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T-669-19

2021 CF 932

AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA SÛRETÉ DES DÉPLACEMENTS AÉRIENS

Bhagat Singh Brar (appelant)

c.

Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (défendeur)

Répertorié : Brar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Noël — Ottawa, 5, 14 au 16, 19, 20 et 22 octobre 2020, 16 et 17 juin et 30 août 2021; 5 octobre 2021.

Renseignement de sécurité — Il s’agissait d’une ordonnance publique modifiée traitant du caractère approprié et de la justification de caviardages dans un dossier d’appel et de la tâche qui incombe au juge désigné de veiller à ce que soit fourni à l’appelant un résumé de la preuve et d’autres renseignements disponibles afin de lui permettre d’être suffisamment informé de la thèse du ministre — L’ordonnance a été prononcée dans le cadre d’un appel de la décision de maintenir l’inscription du nom de l’appelant sur la liste d’interdiction de vol en vertu des art. 15 et 16 de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens (LSDA) — Le délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a jugé qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que l’appelant participerait ou tenterait de participer à un acte qui menacerait la sûreté des transports ou se déplacerait en aéronef dans le but de commettre certaines infractions de terrorisme — L’appelant a déposé un avis d’appel visant à obtenir une ordonnance radiant son nom de la liste de la LSDA — Le procureur général a présenté des éléments de preuve sur l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation des caviardages contestés et des résumés proposés par les amis de la cour — Les amis de la cour ont remis en question les raisons justifiant les caviardages et les résumés proposés par le procureur général — Le procureur général a soutenu, entre autres choses, que la LSDA n’autorise pas la Cour à mettre en balance les divers intérêts qui pourraient entrer en jeu lors de l’évaluation de l’opportunité de divulguer des renseignements — Il a affirmé que les appelants étaient suffisamment informés — Les amis de la cour ont fait valoir que l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat de la Cour suprême s’appliquait en l’espèce et que le ministre devait retirer du dossier les renseignements dont la non-divulgation empêchait l’appelant d’être suffisamment informé — Ils ont demandé à la Cour de déclarer qu’il y avait tension irréconciliable dans les cas où les renseignements ne peuvent être décaviardés ou résumés sans porter atteinte à la sécurité nationale — Il s’agissait de savoir si la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui — Dans l’affirmative, il s’agissait de savoir si les renseignements protégés et les autres éléments de preuve devraient être divulgués sous forme de résumé — Il incombait au procureur général de convaincre le juge désigné que chaque caviardage était justifié en présentant des éléments de preuve démontrant que l’atteinte était une probabilité, qu’elle reposait sur des faits et qu’elle était liée à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui — La LSDA interdit la divulgation de renseignements qui porterait atteinte à la sécurité — L’emploi du verbe « porterait » commande une norme élevée — Chaque revendication fondée sur la sécurité nationale doit reposer sur une preuve « tangible » — Le concept de « sécurité nationale » se veut général, large et souple pour pouvoir s’adapter — Néanmoins, le procureur général doit présenter des éléments de preuve démontrant l’existence d’une menace potentiellement grave — Et si le juge désigné doit faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation faite par le procureur général quant à l’atteinte portée à la sécurité nationale, il ne devrait pas entériner aveuglément les demandes de non-divulgation — Si un caviardage est justifié, le juge désigné doit décider si un résumé des renseignements protégés peut être fourni à l’appelant — L’art. 16(6)c) de la LSDA et l’art. 6(2)c) de la Loi sur la prévention des voyages de terroristes indiquent tous deux clairement que ces résumés ne doivent contenir aucun renseignement dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité — Les principes établis dans l’arrêt Harkat ont été utiles dans la présente instance et s’appliquaient au régime d’appel de la LSDA — L’appelant doit recevoir des renseignements suffisants pour connaître la preuve qui pèse contre lui et y répondre — Les renseignements peuvent être déciavardés si leur non-divulgation empêche l’appelant d’être suffisamment informé — En l’espèce, la divulgation de certains renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité — Il était impossible de concevoir un résumé de ces renseignements qui ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale — Certains caviardages sont demeurés contestés — La décision sur ces caviardages figurait dans une annexe confidentielle — Un résumé des allégations maintenant divulguées a été mis à la disposition de l’appelant — Le dossier d’appel révisé contiendra d’autres renseignements sur les caviardages contestés — Ordonnance : certains caviardages doivent être maintenus, d’autres doivent faire l’objet d’un décaviardage total ou partiel et d’autres doivent être résumés.

Il s’agissait d’une ordonnance publique modifiée traitant du caractère approprié et de la justification de caviardages dans un dossier d’appel déposé par le procureur général et de la tâche qui incombe au juge désigné de veiller à ce que soit fourni à l’appelant Brar (dossier en l’instance) et à l’appelant Dulai (dossier T-670-19) un résumé de la preuve et d’autres renseignements leur permettant d’être suffisamment informés de la thèse du ministre.

L’ordonnance a été prononcée dans le cadre d’un appel de la décision administrative par laquelle le sous-ministre délégué, agissant à titre de délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a maintenu l’inscription du nom de l’appelant sur la liste d’interdiction de vol en vertu des articles 15 et 16[1] de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens (LSDA). Après s’être vu refuser l’embarquement à l’aéroport international de Vancouver, l’appelant a présenté une demande de recours administratif au Bureau de renseignement du Programme de la protection des passagers afin de faire radier son nom de la liste de la LSDA. Le ministre a informé l’appelant de sa décision de maintenir son statut de personne inscrite sous le régime de la LSDA. Le délégué a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner que l’appelant participerait ou tenterait de participer à un acte qui menacerait la sûreté des transports, ou se déplacerait en aéronef dans le but de commettre certaines infractions de terrorisme. En 2019, l’appelant a déposé un avis d’appel dans lequel il a demandé à la Cour d’ordonner la radiation de son nom de la liste de la LSDA ou le renvoi de l’affaire au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision, et de déclarer que les articles 8, 15, 16 ainsi que l’alinéa 9(1)a) de la LSDA sont inconstitutionnels. En 2020, une audience ex parte et à huis clos a eu lieu, et le procureur général a présenté des éléments de preuve sur l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation des caviardages contestés et des résumés proposés par les amis de la cour ainsi que sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés. Les amis de la cour ont remis en question les raisons justifiant les caviardages et les résumés proposés par le procureur général. Le procureur général a fait valoir, entre autres choses, que la LSDA ne permet pas à la Cour de mettre en balance les divers intérêts qui pourraient entrer en jeu lors de l’évaluation de l’opportunité de divulguer des renseignements, notamment la question de savoir si l’appelant est suffisamment informé. Le procureur général a affirmé qu’à cette étape, les appelants étaient suffisamment informés. Les amis de la cour ont soutenu que la décision de la Cour suprême dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat exige que le ministre retire les renseignements ou les éléments de preuve dont la non-divulgation empêche l’appelant d’être suffisamment informé. Les amis de la cour ont également fait valoir que, dans certains cas, les caviardages n’étaient pas nécessaires. Dans d’autres cas, ils ont convenu que la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale, mais ils ont proposé un résumé qui éviterait une telle atteinte tout en permettant à l’appelant d’être suffisamment informé. Les amis de la cour ont demandé à la Cour de déclarer qu’il existait une tension irréconciliable dans les cas où des renseignements ou des éléments de preuve ne pouvaient pas être décaviardés ou résumés sans porter atteinte à la sécurité nationale.

Il s’agissait de savoir si la divulgation des renseignements caviardés et des autres renseignements présentés lors des audiences ex parte et à huis clos porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et, dans l’affirmative, si les renseignements protégés et les autres éléments de preuve devraient être divulgués à l’appelant sous forme de résumé.

Ordonnance : certains caviardages doivent être maintenus, d’autres doivent faire l’objet d’un décaviardage total ou partiel et d’autres doivent être résumés.

Il incombe au procureur général de convaincre le juge désigné que chaque caviardage est justifié en présentant des éléments de preuve démontrant que l’atteinte est une probabilité, qu’elle repose sur des faits établis, et qu’elle est liée à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Les alinéas 16(6)b) et c) de la LSDA interdisent la divulgation de renseignements qui porterait atteinte à la sécurité. L’emploi du verbe « porterait » commande une norme élevée comparativement à l’emploi du verbe « pourrait ». Chaque revendication fondée sur la sécurité nationale doit reposer sur une preuve « tangible ». Le concept de « sécurité nationale » se veut général, large et souple pour pouvoir s’adapter à un monde en évolution. Bien que le juge désigné doive donner à l’expression « sécurité nationale » une interprétation large et équitable, le procureur général doit présenter des éléments de preuve démontrant l’existence d’une menace potentiellement grave. Le juge désigné doit faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation faite par le procureur général quant à l’atteinte portée à la sécurité nationale « parce qu’il a accès à des sources particulières d’information et d’expertise ». Cependant, la Cour ne devrait pas pour autant entériner aveuglément les demandes de non-divulgation présentées par le procureur général. Si un caviardage est justifié pour des raisons de sécurité nationale, le juge désigné doit ensuite décider si un résumé des renseignements protégés ne contenant aucun renseignement sensible peut être fourni à l’appelant. L’alinéa 16(6)c) de la LSDA, tout comme l’alinéa 6(2)c) de la Loi sur la prévention des voyages de terroristes, indique clairement qu’un tel résumé ne doit comporter aucun élément dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le juge désigné doit aussi veiller à ce que l’appelant soit suffisamment informé de la thèse du ministre. Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a interprété ce concept dans le contexte du régime des certificats de sécurité établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Compte tenu de la très grande similitude entre les dispositions, les principes établis dans l’arrêt Harkat ont été utiles dans la présente instance et s’appliquaient au régime d’appel de la LSDA. L’appelant doit recevoir des renseignements suffisants pour connaître la preuve qui pèse contre lui et y répondre. C’est au juge qu’il appartient de décider si cette norme a été respectée. En cas de tension irréconciliable entre les exigences voulant que l’appelant soit suffisamment informé et l’impératif de ne pas divulguer les renseignements sensibles, il est possible de demander au ministre de retirer les renseignements ou les éléments de preuve dont la non-divulgation empêche l’appelant d’être suffisamment informé. Aux termes du paragraphe 16(5) de la LSDA, le juge peut ordonner la radiation du nom de l’appelant de la liste d’interdiction de vol s’il conclut que la décision du ministre de maintenir cette inscription est déraisonnable. Il faut donc conclure que le juge a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non la radiation du nom de l’appelant de la liste.

En l’espèce, un examen de tous les caviardages a révélé que la divulgation de certains d’entre eux porterait atteinte à la sécurité. Il était impossible de concevoir un résumé de ces renseignements qui ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Certains caviardages sont demeurés contestés. La décision sur ces caviardages et ces résumés contestés figurait dans une annexe confidentielle. Un résumé des allégations maintenant divulguées a été mis à la disposition de l’appelant. Le nouveau dossier d’appel révisé contiendra d’autres renseignements découlant des décisions rendues quant aux caviardages contestés. L’appelant pourra répondre à la preuve qui pèse contre lui.

En conclusion, plus de renseignements ont été divulgués à l’appelant grâce aux décaviardages, aux décaviardages partiels et aux résumés, ce qui lui a permis de mieux répondre à la preuve qui pesait contre lui et a aidé le juge désigné à se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision du délégué.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 6, 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 2 « infraction de terrorisme », 83.18, 83.19, 83.2.

Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86, art. 10.1.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38.06.

Loi sur la prévention des voyages de terroristes, L.C. 2015, ch. 36, art. 42, art. 6(2).

Loi sur la sûreté des déplacements aériens, L.C. 2015, ch. 20, art. 11, art. 8, 9(1)a), 15, 16.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « source humaine », 17(1), 18(1), 18.1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 53(1)b), 78, 83(1)d),e),i), 87.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 80, 83.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; Jama c. Canada (Procureur général), 2019 CF 533 (avec certaines adaptations); Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248; Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2008] 1 R.C.F. 547; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350.

DÉCISIONs EXAMINÉES:

Brar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 729, [2020] 4 R.C.F. 557; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Jaballah (Re), 2009 CF 279; Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246, [2005] 1 R.C.F. 33; Harkat (Re), 2010 CF 1242, [2012] 3 R.C.F. 432; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Dulai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 1164, [2022] 2 R.C.F. F-11; Soltanizadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 114; Canada (Procureur général) c. Telbani, 2014 CF 1050.

ORDONNANCE traitant du caractère approprié et de la justification de caviardages dans un dossier d’appel déposé par le procureur général et de la tâche qui incombe au juge désigné de veiller à ce que soit fourni à l’appelant un résumé de la preuve et d’autres renseignements qui lui permettent d’être suffisamment informé de la thèse du ministre. Ordonnance : certains caviardages doivent être maintenus, d’autres doivent faire l’objet d’un décaviardage total ou partiel et d’autres doivent être résumés.

ONT COMPARU :

Nathalie Benoit et Michelle Lutfy pour le défendeur.

Colin Baxter et Gib van Ert en tant qu’amis de la cour.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fowler and Blok Criminal Defense Lawyers, Vancouver, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Colin Baxter et Gib van Ert en tant qu’amis de la cour.

Ce qui suit est la version française de l’ordonnance publique modifiée et des motifs (en vertu du paragraphe 397(2) des Règles des Cours fédérales) rendus par

Le juge Noël :

Table des matières

I.     INTRODUCTION

II.    CONTEXTE

A.    Faits

B.    Historique des procédures

III.   LÉGISLATION

A.    Brève présentation de la législation

B.    Critère juridique

IV.   QUESTIONS EN LITIGE

V.    OBSERVATIONS

A.    Observations du procureur général

B.    Observations des amis de la cour

C.   Observations des appelants

VI.   DISPOSITIONS EN MATIÈRE D’APPEL DE LA LSDA

A.    Fardeau de la preuve qui incombe au procureur général du Canada

B.    Déférence

C.   Limites quant au contenu des résumés

D.   Obligation d’informer suffisamment l’appelant de la thèse du ministre

E.    Catégories de renseignements et d’éléments de preuve pouvant être caviardés

1)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’intérêt du SCRS envers des individus, des groupes ou des enjeux, notamment l’existence ou l’absence de dossiers ou d’enquêtes antérieurs ou actuels, l’intensité des enquêtes, ou le degré ou l’absence de réussite de ces enquêtes

2)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les méthodes de fonctionnement ou les techniques d’enquête utilisées par le SCRS ou d’autres services

3)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les relations que le SCRS entretient avec des services étrangers de police, de sécurité ou de renseignement et les renseignements échangés à titre confidentiel avec de tels services

4)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’identité des employés, les procédures internes, les méthodes administratives du SCRS, par exemple des noms et des numéros de dossiers, et les systèmes de télécommunications utilisés par le SCRS

5)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’identité des personnes qui ont fourni des renseignements au SCRS ou les renseignements qu’une personne a fournis et dont la divulgation pourrait permettre de l’identifier

VII.  ANALYSE

VIII. CONCLUSION

I.     INTRODUCTION  [table des matières]

[1]        La présente ordonnance et les présents motifs sont prononcés dans le cadre d’un appel de la décision administrative en date du 21 décembre 2018 par laquelle M. Vincent Rigby, sous-ministre délégué, agissant à titre de délégué (le délégué) du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre), a maintenu l’inscription du nom de M. Bhagat Singh Brar (M. Brar ou l’appelant) sur la liste d’interdiction de vol en vertu des articles 15 et 16 de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, L.C. 2015, ch. 20, art. 11 (la LSDA). Un autre appel, interjeté par M. Parvkar Singh Dulai (M. Dulai ou, conjointement avec M. Brar, les appelants), soulève les mêmes questions et comporte sa propre ordonnance avec motifs (voir le dossier Parvkar Singh Dulai et Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), T-670-19 [Dulai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 1164], [2022] 2 R.C.F. F-11). Il s’agit des premiers appels interjetés sous le régime de la LSDA.

[2]        La LSDA exige que le juge désigné, « dès qu’il est saisi de la demande », décide si la décision du ministre est raisonnable (paragraphe 16(4)). Je remarque que beaucoup d’efforts ont été déployés depuis que les appels ont été interjetés devant la Cour en 2019 (voir la section II.B ci-après). Cependant, les diverses restrictions imposées par les autorités provinciales en raison de la pandémie ont ralenti le déroulement des procédures, notamment en limitant l’accès aux locaux sécurisés, où doivent se tenir les audiences relatives aux renseignements dont la divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité. J’estime que, dans des circonstances normales et compte tenu de l’expérience acquise dans la présente instance, les futurs appels pourront se dérouler sans retard.

[3]        Dans le présent appel, le procureur général du Canada (le procureur général) a déposé un dossier d’appel qui contient de nombreux éléments caviardés en vue de protéger les renseignements dont la divulgation pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La présente ordonnance publique et les présents motifs traitent 1) du caractère approprié et de la justification de ces caviardages et 2) de la tâche qui incombe au juge désigné de veiller à ce que soit fourni à l’appelant un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’appelant d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause (alinéa 16(6)c) de la LSDA).

[4]        En vertu de la LSDA, le ministre peut demander la tenue d’une audience à huis clos pour des raisons de sécurité nationale, ce qui signifie que ni le public ni l’appelant et son conseil ne peuvent être présents lorsque le gouvernement présente au juge des renseignements ou autres éléments de preuve en cause dont la divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui (alinéa 16(6)a)). Afin d’assurer à l’appelant un déroulement équitable des procédures pendant l’audience ex parte et à huis clos, j’ai nommé deux amis de la cour : M. Colin Baxter et M. Gib van Ert (les amis de la cour). J’invite le lectorat à consulter les motifs de la décision Brar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 729, [2020] 4 R.C.F. 557 (Brar), versés au présent dossier, ainsi que l’ordonnance datée du 17 juillet 2020 qui contient le mandat des amis de la cour.

[5]        Les audiences ex parte et à huis clos ont eu lieu les 5, 14, 15, 16, 19, 20 et 22 octobre 2020 en présence de l’avocat du procureur général et des amis de la cour. Au cours des sept jours, deux déposants ont été interrogés, ont été contre-interrogés par les amis de la cour et ont répondu aux questions du juge. Cette période a été majoritairement consacrée au déposant du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), et le reste, au déposant de Sécurité publique Canada (SPC). Durant ces audiences, non seulement il a été question du caractère approprié et de la justification des caviardages, mais l’avocat du procureur général a également eu l’occasion de présenter les parties confidentielles de la thèse du ministre, que les amis de la cour ont pu rigoureusement mettre à l’épreuve. Il convient aussi de mentionner que des renseignements supplémentaires ont été divulgués lors de ces audiences, lesquels ont fait l’objet d’un résumé.

[6]        Par suite de ces audiences, de nouveaux renseignements seront divulgués aux appelants sous forme de passages supplémentaires (décaviardés ou partiellement décaviardés par le procureur général à la suite de discussions avec les amis de la cour et avec l’accord de la Cour) et de résumés de passage qui seront instructifs, mais pas au point de divulguer des renseignements sensibles.

[7]        Les présents motifs sont publics et visent à informer l’appelant, dans la mesure du possible, des justifications juridiques qui sous-tendent les décisions de la Cour sans divulguer de renseignements sensibles. L’appelant prendra connaissance de l’issue de la présente étape de l’appel en recevant une nouvelle version moins caviardée du dossier d’appel. Cependant, les justifications seront exposées dans un tableau confidentiel (tableau – annexe C) pour des raisons de sécurité nationale.

[8]        À la prochaine étape du présent appel, la Cour tiendra des audiences publiques au cours desquelles les appelants et le procureur général auront l’occasion de se faire entendre. À cet effet, les parties peuvent déposer des affidavits à l’appui de leur position respective, présenter leurs éléments de preuve respectifs et vérifier les éléments de preuve de l’autre partie conformément aux règles 80 et 83 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. À la prochaine étape, la ou les questions de droit que soulève la LSDA seront également examinées. Une conférence de gestion de l’instance publique aura lieu pour discuter des prochaines étapes et établir un calendrier.

II.    CONTEXTE  [table des matières]

A.    Faits  [table des matières]

[9]        Le 23 avril 2018, le nom de M. Brar a été inscrit sur la liste d’interdiction de vol, une liste de personnes à l’égard desquelles le ministre ou son délégué a jugé qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles 1) participeront ou tenteront de participer à un acte qui menacerait la sûreté des transports et/ou 2) se déplaceront en aéronef dans le but de commettre un fait — acte ou omission — qui constitue une infraction visée aux articles 83.18, 83.19 ou 83.2 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, ou à l’alinéa c) de la définition de « infraction de terrorisme » à l’article 2 de cette loi. Le lendemain, à l’aéroport international de Vancouver, M. Brar s’est vu refuser l’embarquement à deux reprises (par West Jet et Air Canada). Chaque fois, on lui a remis un avis écrit de refus d’embarquement au titre du Programme de la protection des passagers (le PPP) au titre de l’alinéa 9(1)a) de la LSDA. M. Brar était censé prendre deux vols qui l’auraient amené de Vancouver à Toronto.

[10]      Le 2 juin 2018, M. Brar a présenté une demande de recours administratif au Bureau de renseignement du PPP (le BRPPP) en vertu de l’article 15 de la LSDA afin de faire radier son nom de la liste de la LSDA. En réponse à cette demande, le BRPPP lui a fourni un résumé non confidentiel, de deux pages, des renseignements à l’appui de la décision d’inscrire son nom sur la liste de la LSDA. Le BRPPP l’a également informé que le ministre allait examiner d’autres renseignements confidentiels pour évaluer la demande qu’il avait présentée en vertu de l’article 15 de la LSDA. De plus, conformément au paragraphe 15(4) de la LSDA, M. Brar a eu la possibilité de présenter des observations écrites en réponse aux renseignements non confidentiels qui lui ont été communiqués, ce qu’il a fait auprès du BRPPP le 3 décembre 2018.

[11]      Le 21 décembre 2018, le ministre a informé M. Brar de sa décision de maintenir son statut de personne inscrite sous le régime de la LSDA. À la suite d’un examen des renseignements confidentiels et non confidentiels dont il disposait, dont les observations écrites de M. Brar, le délégué du ministre a [traduction] « conclu qu’il [y avait] des motifs raisonnables de soupçonner que [M. Brar] participera ou tentera de participer à un acte qui menacerait la sûreté des transports, ou se déplacera en aéronef dans le but de commettre certaines infractions de terrorisme » [Brar, au paragraphe 12].

[12]      Le 18 avril 2019, M. Brar a déposé un avis d’appel auprès de la Cour conformément au paragraphe 16(2) de la LSDA. Dans cet avis, il demande à la Cour d’ordonner la radiation de son nom de la liste de la LSDA, en application du paragraphe 16(5) de la LSDA, ou le renvoi de l’affaire au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision. Il demande aussi à la Cour de déclarer que les articles 8, 15, 16 ainsi que l’alinéa 9(1)a) de la LSDA sont inconstitutionnels et donc inopérants, ou de donner aux garanties procédurales de la LSDA une interprétation qui remédierait à tout vice constitutionnel que la Loi pourrait comporter.

[13]      Plus précisément, M. Brar invoque les moyens d’appel suivants : 1) la décision du ministre est déraisonnable; 2) l’article 8 et l’alinéa 9(1)a) de la LSDA portent atteinte aux droits que lui confère l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), et ce, d’une manière qui ne saurait se justifier au regard de l’article premier de la Charte; 3) les articles 15 et 16 de la LSDA portent atteinte aux droits que lui confère l’article 7 de la Charte, notamment son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, et ce, d’une manière qui ne saurait se justifier au sens de l’article premier de la Charte; et 4) les procédures énoncées dans la LSDA portent atteinte aux droits à l’équité procédurale que lui confère la common law, étant donné que la LSDA le prive du droit de connaître la preuve qui pèse contre lui et de celui d’y répondre. Les questions constitutionnelles soulevées seront abordées plus tard et feront l’objet de discussions à la prochaine conférence de gestion de l’instance publique. Comme je l’ai déjà mentionné, la présente ordonnance et les présents motifs font partie du processus d’appel et portent uniquement sur les questions de divulgation liées aux parties caviardées du dossier d’appel et sur les renseignements et les éléments de preuve supplémentaires produits lors des audiences tenues ex parte et à huis clos.

[14]      Enfin, dans son avis d’appel, M. Brar demande que le défendeur communique tous les documents se rapportant à sa demande de recours, tous les documents dont le ministre s’est servi pour décider de le désigner comme personne inscrite, tous les documents présentés au délégué du ministre dans le cadre de sa demande de recours ainsi que tous les autres documents liés à la décision du délégué du ministre de confirmer son statut de personne inscrite sous le régime de la LSDA.

B.    Historique des procédures  [table des matières]

[15]      Le 20 juin 2020, la Cour a rendu des motifs détaillés pour répondre aux questions de droit préliminaires soulevées dans les présents appels (voir la décision Brar, précitée). Ces motifs portaient sur la tâche qui incombe au juge désigné dans les appels interjetés sous le régime de la LSDA, le rôle et les pouvoirs des amis de la cour dans ces appels, la procédure qui s’applique au retrait de renseignements par le ministre sous le régime de la LSDA, la possibilité de tenir des audiences ex parte et à huis clos sur le fond et l’objet de telles audiences sous le régime de la LSDA. Pour en savoir davantage sur le déroulement des faits jusqu’au moment du prononcé de ces motifs, voir les paragraphes 22 à 28 de la décision Brar.

[16]      Le 15 juillet 2020, une conférence de gestion de l’instance publique a eu lieu pour discuter des prochaines étapes des appels. Le 17 juillet 2020, en remplacement de l’ordonnance datée du 7 octobre 2019 désignant les amis de la cour, une ordonnance a été rendue afin de mieux refléter les motifs de la Cour datés du 30 juin 2020 et d’énoncer les prochaines étapes des appels.

[17]      Le 10 septembre 2020, le procureur général a déposé un affidavit ex parte au nom du SCRS afin de remplacer celui du déposant précédent qui n’était pas disponible pour comparaître. De plus, le 25 septembre 2020, à la lumière des motifs rendus dans la décision Brar, le procureur général a déposé un autre affidavit ex parte souscrit par le même déposant.

[18]      Le 22 septembre 2020, une conférence de gestion de l’instance ex parte a eu lieu à huis clos pour discuter de l’état d’avancement des appels. Un résumé public de la discussion qui s’est tenue a été communiqué aux appelants (communication publique no 5).

[19]      Le 5 octobre 2020, une audience ex parte et à huis clos a eu lieu. L’avocat du procureur général et les amis de la cour ont présenté à la Cour les décaviardages dont ils avaient convenu et les résumés de renseignements caviardés sur lesquels ils s’étaient entendus en prévision de l’audience qui aurait lieu ex parte et à huis clos sur les caviardages contestés. La Cour a approuvé les décaviardages et les résumés proposés (voir l’annexe A). Le 7 octobre 2020, un résumé public de l’audience a été communiqué aux appelants (communication publique no 6).

[20]      L’interrogatoire et le contre-interrogatoire ex parte et à huis clos des témoins cités par le procureur général dans l’appel de M. Brar se sont déroulés sur une période de six jours, soit les 14, 15, 16, 19, 20 et 22 octobre 2020. Le procureur général a présenté des éléments de preuve sur l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation des caviardages contestés et des résumés proposés par les amis de la cour ainsi que sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés. Les amis de la cour ont remis en question les raisons justifiant les caviardages et les résumés proposés par le procureur général et ont interrogé les déposants à l’aide d’éléments de preuve documentaire. Le 3 novembre 2020, un résumé public des audiences a été communiqué à l’appelant (communication publique no 7) :

[traduction]

Le 14 octobre 2020

L’audience a commencé le 14 octobre 2020, à 10 h. Le ministre a appelé un témoin du SCRS qui a déposé deux (2) affidavits confidentiels dans le cadre de la présente instance, un le 10 septembre 2020 et un autre le 25 septembre 2020. Le premier affidavit traite principalement de l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation des renseignements caviardés, et le deuxième affidavit porte principalement sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés.

Le témoin a témoigné sur divers sujets, dont :

   les aspects des activités du SCRS visés par la Loi sur la sûreté des déplacements aériens (la LSDA) et le Programme de protection des passagers (le PPP);

   les politiques et les procédures du SCRS liées au PPP, y compris les politiques et les procédures relatives à la préparation, à l’examen et à la mise à jour des sommaires de cas;

   la menace que pose l’extrémisme khalistanais au Canada;

   les raisons de la désignation de M. Brar en situation d’urgence;

   les occasions ultérieures où le sommaire du cas de M. Brar a été examiné et/ou révisé, et que le nom de M. Brar a été de nouveau inscrit sur la liste, y compris les raisons pour lesquelles des changements ont été apportés au sommaire du cas de M. Brar;

   l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation de chaque caviardage et résumé contesté;

   la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés, y compris l’origine de certains de ces renseignements et la manière dont ils ont été évalués par le SCRS.

Le 15 octobre 2020

L’audience a repris le matin du 15 octobre 2020, à 9 h 30, et l’avocat du procureur général a terminé d’interroger le témoin du SCRS en fin de matinée. Immédiatement après l’interrogatoire principal, les amis de la cour ont commencé leur contre-interrogatoire du témoin du SCRS, qui s’est poursuivi jusqu’à la fin de la journée. Ce jour-là, pendant le contre-interrogatoire, les amis de la cour ont posé des questions sur un éventail de sujets, notamment sur les politiques, les procédures et les pratiques du SCRS relativement au PPP ainsi que sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés.

Durant le contre-interrogatoire, l’avocat du procureur général a rappelé à la Cour et aux amis de la cour que l’avocat public de l’appelant jouerait un rôle important et a objecté que le rôle des amis de la cour ne devrait pas reproduire celui de l’avocat public. La Cour a souscrit à ces commentaires et a donné des directives en ce sens aux amis de la cour. Ces derniers ont produit plusieurs pièces sur divers sujets.

Le 16 octobre 2020

À compter de 9 h 30 le 16 octobre 2020, les amis de la cour ont continué à contre-interroger le témoin du SCRS pendant une partie de la matinée. Après quoi, l’audience a été ajournée jusqu’au lundi.

Le 19 octobre 2020

L’audience a repris le matin du 19 octobre 2020, à 9 h 30, et les amis de la cour ont poursuivi leur contre-interrogatoire du témoin du SCRS jusqu’à la fin de la journée. Le contre-interrogatoire a encore porté sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés.

Le 20 octobre 2020

Le contre-interrogatoire du témoin du SCRS s’est poursuivi le matin du 20 octobre 2020. Les questions ont porté entre autres sur l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation de certains renseignements ou résumés. Après le dîner, l’avocat du procureur général a mené son réinterrogatoire du déposant du SCRS, qui s’est terminé au milieu de l’après-midi.

Le 22 octobre 2020

L’audience a débuté le 22 octobre 2020, à 9 h 30, et le ministre a appelé un témoin de SPC. Ce dernier a témoigné sur divers sujets, dont :

   le PPP, le Groupe consultatif sur la protection des passagers et le Bureau de renseignement du PPP;

   les documents préparés relativement à l’inscription du nom de M. Brar sur la liste;

   l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation de certains renseignements.

Au milieu de l’après-midi de cette même journée, les amis de la cour ont terminé de contre-interroger le déposant de SPC au sujet du PPP, du Groupe consultatif sur la protection des passagers, du Bureau de renseignement du PPP et des documents relatifs à l’inscription du nom de M. Brar sur la liste.

[21]      L’interrogatoire et le contre-interrogatoire ex parte et à huis clos des témoins du ministre dans l’affaire de M. Dulai se sont déroulés les 16, 17 et 23 novembre 2020. Au début de l’audience, le procureur général et les amis de la cour ont consenti à une ordonnance qui rendrait admissible en preuve dans les deux appels le dossier de preuve découlant des audiences tenues les 14, 15, 16, 19, 20 et 22 octobre 2020 dans l’affaire Brar et le dossier de preuve découlant des audiences tenues dans l’affaire Dulai, sous réserve de tout argument susceptible d’être présenté relativement au poids, à la pertinence et à l’admissibilité de la preuve. Ainsi, les interrogatoires et les contre-interrogatoires dans l’affaire Dulai ont été plus efficaces. Le 2 décembre 2020, un résumé public des audiences a été communiqué à M. Dulai (communication publique no 8) :

[traduction]

Le 16 novembre 2020

L’audience s’est ouverte le 16 novembre 2020, à 9 h 45. Le procureur général a commencé par déposer quatre (4) tableaux : i) un tableau confidentiel énumérant tous les caviardages et résumés contestés, ii) un tableau confidentiel détaillant les caviardages et résumés proposés et non contestés ainsi que les décaviardages consentis par le procureur général, iii) un tableau confidentiel contenant seulement les caviardages et résumés du SCRS qui sont contestés, organisés de manière à orienter l’interrogatoire du témoin du SCRS, et iv) un tableau confidentiel dressant la liste des extraits de la transcription des audiences tenues dans l’affaire Brar qui se rapportent aux présentes audiences.

Le ministre a appelé le même témoin du SCRS qu’il avait appelé dans l’appel Brar. Ce témoin a déposé deux (2) affidavits confidentiels dans la présente instance, un le 10 septembre 2020 et un autre le 25 septembre 2020. Le premier affidavit traite principalement de l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation des renseignements caviardés, et le deuxième affidavit porte principalement sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés.

Compte tenu de l’ordonnance en matière de preuve, l’interrogatoire et le contre-interrogatoire du témoin du SCRS dans le présent appel ont été plus courts que dans l’appel Brar. Cela étant dit, le témoin a témoigné sur divers sujets, dont :

   la menace que pose l’extrémisme khalistanais;

   les raisons de la désignation de M. Dulai en situation d’urgence;

   les occasions ultérieures où le sommaire du cas de M. Dulai a été examiné et/ou révisé, et que le nom de M. Dulai a été de nouveau inscrit sur la liste, y compris les raisons pour lesquelles des changements ont été apportés au sommaire du cas de M. Dulai;

   l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation de chaque caviardage et résumé contesté;

   la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés, y compris l’origine de certains de ces renseignements et la manière dont ils ont été évalués par le SCRS.

Le procureur général a terminé son interrogatoire du témoin du SCRS vers midi, après quoi les amis de la cour ont commencé leur contre-interrogatoire de ce même témoin jusqu’à la fin de la journée. Ce jour-là, le contre-interrogatoire a porté sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés et a permis d’examiner le processus par lequel M. Dulai a été désigné pour figurer sur la liste de la LSDA et a été maintenu sur cette liste.

Le 17 novembre 2020

L’audience a repris le matin du 17 novembre 2020, à 9 h 30. Les amis de la cour ont poursuivi le contre-interrogatoire du témoin du SCRS, et les questions ont porté sur la fiabilité et la crédibilité des renseignements caviardés et sur l’atteinte à la sécurité nationale que porterait la divulgation de certains renseignements ou résumés. Les amis de la cour ont produit plusieurs pièces sur divers sujets. Le contre-interrogatoire s’est terminé vers la fin de la journée, après quoi le procureur général a mené un court réinterrogatoire du témoin du SCRS.

Le 23 novembre 2020

L’audience a repris le 23 novembre 2020, à 10 h. Le ministre a appelé un témoin de SPC, qui avait également témoigné dans l’appel Brar. Compte tenu de l’ordonnance en matière de preuve, l’interrogatoire et le contre-interrogatoire du témoin de SPC dans le présent appel ont été plus courts que dans l’appel Brar.

Pendant la première moitié de la matinée, le procureur général a mené l’interrogatoire principal, qui a porté principalement sur les documents préparés relativement à l’inscription du nom de M. Dulai sur la liste. Les amis de la cour ont terminé leur contre-interrogatoire du déposant de SPC à midi, qui a porté sur les documents relatifs à l’inscription du nom de M. Dulai sur la liste et le processus d’inscription sur la liste de la LSDA.

[22]      Le 16 décembre 2020, une conférence de gestion de l’instance publique réunissant tous les avocats a eu lieu pour tenir les appelants au courant des prochaines étapes dans les appels. De plus, l’avocat du procureur général a déposé un dossier de requête ex parte visant à radier du dossier certains éléments de preuve découlant des audiences tenues ex parte et à huis clos.

[23]      Le 8 janvier 2021, à la suite des audiences ex parte et à huis clos, le procureur général et les amis de la cour ont déposé des observations confidentielles concernant les caviardages.

[24]      Le 14 janvier 2021, la Cour a transmis la communication publique no 9 aux appelants pour les informer de l’état d’avancement des appels compte tenu de la situation liée à la COVID-19 et, surtout, des récents décrets pris par les provinces du Québec et de l’Ontario. Le procureur général et les amis de la cour ont ensuite informé la Cour que, selon eux, les audiences en personne dans les présentes affaires devraient être reportées jusqu’à la levée du décret ordonnant de rester à domicile.

[25]      Le 4 février 2021, une conférence de gestion de l’instance ex parte a eu lieu en présence du procureur général et des amis de la cour pour discuter de l’état d’avancement des appels. J’ai également soulevé une question de droit, à savoir si les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33 (Harkat), relativement à l’obligation de fournir à l’appelant des résumés de renseignements qui lui permettraient de connaître la thèse du ministre s’appliquent au régime d’appel établi par la LSDA. J’ai demandé au procureur général et aux amis de la cour de me présenter leurs commentaires et d’autres observations sur cette question. Le 5 février 2021, un résumé public de la discussion a été communiqué à l’appelant (communication publique no 10). Le 9 février 2021, les avocats des appelants ont demandé l’autorisation de présenter à la Cour des observations sur cette question de droit, ce qu’elle a accepté. Les avocats des appelants, le procureur général et les amis de la cour ont déposé leurs observations écrites le 19 février 2021. Le procureur général a déposé sa réponse le 24 février 2021.

[26]      Toujours le 24 février 2021, les amis de la cour ont déposé des observations écrites ex parte concernant la requête du procureur général visant à radier du dossier certains éléments de preuve.

[27]      Le 3 mars 2021, une conférence de gestion de l’instance ex parte a eu lieu en présence du procureur général et des amis de la cour pour discuter de la possibilité d’ajourner l’audience ex parte et à huis clos prévue le 4 mars 2021. Une communication publique a ensuite été envoyée à toutes les parties pour expliquer la proposition de la Cour, que le procureur général et les amis de la cour ont acceptée. La Cour proposait d’ajourner l’audience prévue pour le lendemain pour des raisons liées à la COVID-19 et de tenir une conférence de gestion de l’instance ex parte et à huis clos le 9 mars 2021 pour discuter des questions juridiques précises pour lesquelles la Cour demandait des observations.

[28]      Une audience ex parte et à huis clos a eu lieu les 16 et 17 juin 2021 afin que l’avocat du procureur général et les amis de la cour puissent présenter leurs observations sur la divulgation, la norme de la personne suffisamment informée et la requête en radiation du procureur général. Le 21 juillet 2021, un résumé public de l’audience a été communiqué aux appelants (communication publique no 11) :

[traduction]

Le 16 juin 2021

L’audience a commencé le 16 juin 2021, à 9 h 30, et l’avocat du procureur général et les amis de la cour ont présenté des observations sur la divulgation et l’obligation d’informer suffisamment les appelants.

Observations du procureur général sur la divulgation et la norme de la personne suffisamment informée

Au début de l’instance, le procureur général a déposé les documents suivants :

   un tableau mis à jour pour chaque dossier contenant les revendications et résumés contestés;

   un tableau mis à jour pour chaque dossier contenant les résumés et les caviardages dont le procureur général et les amis de la cour ont convenu;

   un tableau mis à jour pour chaque dossier contenant les décaviardages consentis par le procureur général;

   un tableau dressant pour chaque dossier la liste de toutes les allégations portées contre les appelants qui ont été divulguées, partiellement divulguées, résumées ou tenues confidentielles;

   une copie de la décision sur la demande de recours présentée pour chaque dossier, qui reflète les résumés et caviardages dont il a été convenu ainsi que les décaviardages consentis par le procureur général.

Le procureur général a présenté des observations sur le critère applicable en matière de divulgation dans les appels interjetés au titre de l’article 16 de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens (la LSDA). Il a soutenu que les renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui ne devraient pas être divulgués. Il a également fait valoir que la LSDA ne permet pas à la Cour de mettre en balance les divers intérêts qui pourraient entrer en jeu lors de l’évaluation de l’opportunité de divulguer des renseignements, notamment la question de savoir si l’appelant est suffisamment informé. Le procureur général a ensuite passé en revue le tableau dressant la liste des réclamations de confidentialité et des résumés contestés afin de mettre en évidence les raisons pour lesquelles le fait de décaviarder ou de résumer les renseignements visés par ces demandes porterait atteinte à la sécurité nationale.

Le procureur général a ensuite présenté des observations sur la norme de la personne suffisamment informée et a soutenu qu’à ce stade-ci, les appelants sont suffisamment informés. Il a souligné que le régime permet de ne pas divulguer ou résumer certains renseignements et que l’évaluation visant à déterminer si les appelants sont suffisamment informés repose sur les faits et doit être effectuée tout au long des appels. Il a insisté sur le fait que le seuil établi au paragraphe 8(1) de la LSDA, soit « des motifs raisonnables de soupçonner », doit guider la Cour lorsqu’elle examine si les appelants sont suffisamment informés.

Les observations des amis de la cour sur la divulgation et la tension irréconciliable

Les amis de la cour ont présenté des observations sur deux questions.

Premièrement, ils ont soutenu que, dans l’arrêt Harkat, 2014 CSC 37, la Cour suprême du Canada a indiqué que, dans les cas où les renseignements ou les éléments de preuve caviardés ne peuvent pas être décaviardés ou résumés sans porter atteinte à la sécurité nationale, mais qu’ils font tout de même partie de la quantité minimale incompressible de renseignements que l’appelant doit recevoir pour connaître la preuve qui pèse contre lui et y répondre, le ministre doit retirer les renseignements ou les éléments de preuve dont la non-divulgation empêche l’appelant d’être suffisamment informé : arrêt Harkat, au para 59. Les amis de la cour ont fait valoir que cette situation, considérée dans l’arrêt Harkat comme une tension irréconciliable, se présente dans l’appel Brar et dans l’appel Dulai. En outre, ils ont soutenu que, compte tenu du désaccord du ministre avec eux sur la présence de tensions irréconciliables dans ces appels, ce dernier ne retirera pas d’éléments de preuve de son propre chef. Il revient donc à la Cour de décider s’il existe ou non des tensions irréconciliables dans les appels.

À cette fin, les amis de la cour ont présenté un projet d’ordonnance que la Cour devrait rendre si elle convient avec eux que l’un des appels, ou les deux, présente une tension irréconciliable. L’ordonnance indiquerait les renseignements ou les éléments de preuve précis qui donnent lieu à la tension irréconciliable et enjoindrait au ministre de retirer ces renseignements ou ces éléments de preuve dans un délai déterminé (les amis de la cour ont proposé un délai de 60 jours), à défaut de quoi la Cour sera incapable de décider si l’inscription du nom de l’appelant sur la liste est raisonnable et elle devra accueillir l’appel.

Deuxièmement, les amis de la cour ont examiné les réclamations de confidentialité et résumés contestés dans chaque appel. Dans certains cas, ils ont soutenu que les caviardages du procureur général n’étaient pas nécessaires (car les renseignements ou les éléments de preuve ne portaient pas atteinte à la sécurité nationale). Dans d’autres cas, ils ont convenu que la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale, mais ont proposé un résumé qui éviterait une telle atteinte tout en permettant à l’appelant d’être suffisamment informé de la preuve à laquelle il doit répondre. Dans d’autres cas encore, ils ont fait valoir que les renseignements ou les éléments de preuve ne pouvaient pas être décaviardés ou résumés sans qu’il soit porté atteinte à la sécurité nationale, mais qu’ils devaient être divulgués pour que l’appelant soit suffisamment informé. Dans ces cas, les amis de la cour ont demandé à la Cour de déclarer que la tension irréconciliable décrite précédemment existe.

Les amis de la cour ont souligné que la norme applicable est celle du « risque sérieux d’atteinte » et que, tout au long de l’instance, il incombe au juge de garantir que le ministre ne vise pas trop large lorsqu’il invoque la confidentialité.

Autres questions en litige

Les parties ont discuté d’autres questions procédurales, notamment le format et le délai pour présenter un dossier d’appel révisé après la décision de la Cour sur la divulgation, le délai pour interjeter appel de cette décision et faire surseoir à l’ordonnance s’il est interjeté appel, et d’éventuels caviardages dans la liste des pièces.

Le 17 juin 2021

L’audience a repris le 17 juin 2021, à 9 h 30, et la Cour a entendu les arguments de l’avocat du procureur général et ceux des amis de la cour concernant la requête en radiation du procureur général. Après la pause de mi-journée, le procureur général a retiré sa requête en radiation.

En après-midi, la Cour a discuté avec les amis de la cour et l’avocat du procureur général de la possibilité de préparer un autre résumé des éléments de preuve présentés lors des audiences ex parte et à huis clos en vue d’ajouter aux résumés fournis dans la communication publique no 7 (T-669-19) et la communication publique no 8 (T-670-19) d’une manière qui ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale. L’avocat du procureur général et les amis de la cour ont accepté de préparer un projet de résumé à cet égard.

La Cour a demandé que ce résumé confirme qu’aucun renseignement ou élément de preuve visant l’un ou l’autre appelant ne se rapporte à l’alinéa 8(1)a) de la LSDA et que les deux inscriptions sont liées à des renseignements et à des éléments de preuve se rapportant à l’alinéa 8(1)b).

[29]      Après l’audience de juin, les questions liées à la liste caviardée des pièces et à la divulgation d’autres renseignements au moyen de résumés revenaient constamment. Les appelants en ont été informés dans la communication publique no 12. En ce qui concerne la liste des pièces, il a plus tard été convenu qu’une version caviardée serait communiquée après que l’avocat du procureur général et les amis de la cour auront pris connaissance des décisions sur les caviardages en litige rendues à l’issue des audiences ex parte et à huis clos. En ce qui a trait au résumé des renseignements supplémentaires, les avocats se sont engagés à le soumettre à la Cour au plus tard le 31 août 2021. Tout de suite après que la Cour l’eut reçu, examiné, puis approuvé, le résumé a été communiqué à titre de communication publique no 13 le 31 août 2021 à la suite d’une audience ex parte tenue à huis clos le même jour. Dès lors, toutes les questions en suspens ont été mises en délibéré en vue de rendre une ordonnance et des motifs le plus rapidement possible.

III.   LÉGISLATION  [table des matières]

A.    Brève présentation de la législation  [table des matières]

[30]      Dans les motifs de la décision Brar, il était essentiel d’examiner et d’analyser la LSDA (voir Brar, aux paragraphes 58 à 89, surtout les paragraphes 80 à 89 sur les dispositions d’appel). Il n’est pas nécessaire de répéter ce qui a déjà été écrit, sauf pour mentionner que la LSDA prévoit des règles régissant le processus d’appel.

[31]      En résumé, l’article 16 de la LSDA définit le rôle du juge désigné dans un appel et énonce la manière de traiter les renseignements caviardés. Il incombe au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements sensibles (alinéa 16(6)b)). Par ailleurs, si les caviardages sont justifiés pour des raisons de sécurité nationale, le juge désigné doit fournir à l’appelant des résumés des renseignements caviardés qui ne comportent aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permettent à l’appelant d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause (alinéa 16(6)c)). Il s’agit d’une tâche difficile. L’objectif est de communiquer le plus de renseignements possible tout en respectant les paramètres de sécurité nationale établis par le régime d’appel de la LSDA. Comme je l’ai dit au paragraphe 112 de la décision Brar :

[…] Le juge désigné doit étirer comme un élastique ses pouvoirs inhérents et législatifs afin de faire en sorte que l’on communique le maximum de renseignements à l’appelant tout en s’arrêtant avant le point de rupture. Il doit être convaincu que la communication (par voie de résumés ou d’autres façons) est en substance suffisante pour que l’appelant soit « suffisamment informé » (alinéa 16(6)c)) de la preuve qui pèse contre lui et puisse présenter sa version des faits, et ce, à tout le moins, grâce à une solution de rechange qui vise à « remplacer pour l’essentiel » les droits niés (arrêt Harkat (2014), aux paragraphes 51 à 63 et 110). Ce n’est qu’après cela que le juge désigné aura en main les faits et les éléments de droit dont il aura besoin pour rendre une décision équitable.

B.    Critère juridique  [table des matières]

[32]      Dans la décision Jama c. Canada (Procureur général), 2019 CF 533 (Jama), le juge LeBlanc, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a statué sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un délégué du ministre, qui a refusé de délivrer un passeport en vertu de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86 (le DPC). L’instance était régie par la Loi sur la prévention des voyages de terroristes, L.C. 2015, ch. 36, art. 42 (la LPVT), et l’ordonnance portait plus particulièrement sur le paragraphe 6(2) de la LPVT, qui établit un cadre général semblable à celui du paragraphe 16(6) de la LSDA, sous réserve de quelques différences dont il sera question ci-après. Comme les présents appels sont les premiers interjetés sous le régime de la LSDA, l’interprétation qu’a faite la Cour d’un régime semblable est utile pour l’interprétation du régime d’appel établi par la LSDA.

[33]      Le paragraphe 6(2) de la LPVT est ainsi libellé :

Loi sur la prévention des voyages de terroristes, L.C. 2015, ch. 36, art. 42

Révision judiciaire

[…]

6 (1) […]

Règles

(2) Les règles ci-après s’appliquent au présent article :

a) à tout moment pendant l’instance et à la demande du ministre, le juge doit tenir une audience pour entendre les observations portant sur tout élément de preuve ou tout autre renseignement, à huis clos et en l’absence du demandeur et de son conseil, dans le cas où la divulgation de ces éléments de preuve ou de ces renseignements pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des éléments de preuve et de tout renseignement que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

c) le juge veille à ce que soit fourni au demandeur un résumé de la preuve et de tout autre renseignement dont il dispose et qui permet au demandeur d’être suffisamment informé des motifs de la décision du ministre et qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

d) le juge donne au demandeur et au ministre la possibilité d’être entendus;

e) le juge peut fonder sa décision sur des éléments de preuve ou tout autre renseignement dont il dispose, même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni au demandeur;

f) si je juge décide que les éléments de preuve ou tout autre renseignement que lui a fournis le ministre ne sont pas pertinents ou si le ministre les retire, il ne peut fonder sa décision sur ces éléments ou renseignements et il est tenu de les remettre au ministre;

g) le juge est tenu de garantir la confidentialité des éléments de preuve et de tout autre renseignement que le ministre retire de l’instance.

[34]      Le paragraphe 16(6) de la LSDA est ainsi libellé :

Loi sur la sûreté des déplacements aériens, L.C. 2015, ch. 20, art. 11

Appel

[…]

16 (1) […]

Procédure

(6) Les règles ci-après s’appliquent aux appels visés au présent article :

a) à tout moment pendant l’instance et à la demande du ministre, le juge doit tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’appelant et de son conseil dans le cas où la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

b) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

c) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’appelant un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’appelant d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause;

d) il donne à l’appelant et au ministre la possibilité d’être entendus;

e) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui-ci;

f) il peut fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’appelant;

g) s’il décide que les renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre ne sont pas pertinents ou si le ministre les retire, il ne peut fonder sa décision sur ces renseignements ou ces éléments de preuve et il est tenu de les remettre au ministre;

h) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que le ministre retire de l’instance.

[35]      Comme je l’ai déjà mentionné, les deux procédures présentent quelques différences. Premièrement, la Cour est en l’espèce saisie d’un appel, alors que la décision Jama porte sur une demande de révision judiciaire. Deuxièmement, il importe de noter que dans le cas d’une demande de révision judiciaire fondée sur la LPVT, le dossier se limite à ce qui ressort du dossier du décideur, alors que dans le cadre d’un appel interjeté sous le régime de la LSDA, de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis si le juge estime qu’ils sont dignes de foi et utiles (voir l’alinéa 16(6)e) de la LSDA). Troisièmement, selon l’alinéa 16(6)c) de la LSDA, l’appelant doit être suffisamment informé de la thèse du ministre, alors que selon l’alinéa 6(2)c) de la LPVT, le demandeur doit être suffisamment informé des motifs de la décision du ministre. Cela étant dit, globalement, les deux procédures présentent d’importantes similitudes.

[36]      Dans la décision Jama, le juge LeBlanc a conclu que le critère applicable lors d’une révision judiciaire faite sous le régime de la LPVT consiste à déterminer si la divulgation de renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, comme le prétend le procureur général, et à déterminer quel résumé de la preuve et de tout autre renseignement dont le juge désigné dispose, le cas échéant, peut être fourni au demandeur afin qu’il soit suffisamment informé des motifs de la décision du ministre (au paragraphe 24). Je conviens que ces deux volets du critère établi dans la décision Jama s’appliquent aux procédures engagées sous le régime de la LSDA, bien que la Cour doive les adapter à la présente instance, qui est un appel.

[37]      Le juge désigné doit non seulement déterminer si la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale et quel résumé peut être fourni à l’appelant, mais il doit également décider si les autres éléments de preuve produits lors des audiences tenues ex parte et à huis clos sont dignes de foi et utiles, puis s’ils doivent être communiqués à l’appelant sous forme de résumés ou autrement.

[38]      Par conséquent, je considère que le critère juridique suivant est celui qui s’applique à l’égard de la divulgation dans un appel fondé sur la LSDA. La première question est de savoir si la divulgation des renseignements caviardés et des autres renseignements présentés lors des audiences tenues ex parte et à huis clos porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Si la réponse est négative, les renseignements doivent être divulgués à l’appelant. Si elle est positive, la deuxième question est de savoir si les renseignements protégés peuvent être divulgués à l’appelant sous forme de résumé ou autrement d’une manière qui ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Si les renseignements ne peuvent être ainsi résumés, ils doivent demeurer protégés.

[39]      Le juge doit alors décider si l’appelant est suffisamment informé de la thèse du ministre. Ce qui pose problème en l’espèce, c’est de savoir quand (c.-à-d. à quelle étape de l’instance) il convient de prendre une telle décision. J’y reviendrai plus tard.

IV.   QUESTIONS EN LITIGE  [table des matières]

[40]      Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

1.    La divulgation des renseignements caviardés et des autres renseignements présentés lors des audiences ex parte et à huis clos porterait-elle atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui?

2.    Dans l’affirmative, les renseignements protégés et les autres éléments de preuve peuvent-ils être divulgués à l’appelant sous forme de résumé ou autrement d’une manière qui ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui?

3.    À quelle étape de l’instance convient-il de décider si l’appelant a été suffisamment informé de la thèse du ministre?

V.    OBSERVATIONS  [table des matières]

[41]      À cette étape de l’appel, le procureur général et les amis de la cour ont déposé ex parte des observations écrites ex parte et ont présenté des observations orales à la Cour durant les audiences ex parte et à huis clos qui ont porté sur la divulgation et d’autres questions. Ces observations doivent rester confidentielles pour des raisons de sécurité nationale.

[42]      À ces procédures ex parte vient s’ajouter la question de droit soulevée par la Cour, à savoir si les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Harkat quant à l’obligation de fournir à l’appelant des résumés de renseignements qui lui permettent d’être informé de la thèse du ministre s’appliquent au régime d’appel établi par la LSDA. Comme je l’expliquerai plus loin, les principes de l’arrêt Harkat ont été établis dans le contexte du régime des certificats de sécurité établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

A.    Observations du procureur général  [table des matières]

[43]      Le procureur général soutient que les principes de l’arrêt Harkat aident à comprendre les dispositions de la LSDA relatives à la protection des renseignements, qui sont très semblables à celles de la LIPR. Il fait valoir que [traduction] « l’équité exige vraisemblablement la divulgation d’une quantité minimale incompressible de renseignements pour que les appelants soient suffisamment informés de la thèse du ministre », mais que les exigences exactes de l’équité procédurale dans le contexte de la LSDA peuvent varier, puisque le régime d’inscription à la liste prévue par la LSDA diffère du régime des certificats de sécurité établi par la LIPR. Le procureur général soutient que l’obligation d’équité procédurale en droit administratif est « “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, au paragraphe 77.

[44]      Selon le procureur général, c’est à l’étape du bien-fondé de l’appel, et non à l’étape actuelle, qu’il faudrait déterminer si les appelants sont suffisamment informés de la thèse du ministre.

B.    Observations des amis de la cour  [table des matières]

[45]      Les amis de la cour soutiennent que, vu la très grande similitude entre les dispositions de la LIPR et celles de la LSDA, la Cour doit conclure que les principes énoncés dans l’arrêt Harkat s’appliquent à la LSDA. Le législateur a adopté la LSDA après l’arrêt Harkat en tenant pleinement compte de l’interprétation qui y est faite des dispositions de la LIPR sur les plans juridique et constitutionnel. Les amis de la cour font remarquer que [traduction] « la différence entre les dispositions de la LIPR et celles de la LSDA n’est simplement pas assez marquée pour justifier l’adoption d’une interprétation de la LSDA qui soit différente de celle préconisée par la Cour suprême dans l’arrêt Harkat ».

C.   Observations des appelants  [table des matières]

[46]      Les avocats des appelants disent que les principes énoncés dans l’arrêt Harkat confirment que les exigences fondamentales de l’équité procédurale s’appliquent lorsque des renseignements ne peuvent pas être divulgués à une personne pour des raisons de sécurité nationale. Ils ajoutent que rien dans l’arrêt Harkat ne donne à penser que la Cour suprême a cherché à limiter les principes qu’elle y a établi au seul régime de la LIPR. Il existe un chevauchement important entre la LIPR et la LSDA en ce qui concerne, d’une part, les droits et les intérêts en jeu et, d’autre part, le libellé des dispositions applicables. Dans ces circonstances, les avocats soutiennent que les principes de l’arrêt Harkat s’appliquent aux présents appels.

VI.   DISPOSITIONS EN MATIÈRE D’APPEL DE LA LSDA  [table des matières]

[47]      Avant de passer aux questions en litige, j’examinerai les points suivants : A) le fardeau de la preuve qui incombe au procureur général, B) la déférence dont il faut faire preuve envers le procureur général, C) les limites quant au contenu des résumés, D) l’obligation d’informer suffisamment l’appelant de la thèse du ministre, et E) les catégories de renseignements et d’éléments de preuve pouvant être caviardés. Le dernier point a pour but d’aider les appelants à mieux comprendre en quoi consistent les caviardages.

A.    Fardeau de la preuve qui incombe au procureur général du Canada  [table des matières]

[48]      Il incombe au procureur général de convaincre le juge désigné que chaque caviardage est justifié, c’est-à-dire que la divulgation des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le procureur général doit présenter des éléments de preuve démontrant que : 1) l’atteinte alléguée est une probabilité, 2) l’atteinte repose sur des faits établis par la preuve, et 3) l’atteinte est liée à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

[49]      Premièrement, l’atteinte alléguée doit être une probabilité, et non simplement une possibilité ou une conjecture. Les alinéas 16(6)b) et c) de la LSDA interdisent la divulgation de renseignements qui porterait atteinte à la sécurité. L’emploi du verbe « porterait » commande une norme élevée comparativement à l’emploi du verbe « pourrait ». Voir la décision Soltanizadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 114, aux paragraphes 2 et 21, dans le contexte de l’article 87 de la LIPR, et la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248 (Arar), au paragraphe 49, dans le contexte de l’article 38.06 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, qui traitent toutes deux de l’emploi du verbe « pourrait », mais dans deux lois différentes.

[50]      Au paragraphe 9 de la décision Jaballah (Re), 2009 CF 279, la juge Dawson a commenté l’emploi du verbe « porterait » à l’alinéa 83(1)d) de la LIPR relativement au fardeau du procureur général : « [i]l incombe aux ministres d’établir que la divulgation non seulement pourrait porter atteinte mais qu’elle porterait effectivement atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui » (non souligné dans l’original).

[51]      Au paragraphe 61 de l’arrêt Harkat, la Cour suprême a conclu que, dans le contexte de la LIPR, « [s]euls les renseignements et les éléments de preuve qui soulèvent un risque sérieux d’atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui peuvent être soustraits à la connaissance de la personne visée » (non souligné dans l’original).

[52]      Deuxièmement, mon collègue le juge Mosley a dit que chaque revendication fondée sur la sécurité nationale doit reposer sur une preuve « tangible » (voir Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2008] 1 R.C.F. 547, au paragraphe 157, voir également Jama, au paragraphe 72). Le juge désigné doit être persuadé que le préjudice « repose sur des faits attestés par la preuve » (Arar, au paragraphe 47).

[53]      Troisièmement, l’atteinte alléguée doit être liée à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le concept de « sécurité nationale » n’est pas expressément défini en droit canadien. Il se veut général, large et souple pour pouvoir s’adapter à un monde en évolution. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), s’agissant du concept de « danger pour la sécurité du Canada » dans le contexte de l’alinéa 53(1)b) de la LIPR, la Cour suprême, à l’unanimité, a écrit ce qui suit [au paragraphe 85] :

Ces réserves exprimées, nous convenons que, dans le contexte des dispositions régissant l’expulsion, il faut interpréter l’expression « danger pour la sécurité du Canada » d’une manière large et équitable, et en conformité avec les normes internationales. Nous reconnaissons que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » est difficile à définir. Nous convenons aussi que la conclusion qu’il existe ou non un « danger pour la sécurité du Canada » repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large. Tous ces éléments militent en faveur de l’application d’une approche large et souple en matière de sécurité nationale et, comme nous l’avons déjà expliqué, d’une norme de contrôle judiciaire caractérisée par la retenue. Si la ministre peut produire une preuve étayant raisonnablement la conclusion que l’intéressé constitue un danger pour la sécurité du Canada, les tribunaux ne doivent pas intervenir et modifier sa décision.

[54]      On peut en dire autant de l’alinéa 16(6)c) de la LSDA, qui mentionne le concept de « sécurité nationale ». De plus, l’atteinte devrait être telle qu’il existe une possibilité réelle et sérieuse d’un effet préjudiciable au Canada, même s’« il n’est pas nécessaire que la menace soit directe » (Suresh, au paragraphe 88). Dans l’arrêt Suresh, dans une observation sur l’alinéa 53(1)b) de la LIPR, la Cour suprême a écrit ce qui suit [aux paragraphes 8889] :

Premièrement, les réseaux mondiaux de transport et de financement qui soutiennent le terrorisme à l’étranger peuvent atteindre tous les pays, y compris le Canada, et les impliquer ainsi dans les activités terroristes. Deuxièmement, le terrorisme luimême est un phénomène qui ne connaît pas de frontières. La cause terroriste peut viser un lieu éloigné, mais les actes de violence qui l’appuient peuvent se produire tout près. Troisièmement, les mesures de prudence ou de prévention prises par l’État peuvent être justifiées; il faut tenir compte non seulement des menaces immédiates, mais aussi des risques éventuels. Quatrièmement, la coopération réciproque entre le Canada et d’autres pays dans la lutte au terrorisme international peut renforcer la sécurité nationale du Canada. Ces considérations nous amènent à conclure que serait trop exigeant un critère requérant la preuve directe d’un risque précis pour le Canada afin de décider si une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada ». Il doit exister une possibilité réelle et sérieuse d’un effet préjudiciable au Canada. Néanmoins, il n’est pas nécessaire que la menace soit directe; au contraire, elle peut découler d’événements qui surviennent à l’étranger, mais qui, indirectement, peuvent réellement avoir un effet préjudiciable à la sécurité du Canada.

Bien que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » doive recevoir une interprétation souple, et que les tribunaux ne soient pas tenus d’exiger la preuve directe que la menace vise précisément le Canada, il demeure que l’al. 53(1)b) ne permet le refoulement d’un réfugié dans un pays où il risque la torture que s’il est établi que la sécurité nationale est gravement menacée. En laissant entendre qu’un facteur moins exigeant que de graves menaces étayées par la preuve suffirait pour expulser un réfugié dans un pays où il risque la torture, on cautionnerait l’application inconstitutionnelle de la Loi sur l’immigration. Dans la mesure du possible, les lois doivent recevoir une interprétation conforme à la Constitution. Ces éléments appuient la conclusion que, bien que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » doive recevoir une interprétation large et équitable, elle exige néanmoins la preuve d’une menace potentiellement grave. [Non souligné dans l’original.]

[55]      Ces enseignements sont utiles lorsque vient le temps d’interpréter la LSDA. Bien que le juge désigné doive donner à l’expression « sécurité nationale » une interprétation large et équitable, le procureur général doit présenter des éléments de preuve démontrant l’existence d’une menace potentiellement grave.

B.    Déférence

[56]      Le juge désigné doit faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation faite par le procureur général quant à l’atteinte portée à la sécurité nationale « parce qu’il a accès à des sources particulières d’information et d’expertise » (Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246, [2005] 1 R.C.F. 33 (Ribic), aux paragraphes 1819). Cependant, la Cour ne devrait pas pour autant entériner aveuglément les demandes de non-divulgation présentées par le procureur général (voir Canada (Procureur général) c. Telbani, 2014 CF 1050, au paragraphe 44). Le gouvernement a une propension à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale (Harkat, au paragraphe 63). Le juge désigné, en tant que « gardien qui doit nous prémunir contre la multiplication des réclamations » (Harkat, au paragraphe 64), doit veiller à ce que les caviardages soient justifiés. En fin de compte, s’il juge que l’évaluation que le procureur général a faite de l’atteinte est raisonnable, le juge doit l’accepter (Ribic, au paragraphe 19; Arar, au paragraphe 47; Khawaja, au paragraphe 66; Jama, au paragraphe 77).

C.   Limites quant au contenu des résumés  [table des matières]

[57]      Si un caviardage est justifié pour des raisons de sécurité nationale, le juge désigné doit ensuite décider si un résumé des renseignements protégés ne contenant aucun renseignement sensible peut être fourni à l’appelant afin qu’il soit suffisamment informé de la thèse du ministre.

[58]      Dans la décision Jama, le juge LeBlanc fait remarquer que la LPVT n’oblige pas le juge désigné à établir un équilibre entre l’obligation d’informer raisonnablement la personne de la preuve à réfuter et l’obligation de protéger la confidentialité de renseignements qui porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui s’ils étaient divulgués. Elle interdit plutôt la divulgation de renseignements sensibles [aux paragraphes 4748 et 8990] :

Premièrement, je suis entièrement d’accord avec le procureur général pour dire que les dispositions de la LPVT contiennent, de manière claire et sans équivoque, une interdiction absolue de divulguer des renseignements confidentiels et que, à l’instar d’autres dispositions figurant dans des lois relatives à la sécurité nationale (LIPR, art 83(1), 86, 87; Loi sur la sûreté des déplacements aériens, art 16(6), Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC (1985), c C-23, art 18.1), elles autorisent le juge désigné, de manière explicite ou implicite, à mettre en balance des intérêts publics opposés.

Je conviens également que dans les cas où il est nécessaire d’effectuer un exercice de mise en balance, le législateur recourt à des termes législatifs explicites, comme l’illustre le paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada, auquel il a été fait référence et qui a été reproduit plus tôt, qui habilite le juge désigné à divulguer la totalité ou une partie des renseignements qui, selon lui, porteraient atteinte à la sécurité nationale s’ils étaient divulgués, après avoir mis en balance l’intérêt public à l’égard de la divulgation par rapport à l’intérêt public à l’égard de la non-divulgation […]

[…]

En l’espèce, bien que le juge désigné soit tenu de veiller à fournir à la demanderesse un résumé des éléments de preuve ou de tout autre renseignement dont il dispose et qui permet à cette dernière d’être suffisamment informée des motifs de la décision du ministre, l’alinéa 6(2)c) de la LPVT indique clairement que ce résumé ne doit absolument pas contenir un élément quelconque qui, de l’avis du juge, s’il était divulgué, porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Pour ce problème épineux évident, aucun entre-deux n’est possible. Aucune interprétation raisonnable de cette disposition ne le permet.

En conséquence, en admettant que la demanderesse, comme le soutient l’ami de la cour, ait droit à un résumé qui lui procure une « quantité minimale incompressible de renseignements », cette quantité minimale de renseignements ne peut pas contenir d’éléments qui, s’ils étaient divulgués, porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Autrement dit, à ce stade-ci de la présente demande de révision judiciaire, toute « tension irréconciliable » entre la nécessité de fournir à la demanderesse un résumé lui permettant d’être suffisamment informée des motifs de la décision du ministre et celle de protéger des renseignements confidentiels contre toute divulgation ne peut pas être réglée en faveur de la demanderesse car, répétons-le, aucune interprétation raisonnable de l’alinéa 6(2)c) de la LPVT ne le permet. Le résumé qu’envisage cette disposition ne peut être constitué que de renseignements ne portant pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Tout avis contraire irait à l’encontre de l’intention claire et non équivoque du législateur.

[59]      Je souscris à cette interprétation du juge LeBlanc. L’alinéa 16(6)c) de la LSDA, tout comme l’alinéa 6(2)c) de la LPVT, indique clairement qu’un tel résumé ne doit comporter aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon le juge, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

D.   Obligation d’informer suffisamment l’appelant de la thèse du ministre  [table des matières]

[60]      En plus de devoir garantir la confidentialité des renseignements caviardés et de fournir à l’appelant des résumés des renseignements sans divulguer de renseignements sensibles, le juge désigné doit aussi veiller à ce que l’appelant soit suffisamment informé de la thèse du ministre (alinéa 16(6)c) de la LSDA).

[61]      Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a interprété ce concept dans le contexte du régime des certificats de sécurité établi par la LIPR. Les dispositions applicables de la LSDA et celles de la LIPR sont très semblables, et les deux régimes imposent au juge désigné l’obligation de veiller à ce que la personne visée soit suffisamment informée de la thèse du ministre. L’alinéa 83(1)e) de la LIPR est ainsi libellé :

Protection des renseignements

83 (1) […]

[…]

e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause;

[62]      La LSDA contient exactement la même disposition (voir l’alinéa 16(6)c)), à deux différences près. Premièrement, pour ce qui est de l’obligation de fournir à l’appelant un résumé, la version anglaise de la LSDA utilise l’expression « must ensure » et la version anglaise de la LIPR utilise l’expression « shall ensure » (l’expression utilisée est identique dans les deux versions françaises : « veille »). Dans les deux cas, cette obligation est limitée par l’interdiction de ne pas divulguer des renseignements qui porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La deuxième différence est que les résumés sont fournis à « l’intéressé » (résident permanent ou étranger) dans la LIPR et à « l’appelant » dans la LSDA. Aucune de ces deux différences n’a d’importance en l’espèce. Compte tenu de la très grande similitude entre les dispositions, les principes établis dans l’arrêt Harkat sont utiles dans la présente instance.

[63]      La Cour suprême a tiré les conclusions suivantes relativement à l’exigence de la LIPR voulant que la personne visée soit suffisamment informée de la thèse du ministre :

•      L’exigence voulant que la personne visée soit suffisamment informée signifie que la personne visée doit recevoir une quantité minimale incompressible de renseignements (au paragraphe 55). Afin d’assurer la protection du droit de la personne visée à une audition équitable, celle-ci doit recevoir des renseignements suffisants pour connaître la preuve qui pèse contre elle et y répondre (au paragraphe 54; voir également Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 [Charkaoui ou Charkaoui I], au paragraphe 53).

•      La personne visée est « suffisamment informée » si elle peut donner des instructions utiles à ses avocats publics, mais aussi des indications et des renseignements utiles à ses avocats spéciaux (au paragraphe 55).

•      La personne visée doit obtenir assez de renseignements au sujet des allégations formulées contre elle et à propos de la preuve au dossier (au paragraphe 56).

•      La personne visée doit à tout le moins connaître l’essentiel des renseignements et de la preuve à l’appui des allégations qui pèsent contre elle (au paragraphe 57).

•      L’étendue de la divulgation requise pour que la personne visée soit suffisamment informée varie d’une affaire à l’autre, et c’est au juge qu’il appartient de décider si cette norme a été respectée (au paragraphe 57).

•      En cas de tension irréconciliable entre les exigences voulant que la personne visée soit suffisamment informée et l’impératif de ne pas divulguer les renseignements sensibles, le ministre doit retirer les renseignements ou les éléments de preuve dont la non-divulgation empêche la personne visée d’être suffisamment informée (aux paragraphes 5860).

[64]      Ces principes établis par la Cour suprême s’appliquent au régime d’appel de la LSDA.

[65]      En rédigeant les présents motifs, je suis conscient que l’alinéa 16(6)f) de la LSDA permet au juge désigné de fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’appelant. La LIPR contient une disposition semblable, l’alinéa 83(1)i), et, dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a mentionné que « [l]e régime ne précise pas expressément si la décision peut reposer entièrement, ou seulement en partie, sur des renseignements et des éléments de preuve qui ne sont pas communiqués à la personne visée » (au paragraphe 39). La Cour suprême a ajouté ce qui suit [au paragraphe 43] :

Il peut s’avérer impossible de communiquer tous les renseignements et éléments de preuve à la personne visée. Par contre, les exigences fondamentales de la justice en matière de procédure doivent être respectées « d’une autre façon adaptée au contexte, compte tenu de l’objectif du gouvernement et des intérêts de la personne touchée » : Charkaoui I, par. 63. L’autre procédure doit remplacer pour l’essentiel la divulgation complète. L’équité procédurale n’exige pas que le processus soit parfait; la conception d’un processus répondant aux préoccupations en matière de sécurité nationale implique nécessairement certains compromis : Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, par. 46.

[66]      Dans la décision Harkat (Re), 2010 CF 1242, [2012] 3 R.C.F. 432, la Cour a statué sur la question de savoir si M. Harkat avait été suffisamment informé de la preuve produite contre lui (voir les paragraphes 152153 et 196199). J’ai rendu cette décision après avoir offert à M. Harkat la possibilité de se faire entendre et après avoir entendu les observations des parties sur toutes les questions en litige, y compris sur la constitutionnalité du nouveau régime des certificats. Dans l’analyse sur la question de savoir si une décision pouvait être rendue sans que la personne visée ne connaisse les allégations formulées contre elle, j’ai écrit que c’était possible (au paragraphe 59). Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a conclu que cette interprétation était erronée [aux paragraphes 5354] :

L’application combinée des al. 83(1)e) et i) pourrait aboutir à une situation où le juge se prononce sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité même si la personne visée n’a reçu que des renseignements considérablement tronqués. Le juge Noël a même envisagé un scénario où la personne visée ne recevrait pratiquement aucun renseignement : « Il se peut que, dans certaines affaires, la seule preuve justifiant l’interdiction de territoire pour des raisons de sécurité découle d’une source très sensible et que la divulgation d’une telle preuve, même au moyen d’un résumé, révélerait inévitablement la source » (2010 CF 1242, par. 59). Il a néanmoins jugé constitutionnelles les dispositions du régime établi par la LIPR concernant la divulgation.

À mon avis, le juge Noël a commis une erreur en donnant au régime établi par la LIPR une interprétation qui ouvre la porte à ce scénario. Il ressort nettement de Charkaoui I que la personne visée doit recevoir une quantité minimale incompressible de renseignements pour que le régime soit conforme à l’art. 7 de la Charte. Elle doit recevoir des renseignements suffisants pour connaître la preuve qui pèse contre elle et y répondre.

[67]      Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême a conclu qu’une quantité minimale incompressible de renseignements doit être fournie à l’appelant pour que le régime des certificats soit conforme à l’article 7 de la Charte. Dans l’arrêt Harkat, elle a conclu que l’appelant doit recevoir des renseignements suffisants pour connaître la preuve qui pèse contre lui et y répondre. C’est au juge qu’il appartient de décider si cette norme a été respectée. En cas de tension irréconciliable entre les exigences voulant que l’appelant soit suffisamment informé et l’impératif de ne pas divulguer les renseignements sensibles, il est possible de demander au ministre de retirer les renseignements ou les éléments de preuve dont la non-divulgation empêche l’appelant d’être suffisamment informé. Si l’appelant n’est pas suffisamment informé, il se peut que le juge désigné ne puisse pas confirmer le caractère raisonnable de la décision du ministre ou de son délégué de maintenir le nom de l’appelant sur la [traduction] « liste d’interdiction de vol » en vertu de l’article 15 de la LSDA. La question de savoir comment ces principes s’appliquent à un appel fondé sur la LSDA sera analysée après que l’appelant et l’avocat du procureur général auront eu la possibilité de se faire entendre.

[68]      Je reconnais également l’obligation que la Loi m’impose de veiller tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’appelant un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité et qui permet à l’appelant d’être suffisamment informé de la thèse du ministre (alinéa 16(6)c) de la LSDA).

[69]      Cela étant dit, le régime des certificats de la LIPR se distingue aussi du régime d’appel de la LSDA par l’issue de la décision du juge désigné selon laquelle la décision du ministre faisant l’objet d’un appel est déraisonnable. L’article 78 de la LIPR est ainsi libellé :

Décision

78 Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et l’annule s’il ne peut conclure qu’il est raisonnable. [Non souligné dans l’original.]

Le paragraphe 16(5) de la LSDA est ainsi libellé :

16 (1) […]

[…]

Radiation de la liste

(5) S’il conclut que la décision visée à l’article 15 n’est pas raisonnable, le juge peut ordonner la radiation du nom de l’appelant de la liste. [Non souligné dans l’original.]

[70]      Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a conclu que, si la personne visée n’est pas suffisamment informée, le juge désigné ne peut confirmer le caractère raisonnable du certificat et doit annuler le certificat (au paragraphe 60). Cependant, aux termes du paragraphe 16(5) de la LSDA, le juge peut ordonner la radiation du nom de l’appelant de la liste d’interdiction de vol s’il conclut que la décision du ministre de maintenir cette inscription est déraisonnable. Il faut donc conclure que le juge a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non la radiation du nom de l’appelant de la liste.

[71]      Dans les paragraphes suivants, je passerai en revue les catégories de renseignements et d’éléments de preuve pouvant être caviardés à juste titre conformément à la loi et à la jurisprudence en constante évolution.

E.    Catégories de renseignements et d’éléments de preuve pouvant être caviardés  [table des matières]

[72]      Le procureur général cherche à maintenir les caviardages au motif que la divulgation de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Il établit cinq catégories de renseignements à protéger :

1.    L’intérêt du SCRS à l’égard de ce qui a fait, ce qui fait et ce qui fera l’objet d’une enquête.

2.    Les méthodes d’enquête et les modes de fonctionnement.

3.    La règle des tiers.

4.    L’administration interne, les méthodes et la protection des employés du SCRS.

5.    Les informateurs.

[73]      Le procureur général a justifié chaque caviardage figurant dans le dossier d’appel en invoquant une ou plusieurs catégories. Certaines de ces catégories ont été longuement débattues au cours des audiences ex parte et à huis clos. Les descriptions suivantes découlent des affidavits publics qui ont été déposés en l’espèce ainsi que des connaissances que j’ai acquises lors de l’instruction des affaires dont j’ai été saisi en matière de sécurité nationale. Aux fins des motifs suivants, il importe de noter que les catégories énumérées ne se rapportent pas précisément aux renseignements caviardés dans le dossier d’appel.

1)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’intérêt du SCRS envers des individus, des groupes ou des enjeux, notamment l’existence ou l’absence de dossiers ou d’enquêtes antérieurs ou actuels, l’intensité des enquêtes, ou le degré ou l’absence de réussite de ces enquêtes  [table des matières]

[74]      Cette catégorie englobe les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’intérêt du SCRS envers des individus, des groupes ou des enjeux. Le procureur général soutient que la divulgation de ce type de renseignements mettrait les individus visés par une enquête au courant du degré d’intérêt que leur porte le SCRS, ce qui pourrait mettre en péril l’efficacité des activités et des enquêtes du SCRS. La communication de tels renseignements pourrait inciter les individus visés à prendre des mesures pour faire avorter les enquêtes. Certains renseignements pourraient également donner à de fins observateurs des indices leur permettant de faire ce genre de déductions.

2)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les méthodes de fonctionnement ou les techniques d’enquête utilisées par le SCRS ou d’autres services  [table des matières]

[75]      Cette catégorie englobe les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les méthodes de fonctionnement ou les techniques d’enquête utilisées par le SCRS ou d’autres services de police, dont certaines sont connues du public, mais sans plus, alors que d’autres ne le sont pas du tout. Le procureur général fait valoir que ces méthodes de fonctionnement et techniques d’enquête doivent demeurer confidentielles afin d’en maximiser l’efficacité. La divulgation de ce type de renseignements pourrait permettre aux individus visés par une enquête de prendre des contre-mesures pour échapper à ces méthodes et techniques. Elle pourrait également permettre à un observateur bien renseigné de connaître le type de renseignements que le SCRS a recueilli à son sujet.

3)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les relations que le SCRS entretient avec des services étrangers de police, de sécurité ou de renseignement et les renseignements échangés à titre confidentiel avec de tels services  [table des matières]

[76]      Cette catégorie englobe les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les relations que le SCRS entretient avec des services nationaux et étrangers de police, de sécurité ou de renseignement et les renseignements échangés à titre confidentiel avec de tels services.

[77]      Le paragraphe 17(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (la Loi sur le SCRS) autorise le SCRS, avec l’approbation du ministre, à conclure des ententes ou, d’une façon générale, à coopérer avec des services étrangers ou canadiens en vue d’échanger des renseignements. De telles ententes doivent être examinées par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. C’est ce que l’on appelle communément la « règle des tiers ». L’échange de renseignements se fait à la condition expresse ou implicite que la source et les renseignements ne seront pas divulgués, sauf si, à la suite d’une demande, le service qui fournit les renseignements y consent. Les services conviennent que l’exigence de confidentialité sera respectée et que les garanties procédurales adéquates sont en place.

[78]      Aux paragraphes 4445 de l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, la juge Arbour, s’exprimant au nom de la Cour, a traité de la nature délicate de la « règle des tiers » et de la situation du Canada sur la scène internationale :

Les dispositions impératives pourvoyant à la tenue d’audiences ex parte et à huis clos ont pour objet d’éviter que les alliés et les sources de renseignements du Canada aient l’impression qu’une divulgation accidentelle pourrait survenir et que, pour cette raison, ils soient moins disposés à communiquer des renseignements à notre pays. Dans ses motifs, madame le juge Simpson a examiné cinq affidavits déposés par l’intimé, trois ayant été établis par le SCRS, la GRC et le ministère de la Défense nationale (« MDN ») respectivement, et deux par le ministère des Affaires étrangères (« MAE »). Les auteurs de ces affidavits insistent sur le fait que le Canada est un importateur net d’information et que l’information recueillie est nécessaire à la sécurité et à la défense du Canada et de ses alliés. Ils ajoutent que les sources de renseignements connaissent les dispositions législatives canadiennes en matière d’accès à l’information. Tous affirment que l’assouplissement des dispositions impératives aurait un effet néfaste sur la circulation des renseignements et la qualité de ceux-ci. L’extrait suivant de l’un des affidavits du MAE est représentatif :

[traduction] Le Canada n’est pas une grande puissance. Il n’a pas la même capacité de recueillir et d’évaluer l’information que les ÉtatsUnis, le RoyaumeUni ou la France, par exemple. Il ne peut offrir en échange le même volume et la même qualité de renseignements qu’il obtient des pays qui sont sa principale source d’information. Si la confiance de ces partenaires dans notre aptitude à protéger ces renseignements venait à être ébranlée, le fait que nous soyons une source d’information relativement moins importante que d’autres accroît le risque que les portes d’accès aux renseignements délicats nous soient fermées.

[…] À défaut de ces sauvegardes supplémentaires d’ordre procédural [la tenue obligatoire d’une audience à huis clos et le droit de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie, prévus à l’art. 51], les protections [substantielles qui font l’]objet des articles 19 et 21 de la Loi perdraient largement de leur valeur. La confiance des gouvernements étrangers ne serait plus la même, car si le Canada peut donner l’assurance qu’une demande visant à obtenir ce genre d’information pourrait être et serait rejetée en vertu de la loi canadienne, il ne pourrait garantir que l’information serait nécessairement protégée contre une divulgation involontaire survenant au cours d’une audition.

Dans ses motifs, madame [la] juge Simpson a donné un aperçu de la preuve par affidavit. Le SCRS dit qu’on lui communique des renseignements délicats pour autant que ni les renseignements non plus que leur origine ne seront dévoilés sans le consentement de la source. L’affidavit du représentant de la GRC fait état d’ententes conclues, par exemple avec Interpol, et fondées sur le principe que les renseignements échangés demeureront confidentiels. Pour sa part, le représentant du MDN estime que l’accroissement du nombre de personnes ayant accès aux renseignements dans le cadre d’un recours en révision aurait [traduction] « pour conséquence quasi certaine de restreindre, sinon d’écarter complètement » la possibilité que le Canada obtienne des renseignements à l’avenir. Dans un des affidavits du MAE, l’auteur signale que la pratique et l’usage internationaux prescrivent que de tels renseignements soient obtenus sous le sceau de la confidentialité, sauf entente expresse à l’effet contraire. L’auteur du second affidavit du MAE souligne d’abord que la confidentialité est nécessaire à la protection d’informations cruciales en matière de diplomatie, de renseignement et de sécurité. Il reconnaît qu’il est impossible de prédire avec certitude qu’il y aurait tarissement des sources de renseignements du Canada si les dispositions de la Loi étaient assouplies, car [traduction] « on ne connaît pas ce que l’on n’obtient pas ». Il dit cependant estimer que, après réévaluation des risques et des avantages, les sources étrangères communiqueraient vraisemblablement moins de renseignements au Canada de crainte qu’ils ne soient divulgués.

[79]      Ces relations avec les services étrangers permettent au milieu canadien du renseignement d’avoir accès à des renseignements sensibles touchant la sécurité nationale du Canada auxquels il n’aurait autrement pas accès. La divulgation de ce type de renseignements mettrait en péril le lien de confiance qu’il a établi avec ces services et compromettrait son niveau d’accès à ces renseignements.

[80]      Pour pouvoir justifier un caviardage par la « règle des tiers », le procureur général doit démontrer que les renseignements sont « protégés » et que le service étranger ne veut pas les communiquer, ou qu’il ne consent à une divulgation partielle qu’à la condition que les renseignements qui permettraient d’identifier leur source demeurent caviardés. Dans le cas d’un service canadien, les préoccupations sont les mêmes, sous réserve des adaptations requises par les politiques existantes.

4)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’identité des employés, les procédures internes, les méthodes administratives du SCRS, par exemple des noms et des numéros de dossiers, et les systèmes de télécommunications utilisés par le SCRS  [table des matières]

[81]      Cette catégorie englobe les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’identité des employés, les procédures internes, les méthodes administratives et les systèmes de télécommunications du SCRS. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS interdit de communiquer l’identité d’un employé, ancien ou actuel, qui a participé, participe ou pourrait vraisemblablement participer à des activités opérationnelles cachées du SCRS ou des informations qui permettraient de découvrir son identité. On prétend que la communication de telles informations pourrait nuire à la sécurité et aux activités opérationnelles de ces employés. À l’examen des renseignements caviardés, il est facile de repérer ces informations, puisqu’elles sont nominatives (p. ex. les noms d’employés, les numéros de dossiers). On peut également prétendre que de telles informations n’ont aucun rapport avec les questions soulevées en appel. Il peut y avoir des exceptions, mais elles sont rares.

[82]      La divulgation de renseignements liés aux procédures internes, aux méthodes administratives et aux systèmes de télécommunications du SCRS révélerait la manière dont le SCRS fonctionne sur le plan administratif et gère ses propres données et documents dans un monde hautement technologique. La manière dont les services communiquent et mènent leur recherche peut en dire beaucoup sur leur ADN. Là encore, ce type de renseignements n’a aucun rapport avec les questions soulevées en appel, sous réserve de certaines exceptions qui n’existent que rarement.

5)    Les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’identité des personnes qui ont fourni des renseignements au SCRS ou les renseignements qu’une personne a fournis et dont la divulgation pourrait permettre de l’identifier  [table des matières]

[83]      Cette catégorie englobe les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler l’identité des personnes qui ont collaboré avec le SCRS. Il est bien établi que les services d’enquête reçoivent des renseignements de personnes qui s’attendent à ce que leur rôle demeure confidentiel. Le procureur général soutient que ce climat de confidentialité et de confiance réciproque est fondamental pour préserver les relations du SCRS avec ces personnes, dont la participation est essentielle à ses activités. De plus, la sécurité de ces personnes dépend de leur anonymat.

[84]      Aux termes de l’article 2 de la Loi sur le SCRS, « source humaine » s’entend d’une « [p]ersonne physique qui a reçu une promesse d’anonymat et qui, par la suite, a fourni, fournit ou pourrait vraisemblablement fournir des informations au Service ». L’article 18.1 de la même loi interdit de communiquer l’identité d’une source humaine, à moins que certaines conditions soient remplies. Le paragraphe 18.1(1) prévoit que la protection des sources humaines vise à préserver leur anonymat afin non seulement de protéger leur vie et leur sécurité, mais également d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au SCRS.

[85]      Dans la prochaine section, j’analyse les questions soulevées dans le but d’aider l’appelant à mieux comprendre les décisions de la Cour. Je souligne que, bien que je sois tenu par la loi d’assurer la confidentialité des renseignements du ministre, j’ai également l’obligation de veiller à ce que l’instance soit aussi publique que possible dans l’intérêt de l’appelant, à condition que les renseignements que je divulgue ne portent pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

VII.  ANALYSE  [table des matières]

[86]      La Cour doit décider, en fonction des dispositions législatives pertinentes, des éléments de preuve présentés et des observations reçues, si les caviardages sont justifiés et, le cas échéant, si les renseignements peuvent être divulgués à l’appelant d’une manière qui ne porterait pas atteinte à la sécurité.

[87]      Comme je l’ai déjà mentionné, une audience ex parte et à huis clos a eu lieu le 5 octobre 2020. L’avocat du procureur général et les amis de la cour ont présenté à la Cour les décaviardages dont ils avaient convenu et les résumés de renseignements caviardés qu’ils proposaient. Les amis de la cour ont également indiqué à la Cour les caviardages qui ne seraient pas contestés. La Cour consent aux décaviardages et aux résumés proposés (voir la liste publique des décaviardages et décaviardages partiels à l’annexe A).

[88]      Après avoir examiné tous les caviardages, la Cour est d’accord avec le procureur général et les amis de la cour que la divulgation de certains des renseignements caviardés porterait atteinte à la sécurité. Il est impossible de concevoir un résumé de ces renseignements qui ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Ces caviardages sont confirmés (voir une liste confidentielle des caviardages non contestés à l’annexe B).

[89]      Certains caviardages sont demeurés contestés et ont fait l’objet d’observations lors des audiences ex parte et à huis clos tenues les 14, 15, 16, 19, 20 et 22 octobre 2020 ainsi que les 16 et 17 juin 2021. Le procureur général et les amis de la cour ne s’entendaient pas sur la légitimité des caviardages ou le contenu des résumés. La décision de la Cour sur ces caviardages et ces résumés contestés figure dans une liste confidentielle à l’annexe C.

[90]      Par suite des audiences à huis clos, l’appelant sera mieux informé de la thèse du ministre à son encontre. Voici un résumé des allégations qui sont maintenant divulguées à l’appelant :

Allégation

Référence dans la décision[2]

Allégations divulguées

M. Brar est soupçonné de faciliter des activités terroristes. Il est impliqué dans des activités d’extrémistes sikhs au Canada et à l’étranger.

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Onglet E, sommaire du cas d’août 2018, page 3

M. Brar est un extrémiste sikh établi au Canada qui a participé et qui continuera de participer à des activités terroristes. Il a notamment collecté des fonds pour financer des attaques terroristes à l’étranger; il a encouragé l’extrémisme, y compris la radicalisation des jeunes, dans le but de réaliser l’indépendance du Khalistan; et il a participé à la planification et à la facilitation d’attaques, y compris l’achat d’armes, qui seront menées en Inde.

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M. Brar fait l’objet d’une enquête de la part du SCRS en raison de son association à l’extrémisme sikh et du fait qu’il agit comme contact opérationnel international pour son père, Lahkbir Singh Brar (alias RODE), le leader établi au Pakistan de l’International Sikh Youth Federation (l’ISYF), qui est une entité terroriste inscrite au Canada.

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M. Brar est associé à l’ISYF.

Onglet E, sommaire du cas d’août 2018, page 4

M. Brar a des liens étroits avec des extrémistes sikhs établis au Canada et à l’étranger, dont Gurjeet Singh Cheema et M. Dulai.

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Onglet E, sommaire du cas d’août 2018, page 4

M. Brar a des liens étroits avec M. Dulai dont il est un partenaire d’affaires. M. Dulai a été décrit comme un sympathisant très bruyant du Khalistan.

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M. Brar et Gurjeet Sigh Cheema planifiaient une attaque terroriste à partir de l’Inde. Plus précisément, il a été révélé que, pendant sa visite au Pakistan en 2015, M. Brar a planifié l’attaque à la demande de l’Inter-Services Intelligence Directorate (la Direction inter-services des renseignements ou l’ISI) du Pakistan, et que sa tâche était de rendre disponibles des armes et des munitions en Inde.

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Selon des renseignements datant du début de 2018, M. Brar faisait partie d’un groupe de personnes liées à l’ISI et collaborant avec elle pour contrecarrer les efforts de sensibilisation et de réconciliation du gouvernement indien à l’égard de la communauté. Dans un article du 17 avril 2018, M. Brar avait été identifié comme un extrémiste khalistanais canadien ayant reçu un visa pakistanais pour un pèlerinage sikh en avril 2018. L’article faisait référence à une rencontre à Lahore entre les leaders du groupe Lashkar-e-Taïba (LeT) et des militants sikhs, et affirmait que le Pakistan nourrissait un sentiment pro‑Khalistan et anti-Inde. Il mentionnait également que l’ISI collaborait étroitement avec les terroristes pakistanais qui appuyaient les Khalistanais à l’international. Le Pakistan a nié les allégations de l’Inde. Dans l’article figurait une photo du visa et d’une page du passeport de M. Brar ayant pour titre [traduction] « Preuve no 6 de visas pakistanais pour des extrémistes khalistanais canadiens ».

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Selon des renseignements datant de novembre et de décembre 2017, M. Brar serait un extrémiste sikh bien connu au Canada. Il serait impliqué dans des activités contre l’Inde. M. Brar est décrit comme le président de l’aile jeunesse de l’ISYF au Canada. Il serait étroitement associé à plusieurs éléments radicaux sikhs établis au Canada. Pendant sa visite au Pakistan en 2015, M. Brar avait demandé à Cheema de prendre des dispositions pour obtenir des armes et des munitions en Inde. On sait que M. Brar s’est rendu au Pakistan à l’automne 2016, puis en 2017. Il aurait recueilli des fonds auprès de membres de la communauté sikhe canadienne afin de rénover quelques gurdwaras au Pakistan et il est soupçonné d’avoir détourné une grande partie de ces fonds pour des activités contre l’Inde.

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En avril 2007, des médias ont présenté M. Dulai comme étant l’organisateur du défilé du Vaisakhi à Surrey, en Colombie‑Britannique, au cours duquel un hommage a été rendu au fondateur de Babbar Khalsa (BK), feu Talwinder Singh Parmar. (La Cour suprême de la C.‑B. a conclu que Parmar était à l’origine du complot ayant mené à l’explosion des deux avions d’Air India, le 23 juin 1985.)

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M. Brar a participé à une collecte de fonds, lesquels ont été envoyés à son père et à une autre personne au Pakistan pour qu’ils soient distribués à des familles terroristes au Pendjab.

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M. Brar et d’autres personnes ont discuté de l’incarcération de plusieurs personnes au Pendjab et du fait qu’elles avaient besoin de soutien financier et juridique, y compris d’une aide financière destinée à Jagtar Singh Johal.

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M. Brar s’est rendu au Pakistan à la fin du mois de mars 2018, où il a visité son père, puis est revenu au Canada le 19 avril 2018.

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En 2016, M. Brar s’est souvent rendu aux États-Unis par voie terrestre.

Onglet E, sommaire du cas d’août 2018, page 10 de 13

M. Brar est arrivé à l’aéroport international Pearson de Toronto le 19 novembre 2016, le 13 janvier 2017, le 27 juillet 2017 et le 14 novembre 2017.

Onglet E, sommaire du cas d’août 2018, page 7

M. Brar a rempli un rapport d’incident relativement à un voyage de Toronto à Abou Dhabi. Il affirme que le 24 octobre 2017, des agents l’ont informé que le département de la Sécurité intérieure leur avait dit qu’il ne pouvait pas voyager.

Onglet E, sommaire du cas d’août 2018, page 7

[91]      En plus de ce qui précède, le nouveau dossier d’appel révisé contiendra d’autres renseignements découlant des décisions rendues quant aux caviardages contestés. Au cours de la prochaine étape du présent appel, une audience publique aura lieu, et l’appelant aura l’occasion de se faire entendre. Bien que l’appelant soit maintenant mieux informé des allégations qui pèsent contre lui, ce ne sont pas tous les renseignements qui peuvent lui être communiqués, puisque la divulgation de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Pour le moment, je ne suis pas en mesure de connaître ni l’importance de ces renseignements ni s’ils sont importants pour l’affaire dans son ensemble. Le procureur général pourrait également décider de retirer certains renseignements ou l’on pourrait lui demander de le faire. Il se peut également qu’il devienne possible de résumer certains des renseignements non divulgués d’une manière qui ne porterait pas atteinte à la sécurité. Au fil de l’instance, je serai mieux à même de décider si l’appelant a été suffisamment informé de la thèse du ministre.

VIII. CONCLUSION  [table des matières]

[92]      Au terme du présent processus, plus de renseignements auront été divulgués à l’appelant grâce aux décaviardages, aux décaviardages partiels et aux résumés. L’appelant pourra ainsi mieux répondre à la preuve qui pèse contre lui, ce qui aidera le juge désigné à se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision du délégué. Même si les résumés sont utiles, ils ne constituent pas une divulgation complète. En réalité, dans les affaires de sécurité nationale, ce ne sont pas tous les renseignements qui peuvent être divulgués en raison de contraintes liées à la sécurité nationale. Comme le prescrit la LSDA, le juge désigné n’a aucun pouvoir discrétionnaire en la matière : les renseignements qui porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui ne peuvent être divulgués à l’appelant.

[93]      Pour les prochaines étapes, tout d’abord, l’ordonnance et les motifs ne seront remis qu’à l’avocat du procureur général et aux amis de la cour pour qu’ils en prennent connaissance et veillent à ce qu’ils puissent être transmis tels quels, y compris l’annexe A, à l’appelant. Ils disposeront de 10 jours pour le faire. Au cours de cette période, le procureur général décidera s’il porte en appel les décisions rendues au sujet des caviardages contestés. Par conséquent, l’avocat du procureur général, en collaboration avec les amis de la cour, aura 14 jours pour préparer un dossier d’appel révisé public qui tiendra compte des conclusions figurant aux annexes A, B et C et qui comprendra une liste caviardée révisée des pièces déposées pendant les audiences tenues ex parte et à huis clos.

[94]      Enfin, j’aimerais dire que j’ai fait de mon mieux pour être le plus transparent possible. J’ai exprimé des opinions que l’appelant et le défendeur voudront commenter plus tard. Je l’ai fait en toute connaissance du dossier. Cette nouvelle procédure prescrite par la loi est exceptionnelle et touche aux principes juridiques de base. Les parties auront l’occasion de discuter de sa légitimité.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.    Certains caviardages sont maintenus, d’autres font l’objet d’un décaviardage total ou partiel et d’autres encore sont résumés conformément aux annexes suivantes :

Annexe publique A Décaviardages et décaviardages partielles;

Annexe confidentielle B — Caviardages et résumés non contestés;

Annexe confidentielle C — Caviardages et résumés contestés.

2.    Le procureur général et les amis de la cour disposent de 10 jours pour examiner l’ordonnance et les motifs, y compris l’annexe A, afin de s’assurer qu’ils peuvent être rendus publics. Au cours de cette période, le procureur général décidera s’il porte en appel les décisions relatives aux caviardages contestés. C’est alors seulement que la Cour examinera la possibilité de remettre l’ordonnance et les motifs publics à l’appelant et à son avocat.

3.    Par la suite, le procureur général, en collaboration avec les amis de la cour, aura 14 jours pour préparer et communiquer à l’appelant un dossier d’appel révisé qui comprendra tous les renseignements dont la divulgation a été approuvée par la Cour conformément aux annexes jointes et à la liste caviardée des pièces.

 

 



[1] L’article 16 de la LSDA définit le rôle du juge désigné dans un appel et énonce la manière de traiter les renseignements caviardés.

[2] Référence au mémoire du sous-ministre délégué, demande de recours dans le dossier no 6343-02-13 (PGC0007) et au sommaire du cas daté du 16 août 2018 joint au mémoire figurant à l’onglet E (PGC0004), où les renseignements se trouvaient dans le sommaire du cas joint, mais pas dans le mémoire.

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