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T-2023-18

2021 CF 186

Allergan Inc. (demanderesse)

c.

Sandoz Canada Inc. (défenderesse)

et

Kissei Pharmaceutical Co., Ltd. (défenderesse/propriétaire de brevet)

- et -

Sandoz Canada Inc. (demanderesse reconventionnelle)

c.

Allergan Inc. et Kissei Pharmaceutical Co., Ltd. (défenderesses reconventionnelles)

Répertorié : Allergan Inc. c. Sandoz Canada Inc.

Cour fédérale, juge en chef Crampton—Ottawa, 26 février 2021.

Pratique — Dépens — Motifs d’ordonnance concernant les dépens réclamés à l’égard de l’action en contrefaçon de brevet déposée par la demanderesse, Allergan Inc. (Allergan), contre la défenderesse, Sandoz Canada Inc. (Sandoz), ainsi que la demande reconventionnelle introduite par Sandoz — Dans l’action principale, Allergan, la titulaire exclusive d’une licence sur le brevet canadien no 2507002 (le brevet ′002), a intenté contre Sandoz une action en contrefaçon — Sandoz a obtenu gain de cause à l’égard d’une question et Allergan a eu gain de cause pour ce qui est des deux autres questions — Les parties ont été invitées à présenter des observations concernant les dépens — Il s’agissait de savoir s’il convenait de fixer les dépens sous forme de somme globale — Il est devenu de plus en plus courant d’adjuger une somme globale — L’adjudication d’une somme facilite l’objectif consistant à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible — Les facteurs à prendre en considération sont énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales — La règle générale veut que la partie victorieuse ait droit aux dépens, même si elle n’a pas eu gain de cause sur chacun des arguments qu’elle a avancés — Il est possible de diverger de cette approche dans les cas réels de « succès partagé » ou de « succès partiels » — Était contraignante la jurisprudence portant que la défense victorieuse ne constitue pas un « succès partagé » ni un « succès partiel » lorsque le défendeur ne réussit pas à imposer l’ensemble de ses allégations d’invalidité — Sandoz avait donc droit aux dépens — La taxation d’une somme globale appropriée débute au milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100 — Il était raisonnable et approprié en l’espèce d’adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale — Il a été ordonné à la demanderesse, Allergan Inc., de verser une somme globale à la défenderesse, Sandoz.

Il s’agissait de motifs d’ordonnance concernant les dépens réclamés à l’égard de l’action en contrefaçon de brevet déposée par la demanderesse, Allergan Inc. (Allergan), contre la défenderesse, Sandoz Canada Inc. (Sandoz), ainsi que la demande reconventionnelle introduite par cette dernière dans la présente instance.

Dans l’action principale, Allergan, la titulaire exclusive d’une licence sur le brevet canadien no 2507002 (le brevet ′002), qui concerne le médicament sur ordonnance RAPAFLO, a intenté contre Sandoz une action en contrefaçon, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Sandoz a déposé une défense et demande reconventionnelle, dans laquelle elle niait que son produit contreferait le brevet ′002 et soutenait que celui-ci était invalide pour des motifs d’évidence. Un jugement sur le fond a été rendu en décembre 2020 concernant l’action d’Allergan et la demande reconventionnelle de Sandoz. Trois questions principales ont été examinées dans ce jugement : la question de savoir si le produit de Sandoz contreviendrait au brevet ′002; si des observations présentées durant le processus de demande de brevet pour le compte de Kissei Pharmaceuticals Co., Ltd. (Kissei) pouvaient être produites en preuve en l’espèce; et si le brevet ′002 était invalide pour cause d’évidence. Sandoz a obtenu gain de cause à l’égard de la première question et Allergan a eu gain de cause pour ce qui est des deuxième et troisième questions. Les parties ont été invitées à présenter des observations concernant les dépens afin de trouver une somme globale qui tienne compte de certains facteurs cernés ainsi que tout autre facteur pertinent, notamment ceux prévus à la règle 400 des Règles des Cours fédérales (Règles).

Il s’agissait principalement de savoir dans la présente affaire s’il était raisonnable de fixer les dépens sous forme de somme globale.

Jugement : il doit être ordonné à la demanderesse Allergan de verser une somme globale à la défenderesse Sandoz.

Au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus courant d’adjuger une somme globale. Dans la mesure où l’on peut s’attendre à ce que l’adjudication d’une somme globale réduise le temps et les efforts généralement requis par la préparation et l’examen du type de mémoire de dépens détaillé nécessaire aux fins d’une taxation au titre du tarif B, elle facilitera davantage l’objectif consistant à apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » et devrait être favorisée. Les principaux facteurs dont la Cour peut tenir compte dans son calcul des dépens à adjuger sont énoncés dans une liste non exhaustive au paragraphe 400(3) des Règles. La règle générale veut que la partie victorieuse ait droit aux dépens, même si elle n’a pas eu gain de cause sur chacun des arguments qu’elle a avancés. Cependant, la Cour peut diverger de cette approche dans les cas réels de « succès partagé » ou de « succès partiels ». La jurisprudence est divisée quant à la question de savoir si la défense victorieuse dans une action en contrefaçon de brevet constitue un « succès partagé » lorsque le défendeur dans l’action principale ne parvient pas à faire aboutir au moins une autre allégation d’invalidité. Dans certaines décisions, les montants adjugés au défendeur ayant eu gain de cause ont été réduits pour tenir compte du fait qu’il n’avait pas réussi à imposer certaines ou l’ensemble de ses allégations d’invalidité. Un autre courant jurisprudentiel a explicitement jugé que ce type de résultats ne constituait pas un « succès partagé » ni des « succès partiels » et, donc, que le défendeur a droit aux dépens. Le second courant jurisprudentiel était contraignant en l’espèce. En gardant cela à l’esprit, lorsqu’un défendeur dans l’action principale a gain de cause à l’égard de l’allégation de contrefaçon du demandeur, ou d’au moins une de ses allégations d’invalidité, la taxation d’une somme globale appropriée devrait débuter au milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100. L’adoption du milieu, plutôt que de l’extrémité inférieure, de la fourchette, inciterait davantage les parties à mener leur litige d’une manière qui permette à la Cour d’atteindre son objectif de raccourcir les procès liés aux brevets de médicaments.

Il était raisonnable et approprié en l’espèce d’adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale, correspondant à un pourcentage des honoraires d’avocat de la partie victorieuse. Les facteurs pertinents suivants figurent parmi ceux qui ont été analysés dans la présente affaire : la somme globale par rapport à la taxation au titre du tarif B des Règles, le résultat de l’instance, l’importance et la complexité des questions en litige, les offres écrites de règlement et tout comportement ayant eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance. Sandoz s’est défendue avec succès contre l’allégation de contrefaçon de brevet avancée par Allergan dans l’action principale. Cependant, elle n’a pas eu gain de cause à l’égard de sa demande reconventionnelle fondée sur l’évidence ainsi que la pertinence de l’historique des poursuites du brevet ′002. Le fait d’avoir soulevé ces questions puis échoué à les faire aboutir devrait être assorti de conséquences. Adjuger à Allergan des dépens à l’égard de ces questions, ou à tout le moins réduire ceux auxquels Sandoz aurait autrement droit, serait totalement conforme à l’objectif important de sanctionner les comportements ayant pour effet de prolonger la durée et d’augmenter les coûts du litige. Cependant, la jurisprudence dominante ne permet pas d’accorder à Allergan des dépens en ce qui touche les deux questions sur lesquelles elle a prévalu, ou de réduire la somme adjugée à Sandoz pour tenir compte du succès d’Allergan à cet égard. Dans le passé, il semble que la pratique consistant à alléguer de nombreux motifs d’invalidité s’est enracinée dans le milieu des avocats spécialisés dans les brevets de médicaments. Cette pratique a eu pour effet d’augmenter considérablement le temps et les coûts engagés dans les litiges relatifs aux brevets de médicaments, et de mobiliser une part importante des ressources judiciaires déjà limitées. Il s’agit là d’un aspect notable de la mentalité présente qui doit changer. La Cour n’hésitera pas à user de son pouvoir discrétionnaire à l’égard des dépens pour appuyer ce changement, lorsqu’elle estimera approprié de le faire.

Il a été ordonné à Allergan de verser une somme globale à Sandoz, qui a en fin de compte prévalu dans l’action principale. Entre autres choses, les honoraires d’avocat ont été majorés pour tenir compte du fait que Sandoz avait fait, de bonne foi, une offre écrite de règlement, laquelle aurait fait bénéficier à Allergan d’un résultat plus favorable que ce qu’elle a obtenu en fin de compte en poursuivant le procès. Comme Kissei a complètement prévalu dans sa défense, elle s’est vue adjuger des dépens et des frais raisonnables.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 53.1, 60(1).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5(3), 6(1),(2), 8.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles, 3, 400, 407, 420, tarif B, colonne IV.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Banque indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371; Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115; Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25; Venngo Inc. c. Concierge Connection Inc. (Perkopolis), 2017 CAF 96, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2017] 2 R.C.S. x, [2017] C.S.C.R. no 302 (QL); Seedlings Life Science Ventures, LLC c. Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505; Bauer Hockey Ltd. c. Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 862; Teva Canada Limited c. Janssen Inc., 2018 CF 1175; Canwell Enviro-Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corp., 2002 CAF 482.

DÉCISIONS CITÉES :

Eli Lilly and Company c. Teva Canada Limited, 2011 CAF 220; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38; Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada Limitée, 2015 CAF 9; Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451; Barzelex Inc. c. EBN Al Waleed (Le), [1999] A.C.F. n2002 (QL) (1re inst.), conf. par 2001 CAF 111; Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CF 668; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2009 CF 1139, conf. par 2012 CAF 265; Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2012 CF 318; Dennis c. Canada, 2017 CF 1011; Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2020 CAF 211; Novopharm Limited c. Eli Lilly and Company, 2010 CF 1154; Lainco Inc. c. Commission scolaire des Bois-Francs, 2018 CF 186; Loblaws Inc. c. Columbia Insurance Company, 2019 CF 1434; Raydan Manufacturing Ltd. c. Emmanuel Simard & Fils (1983) Inc., 2006 CAF 293; Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842, conf. par 2013 CAF 220; Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Teva Canada Limitée, 2016 CF 991; Fournier Pharma Inc. c. Canada (Santé), 2012 CF 1121; GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2008 CF 849; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie Ltée/Cobra Anchors Co., 2003 CAF 358; Betser-Zilevitch c. Petrochina Canada Ltd., 2021 CF 151; Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., 2008 CF 817; MediaTube Corp. c. Bell Canada, 2017 CF 495; Farmobile, LLC c. Farmers Edge Inc., 2018 CF 1269; Canada (Procureur général) c. Chrétien, 2011 CAF 53; Betser-Zilevitch c. Petrochina Canada Ltd., 2021 CF 85; Pelletier c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 418.

DOCTRINE CITÉE

Cour fédérale. « Lignes directrices sur la gestion des instances et des instructions pour les procédures complexes et les procédures visées par le Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) », en ligne : ˂www.fct-cf.gc.ca˃.

Motifs d’ordonnance concernant les dépens réclamés à l’égard de l’action en contrefaçon de brevet déposée par la demanderesse, Allergan Inc., contre la défenderesse, Sandoz Canada Inc., ainsi que la demande reconventionnelle introduite par cette dernière. Un jugement a été rendu en décembre 2020 (2020 CF 1189) relativement à l’action et à la demande reconventionnelle. Il a été ordonné à la demanderesse, Allergan Inc., de verser une somme globale à la défenderesse, Sandoz Canada Inc.

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David Tait, Steven Tanner, Sanjaya Mendis et Kendra Levasseur pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle Allergan Inc.

Carol Hitchman, Meghan A. Dureen et Rae Daddon pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle Sandoz Canada Inc.

J. Sheldon Hamilton pour la défenderesse/propriétaire de brevet/défenderesse reconventionnelle Kissei Pharmaceutical Co., Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McCarthy Tétrault LLP, Toronto, pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle Allergan Inc.

Sprigings Intellectual Property Law, Toronto, pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle Sandoz Canada Inc.

Smart & Biggar LLP, Toronto, pour la défenderesse/propriétaire de brevet/défenderesse reconventionnelle Kissei Pharmaceutical Co., Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge en chef Crampton : Les présents motifs et l’ordonnance y afférente concernent les dépens réclamés à l’égard de l’action en contrefaçon de brevet déposée par la demanderesse, Allergan Inc. (Allergan), contre la défenderesse, Sandoz Canada Inc. (Sandoz), ainsi que la demande reconventionnelle introduite par cette dernière dans la présente instance.

[2]        Pour les motifs qui suivent, il sera ordonné à Allergan de verser la somme globale de 384 505,69 $ à Sandoz, qui a finalement eu gain de cause dans l’action principale. Les honoraires d’avocat compris dans cette somme (272 000 $) représentent environ 45 p. 100 des honoraires engagés par Sandoz en lien avec les questions soulevées en l’espèce, telles qu’elles ont, en fin de compte, été délimitées. Le restant de la somme correspond à la TVH sur les honoraires en question (35 360 $), plus les débours raisonnables que Sandoz a engagés (77 145,69 $). Entre autres choses, le montant des dépens accordés a été majoré pour tenir compte du fait que Sandoz avait fait, de bonne foi, une offre écrite de règlement, laquelle aurait fait bénéficier à Allergan d’un résultat plus favorable que ce qu’elle a obtenu en fin de compte en poursuivant le procès.

[3]        La défenderesse Kissei Pharmaceutical Co. Ltd. (Kissei) n’a pas pris position dans l’action principale. Cependant, elle a déposé une défense succincte contre la demande reconventionnelle de Sandoz et a engagé certains frais supplémentaires, principalement en rapport avec le processus de communication préalable. Comme elle a eu complètement gain de cause dans sa défense, Kissei se verra adjuger à titre de dépens les frais raisonnables qu’elle a engagés, lesquels s’élèvent à 40 296,34 $. Les honoraires compris dans cette somme (23 670 $) ont été calculés suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Le restant de la somme correspond aux débours raisonnables engagés par Kissei, lesquels s’élèvent à 16 626,34 $.

I.          Le contexte

[4]        Allergan est la titulaire exclusive d’une licence sur le brevet canadien no 2507002 (le brevet ′002). Ce brevet concerne le RAPAFLO®, un médicament sur ordonnance indiqué dans le traitement de l’hyperplasie prostatique bénigne. Kissei est la titulaire du brevet.

[5]        En 2018, Sandoz a demandé à Santé Canada l’autorisation de commercialiser au Canada une version générique de RAPAFLO® (le produit Sandoz). Peu après, elle a signifié à Allergan un avis d’allégation, comme le prévoit le paragraphe 5(3) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement). Allergan a alors intenté contre elle une action en contrefaçon, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, désignant Kissei comme codéfenderesse dans sa déclaration. En réponse, Sandoz a déposé une défense et demande reconventionnelle, dans laquelle elle niait que son produit contreferait le brevet ′002 et soutenait que celui-ci était invalide pour des motifs d’évidence, de portée excessive et d’insuffisance. Elle a toutefois fini par limiter la portée de sa demande reconventionnelle à une seule allégation d’invalidité fondée sur l’évidence. Sandoz a confirmé que les dépens qu’elle réclame à présent ne concernent pas les arguments de sa demande reconventionnelle auxquels a fini par renoncer (notamment les allégations fondées sur la portée excessive et l’insuffisance). En fait, elle a également exclu les dépens liés à la préparation de la demande reconventionnelle même.

[6]        Dans sa déclaration, Allergan alléguait aussi que le produit Sandoz contreferait au moins l’une des revendications d’un second brevet, à savoir le brevet canadien no 2496780 (le brevet ′780). Encore une fois, Sandoz a affirmé que son produit ne contreferait pas le brevet en question et que celui-ci était invalide pour plusieurs motifs. Environ une semaine avant la tenue du procès dans la présente affaire, les parties ont mis fin sur consentement à leur différend concernant ce second brevet, et ce, sans dépens. Elles ont confirmé qu’elles ne sollicitaient pas les frais engagés à l’égard du brevet ′780, et je suis convaincu qu’elles ont raisonnablement tenté, dans leurs calculs respectifs des dépens, d’exclure les frais en question (y compris les débours)[1].

[7]        En décembre 2020, j’ai rendu un jugement et des motifs sur le fond concernant l’action d’Allergan et la demande reconventionnelle de Sandoz : Allergan Inc. c. Sandoz Canada Inc., 2020 CF 1189 (Allergan). Trois questions principales ont été examinées. La première était de savoir si le produit de Sandoz contreviendrait au brevet ′002. (Cette question reposait essentiellement sur l’interprétation des revendications.) La deuxième, si des observations présentées durant le processus de demande de brevet pour le compte de Kissei pouvaient être produites en preuve en l’espèce, aux termes de l’article 53.1 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi). La troisième visait à déterminer si le brevet ′002 était invalide pour cause d’évidence.

[8]        En fin de compte, j’ai statué en faveur de Sandoz à l’égard de la première question et en faveur d’Allergan pour ce qui est des deuxième et troisième questions. Je les ai ensuite invitées toutes deux à présenter des observations concernant les dépens, en les encourageant à tenter de parvenir à un règlement sur cette question, à défaut de trouver une somme globale qui tienne compte de certains facteurs cernés ainsi que tout autre facteur pertinent, notamment ceux prévus à la règle 400 et dans la jurisprudence. Lorsque j’ai appris que Kissei avait engagé des frais importants allant au-delà du simple dépôt d’une défense succincte contre la demande reconventionnelle de Sandoz, je l’ai également autorisée à présenter des observations concernant les dépens.

II.         Aperçu des observations des parties

A.        Sandoz

[9]        Sandoz soutient qu’elle a droit aux dépens qu’elle sollicite, étant donné qu’elle a remporté l’action en contrefaçon intentée par Allergan, et ajoute qu’aucune compensation ne doit être opérée du fait qu’elle n’a pas eu gain de cause sur deux des trois principales questions soulevées dans l’instance. Comme elle a également fait deux offres de règlement environ deux mois avant le procès et vu la complexité de la procédure, Sandoz sollicite une somme globale correspondant à 50 p. 100 de ses honoraires taxables, plus les débours raisonnables qu’elle a engagés et la TVH, pour un total de 462 876,45 $.

[10]      Subsidiairement, Sandoz réclame une somme globale correspondant à 30 p. 100 de ses honoraires taxables, plus la TVH et les débours susmentionnés, pour un total de 327 567,99 $.

[11]      Subsidiairement encore, elle demande à ce que les dépens soient fixés à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B et sollicite le doublement des dépens adjugés de la date de l’offre jusqu’à celle de mon jugement sur le fond, plus les débours raisonnables qu’elle a engagés et la TVH, pour un total de 265 958,13 $.

B.        Allergan

[12]      Allergan soutient que les dépens devraient lui être adjugés, étant donné qu’elle a totalement eu gain de cause à l’égard de la demande reconventionnelle de Sandoz. Cependant, elle n’invoque cette victoire qu’à titre de compensation à l’encontre des dépens payables à Sandoz et maintient que cette compensation est également justifiée par le fait qu’elle a eu gain de cause à l’égard de la question que Sandoz a soulevée concernant l’historique des poursuites du brevet ′002. Comme je l’ai déjà mentionné, il s’agissait de l’une des trois principales questions en litige dans la présente affaire.

[13]      La compensation précise sollicitée par Allergan s’élève à 201 277,73 $, ce qui correspond aux dépens, figurant dans son mémoire, engagés à l’égard de la demande reconventionnelle de Sandoz, et calculés suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B.

[14]      Subsidiairement, Allergan soutient que les dépens adjugés à Sandoz devraient faire l’objet d’une déduction correspondant aux deux tiers de la somme réclamée, afin de tenir compte de la victoire d’Allergan sur deux des trois principales questions en litige. Elle maintient qu’une telle réduction est particulièrement appropriée, étant donné que la portée de la présente affaire a en fin de compte été limitée à trois questions principales concernant un seul brevet, et Sandoz a restreint tardivement ses arguments touchant à l’invalidité au motif de l’évidence et à un document d’antériorité.

[15]      Plus précisément, Allergan maintient qu’il serait inapproprié d’accorder à Sandoz une somme globale basée sur un pourcentage des honoraires d’avocat réellement engagés, essentiellement parce qu’Allergan a eu gain de cause à l’égard de deux des trois principales questions en litige entre les parties. Allergan affirme plutôt avec insistance que les dépens adjugés à Sandoz devraient être calculés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, puis réduits des deux tiers.

[16]      Quant aux frais d’expert, Allergan soutient que les frais de Mme Felton devraient être totalement taxables, essentiellement parce qu’elle a passé l’essentiel de son temps sur les allégations d’invalidité avancées par Sandoz. Allergan ajoute que les honoraires de Me Wilson devraient être taxés à 50 p. 100, car la Cour a conclu que sa preuve concernant l’historique législatif de l’article 53.1 était « simple et utile ». Allergan maintient en outre que les frais de M. Stewart ne devraient pas être taxables et que ceux de M. Fassihi devraient être substantiellement réduits, comme nous l’aborderons plus en détail dans la partie III.B.(7) des présents motifs.

C.        Kissei

[17]      Kissei a dû être constituée partie à l’action d’Allergan, en application du paragraphe 6(2) du Règlement. Cependant, elle n’a pris aucune position dans cette action et n’a pas participé au procès, déposant simplement une défense contre la demande reconventionnelle de Sandoz, au regard des déclarations d’invalidité du brevet '780 et du brevet ′002. Elle a également engagé des frais additionnels, principalement pour l’interrogatoire de l’un de ses représentants et de l’un des inventeurs du brevet ′002. Comme la demande reconventionnelle de Sandoz n’a pas abouti, Kissei demande à ce que ses dépens soient taxés suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B (23 670 $), et réclame aussi [traduction] « les débours raisonnables comprenant des billets d’avion en classe affaires, des frais d’hébergement et de repas, des services de traduction (le cas échéant) et des frais de transcription ». Elle fait valoir qu’aucun de ces frais ou débours ne se rapporte au brevet ′780[2].

[18]      Subsidiairement, si elle ne réussit pas à se faire adjuger les dépens, Kissei maintient qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés contre elle, que ce soit dans l’action principale ou dans la demande reconventionnelle, parce qu’elle a eu gain de cause sur les questions à l’égard desquelles elle a présenté des arguments.

III.        La taxation des dépens

A.        Les principes généraux

[19]      Les principaux objectifs sous-tendant l’adjudication des dépens sont les suivants : (i) fournir une indemnisation pour les frais engagés pour faire reconnaître un droit valide ou pour se défendre contre une action infondée; (ii) pénaliser une partie qui a refusé une offre raisonnable de règlement; (iii) sanctionner les comportements qui prolongent la durée du litige et en augmentent les coûts, ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires : Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Banque indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371 (Bande indienne Okanagan), au paragraphe 25; Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115 (Thibodeau), au paragraphe 24. Dans certains types de « cas spéciaux », l’attribution des dépens peut également faciliter l’accès à la justice : Bande indienne Okanagan, précité, au paragraphe 27.

[20]      En étant un « instrument destiné à favoriser l’administration efficace et ordonnée de la justice », le pouvoir des tribunaux d’adjuger les dépens peut servir d’important « moyen dissuasif sur ceux qui pourraient être tentés d’en harceler d’autres par des demandes non fondées » : Bande indienne Okanagan, précité, aux paragraphes 25–26.

[21]      La Cour jouit d’un large pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir : paragraphe 400(1) des Règles; Eli Lilly and Company c. Teva Canada Limited, 2011 CAF 220 (Eli Lilly c. Teva), au paragraphe 55; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38, aux paragraphes 47 et 49. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément aux principes établis en matière de dépens, à moins que les circonstances ne justifient une approche différente : Bande indienne Okanagan, précité, au paragraphe 22; Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 (Nova c. Dow), au paragraphe 19.

[22]      Devant notre Cour, les dépens peuvent être fixés suivant le tarif B des Règles ou au moyen d’une somme globale : paragraphe 400(4) des Règles. Au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus courant d’adjuger une somme globale : Nova c. Dow, précité, au paragraphe 11; Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada Limitée, 2015 CAF 9, au paragraphe 4. Cette tendance s’explique en partie par le désir de la Cour de réduire le temps et les efforts importants généralement requis par la préparation et l’examen du type de mémoire de dépens détaillé nécessaire aux fins d’une taxation au titre du tarif B : Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451 (Consorzio), au paragraphe 12; Venngo Inc. c. Concierge Connection Inc. (Perkopolis), 2017 CAF 96 (Venngo), aux paragraphes 85–86, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2017] 2 R.C.S. x, [2017] C.S.C.R. no 302 (QL). Comme les observations à l’appui de l’attribution d’une somme globale peuvent sensiblement réduire ce temps et ces efforts pour les parties comme pour la Cour (si elles sont acceptées), elles facilitent l’accès à la justice. Ceci est particulièrement le cas lorsqu’elles entraînent une réduction des frais juridiques qui seraient autrement engagés pour préparer le type plus détaillé de mémoire de dépens requis lorsque les dépens sont taxés selon le tarif B. Néanmoins, l’attribution des dépens sous la forme d’une somme globale pourrait ne pas convenir dans tous les cas : Consorzio, précité.

[23]      Dans la mesure où l’on peut s’attendre à ce que l’adjudication d’une somme globale procure les avantages susmentionnés, elle facilitera davantage l’objectif consistant à apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (Nova c. Dow, précité, au paragraphe 11, citant la règle 3) et devrait être favorisée : Barzelex Inc. c. EBN Al Waleed (Le), [1999] A.C.F. n2002 (QL) (1re inst.), au paragraphe 11, conf. par 2001 CAF 111; Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CF 668, au paragraphe 57.

[24]      Sans égard à la question de savoir si les parties sont favorables à l’attribution d’une somme globale ou d’un montant fixé conformément au tarif B, les avocats sont encouragés à se préparer à aborder la question des dépens, idéalement sur consentement, au terme de l’instance ou peu après : Consorzio, précité.

[25]      Le niveau « par défaut » des dépens devant notre Cour se situe au milieu de la colonne III du tarif B : règle 407; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2009 CF 1139 (Sanofi-Novopharm CF), au paragraphe 4, conf. par 2012 CAF 265; Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2012 CF 318 (Apotex c. Sanofi-Aventis), au paragraphe 5; Dennis c. Canada, 2017 CF 1011, au paragraphe 8; Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2020 CAF 211, au paragraphe 38. La colonne III vise à fournir une indemnisation partielle (par opposition à une indemnisation substantielle ou complète) dans les « cas d’une complexité moyenne ou habituelle » : Thibodeau, précité, au paragraphe 21; Novopharm Limited c. Eli Lilly and Company, 2010 CF 1154 (Novopharm c. Eli Lilly), au paragraphe 5.

[26]      Des dépens plus importants sont couramment adjugés dans les instances de propriété intellectuelle, compte tenu de leurs caractéristiques particulières : voir par exemple l’arrêt Consorzio, précité, au paragraphe 6; Lainco Inc. c. Commission scolaire des Bois-Francs, 2018 CF 186, au paragraphe 8c). Ces caractéristiques, qui comprennent notamment une complexité supérieure à la moyenne, des parties averties, des notes d’honoraires d’avocat qui dépassent largement ce qui est prévu par la colonne III du tarif B, « incit[ent] les parties à prendre des décisions efficientes dans la conduite de l’instance judiciaire » : Seedlings Life Science Ventures, LLC c. Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505 (Seedlings), au paragraphe 4. Dans les litiges portant sur des brevets de médicaments et où les dépens adjugés sont fixés en se référant au tarif, l’échelon supérieur de la colonne IV est souvent jugé raisonnable et approprié : Sanofi-Novopharm CF, précitée, au paragraphe 13, conf. par 2012 CAF 265; Novopharm c. Eli Lilly, précitée, au paragraphe 7; Apotex c. Sanofi-Aventis, précitée. Voir également le document du Comité des Règles de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale, intitulé Examen des règles relatives aux dépens : Document de travail, le 5 octobre 2015, à la page 8.

[27]      Pour essentiellement les mêmes raisons que celles que nous venons d’évoquer, il est également de plus en plus courant dans les affaires de propriété intellectuelle d’adjuger une somme globale importante « dépassant largement le Tarif » : Venngo, précité, au paragraphe 85; Bauer Hockey Ltd. c. Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 862 (Bauer), au paragraphe 12. À cet égard, une somme globale qui se situe entre 25 et 50 p. 100 des frais réels, plus les débours raisonnables, est souvent accordée : Nova c. Dow, précité, aux paragraphes 17 et 21; Seedlings, précitée, au paragraphe 6; Bauer, précitée, au paragraphe 13. Voir également Loblaws Inc. c. Columbia Insurance Company, 2019 CF 1434, au paragraphe 15. Pour en venir à la taxation en l’espèce, il faut garder à l’esprit que la détermination de l’ordre de grandeur de la somme globale « n’est pas une science exacte » : Nova c. Dow, précité, au paragraphe 21.

[28]      Comme le tarif B ne garantit plus un ordre de grandeur adéquat d’indemnisation partielle, le Comité des règles des Cours fédérales a décidé en 2016 que le montant recouvrable au titre de ce tarif devait être augmenté d’environ 25 p. 100 : Compte rendu de la réunion du 28 octobre 2016 du Comité des règles. À la suite d’une consultation supplémentaire avec le Barreau, un sous-comité du Comité des règles prépare des propositions de modifications en vue de leur publication dans la partie I de la Gazette du Canada et de leur approbation par le gouverneur en conseil. Entre-temps, il est pertinent de garder à l’esprit que le tarif existant « est jugé particulièrement inadéquat dans les litiges sur la propriété intellectuelle, mais aussi dans les procédures en droit maritime » : Rapport du Sous-comité des règles de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale sur les dépens (3 juin 2016), à la section D.

[29]      Les principaux facteurs dont la Cour peut tenir compte dans son calcul des dépens à adjuger sont énoncés dans une liste non exhaustive au paragraphe 400(3) des Règles, reproduit ci-après dans l’annexe 1.

[30]      La règle générale veut que la partie victorieuse ait droit aux dépens, même si elle n’a pas eu gain de cause sur chacun des arguments qu’elle a avancés : Bande indienne Okanagan, précité, aux paragraphes 20–21; Raydan Manufacturing Ltd. c. Emmanuel Simard & Fils (1983) Inc., 2006 CAF 293 (Raydan), aux paragraphes 2–5. Cependant, la Cour peut diverger de cette approche dans les cas réels de « succès partagé » ou de « succès partiels » : Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842 (Eurocopter CF), aux paragraphes 23 et 56, conf. par 2013 CAF 220, aux paragraphes 10 et 15; Sanofi-Novopharm CF, précitée, aux paragraphes 8–9; Apotex c. Sanofi-Aventis, précitée, au paragraphe 11; Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Teva Canada Limitée, 2016 CF 991, aux paragraphes 9–14.

[31]      La jurisprudence est divisée quant à la question de savoir si la défense victorieuse dans une action en contrefaçon de brevet, ou un succès à l’égard de certains motifs d’invalidité seulement, constitue un « succès partagé » lorsque le défendeur dans l’action principale ne parvient pas à faire aboutir au moins une autre allégation d’invalidité. Dans certaines décisions, les montants adjugés au défendeur ayant eu gain de cause sur la question de la contrefaçon ont été réduits pour tenir compte du fait qu’il n’avait pas réussi à imposer certaines ou l’ensemble de ses allégations d’invalidité : voir, par exemple, Fournier Pharma Inc. c. Canada (Santé), 2012 CF 1121, aux paragraphes 4–6; GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2008 CF 849, au paragraphe 4. Un autre courant jurisprudentiel a explicitement jugé que ce type de résultats ne constituait pas un « succès partagé » ni des « succès partiels » et, donc, que le défendeur a droit aux dépens : Raydan, précité; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie Ltée/Cobra Anchors Co., 2003 CAF 358, aux paragraphes 10–11; Betser-Zilevitch c. Petrochina Canada Ltd., 2021 CF 151 (Betser-Zilevitch 2), au paragraphe 11; Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., 2008 CF 817, au paragraphe 4. Il en est ainsi, que les allégations d’invalidité du défendeur aient été formulées dans le cadre d’une défense à l’action principale ou d’une demande reconventionnelle distincte : Raydan, précité, aux paragraphes 6–7; Eurocopter CF, précitée, au paragraphe 11. Nonobstant la sympathie que m’inspire l’approche adoptée par le premier courant jurisprudentiel, je me sens lié par le second.

[32]      En gardant cela à l’esprit, je considère en outre que, lorsqu’un défendeur dans l’action principale a gain de cause à l’égard de l’allégation de contrefaçon du demandeur, ou d’au moins une de ses allégations d’invalidité, la taxation d’une somme globale appropriée devrait débuter au milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100 évoquée au paragraphe 27 ci-dessus, plus les débours raisonnables. Ce montant serait ajusté pour tenir compte de facteurs pouvant justifier de s’écarter de ce niveau d’indemnisation dans une telle affaire.

[33]      Je reconnais que notre Cour a récemment laissé entendre que la bonne méthode pour calculer une somme globale basée sur un pourcentage des honoraires consiste à débuter à l’extrémité inférieure de la fourchette de 25 à 50 p. 100 : Seedlings, précitée, au paragraphe 22; Bauer, précitée, au paragraphe 14. Cependant, dans la décision Seedlings, cette démarche a été adoptée en raison du fait qu’aucune des parties n’avait démontré que l’adjudication d’un montant plus ou moins élevé était justifiée (Seedlings, précitée, au paragraphe 24); dans la décision Bauer, la Cour a établi le taux de base à 25 p. 100 « [p]ar souci de cohérence et de prévisibilité » : Bauer, précitée, au paragraphe 14.

[34]      À mon avis, de très bonnes raisons justifient de commencer au milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100 dans les instances complexes de brevets de médicaments au titre du Règlement. En particulier, la Cour s’efforce encore de changer la culture du contentieux dans le domaine des litiges en matière de brevet. Pendant de nombreuses années, les procès dans ces affaires prenaient généralement plusieurs semaines, et les processus préalables au procès étaient compliqués, longs et coûteux. Cela tranche avec l’expérience d’autres pays, comme le Royaume-Uni, où les procès sont apparemment d’ordinaire beaucoup plus courts. Comme le passage des demandes papier à des procès complets au titre du nouveau règlement n’a pas donné lieu à une prolongation de la période de sursis de 24 mois prévue par la loi, la Cour a adopté une nouvelle durée par défaut de dix jours pour les procès en matière de brevet de médicaments, à moins qu’elle ne détermine qu’un délai supplémentaire est nécessaire : « Lignes directrices sur la gestion des instances et des instructions pour les procédures complexes et les procédures visées par le Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) », au paragraphe 42 (disponible sur le site Web de la Cour fédérale ˂www.fct-cf.gc.ca˃). Cette politique a été adoptée après de très nombreuses consultations avec des représentants des avocats spécialisés en brevets de médicaments.

[35]      L’adoption du milieu, plutôt que de l’extrémité inférieure, de la fourchette de 25 à 50 p. 100 comme point de départ pour calculer la somme globale adjugée à la partie ayant gain de cause dans ce type de procédure inciterait davantage les parties à mener leur litige d’une manière qui permette à la Cour d’atteindre son objectif de raccourcir les procès liés aux brevets de médicaments. Cela est d’autant plus vrai que les frais juridiques tendent à être très modestes par rapport à ce qui est en jeu dans ce type de procédures. Les représentants des avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle ont plusieurs fois porté cette question à l’attention de la Cour au cours des dernières années, alors qu’ils tentaient de la convaincre d’augmenter le montant des dépens adjugés dans les litiges complexes en matière de propriété intellectuelle. De plus, les parties à ces litiges sont généralement des plaideurs très avertis dans le domaine commercial dont on peut supposer qu’ils mesurent les décisions stratégiques prises au cours de l’instance en suivant de près les conséquences économiques qui en découlent.

[36]      En plus des principes généraux déjà mentionnés qui s’appliquent aux honoraires d’avocat, les débours sont généralement inclus dans leur totalité, à condition qu’ils soient raisonnables : MediaTube Corp. c. Bell Canada, 2017 CF 495, au paragraphe 21.

B.        Analyse des facteurs pertinents dans la présente affaire

[37]      J’ai considéré l’ensemble des circonstances de la présente instance, y compris les différentes observations présentées par chacune des parties à l’égard des dépens, pour déterminer la somme qu’il convient d’adjuger en l’espèce. Voici mon appréciation des facteurs évoqués par les parties dans leurs observations respectives.

1)         La somme globale par rapport à la taxation au titre du tarif B

[38]      À mon avis, il est raisonnable et approprié en l’espèce d’adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale, correspondant à un pourcentage des honoraires d’avocat de la partie victorieuse. Il s’agissait d’une instance complexe portant sur des brevets de médicaments, les parties sont expérimentées, leurs honoraires d’avocat dépassaient largement les montants envisagés par le tarif B, et elles « peuvent répondre aux mesures incitatives qu’offrent les dépens » : Bauer, précitée, au paragraphe 22.

[39]      Pour les motifs analysés aux paragraphes 34 et 35 ci-dessus, j’estime que pour calculer la somme globale qui sera adjugée en l’espèce, le point de départ approprié est le milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100 habituellement utilisée pour adjuger des sommes globales dans les instances de propriété intellectuelle. Incidemment, cela correspond aussi au pourcentage approximatif (36 p. 100) des honoraires d’avocat globaux réclamés par Sandoz (avant la TVH) quant à la question de l’interprétation des allégations, pour laquelle elle a eu gain de cause.

2)         Le résultat de l’instance

[40]      En l’espèce, Sandoz s’est défendue avec succès contre l’allégation de contrefaçon de brevet avancée par Allergan dans l’action principale. Cependant, elle n’a pas eu gain de cause à l’égard des deux autres principales questions en litige, à savoir sa demande reconventionnelle fondée sur l’évidence ainsi que la pertinence de l’historique des poursuites du brevet ′002.

[41]      Je comprends la position d’Allergan suivant laquelle elle devrait avoir droit à une compensation pour les frais qu’elle a engagés, puisqu’elle (i) s’est défendue avec succès contre la demande reconventionnelle de Sandoz, laquelle était une action distincte au titre du paragraphe 60(1) de la Loi (Farmobile, LLC c. Farmers Edge Inc., 2018 CF 1269, au paragraphe 46), et (ii) a fait face à la question de l’historique des poursuites. Entre autres choses, Sandoz a pris la décision stratégique d’introduire cette demande reconventionnelle, plutôt que de se défendre simplement contre l’action d’Allergan basée sur l’interprétation des revendications, question qui s’est avérée décisive pour permettre à Sandoz de lancer son produit générique sur le marché. Cette dernière a également fait le choix stratégique de soulever la question de l’historique des poursuites.

[42]      À mon avis, le fait d’avoir soulevé ces questions puis échoué à les faire aboutir devrait être assorti de conséquences. Cela est particulièrement vrai au vu des frais substantiels qu’Allergan a dû engager pour traiter ces questions et du résultat pratique très concret qu’elle a obtenu en évitant la déclaration d’invalidité en matière réelle sollicitée par Sandoz. Adjuger à Allergan des dépens à l’égard de ces questions, ou à tout le moins réduire ceux auxquels Sandoz aurait autrement droit, serait totalement conforme à l’objectif important de sanctionner les comportements ayant pour effet de prolonger la durée et d’augmenter les coûts du litige : Bande indienne Okanagan, précité, au paragraphe 25. Une telle démarche concorderait totalement avec l’alinéa 400(6)a) des Règles, aux termes duquel la Cour peut adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question litigieuse ou d’une procédure particulières.

[43]      Cependant, la jurisprudence dominante ne me permet pas d’accorder à Allergan des dépens en ce qui touche les deux questions sur lesquelles elle a prévalu, ou de réduire la somme adjugée à Sandoz pour tenir compte du succès d’Allergan à cet égard : voir l’analyse au paragraphe 31 ci-dessus. Je reconnais que Sandoz a, dans les faits, engagé le litige en signifiant un avis d’allégation à Allergan, mais cela ne justifie pas de s’écarter de cette jurisprudence.

[44]      La situation concernant Kissei est très différente. Elle n’a pas participé au procès, n’a pris part que très modestement à l’étape préalable au procès, et n’a pas pris position quant à la question de la contrefaçon du brevet. Elle n’a plutôt déposé qu’une défense succincte contre la demande reconventionnelle de Sandoz, et a engagé des frais supplémentaires, surtout pour l’interrogatoire de l’un de ses représentants et de l’un des inventeurs du brevet ′002. Sa défense a abouti. Par conséquent, elle peut légitimement être considérée comme une partie gagnante.

3)         L’importance et la complexité des questions en litige

[45]      Ce facteur est déjà pris en compte dans ce que j’estime être le point de départ adéquat pour calculer la somme globale adjugée dans une instance de brevet de médicaments, à savoir le milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100 : voir l’analyse aux paragraphes 32–35 ci-dessus.

[46]      Le procès en l’espèce ne concernait qu’un seul brevet et une seule allégation d’invalidité fondée sur l’évidence, mais je ne crois pas que cela justifie de réduire le point de départ susmentionné. Comme l’a fait remarquer notre Cour, « [h]abituellement, un litige portant sur un brevet est complexe; en outre, la question de l’évidence figure habituellement parmi les questions juridiques les plus complexes qui sont soulevées dans un litige en matière de brevet » : Teva Canada Limited c. Janssen Inc., 2018 CF 1175, au paragraphe 14. C’était tout aussi vrai dans la présente procédure, à laquelle ont pris part cinq témoins experts et qui a nécessité une décision sur le fond de 241 paragraphes.

4)         Les offres écrites de règlement

[47]      Le 27 août 2020, environ deux mois avant le début du procès dans la présente instance, Sandoz a fait deux offres en vue de régler le litige l’opposant à Allergan. Aucune de ces offres n’a été acceptée. Elle fait valoir que ces deux offres remplissaient les exigences énoncées au paragraphe 420(2) des Règles aux fins du doublement de ses dépens partie-partie, et ce, de la date de la signification de son offre à celle du jugement de la Cour sur le fond.

[48]      Pour que le paragraphe 420(2) entre en jeu, il faut que le demandeur obtienne un jugement moins avantageux que les conditions de l’offre, ou qu’il n’ait pas gain de cause lors du jugement. Le paragraphe 420(3) impose deux conditions supplémentaires : (i) l’offre doit être faite au moins 14 jours avant le début de l’audience ou de l’instruction, et (ii) l’offre ne doit pas être révoquée et ne peut expirer avant le début de l’audience ou de l’instruction. La jurisprudence ajoute que « l’offre en question doit être claire et non équivoque, comporter un élément de compromis […] et mettre fin au litige entre les parties » : Venngo, précité, au paragraphe 87.

[49]      Les deux offres de Sandoz remplissaient les conditions énoncées au paragraphe 420(3) des Règles quant au moment des offres.

[50]      La première offre (l’offre no 1) prévoyait essentiellement que Sandoz ne réclamerait pas de dommages-intérêts au titre de l’article 8 du Règlement en échange du désistement de l’instance principale, sans dépens, et du paiement d’une somme qui augmenterait avec le temps, passant de 3 millions de dollars (si l’offre était acceptée au plus tard le 1er septembre 2020) à 12 millions de dollars (si elle était acceptée le 15 janvier 2021 ou après cette date). La seconde offre (l’offre no 2) prévoyait essentiellement le désistement de l’action d’Allergan en échange du versement d’une somme de 50 000 $ par Sandoz qui accepterait en outre de ne pas réclamer les dépens à l’égard de l’action.

[51]      Allergan maintient que l’offre no 1 ne fait pas entrer en jeu la règle 420, car la responsabilité n’a pas été déterminée au titre de l’article 8 du Règlement. (Sandoz affirme que les dommages-intérêts qui lui auraient été accordés au titre de cette disposition auraient couvert toutes les pertes qu’elle a subies à compter du 19 janvier 2019.) Dans les circonstances, Allergan prétend que l’on ne peut pas dire que Sandoz a obtenu un jugement plus avantageux que l’offre.

[52]      Je suis d’accord. En l’absence de la moindre preuve concernant la portée des réclamations potentielles de Sandoz au titre de l’article 8, sans parler d’un jugement s’y rapportant, il n’est pas possible de dire qu’Allergan a obtenu un jugement moins avantageux que l’offre no 1. De plus, il n’est pas possible d’établir si l’offre no 1 satisfaisait à l’élément de compromis.

[53]      Quant à l’offre no 2, Allergan affirme qu’elle constituait « une demande de capitulation », plutôt qu’un compromis, en échange d’une petite somme. Elle ajoute que cette offre n’abordait pas la demande reconventionnelle de Sandoz, laquelle n’a pas abouti.

[54]      Sandoz répond que l’offre no 2 aurait offert à Allergan plusieurs avantages qu’elle n’a pas obtenus en optant pour le procès. En particulier, Allergan aurait reçu 50 000 $, elle n’aurait engagé aucuns frais supplémentaires pour plaider le litige, elle aurait bénéficié d’une réduction de toute demande future de dommages-intérêts au titre de l’article 8, et Sandoz n’aurait pas réclamé les dépens dans la présente instance.

[55]      Je comprends la position d’Allergan portant que l’offre no 2 constituait en réalité une « demande de capitulation », plutôt qu’un compromis important : Canwell Enviro-Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corp., 2002 CAF 482 (Canwell), au paragraphe 4b). Le seul avantage évoqué par Sandoz quant au litige sous-jacent opposant les parties tenait au fait qu’Allergan aurait reçu 50 000 $ si elle avait accepté de ne plus s’opposer à ce qu’un avis de conformité lui soit délivré. Dans le contexte de la présente instance en particulier, je peux comprendre que la somme de 50 000 $ ait pu être perçue comme un montant symbolique, comparativement à ce qui était en jeu entre les parties.

[56]      Malheureusement, Allergan n’a produit aucun élément de preuve sur la question ni autrement à l’appui de sa position. En l’absence d’une telle preuve, il ne me reste qu’une simple affirmation de sa part. Cela ne suffit pas pour conclure que l’offre de paiement de 50 000 $ faite par Sandoz, montant qui n’est pas insignifiant en termes absolus, constituait une « demande de capitulation » plutôt qu’une « véritable offre de règlement » : Canwell, précité. En termes très pratiques, l’offre no 2 aurait donné à Allergan un résultat plus favorable que celui qu’elle a obtenu dans le jugement sur le fond finalement rendu en l’espèce. Par conséquent, l’offre no 2 satisfaisait aux exigences de l’alinéa 420(2)a) des Règles, et je ne vois pas pourquoi Sandoz ne devrait pas avoir droit aux dépens calculés suivant le double du taux applicable, et ce, de la date de l’offre à celle du jugement sur le fond.

[57]      Le doublement des dépens auxquels Sandoz a droit concerne les dépens « partie-partie ». Ces dépens peuvent être ceux auxquels elle aurait droit suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, ou ceux que la Cour pourrait adjuger en vertu de son pouvoir discrétionnaire : Canada (Procureur général) c. Chrétien, 2011 CAF 53, au paragraphe 3. Dans le cas présent, je ne vois aucune raison de m’écarter sensiblement du montant réclamé par Sandoz, lequel correspond au double des dépens auxquels elle aurait droit suivant l’échelon supérieur de la colonne IV. Ce montant s’élève à 47 026,08 $, ce qui correspond à la différence entre les dépens totaux (y compris la TVH) calculés avec et sans doublement des dépens, dans les parties A et B, respectivement, du mémoire de dépens révisé de Sandoz, daté du 27 janvier 2021. Comme la somme que j’adjugerai est globale, j’estime qu’il est approprié de l’arrondir à 47 000 $.

[58]      Je m’arrête ici pour ajouter deux choses. Premièrement, compte tenu de la conclusion que je viens de tirer, il n’est pas nécessaire d’examiner l’alinéa 420(2)b) des Règles qui n’a pas été abordé par les parties dans leurs observations. Deuxièmement, même si une offre de règlement ne satisfait pas aux exigences de la règle 420, la Cour peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, attribuer le mérite qu’il revient à la partie qui l’a faite : alinéa 400(3)e) des Règles; Sanofi-Novopharm CF, précitée, au paragraphe 20. Par conséquent, j’aurais augmenté le montant des dépens adjugés à Sandoz pour tenir compte de l’offre no 2, même si j’avais conclu qu’elle ne remplissait pas les exigences de la règle 420. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment la nature de l’offre no 2 et ma décision d’adjuger une somme globale pour les dépens, le montant d’une telle augmentation aurait été environ le même que celui de 47 000 $ évoqué précédemment.

5)         Le comportement ayant eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance

[59]      Sandoz fait valoir qu’elle devrait se voir reconnaître qu’elle a : (i) coopéré avec Allergan en réglant toutes les requêtes présentées en l’espèce; (ii) accepté le désistement de l’action liée au brevet ′780, sans dépens; (iii) convenu de restreindre la portée des questions à trancher durant le procès, notamment en renonçant à ses allégations d’invalidité fondées sur la portée excessive et l’insuffisance.

[60]      De manière générale, ce sont là des actions qui devraient toutes être encouragées par la Cour et prises en compte favorablement au moment de considérer les dépens.

[61]      Bien entendu, lorsque l’autre ou les autres parties à l’instance posent des actes similaires, ceux-ci méritent également d’être considérés sous le même jour.

[62]      C’est précisément ce qui s’est passé en l’espèce. Par conséquent, j’accorderai à ce facteur un poids neutre dans mon appréciation. Ce faisant, j’ai tenu compte du fait que Sandoz n’avait pas tenté de recouvrer de dépens relatifs aux honoraires ou débours engagés à l’égard de certains aspects de sa demande reconventionnelle auxquels elle a fini par renoncer, notamment ses allégations d’invalidité fondées sur la portée excessive et l’insuffisance. J’ai également considéré que Sandoz avait effectivement abandonné l’argument de la portée excessive en décembre 2019, lorsqu’elle avait signifié le premier rapport de M. Fassihi. Ce rapport n’examinait pas la portée excessive ni ne formulait d’avis sur la question et ne contenait que deux paragraphes d’opinion concernant l’insuffisance (en plus de deux autres expliquant la nature de son mandat en la matière). Par conséquent, Allergan n’a déposé aucun élément de preuve concernant la portée excessive, et sa preuve ayant trait à l’insuffisance se limitait à quatre paragraphes dans le rapport produit en réponse par Mme Felton au sujet de la validité du brevet ′002.

[63]      Je m’arrête ici pour faire remarquer que, si Allergan avait engagé des frais substantiellement plus élevés en rapport avec les questions de la portée excessive et de l’insuffisance, j’aurais très bien pu minorer sensiblement le montant de la somme globale adjugée à Sandoz. Dans le passé, il semble que la pratique consistant à alléguer de nombreux motifs d’invalidité s’est enracinée dans le milieu des avocats spécialisés dans les brevets de médicaments. Cette pratique a eu pour effet d’augmenter considérablement le temps et les coûts engagés dans les litiges relatifs aux brevets de médicaments, et de mobiliser une part importante des ressources judiciaires déjà limitées. Il s’agit là d’un aspect notable de la mentalité présente qui doit changer. La Cour n’hésitera pas à user de son pouvoir discrétionnaire à l’égard des dépens pour appuyer ce changement, lorsqu’elle estimera approprié de le faire : voir par exemple Betser-Zilevitch 2, précitée, au paragraphe 14; Betser-Zilevitch c. Petrochina Canada Ltd., 2021 CF 85, aux paragraphes 142–144.

6)         Conclusion en ce qui concerne les honoraires

[64]      En résumé, j’estime qu’il est approprié d’allouer, en guise de dépens, une somme globale à Sandoz et qu’il convient d’adjuger cette somme en se référant à un pourcentage des honoraires d’avocat qu’elle a engagés à l’égard du brevet ′002, plus la TVH et les débours, et de commencer ma taxation au milieu de la fourchette de 25 à 50 p. 100. J’entamerai donc ma taxation avec un montant correspondant à 37,5 p. 100 des honoraires d’avocat raisonnables engagés par Sandoz à l’égard du brevet ′002, moins ceux liés aux aspects de sa demande reconventionnelle qui ont été abandonnés (les frais admissibles). En se basant sur des frais admissibles totaux de 598 710,00 $ engagés par Sandoz, ce montant correspond à 224 516,25 $, que j’arrondirai à 225 000 $. Pour plus de certitude, j’ai examiné le relevé détaillé de ces frais fournis en annexe A du second affidavit Wysokinski, et j’estime qu’ils sont tous raisonnables, nonobstant le nombre significatif d’avocats et d’auxiliaires juridiques dont Sandoz réclame les frais.

[65]      Pour les motifs que j’ai expliqués, je ne ferai pas de réajustement à la baisse ni n’accorderai de compensation à Allergan pour tenir compte du fait qu’elle a prévalu sur deux des trois principales questions en litige dans la présente instance. Compte tenu du fait que l’importance et la complexité de la présente affaire sont déjà prises en compte dans le point de départ que j’ai déjà mentionné, je ne ferai pas non plus de réajustement pour prendre ce facteur en considération. De même, je ne ferai aucun réajustement tenant compte des comportements ayant eu pour effet d’abréger la durée de l’instance, les contributions d’Allergan et de Sandoz à cet égard étant approximativement équivalentes.

[66]      Cependant, pour les motifs mentionnés aux paragraphes 56 et 57 ci-dessus, j’augmenterai de 47 000 $ les dépens adjugés à Sandoz, pour tenir compte de l’une de ses offres de règlement (l’offre no 2). Par conséquent, les honoraires compris dans la somme globale qui sera adjugée à Sandoz seront de 225 000 $ + 47 000 $ = 272 000 $. Cela équivaut à un peu plus de 45 p. 100 des frais admissibles de Sandoz. L’ajout de la TVH qui s’élève à 35 360 $ (13 p. 100) donne un total de 307 360 $.

7)         Les débours

[67]      Comme je ne peux adjuger de dépens à Allergan ni lui accorder de compensation, cette section des présents motifs traitera exclusivement des débours réclamés par Sandoz.

[68]      Sandoz réclame des débours totaux de 124 605,30 $ engagés à l’égard du litige relatif au brevet ′002. Pour parvenir à ce chiffre, elle a effectué divers réajustements décrits dans l’affidavit Wysokinski, dans le but d’éliminer les débours engagés à l’égard du brevet ′780. Sous réserve des commentaires ci-après, je suis convaincu que ces réajustements sont raisonnables.

[69]      Les débours totaux réclamés par Sandoz comprennent une partie des frais de M. Stewart (15 626,25 $)[3] et 75 p. 100 des frais de M. Fassihi (59 687,54 $).

[70]      Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu concernant l’historique des poursuites du brevet ′002, la preuve de M. Stewart n’a eu aucune incidence sur ma décision quant au fond. Par conséquent, je ne pense pas qu’il convienne d’adjuger les frais de M. Stewart à Sandoz.

[71]      Quant à M. Fassihi, Allergan soutient que ses frais devraient être réduits de 85 p. 100, étant donné que la plus grande partie de sa preuve concernait la question de l’évidence et que cette preuve n’a pas été acceptée par la Cour. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées au sujet de son témoignage (Allergan, précitée, au paragraphe 35), je pense que ses frais devraient être substantiellement réduits, mais pas dans la mesure suggérée par Allergan. J’estime qu’une réduction de 65 p. 100 est plus appropriée. Par conséquent, Sandoz ne devrait être indemnisée qu’à raison de 35 p. 100 des frais totaux de M. Fassihi qui s’élèvent à 79 583,39 $. Cela donne 27 854,19 $.

[72]      Par conséquent, j’estime qu’il convient de soustraire des débours totaux de 124 605,30 $ réclamés par Sandoz les montants suivants : (i) 15 626,25 $ (réclamés pour M. Stewart) et ii) 31 833,36 $, montant qui correspond à la différence entre celui qu’elle a réclamé pour M. Fassihi (59 687,54 $) et celui que j’ai décidé d’adjuger (27 854,19 $).

[73]      Par conséquent, les débours totaux qui seront adjugés à Sandoz seront de 77 145,69 $. Pour plus de certitude, je considère que l’ensemble des débours inclus dans ce montant final sont raisonnables.

8)         Les dépens de Kissei

[74]      Kissei souhaite que les dépens auxquels elle a droit soient taxables suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B (23 670 $) avec des débours totalisant 22 719,12 $. Cette dernière somme comprend des frais de déplacement et d’hébergement de 22 075,12 $ plus 644 $ pour des transcriptions.

[75]      Comme je l’ai déjà noté, Kissei n’a pas pris position dans l’action principale en l’espèce. Cependant, elle a déposé une défense contre la demande reconventionnelle de Sandoz et a engagé des frais supplémentaires, principalement pour l’interrogatoire de l’un de ses représentants (Yasuhiko Kirisawa) et de l’un des inventeurs du brevet ′002 (Mitsuo Muramatsu).

[76]      Pour les motifs mentionnés au paragraphe 44 ci-dessus, il convient de considérer que Kissei a eu gain de cause en l’espèce. Elle a donc droit aux dépens qu’elle réclame, sous réserve des réajustements mineurs qui suivent. Sandoz a pris un risque calculé en sollicitant une déclaration d’invalidité en matière réelle en rapport avec le brevet ′002 et elle a échoué sur ce point. Les dépens doivent suivre l’issue de la cause, d’autant plus que les intérêts de Kissei et d’Allergan ne concordaient pas totalement.

[77]      Sandoz s’appuie sur l’arrêt Pelletier c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 418 (Pelletier), au paragraphe 9, à l’appui de sa prétention selon laquelle Kissei ne peut en l’espèce solliciter des dépens, parce qu’elle n’en a pas réclamé ni dans ses actes de procédure ni durant le procès auquel elle n’a pas participé. Cependant, Sandoz a tort de s’appuyer sur l’arrêt Pelletier, parce que j’ai autorisé Kissei à présenter des observations au sujet des dépens après avoir découvert qu’elle avait engagé des frais importants en lien avec la présente instance.

[78]      Sandoz soutient en outre que, si Kissei a droit à des dépens, ceux-ci devraient être assumés par Allergan, cette dernière étant celle qui l’a initialement constituée en partie défenderesse, et aussi parce qu’il n’est pas rare que les ententes de licences prévoient des dispositions sur les frais engagés par le concédant de licence pour se défendre contre des actions en invalidation. Je ne pense pas que l’un ou l’autre de ces arguments soit particulièrement pertinent. Allergan devait ajouter Kissei à l’instance en application du paragraphe 6(2) du Règlement. De plus, Sandoz se livre à de pures conjectures quant au contenu de l’entente de licence conclue entre Allergan et Kissei.

[79]      Je suis convaincu que les réclamations d’honoraires énoncées dans le mémoire de dépens de Kissei sont toutes raisonnables. En bref, elles concernent la préparation de sa défense puis de sa défense modifiée à la demande reconventionnelle de Sandoz, la préparation de son affidavit de documents ainsi que de l’interrogatoire préalable de l’un de ses représentants et de l’un des inventeurs du brevet ′002, puis la participation à ces interrogatoires et à diverses conférences de gestion de l’instance.

[80]      En ce qui a trait aux débours de Kissei, Sandoz s’oppose aux billets d’avion en classe affaires qu’elle a réclamés ainsi qu’au nombre de jours d’hébergement dont elle a demandé le remboursement.

[81]      Compte tenu de la très longue distance que MM. Kirisawa et Muramatsu ont dû parcourir (du Japon) en vue de leurs interrogatoires, je suis persuadé que les billets d’avion en classe affaires réclamés par Kissei sont raisonnables.

[82]      Pour ce qui est des frais d’hébergement, Kissei réclame le remboursement de séjours à l’hôtel d’une durée de 13 jours pour M. Kirisawa et de 9 jours pour M. Muramatsu. Je conviens avec Sandoz que ces demandes sont excessives.

[83]      Dans l’assignation à comparaître qu’elle a signifiée à M. Kirisawa et à M. Muramatsu, Sandoz a déclaré que, s’ils en faisaient la demande, elle rembourserait leurs frais de déplacement et leur indemnité de témoin pour deux jours de présence. En fin de compte, MM. Kirisawa et Muramatsu ont été interrogés en tout pendant près de trois jours à l’égard du brevet ′002 (un jour pour le premier et deux jours pour le second). Sandoz soutient que, si une ou l’autre des réclamations de Kissei pour l’hébergement étaient accueillies, elles devraient être limitées à un maximum de quatre jours chacun pour MM. Kirisawa et Muramatsu, eu égard à leur besoin de s’acclimater avant leur interrogatoire.

[84]      Je suis d’accord. Par conséquent, les réclamations de Kissei pour l’hébergement seront minorées afin d’exclure les frais d’hôtel des neuf premiers jours réclamés pour M. Kirisawa (3 967,93 $)[4] et des cinq premiers jours pour M. Muramatsu (2 124,85 $)[5], soit une réduction totale de 6 092,78 $. Je soustrais cette somme de la somme de 22 075,12 $ réclamée par Sandoz pour les frais de déplacement et d’hébergement, et j’ajoute les débours de 644,00 $ pour les transcriptions, ce qui totalise 16 626,34 $.

[85]      Par conséquent, Sandoz devra indemniser Kissei pour des honoraires de 23 670 $ (taxés suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B) plus les débours raisonnables qui s’élèvent à 16 626,34 $, pour un total de 40 296,34 $.

IV.       Conclusion

[86]      Pour les motifs énoncés ci-dessus, il sera ordonné à Allergan de verser une somme globale de 384 505,69 $ à Sandoz, qui a en fin de compte prévalu dans l’action principale. Les honoraires compris dans cette somme s’élèvent à 272 000 $, ce qui représente environ 45 p. 100 des frais admissibles de Sandoz. Le reste correspond à la TVH sur ces honoraires d’avocat, plus les débours raisonnables engagés par Sandoz. Entre autres choses, les honoraires d’avocat ont été majorés pour tenir compte du fait que Sandoz avait fait, de bonne foi, une offre écrite de règlement, laquelle aurait fait bénéficier à Allergan d’un résultat plus favorable que ce qu’elle a obtenu en fin de compte en poursuivant le procès.

[87]      Comme Kissei a complètement prévalu dans sa défense, elle se verra adjuger, à titre de dépens, les frais de 40 296,34 $ qu’elle a raisonnablement engagés, comprenant 23 670 $ d’honoraires d’avocat calculés conformément à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, plus les débours raisonnables de 16 626,34 $.

ORDONNANCE dans le dossier T-2023-18

LA COUR ORDONNE que :

1.   Allergan verse, à titre de dépens, à Sandoz une somme globale de 384 505,69 $, comprenant les honoraires de 272 000 $ qu’elle a raisonnablement engagés, la TVH de 35 360 $ sur ces frais plus des débours raisonnables de 77 145,69 $;

2.   Sandoz verse à Kissei des dépens de 40 296,34 $, comprenant des honoraires de 23 670 $ taxés conformément à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, plus des débours raisonnables de 16 626,34 $.

Annexe 1 – Dispositions législatives applicables

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

DÉPENS

Adjudication des dépens entre parties

Pouvoir discrétionnaire de la Cour

400 (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

La Couronne

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

Facteurs à prendre en compte

(3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l’instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

n.1) la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

Tarif B

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

[…]

Tarif B

407 Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.

[…]

Conséquences de la non-acceptation de l’offre du demandeur

420 (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le demandeur fait au défendeur une offre écrite de règlement, et que le jugement qu’il obtient est aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite, au double de ces dépens mais non au double des débours.

Conséquences de la non-acceptation de l’offre du défendeur

(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le défendeur fait au demandeur une offre écrite de règlement, les dépens sont alloués de la façon suivante :

a) si le demandeur obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et le défendeur a droit, par la suite et jusqu’à la date du jugement au double de ces dépens mais non au double des débours;

b) si le demandeur n’a pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite et jusqu’à la date du jugement, au double de ces dépens mais non au double des débours.

Conditions

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent qu’à l’offre de règlement qui répond aux conditions suivantes :

a) elle est faite au moins 14 jours avant le début de l’audience ou de l’instruction;

b) elle n’est pas révoquée et n’expire pas avant le début de l’audience ou de l’instruction.

 



[1] L’approche de Sandoz à ce sujet est décrite de manière très détaillée aux pages 3 à 13 de l’affidavit de Marta Wysokinski, souscrit sous serment le 27 janvier 2021 (l’affidavit Wysokinski). Essentiellement, lorsqu’il était évident que des travaux concernaient uniquement le brevet ′780, les heures inscrites au dossier en cause étaient exclues des calculs de Sandoz. Lorsque cette dernière ne pouvait procéder de cette manière, elle réduisait simplement de 50 p. 100 les diverses catégories d’honoraires réellement engagés, adoptant une approche analogue à l’égard des débours. Pour sa part, Allergan a simplement réduit certains montants de 50 p. 100.

[2] Sur ce point, elle a réduit de 50 p. 100 les frais engagés pour les interrogatoires préalables. Je suis convaincu qu’il s’agit là d’une approche raisonnable aux fins de l’exclusion des frais engagés à l’égard du brevet ′780.

[3] Sandoz a réduit de 50 p. 100 le montant réclamé à l’égard de trois des quatre factures de M. Stewart, afin d’exclure les travaux effectués concernant le brevet ′780.

[4] 665,68 $ pour les deux premières nuits combinées plus 471,75 $ par nuit pour les sept nuits suivantes.

[5] 424,97 $ par nuit pour cinq nuits.

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