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IMM-4079-20

2021 CF 441

Ismael Estrada Gallardo (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et l’Agence des services frontaliers du Canada (défendeurs)

Répertorié : Gallardo c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Barnes—Vancouver (par vidéoconférence), 29 avril; Ottawa, 13 mai 2021.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d'immigration — Règles de la Section de la protection des réfugiés — Date de l’instance — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de rejeter la demande d’asile du demandeur parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur viable — Le demandeur a contesté la justesse de la décision de la SPR de rejeter sa demande d’ajournement de l’audience pour accommoder un conflit d’horaire de son conseil juridique — La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences de la règle 54 des Règles de la Section de la protection des réfugiés — La SAR n’a trouvé aucune erreur dans les motifs de la SPR — Il s’agissait de savoir si la décision de la SAR était raisonnable — Le terme restrictif « circonstances exceptionnelles » fait en sorte qu’il est plus difficile d’obtenir un ajournement d’une audience prévue de la SPR — Toutefois, la SPR devait quand même tenir compte des facteurs pertinents qui militaient en faveur de l’ajournement — La SPR n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes afin de décider si des « circonstances exceptionnelles » étaient survenues — Les « circonstances exceptionnelles » ne se limitent pas à des situations où il est question d’une personne vulnérable ou d’urgences imprévues — La décision de la SPR comportait des lacunes, car elle ne tenait pas compte de plusieurs facteurs qui militaient en faveur de l’ajournement — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) [No de dossier de la SAR : VB9-03948, [2020] D.S.A.R. no 2475 (QL)] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de rejeter la demande d’asile du demandeur parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur viable dans la ville de Mexico.

L’appel du demandeur auprès de la SAR contestait seulement la justesse de la décision de la SPR de rejeter sa demande d’ajournement de l’audience pour accommoder un conflit d’horaire de son conseil juridique. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences de la règle 54 des Règles de la Section de la protection des réfugiés[1]. La SAR n’a trouvé aucune erreur dans les motifs de la SPR. La SAR a indiqué notamment que, même si le demandeur a déclaré à l'audience qu'il aurait aimé être représenté par un avocat, il n'a pas signalé que l'une ou l'autre de ses réponses aux questions de la SPR étaient incorrectes ou que ses réponses avaient été mal interprétées par la commissaire de la SPR.

Il s’agissait de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Les modifications de 2012, qui ont introduit le paragraphe 54(4) des règles, ont retiré tous les facteurs énumérés, qui ont été remplacés par le terme plus restrictif « circonstances exceptionnelles », de sorte qu’il est plus difficile d’obtenir un ajournement d’une audience prévue de la SPR. La SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de toutes les circonstances pertinentes afin de décider si des « circonstances exceptionnelles » étaient survenues. Même si un seul facteur n’aurait pas fait pencher la balance, plusieurs facteurs pris ensemble auraient très bien pu le faire. Les Directives no 6 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulées Mise au rôle et changement de la date ou de l'heure d'une procédure traitent explicitement de la question de l’indisponibilité du conseil. Lorsque la règle 54 est lue de pair avec les Directives no 6, il est clair que des « circonstances exceptionnelles » ne se limitent pas à des situations où il est question d’une personne vulnérable ou d’urgences imprévues. Les seuls facteurs dont la SPR a semblé tenir compte étaient le manque de rigueur du demandeur qui n’a pas retenu les services d’un conseil plus tôt, et le besoin relatif à l’efficacité administrative. La raison pour laquelle la SPR a exprimé une préoccupation concernant la nécessité de tenir une audience dans les 30 jours conformément au paragraphe 159.9(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, alors qu’elle exerçait ses activités bien à l’extérieur de ces paramètres conformément aux exceptions énoncées au paragraphe 159.9(3), n’était pas claire. La décision de la SPR comportait des lacunes, car elle ne tenait pas compte de plusieurs facteurs qui militaient en faveur de l’ajournement. Même si le paragraphe 54(4) des règles établit un seuil élevé pour l’obtention d’un ajournement, il n’élimine pas l’obligation de tenir compte des facteurs pertinents en faveur de la prise de mesures spéciales. À son tour, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a jugé de façon déraisonnable que la décision de la SPR était exempte d’erreur. La décision de la SAR a été annulée et l’affaire a été renvoyée à la SPR afin qu’une nouvelle décision soit rendue sur le fond par un décideur différent.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 159.9.

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, règle 54.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Tung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1296, [2015] A.C.F. no 1353 (QL).

DÉCISION EXAMINÉE :

Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 10 (QL) (C.A.).

DOCTRINE CITÉE

Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Directives données par le président, en application de l'alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : Directives no 6 : Mise au rôle et changement de la date ou de l'heure d'une procédure, date d'entrée en vigueur : le 1er avril 2010, modifiées le 15 décembre 2012.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (No de dossier de la SAR : VB9‑03948, [2020] D.S.A.R. no 2475 (QL)), qui a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés de rejeter la demande d’asile du demandeur parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur viable. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Ali Yusuf pour le demandeur.

Brett J. Nash pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ali Yusuf Law Office, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendu par

[1]        Le juge Barnes : La présente demande est introduite par Ismael Estrada Gallardo, qui conteste une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) [No de dossier de la SAR : VB9-03948, [2020] D.S.A.R. no 2475 (QL)] a rejeté son appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La demande d’asile de M. Gallardo a été rejetée par la SPR parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable dans la ville de Mexico.

[2]        L’appel de M. Gallardo auprès de la SAR contestait seulement la justesse de la décision de la SPR de rejeter sa demande d’ajournement de l’audience pour accommoder un conflit d’horaire de son conseil juridique. La SAR a confirmé cette décision ainsi que le fait que la conclusion de la SPR relative à une PRI était correcte. La présente demande concerne seulement la décision de la SAR confirmant celle de la SPR relative à l’ajournement. Cette décision, selon M. Gallardo, était erronée, et elle brime son droit à une audience équitable.

[3]        La décision de la SPR de rejeter la demande d’ajournement de M. Gallardo a été rendue par son commissaire coordonnateur. Selon la transcription de cette partie de l’audience, la décision est justifiée ainsi :

[traduction] MADAME LA COMMISSAIRE AZMUDEH : Donc, monsieur, votre conseil maintient que vous avez le droit d’être représenté, ce qui est partiellement vrai. Partiellement, car vous avez droit à une occasion raisonnable d’obtenir les services d’un conseil si vous le souhaitez.

En l’espèce, cette question a été vraiment portée à notre attention le 14 août 2018, il y a plusieurs mois, avec un avis de comparution où figurait la date d’aujourd’hui. Donc, je comprends que vous avez eu de la difficulté à comprendre la procédure d’aide juridique, mais vous avez eu amplement l’occasion de dissiper toute confusion ou de faire appel à vos amis avant il y a quelques jours ou quelques semaines, soit lorsque vous avez appris la date de comparution, à savoir dès le départ.

Donc, le droit à un conseil n’est pas absolu, et si vous aviez agi plus rapidement, vous auriez pu vous prévaloir de ce droit si vous l’aviez voulu. Et si je replace le tout dans le contexte de nos règles et de notre mandat de procéder efficacement et justement : d’abord, nos lois nous auraient enjoint d’assigner une salle d’audience – une date d’audience dans les 30 jours, car vous êtes du Mexique, et la seule raison pour laquelle nous n’avons pas pu respecter le mandat législatif était parce que la Commission était débordée. Donc, tout devait se passer plus rapidement si le demandeur d’asile veut s’assurer de faire preuve de diligence, car techniquement nos lois permettent même de fixer une date d’audience beaucoup plus rapidement et de donner un préavis plus court au demandeur d’asile.

Vous avez eu plusieurs mois pour vous préparer. Notre loi exige seulement que la date d’audience soit fixée un mois après le renvoi de l’affaire.

INTERPRÈTE : D’accord, je suis désolé, pouvez-vous –

MADAME LA COMMISSAIRE AZMUDEH : Durant cette période, vous deviez retenir les services d’un conseil et prendre toutes ces mesures. Vous disposiez de nombreux mois supplémentaires, et nos règles de justice naturelle permettent aussi des procédures beaucoup plus rapides, car, selon le paragraphe 54(5) des règles applicables, vous avez seulement cinq jours pour soumettre une demande afin d’obtenir une autre date une fois que la date a été fixée sans que l’agenda d’un avocat soit consulté. Vous n’avez pas agi dans les cinq jours. Vous n’avez même pas agi dans les cinq mois, et les règles sont assez strictes. La date sera seulement modifiée si une urgence qui échappe au contrôle de la partie survient et si cette dernière avait fait preuve de diligence ou qu’une vulnérabilité avait été cernée. Cette situation ne s’applique pas en l’espèce.

Donc, dans les circonstances, vous n’avez pas respecté les exigences établies à l’article 54. Je n’autorise pas la demande de changement de date. Je remarque aussi que, sauf la trousse initiale de documents d’immigration et le formulaire Fondement de la demande d’asile, vous n’avez pas non plus rempli d’autres documents par vous-même dans les 10 jours précédant l’audience.

[4]        La SAR a tenu compte des motifs mentionnés ci-haut, et elle a conclu qu’ils ne contenaient [traduction] « aucune erreur ». Après avoir examiné l’historique du dossier, la SAR a donné l’explication suivante quant à la raison pour laquelle le refus d’ajournement de la SPR était correct [aux paragraphes 18−26] :

Le droit à un conseil dans le contexte d'une procédure administrative comme une audience relative à une demande d'asile devant la CISR n'est pas un droit absolu. La loi accorde aux réfugiés le droit d'être représentés, mais elle ne précise pas que chaque demandeur d'asile doit l'être. En outre, la CISR ne joue aucun rôle dans la question de savoir qui doit être représenté ou comment le demandeur d'asile s'arrange pour avoir une représentation. Ce qui est absolu, c'est le droit à une audience équitable.

À l'audience relative à la demande de changement de date ou d'heure, le conseil a souligné que la demande d'asile avait été remplie à la main par l'appelant lui-même et a affirmé qu'elle [traduction] «ne semble pas aborder toutes les questions qui doivent être abordées». Que le demandeur d'asile soit préparé ou non par un conseil, il lui incombe de se préparer sommairement en vue de l'audience de la SPR. La CISR publie de nombreux documents sur son site Web afin d'aider les demandeurs d'asile à préparer leur cause. Le fait que l'appelant n'a pas préparé sommairement sa cause avant l'audience constitue de la négligence de sa part, et non une erreur susceptible de révision commise par la SPR.

Dans le dossier d'appel, le conseil a inclus certains cas de jurisprudence portant sur les remises et l'obtention des services d'un conseil. J'ai examiné les décisions et, à mon avis, le contexte factuel de ces affaires n'est pas analogue à celui en l'espèce. Par exemple, dans l'arrêt Calles, le demandeur avait tout fait en son pouvoir pour être représenté par un avocat, ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire. Dans la décision Ramadani, en l'absence d'une explication acceptable concernant le défaut de présenter les formulaires de renseignements personnels (FRP) dans le délai, la SPR a prononcé le désistement des demandes d'asile des demandeurs. Dans l'affaire Bryndza, au moment où les FRP avaient été remplis, les demandeurs étaient représentés par un conseil dont ils avaient retenu les services par l'intermédiaire de l'aide juridique. Dans la décision Singh, il était question du retrait tardif de la conseil.

Le conseil invoque également l'arrêt Siloch, dans lequel la Cour d'appel fédérale, en 1993, a prescrit un certain nombre de facteurs dont les tribunaux administratifs doivent tenir compte au moment de répondre à une demande de remise, notamment :

a)    la question de savoir si la requérante a fait son possible pour être représentée par un avocat;

b)   le nombre d'ajournements déjà accordés;

c)    le délai pour lequel l'ajournement est demandé

d)   l'effet de l'ajournement sur le système d'immigration;

e)   la question de savoir si l'ajournement retarde, empêche ou paralyse indûment la conduite de l'enquête;

f)    la faute ou le blâme à imputer à la requérante du fait qu'elle n'est pas prête;

g)   la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement;

h)   tout autre facteur pertinent.

Toutefois, les facteurs énumérés ci-dessus ne sont pas les seuls dont il faut tenir compte. Les directives du président de la CISR fournissent une orientation sur cette question, et les dispositions des Règles de la SPR concernant le changement de la date ou de l'heure d'une procédure doivent être respectées.

Les Directives numéro 6 du président intitulées Mise au rôle et changement de la date ou de l'heure d'une procédure fournissent également une orientation générale sur cette question. La partie des Directives numéro 6 propre à la SPR est ainsi libellée :

La SPR s'attend à ce que les parties et leurs conseils soient prêts à présenter leur cas à la date et à l'heure prévues pour l'audience. Les demandes de changement de la date ou de l'heure de l'audience ne seront accueillies que dans des circonstances exceptionnelles (non souligné dans l'original) et, dans les cas où la demande aurait pour effet d'empêcher le respect des délais réglementaires relatif à la tenue des audiences, seulement si la preuve indique que cette mesure est nécessaire pour se conformer aux principes de justice naturelle.

La commissaire régulière de la SPR qui a instruit la demande d'asile de l'appelant a confirmé que ce dernier était prêt à présenter ses arguments, que ses documents étaient en règle et que, comme le demandeur d'asile et l'interprète étaient tous deux présents, la SPR procèderait directement à l'instruction de la demande d'asile. J'estime que cette approche était correcte.

En examinant la transcription de l'audience de la SPR, je constate que l'appelant a fourni des réponses claires et lucides aux questions de la commissaire de la SPR. La commissaire de la SPR a expliqué en détail à l'appelant ce qui allait se passer et comment l'audience se déroulerait. Elle a pris soin d'expliquer tout terme technique relatif aux réfugiés, comme [traduction] «possibilité de refuge intérieur». Tout au long de l'audience, la commissaire de la SPR s'est assurée que l'appelant était en mesure de comprendre l'interprète et les questions de ce dernier. Il était évident que l'appelant comprenait la nature de la procédure.

Même si l'appelant a déclaré à l'audience qu'il aurait aimé être représenté par un avocat, il n'a pas signalé que l'une ou l'autre de ses réponses aux questions de la SPR étaient incorrectes ou que ses réponses avaient été mal interprétées par la commissaire de la SPR. Par conséquent, j'estime que la CISR a eu raison d'instruire l'affaire en l'absence du conseil et qu'il n'y a eu aucun manquement à l'équité procédurale. [Notes en bas de page omises.]

I.     Norme de contrôle

[5]        Le ministre soutient que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable. M. Gallardo affirme que, comme la question devant la Cour concerne l’équité procédurale, la norme de la décision correcte s’applique. Je n’ai pas à tirer de conclusion concernant cette question, parce que même si la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, la décision ne peut pas être maintenue.

II.    Analyse

[6]        Les règles de la SPR relatives à l’ajournement sont en quelque sorte un étrange mélange. D’une part, le paragraphe 54(5) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, prévoit un droit apparent présumé à un ajournement si la demande a été soumise au plus tard cinq jours ouvrables suivant la journée où la date de l’audience a été fixée, et seulement lorsque le conseil n’est pas disponible à la date initiale. La limite de temps a sans doute été imposée en raison de l’échéancier obligatoire strict des audiences — qui doivent se tenir dans les 30, les 45 ou les 60 jours — établi à l’article 159.9 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) (voir la section 7.1 des Directives données par le président, en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : Directives no 6 : Mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure).

[7]        D’autre part, contrairement au paragraphe 54(5), le paragraphe 54(4) des règles applicables est libellé ainsi :

Éléments à considérer

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la Section ne peut accueillir la demande, sauf en cas des circonstances exceptionnelles, notamment :

a) le changement est nécessaire pour accommoder une personne vulnérable;

b) dans le cas d’une urgence ou d’un autre développement hors du contrôle de la partie, lorsque celle-ci s’est conduite avec diligence.

[8]        J’accepte l’observation du ministre selon laquelle les modifications de 2012 qui ont introduit le paragraphe 54(4) visaient à faire en sorte qu’il soit plus difficile d’obtenir un ajournement d’une audience prévue de la SPR. La règle qui s’appliquait précédemment faisait état d’une liste non exhaustive de 11 facteurs dont la SPR devait tenir compte avant d’accepter ou de refuser un ajournement. Les facteurs énoncés étaient similaires à ceux cernés dans Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 10 (QL) (C.A.). Dans le cadre des modifications de 2012, tous les facteurs énumérés ont été retirés pour être remplacés par le terme plus restrictif « circonstances exceptionnelles ».

[9]        C’est en fonction de l’historique de cette règle que le caractère raisonnable de la décision de la SAR doit être évalué.

[10]      Selon moi, la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de toutes les circonstances pertinentes afin de décider si des « circonstances exceptionnelles » étaient survenues. Même si un seul facteur n’aurait pas fait pencher la balance, plusieurs facteurs pris ensemble auraient très bien pu le faire. C’est ce qu’a déclaré mon collègue le juge James O’Reilly dans l’affaire Tung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1296, [2015] A.C.F. no 1353 (QL), aux paragraphes 7–10 :

À mon avis, la Commission a omis de prendre en compte les facteurs pertinents susmentionnés et a par conséquent déraisonnablement refusé un ajournement à Mme Tung. La Commission a justifié sa décision par le défaut de Mme Tung de démontrer qu’il existait des circonstances exceptionnelles, comme la vulnérabilité ou une urgence hors de son contrôle. Or, ce ne sont que des exemples de circonstances exceptionnelles. La Commission ne semble pas avoir cherché à savoir si la situation personnelle de Mme Tung pouvait être assimilable à des circonstances exceptionnelles au sens large.

La Commission n’a pas non plus cherché à savoir si le paragraphe 54(5) des Règles était applicable. Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission peut dans certaines circonstances être tenue d’accorder un ajournement en vertu de cette disposition. En l’absence de telles circonstances, la Commission a néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un ajournement lorsque la situation personnelle du demandeur le justifie.

Si la Commission avait tenu compte de la situation personnelle de Mme Tung, elle aurait constaté que :

•         Mme Tung n’avait encore jamais fait de demande d’ajournement;

•         le délai demandé était court;

•         rien ne donnait à penser qu’un préjudice serait cause;

•         ni Mme Tung ni son conseil n’étaient préparés pour l’audience.

Dans ces circonstances, je conclus qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de rejeter la demande de Mme Tung étant donné qu’elle n’avait pas examiné la situation personnelle de cette dernière.

[11]      Les Directives no 6 du président relatives à la mise au rôle et aux changements de la date ou de l’heure d’une procédure traitent explicitement de la question de l’indisponibilité du conseil. Selon la section 3.6 :

3.6 Conseils

3.6.1 La CISR reconnaît que les parties ont le droit de se faire représenter par un conseil, mais ce droit n’est pas absolu. La possibilité de recourir aux services d’un conseil n’est pas illimitée. Les parties et tout conseil dont les services sont retenus doivent être prêts à comparaître et à poursuivre la procédure et en mesure de le faire conformément aux exigences de mise au rôle de la section et aux exigences de la loi.

3.6.2 Si le conseil est choisi après qu’une date a déjà été fixée pour une procédure, il incombe à la partie de veiller à ce que le conseil soit disponible et prêt à poursuivre la procédure à la date fixée. En règle générale, la CISR n’accueille pas les demandes de changement de la date ou de l’heure d’une procédure si la partie retient les services d’un conseil qui n’est pas disponible à la date qui a déjà été fixée.

3.6.3 La CISR donne toujours aux parties un avis raisonnable de la date et de l’heure de la procédure, qui varie en fonction des circonstances et du type de procédure. La CISR s’attend donc à ce que les conseils soient disponibles et préparés à présenter le cas de la partie. Si, pour une raison quelconque, le conseil ne peut se présenter à l’audience prévue, il doit prendre les mesures nécessaires pour se faire remplacer par un autre conseil qui est prêt à poursuivre l’affaire à la date et à l’heure prévues. Si le conseil ne se présente pas, la CISR peut décider de poursuivre l’affaire en l’absence du conseil ou, s’il y a lieu, d’entamer la procédure de désistement ou de prononcer le désistement de l’affaire.

3.6.4 Ni le désir du conseil de prendre congé, ni son obligation de s’acquitter d’autres responsabilités professionnelles, ni sa volonté de s’occuper d’affaires personnelles qui ne sont ni urgentes ni imprévues ne constituent des raisons valables de faire droit à une demande de changement de la date ou de l’heure de la procédure. [Notes en bas de page omises.]

[12]      Même si cette directive joue généralement en défaveur des ajournements en raison de l’indisponibilité du conseil, elle n’écarte pas la possibilité. Selon la section 3.6.4, des conflits personnels ou professionnels non urgents sont aussi insuffisants pour justifier un ajournement; ce qui laisse entendre qu’il faut tenir compte des conflits professionnels plus urgents, et qu’ils peuvent justifier un ajournement.

[13]      Lorsque la règle 54 est lue de pair avec les Directives no 6 du président, il est clair que des « circonstances exceptionnelles » ne se limitent pas à des situations où il est question d’une personne vulnérable ou d’urgences imprévues. Il faut tenir compte de tous les facteurs, et les évaluer par rapport au besoin relatif à l’efficacité administrative.

[14]      Au moment de refuser la demande d’ajournement de M. Gallardo, la SPR s’appuyait sur le paragraphe 54(4) des règles applicables. Les seuls facteurs dont la SPR a semblé tenir compte étaient le manque de rigueur de M. Gallardo qui n’a pas retenu les services d’un conseil plus tôt, et le besoin relatif à l’efficacité administrative. Selon moi, la raison pour laquelle la SPR a exprimé une préoccupation concernant la nécessité de tenir une audience dans les 30 jours conformément au paragraphe 159.9(1) du Règlement, alors qu’elle exerçait ses activités bien à l’extérieur de ces paramètres conformément aux exceptions énoncées au paragraphe 159.9(3), n’est pas claire. En effet, l’audience de M. Gallardo était initialement prévue plus de huit mois après que la demande a été soumise à la SPR. Cet historique diverge de la justification relative à une adhérence stricte visant à accélérer la mise au rôle, et fait en sorte que l’analyse de la SPR à cet égard n’est pas pertinente.

[15]      La décision de la SPR comporte des lacunes, car elle ne tient pas compte de plusieurs facteurs qui militaient en faveur de l’ajournement, y compris ceux qui suivent :

a)    La demande d’ajournement a été faite par écrit deux jours avant la date fixée de l’audience

b)    Le conseil a comparu, et il a expliqué qu’il avait un conflit d’horaire qui ne pouvait pas être évité

c)    Le conseil a fourni plusieurs dates rapprochées auxquelles il pourrait être disponible

d)    Il s’agissait de la première, et de la seule, demande d’ajournement

e)    M. Gallardo a eu de la difficulté à obtenir de l’aide financière afin de retenir les services d’un conseil

f)     M. Gallardo n’a aucunement été questionné au sujet de sa capacité de se représenter lui-même, malgré le fait que le conseil ait mentionné que M. Gallardo n’avait pas été préparé convenablement, et qu’en l’absence d’un conseil, la demande d’asile n’avait pas été préparée correctement.

[16]      Même si le paragraphe 54(4) des règles applicables établit un seuil élevé pour l’obtention d’un ajournement, il n’élimine pas l’obligation de tenir compte des facteurs pertinents en faveur de la prise de mesures spéciales, y compris ceux énoncés plus haut. En limitant le critère établi au paragraphe 54(4) à deux exemples, il est évident que la SPR a commis une erreur et a privé M. Gallardo de l’occasion d’être représenté par un conseil.

[17]      À son tour, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a jugé de façon déraisonnable que la décision de la SPR était exempte d’erreur. Même si la SAR a souscrit au fait qu’il fallait tenir compte des facteurs mentionnés plus haut dans l’affaire Siloch, elle n’a visiblement pas tenté de le faire.

[18]      Un tribunal d’appel ne peut pas corriger un manquement à l’équité procédurale en déclarant à tort que la procédure était équitable ni que, si la bonne décision avait été rendue, il était inévitable qu’un ajournement soit refusé. La présomption doit toujours être telle que si le processus avait été appliqué en bonne et due forme, le résultat aurait pu être différent; particulièrement dans le cadre de la présente affaire, où un vice procédural a entraîné le refus d’une représentation juridique à un demandeur d’asile mal préparé et peu expérimenté, et où plusieurs autres facteurs étaient favorables à la prise de mesures spéciales. Pris ensemble, ces facteurs auraient très bien pu l’emporter sur les considérations relatives au manque de rigueur et au besoin d’efficacité. Il est aussi impossible de dire si la demande d’asile aurait été refusée parce qu’elle n’était pas fondée, si un conseil avait été présent.

[19]      Rien ne permet présentement à la SAR de régler ce problème après coup, et il ne sert à rien de lui renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réévaluée. Par conséquent, j’annule cette décision de la SAR, et je renvoie l’affaire afin qu’elle soit entendue de nouveau par un tribunal nouvellement constitué de la SPR dans le cadre d’une audience sur le fond. Lorsqu’une nouvelle date sera fixée à cet égard, M. Gallardo comparaîtra sans doute avec un conseil prêt à le représenter.

[20]      M. Gallardo a proposé une question à certifier à laquelle le ministre s’est opposé. Vu la décision rendue en l’espèce, aucune question ne sera certifiée.

JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4079-20

LA COUR CONCLUT que la demande est accueillie, et la décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée. La Section d’appel des réfugiés doit renvoyer l’affaire à la Section de la protection des réfugiés afin qu’une nouvelle décision soit rendue sur le fond par un décideur différent.



[1] Conformément à la règle 54, un demandeur d’asile peut demander que soit modifiée la date d’une audience si, à la date à laquelle celle‑ci a été fixée par un agent, le demandeur n’était pas représenté par un conseil ou il était incapable de fournir les dates auxquelles son conseil pourrait se présenter à l’audience.

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