut évaluer le rang au moment où des réclamations concurrentes entrent en conflit. Le droit à une priorité est essentiellement de nature réparatrice; il apparaît lorsque des créanciers prennent des mesures d’exécution ou de faillite. Lorsqu’il y a un conflit entre les réclamants et qu’il y aura insuffisance, la Couronne peut alors faire valoir sa priorité. En l’espèce, la Banque n’était pas un créancier garanti au moment où la Couronne a fait valoir sa réclamation.

[52]      Cette prétention se fonde sur le fait que le mot « priorité » apparaît vers la fin des dispositions sur la fiducie réputée au paragraphe 222(3). De plus, la Banque soutient que dans les arrêts Sparrow et First Vancouver, la Cour suprême a tenu compte du fait que la fiducie réputée faisait partie d’un mécanisme destiné à résoudre les conflits de priorité. La Banque renvoie aux paragraphes 1, 7, 99, 101, 110 et 112 de l’arrêt Sparrow et au renvoi implicite ou explicite de la Cour à la notion de priorité. La Banque se fonde également sur le paragraphe 28 de l’arrêt First Vancouver, où la Cour explique que le législateur a rédigé les dispositions sur les fiducies réputées afin d’accorder « la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont par ailleurs grevés d’une garantie » et qu’il a modifié les dispositions « de façon à accorder la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque le ministre et des créanciers garantis font valoir concurremment un droit sur les biens du débiteur fiscal ».

[53]      En outre, la Banque soutient que dans l’arrêt First Vancouver, la Cour suprême a comparé la fiducie réputée à une « charge flottante » (au paragraphe 40). La Banque fait valoir que, comme dans le cas d’une charge flottante, il doit y avoir un événement déclencheur pour que la fiducie réputée s’applique. L’événement déclencheur pourrait notamment être la faillite, une mesure d’exécution de la Couronne afin de recouvrer les impôts impayés ou l’exercice d’une sûreté.

[54]      Enfin, la Banque affirme que lorsque le législateur entend établir une obligation de faire un versement, il utilise un libellé clair. Elle renvoie aux paragraphes 317(1), 317(3), 323(1) et 325(1) de la Loi sur la taxe d’accise. De plus, la Banque soutient que les paragraphes 317(3) et (7) seraient redondants si le paragraphe 222(3) oblige un créancier garanti à faire un versement.

[55]      En toute déférence, je ne suis pas d’accord. À mon avis, pour les motifs qui suivent, il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur pour que la fiducie réputée existe.

[56]      Premièrement, comme il est mentionné plus haut, le terme « priorité » n’apparaît qu’une seule fois aux paragraphes 222(1) et (3), soit à la fin du paragraphe 222(3), qui dispose que les biens réputés être détenus en fiducie « sont des biens dans lesquels Sa Majesté [...] a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant » et que « le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie ». L’observation de la Banque ne tient pas compte des autres termes des paragraphes 222(1) et (3) et de l’attribution d’un droit de bénéficiaire, dont le produit « est payé » à la Couronne.

[57]      Deuxièmement, l’observation de la Banque ne tient pas compte de l’évolution des dispositions sur la fiducie réputée. Comme il est décrit ci-dessus [dans l’arrêt Sparrow, au paragraphe 39], la version antérieure des dispositions sur la fiducie réputée renvoyait à des événements déclencheurs comme la liquidation, la cession, la mise sous séquestre ou la faillite; il n’en est plus question dans la version actuelle. Cela représente, à mon avis, l’intention du législateur qu’il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis. La Loi dispose plutôt que les biens d’un débiteur fiscal et les biens détenus par un créancier garanti sont réputés être détenus en fiducie une fois que la TPS est perçue, mais non versée.

[58]      Troisièmement, la Banque s’appuie à tort sur l’utilisation du terme « priorité » dans l’arrêt Sparrow et au paragraphe 28 de l’arrêt First Vancouver. Au paragraphe 28 de l’arrêt First Vancouver, la Cour décrivait l’effet des dispositions modifiées. La Cour ne décrivait pas le mécanisme utilisé pour obtenir cet effet. Je crois que le paragraphe 33 des motifs de la Cour dans l’arrêt First Vancouver le démontre :

Mon opinion s’appuie en outre sur le fait que, selon le par. 227(4.1), la fiducie est réputée s’appliquer « en cas de non-versement [de retenues à la source] à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi » (je souligne). Par ailleurs, en cas de défaut, la fiducie a un effet rétroactif « à compter du moment où le montant est déduit ou retenu ». L’emploi de ces mots révèle l’intention du législateur de faire en sorte que la fiducie s’applique de manière continue, qu’elle vise tout bien qui se retrouve en la possession du débiteur (tant que ce dernier ne remédie pas au défaut) et qu’elle ait un effet rétroactif au moment de la retenue initiale. Le libellé retenu par le législateur écarte l’hypothèse voulant que la fiducie réputée ne s’applique qu’aux biens appartenant au débiteur fiscal à un moment précis.

[59]      Le fait que la Cour ait rejeté l’hypothèse voulant que « la fiducie réputée ne s’applique qu’aux biens appartenant au débiteur fiscal à un moment précis » est incompatible avec la thèse de la Banque selon laquelle il doit y avoir un événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis.

[60]      Ensuite, je rejette l’observation selon laquelle le fait que la Cour suprême a comparé la fiducie réputée à une « charge flottante » étaye l’exigence qu’il y ait un événement déclencheur pour que la fiducie réputée s’applique.

[61]      Aux paragraphes 4 et 40 de l’arrêt First Vancouver, le juge Iacobucci a bien comparé la fiducie réputée à une charge flottante, en déclarant que la fiducie réputée « s’apparente sur le plan des principes à une charge flottante » (au paragraphe 4). Cependant, je ne pense pas que le juge Iacobucci ait voulu assimiler la fiducie réputée à une charge flottante en equity dans tous les sens. Il a plutôt voulu établir une analogie pour décrire le droit d’un débiteur fiscal de vendre des biens assujettis à la fiducie réputée dans le cadre normal de ses activités.

[62]      C’est ce que démontre la conclusion du juge Iacobucci, au paragraphe 28, selon laquelle la fiducie réputée a la « priorité de rang » sur les garanties actuelles et futures. En equity, une sûreté ultérieure l’emporte sur une charge flottante. Il s’ensuit que la mention que la fiducie réputée « s’apparente sur le plan des principes à une charge flottante » n’avait pas pour but de viser tous les attributs en equity des charges flottantes. Sinon, la fiducie réputée n’aurait pas priorité sur les sûretés ultérieures.

[63]      Dans la décision Canada (Attorney General) v. Community Expansion Inc. (2004), 72 O.R. (3d) 546, [2004] O.J. no 5493 (QL), la Cour supérieure de justice de l’Ontario est parvenue à une conclusion semblable aux paragraphes 28 à 33. Cette décision a été confirmée en appel par de bref motifs manuscrits (2005 CanLII 1402, [2005] O.J. no 186 (QL)). La Cour d’appel [de l’Ontario] a déclaré [traduction] « être essentiellement d’accord avec les motifs [...] à la fois au sujet des dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu [...] et de l’interprétation de l’arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N. ».

[64]      Enfin, même si je reconnais que le législateur a rédigé des dispositions visant à recouvrer les dettes fiscales de tiers, comme le montrent les articles 317, 323 et 325 de la Loi sur la taxe d’accise, je suis d’accord avec la Cour fédérale pour dire que le droit de la Couronne au produit d’un bien réputé être détenu en fiducie découle de l’obligation légale créée lorsque le débiteur fiscal a perçu la TPS et a omis de la verser (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 64). La Couronne n’oblige pas le créancier garanti à payer lui-même la dette fiscale d’un emprunteur de la même manière que les articles 317, 323 et 325 rendent les tiers responsables de la dette fiscale d’une autre personne.

[65]      En ce qui concerne l’observation portant sur la redondance, la Banque fait valoir qu’aux termes de l’article 317 de la Loi sur la taxe d’accise, la Couronne peut signifier un avis de saisie-arrêt à un débiteur ou à un créancier garanti du débiteur fiscal, afin que les montants par ailleurs payables au débiteur fiscal soient versés à la Couronne. Le paragraphe 317(3) dispose que, dès réception de l’avis de saisie-arrêt, la somme « doit être versée au receveur général par priorité sur tout autre droit en garantie au titre de cette somme ». Le paragraphe 317(7) de la Loi dispose alors ce qui suit :

317 […]

Défaut de se conformer

(7) Toute personne qui ne se conforme pas à une exigence du paragraphe (1), (3) ou (6) est redevable à Sa Majesté du chef du Canada d’un montant égal à celui qu’elle était tenue de verser au receveur général en application d’un de ces paragraphes.

[66]      Les derniers mots du paragraphe 317(3) sont presque identiques à ceux du paragraphe 222(3) de la Loi. On affirme ainsi que, s’il est juste d’interpréter le passage « le produit [...] est payé » au paragraphe 222(3) comme obligeant le créancier garanti à payer, alors le paragraphe 317(7) serait superflu et dénué de sens.

[67]      Le législateur ne souhaite pas que les termes de la Loi soient redondants. La Banque n’a pas renvoyé à des décisions où on a eu recours au principe de la redondance lorsque le législateur a créé une série de mesures d’exécution qui peuvent s’appliquer dans un nombre presque illimité de situations possibles.

[68]      Quoi qu’il en soit, pour avoir recours à la saisie-arrêt, le ministre doit savoir qu’il y a une dette fiscale. Dans le cas de la TPS non versée, la Couronne est créancière malgré elle et ignore souvent qu’il y a une dette. Dans ce cas, la saisie-arrêt n’est pas un recours pertinent. Je ne constate aucune redondance inacceptable.

[69]      À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il ne doit pas y avoir d’événement déclencheur pour que la fiducie s’applique à des biens précis.

c.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux?

[70]      La Banque affirme qu’elle est acquéresse de bonne foi et à titre onéreux des montants reçus du débiteur. Étant donné que les dispositions de la Loi sur les fiducies réputées ne s’appliquent pas aux acquéreurs de bonne foi à titre onéreux, la Banque soutient qu’elle est en droit de conserver les fonds versés pour rembourser le prêt et l’hypothèque du débiteur. La Cour fédérale a rejeté cet argument, estimant que cette « possibilité a été écartée par l’arrêt First Vancouver et des affaires subséquentes, puisqu’elle ferait essentiellement perdre tout son sens à la fiducie réputée » (motifs, au paragraphe 44).

[71]      La Banque affirme que la Cour fédérale a commis une erreur, car [traduction] « le législateur est réputé connaître la notion qu’il invoque et ce n’est que s’il a exclu le moyen de défense de façon incontestablement claire que celui-ci est exclu ». Le moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux est bien établi en droit et [traduction] « le législateur n’a pas modifié la common law de sorte à éliminer le moyen de défense de longue date à une réclamation en equity (ou, en l’espèce, une réclamation fondée sur une fiducie réputée) ». La Banque soutient également que ce moyen de défense ne ferait pas perdre son sens à la fiducie réputée, comme l’a estimé la Cour fédérale.

[72]      À mon avis, pour les motifs qui suivent, les créanciers garantis, comme la Banque, ne peuvent avoir recours au moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux.

[73]      Premièrement, dans l’arrêt i Trade Finance Inc. c. Banque de Montréal, 2011 CSC 26, [2011] 2 R.C.S. 360, au paragraphe 60, la Cour suprême a cité et approuvé l’explication suivante du moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux :

[traduction] Le nom complet du moyen de défense en equity est « acquisition de bonne foi d’un intérêt légal à titre onéreux et sans connaissance préalable d’un intérêt préexistant en equity. » Il permet au défendeur de détenir ses droits de propriété en common law sans qu’ils ne soient entravés par les droits de propriété en equity préexistants. En d’autres termes, lorsque ce moyen de défense est invoqué, les droits de propriété en equity préexistants s’éteignent par le biais de l’opération par laquelle le défendeur acquiert ses droits de propriété en common law.

(L. Smith, The Law of Tracing (1997), page 386 (note en bas de page omise; [non souligné dans l’original]).)

[74]      Vu sous cet angle, il serait irrationnel que le législateur, dans le but de s’assurer que la TPS perçue et non versée soit recouvrée par priorité sur toutes les dettes, entende maintenir le moyen de défense offert à l’acquéreur de bonne foi et ainsi annuler le droit de bénéficiaire préexistant de la Couronne aux biens de la fiducie réputée. Comme l’a estimé la Cour fédérale, cela aurait pour effet de vider de leur contenu les dispositions sur les fiducies réputées.

[75]      Deuxièmement, bien que la Cour n’ait pas eu à examiner la question du rang des créanciers garantis dans l’arrêt First Vancouver (au paragraphe 39), le juge Iacobucci a écrit, au paragraphe 43 :

Le législateur aurait pu prévoir que les biens aliénés par le débiteur fiscal continuent d’être détenus en fiducie. Or, ce n’est pas ce qui ressort du libellé de la LIR. À cet égard, il est révélateur que, contrairement au créancier garanti, l’acquéreur à titre onéreux ne soit pas mentionné aux par. 227(4) et (4.1).

[76]      La Cour a conclu que, bien que les acquéreurs de bonne foi à titre onéreux n’étaient pas visés par la fiducie réputée, les créanciers garantis l’étaient. Cela est conforme à la conclusion selon laquelle les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert aux acquéreurs de bonne foi à titre onéreux.

[77]      Enfin, dans l’arrêt Canada (Procureure générale) c. Banque nationale du Canada, 2004 CAF 92, notre Cour a examiné si les banques et les caisses populaires qui avaient fait des prêts garantis par des hypothèques mobilières étaient des acquéresses de bonne foi, ce qui soustrairait les biens qu’elles ont pris en paiement, qu’elles ont saisis ou qu’elles ont obtenus par délaissement de la fiducie réputée (au paragraphe 19). Les débiteurs ont fait défaut de rembourser les prêts garantis par les hypothèques et de remettre les retenues à la source. Notre Cour s’est fondée sur la décision First Vancouver de la Cour suprême pour conclure que les banques et les caisses populaires ne pouvaient « être assimilées à des tiers acquéreurs. Elles sont des créancières garanties de sorte que les biens sur lesquels elles ont fait valoir leur garantie sont demeurés assujettis à la fiducie réputée, et l’étaient toujours lors de leur vente » (au paragraphe 30).

[78]      On n’a pas démontré que cette conclusion était erronée. Il s’ensuit que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert aux acquéreurs de bonne foi à titre onéreux.

d.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte du fait que les sûretés de la Banque ne découlaient pas d’un prêt accordé à l’entreprise du débiteur?

[79]      La Banque fait valoir que la Cour fédérale aurait dû établir une distinction entre un débiteur fiscal exploitant une entreprise à propriétaire unique et un débiteur fiscal exécutant des opérations à titre personnel. La Banque ne renvoie à aucune jurisprudence ou doctrine à l’appui de cette thèse, mais elle affirme que le créancier garanti ne s’est pas injustement enrichi aux dépens de la Couronne, puisqu’il n’a pas reçu le produit découlant de l’entreprise du débiteur fiscal par priorité sur la Couronne. On dit qu’il en est ainsi parce que le bien garanti n’était pas un élément d’actif de l’entreprise. En outre, la Banque fait valoir qu’un créancier garanti qui n’accorde pas de crédit à l’entreprise d’un débiteur ne peut pas se protéger ni connaître les obligations de l’entreprise.

[80]      À mon avis, ces observations ne sont pas fondées. Le paragraphe 222(1) de la Loi porte que la « personne qui perçoit un montant au titre de la [TPS] est réputée [...] le détenir en fiducie pour Sa Majesté ». C’est le débiteur de la Banque qui a perçu les montants au titre de la TPS et qui était tenu de verser les montants perçus à la Couronne.

[81]      Alors que la Banque soutient qu’un créancier garanti qui n’accorde pas de crédit à l’entreprise d’un débiteur ne peut pas se protéger ni connaître les obligations de l’entreprise, en l’espèce, l’exposé conjoint des faits ne précise pas ce que la Banque savait de la source de revenus de son débiteur et ce qu’elle a fait, le cas échéant, pour savoir si son débiteur respectait ses obligations aux termes de la Loi sur la taxe d’accise. L’exposé conjoint des faits est la seule source de preuve dont je suis saisie et il n’existe donc tout simplement pas d’élément de preuve sur ces points.

[82]      Avant de conclure, j’aborderai brièvement les arguments de politique générale avancés par la Banque et l’intervenante.

e.         Les arguments de politique générale

[83]      La Banque propose trois exemples hypothétiques qui démontreraient l’absurdité de l’interprétation adoptée par la Cour fédérale. L’intervenante présente plusieurs arguments de politique générale, notamment les suivants :

         À moins qu’un créancier garanti ne soit en droit de recevoir de son emprunteur des paiements dans le cours normal de ses activités qui ne sont pas assujettis à la fiducie réputée, il est peu probable qu’il accorde un crédit pour les chèques ou les dépôts en espèces effectués par le débiteur fiscal ou qu’il donne une mainlevée de la garantie lors du paiement si l’Agence du revenu du Canada ne confirme pas régulièrement que tous les montants de la fiducie réputée ont été payés.

         Il est anormal et illogique qu’un créancier garanti recevant le produit d’un bien du débiteur fiscal dans le cadre normal de ses activités soit personnellement tenu de payer à la Couronne le montant impayé de la TPS alors qu’aucune obligation de ce type n’est imposée à un prêteur offrant un prêt non garanti ou à tout autre créancier non garanti dont la créance est subordonnée à celle du créancier garanti.

         L’interprétation de la Cour fédérale encourage la liquidation et la faillite plutôt que les possibilités de restructuration qui peuvent préserver la valeur d’exploitation, l’emploi et d’autres avantages pour les actionnaires.

[84]      À mon avis, la réponse à ces préoccupations est que le législateur a fait un choix de politique générale réfléchi en donnant la priorité au fisc par rapport aux droits des créanciers garantis. Le législateur a tempéré l’éventuelle sévérité de ce choix en prévoyant des droits en garantie visés par règlement et en écartant les droits de la Couronne en vertu de la fiducie réputée en cas de faillite et d’arrangement aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

[85]      En outre, les prêteurs garantis peuvent, dans une certaine mesure, limiter le risque que présentent les fiducies réputées. Par exemple, ils peuvent déterminer les emprunteurs à haut risque (les personnes exploitant des entreprises à propriétaire unique, par exemple), exiger des emprunteurs qu’ils fournissent des éléments de preuve quant au respect des obligations fiscales, ou exiger que les emprunteurs les autorisent à vérifier auprès de l’Agence du revenu du Canada s’il y a, selon l’Agence, des dettes au titre de la TPS.

Conclusion

[86]      À mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur justifiant une intervention. Je rejetterais l’appel, avec dépens.

            Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord. 

            La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.


ANNEXE

Montants perçus détenus en fiducie

222 (1) La personne qui perçoit un montant au titre de la taxe prévue à la section II est réputée, à toutes fins utiles et malgré tout droit en garantie le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, séparé de ses propres biens et des biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ceux de la personne, jusqu’à ce qu’il soit versé au receveur général ou retiré en application du paragraphe (2).

Montants perçus avant la faillite

(1.1) Le paragraphe (1) ne s’applique pas, à compter du moment de la faillite d’un failli, au sens de la Loi sur la faillite et linsolvabilité, aux montants perçus ou devenus percevables par lui avant la faillite au titre de la taxe prévue à la section II.

Retraits de montants en fiducie

(2) La personne qui détient une taxe ou des montants en fiducie en application du paragraphe (1) peut retirer les montants suivants du total des fonds ainsi détenus  :

a) le crédit de taxe sur les intrants qu’elle demande dans une déclaration produite aux termes de la présente section pour sa période de déclaration;

b) le montant qu’elle peut déduire dans le calcul de sa taxe nette pour sa période de déclaration.

Ce retrait se fait lors de la présentation au ministre de la déclaration aux termes de la présente section pour la période de déclaration au cours de laquelle le crédit est demandé ou le montant déduit.

            Non-versement ou non-retrait

(3) Malgré les autres dispositions de la présente loi (sauf le paragraphe (4) du présent article), tout autre texte législatif fédéral (sauf la Loi sur la faillite et l’insolvabilité), tout texte législatif provincial ou toute autre règle de droit, lorsqu’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada n’est pas versé au receveur général ni retiré selon les modalités et dans le délai prévus par la présente partie, les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens — d’une valeur égale à ce montant sont réputés  :

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est perçu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté du chef du Canada a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie.

            Sens de droit en garantie

(4) Pour l’application des paragraphes (1) et (3), n’est pas un droit en garantie celui qui est visé par règlement.      

 

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