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A-280-17

 2019 CAF 67

 

Ministre du Revenu national (Appelant)

c.

Cameco Corporation (Intimée)

Répertorié : Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation

Cour d’appel fédérale, juges Rennie, Woods et Laskin, J.C.A.—Toronto, 28 novembre 2018; Ottawa, 3 avril 2019.

Impôt sur le revenu –– Application et exécution — Appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a rejeté la demande sommaire de l’appelant visant à obtenir une ordonnance en application de l’art. 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ordonnant à l’intimée de se conformer à la demande de l’Agence du revenu du Canada (ARC) que des employés de l’intimée répondent à des questions concernant une vérification menée par l’ARC — La vérification visait à déterminer si l’intimée s’était conformée aux règles en matière de prix de transfert à l’art. 247 de la Loi au cours des exercices 2010, 2011 et 2012 — L’ARC a donc demandé à des employés de l’intimée de se présenter à des entrevues et de répondre oralement à diverses questions que l’ARC considérait comme pertinentes à la vérification — L’intimée a refusé, mais a offert de répondre par écrit — L’appelant était d’avis que les mots « inspecter, vérifier ou examiner » de l’art. 231.1(1)a) de la Loi ont un sens large et englobent le pouvoir de poser des questions à un contribuable ou aux employés d’un contribuable — La question en litige était de savoir si l’appelant peut exiger que des employés d’une société se présentent à des entrevues et répondent oralement à des questions posées par les vérificateurs de l’ARC — Le juge Rennie, J.C.A. (le juge Laskin, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : On ne peut interpréter l’art. 231.1(1)a) de la Loi comme autorisant l’appelant à obliger le contribuable ou un de ses employés à répondre à des questions orales relativement à son obligation fiscale — Les pouvoirs décrits aux art. 231.1(1)a) et b) sont axés sur le droit de l’appelant d’accéder à des renseignements écrits qui apparaissent ou devraient apparaître dans les registres du contribuable — Le pouvoir conféré est celui d’« inspecter, vérifier ou examiner » — Ni le mot « inspecter » ni le mot « examiner » ne suggère le pouvoir de contraindre une personne à répondre à des questions — Lorsque le législateur souhaite contraindre une personne à donner des réponses orales à des questions lors d’une enquête par l’État, il le fait expressément, et non par déduction — L’objectif de la disposition est d’assurer à l’appelant un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable — Appel rejeté — La juge Woods, J.C.A. (motifs concourants) : La Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la demande devait être rejetée compte tenu des faits de l’espèce; en rejetant la demande d’ordonnance vu les faits — Il n’était pas nécessaire d’examiner de façon plus générale la portée des pouvoirs de l’appelant en matière de vérification dans le présent appel — Certains des motifs de la Cour fédérale n’ont pas résisté à un examen, mais ces aspects des motifs n’étaient pas essentiels à la décision de la Cour fédérale — Les faits appuyaient amplement la conclusion que la demande de l’appelant était excessive compte tenu des faits de l’affaire.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a rejeté la demande sommaire de l’appelant visant à obtenir une ordonnance en application du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ordonnant à l’intimée de se conformer à la demande de l’Agence du revenu du Canada (ARC) que des employés de l’intimée répondent à des questions concernant une vérification menée par l’ARC. La vérification visait à déterminer si l’intimée s’était conformée aux règles en matière de prix de transfert à l’article 247 de la Loi au cours des exercices 2010, 2011 et 2012. L’ARC a donc demandé à des employés de l’intimée, dont certains étaient au service de sociétés étrangères affiliées, de se présenter à des entrevues et de répondre oralement à diverses questions que l’ARC considérait comme pertinentes à la vérification. L’intimée a refusé, mais a offert de répondre par écrit. La Cour fédérale a conclu que l’interprétation de l’alinéa 231.1(1)a) de l’appelant ne correspondait pas à l’interprétation textuelle et contextuelle de cette disposition. Elle a également conclu que le pouvoir d’exiger des entrevues orales reviendrait, dans les faits, à accorder à l’appelant le droit d’interroger le contribuable au préalable et, par conséquent, lui permettrait de contourner les procédures prévues par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles), ce qui pourrait porter préjudice à la position de l’intimée lors du litige en cours ou lors d’un litige éventuel avec l’appelant.

L’essentiel de l’interprétation de l’alinéa 231.1(1)a) par l’appelant était que les mots « inspecter, vérifier ou examiner » ont un sens large et englobent le pouvoir de poser des questions à un contribuable ou aux employés d’un contribuable, y compris les employés de ses filiales étrangères, et d’exiger que les réponses soient fournies oralement. L’appelant a soutenu que les alinéas 231.1(1)c) et d) ne limitent pas son pouvoir de poser des questions en vertu de l’alinéa 231.1(1)a), mais élargissent plutôt son pouvoir. En réponse, l’intimée a fait valoir notamment que l’appelant demandait, dans les faits, un pouvoir de citer à comparaître qui n’a aucun fondement dans le libellé du paragraphe 231.1(1) et que, si le législateur avait eu l’intention de conférer de si vastes pouvoirs, il l’aurait fait clairement.

La question en litige était de savoir si l’appelant peut exiger que des employés d’une société se présentent à des entrevues et répondent oralement à des questions posées par les vérificateurs de l’ARC.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le juge Rennie, J.C.A. (le juge Laskin, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : Suivant l’approche moderne d’interprétation des lois, on ne peut interpréter l’alinéa 231.1(1)a) de la Loi comme autorisant l’appelant à obliger le contribuable ou un de ses employés à répondre à des questions orales relativement à son obligation fiscale. Ni le texte ni le contexte ni l’historique législatif de l’alinéa 231.1(1)a) ne soutenait la thèse de l’appelant. Ce que l’appelant cherchait à obtenir de l’intimée était des réponses orales à des questions orales concernant [traduction] « les faits qui existaient au cours de la période de 2008 à 2010 » et [traduction] « l’élaboration d’une analyse fonctionnelle » d’une opération effectuée avec un lien de dépendance entre l’intimée et sa filiale étrangère. Il s’ensuivait que la demande de l’appelant pour obtenir une ordonnance en vertu de l’article 231.7 ne portait pas sur des documents ou sur des renseignements concernant l’emplacement de ces documents et la façon dont ils ont été tenus à jour; l’appelant cherchait plutôt à mieux comprendre la dette fiscale éventuelle de l’intimée.

  Les pouvoirs décrits aux alinéas 231.1(1)a) et b) sont axés sur le droit de l’appelant d’accéder à des renseignements écrits qui apparaissent ou devraient apparaître dans les registres du contribuable. On renvoie constamment aux « livres et registre » et aux « documents » dans cet article. Le pouvoir conféré est celui d’« inspecter, vérifier ou examiner ». Ni le mot « inspecter » ni le mot « examiner » ne suggère le pouvoir de contraindre une personne à répondre à des questions. Un interrogatoire oral n’est pas visé par le sens ordinaire du mot « vérifier », particulièrement lorsque le mot porte sur l’obligation fiscale. La lecture de l’alinéa a) à la lumière de l’alinéa d) renforce l’intention du législateur que l’appelant ait, au minimum, un accès complet et sans entrave aux registres du contribuable.

En ce qui concerne l’analyse contextuelle de l’article 231.1, lorsque le législateur souhaite contraindre une personne à donner des réponses orales à des questions lors d’une enquête par l’État, il le fait expressément, et non par déduction. L’objectif de l’article 231.1 est d’assurer à l’appelant un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable, alors que l’objectif de l’article 231.7 est de permettre d’avoir recours aux pouvoirs de la Cour en cas de refus. En outre, l’alinéa 231.1(1)a) n’est pas la seule source des pouvoirs d’enquête de l’appelant. L’appelant peut pénétrer dans le lieu où est exploitée une entreprise (alinéa 231.1(1)c)), demander des renseignements ou des documents de tiers (article 231.2), examiner les biens ainsi que tout procédé du contribuable ou d’une autre personne (alinéa 231.1(1)b)), etc. En ce qui concerne le pouvoir de l’appelant d’exiger des réponses orales au cours d’une vérification, la question de savoir si ce pouvoir est nécessaire pour assurer que la fonction de vérification ne soit pas minée est une question de politique qui relève de l’appelant et du législateur.

  L’alinéa 231.1(1)a) (et l’article 231.1 dans son ensemble) résulte de modifications à la Loi en 1986, qui visaient à ce « que soient clairement indiquées les limites des pouvoirs d’application de la Loi de Revenu Canada ». L’élimination du mot « oralement » de l’obligation de répondre à toutes les questions appropriées « se rapportant à la vérification » et l’élimination de l’obligation de fournir des réponses sous serment ou par déclaration exigée par la loi parlaient d’elles-mêmes. L’introduction simultanée de pouvoirs explicites d’enquête à l’article 231.4 était également significative. À la lumière de cet historique législatif, l’observation de l’appelant que le mot « vérifier » à l’alinéa 231.1(1)a) confère lui-même un pouvoir général d’exiger des réponses orales relativement aux obligations fiscales a été rejetée. Il en résulterait un pouvoir considérablement plus large que celui décrit à l’article 231.4, dépouillé des protections procédurales, ce qui serait contraire à l’intention du législateur.

La juge Woods, J.C.A. (motifs concourants) : L’appel devait être rejeté, mais pour des motifs différents. La Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la demande devait être rejetée compte tenu des faits de l’espèce. Il n’était pas nécessaire d’examiner de façon plus générale la portée des pouvoirs de l’appelant en matière de vérification dans le présent appel. La Cour fédérale a fondé sa décision sur les faits « uniques et contraignants » de l’espèce, qui étaient tous pertinents à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale en application de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Vu ces faits, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant la demande d’ordonnance. L’ordonnance est de nature discrétionnaire et notre Cour doit « “faire preuve d’un haut degré de déférence et n’intervenir qu’avec circonspection, lorsqu’il est établi que le pouvoir a été exercé de manière abusive, déraisonnable ou non judiciaire” ». Certains des motifs de la Cour fédérale n’ont pas résisté à un examen, mais ces aspects des motifs n’étaient pas essentiels à la décision de la Cour fédérale. Les faits appuyaient amplement la conclusion que la demande de l’appelant était excessive compte tenu des faits de l’affaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 152(8), 225.1(7), 230, 231.1, 231.2, 231.4, 231.7, 247.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 231.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 10.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 45.65.

Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9, art. 30, 36.

Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, art. 8.7, 8.8.

Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, L.C. 1989, ch. 3, art. 19.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, art. 23.

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61, [2017] 4 R.C.F. 355; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87.

décisions examinées :

Rona Inc. c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 118; Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643; Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612.

décisions citées :

Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; R. v. He, 2012 BCCA 318, 289 C.C.C. (3d) 184; R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757; R. v. Goulis (1981), 233 O.R. (2d) 55, [1981] O.J. no 637 (QL) (C.A.); Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715; Saipem Luxembourg S.V. c. Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] 3 R.C.S. vii; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; Sarmadi c. Canada, 2017 CAF 131; Toronto (City) v. Polai, [1970] 1 O.R. 483, (1969), 8 D.L.R. (3d) 689 (C.A. Ont.); Dreco Energy Services Ltd. v. Wenzel, 2008 ABCA 290 (CanLII), 440 A.R. 273; Morguard Residential v. Mandel, 2017 ONCA 177; Canada (Revenu national) v. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; Cameco Corporation c. La Reine, 2018 CCI 195; Québec (Directeur des poursuites criminelles et pénales) c. Jodoin, 2017 CSC 26, [2017] 1 R.C.S. 478.

DOCTRINE CITÉE

Le Petit Robert, éd. 2011, « vérifier ».

Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, feuilles mobiles. Aurora, Ont. Canada Law Book, 2018.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.

Wilson, Michael. Notes techniques relatives au projet de loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois connexes, Ottawa : ministère des Finances, 1985.

  APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2017 CF 763, [2018] 2 R.C.F. 524), qui a rejeté la demande sommaire de l’appelant visant à obtenir une ordonnance en application du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Margaret McCabe et Anne Jinnouchi pour l’appelant.

David Jacyk, Al Meghji et Peter Macdonald pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada pour l’appelant.

Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rennie, J.C.A. :

I.    Introduction

[1]        La question en litige dans le présent appel est de savoir si le ministre du Revenu national peut exiger que des employés d’une société se présentent à des entrevues et répondent oralement à des questions posées par les vérificateurs de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Le ministre soutient que l’alinéa 231.1(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl), ch. 1 (la Loi), lui confère le pouvoir de le faire.

[2]        Lors d’une vérification visant à déterminer si Cameco Corporation s’était conformée aux règles en matière de prix de transfert à l’article 247 de la Loi au cours des exercices 2010, 2011 et 2012, l’ARC a demandé à des employés de Cameco, dont certains étaient au service de sociétés étrangères affiliées, de se présenter à des entrevues et de répondre oralement à diverses questions que l’ARC considérait comme pertinentes à la vérification. Cameco a refusé, mais a offert de répondre par écrit.

[3]        Le ministre a ensuite présenté une demande sommaire à la Cour fédérale afin d’obtenir une ordonnance en application du paragraphe 231.7(1) [de la Loi] ordonnant à Cameco de se conformer à la demande de l’ARC.

[4]        La Cour fédérale a rejeté la demande (2017 CF 763, [2018] 2 R.C.F. 524 [motifs], la juge McVeigh). La Cour a conclu que l’interprétation de l’alinéa 231.1(1)a) du ministre ne correspondait pas à l’interprétation textuelle et contextuelle de cette disposition. La Cour a également conclu que le pouvoir d’exiger des entrevues orales reviendrait, dans les faits, à accorder au ministre le droit d’interroger le contribuable au préalable et, par conséquent, lui permettrait de contourner les procédures prévues par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a (les Règles), ce qui pourrait porter préjudice à la position de Cameco lors du litige en cours ou lors d’un litige éventuel avec le ministre. Le ministre a interjeté appel de cette décision.

[5]        Le paragraphe 231.1(1) [de la Loi] est rédigé ainsi :

Enquêtes

231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

b) examiner les biens à porter à l’inventaire d’un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d’une autre personne ou toute matière concernant l’un ou l’autre dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir l’exactitude de l’inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

à ces fins, la personne autorisée peut :

c) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres;

d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l’accompagner sur les lieux.        

[6]        Comme c’est le cas en l’espèce, si le contribuable n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre a demandés, le ministre peut demander une ordonnance de la Cour fédérale en application du paragraphe 231.7(1) de la Loi :

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.     

[7]        L’essentiel de l’interprétation de l’alinéa 231.1(1)a) par le ministre est que les mots « inspecter, vérifier ou examiner » ont un sens large et englobent le pouvoir de poser des questions à un contribuable ou aux employés d’un contribuable, y compris les employés de ses filiales étrangères, et d’exiger que les réponses soient fournies oralement. Selon la conception du ministre, le terme « vérifier » sous-entend le droit d’obtenir des renseignements et comprend une obligation correspondante de fournir les renseignements demandés. Le ministre soutient que son interprétation de l’alinéa a) correspond à l’objet de la disposition, qui est de permettre au ministre de vérifier les renseignements des contribuables et de garantir le respect de la Loi, et que cette interprétation correspond à l’intérêt public à l’appui du système d’autocotisation.

[8]        Le ministre soutient que les alinéas 231.1(1)c) et d) ne limitent pas son pouvoir de poser des questions en vertu de l’alinéa 231.1(1)a), mais élargissent plutôt son pouvoir de façon à inclure celui de demander et d’obtenir des réponses à des questions orales de toute personne qui se trouve dans les locaux commerciaux du contribuable. Dans l’analyse de la portée du pouvoir conféré par l’alinéa a), le ministre souligne les désavantages inhérents auxquels il fait face dans un régime d’autodéclaration et il précise que c’est à lui, et non au contribuable, qu’il revient de déterminer l’étendue et la portée d’une vérification.

[9]        En réponse, Cameco fait valoir que le ministre demande, dans les faits, un pouvoir de citer à comparaître qui n’a aucun fondement dans le libellé du paragraphe 231.1(1). Si le législateur avait eu l’intention de conférer de si vastes pouvoirs, il l’aurait fait clairement. Cameco soutient également que, lorsqu’elle est mise en contexte, l’interprétation par le ministre de l’alinéa 231.1(1)a) n’est pas conforme à l’économie de la Loi. Elle rend l’alinéa 231.1(1)d) et le passage intercalaire du paragraphe 231.1(1) superflus et mine les protections établies pour les contribuables par le législateur relativement au pouvoir d’enquête du ministre en vertu de l’article 231.4.

[10]      Se fondant sur le sens ordinaire de l’alinéa 231.1(1)a) et la décision de notre Cour dans BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61, [2017] 4 R.C.F. 355 (BP Canada), Cameco soutient que les pouvoirs accordés par cette disposition se rapportent aux renseignements écrits et non à tout type de renseignements. Enfin, Cameco souligne qu’elle a coopéré avec l’ARC pendant la vérification, mis à part la demande d’entrevues orales. Selon Cameco, il s’agit là de faits pertinents à l’exercice par la Cour fédérale de son pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance en application de l’article 231.7.

II.   Analyse

[11]      Il est bien établi que l’interprétation de dispositions précises de la Loi est une question de droit (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 44). La norme de contrôle applicable à l’interprétation par la juge de première instance de l’alinéa 231.1(1)a) est donc celle de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 33.

[12]      Suivant l’approche moderne d’interprétation des lois (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559), on ne peut interpréter l’alinéa 231.1(1)a) comme autorisant le ministre à obliger le contribuable ou un de ses employés de répondre à des questions orales relativement à son obligation fiscale. Ni le texte ni le contexte ni l’historique législatif de l’alinéa 231.1(1)a) ne soutient la thèse du ministre.

[13]      Cependant, une mise en garde découle de l’alinéa 231.1(1)d). Si le vérificateur souhaite consulter des documents, le législateur a clairement établi qu’il peut poser des questions et demander l’aide de la Cour afin que le contribuable en divulgue la provenance et l’emplacement. Ce n’est pas ce qu’on cherche en l’espèce.

[14]      Ce que le ministre cherchait à obtenir de Cameco, comme l’indiquent les lettres reçues des vérificateurs de l’ARC, était des réponses orales à des questions orales concernant [traduction] « les faits qui existaient au cours de la période de 2008 à 2010 » et [traduction] « l’élaboration d’une analyse fonctionnelle » d’une opération effectuée avec un lien de dépendance entre Cameco et sa filiale étrangère. Il s’ensuit que la demande du ministre pour obtenir une ordonnance en vertu de l’article 231.7 ne portait pas sur des documents ou sur des renseignements concernant l’emplacement de ces documents et la façon dont ils ont été tenus à jour; le ministre cherchait plutôt à mieux comprendre la dette fiscale éventuelle de Cameco.

A.  Le texte

[15]      Les pouvoirs décrits aux alinéas 231.1(1)a) et b) sont axés sur le droit du ministre d’accéder à des renseignements écrits qui apparaissent ou devraient apparaître dans les registres du contribuable. On renvoie constamment aux « livres et registre » et aux « documents » dans cet article. Le ministre peut également examiner tout « bien » ou « procédé » afin de « contrôler [...] les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer ». Dans l’arrêt BP Canada, le juge en chef Noël a souligné, au paragraphe 58, que le paragraphe 231.1(1) « n’aurait pu être libellé en termes plus généraux » et qu’il vise des documents « qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi ». On a également souligné dans d’autres décisions le fait que l’alinéa a) insiste sur les livres et registres (voir R. v. He, 2012 BCCA 318, 289 C.C.C. (3d) 184, au paragraphe 60; R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 53).

[16]      Selon le ministre, toutefois, le mot « audit », ou « vérification », signifie à l’origine « entendre », et pour entendre, il doit y avoir quelque chose à entendre, c’est-à-dire une réponse orale à une question.

[17]      Je ne trouve pas cet argument convaincant.

[18]      Le pouvoir conféré est celui d’« inspecter, vérifier ou examiner ». Ni le mot « inspecter » ni le mot « examiner » ne suggère le pouvoir de contraindre une personne à répondre à des questions. Au contraire, leur sens ordinaire exprime une recherche autonome, en l’espèce celle des « livres et registres » du contribuable. Lorsque deux ou plusieurs mots ayant un sens semblable sont regroupés, ils prennent le sens l’un de l’autre, le terme plus général étant restreint à un sens comparable à celui du terme moins général : voir R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd., Markham, Ont. : LexisNexis, 2014) (Sullivan), à la page 230, qui renvoie à R. v. Goulis, (1981), 233 O.R. (2d) 55 , à la page 61, [1981] O.J. no 637 (QL) (C.A.).

[19]      Un interrogatoire oral n’est pas visé par le sens ordinaire du mot « vérifier », particulièrement lorsque le mot porte sur l’obligation fiscale. Le libellé français n’étaye pas non plus l’argument du ministre (Le Petit Robert, éd. 2011, « vérifier » : examiner la valeur de (qqch.), par une confrontation avec les faits ou par un contrôle de la cohérence interne).

[20]      Le sens ordinaire des alinéas 231.1(1)c) et d) confirme cette conclusion concernant la portée de l’alinéa a). Le pouvoir conféré aux alinéas c) et d) est celui d’exercer les pouvoirs accordés aux alinéas a) et b). C’est l’effet des mots « à ces fins » au passage intercalaire de ce paragraphe. Ainsi, l’objectif de l’alinéa c) est d’avoir accès aux registres du contribuable. Il confère le pouvoir de « pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien [...] ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres ».

[21]      L’alinéa d) est instructif. Il dispose que « le propriétaire, ou la personne ayant la gestion », ou « toute autre personne présente sur les lieux », doit « fournir toute l’aide raisonnable » et doit « répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi ». La lecture de l’alinéa a) à la lumière de l’alinéa d) renforce l’intention du législateur que le ministre ait, au minimum, un accès complet et sans entrave aux registres du contribuable. La présence du contribuable n’est même pas requise, puisque l’obligation de fournir toute l’aide raisonnable incombe à la personne responsable présente sur les lieux de l’entreprise. Le propriétaire ou la personne ayant la gestion est la personne qui est vraisemblablement en position d’aider et de répondre aux questions afin de trouver les documents et les registres dans les locaux de l’entreprise. En faisant cette observation, je mets l’accent sur le fait que l’appel porte sur les pouvoirs conférés à l’alinéa 231.1(1)a). Les parties n’ont pas fait d’observations sur la question de savoir si l’alinéa 231.1(1)d) confère un pouvoir indépendant d’obliger à comparaître et à répondre à des questions semblables à celles du ministre en l’espèce.

[22]      Dans ce contexte, le terme « aide » ne signifie pas répondre à des questions générales relativement aux obligations fiscales ou aux questions soulevées lors de la vérification. En termes généraux, il faut faire la distinction entre, d’une part, l’obligation d’aider le vérificateur à avoir accès aux documents, aux registres et aux renseignements qui expliquent ce que le contribuable a fait et, d’autre part, les questions posées au contribuable afin de comprendre les faits, les hypothèses et les autres facteurs qu’il a pris en compte au moment de préparer sa déclaration de revenus. Comme notre Cour l’a dit dans l’arrêt BP Canada, au paragraphe 82, même si les vérificateurs ont droit, en vertu de l’alinéa d), à toute l’aide raisonnable, « ils ne peuvent contraindre les contribuables à révéler leurs “ points faibles ” ». D’autres régimes fédéraux d’inspection et de vérification présentent une structure comparable : voir, par exemple, la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, article 23, la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, articles 8.7 et 8.8, et la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9, articles 30 et 36. L’obligation d’aider s’applique à la recherche, à l’examen ou à l’analyse des documents.

[23]      Je conclus sur ce point en revenant à la thèse du ministre selon laquelle le droit d’exiger des réponses orales découle implicitement du mot « vérifier ». Si l’obligation de répondre à des questions était sous-entendue à l’alinéa a), alors l’obligation à l’alinéa d) et le pouvoir exprès d’exiger des réponses seraient inutiles. Il faut éviter les interprétations qui rendent une partie d’une loi superflue ou redondante : Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, au paragraphe 45.

B.  Le contexte

[24]      Un autre élément important est le fait que l’article 231.1 suit immédiatement l’article 230, qui oblige un contribuable à tenir des registres et dossiers à son établissement commercial. L’objet de ces deux dispositions, lorsqu’elles sont analysées conjointement, est de permettre au ministre de vérifier de manière indépendante, en se fondant sur les registres à l’établissement commercial du contribuable, l’obligation fiscale et la conformité avec la loi : Saipem Luxembourg S.V. c. Canada ( Douanes et Revenu), 2005 CAF 218 (Saipem), au paragraphe 11, autorisation d’interjeter appel refusée, no 31076 [[2005] 3 R.C.S. vii]] (C.S.C.). Il existe une différence entre mener un examen indépendant au moyen d’une vérification et contraindre à répondre à des questions.

[25]      Pour poursuivre l’analyse contextuelle, lorsque le législateur souhaite contraindre une personne à donner des réponses orales à des questions lors d’une enquête par l’État, il le fait expressément, et non par déduction. L’article 231.4 fournit un exemple, mais il en existe beaucoup d’autres : voir la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, L.C. 1989, ch. 3, article 19, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 45.65, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 10. Les présomptions de cohérence et d’uniformité s’appliquent à l’ensemble des lois du législateur : R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 30; Sullivan, aux pages 422 à 424.

C.  L’objet

[26]      Je vais maintenant examiner l’observation du ministre selon laquelle le pouvoir de contraindre est compatible avec un examen téléologique de la disposition.

[27]      L’avocat de la Couronne a souligné l’importance du pouvoir du ministre de poser des questions aux contribuables afin de vérifier les renseignements reçus dans un régime d’autocotisation. Je conviens que cet aspect est important. Toutefois, cet objectif, aussi important soit-il, ne peut remplacer le libellé du législateur : Sullivan, à la page 49. L’objectif de l’article 231.1 est d’assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable, alors que l’objectif de l’article 231.7 est de permettre d’avoir recours aux pouvoirs de la Cour en cas de refus.

[28]      Je suis également d’accord avec l’observation du ministre selon laquelle tous les contribuables doivent coopérer pleinement lors de demandes raisonnables faites au cours d’une vérification. Toutefois, le fait que j’aie conclu que le ministre n’a pas le pouvoir de contraindre un contribuable à répondre à des questions lors de la vérification ne signifie pas que le pouvoir de vérification disparaît en présence de contribuables récalcitrants. Le ministre peut tirer des conclusions lorsqu’on ne lui fournit pas de réponse. Le ministre est également libre de formuler des hypothèses et d’établir des cotisations en se fondant sur celles-ci. La Loi dispose que l’obligation fiscale établie par le ministre est réputée valide et exécutoire (sous réserve d’un appel ou d’une nouvelle cotisation) (paragraphe 152(8)), et lors d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt, le contribuable a le fardeau de renverser les hypothèses de fait du ministre (Sarmadi c. Canada, 2017 CAF 131, au paragraphe 31). Le ministre peut également exiger que les grandes sociétés comme Cameco versent 50 p. 100 de l’impôt établi dans la cotisation immédiatement (paragraphe 225.1(7)).

[29]      En outre, l’alinéa 231.1(1)a) n’est pas la seule source des pouvoirs d’enquête du ministre. Le ministre peut également pénétrer dans le lieu où est exploitée une entreprise (alinéa 231.1(1)c)), demander des renseignements ou des documents de tiers (article 231.2), examiner les biens ainsi que tout procédé du contribuable ou d’une autre personne (alinéa 231.1(1)b)), pénétrer dans une maison d’habitation avec un mandat (paragraphes 231.1(2) et 231.1(3)), autoriser une enquête officielle (article 231.4), et, s’il y a lieu, demander à la Cour fédérale d’ordonner au contribuable de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 et 231.2 (article 231.7).

[30]      En formulant ces observations, je veux être clair : je ne dis pas que ces pouvoirs sont suffisants pour rendre inutile un pouvoir d’exiger des réponses orales au cours d’une vérification. La question de savoir si ce pouvoir est nécessaire pour assurer que la fonction de vérification ne soit pas minée est une question de politique qui relève du ministre et du législateur et sur laquelle la Cour n’a aucune opinion.

D.  L’historique législatif

[31]      Bien que je sois certain de la clarté de l’intention du législateur relativement à l’objet de l’alinéa 231.1(1)a), l’historique législatif de cette disposition dissipe tout doute possible.

[32]      L’alinéa 231.1(1)a) (et l’article 231.1 dans son ensemble) résulte de modifications à la Loi en 1986, qui visaient à ce « que soient clairement indiquées les limites des pouvoirs d’application de la Loi de Revenu Canada » : voir le document du ministère des Finances,  Notes techniques relatives au projet de loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois connexes  [par M. Wilson] (novembre 1985), aux pages 143 et 144. Le prédécesseur du paragraphe 231.1(1) actuel (qui était alors l’article 231 [de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63]) était rédigé ainsi :

 

     231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre, pour toute fin relative à l’application ou à l’exécution de la présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous lieux ou endroits dans lesquels l’entreprise est exploitée ou des biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou registres, et

a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte, pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de l’impôt exigible en vertu de la présente loi,

b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous biens, procédés ou matière dont l’examen peut, à son avis, lui aider à déterminer l’exactitude d’un inventaire ou à contrôler les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt exigible en vertu de la présente loi,

c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l’entreprise et toute autre personne présente sur les lieux de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son examen, et de répondre à toutes questions appropriées se rapportant à la vérification ou à l’examen, soit oralement, soit, si cette personne l’exige, par écrit, sous serment ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le propriétaire ou le gérant de l’accompagner sur les lieux, et

d) si, au cours d’une vérification ou d’un examen, il lui semble qu’une infraction à la présente loi ou à un règlement a été commise, cette personne autorisée peut saisir et emporter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui peuvent être requis comme preuves de l’infraction à toute disposition de la présente loi ou d’un règlement. [Non souligné dans l’original.]

[33]      L’élimination du mot « oralement » de l’obligation de répondre à toutes les questions appropriées « se rapportant à la vérification » et l’élimination de l’obligation de fournir des réponses sous serment ou par déclaration exigée par la loi parlent d’elles-mêmes. L’introduction simultanée de pouvoirs explicites d’enquête à l’article 231.4 est également significative. Cette nouvelle disposition établit une procédure pour désigner un président d’enquête (paragraphe 231.4(2)), les pouvoirs du président d’enquête (paragraphe 231.4(3)), les droits des témoins à l’enquête (paragraphe 231.4(5)) et les droits des personnes dont les affaires donnent lieu à enquête (paragraphe 231.4(6)).

[34]      À la lumière de cet historique législatif, je ne suis pas d’accord avec l’observation du ministre que le mot « vérifier » à l’alinéa 231.1(1)a) confère lui-même un pouvoir général d’exiger des réponses orales relativement aux obligations fiscales. Il en résulterait un pouvoir considérablement plus large que celui décrit à l’article 231.4, dépouillé des protections procédurales, ce qui serait contraire à l’intention du législateur.

E.  Les questions connexes

[35]      Il reste les motifs de la Cour fédérale rejetant la demande d’ordonnance en se fondant en partie sur certains facteurs discrétionnaires. Puisque la juge avait conclu que le paragraphe 231.7(1) n’accordait pas le pouvoir d’exiger des réponses, ses motifs à cet égard sont incidents. Toutefois, puisqu’on pourrait se fonder sur ces motifs lors d’autres demandes d’ordonnance, il convient de les examiner. Je désire également formuler des observations sur les motifs de ma collègue la juge Woods, qui conclut que même si le ministre avait le pouvoir de contraindre les dirigeants de Cameco à témoigner, la Cour ne devrait néanmoins pas rendre d’ordonnance.

[36]      Ma première observation est que lorsqu’une question découle clairement d’un dossier complet, qu’elle a joué un rôle dans la décision et que, comme c’est le cas en l’espèce, elle a fait l’objet d’observations complètes par des avocats expérimentés qui demandent à la Cour de régler une question en litige, la Cour ne devrait pas refuser de trancher la question, peu importe sa difficulté. Une approche minimaliste n’est pas compatible avec l’orientation de la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, selon laquelle les cours doivent favoriser un virage culturel qui encourage la résolution des litiges de manière efficace et conforme aux principes. La question reviendra très certainement, compte tenu de sa nature, des parties et des enjeux pour chacune d’elles. En tranchant la question qui nous est soumise, nous éviterons des litiges coûteux et superflus à l’avenir et nous fournirons l’orientation nécessaire aux parties et aux autres.

[37]      Ma deuxième observation porte sur la pertinence du principe de la « conduite irréprochable » pour décider s’il faut rendre une ordonnance. Ce principe ne joue aucun rôle pour décider s’il faut rendre une ordonnance. Le principe de la conduite irréprochable est un principe d’equity en vertu duquel on peut refuser à une partie un redressement auquel elle aurait normalement droit en raison de son comportement antérieur ou de sa mauvaise foi. Fait important, pour qu’un comportement antérieur puisse justifier le refus d’un redressement, la conduite doit porter directement sur l’enjeu même de la revendication : Toronto (City) v. Polai, [1970] 1 O.R. 483, aux pages 493 et 494, 8 D.L.R. (3d) 689 (C.A. Ont.); Dreco Energy Services Ltd. v. Wenzel, 2008 ABCA 290 (CanLII), 440 A.R. 273, au paragraphe 13; Morguard Residential v. Mandel, 2017 ONCA 177, au paragraphe 18; Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (feuilles mobiles) Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2018 (feuilles mobiles, mis à jour en novembre 2018), au paragraphe 1.1030.

[38]      La règle de la conduite irréprochable ne s’applique pas à la demande d’ordonnance du ministre en application de l’article 231.7. La règle ne pourrait s’appliquer qu’au ministre, qui est la partie cherchant à obtenir un redressement discrétionnaire en application de l’article 231.7. Même alors, la jurisprudence de notre Cour est claire : le contrôle de la demande du ministre repose sur l’abus de procédure et non sur de vagues notions d’équité : Rona Inc. c. Ministre du Revenu national, 2017 CAF 118, au paragraphe 7; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, au paragraphe 36. La question de savoir si une demande d’ordonnance est abusive ne peut être tranchée avec précision sans contexte. Il est préférable de laisser le juge de la Cour fédérale décider chaque cas dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, en se fondant sur la preuve et les observations dans chaque cas précis. Toutefois, il pourrait y avoir abus lorsque le juge est convaincu qu’on demande les documents pour une raison inappropriée ou cachée ou pour une raison qui n’est pas conforme à la politique de l’ARC.

[39]      En pratique, à mesure que le vérificateur remontera la piste de vérification, la vérification deviendra probablement plus ciblée et les demandes viseront des aspects plus précis qui pourraient révéler des problèmes. Le fait qu’un contribuable a coopéré auparavant en répondant à une série de demandes lors d’une vérification ne signifie pas qu’il ne faudrait pas rendre d’ordonnance pour la demande suivante. Le fait qu’un contribuable puisse dire « maintenant, vous vous approchez trop du feu, je vais cesser de coopérer » et invoquer sa coopération antérieure comme moyen de défense à la demande d’ordonnance pourrait contrecarrer l’objectif de l’article 231.1. En résumé, le principe ne joue aucun rôle pour décider s’il faut rendre une ordonnance en application de l’article 231.7.

[40]      Je me penche maintenant sur la question de savoir si le fait d’obliger Cameco à répondre pourrait lui porter préjudice lors d’un litige actuel ou futur à la Cour canadienne de l’impôt. Ce facteur a pesé lourd dans la décision de la juge de la Cour fédérale d’accorder ou non l’ordonnance.

[41]      En l’absence d’un lien direct entre la Loi de l’impôt sur le revenu et les Règles de la Cour canadienne de l’impôt, les Règles, comme dispositions légales subordonnées, n’aident pas à interpréter la portée du pouvoir du ministre en application de l’alinéa 231.1(1)a). En outre, la question de savoir si les questions posées lors d’une vérification peuvent avoir des conséquences directes ou indirectes sur les litiges actuels ou futurs n’est pas un facteur discrétionnaire pertinent. La question de l’admissibilité des éléments de preuve et des préjudices subis par le contribuable en raison de réponses fournies lors d’une vérification relève du juge de la Cour canadienne de l’impôt, en vertu du droit et des procédures en matière de preuve; elle ne se présente pas lors de la vérification.

[42]      De même, je suis d’accord avec le ministre que le principe de la proportionnalité n’a aucun rôle à jouer lors d’une demande d’ordonnance en application de l’article 231.7. La proportionnalité est un principe important de la communication préalable au civil, où on évalue les demandes de documents pertinents selon le fardeau que leur production pourrait imposer. Cette évaluation tient compte des actes de procédure, qui définissent la pertinence. Les critères qui établissent les documents qu’il faut remettre lors de la vérification sont considérablement différents. L’ARC doit avoir accès aux documents « [q]u’il existe ou non une possibilité ou une probabilité » que la vérification mènera à une autre enquête ou à une nouvelle cotisation : Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, au paragraphe 22.

[43]      Le ministre a le droit de déterminer la portée d’une vérification, la méthode utilisée et son orientation. Comme il est indiqué dans BP Canada, au paragraphe 82, « les vérificateurs doivent procéder à une foule de contrôles et ne peuvent compter essentiellement que sur leur propre initiative lorsqu’ils vérifient les sommes déclarées par le contribuable ». Les vérificateurs ne sont pas liés par les actes de procédure ou les règles de la pertinence. Le déroulement d’une vérification dépend d’une multitude de facteurs, notamment l’expérience et la formation du vérificateur, l’état des registres, l’histoire fiscale du contribuable ainsi que des facteurs externes au contribuable visé.

[44]      Finalement, vu le dossier dont nous sommes saisis, l’imprécision ne peut être considérée comme un facteur pertinent. Cameco a offert de répondre aux questions par écrit. Il est impossible que les questions soient suffisamment précises pour qu’on puisse y répondre par écrit, mais trop vagues pour qu’on puisse y répondre oralement. J’aimerais également ajouter qu’un grand nombre des objections de Cameco à l’ordonnance portaient sur des difficultés éventuelles lors de sa mise en œuvre. Elles étaient prématurées et spéculatives.

[45]      Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

            Le juge Laskin, J.C.A. : Je suis d’accord.

 

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[46]      La juge Woods, J.C.A. (motifs concourants) : Le ministre a interjeté appel d’une décision de la Cour fédérale, qui rejetait sa demande d’ordonnance en application de l’article 231.7 de la Loi. Je suis d’accord avec la décision proposée par mon collègue le juge Rennie, mais pour des motifs différents. Je suis d’avis que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la demande devait être rejetée compte tenu des faits de l’espèce. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner de façon plus générale la portée des pouvoirs du ministre en matière de vérification dans le présent appel.

[47]      Il existe une question préliminaire portant sur le caractère théorique. Selon le mémoire de Cameco, au moment de la présente décision, toutes les années d’imposition pertinentes seront prescrites. Par conséquent, il semble probable que l’ARC n’exécuterait pas d’ordonnance. Cameco a soulevé la question du caractère théorique devant la Cour fédérale, qui a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’en tenir compte puisque la demande a été rejetée pour d’autres motifs (motifs, au paragraphe 51).

[48]      Il aurait été utile à la Cour de recevoir les observations des avocats sur la question de savoir si la Cour devrait entendre l’appel bien qu’il semble théorique. Cela ne s’est pas produit. Par conséquent, je présumerai qu’il convient de trancher l’appel sur le fond au motif que la même question de vérification se présentera probablement à l’avenir.

[49]      Je vais maintenant expliquer pourquoi, à mon avis, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande.

[50]      Je commencerai par une description de l’ordonnance demandée, puisque cela est fondamental à l’appel. Le ministre cherche à faire respecter deux lettres de demande de vérification délivrées à Cameco en 2013 et en 2014 (dossier d’appel, aux pages 52 à 74). De façon générale, l’ARC souhaite interroger oralement environ 25 personnes. Les demandes contiennent les autres détails suivants :

  • Les entrevues ont pour but de [traduction] « faciliter l’élaboration d’une analyse fonctionnelle [...] les fonctions exécutées, les biens utilisés et les risques encourus ».
  • Les 25 personnes visées par la demande étaient des employés actuels de Cameco et de ses filiales aux États-Unis, en Europe et à la Barbade. L’ARC s’est réservé le droit de supprimer des noms de cette liste ou d’en ajouter à mesure que les entrevues progressaient.
  • L’ARC se réservait également le droit de chercher à interroger d’anciens employés, s’ils étaient disponibles.
  • Cameco devait également fournir les noms d’autres personnes qu’il serait pertinent d’interroger.
  • Les entrevues devaient se dérouler à un endroit convenant à Cameco, que ce soit au Canada, dans les bureaux à l’étranger ou par visioconférence.
  • L’ARC reconnaissait que la liste des personnes à interroger était imposante et suggérait qu’il pourrait être préférable de mener les entrevues en plusieurs étapes.

[51]      Cameco soutient que l’ordonnance demandée ne fournit pas suffisamment de renseignements pour « savoir exactement ce qu’il lui faut accomplir pour s’y conformer » (Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612, au paragraphe 24). Cameco soulève une sérieuse préoccupation. Néanmoins, la Cour fédérale n’a pas examiné la question et il n’est pas nécessaire d’en tenir compte dans le présent appel.

[52]      La Cour fédérale a fondé sa décision sur les faits « uniques et contraignants » de l’espèce. Au début de l’analyse de la Cour, la juge a déclaré ce qui suit : « Bien que je souscrive à l’interprétation générale de la loi présentée par le ministre, lorsqu’elle est appliquée aux faits uniques dont je suis saisie, ces arguments ne sont pas recevables » (motifs, aux paragraphes 34 et 43).

[53]      La Cour a souligné expressément quatre faits « uniques et contraignants » :

  • La question du prix de transfert s’étend sur de nombreuses autres années d’imposition.
  • Le fait que Cameco « se [présente] en cour avec une attitude irréprochable puisqu’elle a respecté toutes les demandes, y compris un certain nombre d’entrevues orales au cours des années précédentes » [au paragraphe 43].
  • Le nombre d’entrevues proposées par le ministre et le compromis proposé par Cameco, soit de fournir des réponses par écrit.
  • Le fait que la Cour canadienne de l’impôt entendait une affaire de prix de transfert pour des années d’imposition précédentes.

[54]      Ces circonstances sont toutes pertinentes à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale en application de l’article 231.7 de la Loi.

[55]      Le premier facteur, celui que la question du prix de transfert de Cameco est une question de longue date, est important puisqu’il montre que le ministre possédait probablement des connaissances considérables sur les faits pertinents au prix de transfert de Cameco. L’appel interjeté à la Cour canadienne de l’impôt relativement au prix de transfert pour les années d’imposition antérieures avait une envergure colossale et a donné lieu à une décision de 314 pages ([Cameco Corporation c. La Reine], 2018 CCI 195). Le ministre ne partait donc pas de zéro lors de cette vérification, ce qui laisse entendre qu’il est probablement exagéré de demander des entrevues avec 25 employés.

[56]      Le deuxième facteur, celui que Cameco a respecté toutes les demandes de vérification antérieures, y compris pour un certain nombre d’entrevues orales, est également très pertinent. Cela a sans aucun doute étayé l’opinion de la Cour que Cameco avait des raisons légitimes de ne pas se soumettre à des entrevues orales en l’espèce.

[57]      Le troisième facteur, soit le nombre d’entrevues et le compromis proposé par Cameco, soit répondre par écrit, est également important. Comme nous l’avons décrit précédemment, le vérificateur lui-même reconnaît que le nombre d’entrevues demandé était élevé. De plus, puisque Cameco était déjà engagée dans un litige concernant le prix de transfert, il est probable que le ministre possédait déjà des connaissances importantes sur le prix de transfert de Cameco de façon générale. Il n’est pas surprenant que la Cour fédérale ait conclu que le compromis proposé par Cameco, soit répondre par écrit, « [fournirait] au ministre les renseignements demandés » (motifs, au paragraphe 38).

[58]      Enfin, le quatrième facteur était également pertinent au moment des demandes de vérification initiales en 2013 et en 2014 et lors de l’audience de la Cour fédérale le 18 avril 2017. On peut comprendre que Cameco ait des raisons véritables de s’inquiéter que cette vérification lui cause un préjudice lors du litige. Je ne suggère aucunement qu’il n’est pas approprié de faire de vérification des années d’imposition postérieures. Il était cependant raisonnable que la Cour fédérale fasse preuve de prudence pour s’assurer que l’ARC n’aille pas trop loin.

[59]      À mon avis, vu ces faits, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant la demande d’ordonnance. L’ordonnance est de nature discrétionnaire et notre Cour doit « “faire preuve d’un haut degré de déférence et n’intervenir qu’avec circonspection, lorsqu’il est établi que le pouvoir a été exercé de manière abusive, déraisonnable ou non judiciaire” » (Rona Inc. c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 118 [précité], au paragraphe 7, qui cite Québec (Directeur des poursuites criminelles et pénales) c. Jodoin), 2017 CSC 26, [2017] 1 R.C.S. 478, au paragraphe 52).

[60]      Je suis d’accord avec le juge Rennie que certains des motifs de la Cour fédérale ne résistent pas à un examen, mais ces aspects des motifs ne sont pas essentiels à la décision de la Cour fédérale. Les faits appuient amplement la conclusion que la demande du ministre était excessive compte tenu des faits de l’affaire.

[61]      À mon avis, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant la demande. Je suis donc d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

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