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IMM-3925-19

2020 CF 1145

Ammar Ahmed Abugibba Mohamed (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge McHaffie—Toronto, 20 février; Ottawa, 11 décembre 2020.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité — La Section de la protection des réfugiés avait conclu que le demandeur n’était pas crédible pour plusieurs raisons — La SAR a également refusé la demande du demandeur relative au dépôt de documents supplémentaires en appel en rejetant l’argument selon lequel son ancien conseil l’avait mal conseillé au sujet de la preuve qu’il devait présenter à la SPR — Le demandeur avait demandé l’asile devant la SPR sur le fondement d’une persécution alléguée au Soudan — Le demandeur a fait valoir qu’il était inéquitable de la part de la SAR de refuser sa demande de dépôt de nouveaux documents pour des motifs de crédibilité sans la tenue d’une audience; il a également fait valoir que tant le refus des nouveaux documents que le rejet de son appel sur le fond étaient déraisonnables — Il s’agissait de savoir si la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les éléments de preuve que le demandeur avait présentés dans le cadre de l’appel, au titre de l’art. 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et en particulier, s’il était inéquitable de la part de la SAR de ne pas tenir d’audience avant de se prononcer sur les allégations du demandeur contre son ancien conseil, et si le rejet, par la SAR, des éléments de preuve était déraisonnable — Il s’agissait de savoir si la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, et en particulier, si elle a commis une erreur dans son examen des conclusions de la SPR relatives à la crédibilité découlant du témoignage du demandeur et si elle a commis une erreur dans sa manière de considérer la preuve documentaire — Bien que la SAR puisse accepter une preuve documentaire, l’art. 110(4) de la Loi restreint les circonstances dans lesquelles un demandeur d’asile peut présenter un élément de preuve — Dans le cadre de son appel à la SAR, le demandeur a demandé à déposer un certain nombre de nouveaux éléments de preuve documentaire, mais la SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait pour l’admission des nouveaux éléments de preuve — La SAR n’était pas obligée de tenir une audience avant de se prononcer sur la crédibilité ni n’a-t-elle commis une erreur en n’appréciant pas les éléments de l’art. 110(6) de la Loi en ce qui concerne la tenue d’une audience avant de rendre sa décision — Donc, la SAR n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’art. 110 de la Loi ou à son devoir d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience avant de décider que les éléments de preuve présentés par le demandeur ne satisfaisaient pas aux exigences de l’art. 110(4) de la Loi — Bien que la décision de la SAR au titre de l’art. 110(4) de la Loi n’ait pas été inéquitable sur le plan de la procédure, elle était déraisonnable — La SAR n’est pas tenue de traiter tous les arguments ou éléments de preuve avancés par les parties, mais vu l’importance des nouveaux éléments de preuve proposés pour la demande d’asile du demandeur et l’incidence de la conclusion défavorable quant à la crédibilité, les motifs de la SAR ne satisfaisaient pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité pour démontrer que la SAR avait tenu valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées — En ce qui concerne les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, la SAR a apprécié de manière déraisonnable ces conclusions et a mal énoncé et mal appliqué la norme de contrôle applicable — Par conséquent, les motifs de la SAR sur cette question n’ont pas satisfait aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité requises pour une décision raisonnable — Vu l’importance de cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, cette erreur a forcément influé sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble — En ce qui concerne le traitement des éléments de preuve documentaire, l’analyse que la SAR a faite de l’appréciation par la SPR de la preuve documentaire et sa propre appréciation de cette preuve étaient déraisonnables — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de rejeter la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité. Notant l’absence de documents corroborants, la SPR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible, car il ne pouvait pas nommer l’agent qui l’avait battu, ne connaissait pas les obligations du service militaire soudanais et n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis. La SAR a également refusé la demande du demandeur relative au dépôt de documents supplémentaires en appel en rejetant l’argument selon lequel son ancien conseil l’avait mal conseillé au sujet de la preuve qu’il devait présenter à la SPR. Le demandeur a prétendu avoir été détenu et battu par le Service national de renseignement et de sécurité au Soudan, parce qu’il était identifiable comme une personne ayant grandi à l’extérieur du Soudan. Il a dit qu’il n’a été libéré que lorsque l’époux de sa cousine est intervenu et qu’après qu’il s’est engagé à rester au Soudan et à accomplir son service militaire national à l’âge de 18 ans. Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR, le demandeur a fait valoir qu’il était inéquitable de la part de la SAR de refuser sa demande de dépôt de nouveaux documents pour des motifs de crédibilité sans la tenue d’une audience. Il a également fait valoir que tant le refus des nouveaux documents que le rejet de son appel sur le fond étaient déraisonnables.

Il s’agissait de savoir 1) si la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les éléments de preuve que le demandeur avait présentés dans le cadre de l’appel, au titre du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et en particulier, s’il était inéquitable de la part de la SAR de ne pas tenir d’audience avant de se prononcer sur les allégations du demandeur contre son ancien conseil, et si le rejet, par la SAR, des éléments de preuve était déraisonnable; 2) si la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, et en particulier, si elle a commis une erreur dans son examen des conclusions de la SPR relatives à la crédibilité découlant du témoignage du demandeur et si elle a commis une erreur dans sa manière de considérer la preuve documentaire.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La première question tenait à l’équité procédurale. Bien que la SAR puisse accepter une preuve documentaire, le paragraphe 110(4) de la Loi restreint les circonstances dans lesquelles un demandeur d’asile peut présenter un élément de preuve. Dans le cadre de son appel à la SAR, le demandeur a demandé à déposer un certain nombre de nouveaux éléments de preuve documentaire, lesquels comprenaient une déclaration du gendre de sa tante, M. S. La déclaration sous serment de M. S revêtait une importance particulière, car elle fournissait une preuve originale directe en lien avec la disparition du demandeur, les efforts déployés pour obtenir sa libération et son état après sa libération. Tous ces éléments de preuve sont survenus avant le rejet de la demande du demandeur ou se rapportaient à des faits antérieurs au rejet. La SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait pour l’admission des nouveaux éléments de preuve. Cette conclusion reposait en partie sur le fait que la SAR n’avait pas accepté l’argument du demandeur selon lequel son conseil n’avait pas donné des conseils adéquats au sujet des éléments de preuve qu’il devait obtenir avant l’audience. Cette conclusion touchait la crédibilité du demandeur. Néanmoins, la SAR n’était pas obligée de tenir une audience avant de se prononcer sur la crédibilité à cet égard ni n’a-t-elle commis une erreur en n’appréciant pas les éléments du paragraphe 110(6) de la Loi en ce qui concerne la tenue d’une audience dans certains cas précis avant de rendre sa décision. La SAR n’appréciait pas les éléments de preuve portant sur le bien-fondé de la demande d’asile du demandeur, mais elle appréciait les éléments de preuve se rapportant à l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle les nouveaux documents ne pouvaient pas être fournis avant; partant, il s’agissait de savoir s’ils satisfaisaient à l’exception prévue au paragraphe 110(4) de la Loi. Le paragraphe 110(6) ne s’appliquait pas à cette appréciation. Donc, la SAR n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’article 110 de la Loi ou à son devoir d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience avant de décider que les éléments de preuve présentés par le demandeur ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4).

Bien que la décision de la SAR au titre du paragraphe 110(4) de la Loi n’ait pas été inéquitable sur le plan de la procédure, elle était déraisonnable. La SAR n’a pas raisonnablement examiné la preuve présentée par chaque partie en ce qui concerne la question de la représentation et s’est indûment appuyée sur l’expérience du conseil. Pour examiner cette question, il fallait prendre en considération les éléments de preuve déposés afférents aux allégations contre l’ancien conseil, la décision de la SAR concernant ces allégations et ses conclusions sur d’autres éléments du critère relatif aux nouveaux éléments de preuve. La SAR n’est pas tenue de traiter tous les arguments ou éléments de preuve avancés par les parties. Cependant, vu l’importance des nouveaux éléments de preuve proposés pour la demande d’asile du demandeur et l’incidence de la conclusion défavorable quant à la crédibilité, les motifs de la SAR ne satisfaisaient pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité pour démontrer que la SAR avait tenu valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées. En ce qui concerne les conclusions de la SAR sur la nouveauté et le poids des documents en cause, les autres motifs de la SAR étaient déraisonnables. Plus particulièrement, le fait que l’analyse de la SAR n’a pas mentionné la déclaration importante de M. S, qui prétendait corroborer l’élément au cœur de la demande d’asile du demandeur, a soulevé des inquiétudes quant au fait que la SAR n’a pas pris en compte la preuve versée au dossier dans sa décision, malgré ses déclarations contraires. Donc, les autres motifs de la SAR sur ces questions ne rendaient pas théorique le caractère déraisonnable de l’appréciation par la SAR de l’argument du demandeur relativement à une représentation inadéquate.

En ce qui concerne les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, la SAR a apprécié de manière déraisonnable ces conclusions et a mal énoncé et mal appliqué la norme de contrôle applicable. La SAR a adopté des déclarations de la Cour fédérale concernant le rôle de celle-ci dans l’examen des conclusions de fait de la SPR. Ces références étaient déplacées, car le rôle de la SAR dans l’examen des conclusions de la SPR, y compris en ce qui concerne la crédibilité, se distingue de celui de la Cour fédérale dans le contexte du contrôle judiciaire. Cela laissait croire que la SAR avait mal compris son rôle dans l’examen de la décision de la SPR, car elle a indiqué dans ses motifs qu’elle considérait que la norme de « la plus grande retenue » était justifiée et qu’elle considérait son rôle comme étant « très limité ». Cet énoncé erroné n’aurait peut-être pas influé sur la décision dans son ensemble si l’analyse réelle par la SAR des conclusions de la SPR montrait que cet énoncé erroné était sans importance ou qu’elle appliquait en fait la norme appropriée, mais ce n’était pas le cas. La SAR n’a pas énoncé avec clarté la norme qu’elle appliquait aux conclusions particulières en litige quant à la crédibilité. Ses motifs donnaient à entendre qu’elle a fait preuve d’une trop grande retenue à l’égard des conclusions de la SPR en se fondant sur le témoignage du demandeur. En outre, l’appréciation de fond par la SAR de la conclusion relative à la crédibilité était déraisonnable. La SAR a commis une erreur en qualifiant la conclusion de la SPR de fondée sur un « témoignage vague ». La SPR s’est appuyée non pas sur l’imprécision du témoignage du demandeur, mais sur son incapacité de nommer la personne qui l’avait battu. La qualification de la conclusion par la SAR n’était pas en soi une préoccupation importante, mais cela a conduit la SAR à déformer également les arguments du demandeur et à fournir des motifs de réponse qui n’abordaient pas ces arguments. Par conséquent, les motifs de la SAR sur cette question n’ont pas satisfait aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité requises pour une décision raisonnable. Vu l’importance de cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, cette erreur a forcément influé sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

En ce qui concerne le traitement des éléments de preuve documentaire, la SAR a conclu que la SPR n’avait manifestement pas fait fi des documents, compte tenu de ses références aux documents et de sa mise en évidence de préoccupations comme la connaissance directe des incidents. En l’espèce, aucune question n’a été soulevée en ce qui concerne l’authenticité de l’un ou l’autre des documents présentés. La SAR a procédé à son propre examen indépendant des documents du demandeur. Elle l’a fait en soulignant que ces documents étaient très brefs, qu’aucun original n’avait été fourni, que les lettres n’avaient pas été produites sous serment ni attestées, qu’aucune coordonnée n’avait été fournie et que les auteurs n’avaient pas été proposés comme témoins potentiels en vue d’un contre-interrogatoire. Pour ces motifs, la SAR les a jugés insuffisants pour l’emporter sur ses préoccupations quant à la crédibilité. Il s’agissait de motifs déraisonnables pour écarter les documents. Il était inapproprié pour la SAR de se fonder sur des questions afférentes à l’authenticité des documents, alors que cet aspect n’avait pas été soulevé par la SPR et que le demandeur n’avait aucun fondement pour répondre. Il était également déraisonnable de s’appuyer sur le fait que les lettres n’avaient pas été produites sous serment ou que les auteurs n’avaient pas été présentés comme témoins. En conclusion, l’analyse que la SAR a faite de l’appréciation par la SPR de la preuve documentaire et sa propre appréciation de cette preuve étaient déraisonnables.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 74d), 97, 110.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157; Oria-Arebun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1457; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311; Yu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1138.

décisions examinées :

Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319; Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145; X (Re), 2017 CanLII 33034 (C.I.S.R.); Gebetas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1241; Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (QL) (1re inst.); Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Sellan, 2008 CAF 381, infirmant 2008 CF 44; Fajardo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 915 (QL) (C.A.).

décisions citées :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 R.C.F. 230; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2004] 1 R.C.S. 502; Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385; Zhuo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781; Hadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 590; Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.); Zaytoun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939; Laag c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 890; Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229

DOCTRINE CITÉE

Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Avis de pratique – Allégations à l’égard d’un ancien conseil, 2018.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (X (Re), 2019 CanLII 128148) de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Richard Wazana pour le demandeur.

Asha Gafar pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Shannon Black, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge McHaffie :

I.          Aperçu

[1]        Ammar Mohamed prétend avoir été détenu et battu par le Service national de renseignement et de sécurité (le SNRS) au Soudan, parce qu’il était identifiable comme une personne ayant grandi à l’extérieur du Soudan. Il dit qu’il n’a été libéré que lorsque l’époux de sa cousine est intervenu et qu’après qu’il s’est engagé à rester au Soudan et à accomplir son service militaire national à l’âge de 18 ans.

[2]        La demande d’asile de M. Mohamed au Canada a été rejetée pour des motifs de crédibilité. Notant l’absence de documents corroborants, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que M. Mohamed n’était pas crédible, car il ne pouvait pas nommer l’agent qui l’avait battu, ne connaissait pas les obligations du service militaire soudanais et n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis. La Section d’appel des réfugiés (la SAR) [X (Re), 2019 CanLII 128148 (C.I.S.R.)] a refusé la demande de M. Mohamed relative au dépôt de documents supplémentaires en appel en rejetant l’argument selon lequel son ancien conseil l’avait mal conseillé au sujet de la preuve qu’il devait présenter à la SPR. La SAR a également confirmé les conclusions de la SPR quant à la crédibilité.

[3]        M. Mohamed demande le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Il fait valoir qu’il était inéquitable de la part de la SAR de refuser sa demande de dépôt de nouveaux documents pour des motifs de crédibilité sans la tenue d’une audience. Il fait également valoir que tant le refus des nouveaux documents que le rejet de son appel sur le fond étaient déraisonnables.

[4]        Je conclus que la SAR n’était pas obligée de tenir une audience avant de refuser la demande de M. Mohamed relative au dépôt de nouveaux documents en appel. Cependant, je juge que le refus de la SAR d’admettre les nouveaux documents était déraisonnable, puisqu’elle n’a pas démontré qu’elle avait sérieusement pris en considération le dossier de la preuve et les observations de M. Mohamed, et elle s’est indûment concentrée sur l’expérience de l’ancien conseil de M. Mohamed. Je conclus également que le rejet par la SAR de l’appel sur le fond était déraisonnable, étant donné son erreur dans la désignation et l’application de la norme de contrôle applicable, ainsi que le rejet en bloc de la preuve corroborante, au motif d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[5]        Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire renvoyée à la SAR pour nouvelle décision.

II.         Les questions en litige et les normes de contrôle

[6]        M. Mohamed soulève un certain nombre de moyens pour contester la décision de la SAR. Je n’ai pas besoin de répondre à certains d’entre eux, y compris son argument selon lequel la SAR n’a pas interprété comme il se doit l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Je me concentrerai plutôt sur les questions déterminantes suivantes :

A.        La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre les éléments de preuve que M. Mohamed avait présentés dans le cadre de l’appel, au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR, et en particulier :

1)    Était-il inéquitable de la part de la SAR de ne pas tenir d’audience avant de se prononcer sur les allégations de M. Mohamed contre son ancien conseil?

2)    Le rejet, par la SAR, des éléments de preuve était-il déraisonnable?

B.        La SAR a-t-elle commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, et en particulier :

1)    La SAR a-t-elle commis une erreur dans son examen des conclusions de la SPR relatives à la crédibilité découlant du témoignage de M. Mohamed?

2)    La SAR a-t-elle commis une erreur dans sa manière de considérer la preuve documentaire?

[7]        À l’exception de la question A1), relative à la tenue d’une audience, chacune de ces questions porte sur le bien-fondé des conclusions de la SAR. Les parties conviennent que ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), aux paragraphes 16–17 et 23–25; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96, [2016] 4 R.C.F. 230 (Singh (2016)), aux paragraphes 29 et 74; Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157, au paragraphe 35.

[8]        Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs : Vavilov, au paragraphe 13. Lorsqu’elle effectue un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne se livre pas à une analyse de novo ou ne cherche pas à trancher elle-même la question en litige : Vavilov, au paragraphe 83. Elle commence plutôt par les motifs du décideur administratif et apprécie le caractère raisonnable de la décision rendue pour ce qui est du raisonnement suivi et du résultat obtenu, examiné au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision : Vavilov, aux paragraphes 81, 83, 87 et 99. Une décision raisonnable est justifiée, transparente, intelligible pour la personne visée, et atteste « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lorsqu’elle est lue dans son ensemble et compte tenu du contexte administratif, du dossier dont le décideur était saisi et des observations des parties : Vavilov, aux paragraphes 81, 85, 91, 94–96, 99 et 127–128.

[9]        La question A1) tient à l’équité procédurale. À l’égard de telles questions, la Cour examine la question de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121 [Canadien Pacifique], au paragraphe 54. La question se pose dans le contexte de l’article 110 de la LIPR, et en particulier des paragraphes 110(4) et (6). L’interprétation et l’application par la SAR de ces dispositions sont généralement assujetties à la norme de la décision raisonnable : Singh (2016), aux paragraphes 29 et 74. Cependant, la question particulière soulevée dans la présente affaire est de savoir si le processus suivi par la SAR pour rendre sa décision au titre du paragraphe 110(4) était équitable sur le plan de la procédure. Bien que cela suppose un examen des dispositions applicables, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale : voir, p. ex., Canadien Pacifique, aux paragraphes 34–36 et 81–92 (l’interprétation d’une obligation imposée par la loi de rendre une décision dans un délai déterminé est une question d’équité procédurale); Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2004] 1 R.C.S. 502, aux paragraphes 79–85 (l’interprétation et l’application d’un droit procédural de communication prévu par la loi sont des questions d’équité procédurale).

III.        Analyse

A.    La SAR a commis une erreur en rejetant les éléments de preuve supplémentairesde M. Mohamed

1)    Il n’était pas inéquitable de rendre une décision au titre du paragraphe 110(4) sans la tenue d’une audience

[10]      L’article 110 de la LIPR régit les appels des décisions de la SPR entendus par la SAR. Le paragraphe 110(3) énonce une règle générale selon laquelle la SAR « procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la [SPR] ». Bien que la SAR puisse accepter une preuve documentaire, le paragraphe 110(4) restreint les circonstances dans lesquelles un demandeur d’asile peut présenter un élément de preuve :

110 […]

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. [Non souligné dans l’original.]

[11]      Pour que la SAR admette de nouveaux éléments de preuve, ceux-ci doivent satisfaire à la fois aux exigences légales explicites du paragraphe 110(4) et aux facteurs énoncés dans l’arrêt Raza que sont la crédibilité, la pertinence et le caractère substantiel : Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 13–15; Singh (2016), aux paragraphes 38–49.

[12]      La règle générale selon laquelle la SAR procède sans tenir d’audience est assujettie au paragraphe 110(6), qui prévoit une audience en cas de dépôt d’éléments de preuve documentaire essentiels et déterminants qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur d’asile :

110 […]

Audience

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. [Non souligné dans l’original.]

[13]      Bien que la SAR conserve un certain pouvoir discrétionnaire, une audience doit généralement être tenue lorsque ces critères prescrits par la loi sont remplis : Zhuo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911, aux paragraphes 9–11.

[14]      Dans le cadre de son appel à la SAR, M. Mohamed a demandé à déposer un certain nombre de nouveaux éléments de preuve documentaire, lesquels comprenaient des déclarations de sa mère et du gendre de sa tante (l’époux de sa cousine, que j’appellerai M. S), ainsi qu’une nouvelle traduction d’une lettre de son père, déposée précédemment. Ils comprenaient également des dossiers dentaires d’Arabie saoudite, une évaluation psychologique et divers éléments de preuve sur les conditions dans le pays. Comme le souligne l’avocat de M. Mohamed, la déclaration sous serment de M. S revêtait une importance particulière, car elle fournissait une preuve originale directe en lien avec la disparition de M. Mohamed, les efforts déployés pour obtenir sa libération et son état après sa libération.

[15]      Tous ces éléments de preuve sont survenus avant le rejet de la demande de M. Mohamed ou se rapportaient à des faits antérieurs au rejet. M. Mohamed a fait valoir que les éléments de preuve n’étaient pas « normalement accessibles » ou qu’il ne les aurait « pas normalement présentés, dans les circonstances, » parce que l’avocat qui le représentait devant la SPR n’avait pas fourni de conseils adéquats au sujet des éléments de preuve qu’il devait obtenir avant l’audience. M. Mohamed a souscrit un affidavit dans lequel il a déclaré que son ancien conseil lui avait dit d’obtenir des lettres de son père et de sa tante, mais ne lui avait pas donné de directives sur les aspects de son exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile qui devaient être abordés dans ces lettres ou sur l’ampleur des détails à fournir. Il a également déclaré que l’ancien conseil ne lui avait pas parlé du contenu des lettres une fois qu’elles avaient été rédigées et qu’il n’avait pas demandé si quelqu’un d’autre pouvait corroborer des détails de la détention qui étaient au cœur de la demande d’asile, notamment M. S.

[16]      Conformément à l’Avis de pratique – Allégations à l’égard d’un ancien conseil émis par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la C.I.S.R.), la nouvelle conseil de M. Mohamed devant la SAR (qui n’était pas l’avocat qui a plaidé la présente demande), avait avisé son ancien conseil des allégations de conseils inadéquats. Cet avis avait donné lieu à un échange d’allégations entre M. Mohamed et son ancien conseil, dans lesquelles chacun avait présenté différentes versions et caractérisations des faits. De plus amples détails concernant cet échange sont exposés ci-dessous.

[17]      La SAR a conclu que M. Mohamed ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait pour l’admission des nouveaux éléments de preuve. Cette conclusion reposait en partie sur le fait que la SAR n’avait pas accepté l’argument de M. Mohamed selon lequel son conseil n’avait pas donné des conseils adéquats. Les motifs de cette conclusion de la SAR sont ainsi rédigés [au paragraphe 24] :

     La SAR ne juge pas convaincant l’argument de l’appelant selon lequel son conseil (devant la SPR et la SAR) a omis de lui fournir des directives claires quant à la nécessité de fournir des éléments de preuve documentaire. À cet égard, [l’ancien conseil] a fourni à la SAR des notes détaillées et des dates, ainsi qu’une copie de directives écrites, concernant ses interactions directes avec l’appelant. La SAR fait également remarquer que le conseil est très expérimenté et qu’il comparaît régulièrement devant la Commission. La SAR accorde plus d’importance aux notes détaillées du conseil qu’aux allégations incohérentes et changeantes de l’appelant à l’égard de celui-ci.

[18]      M. Mohamed fait valoir que cette conclusion équivaut à une conclusion défavorable relative à la crédibilité, quant à son explication pour ne pas avoir obtenu les éléments de preuve, et que la SAR aurait dû lui accorder la tenue d’une audience avant de tirer une telle conclusion. Je conviens que la conclusion de la SAR touche la crédibilité de M. Mohamed. Bien que le ministre ait fait valoir que la SAR examinait simplement la question de savoir si M. Mohamed s’était acquitté du fardeau qui lui incombait, je ne peux convenir que la conclusion d’accepter effectivement la version des faits de l’avocat, plutôt que celle de M. Mohamed, consiste simplement en l’acquittement d’un fardeau. Cela s’avère particulièrement dans le contexte des éléments de preuve, qui présentaient des versions incompatibles des faits, et à la lumière des allégations du conseil, qui comprenaient de nombreuses déclarations selon lesquelles M. Mohamed [traduction] « ne disait pas la vérité ».

[19]      Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec M. Mohamed pour dire que la SAR était obligée de tenir une audience avant de se prononcer sur la crédibilité à cet égard, ou que la SAR a commis une erreur en n’appréciant pas les éléments du paragraphe 110(6) avant de rendre sa décision.

[20]      Il est important de souligner que, dans cette partie de son analyse, la SAR n’appréciait pas les éléments de preuve portant sur le bien-fondé de la demande d’asile de M. Mohamed. Elle appréciait les éléments de preuve se rapportant à l’explication de M. Mohamed quant à la raison pour laquelle les nouveaux documents ne pouvaient pas être fournis avant et, partant, la question de savoir s’ils satisfaisaient à l’exception prévue au paragraphe 110(4). À mon avis, le paragraphe 110(6) ne s’applique pas à cette appréciation.

[21]      Comme il est reproduit ci-dessus, selon le paragraphe 110(6), la SAR peut tenir une audience si elle estime « qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) » qui satisfont aux critères énoncés aux alinéas a), b) et c). Le paragraphe ne s’applique donc que dans les cas où elle établit qu’il existe des éléments de preuve visés au paragraphe 110(3). De tels éléments de preuve documentaire ne peuvent être déposés par le demandeur d’asile que s’il établit qu’ils satisfont aux exigences du paragraphe 110(4). Autrement dit, la SAR doit déterminer s’il existe des éléments de preuve qui satisfont aux exigences du paragraphe 110(4) avant de procéder à l’appréciation au titre du paragraphe 110(6) pour décider si ces éléments de preuve a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité, b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile et c) justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée. Bien que la SAR doive, bien entendu, tenir compte des éléments de preuve déposés par un demandeur d’asile pour établir que les exigences du paragraphe 110(4) sont respectées, cela ne signifie pas que de tels éléments de preuve sont eux-mêmes admis à titre de nouveaux éléments de preuve de façon à entraîner l’application du paragraphe 110(6). Je note que les critères énoncés aux alinéas 110(6)b) et c) donnent également à entendre que les éléments de preuve examinés sont des éléments qui portent sur le bien-fondé de la demande d’asile, et non sur les exigences prévues au paragraphe 110(4).

[22]      M. Mohamed s’appuie sur la conclusion de la juge Wilson dans l’arrêt Singh (1985) pour faire valoir que lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, il est incompatible avec les principes de justice fondamentale, et donc avec le devoir d’équité procédurale imposé par la common law, de ne procéder qu’à une étude de dossier : Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 (Singh (1985)), au paragraphe 59. Cependant, même si l’obligation d’équité nécessiterait une audience dans ces circonstances, ce que je n’ai pas à trancher, les dispositions législatives régissant la procédure d’un tribunal l’emportent sur toute obligation en common law, en l’absence d’une contestation constitutionnelle : Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, au paragraphe 22. Le paragraphe 110(6) est la seule disposition législative qui permet à la SAR de tenir une audience. Le paragraphe 110(3) prévoit que la SAR doit par ailleurs procéder sans tenir d’audience. Cette exigence de la loi supplante toute exigence d’équité procédurale imposée par la common law qui pourrait autrement s’appliquer. Comme cela a été le cas dans l’arrêt Singh (2016), aucune contestation constitutionnelle du régime d’appel énoncé à l’article 110 de la LIPR n’a été soulevée dans l’affaire qui nous occupe : Singh (2016), aux paragraphes 61–63.

[23]      Je conclus donc que la SAR n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’article 110 de la LIPR ou à son devoir d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience avant de décider que les éléments de preuve présentés par M. Mohamed ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4).

2)    Le rejet, par la SAR, des nouveaux éléments de preuve documentaire était déraisonnable

[24]      Bien que la décision de la SAR au titre du paragraphe 110(4) n’ait pas été inéquitable sur le plan de la procédure, je conclus qu’elle était déraisonnable. La SAR n’a pas raisonnablement examiné la preuve présentée par chaque partie en ce qui concerne la question de la représentation et s’est indûment appuyée sur l’expérience du conseil. Pour examiner cette question, il faut prendre en considération les éléments de preuve déposés afférents aux allégations contre l’ancien conseil, la décision de la SAR concernant ces allégations et ses conclusions sur d’autres éléments du critère relatif aux nouveaux éléments de preuve.

a)    Les éléments de preuve de M. Mohamed et de l’ancien conseil

[25]      L’essentiel de l’allégation de M. Mohamed était que son ancien conseil n’avait pas donné des conseils adéquats sur les éléments de preuve qu’il devait obtenir en vue de l’audience de la SPR. Cela incluait le défaut de se renseigner au sujet des conséquences psychologiques de sa détention, le défaut d’expliquer la nécessité de disposer de dossiers médicaux et dentaires ainsi que le défaut de demander des éléments de preuve à la mère de M. Mohamed ou à M. S, qui avait organisé la mise en liberté de M. Mohamed.

[26]      L’ancien conseil a répondu à ces allégations en déclarant que toutes les allégations formulées contre lui par M. Mohamed étaient fausses, et il a présenté un compte rendu de rencontres qui contredisait les déclarations de M. Mohamed. En particulier, il a nié le fait qu’il n’avait pas conseillé à M. Mohamed d’obtenir une lettre de sa mère ou de M. S. Il a également affirmé que M. Mohamed ne lui avait pas dit qu’il avait subi des effets psychologiques et n’avait soulevé aucun préjudice psychologique lors de l’audience de la SPR. À la déclaration de l’ancien conseil était jointe une page qu’il avait préparée au cours d’une rencontre avec M. Mohamed et qu’il lui avait remise. La page résumait les documents que M. Mohamed devrait obtenir, lesquels comprenaient une [traduction] « lettre du père » et une [traduction] « lettre de la tante », avec quelques détails sur ce que ces lettres devraient inclure. La page ne faisait pas référence à l’obtention d’éléments de preuve auprès de la mère de M. Mohamed ou de M. S, bien que M. S soit mentionné dans le résumé de ce que la lettre de la tante devrait inclure. Dans le résumé relatif à la lettre de la tante, il était également écrit que M. Mohamed était [traduction] « très effrayé; il avait l’impression d’être suivi ou surveillé ». Aucune autre note des rencontres entre le conseil et le client n’a été fournie.

[27]      M. Mohamed a répondu à la déclaration de l’ancien conseil par un affidavit modifié. Il a affirmé qu’il avait oublié la page de résumé que le conseil lui avait donnée, mais a pour l’essentiel réitéré son témoignage et contredit les versions des rencontres de l’ancien conseil ainsi que la pertinence des directives qui lui avait été fournies. M. Mohamed a donné plus de détails sur la rencontre initiale, y compris la discussion au sujet de M. S. Il a également souligné certains faits qui contredisaient le compte rendu de l’ancien conseil, notamment la référence au témoignage devant la SPR concernant ses difficultés psychologiques.

[28]      L’ancien conseil a déposé une autre réponse à cet affidavit modifié. Elle comprenait une déclaration répétée selon laquelle M. Mohamed n’avait pas dit à son conseil qu’il avait subi des effets psychologiques. Il y était également réitéré que le conseil avait conseillé à M. Mohamed d’obtenir une lettre de M. S, mais que M. Mohamed avait répondu qu’il ne pouvait pas obtenir une telle lettre en raison de la crainte des autorités par M. S. L’ancien conseil a souligné qu’il avait représenté avec succès de nombreux demandeurs d’asile du Soudan et que, lorsqu’un témoin a peur de faire une déclaration par écrit en raison d’une crainte crédible de représailles, [traduction] « pour des raisons évidentes, cette explication est généralement admise par la Section de la protection des réfugiés ». Après mon examen de l’audience, je note que le conseil n’a pas présenté une telle explication à la SPR, que ce soit dans des observations ou dans des questions posées à M. Mohamed.

[29]      M. Mohamed a déposé un dernier affidavit supplémentaire concernant ses compétences en anglais et fournissant des renseignements au sujet du retard lié à l’obtention de certains éléments de preuve, y compris la déclaration de M. S.

b)    Le rejet par la SAR de l’argument au sujet de l’ancien conseil

[30]      La SAR [au paragraphe 16] a brièvement résumé la preuve qui précède et les demandes de M. Mohamed afin de fournir des documents supplémentaires, faisant observer au passage que « [l]a SAR fait observer que l’appelant était représenté par un conseil expérimenté tant au moment de la mise en état de l’appel et de l’audience devant la SPR ». La SAR a rejeté l’argument de M. Mohamed selon lequel l’ancien conseil avait omis de fournir des directives claires dans le passage reproduit au paragraphe 17 ci-dessus. La SAR a ensuite évoqué le fardeau qui incombait à un demandeur d’asile de prouver le bien-fondé de sa demande (notant pour la troisième fois que M. Mohamed était représenté par un conseil très expérimenté) et a abordé la question de savoir si les documents supplémentaires étaient « nouveaux ». Cependant, la seule analyse par la SAR de l’allégation de représentation inadéquate est dans sa référence aux notes, dates et directives écrites de l’ancien conseil, à l’expérience de l’ancien conseil et à sa conclusion selon laquelle elle accordait plus d’importance aux « notes détaillées du conseil qu’aux allégations incohérentes et changeantes de l’appelant » [au paragraphe 24].

[31]      À mon avis, cette analyse est insuffisante pour être raisonnable, puisqu’elle ne démontre pas la justification, la transparence et l’intelligibilité qui sont l’objet même des motifs : Vavilov, aux paragraphes 81 et 99. Cela ne montre pas que la SAR a tenu valablement compte de la preuve versée au dossier et des observations de M. Mohamed : Vavilov, aux paragraphes 125–128.

[32]      La phrase initiale de la SAR [au paragraphe 24] introduisant la question indiquait ceci : « La SAR ne juge pas convaincant l’argument de l’appelant selon lequel son conseil (devant la SPR et la SAR) a omis de lui fournir des directives claires quant à la nécessité de fournir des éléments de preuve documentaire » (non souligné dans l’original). Je souligne que le conseil de M. Mohamed devant la SPR n’était pas celui qui l’a représenté devant la SAR. Bien que la SAR ait également eu des préoccupations quant au moment où M. Mohamed a déposé des documents devant elle (notamment après la mise en état), M. Mohamed n’a pas soutenu que son conseil devant la SAR ne lui avait pas donné de directives claires sur la nécessité de fournir des éléments de preuve. Cela dit, cet énoncé erroné de la part de la SAR ne rend pas son analyse déraisonnable. L’accent doit plutôt être mis sur la compréhension du fil du raisonnement suivi par la SAR pour rejeter les nouveaux documents : Vavilov, aux paragraphes 84–86.

[33]      Essentiellement, la SAR a donné trois motifs pour étayer sa conclusion quant à la crédibilité : l’ancien conseil avait fourni des notes détaillées, des dates et des directives écrites; cet ancien conseil avait beaucoup d’expérience des comparutions devant la SAR; les allégations de M. Mohamed étaient incohérentes et changeantes.[34]           La quantité de détails, les éléments de preuve documentaire à l’appui sous forme de directives écrites et les préoccupations concernant un témoignage « incohéren[t] et changean[t] » peuvent certainement motiver une conclusion quant à la crédibilité, si celle-ci est suffisamment étayée par l’examen de la preuve. Cependant, l’analyse de la SAR sur ces points n’a pas abordé la question principale soulevée par M. Mohamed : le fait qu’il n’avait pas été adéquatement avisé de fournir des éléments de preuve utiles qu’il a par la suite présentés. Elle n’a pas non plus abordé la mesure dans laquelle les éléments de preuve déposés par M. Mohamed et son ancien conseil étayaient ou contredisaient cette question principale. M. Mohamed a présenté un certain nombre d’arguments soulignant des incohérences dans les déclarations de l’ancien conseil, dont aucun n’a été abordé par la SAR. Je ne propose pas d’analyser ces arguments ou leur force, puisque ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je souligne simplement qu’il y avait des questions suffisamment importantes concernant l’argument sous-jacent que la SAR était obligée d’examiner et de traiter plus à fond que par les conclusions générales fournies.

[35]      En outre, à mon avis, l’expérience d’anciens conseils n’est pas un motif auquel il est possible d’accorder un poids important dans l’appréciation des allégations de représentation inadéquate ou de la crédibilité de la preuve sur cette question. Le conseil le plus expérimenté peut se tromper et fournir des conseils inadéquats dans un cas particulier. La SAR ne devrait pas non plus privilégier le témoignage d’un conseil par rapport à celui d’un demandeur d’asile au seul motif de son statut ou de son expérience. Bien que l’observation de la SAR à cet égard puisse être considérée comme une simple « note » concernant l’expérience du conseil, elle revêt une importance supplémentaire, étant donné que la SAR a répété cette note à deux autres occasions dans ses motifs. L’insistance trop grande sur l’expérience du conseil laisse croire à une approche inappropriée qui donne une crédibilité inhérente au conseil par rapport à un demandeur d’asile, plutôt qu’à une appréciation de la crédibilité en fonction de la preuve présentée par le conseil et son client. Cette préoccupation est accrue du fait de l’absence de toute explication de la SAR quant aux raisons pour lesquelles elle considérait l’expérience du conseil comme étant pertinente pour l’appréciation de la crédibilité.

[36]      La SAR n’est pas tenue de traiter tous les arguments ou éléments de preuve avancés par les parties : Vavilov, au paragraphe 128. Cependant, vu l’importance des nouveaux éléments de preuve pour la demande d’asile de M. Mohamed et l’incidence de la conclusion défavorable quant à la crédibilité, les motifs de la SAR ne satisfaisaient pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité pour démontrer que la SAR avait tenu valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées : Vavilov, aux paragraphes 88, 127 et 133–135.

c)    Les conclusions de la SAR sur la nouveauté et le poids

[37]      Le caractère déraisonnable de la décision de la SAR concernant l’allégation de représentation insuffisante n’est pas nécessairement déterminant. La SAR a poursuivi en concluant que les documents n’étaient pas « nouveaux » et qu’elle leur aurait, de toute façon, accordé peu de poids s’ils avaient été admis. Si ces conclusions étaient raisonnables, alors les allégations contre l’ancien conseil pourraient au bout du compte être dénuées de pertinence, puisque les documents n’auraient néanmoins pas été admis ou, s’ils l’avaient été, n’auraient pas influé sur l’issue du litige. Cependant, après avoir examiné les motifs de la SAR sur ces questions de nouveauté et de poids, je souscris aux arguments de M. Mohamed selon lesquels ils étaient eux aussi déraisonnables.

[38]      La SAR [au paragraphe 26] a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas nouveaux, puisque, simplement, ils « [répétaient] de l’information et des observations déjà fournies à la SPR ». La SAR a précisément fait référence aux problèmes dentaires de M. Mohamed et a conclu que « les lettres provenant de membres de la famille de l’appelant ne sont pas “nouvelles”; elles n’ont qu’été revues en réaction aux conclusions de la SPR ». Bien que la description de cet élément de preuve comme étant une répétition puisse raisonnablement s’appliquer à certains des éléments de preuve, je conviens avec M. Mohamed qu’elle ne peut pas raisonnablement s’appliquer à la déclaration de M. S. Cette déclaration présentait, pour la première fois, une preuve directe de la personne qui aurait organisé la mise en liberté de M. Mohamed. Elle corroborait également la disparition de M. Mohamed et sa condition physique après sa libération. Elle ne peut raisonnablement pas être considérée comme une version « réitérative » ou « simplement revue » de ce qui avait été déposé antérieurement. La SAR n’a pas examiné cette déclaration séparément ou, en fait, n’y a pas fait référence du tout, autrement qu’en mentionnant peut-être les « lettres provenant de membres de la famille », bien que la déclaration de M. S n’ait pas constitué une lettre.

[39]      La SAR a ensuite conclu que, même si les nouveaux documents étaient admis, elle leur accorderait peu de poids dans l’appréciation du fond, puisqu’ils étaient peu pertinents à l’égard des questions déterminantes. Elle se réfère, à titre d’exemple, aux renseignements figurant dans la nouvelle traduction de la déclaration du père, aux conversations de M. Mohamed avec les membres de sa parenté, à sa bourse d’étude et aux documents relatifs aux conditions dans le pays. Elle a également examiné les éléments de preuve psychologiques et a conclu qu’ils avaient peu de valeur probante. Cependant, encore une fois, la SAR n’a fait aucune référence à l’élément de preuve nouveau le plus probant, soit la déclaration de M. S qui prétend corroborer l’élément au cœur de la demande d’asile de M. Mohamed. La SAR ne donne aucun motif de conclure que cet élément de preuve devrait avoir peu de poids s’il est admis, ou qu’il n’était pas pertinent ou probant pour les questions soulevées dans la demande d’asile.

[40]      Je suis conscient que les motifs administratifs doivent être interprétés en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils sont fournis et qu’il n’est pas nécessaire de faire référence à chaque document ou élément de preuve : Vavilov, aux paragraphes 91–92. Cependant, le fait que l’analyse de la SAR sur ces questions ne mentionne pas la déclaration importante de M. S soulève des inquiétudes quant au fait que la SAR n’a pas pris en compte la preuve versée au dossier dans sa décision, malgré ses déclarations contraires : Vavilov, au paragraphe 126.

[41]      Je conclus donc que les autres motifs de la SAR concernant les questions de nouveauté ou le poids qu’elle accorderait aux documents s’ils étaient admis sont déraisonnables. Ils ne rendent donc pas théorique le caractère déraisonnable de l’appréciation par la SAR de l’argument de M. Mohamed relativement à une représentation inadéquate.

[42]      En guise de dernière observation, je note que la SAR a également conclu que M. Mohamed ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’expliquer pourquoi il était incapable de fournir ses nouveaux documents avec son dossier d’appel, lui-même soumis tardivement. Elle est arrivée à cette conclusion sans aucune référence aux éléments de preuve ou aux arguments, y compris la déclaration de M. S disant qu’il avait tenté de prêter serment devant un certain nombre d’avocats, qui ont refusé de le faire en raison du danger découlant de l’examen de leurs documents par les services de sécurité soudanais.

B.    La SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité

[43]      M. Mohamed soulève un certain nombre d’arguments concernant l’appréciation, par la SAR, de sa crédibilité. Ces arguments portent à la fois sur la norme de contrôle appliquée par la SAR et sur son traitement relatif au bien-fondé de ces conclusions. M. Mohamed se concentre en particulier sur la confirmation par la SAR de la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité qui résulte de l’incapacité de M. Mohamed de nommer l’agent qui l’a détenu et battu et sur le traitement par la SAR des éléments de preuve documentaire. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision de la SAR était déraisonnable sur ces questions.

(1)  La SAR a apprécié de manière déraisonnable les conclusions de la SPR quant à la crédibilité

a)    La SAR a mal énoncé et mal appliqué la norme de contrôle applicable

[44]      La SAR a exposé son rôle dans l’examen de la décision de la SPR dès le début de ses motifs. Se fondant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica, la SAR a noté à juste titre qu’elle devait appliquer la norme de la décision correcte aux conclusions de droit, de fait, ou aux conclusions mixtes de fait et de droit qui ne soulevaient pas de question de crédibilité concernant le témoignage de vive voix : Huruglica, aux paragraphes 78–79. La SAR [au paragraphe 12] a également noté à juste titre que, dans l’appréciation de la crédibilité du témoignage de vive voix, « la SPR peut avoir un avantage certain » (italique ajouté par la SAR), une déclaration compatible avec l’arrêt Huruglica, aux paragraphes 70–74.

[45]      Cependant, la SAR a ensuite adopté des déclarations de la Cour concernant le rôle de celle-ci dans l’examen des conclusions de fait de la SPR : Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 22 et 42; Hadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 590, au paragraphe 12. La SAR a cité en particulier la déclaration fréquemment évoquée de la juge Gleason, alors juge à la Cour, selon laquelle « le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve » : Rahal, au paragraphe 42.

[46]      Ces références sont déplacées, car le rôle de la SAR dans l’examen des conclusions de la SPR, y compris en ce qui concerne la crédibilité, se distingue de celui de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire : Huruglica, aux paragraphes 47 et 70–74; Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145 [Rozas del Solar], aux paragraphes 128–130. En particulier, le rôle de la SAR consiste à examiner la question de savoir si la SPR « a joui d’un véritable avantage » ou s’il s’agit d’une situation où « la SPR n’[a] pas de véritable avantage sur la SAR » : Huruglica, aux paragraphes 70 et 72; Rozas del Solar, aux paragraphes 86–91. Il suppose également une approche différente, concernant la déférence, de celle appliquée dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Rozas del Solar, aux paragraphes 131–133.

[47]      La déclaration de la SAR [au paragraphe 12] laisse donc croire qu’elle a mal compris son rôle dans l’examen de la décision de la SPR, car elle indique que la SAR considérait que la norme de « la plus grande retenue » était justifiée et qu’elle considérait son rôle comme étant « très limité ».

[48]      Cet énoncé erroné n’aurait peut-être pas influé sur la décision dans son ensemble si l’analyse réelle par la SAR des conclusions de la SPR montrait que cet énoncé erroné était sans importance ou qu’elle appliquait en fait la norme appropriée. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[49]      Comme le souligne M. Mohamed, la SAR n’a pas énoncé avec clarté la norme qu’elle appliquait aux conclusions particulières en litige quant à la crédibilité. En particulier, la SAR n’a pas précisé si elle concluait que la SPR avait un avantage certain par rapport à l’une ou l’autre des conclusions et, par conséquent, si elle considérait que la déférence était justifiée. Cependant, les motifs de la SAR donnent à entendre qu’elle a fait preuve d’une trop grande retenue à l’égard des conclusions de la SPR en se fondant sur le témoignage de M. Mohamed. À cet égard, je ne peux accepter l’affirmation du ministre selon laquelle la SAR a clairement fait savoir tout au long de sa décision qu’elle examinait la justesse de la décision de la SPR.

[50]      Cela se voit en particulier dans le passage des motifs de la SAR portant sur l’une des conclusions principales de la SPR quant à la crédibilité, à savoir que M. Mohamed a [traduction] « inventé » l’agent qui l’avait détenu et battu. La SPR est parvenue à cette conclusion au motif que M. Mohamed [traduction] « n’était pas en mesure de nommer l’agent » et que, bien qu’il ait pensé que sa tante était au courant de l’identité de l’agent, il ne lui avait pas demandé. Voici l’analyse de la SAR à l’égard de cette conclusion [aux paragraphes 37–39] :

Témoignage vague en ce qui a trait aux allégations

La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations de l’appelant parce que le témoignage de ce dernier était vague, particulièrement en ce qui concerne les prétendus agents de persécution, ainsi que le fondement de la demande d’asile de l’appelant lié aux exigences en matière de service national au Soudan.

L’appelant soutient de façon très générale que la SPR a commis une erreur, car il est plausible que l’appelant ne connaisse pas plus de détails au sujet de sa demande d’asile en raison d’un traumatisme qu’il a subi. L’appelant fait valoir que la SPR a dénaturé les éléments de preuve.

Ayant examiné de manière indépendante les éléments de preuve, y compris les questions de la SPR (et les questions de suivi) et les réponses de l’appelant, la SAR ne souscrit pas à l’argument de l’appelant. La SPR a posé à l’appelant des questions simples et directes au sujet de ses propres allégations de persécution. Les questions qui lui ont été posées n’étaient ni difficiles, ni compliquées, ni controversées. En outre, aucun élément de preuve ne porte à croire que l’appelant ne comprenait pas les questions qui lui étaient posées. Par conséquent, la SAR ne voit aucune raison d’intervenir relativement aux conclusions défavorables qu’a tirées la SPR en raison du témoignage vague de l’appelant, lequel n’expliquait pas suffisamment en détail les éléments centraux du fondement de sa demande d’asile. Les conclusions de la SPR sont le résultat d’un processus de raisonnement compréhensible et fondé sur les éléments de preuve dont elle disposait. [Non souligné dans l’original.]

[51]      Bien que la SAR ait mentionné [au paragraphe 39] avoir « examiné de manière indépendante les éléments de preuve », sa conclusion finale était que les conclusions de la SPR étaient « le résultat d’un processus de raisonnement compréhensible et fondé sur les éléments de preuve dont elle disposait ». D’après ce libellé, il aurait été fait preuve d’une certaine retenue à l’égard de l’examen de cette question. Toutefois, la SAR n’a pas expliqué pourquoi elle considérait que la SPR avait eu un avantage certain en tirant une conclusion relative à la crédibilité en s’appuyant sur ce motif. Au contraire, la SAR déclare qu’elle a examiné de manière indépendante les éléments de preuve et n’a exprimé aucune difficulté à le faire.

[52]      En outre, comme le souligne M. Mohamed, le libellé utilisé par la SAR — « le résultat d’un processus de raisonnement compréhensible » — est celui qui a été adopté par la majorité d’un tribunal de trois commissaires de la SAR dans la décision X (Re), 2017 CanLII 33034 (C.I.S.R.), aux paragraphes 73–74. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire dans la décision Rozas del Solar, dans laquelle le juge Diner [aux paragraphes 114, 126 et 130] a rejeté l’approche de la SAR comme étant une reproduction inappropriée de la norme de contrôle judiciaire :

Les commissaires majoritaires de la SAR se sont ensuite penchés sur l’arrêt Dunsmuir [c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190] et ont conclu que la SAR devrait analyser à la fois le processus et le résultat. C’est-à-dire que la conclusion de la SPR serait maintenue si elle a été le résultat d’un processus de raisonnement compréhensible, en ce sens que la SAR pouvait lire la conclusion de la SPR et comprendre comment cette dernière a pu être tirée, et que l’issue était étayée par la preuve.

[…]

En résumé, après avoir examiné la justification donnée par les commissaires majoritaires de la SAR, je conclus que la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR ne s’écarte pas de la norme de la décision raisonnable qui est appliquée lors du contrôle judiciaire du simple fait qu’elle emporte un examen indépendant.

[…]

Selon moi, la majorité des conclusions de la SAR quant au contenu de sa norme déférente ne sont pas compatibles avec les directives de la Cour d’appel fédérale selon lesquelles la SAR ne doit pas procéder au contrôle des décisions de la SPR comme s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire […] [Non souligné dans l’original; renvoi omis.]

[53]      Je fais observer que la décision de la Cour dans l’affaire Rozas del Solar n’a été rendue qu’à la fin de 2018 et n’a peut-être pas été portée à l’attention du tribunal de la SAR au moment où sa décision a été rendue en juin 2019. Néanmoins, je conclus que l’énoncé erroné de la SAR au sujet de son rôle de tribunal d’appel et le motif qu’elle a invoqué pour confirmer la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité dénotent qu’elle n’a pas appliqué la norme de contrôle appropriée à l’égard de cette question.

b)    L’analyse par la SAR de la conclusion relative à la crédibilité était déraisonnable

[54]      Je conclus également que l’appréciation de fond qu’a faite la SAR de la conclusion relative à la crédibilité est déraisonnable. Pour commencer, je conviens avec M. Mohamed que la SAR a commis une erreur en qualifiant la conclusion de la SPR de fondée sur un « témoignage vague ». La SPR s’est appuyée non pas sur l’imprécision du témoignage de M. Mohamed, mais sur son incapacité de nommer la personne qui l’avait battu et sur le fait qu’il n’avait pas demandé cette information à sa tante. Bien que le ministre ait insisté sur le fait que cela équivalait à une conclusion selon laquelle le témoignage était « vague », je ne peux pas être du même avis. La SPR n’a pas abordé la question comme s’il s’agissait d’une imprécision; elle a plutôt déclaré que la preuve était déraisonnable, parce qu’elle [traduction] « se serait attendue à ce que, si le demandeur d’asile craignait une personne en particulier comme son principal agent de persécution, il fasse des efforts pour découvrir l’identité de la personne ». Il s’agit, essentiellement, d’une conclusion selon laquelle a) la crainte de M. Mohamed tenait à un agent considéré comme son [traduction] « principal agent de persécution », plutôt qu’à l’égard du SNRS et du gouvernement du Soudan en général; b) il n’était pas vraisemblable que M. Mohamed ait été détenu et battu par cet agent sans qu’il veuille découvrir son nom.

[55]      La qualification de la conclusion par la SAR n’est pas en soi une préoccupation importante. Cependant, cela a conduit la SAR à déformer également les arguments de M. Mohamed et à fournir des motifs de réponse qui n’abordaient pas ces arguments. La SAR ne voyait aucune raison de modifier la conclusion de la SPR, parce que la SPR [au paragraphe 39] avait posé des « questions simples et directes » qui n’étaient « ni difficiles, ni compliquées, ni controversées » et que M. Mohamed avait compris les questions. Cependant, M. Mohamed n’a pas fait valoir qu’il avait mal compris les questions de la SPR ou qu’elles étaient trop complexes. Il a soutenu que la SPR avait commis une erreur en s’appuyant sur le fait qu’il ne connaissait pas le nom de l’agent et qu’il était invraisemblable que quelqu’un soit détenu et battu sans chercher à se renseigner sur ce détail. L’incapacité de la SAR « à s’attaquer de façon significative » à l’argument principal soulevé par M. Mohamed sur cette conclusion essentielle quant à la crédibilité était déraisonnable : Vavilov, aux paragraphes 127–128.

[56]      La SAR n’a pas non plus fourni de renseignements pour étayer sa propre conclusion apparente selon laquelle le témoignage de M. Mohamed était « vague » ou « n’expliquait pas suffisamment en détail les éléments centraux » de sa demande d’asile. Comme la juge Fuhrer l’a souligné dans sa décision dans l’affaire Oria-Arebun, la SAR, tout comme la SPR, « a toutefois “l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant” lorsqu’elle procède à sa propre évaluation de la crédibilité » : Oria-Arebun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1457 [Oria-Arebun], au paragraphe 55, citant Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.), au paragraphe 6; Zaytoun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939, au paragraphe 7.

[57]      La SAR n’a fourni aucune indication de ce qu’elle a jugé « vague » dans le témoignage de M. Mohamed sur cette question. La SAR n’a pas pu vouloir dire qu’elle a adopté des conclusions de la SPR au sujet de l’” imprécision », puisque la seule référence de la SPR à l’imprécision concernait les déclarations sans lien de M. Mohamed sur le fait de ne pas vouloir mener les guerres du gouvernement ou tuer des innocents. La SAR n’a pas non plus indiqué quels éléments, selon elle, n’étaient pas expliqués « suffisamment en détail » dans le témoignage de M. Mohamed ou, dans la mesure où cet élément pouvait être considéré comme faisant référence au nom de l’agent, pourquoi cela avait eu une incidence sur la crédibilité de M. Mohamed.

[58]      Je conclus donc que les motifs de la SAR sur cette question ne satisfont pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité requises pour une décision raisonnable : Vavilov, au paragraphe 99. Vu l’importance de cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, laquelle a amené la SPR à conclure que M. Mohamed avait inventé un agent de persécution, cette erreur a forcément influé sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble : Vavilov, au paragraphe 100.

c)    La SAR a commis une erreur dans son traitement des éléments de preuve documentaire

[59]      Lors de son audience devant la SPR, en plus de son propre témoignage et des références aux éléments de preuve sur les conditions dans le pays, M. Mohamed a présenté sept éléments de preuve documentaire principaux. Trois d’entre eux portaient sur ses allégations selon lesquelles il aurait été détenu et battu par le SNRS : un certificat médical, une lettre de son père et une lettre de sa tante. Le certificat médical indiquait que M. Mohamed s’était rendu à l’hôpital à la date à laquelle il affirmait avoir été remis en liberté, qu’il avait subi une fracture du poignet et qu’il avait reçu des soins pour cette fracture, ainsi que pour quatre dents de devant cassées et une coupure sous l’œil. La lettre du père (telle que traduite pour la première fois) contenait des déclarations répétant le récit de M. Mohamed concernant sa détention, les coups qu’il avait reçus et sa libération. La lettre de la tante répétait le récit de la même manière, mais indiquait également qu’elle avait communiqué avec son gendre, M. S, qui l’avait emmenée à la recherche de M. Mohamed, et décrivait son état quand elle l’avait vu après sa libération.

[60]      La SPR a examiné chacun de ces éléments au début de ses motifs. Elle a déclaré que le certificat médical ne donnait pas de détails sur le traumatisme qui aurait pu causer les blessures et a souligné les [traduction] « limites des certificats médicaux concernant l’appréciation de la cause des blessures physiques ». La SPR n’a accordé que peu de poids à la lettre du père, car il n’était pas au Soudan à l’époque et ne pouvait donc transmettre qu’une connaissance indirecte. La SPR a accordé [traduction] « la plus grande valeur probante » à la lettre de la tante, mais a déclaré que [traduction] « la seule preuve directe » fournie était sa description physique de M. Mohamed à la date à laquelle il prétend avoir été libéré.

[61]      En appel, M. Mohamed a fait valoir que, bien que la SPR se soit référée aux documents, elle ne les avait pas pris en considération pour apprécier sa demande d’asile et sa crédibilité. En particulier, la SPR n’a pas examiné en quoi la confirmation de la tante selon laquelle il avait disparu et avait subi des blessures physiques, comme le confirme le certificat médical, corroborait son récit selon lequel il avait été détenu et battu par le SNRS avant de rejeter ce récit, sur la base de la crédibilité de M. Mohamed.

[62]      La SAR a conclu que la SPR n’avait manifestement pas fait fi des documents, compte tenu de ses références aux documents et de sa mise en évidence de préoccupations comme la connaissance directe des incidents. La SAR a ensuite déclaré [au paragraphe 47] :

[…] La SPR a conclu que les réponses de l’appelant n’étaient pas crédibles et, par conséquent, elle n’a pas accordé de valeur probante à ses lettres et ses documents non vérifiés, au sujet desquels il a été conclu qu’ils étaient eux-mêmes très vagues. En outre, les conclusions de la SPR concordent avec la jurisprudence; lorsque la SPR tire une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité, la SPR peut accorder une faible valeur probante aux autres documents. La SAR souligne également la décision dans l’affaire Gebetas [c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1241, au paragraphe 29], selon laquelle : « À maintes reprises, la Cour a décidé qu’une conclusion générale de manque de crédibilité d’un demandeur peut avoir un effet sur tous les éléments de preuve pertinents présentés par le demandeur, notamment la preuve documentaire, et en fin de compte entraîner le rejet de sa demande. » [Souligné dans l’original; note de bas de page omise.]

[63]      Comme le ministre l’a admis durant la plaidoirie, la qualification par la SAR des conclusions de la SPR est encore une fois tout simplement erronée. La SPR n’a pas accordé peu de valeur probante aux documents en s’appuyant sur ses conclusions quant à la crédibilité de M. Mohamed. Elle ne s’est pas non plus appuyée sur le fait que les documents et les lettres étaient « non vérifiés ». À aucun moment, la SPR n’a conclu que, suivant une « conclusion générale défavorable quant à la crédibilité », elle accordait une faible valeur probante à d’autres documents, qu’elle ait été fondée ou non à le faire.

[64]      En plus de citer la décision Gebetas [Gebetas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1241], la SAR a ensuite cité le paragraphe 20 de la décision rendue par le juge Nadon, alors juge à la Cour, dans Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (QL) (1re inst.) [Hamid] :

[…] Lorsqu’une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n’est pas crédible, dans la plupart des cas, il s’ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu’ils sont véritablement authentiques. En l’espèce, la preuve du requérant n’a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n’est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d’affirmer qu’il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité. [Non souligné dans l’original.]

[65]      Il semble que la SAR présume que les décisions Gebetas et Hamid enseignent que la SPR peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur le témoignage d’un demandeur, puis écarter la preuve documentaire corroborante en s’appuyant sur cette conclusion. Dans la mesure où les décisions Gebetas et Hamid soutiennent cette proposition, elles semblent être en conflit avec des décisions comme Chen et Yu, qui confirment que la preuve corroborante doit être appréciée avant qu’il soit possible d’arriver à une conclusion défavorable en matière de crédibilité : Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, aux paragraphes 19–21; Yu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1138, aux paragraphes 34–35.

[66]      Je n’ai pas besoin de trancher cette question, mais, à mon avis, les décisions Gebetas et Hamid ne peuvent pas être considérées comme une proposition aussi large. Dans la décision Hamid, par exemple, la C.I.S.R. avait en fait analysé les documents en question, les jugeant non authentiques, et la Cour examinait l’argument du requérant voulant que la C.I.S.R. était tenue d’analyser cette preuve indépendamment du témoignage du requérant : Hamid, aux paragraphes 17–19. De même, dans la décision Gebetas, la Cour a conclu que la SPR avait pris en compte l’ensemble des éléments de preuve documentaire, mais qu’il était raisonnable de leur accorder peu de poids, étant donné que les faits sous-jacents avaient été jugés non crédibles : Gebetas, aux paragraphes 28–29.

[67]      Quoi qu’il en soit, à mon avis, les décisions Chen et Yu représentent la jurisprudence à privilégier au chapitre du rôle et de l’objet de la preuve corroborante. Je souligne que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sheikh, fréquemment cité sur cette question, ne va pas jusqu’à énoncer une proposition générale selon laquelle, une fois qu’une conclusion relative à la crédibilité est tirée sur la foi d’un témoignage, tout document corroborant peut être simplement écarté pour ce motif : Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.) [à la page 244], au paragraphe 8. Dans cette affaire, qui portait sur des conclusions relatives à une demande ne possédant pas « un minimum de fondement », la Cour d’appel [fédérale] a noté que le premier palier d’audience peut « douter raisonnablement de [la] crédibilité » d’un demandeur au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible sur lequel le second palier d’audience pourrait se fonder pour faire droit à la demande d’asile. En d’autres termes, « la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage » : Sheikh, [à la page 244] au paragraphe 8. Ce passage ne souscrit pas à une approche dans laquelle des conclusions relatives à la crédibilité sont tirées avant l’appréciation d’autres éléments de preuve corroborants pertinents, ou en l’absence d’une telle appréciation.

[68]      L’arrêt de la Cour d’appel [fédérale] dans l’affaire Sellan, mentionné par le ministre lors de la plaidoirie, ne justifie pas non plus une proposition aussi large : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Sellan, 2008 CAF 381 (Sellan (CAF)), au paragraphe 3. Dans cette affaire, la Cour d’appel [fédérale] s’est penchée sur une question certifiée, à savoir si la C.I.S.R. était tenue d’effectuer une appréciation au titre de l’article 97 de la LIPR, fondée sur la preuve objective relative aux conditions dans le pays, et ce, après avoir jugé non crédible la crainte alléguée de persécution du demandeur et la preuve selon laquelle il avait qualité de personne à protéger : Sellan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 44, aux paragraphes 5–6 et 10–12; Sellan (CAF), aux paragraphes 2–3. La Cour d’appel [fédérale] a répondu à cette question au paragraphe 3, en déclarant :

[…] Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[69]      Dans le contexte dans lequel la question a été tranchée, relativement celle de savoir si une preuve objective sur les conditions dans le pays peut, en soi, établir une demande d’asile fondée sur l’article 97, je ne peux pas considérer que l’arrêt Sellan (CAF) porte sur une approche à l’égard des conclusions quant à la crédibilité, ou approuve une telle approche, dans laquelle des conclusions sont tirées avant une appréciation de la preuve corroborante, et où cette dernière est ensuite écartée en fonction de la conclusion quant à la crédibilité.

[70]      En l’espèce, contrairement à l’affaire Hamid, aucune question n’a été soulevée en ce qui concerne l’authenticité de l’un ou l’autre des documents. La SPR n’a pas remis en cause les lettres du père et de la tante de M. Mohamed, au motif qu’elles n’étaient pas authentiques. La SPR n’a pas non plus soulevé de préoccupations quant à l’authenticité du certificat médical.

[71]      La SAR a ensuite procédé à son propre examen indépendant des documents de M. Mohamed. Elle l’a fait en soulignant que ces documents étaient très brefs, qu’aucun original n’avait été fourni, que les lettres n’avaient pas été produites sous serment ni attestées, qu’aucune coordonnée n’avait été fournie et que les auteurs n’avaient pas été proposés comme témoins potentiels en vue d’un contre-interrogatoire. Pour ces motifs, la SAR les a jugés insuffisants pour l’emporter sur ses préoccupations quant à la crédibilité.

[72]      Je conviens encore une fois avec M. Mohamed qu’il s’agissait de motifs déraisonnables pour écarter les documents. Il était inapproprié pour la SAR de se fonder sur des questions afférentes à l’authenticité des documents (comme la non-production d’originaux), alors que cet aspect n’avait pas été soulevé par la SPR et que M. Mohamed n’avait aucun fondement pour répondre : Laag c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 890, au paragraphe 23. Je note qu’il ne s’agissait pas d’une affaire dans laquelle la SPR avait remis en cause l’authenticité des documents, et que la SAR a simplement soulevé de nouvelles préoccupations sur la même question : Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, aux paragraphes 16–17.

[73]      Il était également déraisonnable de s’appuyer sur le fait que les lettres n’avaient pas été produites sous serment ou que les auteurs n’avaient pas été présentés comme témoins : Oria-Arebun, aux paragraphes 51–52. Selon les propos du juge Mahoney de la Cour d’appel fédérale, « il n’appartient pas à la Section du statut de réfugié de s’imposer à elle-même ou d’imposer à des demandeurs des restrictions dont le Parlement les a libérés en ce qui a trait à la preuve » : Fajardo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 915 (QL) (C.A.), au paragraphe 4; Oria-Arebun, au paragraphe 52.

[74]      Je conclus donc que l’analyse que la SAR a faite de l’appréciation par la SPR de la preuve documentaire et sa propre appréciation de cette preuve étaient déraisonnables.

IV.       Conclusion

[75]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de la SAR sera annulée et renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvelle décision, tant sur la demande de M. Mohamed relative à l’admission de nouveaux éléments de preuve que sur le fond de l’appel.

[76]      Le ministre a déclaré qu’il ne proposait pas de question aux fins de certification. M. Mohamed n’a pas non plus proposé de question à certifier avant l’audience ou au début de celle-ci. À la fin de l’audience, l’avocat de M. Mohamed a demandé que l’occasion lui soit donnée de décider s’il proposerait une question à certifier relativement à un aspect de la question A1) ci-dessus, à savoir si la preuve déposée pour démontrer que le nouvel élément de preuve répondait aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR pourrait déclencher une exigence quant à la tenue d’une audience au titre du paragraphe 110(6). J’ai avisé les parties que je ne me prononcerais pas sur cette demande immédiatement, mais que je déterminerais si la question était potentiellement déterminante et, dans l’affirmative, si je devais recevoir des observations sur la question.

[77]      Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la question en cause n’est manifestement pas déterminante pour la présente demande de contrôle judiciaire. En particulier, j’ai conclu que le refus de la SAR d’admettre les nouveaux documents de M. Mohamed était déraisonnable, bien que j’aie conclu que l’équité procédurale n’exigeait pas la tenue d’une audience. Le fait d’être déterminante quant à l’issue de l’affaire est une exigence pour la certification d’une question aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR : Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229, au paragraphe 36. Par conséquent, je conclus que je ne devrais pas certifier de question et que je n’ai pas besoin de permettre des observations supplémentaires de la part de M. Mohamed sur la question de la certification.  

JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3925-19

LA COUR STATUE que

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’appel interjeté par M. Mohamed à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés, datée du 24 août 2018, est renvoyé à la Section d’appel des réfugiés pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.

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