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IMM-4343-19

2020 CF 906

A.P. (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : A.P. c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Fuhrer—Toronto, 10 mars; Ottawa, 17 septembre 2020.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Parrainage d’un partenaire conjugal — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté contre la décision d’un agent d’immigration de rejeter la demande de parrainage d’une partenaire conjugale du demandeur — La SAI a tenu compte des facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M. c. H. et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’AM n’était pas la partenaire conjugale du demandeur — Le demandeur a obtenu la protection du Canada en raison de son orientation sexuelle : il se définit comme étant homosexuel — Il a renoué avec AM, une ancienne camarade d’université — Le demandeur et AM ont décidé de se retrouver à l’étranger, où leur relation a pris un nouveau tournant — Un enfant est né à la suite de ce voyage — Le demandeur et AM ont décidé de s’engager l’un envers l’autre et envers l’enfant et de former une cellule familiale pour élever ce dernier — Le demandeur a décidé de parrainer AM, à titre de partenaire conjugale, et leur enfant, pour qu’ils puissent venir au Canada — Il s’agissait de savoir si la décision de la SAI était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure, plus particulièrement si, pour parvenir à sa décision, la SAI a fait preuve d’une fermeture d’esprit fondée sur des stéréotypes et a traité la preuve de façon subjective — La SAI a traité la preuve de façon déraisonnable et injuste, et sa décision ne pouvait donc être maintenue — Dans l’arrêt M. c. H., il a été statué qu’après de nombreuses années de vie commune, un couple de sexe différent ou même un couple de même sexe peut être considéré comme formant une relation conjugale même s’il n’a pas d’enfants ni de relations sexuelles — Ce principe s’applique également aux couples d’orientation mixte, même lorsqu’aucun des partenaires ne se définit comme bisexuel, comme dans la présente affaire — Le fait que le demandeur et AM ont des orientations sexuelles distinctes n’écartait pas la possibilité qu’ils entretiennent une relation sérieuse qui dure depuis un certain temps — La SAI a évalué leur relation de façon déraisonnable avant de conclure que la preuve était insuffisante pour établir qu’ils entretenaient une relation conjugale — La SAI a déraisonnablement mis l’accent seulement sur les facteurs qui soulevaient des préoccupations; elle a omis de relever et d’évaluer les facteurs positifs en faveur de la relation du demandeur et AM, particulièrement en ce qui concerne leur comportement personnel — Le défaut de la SAI de mentionner la preuve positive quant aux aspects les plus pertinents de sa décision a rendu sa décision déraisonnable — Dans sa décision, la SAI a fait preuve d’une fermeture d’esprit et d’une partialité qui l’ont mené à évaluer de façon déraisonnable la preuve quant à la possibilité qu’un couple d’orientation mixte satisfasse aux critères de la relation conjugale — La décision de la SAI a franchi le seuil pour conclure à une partialité réelle ou apparente — L’affaire a été renvoyée à un autre commissaire ou tribunal de la SAI pour nouvelle décision — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté contre la décision d’un agent d’immigration de rejeter la demande de parrainage d’une partenaire conjugale du demandeur. La SAI a tenu compte des facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M. c. H. et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’AM n’était pas la partenaire conjugale du demandeur.

Le demandeur a obtenu la protection du Canada en raison de son orientation sexuelle : il se définit comme étant homosexuel. Il a renoué avec AM, une ancienne camarade d’université et amie proche. Le demandeur et AM ont décidé de se retrouver à l’étranger plus particulièrement parce que le demandeur ne pouvait retourner dans le pays qu’il a fui en raison de la persécution dont il avait été victime et où AM habite. Durant leur voyage, leur relation a pris un nouveau tournant et ils ont eu une relation sexuelle non protégée. Un enfant est né à la suite de ce voyage. Le demandeur et AM ont décidé de s’engager l’un envers l’autre et de former une cellule familiale pour élever l’enfant. Ils ont envisagé de se marier dans un pays tiers, mais il a été impossible de le faire. Ils ont plutôt décidé que le demandeur parrainerait AM, à titre de partenaire conjugale, et leur enfant, pour qu’ils puissent venir au Canada. C’est à ce moment que le demandeur a révélé son orientation sexuelle à AM. Ils sont allés de l’avant avec la demande de parrainage malgré tout. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur a soutenu que la décision de la SAI était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure.

Il s’agissait de savoir si la décision de la SAI était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure, plus particulièrement si, pour parvenir à sa décision, la SAI a fait preuve d’une fermeture d’esprit fondée sur des stéréotypes et a traité la preuve de façon subjective.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La SAI a traité la preuve de façon déraisonnable et injuste, et sa décision ne pouvait donc être maintenue. Dans l’arrêt M. c. H., la Cour suprême a statué qu’après de nombreuses années de vie commune, un couple de sexe différent ou même un couple de même sexe peut être considéré comme formant une relation conjugale même s’il n’a pas d’enfants ni de relations sexuelles. Ce principe s’applique également aux couples d’orientation mixte, même lorsqu’aucun des partenaires ne se définit comme bisexuel, comme le demandeur et AM. Le fait que le demandeur et AM ont des orientations sexuelles distinctes n’écartait pas la possibilité qu’ils entretiennent une relation sérieuse qui dure depuis un certain temps. La SAI a évalué leur relation de façon déraisonnable avant de conclure que la preuve était insuffisante pour établir qu’ils entretenaient une relation conjugale. L’erreur la plus flagrante de la SAI a été de conclure qu’« un homme homosexuel et une femme hétérosexuelle [ne sont pas] en mesure de satisfaire au critère relatif au comportement sexuel de la relation conjugale ». Comme il est indiqué dans l’arrêt M. c. H., les facteurs peuvent être présents à des degrés divers et tous ne sont pas nécessaires pour que la relation soit tenue pour conjugale. La SAI n’a pas reconnu les éléments de preuve objectifs présentés par le demandeur quant à l’existence de couples d’orientation mixte et n’a pas tenu compte de la possibilité qu’une relation affectueuse fondée sur le concept de cellule familiale puisse satisfaire aux critères de la relation conjugale sans égard au niveau d’intimité sexuelle. De plus, la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur aurait dû révéler son orientation sexuelle aux parents d’AM parce qu’il ne savait pas avec certitude quelle serait leur réaction faisait abstraction de l’expérience vécue par le demandeur selon laquelle il a été personnellement persécuté. La SAI a déraisonnablement mis l’accent sur les facteurs qui soulevaient des préoccupations et a omis de relever et d’évaluer les facteurs positifs en faveur de la relation du demandeur et AM, particulièrement en ce qui concerne leur comportement personnel. Le défaut de la SAI de mentionner la preuve positive quant aux aspects les plus pertinents de sa décision, à savoir leurs comportements sexuels et personnels, a rendu sa décision déraisonnable. Ainsi que le demandeur l’a soutenu, la SAI a fait preuve d’une fermeture d’esprit et d’une partialité qui l’ont mené à évaluer de façon déraisonnable la preuve quant à la possibilité qu’un couple d’orientation mixte satisfasse aux critères de la relation conjugale. Le demandeur a soutenu à juste titre également que la SAI s’est concentrée exclusivement sur des conclusions qui semblaient prédéterminées concernant la capacité des couples d’orientation mixte d’avoir des relations sexuelles et de former une relation conjugale, contrairement à la preuve présentée dans l’arrêt M. c. H.

Par conséquent, la décision de la SAI a franchi le seuil pour conclure à une partialité réelle ou apparente. Les motifs et la transcription ont démontré que la SAI n’était pas ouverte à la possibilité qu’une relation affectueuse à orientation mixte centrée sur le concept d’unité familiale puisse satisfaire aux critères prévus par la loi, sans égard au niveau d’intimité sexuelle. L’affaire a donc été renvoyée à un autre commissaire ou tribunal de la SAI pour nouvelle décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 12(1), 65.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 « partenaire conjugal », 4(1), 116, 117(1)a), b), 121.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121; Sandhu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 889.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Leroux c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 403; Gjoka c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 386.

DÉCISIONS CITÉES :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Mbollo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1267; Molodowich v. Penttinen, 1980 CanLII 1537, 17 R.F.L. (2d) 376 (C.S. Ont.); Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1055, [2007] 2 R.C.F. 384; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (1re inst.); Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116; Shumilo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1135; Enright c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1258.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (X (Re), 2019 CanLII 141164) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté contre la décision d’un agent d’immigration de rejeter la demande de parrainage d’une partenaire conjugale du demandeur. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Athena Portokalidis pour le demandeur.

Kareena Wilding pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bellissimo Law Group, Toronto, pour le demandeur.

La sous-procureure-générale du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Fuhrer :

I. Aperçu

[1]        AP, le demandeur, a obtenu la protection du Canada en raison de son orientation sexuelle : il se définit comme étant homosexuel. AP a renoué avec AM, une ancienne camarade d’université et amie proche. AP et AM ont décidé de se retrouver à l’étranger pour plusieurs raisons : en tant que demandeur d’asile, AP ne pouvait retourner dans le pays qu’il a fui en raison de la persécution dont il avait été victime à cause de son orientation sexuelle et où AM habite toujours; et AM s’est vu refuser un visa à deux reprises. Ils se parlaient presque tous les jours jusqu’à ce qu’ils soient réunis. Durant leur voyage, leur relation a pris un nouveau tournant et ils ont eu une relation sexuelle non protégée à la suite d’une [traduction] « soirée en ville ». AP a révélé à AM qu’il était séropositif, mais que les risques d’infection étaient faibles. Bien qu’ils aient essayé d’avoir d’autres relations sexuelles à quelques reprises durant le voyage, cela s’est avéré difficile pour AP compte tenu de son orientation sexuelle.

[2]        Un enfant nommé KP est né à la suite de ce voyage. AP et AM ont décidé de s’engager l’un envers l’autre et de former une cellule familiale pour élever l’enfant. Ils ont effectué deux autres voyages dans un pays tiers; un pendant qu’AM était enceinte et un autre lorsque KP a eu deux ans. Ils communiquent régulièrement par Skype et AP subvient aux besoins financiers d’AM. Ils ont envisagé de se marier dans un pays tiers. AP s’est renseigné auprès de trois pays, mais on lui a répondu que le mariage était impossible en raison de son statut de résident permanent (sa demande de citoyenneté canadienne est en suspens). Ils ont plutôt décidé qu’AP parrainerait AM, à titre de partenaire conjugale, et leur enfant, pour qu’ils puissent venir au Canada; c’est à ce moment qu’AP a révélé son orientation sexuelle à AM. Ils sont allés de l’avant avec la demande de parrainage malgré tout.

[3]        Un agent d’immigration à l’ambassade du Canada a rejeté la demande sans avoir accordé d’entretien. En somme, l’agent a conclu qu’AM n’était pas la partenaire conjugale d’AP [traduction] « en raison de leur niveau d’interdépendance » et, par conséquent, il n’était pas convaincu qu’AM appartenait à la catégorie du regroupement familial. L’agent a également conclu, au sujet de la demande concomitante d’AP fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, que les motifs présentés étaient insuffisants pour justifier qu’elle soit accueillie. Je souligne que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire fait l’objet d’une demande distincte de contrôle judiciaire qui est présentement en suspens jusqu’à ce que je rende une décision en l’espèce.

[4]        La Section d’appel de l’immigration (SAI) a rejeté l’appel interjeté contre la décision de l’agent d’immigration [X (Re), 2019 CanLII 141164] à l’issue d’une audience de deux jours. La SAI a tenu compte des facteurs énoncés dans l’arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’AM n’était pas la partenaire conjugale d’AP. AP conteste maintenant la décision de la SAI.

[5]        Le demandeur soutient que la décision de la SAI était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure. La question de l’équité procédurale englobe la question de savoir si, pour parvenir à sa décision, la SAI a fait preuve d’une fermeture d’esprit fondée sur des stéréotypes et a traité la preuve de façon subjective.

[6]        Je conviens avec le demandeur que la SAI a traité la preuve de façon déraisonnable et injuste et que sa décision ne peut donc être maintenue. Par conséquent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

II. Décision de la SAI

[7]        La SAI a examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt M. c. H. et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la décision de l’agent était valide en droit et AM n’était pas la partenaire conjugale d’AP.

(i) Partage d’un toit : Il s’agissait d’un facteur neutre. Le couple ne cohabitait pas excepté pendant les vacances. La SAI a admis qu’AP ne pouvait retourner dans son pays d’origine en raison de son statut de personne protégée, mais elle a souligné que le couple n’a jamais désigné un troisième pays où ils pourraient vivre ensemble.

(ii) Rapports personnels et sexuels : La SAI a reconnu qu’AP et AM se connaissaient lorsqu’ils étudiaient à l’université et qu’AP considérait AM comme une amie proche. Même si AP savait qu’AM avait des sentiments amoureux pour lui, il était engagé dans une relation homosexuelle à l’époque. Cependant, la SAI n’était pas convaincue qu’« un homme homosexuel et une femme hétérosexuelle soient en mesure de satisfaire au critère relatif au comportement sexuel de la relation conjugale ». La SAI s’est fondée sur les facteurs qui suivent pour conclure que les rapports personnels et sexuels du couple ne correspondaient pas à ceux d’une relation conjugale :

• AM ne connaît pas le nom de l’ancien partenaire d’AP ni la durée de leur relation;

• AM a feint tout intérêt à l’égard des antécédents relationnels d’AP, ce qui, selon la SAI, est inhabituel dans une relation authentique;

• AM ne sait pas comment AP est devenu séropositif;

• AP n’a pas dit à AM qu’il était homosexuel avant la naissance de leur enfant;

• Un tel manque de communication et de franchise (comme le montrent les points ci-dessus) ne concorde pas avec l’attitude d’un couple qui entretient une relation conjugale authentique;

• AP aurait des relations sexuelles non protégées avec un partenaire d’un sexe ou l’autre avec qui il entretenait une véritable relation conjugale;

• AP avait de la difficulté à éprouver de l’excitation sexuelle en raison de son orientation;

• AP ne se considère pas comme un bisexuel.

(iii) Services : La SAI a conclu que le partage de services n’était pas un facteur pertinent étant donné l’absence de cohabitation.

(iv)   Activités sociales : La SAI a admis le témoignage du frère d’AP concernant la relation entre les membres du couple. La SAI a également souligné que, malgré le fait que les parents d’AM savaient qu’AP était le père de leur petite fille, ils ignoraient son orientation sexuelle. Bien qu’elle reconnaisse que la demande d’asile d’AP a été accueillie sur le fondement de son orientation sexuelle, la SAI a conclu [au paragraphe 10] qu’elle ne disposait « d’aucun élément de preuve […] en ce qui a trait au point de vue des parents [d’AM] et aux raisons pour lesquelles le couple ne les informe pas de l’orientation [d’AP] ».

(v) Soutien financier : La SAI a considéré ce facteur comme étant favorable et a mentionné la preuve présentée par AP concernant ses virements de fonds réguliers à AM et à KP.

(vi)   Image sociétale des partenaires en tant que couple : La SAI a considéré ce facteur comme étant favorable et a souligné que la famille immédiate et les amis d’AP et AM les percevaient comme un couple.

(vii)  Enfants : La SAI a conclu [au paragraphe 13] qu’« il ressort clairement du témoignage des membres du couple qu’ils aiment tous deux leur enfant [et qu’AP] veut subvenir aux besoins de l’enfant et de sa mère ». La SAI a également conclu qu’AP « veut agir pour le bien [d’AM] et assumer son rôle de père auprès de son enfant ».

III. Dispositions applicables

[8]        Voir l’annexe A.

IV. Norme de contrôle

[9]        La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), au paragraphe 10. Il ne s’agit pas d’une « “simple formalité” », mais plutôt d’un contrôle rigoureux : Vavilov, précité, au paragraphe 13. La cour devrait intervenir seulement lorsque cela est nécessaire. Pour éviter l’intervention d’une cour de justice, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes applicables dans les circonstances : Vavilov, au paragraphe 99. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Vavilov, précité, au paragraphe 126. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, précité, au paragraphe 100.

[10]      Les manquements à l’équité procédurale dans des contextes administratifs sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou sont sujets à « un exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, au paragraphe 54. L’obligation d’équité procédurale est « “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte »; elle doit être établie en tenant compte de l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker [Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817] : Vavilov, précité, au paragraphe 77. En résumé, la cour saisie du contrôle judiciaire doit évaluer si le processus était équitable.

V. Analyse

[11]      Le ministre soutient que la SAI a raisonnablement conclu qu’AM n’est pas la partenaire conjugale d’AP : Mbollo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1267 (Mbollo). En tenant compte des principes suivants, je ne suis pas d’accord.

[12]      L’arrêt M. c. H. se fonde sur la décision Molodowich v. Penttinen, 1980 CanLII 1537, 17 R.F.L. (2d) 376 (C.S. Ont.), en ce qui concerne les caractéristiques généralement acceptées d’une relation conjugale, comme en témoignent les facteurs énoncés plus haut. Ces facteurs peuvent être présents à des degrés divers et tous ne sont pas nécessaires pour que la relation soit tenue pour conjugale. Les couples n’ont pas besoin de se conformer parfaitement au modèle matrimonial traditionnel afin de prouver que leur relation est « conjugale » : M. c. H., précité, au paragraphe 59.

[13]      Dans l’arrêt M. c. H., il ne faisait aucun doute pour la Cour suprême qu’après de nombreuses années de vie commune, un couple de sexe différent peut être considéré comme formant une relation conjugale même s’il n’a pas d’enfants ni de relations sexuelles. « [L]e poids à accorder aux divers éléments ou facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer si un couple de sexe différent forme une union conjugale variera grandement, presque à l’infini » : M. c. H., précité, au paragraphe 60. La Cour suprême a en outre conclu que ce principe s’applique également aux couples de même sexe, et je conclus sans hésiter qu’il s’applique aussi aux couples d’orientation mixte, même lorsqu’aucun des partenaires ne se définit comme bisexuel, comme AP et AM. « Les tribunaux ont eu la sagesse d’adopter une méthode souple pour déterminer si une union est conjugale[; i]l doit en être ainsi parce que les rapports dans les couples varient beaucoup » (non souligné dans l’original) : M. c. H., précité, au paragraphe 60.

[14]      Les facteurs énoncés dans l’arrêt M. c. H. ont été adaptés au contexte de l’immigration, y compris dans les circonstances où les partenaires vivent dans des pays distincts : Leroux c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 403 (Leroux), au paragraphe 23. Il n’en demeure pas moins que la relation conjugale « doit comporter assez de caractéristiques associées à un mariage pour démontrer qu’elle constitue plus qu’un moyen d’entrer au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial » : Leroux, précitée, au paragraphe 23. Par exemple, les parties doivent établir que leur relation conjugale a commencé au moins un an avant le dépôt de la demande de parrainage et qu’elle s’est poursuivie tout au long du traitement de la demande : articles 2, 4, 121 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[15]      L’audience devant la SAI est une audience de novo : Mbollo, précitée, au paragraphe 24. Le tribunal doit évaluer et apprécier l’ensemble de la preuve de façon indépendante avant de rendre une décision définitive. Bien que les décideurs soient présumés avoir soupesé l’ensemble de la preuve avant de rendre une décision et qu’ils n’ont pas à répondre à chaque question soulevée, le défaut de tenir compte de la preuve et des observations essentielles à l’argument avancé par le demandeur pourrait réfuter cette présomption et rendre la décision déraisonnable : Vavilov, précité, aux paragraphes 127–128; Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1055, [2007] 2 R.C.F. 384, au paragraphe 23; Leroux, précitée, au paragraphe 31, citant Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (1re inst.), au paragraphe 17.

[16]      Je conclus que le fait qu’AP et AM ont des orientations sexuelles distinctes n’écarte pas la possibilité qu’ils entretiennent une relation sérieuse qui dure depuis un certain temps. À mon avis, la SAI a évalué leur relation de façon déraisonnable avant de conclure que la preuve était insuffisante pour établir qu’ils entretenaient une relation conjugale. L’erreur la plus flagrante de la SAI a été de conclure qu’« un homme homosexuel et une femme hétérosexuelle [ne sont pas] en mesure de satisfaire au critère relatif au comportement sexuel de la relation conjugale » [au paragraphe 8]. Comme il est indiqué dans l’arrêt M. c. H., les facteurs peuvent être présents à des degrés divers et tous ne sont pas nécessaires pour que la relation soit tenue pour conjugale.

[17]      Par exemple, AP a présenté des éléments de preuve objectifs quant à l’existence de couples d’orientation mixte, et il a affirmé que, malgré son orientation sexuelle, il ressentait de l’amour pour AM et souhaitait s’engager envers elle, et que ses sentiments sont nés lorsqu’ils se sont rencontrés à l’étranger et qu’AM est tombée enceinte. De plus, leurs orientations sexuelles distinctes n’ont pas empêché une intimité sexuelle de se former avec le temps malgré les difficultés éprouvées au début. À l’audience, lorsqu’on lui a demandé s’ils avaient des relations sexuelles durant leurs voyages, AP a répondu par l’affirmative. Il a expliqué que son état d’esprit a changé [traduction] « étape par étape, d’un voyage à l’autre, au fur et à mesure qu’ils passaient du temps ensemble, […] jusqu’à ce qu’il réalise que cette relation était possible » malgré son orientation. AP a également affirmé que le problème peut [traduction] « techniquement » être réglé avec des jouets sexuels ou des applications, par exemple, et il a expliqué qu’il s’agit d’une question de sentiments et de savoir [traduction] « si l’on a accès à toute la richesse des sentiments et de l’être en faisant l’amour avec la personne que l’on aime ».

[18]      La SAI n’a pas reconnu ces éléments de preuve et n’a pas tenu compte de la possibilité qu’une relation affectueuse fondée sur le concept de cellule familiale puisse satisfaire aux critères de la relation conjugale sans égard au niveau d’intimité sexuelle. Les relations sexuelles ne sont qu’un aspect — pas même le facteur prédominant — qui entre en compte lorsqu’on détermine l’existence d’une relation conjugale.

[19]      Le ministre attire l’attention sur les conclusions factuelles tirées par la SAI, dont il est question au paragraphe 7 de la présente décision, pour faire valoir que la SAI était préoccupée par le fait que leur amitié n’atteignait pas le niveau d’intimité requis, y compris en ce qui a trait aux connaissances limitées d’AP et d’AM sur des sujets précis, comme les détails concernant la précédente relation homosexuelle d’AP, sa révélation tardive de son orientation sexuelle et le fait qu’ils n’ont pas informé les parents d’AM de l’orientation sexuelle d’AP.

[20]      Cet argument ne me convainc pas pour plusieurs raisons. À mon avis, bien que la SAI ne soit pas tenue de citer chaque élément de preuve ou témoignage, elle devait admettre et traiter de façon raisonnable et juste chacun des éléments de preuve déposés par AP et préciser les raisons pour lesquelles les explications de ce dernier ne suffisaient pas à dissiper ses préoccupations. Cela n’a pas été fait.

[21]      Par exemple, comme AP l’a révélé dans son témoignage, il ne sait pas comment il est devenu séropositif et pouvait au mieux supposer que le virus lui avait été transmis par un ancien partenaire : [traduction] Q : « Savez-vous comment vous avez été infecté par le VIH? »; R : « Probablement auprès d’un de mes anciens conjoints […] personne ne m’a jamais dit qu’il était séropositif. » Par conséquent, il est injuste de s’attendre à ce qu’AM connaisse la réponse à cette question alors qu’AP lui-même l’ignore. AP et AM ont également expliqué qu’ils ne se parlent pas vraiment de leurs relations précédentes et qu’ils choisissent plutôt de se concentrer sur leur avenir ensemble. La SAI n’a pas expliqué pourquoi elle considérait cette situation comme inhabituelle.

[22]      De plus, le témoignage d’AP montre qu’il a de la difficulté à exprimer sa sexualité. À mon avis, la SAI doit aborder les contextes culturels selon la perspective du pays d’origine, et non en adoptant un « point de vue occidental » : Gjoka c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 386, au paragraphe 81. La SAI doit également se montrer réceptive et sensible aux défis auxquels doivent faire face les personnes dont l’orientation sexuelle et le genre ne correspondent pas aux normes hétérosexuelles lorsqu’ils tentent de révéler cette information, y compris au fait qu’elles peuvent être réticentes à en discuter avec des proches. Je conclus que la décision de la SAI manque de sensibilité à cet égard.

[23]      Après avoir examiné la transcription du témoignage d’AP, je remarque également qu’il a expliqué à maintes reprises avoir eu peur de révéler son orientation sexuelle à AM plus tôt, car parler de ce sujet le rendait mal à l’aise en général. Par exemple, il semble que le frère d’AP a découvert son orientation sexuelle par accident en l’observant avec un autre homme dans la cuisine. AP ne savait pas comment AM réagirait lorsqu’elle apprendrait la nouvelle, notamment du fait qu’ils se connaissaient depuis l’université et qu’il avait l’impression que la distance pourrait exacerber sa réaction. AP a expliqué qu’il voulait discuter de ce sujet en personne, mais a souligné qu’en raison de ses moyens limités, de ses congés restreints et du fait qu’il devait se rendre à l’ambassade de son pays d’origine (à l’encontre duquel il a demandé l’asile) chaque fois qu’ils voyageaient pour accorder à AM la permission de voyager avec KP, AM et lui n’ont pu se voir qu’à quelques occasions et le moment opportun ne s’est jamais présenté. Par exemple :

[traduction]

Q : Vous avez appris qu’elle était enceinte en janvier 2014.

R : Oui.

Q : Mais vous avez attendu un an et trois mois de plus pour lui dire, oh, en passant, chérie, je suis gai. Pourquoi ---?

R : J’aurais attendu encore plus ou je lui aurais dit plus tôt si j’avais eu le temps – de ne pas être séparés par des milliers de kilomètres, mais de m’assoir avec elle, comme les gens font, et d’en discuter, parce que c’est un sujet difficile et j’aurais voulu la regarder dans les yeux et pas sur Skype et je suis peut-être – j’aurais voulu lui prendre la main et lui expliquer en face, parce qu’encore une fois, je ne suis pas un activiste gai et ---

[…]

Q : Bien, si vous saviez cela, pourquoi ne pouviez-vous pas lui dire?

R : Parce que c’est personnel. Je ne savais pas, je ne ---

Q : En quoi cela est-il personnel? Vous l’avez mise enceinte. Elle sait que vous êtes séropositif. C’est élevé sur l’échelle de la vie privée. Donc vous la mettez enceinte, vous lui dites que vous êtes séropositif, vous savez qu’elle respecte les homosexuels, mais vous n’êtes pas capable de lui dire : « Oh, chérie, je suis gai »?

R : À un certain point, je voulais attendre de me sentir plus adéquat, et, euh, plus – plus adéquat et confiant je dirais. Monsieur, encore une fois, ce n’est pas une question dont je voulais discuter sur Skype ou WhatsApp.

Q : Bien, c’est, vous savez, la vie – la vie ne nous offre pas toujours la situation la plus adéquate pour discuter de ce genre de choses. Je suis seulement surpris que vous ayez attendu aussi longtemps pour lui dire, et je pense que vous ne lui auriez peut-être jamais dit si elle n’avait pas demandé. Elle ne le saurait peut-être même pas aujourd’hui si elle n’avait pas posé la question.

R : Non. Et elle ne l’a pas demandé. Elle ne l’a pas demandé…

[24]      De plus, la conclusion de la SAI selon laquelle AP aurait dû révéler son orientation sexuelle aux parents d’AM parce qu’il ne savait pas avec certitude quelle serait leur réaction fait abstraction de l’expérience vécue par AP selon laquelle il a été personnellement persécuté, y compris battu, dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle. Je conclus que son témoignage le démontre : [traduction] « Nous n’en avons jamais parlé parce qu’elle est très transparente avec moi, je connais son père, je connais les gens en [pays d’origine], disons. J’ai fui le pays en raison de cette attitude courante, qui m’a forcé à fuir. Alors c’est clair pour moi, absolument, comme le soleil se lève le matin et se couche la nuit. Nous savons exactement qu’elle aurait été leur réaction. »

[25]      J’estime également que la conclusion de la SAI selon laquelle il était « troublant » qu’un couple choisisse d’avoir des relations sexuelles non protégées était déraisonnable, puisque la SAI a importé son jugement de valeur dans l’évaluation plutôt que d’envisager la possibilité que deux adultes qui se font confiance puissent consentir à une telle activité : Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 11–12. De plus, la conclusion est aussi incorrecte sur le plan des faits, puisqu’AP et AM ont tous deux déclaré que leur relation conjugale a seulement débuté après qu’AM a révélé qu’elle était enceinte.

[26]      La SAI a déraisonnablement mis l’accent sur les facteurs qui soulevaient des préoccupations et a omis de relever et d’évaluer les facteurs positifs en faveur de la relation d’AP et AM, particulièrement en ce qui concerne leur comportement personnel. Par exemple, bien que la SAI ait reconnu que les deux familles étaient au courant de leur relation et les considéraient comme un couple, la SAI est restée fixée sur le fait que la famille d’AM ne connaissait pas les particularités de leur vie sexuelle. La Cour a conclu qu’il est déraisonnable de seulement tenir compte de la preuve qui soutient le résultat privilégié par le décideur plutôt que d’évaluer l’ensemble de la preuve et de justifier pourquoi certains éléments de preuve ont été privilégiés par rapport à d’autres. Je conclus que le défaut de la SAI de mentionner la preuve positive quant aux aspects les plus pertinents de sa décision, à savoir leurs comportements sexuels et personnels, rend sa décision déraisonnable : Shumilo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1135, aux paragraphes 45–50; Enright c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1258, aux paragraphes 46–50.

[27]      Finalement, AP soutient, et je suis d’accord, que la SAI a fait preuve d’une fermeture d’esprit et d’une partialité qui l’ont mené à évaluer de façon déraisonnable la preuve quant à la possibilité qu’un couple d’orientation mixte satisfasse aux critères de la relation conjugale. Selon AP, avec qui je suis également d’accord, la SAI s’est concentrée exclusivement sur des conclusions qui semblaient prédéterminées concernant la capacité des couples d’orientation mixte d’avoir des relations sexuelles et de former une relation conjugale, contrairement à la preuve présentée dans l’arrêt M. c. H. et aux conclusions qui y étaient tirées. La SAI a fait preuve de fermeture d’esprit quant à la décision du couple d’avoir des relations sexuelles non protégées, malgré le fait que ce facteur n’avait rien à voir avec leur relation conjugale et n’avait aucune incidence sur celle-ci. La SAI a également fait preuve d’une attitude fermée quant à savoir pourquoi AP n’a pas révélé d’emblée son orientation sexuelle à AM et à ses parents malgré la preuve attestant des expériences négatives qu’il a vécues dans son pays d’origine présentée à l’appui de sa demande d’asile.

[28]      La juge Strickland a récemment décrit le principe de la « “fermeture d’esprit” » comme une « affirmation tacite de partialité » : Sandhu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 889 (Sandhu), au paragraphe 61. Selon la juge Strickland, le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité est le suivant : « [À] quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Cette personne penserait-elle probablement que le décideur, de manière consciente ou inconsciente, ne rendrait pas une décision juste? (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureur général), 2015 CSC 25) » : Sandhu [précitée], au paragraphe 61. Il existe une présomption réfutable selon laquelle le tribunal agit de manière équitable et impartiale. Un simple soupçon de partialité ne suffit pas; la personne qui allègue la partialité doit établir une réelle probabilité de partialité et le seuil à franchir pour conclure à une partialité réelle ou apparente est élevé.

[29]      Je conclus que la décision de la SAI franchit ce seuil. Les motifs et la transcription du témoignage démontrent que la SAI n’était pas ouverte à la possibilité qu’une relation affectueuse à orientation mixte centrée sur le concept d’unité familiale puisse satisfaire aux critères prévus par la loi, sans égard au niveau d’intimité sexuelle.

VI. Conclusion

[30]      La présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. La SAI a déraisonnablement restreint la portée du concept de relation entre partenaires conjugaux aux relations amoureuses impliquant des relations sexuelles, malgré la preuve démontrant qu’AP et AM entretenaient une relation sérieuse qui durait depuis un certain temps. Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.

JUGEMENT dans le dossier IMM-4343-19

LA COUR ORDONNE :

1.    La demande de contrôle judiciaire d’AP est accueillie.

2.    La décision datée du 17 juin 2019 de la Section d’appel de l’immigration est annulée.

3.    L’affaire est renvoyée à un autre commissaire ou tribunal de la SAI pour nouvelle décision.

4.    Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

5.    Aucuns dépens ne sont adjugés

Annexe A : Dispositions applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Regroupement familial

12 (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

[…]

Motifs d’ordre humanitaires

65 Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

[…]

partenaire conjugal À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. (conjugal partner)

[…]

Mauvaise foi

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

[…]

Catégorie

116 Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

Regroupement familial

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

b) ses enfants à charge

[…]

Exigences

121 Sous réserve du paragraphe 25.1(1), la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou les membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 doivent être des membres de la famille du demandeur ou du répondant au moment où est faite la demande et au moment où il est statué sur celle-ci.

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