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A-439-19

2021 CAF 176

Robert Salna, James Rose et Loridana Cerilli, représentants défendeurs proposés, au nom des défendeurs d’un recours collectif (appelants/intimés dans l’appel incident)

c.

Voltage Pictures, LLC, Cobbler Nevada, LLC, PTG Nevada, LLC, Clear Skies Nevada, LLC, Glacier Entertainment S.A.R.L. of Luxembourg, Glacier Films 1, LLC et Fathers & Daughters Nevada, LLC (intimées/appelantes dans l’appel incident)

et

Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko (intervenante)

Répertorié : Salna c. Voltage Pictures, LLC

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Rennie et Rivoalen, J.C.A.—Par vidéoconférence, 28 avril; Ottawa, 8 septembre 2021.

Pratique — Recours collectifs — Appel et appel incident à l’encontre d’une ordonnance de la Cour fédérale — Les appelants ont interjeté appel d’une ordonnance rendue quant aux dépens par suite d’une requête des intimées en autorisation d’exercer un recours collectif (recours collectif inversé) en vertu des paragraphes 334.14(2), 334.14(3) et de la règle 334.16 des Règles des Cours fédérales  — Les intimées ont interjeté un appel incident contre la décision de rejeter cette requête — Les intimées, qui alléguaient une violation par les appelants de leurs œuvres protégées par le droit d’auteur, souhaitaient obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif contre un groupe de défendeurs — Elles ont visé la violation en ligne de droits d'auteur sur cinq de leurs films (œuvres) — Les intimées ont déterminé les adresses du protocole Internet (IP) des utilisateurs de BitTorrent qui ont téléchargé les œuvres — Elles ont déclenché la procédure d’avis et avis prévue à la Loi sur le droit d’auteur — Elles ont obtenu une ordonnance de type Norwich qui obligeait Rogers Communications Inc. à leur communiquer l’identité de l’abonné correspondant à l’adresse IP en question — L’un des appelants, Robert Salna, a été identifié comme étant l’abonné au compte Internet — Les intimées ont déposé une demande devant la Cour fédérale contre M. Salna pour violation en ligne de leurs droits d’auteur — Elles ont allégué trois actes de contrefaçon, dont celui de permettre le téléchargement d’un film au moyen du réseau BitTorrent offrant le fichier à téléverser, ou de téléverser effectivement un film — L’appelant, M. Salna, est le propriétaire d’un immeuble locatif qui offre un accès Internet à ses locataires — La Cour fédérale a reconnu qu’en application du paragraphe 334.16(1) des Règles, l’autorisation du recours collectif est subordonnée au respect de cinq conditions essentielles — Elle a conclu que les intimées ne s’étaient acquittées de leur fardeau à l’égard d’aucune des cinq conditions — Dans un appel incident, les intimées ont affirmé que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision à l’égard de chacune des cinq conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en refusant d’autoriser le recours collectif et si elle a commis une erreur dans sa décision d’adjuger les dépens et de refuser que soit débloqué le cautionnement pour dépens — Les Règles permettent à des demandeurs ou à des défendeurs (que l’instance au principal soit une action ou une demande) de présenter une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif (paragraphes 334.14(2) et 334.14(3) des Règles) — Le juge doit accorder l’autorisation s’il est satisfait aux cinq conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles — La Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision relativement à chaque condition essentielle — Plus particulièrement, les motifs de la Cour fédérale relativement aux quatrième et cinquième conditions (les alinéas 334.16(1)d) et e) des Règles) étant insuffisants pour fournir le fondement nécessaire à un examen en appel, la requête en autorisation a été renvoyée à la Cour fédérale afin qu’elle réexamine l’affaire à la lumière des alinéas 334.16(1)d) et e) des Règles — Les deux parties ont eu raison de contester divers aspects de l’ordonnance de la Cour fédérale quant aux dépens, affirmant que les motifs fournis ne permettaient pas un examen en appel — En l’espèce, la Cour fédérale a adjugé des dépens, sans expliquer pourquoi; cette décision allait à l’encontre de la présomption selon laquelle un recours collectif est un régime sans dépens, sauf dans l’un des cas énoncés à la règle 334.39 — Cette décision était lacunaire sur les plans juridique et factuel — Quant au refus de débloquer les fonds consignés à titre de cautionnement pour dépens, la Cour fédérale a commis une erreur en rendant cette ordonnance après sa décision de ne pas autoriser le recours collectif — Après l’issue de la requête en autorisation, les fonds auraient dû avoir été versés — Cependant, compte tenu du fait que les intimées ont obtenu gain de cause dans l’appel, cette erreur n’a eu aucune conséquence — La requête en autorisation étant renvoyée à la Cour fédérale, la question du cautionnement pour dépens suivrait l’issue de la décision de la Cour fédérale concernant cette requête — En conclusion, la décision de la Cour fédérale et son ordonnance quant aux dépens ont été annulées — La requête en autorisation a été renvoyée à la Cour fédérale afin qu’elle réexamine les questions portant sur les alinéas 334.16(1)d) et 334.16(1)e) des Règles — Appel accueilli et appel incident accueilli en partie.

Droit d’auteur — Pratique — Les appelants ont interjeté appel d’une ordonnance rendue quant aux dépens par suite d’une requête des intimées en autorisation d’exercer un recours collectif (recours collectif inversé) en vertu des paragraphes 334.14(2), 334.14(3) et de la règle 334.16 des Règles des Cours fédérales  — Les intimées ont interjeté un appel incident contre la décision de rejeter cette requête — Les intimées, qui alléguaient une violation par les appelants de leurs œuvres protégées par le droit d’auteur, souhaitaient obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif contre un groupe de défendeurs — Elles ont déterminé les adresses du protocole Internet (IP) des utilisateurs de BitTorrent qui ont téléchargé des œuvres — Elles ont déclenché la procédure d’avis et avis prévue à la Loi sur le droit d’auteur — Elles ont obtenu une ordonnance de type Norwich qui obligeait Rogers Communications Inc. à leur communiquer l’identité de l’abonné correspondant à l’adresse IP en question; l’un des appelants, Robert Salna, a été identifié comme étant l’abonné au compte Internet — Les intimées ont déposé une demande devant la Cour fédérale contre M. Salna pour violation en ligne de leurs droits d’auteur — Elles ont allégué trois actes de contrefaçon — Elles ont qualifié les personnes en cause de « contrefacteurs directs » ou de « contrefacteurs autorisateurs » — Selon les intimées, les contrefacteurs ont contrevenu à l’art. 27(1) de la Loi en tant qu’auteurs d’une violation initiale ou à l’art. 27(2) en tant qu’auteurs d’une violation à une étape ultérieure — La Cour fédérale a tenu pour concluante la preuve d’expert sur la nature de la distinction entre le « téléversement » et le « téléchargement » par BitTorrent — Il s’agissait d’une erreur de droit qui a eu une incidence sur les conclusions de la Cour fédérale quant aux causes d’action concernant la violation initiale et la violation à une étape ultérieure — Les intimées n’ont pas invoqué les faits substantiels nécessaires pour justifier leur prétention quant à une violation à une étape ultérieure — La Cour fédérale a conclu que le recours proposé par les intimées au régime d’avis et avis, prévu à l’art. 41.26 de la Loi, imposait un fardeau excessif aux FSI et interprétait à mauvais droit l’intention du Parlement de concilier les droits des intéressés — L’analyse et les conclusions de la Cour fédérale relativement au régime d’avis et avis et à la possibilité d’y recourir comme outil de communication dans l’instruction du recours ne pouvaient pas être retenues — Elle n’a pas procédé à l’exercice d’interprétation législative nécessaire pour répondre à cette question — Sans connaître les fins précises envisagées, il était prématuré et conjectural pour la Cour fédérale de conclure que les avis prévus à l’art. 41.26 outrepassaient les pouvoirs conférés par la loi et imposeraient un fardeau excessif aux FSI.

Il s’agissait d’un appel et d’un appel incident à l’encontre d’une ordonnance de la Cour fédérale. Les appelants ont interjeté appel de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale quant aux dépens par suite d’une requête des intimées en autorisation d’exercer un recours collectif (recours collectif inversé) en vertu des paragraphes 334.14(2) et 334.14(3) et de la règle 334.16 des Règles des Cours fédérales (les Règles). Les intimées ont interjeté un appel incident contre la décision de la Cour fédérale de rejeter la requête en autorisation. Les intimées, qui alléguaient une violation par les appelants de leurs œuvres protégées par le droit d’auteur, souhaitaient obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif contre un groupe de défendeurs. Elles ont visé la violation en ligne de droits d'auteur sur cinq de leurs films (les œuvres).

BitTorrent est un protocole de partage de fichiers poste à poste qui permet la mise en circulation décentralisée et simultanée de fichiers informatiques par Internet. Le logiciel d’analyse technique utilisé par les intimées a déterminé les adresses du protocole Internet (IP) des utilisateurs de BitTorrent qui ont téléchargé l’une des œuvres. Le logiciel a aussi recueilli des renseignements sur les utilisateurs de BitTorrent offrant de téléverser ces films. Il s’agissait notamment de l’adresse IP utilisée par la source du téléversement. Les intimées ont déclenché la procédure d’avis et avis prévue à la Loi sur le droit d’auteur. Elles ont déterminé qu’une adresse IP en particulier avait offert de téléverser leurs cinq films à différents moments. Elles ont obtenu une ordonnance de type Norwich qui obligeait Rogers Communications Inc. à leur communiquer l’identité de l’abonné correspondant à cette adresse IP. Robert Salna a été identifié comme étant l’abonné au compte Internet. Les intimées ont déposé une demande devant la Cour fédérale contre M. Salna pour violation en ligne de leurs droits d’auteur. Elles ont allégué trois actes de contrefaçon : permettre le téléchargement d’un film au moyen du réseau BitTorrent offrant le fichier à téléverser, ou téléverser effectivement un film, (ii) annoncer l’offre de téléchargement du film au moyen du protocole BitTorrent; (iii) autoriser la contrefaçon en ne prenant aucune mesure raisonnable pour s’assurer que les deux actes illégaux susmentionnés n’ont pas été commis à l’égard d’un compte Internet contrôlé par l’abonné à un compte Internet. Elles ont qualifié les personnes qui commettent l’acte (i) ou (ii) de « contrefacteurs directs » et les personnes qui commettent l’acte (iii) de « contrefacteurs autorisateurs ». Selon les intimées, parmi les contrefacteurs directs, ceux qui ont commis l’acte (i) étaient les auteurs d’une violation initiale (personnes qui ont violé leur droit d’auteur sur les œuvres en contravention au paragraphe 27(1) de la Loi) et ceux qui ont commis l’acte (ii) sont les auteurs d’une violation à une étape ultérieure (personnes qui ont violé leur droit d’auteur sur les œuvres en contravention au paragraphe 27(2) de la Loi).

L’appelant, M. Salna, est le propriétaire d’un immeuble locatif qui offre un accès Internet à ses locataires. Selon lui, ses locataires auraient commis les actes illégaux reprochés, mais ils ont nié avoir commis ces actes illégaux. À l’audience, les intimées ont précisé que le groupe de défendeurs envisagé ne comprendrait que des contrefacteurs directs ou autorisateurs qui étaient abonnés à un compte Internet et qui avaient reçu un avis d’autorisation de leur fournisseur de services Internet (FSI) au cours des six derniers mois.

La Cour fédérale a reconnu qu’en application du paragraphe 334.16(1) des Règles, l’autorisation du recours collectif est subordonnée au respect de cinq conditions essentielles : a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable; b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre; d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs; e) il existe un représentant demandeur qui, en particulier, représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe. La Cour fédérale a conclu que les intimées ne s’étaient acquittées de leur fardeau à l’égard d’aucune des cinq conditions. Elle a conclu également qu’une autre stratégie, la réunion de plusieurs actions individuelles, était préférable à l’autorisation d’un recours collectif. La Cour fédérale a adjugé les dépens aux intimées, mais elle a refusé de débloquer les 75 000 $ consignés auparavant par les intimées à titre de cautionnement pour dépens dans le recours collectif. Dans un appel incident à l’encontre de la décision de la Cour fédérale, les intimées ont affirmé que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision à l’égard de chacune des cinq conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles.

Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en refusant d’autoriser le recours collectif et si elle a commis une erreur dans sa décision d’adjuger les dépens et de refuser que soit débloqué le cautionnement pour dépens.

Arrêt : l’appel de l’ordonnance quant aux dépens doit être accueilli et l’appel incident doit être accueilli en partie.

Les Règles permettent à des demandeurs ou à des défendeurs (que l’instance au principal soit une action ou une demande) de présenter une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif (paragraphes 334.14(2) et 334.14(3) des Règles). Le juge doit accorder l’autorisation s’il est satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 334.16(1). La Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision relativement à chaque condition essentielle. Les conclusions que la Cour fédérale aurait dû tirer concernant les trois premières conditions, prévues aux alinéas 334.16(1)a), b) et c), ont été tirées. Cependant, les motifs de la Cour fédérale relativement aux quatrième et cinquième conditions (les alinéas 334.16(1)d) et e)) étant insuffisants pour fournir le fondement nécessaire à un examen en appel, la requête en autorisation a été renvoyée à la Cour fédérale afin qu’elle réexamine l’affaire à la lumière des alinéas 334.16(1)d) et e).

En ce qui concerne la première condition, le critère à appliquer est le même que pour une requête en radiation : les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable, si les faits allégués sont tenus pour avérés. La Cour fédérale a commis une erreur dans son application du critère. Au lieu de tenir les faits allégués pour avérés, en l’occurrence la prétention des intimées selon laquelle M. Salna lui‑même était un contrefacteur direct, la Cour fédérale a conclu que les intimées n’avaient pas expliqué en quoi des abonnés à un compte Internet étaient des contrefacteurs directs. La Cour fédérale a évalué la preuve étayant cet argument, puis elle a tiré des conclusions mixtes de fait et de droit et des conclusions à l’égard du fond de la demande, notamment de l’argument de M. Salna, selon lequel il n’était pas un contrefacteur direct. Il s’agissait d’une erreur de droit, étant donné qu’à ce stade, il n’incombait pas aux intimées de prouver que M. Salna était un contrefacteur direct. Le juge a également tenu pour concluante la preuve d’expert sur la nature de la distinction entre le « téléversement » et le « téléchargement » par BitTorrent. Il s’agissait d’une erreur de droit qui a eu une incidence sur les conclusions de la Cour fédérale quant aux causes d’action concernant la violation initiale et la violation à une étape ultérieure. Un juge ne devrait pas procéder à une appréciation de la preuve d’expert lorsqu’il doit décider s’il existe une cause d’action valable. Le critère permettant d’établir une violation à une étape ultérieure comporte trois volets : (i) une violation initiale du droit d’auteur s’est produite; (ii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure savait ou aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation du droit d’auteur et (iii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure a vendu, mis en circulation ou mis en vente les œuvres en cause. Les intimées ont invoqué les faits nécessaires pour appuyer une allégation de violation directe et ont également réussi à invoquer les faits substantiels nécessaires pour étayer leur allégation fondée sur une interprétation raisonnable de ce qui constitue l’autorisation d’une violation. Toutefois, elles n’ont pas invoqué les faits substantiels nécessaires pour justifier leur prétention quant à une violation à une étape ultérieure. Les actes de procédure des intimées révélant néanmoins une cause d’action valable fondée sur la violation directe et l’autorisation d’une violation, la condition prévue à l’alinéa 334.16(1)a) des Règles a été remplie.

En ce qui concerne la deuxième condition (il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes), les éléments de preuve étaient suffisants pour démontrer que l’instance ne s’effondrerait pas faute d’un « groupe formé d’au moins deux personnes ». En l’espèce, les éléments de preuve révélaient que l’adresse IP de M. Salna avait été choisie. Cette affirmation a laissé entendre que plus d’une adresse IP a été recensée, ce qui signifie que le groupe proposé comptait plus d’un abonné à un compte Internet.

En ce qui concerne la troisième condition, à savoir l’existence de points de fait et de droit communs, cette condition appelle la Cour à décider si la résolution d’une question est commune aux membres du groupe proposé. Il n’est pas nécessaire que la Cour se demande si l’issue ou la réponse à cette question est la même pour tous les membres du groupe proposé. La principale question à laquelle il fallait répondre était celle de savoir si le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance. Certes, multiplier les exercices d’appréciation de faits individuels complique la gestion d’un recours collectif, mais il faut se demander si l’autorisation du recours favorise les trois principaux objectifs d’un recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice. Les conjectures à l’égard d’une identification erronée ou de l’existence possible de plusieurs scénarios factuels différents n’étaient pas convaincantes. Deuxièmement, les dispositions des Règles applicables aux recours collectifs sont empreintes d’une certaine souplesse, en ce sens que ces dernières prévoient de nombreuses solutions pour régler des questions individuelles qui pourraient survenir.

En ce qui concerne la quatrième condition, il incombe à la personne qui demande l’autorisation de démontrer que la thèse suivant laquelle le recours collectif constitue le meilleur moyen de régler les points communs est étayée d’un certain fondement factuel. Les tribunaux doivent effectuer cette évaluation à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif et garder à l’esprit les principes directeurs. Lorsqu’on applique les principes directeurs à une affaire, il faut examiner toutes les questions pertinentes. La Cour fédérale n’a pas procédé à cette analyse. Elle a tenu compte du plan relatif à la poursuite de l’instance soumis par les intimées, après avoir mentionné au passage à quel point la situation des membres du groupe de défendeurs pouvait différer. Après avoir examiné le plan relatif à la poursuite de l’instance, la Cour fédérale a conclu que la réunion de causes d’action était la meilleure procédure. Cette conclusion n’a pu être retenue. C’est une erreur de droit de tenir compte des réserves sur le plan relatif à la poursuite de l’instance dans l’analyse servant à décider s’il s’agit du meilleur moyen. La Cour fédérale a également conclu, dans son évaluation du plan relatif à la poursuite de l’instance, que la possibilité pour les membres de se retirer du recours collectif était une raison supplémentaire de ne pas autoriser le recours. Il s’agissait là d’une erreur de droit. La possibilité de retrait est prévue dans les Règles (voir, par exemple, l’alinéa 334.17(1)f) et la règle 334.21) et elle n’est pas un motif pour refuser une autorisation. Dans de telles circonstances, où il existe de multiples défendeurs, chacun pouvant être condamné à verser une faible somme d’argent, un recours collectif est un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance. Enfin, il était difficile, au vu de la preuve, de procéder à une véritable analyse visant à déterminer si le recours collectif était préférable à des actions individuelles ou à une seule action contre plusieurs défendeurs. En résumé, il ne s’agissait pas d’une situation où il était possible d’examiner la preuve et d’effectuer l’analyse que le juge n’avait pas effectuée.

La cinquième condition, à savoir l’existence d’un membre représentant convenablement le groupe, fait intervenir quatre sous‑conditions : le représentant défendeur (i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement, (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs, (iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier. L’analyse lacunaire sur ces questions a posé des défis dans le cadre de l’examen en appel. La Cour fédérale a conclu que les intimées n’avaient pas satisfait à la condition voulant qu’il existe un membre représentant du groupe, car elles n’avaient pas démontré que M. Salna avait la motivation pour opposer une défense au recours collectif. Ce raisonnement a mené à la conclusion qu’aucun recours collectif contre un groupe de défendeurs n’aurait de représentant défendeur convenable dans les cas où les conséquences pécuniaires pour chaque membre du groupe étaient modestes. Cette logique était contraire à la raison d’être des recours collectifs, où c’est précisément lorsque le montant des dommages‑intérêts accordés à chaque demandeur ne saurait être élevé que le recours collectif devient le meilleur moyen d’assurer véritablement l’accès à la justice.

La Cour fédérale a conclu que le recours proposé par les intimées au régime d’avis et avis, prévu à l’article 41.26 de la Loi, imposait un fardeau excessif aux FSI et interprétait à mauvais droit l’intention du Parlement de concilier les droits des intéressés. L’analyse et les conclusions de la Cour fédérale relativement au régime d’avis et avis et à la possibilité d’y recourir comme outil de communication dans l’instruction du recours ne pouvaient pas être retenues. Elle n’a pas procédé à l’exercice d’interprétation législative nécessaire pour répondre à cette question. Sans connaître les fins précises envisagées, il était prématuré et conjectural pour la Cour fédérale de conclure que les avis prévus à l’article 41.26 outrepassaient les pouvoirs conférés par la loi et imposeraient un fardeau excessif aux FSI.

Les deux parties ont contesté divers aspects de l’ordonnance de la Cour fédérale quant aux dépens, affirmant que les motifs fournis ne permettaient pas un examen en appel. Elles avaient raison. En l’espèce, la Cour fédérale a adjugé des dépens, sans expliquer pourquoi. Cette décision allait à l’encontre de la présomption selon laquelle un recours collectif est un régime sans dépens, sauf dans l’un des cas énoncés à la règle 334.39. Cette décision était lacunaire sur les plans juridique et factuel, car il était impossible de comprendre pourquoi la décision avait été rendue et de savoir si une erreur avait été commise. Quant au refus de débloquer les 75 000 $ consignés à titre de cautionnement pour dépens, la Cour fédérale a commis une erreur en rendant cette ordonnance après sa décision de ne pas autoriser le recours collectif. Le cautionnement pour dépens a été ordonné « jusqu’à la requête en autorisation, et incluant celle‑ci ». Après l’issue de cette requête, les fonds auraient dû avoir été versés. Cependant, compte tenu du fait que les intimées ont obtenu gain de cause dans l’appel, cette erreur n’a eu aucune conséquence. La requête en autorisation étant renvoyée à la Cour fédérale, la question du cautionnement pour dépens suivrait l’issue de la décision de la Cour fédérale concernant cette requête.

En conclusion, l’appel a été accueilli et l’ordonnance de la Cour fédérale quant aux dépens a été annulée. L’appel incident a été accueilli en partie et la décision de la Cour fédérale a été annulée. La requête en autorisation a été renvoyée à la Cour fédérale afin qu’elle réexamine les questions portant sur les alinéas 334.16(1)d) et e) des Règles.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Décret fixant à la date qui tombe six mois après la date de publication du présent décret la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, TR/2014-58, Gaz. C. 2014.II,2121.

Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27, art. 244.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3, 27, 38.1(1)b),(5), 41.25, 41.26.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 334.14(2), (3), 334.16, 334.17(1)f), 334.18a), 334.19, 334.21, 334.26, 334.27, 334.39.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada c. M. Untel, 2016 CAF 191; ProSys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477; Brake c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 274, [2020] 2 R.C.F. 638; AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S 949; Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199; R. c. G.F., 2021 CSC 20, 2021 CarswellOnt 6893; R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171, 1996 CanLII 198.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339; Voltage Pictures, LLC c. John Doe, 2016 CF 881, conf. par Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, [2018] 2 R.C.S. 643; Chippewas of Sarnia Band v. Canada (Attorney General) (1996), 29 O.R. (3d) 549, 137 D.L.R. (4th) 239, [1996] O.J. no 2475 (QL) (Div. gén.); Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427; Association of Chartered Certified Accountants c. Institut canadien des comptables agréés, 2011 CF 1516, 2011 CarswellNat 5998 (WLNextCan.); Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 1990 CanLII 90; Voltage Pictures, LLC c. Salna, 2017 CF 130, 2017 CarswellNat 6789 (WLNextCan.), conf. par 2017 CAF 221.

DÉCISIONS MentionnÉes:

Tiller c. Canada, 2019 CF 749, 2019 CarswellNat 2361; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Sauer v. Canada (Agriculture), 2008 CanLII 43774, 169 A.C.W.S. (3d) 27 (C. sup. Ont.); Nation crie de Samson c. Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308, [2009] 4 R.C.F. 3, conf. par 2010 CAF 165; Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, [2020] 2 R.C.S. 420; Université York c. Canadian Copyright Licensing Agency (« Access Copyright »), 2020 CAF 77, [2020] 3 R.C.F. 515, inf. par 2021 CSC 32; Century 21 Canada Limited Partnership v. Rogers Communications Inc., 2011 BCSC 1196, 338 D.L.R. (4th) 32; Sirius Canada Inc. c. CMRRA/SODRAC Inc., 2010 CAF 348, [2012] 3 R.C.F. 717; Microsoft Corporation c. Liu, 2016 CF 950, [2017] 2 R.C.F. F‑1; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2012 CF 454; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; Jiang v. Peoples Trust Company, 2017 BCCA 119, 408 D.L.R. (4th) 1; Berry v. Pulley, [2001] O.J. n°. 911(QL), (2001), 197 D.L.R. (4th) 317, [2001] O.T.C. 156 (C. sup.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837; 1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association, 2020 CSC 22,[2020]2 R.C.S.567.

APPEL interjeté à l’encontre d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale quant aux dépens par suite d’une requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre un groupe de défendeurs en vertu des paragraphes 334.14(2) et 334.14(3) et de la règle 334.16 des Règles des Cours fédérales (2019 CF 1412, [2022] 1 R.C.F. D‑13), et APPEL INCIDENT interjeté contre la décision de rejeter cette requête. Appel accueilli, appel incident accueilli en partie.

ONT COMPARU :

Sean N. Zeitz et Ian J. Klaiman pour les appelants/intimés dans l’appel incident.

Kenneth R. Clark et Lawrence Veregin pour les intimées/appelantes dans l’appel incident.

David Fewer pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lipman, Zener, Waxman, LLP, Toronto, pour les appelants/intimés dans l’appel incident.

Aird & Berlis LLP, Toronto, pour les intimées/appelantes dans l’appel incident.

Clinique d’intérêt public et de politiques d’Internet du Canada Samuelson-Glushko, Ottawa, pour l’intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rennie, J.C.A. : La Cour est saisie d’un appel et d’un appel incident contre une ordonnance de la Cour fédérale rendue par le juge Boswell (2019 CF 1412, [2022] 1 R.C.F. F-22). Une modification a été apportée à l’intitulé dans la présente affaire, afin de corriger une erreur d’écriture. Les appelants, Robert Salna, James Rose et Loridana Cerilli, interjettent appel de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale quant aux dépens par suite d’une requête en autorisation d’exercer un recours collectif. Les intimées, Voltage Pictures LLC, Cobbler Nevada, LLC, PTG Nevada, LLC, Clear Skies Nevada, LLC, Glacier Entertainment S.A.R.L. of Luxembourg, Glacier Films 1, LLC et Fathers & Daughters Nevada, LLC (Voltage), interjettent un appel incident de la décision de la Cour fédérale de rejeter la requête en autorisation.

[2]        Voltage, qui allègue une violation par les appelants de ses œuvres protégées par le droit d’auteur, souhaite obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif contre un groupe de défendeurs. L’action intentée par Voltage et communément appelée un « recours collectif inversé » visait la violation en ligne de droits d’auteur sur cinq de ses films : Un cordonnier bien chaussé, Intraçable, Drones, Père et fille et Braquage américain (les œuvres).

[3]        En l’espèce, le fondement factuel sur lequel repose l’allégation de violation de droit d’auteur est très éloigné de celui qui a été présenté à la Cour suprême dans l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 (CCH)). Dans cette affaire, des stagiaires en droit, après avoir traversé la Grande bibliothèque d’Osgoode Hall aux planchers en bois grinçants et usés, ont introduit une pièce de cinq cents dans l’unique photocopieuse, souvent défectueuse, et ont copié, page par page, des recueils d’arrêts. Beaucoup de choses ont changé depuis la décision CCH rendue il y a 17 ans. Les manières dont le contenu et les voies de création artistique ont évolué n’étaient pas imaginables en 2004. Pour qu’elles demeurent applicables, les règles de droit doivent s’adapter à l’évolution de l’environnement numérique, aux voies d’expression de l’activité artistique et aux moyens de violation du droit d’auteur.

[4]        Le recours collectif inversé proposé permet d’éprouver les limites de ce qui constitue la violation de droit d’auteur. Il s’agit aussi d’une évolution innovante des moyens employés par les auteurs pour tenter de protéger leur œuvre dans un environnement numérique. La nouveauté du recours collectif proposé ne justifie pas, contrairement à ce que la Cour fédérale a conclu, le rejet de la demande d’autorisation. Au bout du compte, il se peut que le recours collectif proposé échoue pour les motifs que j’explique ci-après. Or, le juge a commis une erreur en présumant que ce serait le cas à une étape aussi précoce. Il faut permettre au droit d’évoluer.

[5]        J’estime que l’appel incident devrait être accueilli en partie. Avant de préciser les motifs qui sous-tendent cette conclusion, je formule trois observations.

[6]        Premièrement, la Cour fédérale a commis une erreur dans son application de la condition portant sur l’existence, dans la demande d’autorisation, d’une cause d’action valable.

[7]        Deuxièmement, si le raisonnement de la Cour fédérale l’emportait, Voltage et les entreprises se trouvant dans pareille situation ne disposeraient, dans de nombreux cas, d’aucun recours en cas de violation de leur droit d’auteur : un recours collectif contre un groupe de défendeurs n’est pas possible et la réunion de milliers d’actions individuelles n’est simplement pas possible.

[8]        Troisièmement, je reconnais que les défendeurs proposés ont émis plusieurs doutes sérieux quant à la viabilité, sur les plans juridique et administratif, du recours collectif. Il était toutefois prématuré de supposer que ces doutes se concrétiseraient et qu’ils seraient fatals à la demande d’autorisation. Des problèmes pourraient survenir plus tard et le retrait de l’autorisation demeure une possibilité « si les conditions d’autorisation ne sont plus respectées » (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 334.19; Tiller c. Canada, 2019 CF 749, 2019 CarswellNat 2361(WLNextCan.)?, au paragraphe 21).

I.     Exposé des faits

[9]        Commençons par le contexte de l’allégation de violation décrite dans la demande d’autorisation.

[10]      BitTorrent est un protocole de partage de fichiers poste à poste qui permet la mise en circulation décentralisée et simultanée de fichiers informatiques par Internet. Le protocole étant décentralisé, les dépenses individuelles et l’utilisation de la bande passante demeurent faibles (dossier d’appel, à la page 105; affidavit de M. Perino, au paragraphe 2(j)).

[11]      Les utilisateurs du logiciel BitTorrent sont connectés entre eux. Une fois connecté, l’utilisateur télécharge des segments des fichiers disponibles en petites quantités, ou paquets de données. On peut comparer le fichier à un casse-tête terminé et les paquets aux pièces du casse-tête. Une fois téléchargé, le fichier de données peut être téléversé afin d’être téléchargé par d’autres utilisateurs de BitTorrent appelés [traduction] « postes » (avis de demande modifié de Voltage, au paragraphe 17). Les postes peuvent ainsi télécharger des paquets de données, ou pièces du casse-tête, à partir de diverses sources, tout en téléversant simultanément ce contenu pour permettre à d’autres de le télécharger (dossier d’appel, aux pages 105, 519 et 520; affidavit de M. Perino, au paragraphe 2(h); affidavit de M. Lethbridge, au paragraphe 11).

[12]      Chaque paquet de données et fichier a son propre numéro de [traduction] « hachage » unique et identifiable, créé à l’aide d’un algorithme mathématique (avis de demande modifié de Voltage, au paragraphe 18). En fin de compte, il est possible d’obtenir un fichier complet en téléchargeant tous les paquets requis à partir des divers postes. Les postes qui mettent des fichiers ou des paquets à la disposition de ceux qui les téléchargent sont considérés comme « la source » du téléversement. Une source peut fournir, aux fins du téléchargement, une partie du fichier ou le fichier intégral (dossier d’appel, à la page 105; affidavit de M. Perino, au paragraphe 2(h)). Il est toutefois rare qu’une personne reçoive un fichier complet à télécharger d’une seule source (dossier d’appel, à la page 105; affidavit de M. Perino, au paragraphe 2(i)). Finalement, le fichier complet ou casse-tête, en l’occurrence, le film, est assemblé, pièce par pièce, pour en permettre le visionnement.

[13]      Pour ajouter des fichiers ou pour permettre à d’autres postes de les télécharger, au moins un utilisateur qui détient une copie complète du fichier en question doit être connecté. Cet utilisateur « dissémine » le fichier pour qu’il puisse être téléchargé par les autres postes (avis de demande modifié de Voltage, au paragraphe 17). Une fois qu’un poste a téléchargé un fichier complet, il peut aussi le disséminer (dossier d’appel, à la page 105; affidavit de M. Perino, au paragraphe 2(g)).

[14]      BitTorrent étant un protocole de partage de fichiers, une fois que ceux-ci sont partagés dans le réseau, ils le sont par tous les utilisateurs. Par conséquent, le téléversement ou l’offre de téléversement des fichiers ou des paquets de données peut être effectué sans que l’utilisateur en ait connaissance et peut se produire chaque fois qu’un utilisateur de BitTorrent est connecté à Internet.

[15]      Le logiciel d’analyse technique utilisé par Voltage a déterminé les adresses du protocole Internet (IP) des utilisateurs de BitTorrent qui ont téléchargé l’une des œuvres. Le logiciel a aussi recueilli des renseignements sur les utilisateurs de BitTorrent offrant de téléverser ces films. Il s’agissait notamment de l’adresse IP utilisée par la source du téléversement, de la date et de l’heure auxquelles le film a été rendu disponible aux fins de téléversement, sous forme de fichier informatique et des métadonnées du fichier, notamment le nom et la taille du fichier informatique contenant le film et le numéro de hachage BitTorrent.

[16]      Une adresse IP permet aux données transmises par Internet d’être reçues par l’appareil destinataire voulu. Chaque adresse IP existante est attribuée, en groupes ou en blocs, à différents fournisseurs de services Internet (FSI), comme Rogers, Telus ou Bell. Les FSI attribuent à leur tour des adresses IP individuelles aux appareils se connectant à Internet de leurs clients, comme un routeur Internet, qui sont contractuellement obligés de payer pour les services Internet offerts par un FSI (abonnés à un compte Internet). Bien que chaque appareil se connectant à Internet ait sa propre adresse IP, il peut se connecter à une variété d’autres appareils utilisant Internet, p. ex. ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles. La même adresse IP permet ainsi à plusieurs appareils d’établir simultanément une connexion Internet.

[17]      Les titulaires de droits d’auteur qui déterminent qu’une adresse IP a servi à la contrefaçon de leurs œuvres peuvent exiger d’un FSI qu’il transmette un avis de prétendue violation à l’abonné à un compte Internet associé à cette adresse IP (Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, articles 41.25 à 41.26). Il s’agit du régime d’« avis et avis ». Les FSI sont tenus de conserver les dossiers permettant l’identification de ces abonnés à un compte Internet pendant six mois à compter de la date à laquelle l’abonné a reçu l’avis de prétendue violation (Loi sur le droit d’auteur, alinéa 41.26(1)b)). Le titulaire d’un droit d’auteur peut poursuivre, pour violation du droit d’auteur, l’abonné à un compte Internet qui a reçu l’avis de prétendue violation. Bien que cela puisse être évident, pour identifier le contrevenant soupçonné — et partant le défendeur potentiel — le titulaire d’un droit d’auteur doit solliciter une ordonnance de type Norwich, qui exige que le FSI lui révèle le nom de l’abonné à un compte Internet.

[18]      Je reviens ci-après sur l’importance de la période de conservation de six mois pour la composition du groupe de défendeurs.

[19]      Voltage a demandé l’application de la procédure d’avis et avis prévue à la Loi sur le droit d’auteur. Elle a réuni les adresses IP, les dates et heures auxquelles la prétendue violation s’est produite et les FSI associés à ces adresses IP. Elle a ensuite demandé aux FSI d’envoyer aux abonnés aux comptes Internet associés à ces adresses IP des avis de prétendue violation.

[20]      Il est ressorti des adresses IP relevées par le logiciel qu’une adresse, soit 174.112.37.227, avait offert de téléverser les cinq films de Voltage à différents moments. Voltage a obtenu une ordonnance de type Norwich qui obligeait Rogers Communications Inc. à lui communiquer l’identité de l’abonné correspondant à cette adresse IP. Après un appel interjeté à la Cour suprême du Canada (Voltage Pictures, LLC c. John Doe, 2016 CF 881(Voltage-Norwich), au paragraphe 14, conf. par Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, [2018] 2 R.C.S. 643 (Rogers)), Rogers Communications Inc. a identifié Robert Salna comme étant l’abonné au compte Internet.

[21]      Voltage a déposé une demande devant la Cour fédérale contre l’abonné au compte Internet correspondant à cette adresse IP, M. Salna, pour violation en ligne de ses droits d’auteur. Voltage lui reprochait trois actes de contrefaçon : (i) permettre le téléchargement d’un film au moyen du réseau BitTorrent offrant le fichier à téléverser, ou téléverser effectivement un film, (ii) annoncer l’offre de téléchargement du film au moyen du protocole BitTorrent; (iii) autoriser la contrefaçon en ne prenant aucune mesure raisonnable pour s’assurer que les deux actes illégaux susmentionnés n’ont pas été commis à l’égard d’un compte Internet contrôlé par l’abonné à un compte Internet.

[22]      Voltage qualifie les personnes qui commettent l’acte (i) ou (ii) de [traduction] « contrefacteurs directs » et les personnes qui commettent l’acte (iii) de « contrefacteurs autorisateurs ». Selon Voltage, parmi les contrefacteurs directs, ceux qui ont commis l’acte (i) sont les auteurs d’une violation initiale (en contravention au paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur) et ceux qui ont commis l’acte (ii) sont les auteurs d’une violation à une étape ultérieure (en contravention au paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur et à l’arrêt CCH, au paragraphe 81). Voltage décrit ainsi (contrefacteur direct, contrefacteur autorisateur, auteur d’une violation initiale et auteur de la violation à une étape ultérieure) ceux qui ont commis différents actes de contrefaçon interdits par la Loi sur le droit d’auteur.

[23]      Voltage a ensuite présenté une requête afin de faire autoriser sa demande à l’encontre de M. Salna comme recours collectif contre un groupe de défenseurs (un « recours collectif inversé ») au titre des paragraphes 334.14(2), 334.14(3) et la règle 334.16 des Règles des Cours fédérales. Notre Cour est maintenant saisie de l’appel du rejet de cette requête.

[24]      M. Salna est le propriétaire d’un immeuble locatif qui offre un accès Internet à ses locataires. Selon lui, ses locataires, James Rose et Loredana Cerilli, auraient commis les actes illégaux reprochés. M. Rose et Mme Cerilli ont pour leur part nié avoir commis les actes illégaux que leur reproche Voltage. Ils ont ajouté qu’il était possible que la connexion Internet de M. Salna ait été compromise par d’autres utilisateurs, dont leurs proches, des invités ou des pirates informatiques.

[25]      Voltage a nommé M. Rose et Mme Cerilli comme représentants défendeurs proposés dans le recours collectif envisagé. Or, à l’audience, Voltage a précisé que le groupe de défendeurs envisagé ne comprendrait que des contrefacteurs directs ou autorisateurs qui étaient abonnés à un compte Internet et qui avaient reçu un avis d’autorisation de leur FSI au cours des six derniers mois. Selon cette description de groupe modifiée, M. Rose et Mme Cerilli ne pouvaient être les représentants défendeurs.

II.    Décision de la Cour fédérale

[26]      La Cour fédérale commence son analyse en indiquant les objectifs des recours collectifs inversés : (i) faciliter l’accès à la justice; (ii) économiser les ressources judiciaires et les frais de litige privés; (iii) empêcher la tenue d’autres instances soulevant les mêmes questions; (iv) répartir les dépenses et trancher des points communs à plusieurs défendeurs et (v) modifier les comportements nuisibles (Chippewas of Sarnia Band v. Canada (Attorney General) (1996), 29 O.R. (3d) 539, 137 D.L.R. (4th) 239, [1996] O.J. no 2475 (QL) (Div. gén.) (Chippewas), au paragraphe 16; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534 (Dutton), aux paragraphes 27 à 29; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158 (Hollick), aux paragraphes 15, 16 et 25).

[27]      La Cour fédérale reconnaît qu’une requête en autorisation est de nature procédurale et a pour objet de déterminer l’instruction du litige, et non ses chances de succès (Sauer v. Canada (Agriculture), 2008 CanLII 43774, 169 A.C.W.S. (3d) 27 (C. sup. Ont.), au paragraphe 12). Elle reconnaît également qu’en application du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, l’autorisation du recours collectif est subordonnée au respect des cinq conditions essentielles suivantes :

Conditions

334.16 (1) […]

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[28]      Il appartient à la partie qui présente la requête d’établir un fondement probatoire pour chaque condition d’autorisation (Nation crie de Samson c. Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308, [2009] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 32, conf. par 2010 CAF 165), autre que l’exigence voulant que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. Le respect de cette exigence se vérifie simplement sur examen des actes de procédure eux-mêmes (Hollick, au paragraphe 25).

[29]      La Cour fédérale conclut que Voltage ne s’est acquittée de son fardeau à l’égard d’aucune des cinq conditions.

[30]      En ce qui concerne la première condition, selon laquelle les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable, la Cour fédérale détermine qu’à ce stade, Voltage n’a étayé ses allégations ni à l’égard des contrefacteurs directs (tant les auteurs d’une violation initiale que les auteurs d’une violation à une étape ultérieure) ni à l’égard des contrefacteurs autorisateurs.

[31]      Étant donné que Voltage n’a fourni aucune description de la manière dont les contrefacteurs directs pourraient être identifiés, une violation initiale du droit d’auteur n’a pas été établie (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 68 et 77). Dans son avis de demande, Voltage n’a pas réussi à identifier un seul contrefacteur direct qui était également abonné à un compte Internet. Ce manquement empêcherait l’autorisation d’un recours collectif, car il n’y avait pas de représentant des auteurs d’une violation initiale.

[32]      De même, la Cour fédérale détermine qu’une violation à une étape ultérieure n’a pas été établie, étant donné que la preuve du témoin expert démontre qu’il n’y a aucune différence entre le téléversement et le téléchargement d’un fichier par BitTorrent et que le partage de fichiers peut se produire à l’insu de l’utilisateur ou sans qu’il y consente. Une fois qu’un fichier est partagé, il l’est par tous. En outre, [traduction] « annoncer une œuvre » n’était pas une cause d’action reconnue par la Loi sur le droit d’auteur.

[33]      En ce qui concerne la dernière cause d’action soulevée par Voltage, la Cour fédérale rejette l’allégation relative à un [traduction] « contrefacteur autorisateur », car elle est fondée sur une interprétation trop large de l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (SOCAN), aux paragraphes 127 et 128 et des obligations juridiques imposées à un abonné à un compte Internet, sous le régime d’avis et avis prévu à la Loi sur le droit d’auteur.

[34]      En ce qui concerne la deuxième condition essentielle d’autorisation, selon lequel des éléments de preuve établissant l’existence d’un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes sont nécessaires, la Cour fédérale fait remarquer que, dans sa plaidoirie, Voltage a changé sa description du groupe et a exclu deux des défendeurs nommés, soit M. Rose et Mme Cerilli, de son groupe proposé. Il ne restait que Robert Salna comme unique représentant défendeur, mais comme il n’était pas un contrefacteur direct, il ne pouvait agir comme représentant défendeur dans cette cause d’action. Bien que Voltage ait fait référence, dans une note de bas de page, à des milliers d’autres adresses IP, cette mention, à elle seule, ne constituait pas « des éléments de preuve ». Il ne s’agissait que de « simples affirmations » (Canada c. M. Untel, 2016 CAF 191 (M. Untel), au paragraphe 33). À la lumière des affidavits des témoins experts, la Cour fédérale conclut que déterminer la responsabilité pour la contrefaçon associée à chaque adresse IP se révèlera un exercice technique difficile. Par conséquent, aucun groupe précis formé d’au moins deux personnes n’a été établi.

[35]      Quant à la troisième condition essentielle, Voltage affirme que son recours collectif envisagé révèle neuf questions de fait ou de droit communes :

[traduction]

1. Chacun des films de Voltage estil une œuvre cinématographique originale à l’égard de laquelle un droit d’auteur subsiste?

2. La demanderesse concernée détientelle les droits d’auteur sur les films en question?

3. Les actes illégaux reprochés par Voltage constituentils une violation du droit d’auteur?

4. Les actes illégaux reprochés par Voltage constituentils une offre de film par télécommunication interdite par les dispositions de la Loi sur le droit dauteur?

5. L’un des défendeurs atil consenti à un acte illégal reproché par Voltage, ou atil autorisé un tel acte?

6. Les abonnés à un compte Internet ontils :

a) détenu un contrôle suffisant à l’égard de l’utilisation de leurs comptes Internet ainsi que des ordinateurs et appareils connexes connectés à Internet, de sorte qu’ils ont autorisé, sanctionné, approuvé ou favorisé les violations reprochées par Voltage?

b) besoin d’un préavis pour être jugés responsables de l’autorisation, auquel cas un avis aux termes d’une entente avec un FSI estil suffisant pour engager leur responsabilité à l’égard des actes des contrefacteurs directs, ou un avis direct précis estil nécessaire?

c) reçu un avis de violation, et, si un tel avis leur avait été envoyé, mais qu’ils ont choisi d’en faire fi, cela constituetil une autorisation de la violation du droit d’auteur, et l’aveuglement volontaire suffitil pour emporter une autorisation de la violation du droit d’auteur?

7. Existetil des moyens de défense pouvant être invoqués par le groupe contre la violation du droit d’auteur, y compris une défense fondée sur l’utilisation équitable?

8. Combien de dommagesintérêts l’article 38.1 de la Loi sur le droit dauteur permet-il?

9. Y atil lieu d’accorder une injonction dans la présente affaire?

[36]      La Cour fédérale rejette l’allégation de Voltage. Selon elle, seules les deux premières questions étaient des questions communes, étant donné que les réponses aux sept autres questions différeraient en fonction des circonstances factuelles de chaque défendeur.

[37]      À l’égard de la quatrième condition, la Cour fédérale détermine que le plan de Voltage relativement à la poursuite de l’instance est ingérable. Le recours collectif envisagé soulève plus de points individuels que de points communs au sein du groupe; autoriser le recours collectif ne permettrait pas d’économiser des ressources judiciaires ni des frais. Deuxièmement, le recours collectif envisagé s’appuie à tort sur les ressources publiques, car le plan envisagé relatif à la poursuite de l’instance exigerait que les FSI envoient des mises à jour régulières sur le recours collectif par l’intermédiaire du régime d’avis et avis prévu par la Loi sur le droit d’auteur. Le juge de la Cour fédérale conclut qu’une telle démarche est contraire à l’intention du législateur. Quatrièmement, le plan envisagé relatif à la poursuite de l’instance précise que les membres du groupe peuvent [traduction] « se retirer » du groupe s’ils ont des points particuliers à soulever. Cependant, si tous les membres du groupe se retirent, il n’y a plus de recours collectif.

[38]      Enfin, la Cour fédérale conclut qu’il n’y a pas de représentant défendeur convenable ayant un intérêt à présenter une défense à la demande au nom d’un groupe. Si dans l’affaire Chippewas il est précisé que le consentement ou la réticence d’un représentant proposé ne constitue pas un obstacle à l’autorisation d’un recours collectif (aux paragraphes 45 et 46), Voltage n’a pas démontré qu’en l’espèce, le défendeur proposé a la capacité financière et la motivation pour opposer une défense à la demande, avec diligence et vigueur.

[39]      Pour ces quatre motifs, la Cour fédérale est d’avis qu’une autre stratégie, la réunion de plusieurs actions individuelles, est préférable à l’autorisation d’un recours collectif.

[40]      Ayant refusé d’autoriser le recours collectif, la Cour fédérale adjuge au défendeur ses dépens. Cependant, elle refuse de débloquer les 75 000 $ consignés auparavant par Voltage, à titre de cautionnement pour dépens dans le recours collectif, car cette dernière a exprimé son souhait de poursuivre la demande par une autre voie de droit. Bien que M. Salna ait demandé les dépens sur une base procureur-client, la Cour fédérale a accordé aux parties 20 jours pour en négocier le montant. À défaut d’entente, l’une ou l’autre partie pouvait demander la taxation des dépens, conformément aux Règles des Cours fédérales.

[41]      Deux questions sont soulevées dans l’appel :

1)    La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en refusant d’autoriser le recours collectif?

2)    La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans sa décision d’adjuger les dépens et de refuser que soit débloqué le cautionnement pour dépens?

III.   Les thèses des parties

A.    Appel incident de la décision de refuser l’autorisation

[42]      Voltage forme un appel incident à l’égard du refus par la Cour fédérale d’autoriser le recours. Elle affirme que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision à l’égard de chacune des cinq conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales.

[43]      En ce qui concerne la première condition, soit la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable, Voltage affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en tenant compte d’éléments de preuve étrangers à l’analyse. Cette analyse doit reposer sur l’hypothèse que les faits invoqués sont avérés (Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, [2020] 2 R.C.S. 420, au paragraphe 14; ProSys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477 (Pro-Sys), au paragraphe 63). Dans sa déclaration, Voltage précise que M. Salna et chaque membre du groupe sont les auteurs d’une violation initiale (voir, p. ex., les paragraphes 6 et 24 de l’avis de demande modifié). La Cour devait tenir ces déclarations pour avérées, sans tenir compte d’autres éléments de preuve ou de tout autre élément matériel, notamment de la déclaration de M. Salna, selon laquelle il n’est pas un contrefacteur direct.

[44]      De même, Voltage soutient que la Cour a tenu compte à tort de la preuve d’expert sur les différences entre le téléchargement et le téléversement par BitTorrent avant de conclure que les éléments permettant d’établir une violation à une étape ultérieure étaient voués à l’échec. Voltage indique qu’elle a avancé les faits que requièrent les trois critères permettant d’établir la violation à une étape ultérieure qui sont mentionnés dans l’arrêt CCH, au paragraphe 81. Elle affirme :

[traduction]

(i) que la violation initiale qui s’est produite est invoquée au paragraphe 42 de l’avis de demande modifié et qu’elle est étayée par les paragraphes 33 à 37, 6 à 12, 14 et 24;

42. M. Untel no 1 Salna et chaque membre du groupe proposé offrent de téléverser au moins une des œuvres, au moyen du protocole BitTorrent. Les parties qui se sont jointes à Voltage invoquent le fait que cette offre de téléversement est notamment une communication au public par télécommunication au sens de la Loi sur le droit d’auteur et, par conséquent, qu’elle enfreint le paragraphe 27(1) de cette Loi. En outre, l’acte de proposer le téléversement et les actes illégaux découlent d’une reproduction non autorisée des œuvres et, par conséquent, M. Untel no 1 Salna et chaque membre du groupe proposé ont reproduit illégalement les œuvres et violé les droits d’auteur sur les œuvres, en contravention au paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur.

(ii) que l’auteur de la violation à une étape ultérieure savait ou aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation du droit d’auteur; ce fait étant indiqué au paragraphe 43 et étayé par le paragraphe 24(c) de l’avis de demande modifié;

24. Aux fins de la présente instance, ce qui suit constitue les actes illégaux commis par chaque membre du groupe proposé, y compris M. Untel no 1 Salna :

[...]

(c) ne prendre aucune mesure, même raisonnable, pour s’assurer qu’une personne qui télécharge une œuvre a été autorisée à le faire par la loi.

[...]

43. […] M. Untel no 1 Salna et chaque membre du groupe proposé savaient ou auraient dû savoir que la production d’une copie de cette œuvre violerait le droit d’auteur sur cette œuvre si elle avait été créée au Canada par son auteur […]

(iii) que l’auteur de la violation à une étape ultérieure ait vendu, mis en circulation ou mis en vente la marchandise en cause, ce fait étant indiqué au paragraphe 43 et étayé par la description de la diffusion massive des films en cause au moyen d’un logiciel poste-à-poste qui est énoncée aux paragraphes 33 à 37 de l’avis de demande modifié;

37. Au moyen de la méthode [d’un logiciel d’analyse technique], les parties qui se sont jointes à Voltage ont identifié M. Untel no 1 Salna comme étant l’un des nombreux utilisateurs qui se sont livrés aux actes illégaux en proposant de téléverser les œuvres en commettant les actes illégaux [...]

[...]

43. L’acte de proposer de téléverser une œuvre à toute personne qui cherche à télécharger cette œuvre consiste à :

(a) mettre en circulation cette œuvre, de façon à porter préjudice aux parties qui se sont jointes à Voltage;

(b) mettre en circulation et expose cette œuvre, dans un but commercial;

(c) posséder cette œuvre afin de commettre les actes énoncés aux alinéas (a) et (b).

[45]      En outre, selon Voltage [traduction] « annoncer une œuvre aux fins de téléchargement » est interdit par l’alinéa 27(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur. Cette expression facile à comprendre signifie simplement exposer ou proposer au public une œuvre aux fins de téléchargement, tout comme « annoncer » équivaut à offrir en vente, une violation reconnue par le paragraphe 27(2) de la Loi. La seule différence tient à ce que l’offre est acceptée, non pas au moyen d’une visite en magasin pour y effectuer un achat, ou par l’introduction d’une pièce de cinq cents dans une photocopieuse, mais par un clic de souris.

[46]      Voltage affirme également que sa prétention relative à un [traduction] « contrefacteur autorisateur » est fondée en droit, car le concept est visé aux paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Étant donné que tous les membres du groupe proposé sont des abonnés à un compte Internet, chacun est responsable de l’autorisation des violations du droit d’auteur qui sont perpétrées au moyen de leurs adresses IP. Cette thèse n’est pas vouée à l’échec, et l’arrêt CCH n’exclut pas cette cause d’action, surtout compte tenu des commentaires formulés dans l’arrêt SOCAN, aux paragraphes 124 et 127.

[47]      Enfin, la Cour fédérale a commis une erreur, étant donné que la question de la cause d’action valable avait déjà été tranchée et appartenait à la chose jugée. La Cour avait déjà déterminé que les demandes étaient valables lorsqu’elle avait décidé d’accorder l’ordonnance de type Norwich qui a permis d’identifier M. Salna.

[48]      En ce qui concerne la deuxième condition, Voltage reconnaît qu’elle a modifié sa description du groupe proposé pour éviter une appréciation individuelle inutile des faits. Cependant, la Cour fédérale a commis une erreur en n’admettant pas que Voltage possède la preuve que des milliers d’autres adresses IP ont servi, par le truchement de BitTorrent, à violer les droits d’auteur de Voltage sur ses cinq films. Voltage fait valoir que le juge a enfreint la règle établie voulant qu’un tribunal, lorsqu’il évalue une cause d’action pour déterminer si elle est valable, n’aille pas au-delà des actes de procédure pour examiner les éléments de preuve, comme il l’a fait pour conclure que M. Salna n’est effectivement pas un contrefacteur direct. Cette décision concerne le fond de la demande.

[49]      Quant à la troisième condition, Voltage affirme que le juge a commis une erreur de droit, suivant l’arrêt Brake c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 274, [2020] 2 R.C.F. 638 (Brake), aux paragraphes 76 à 78, en s’attachant à savoir si la réponse à chaque question serait la même pour chaque membre du groupe. Voltage allègue que, suivant l’arrêt Brake, la Cour fédérale aurait dû plutôt se demander si la résolution de ces questions était nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe. Les demandes des membres du groupe doivent avoir un élément important en commun pour que soit justifiée l’autorisation.

[50]      À l’égard de la quatrième condition, Voltage prétend que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en accordant de l’importance au nombre possible de questions et de faits individuels, au lieu de tenir compte du critère énoncé dans les arrêts AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S 949 (Fischer) et Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 (Wenham), (Brake, au paragraphe 87). Les paragraphes suivants, tirés de l’arrêt Brake, décrivent ce que la Cour fédérale aurait dû examiner [aux paragraphes 85 et 86] :

Les principes régissant la question de savoir si un recours collectif constitue le meilleur moyen ont été énoncés au paragraphe 77 de l’arrêt Wenham (mentionnant l’arrêt Hollick, aux paragraphes 27 à 31) :

[traduction]

a) le critère du meilleur moyen comporte deux concepts fondamentaux :

(i) premièrement, la question de savoir si le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance;

(ii) deuxièmement, la question de savoir si le recours collectif serait préférable à tous les autres moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe;

b) pour faire cette détermination, il faut examiner les questions communes dans leur contexte, en tenant compte de l’importance des questions communes par rapport à la demande dans son ensemble;

c) le critère du meilleur moyen peut être satisfait même lorsqu’il y a d’importantes questions individuelles; il n’est pas nécessaire que les questions communes prévalent sur les questions individuelles.

L’analyse relative au meilleur moyen « “s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice” » : Fischer, au paragraphe 22, cité par Wenham, au paragraphe 78.

[51]      À l’égard de ce critère, Voltage affirme que plusieurs éléments militent en faveur d’un recours collectif, et non d’une réunion de causes d’action. Une solution à la violation massive du droit d’auteur est la défense collective de droits par les créateurs (Université York c. Canadian Copyright Licensing Agency (« Access Copyright »), 2020 CAF 77, [2020] 3 R.C.F. 515, au paragraphe 203, inf. sur un autre point par 2021 CSC 32), une autre solution étant qu’un créateur seul poursuive un grand nombre de contrefacteurs. Essentiellement, ce que propose Voltage est l’inverse d’une action intentée par un groupe. Les recours collectifs sont un moyen efficace de lutter contre la violation massive du droit d’auteur, car ils rendent possible la résolution de questions communes et ils permettent aux intervenants ou à un amicus curiae désigné par le tribunal de présenter des observations concernant une seule demande, plutôt que des milliers.

[52]      En outre, Voltage fait valoir que le plan relativement à la poursuite de l’instance qu’elle propose ne fait pas appel aux ressources publiques et que, si un recours collectif était autorisé, M. Salna disposerait de solutions de financement. L’approche que la Cour fédérale proposait nécessitait que chaque personne assume ses propres frais de défense en cas de poursuite. Même faute de financement, la représentation de multiples défendeurs par un seul avocat permet le partage des coûts et l’utilisation efficace des ressources judiciaires.

[53]      Enfin, aucun élément de preuve n’indique que l’utilisation proposée par Voltage du régime d’avis et avis ne convenait pas ou qu’elle aurait accablé de travail les FSI. Chaque mois, les FSI envoient automatiquement de 200 000 à 300 000 avis (Rogers, au paragraphe 40). Voltage affirme qu’elle devrait être autorisée à utiliser ce régime de manière novatrice, étant donné que la politique qui sous-tend le régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur encourage le marché à trouver des solutions qui dépassent le cadre de la loi afin de réprimer la violation du droit d’auteur.

[54]      Quant à la dernière condition, Voltage affirme que l’absence de volonté de la part de M. Salna à défendre la demande n’empêche nullement l’autorisation d’un recours collectif (Chippewas, au paragraphe 45). En fait, l’affidavit dans lequel il se déclare froid à l’idée est fondé sur la fausse hypothèse selon laquelle il n’aurait pas à défendre une action intentée contre lui seul, si l’autorisation n’était pas donnée. Si la demande d’autorisation est rejetée, Voltage prévoit intenter une action individuelle en contrefaçon contre M. Salna. Dans un cas comme dans l’autre, M. Salna devra donc engager des frais. Or, dans le cadre du recours collectif inversé envisagé, ces frais seraient largement répartis entre les membres du groupe.

B.    La thèse de M. Salna sur l’appel incident

[55]      En ce qui concerne la deuxième condition, M. Salna rappelle à la Cour qu’il incombe à la partie requérante de présenter des éléments de preuve établissant l’existence d’un groupe formé d’au moins deux personnes. Dans son affidavit, l’expert de Voltage n’a recensé qu’une seule adresse IP, celle de M. Salna, qui aurait rendu les œuvres disponibles pour le téléversement. La prétention précédente de Voltage, formulée dans une note de bas de page, selon laquelle des milliers d’adresses IP auraient servi à la contrefaçon, a été supplantée par l’admission de la société suivant laquelle les recours collectifs doivent être limités dans le temps (renvoyant à l’arrêt Hollick, au paragraphe 17) et que le groupe proposé se limitait aux auteurs de violations commises au cours des six derniers mois. Sans cela, la note de bas de page dans les actes de procédure constitue une simple affirmation concernant l’existence d’autres membres du groupe.

[56]      M. Salna rappelle qu’outre les questions 1) et 2), les sept autres questions de fait et de droit n’étaient pas, en fait, des questions communes. Une appréciation individuelle des faits serait nécessaire pour établir le type de violation, s’il y a lieu, commis par chaque abonné à un compte Internet, pour savoir s’ils avaient des moyens de défense individuels, outre l’utilisation équitable, et pour déterminer le montant des dommages-intérêts, compte tenu des critères énoncés au paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur.

[57]      M. Salna défend la conclusion de la Cour fédérale concernant la quatrième condition, à savoir que le recours collectif ne serait pas le meilleur moyen. La Cour fédérale a examiné à bon droit l’objet des recours collectifs et a exprimé des doutes quant aux faits très personnels liés à la situation de chaque défendeur proposé, aux ressources publiques nécessaires, au recours exagéré au régime d’avis et avis et à la possibilité que chaque intimé puisse simplement [traduction] « se retirer » du recours collectif. Le juge a droit à la déférence lors de la pondération de ces critères, et l’intimée n’a pas soulevé d’erreur manifeste et dominante.

[58]      Enfin, M. Salna souligne que la Cour fédérale n’a pas fait fi du principe selon lequel l’absence de volonté à défendre une demande n’empêche pas l’autorisation. Cependant, contrairement à la situation dans l’affaire Chippewas, les dommages-intérêts prévus à l’alinéa 38.1(1)b) de la Loi sur le droit d’auteur sont plafonnés à 5 000 $. Pour M. Salna et pour tout autre membre du groupe, ce plafond a un effet dissuasif.

C.   La thèse de l’intervenante sur l’appel incident

[59]      L’intervenante, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko (la CIPPIC), répond aux arguments de Voltage sur la condition de la cause d’action valable et sur l’interprétation qu’il convient de donner au régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur.

[60]      La CIPPIC affirme qu’il faut déterminer s’il est « manifeste et évident » que l’acte de procédure, si l’on tient pour avérés les faits qui y sont invoqués, ne révèle pas de cause d’action valable (M. Untel, au paragraphe 23). Certes, même si les faits allégués soit tenus pour avérés, un demandeur ne peut se contenter de soulever de simples affirmations. En outre, la totalité des faits invoqués doit établir chaque cause d’action soulevée.

[61]      En ce qui concerne la violation directe, l’intervenante fait valoir que la déclaration de Voltage ne permet pas d’étayer une violation sous le régime des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur. Plus précisément, Voltage n’a pas réussi à préciser comment les contrefacteurs directs seront identifiés à partir du groupe d’abonnés à un compte Internet. Même si l’on tient pour avérée l’allégation de Voltage selon laquelle M. Salna est un contrefacteur direct, il demeure que, suivant les actes de procédure de Voltage, les abonnés à un compte Internet [traduction] « auraient dû » savoir à quelle fin leur compte servait. Il ne s’agit pas en ce sens de contrefacteurs directs.

[62]      En ce qui concerne la violation à une étape ultérieure, l’intervenante affirme que Voltage n’a pas réussi à invoquer des faits se rapportant aux éléments relatifs à une violation à une étape ultérieure prévue au paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur. Plus précisément, Voltage n’a pas invoqué de violation antérieure à celle qu’aurait décelée le logiciel d’analyse technique. Ensuite, Voltage n’affirme pas que les membres du groupe de défendeurs proposé savaient qu’ils utilisaient le produit d’une violation du droit d’auteur : de fait, elle n’a pas fait valoir qu’elle a avisé les abonnés à un compte Internet de la violation alléguée. Enfin, elle n’a invoqué aucun des actes mentionnés au troisième élément de cette disposition, notamment la vente ou la mise en circulation aux fins de vente.

[63]      En ce qui concerne l’allégation du [traduction] « contrefacteur autorisateur », l’intervenante convient avec la Cour fédérale que cette cause d’action repose trop sur les commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt SOCAN, qui exprime une opinion sur les responsabilités possibles liées à un régime d’avis et de retrait. Les actions pour violation du droit d’auteur doivent plutôt être fondées sur la Loi sur le droit d’auteur. Après l’arrêt SOCAN, le législateur canadien a choisi d’adopter le régime d’avis et avis au lieu du régime d’avis et de retrait mentionné. Aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, toute prétention quant à une autorisation doit tenir compte des critères et facteurs énoncés aux paragraphes 27(2.3) et (2.4). Voltage n’a pas invoqué de faits étayant ces facteurs, surtout celui permettant d’établir que l’abonné à un compte Internet était au courant de la violation avant d’être visé par la demande.

[64]      Même si la connaissance de la violation était invoquée, à elle seule, cette connaissance ne suffit pas pour justifier une autorisation. À cet effet, l’intervenante affirme qu’il faut davantage, qu’il s’agisse d’une approbation, d’un acquiescement ou d’un encouragement; ce qui est nécessaire est l’autorisation d’une violation du droit d’auteur, et non l’autorisation de l’utilisation de la technologie (CCH, aux paragraphes 38, 42 et 43; Century 21 Canada Limited Partnership v. Rogers Communications Inc., 2011 BCSC 1196, 338 D.L.R. (4th) 32 (Century 21), au paragraphe 342; Sirius Canada Inc. c. CMRRA/SODRAC Inc., 2010 CAF 348, [2012] 3 R.C.F. 717). En fait, l’autorisation ne peut être établie, même lorsqu’une personne est au courant de la violation et ne prend aucune mesure pour l’arrêter (voir, par exemple, Microsoft Corporation c. Liu, 2016 CF 950, [2017] 2 R.C.F. F-1).

[65]      En outre, la question de savoir si les causes d’action sont valables n’est pas chose jugée. Avant la requête en autorisation, toutes les requêtes devant la Cour qui tenaient pour acquis qu’elles l’étaient n’ont pas été contestées sur cette question. Subsidiairement, même si la question était chose jugée, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner la question au fond pour éviter toute injustice envers les membres du groupe proposé (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460 (Danyluk).

[66]      En ce qui concerne le régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur, l’intervenante affirme que le recours au régime proposé par Voltage pour : (i) établir la responsabilité pour la violation du droit d’auteur; (ii) fournir un avis de l’autorisation d’un recours collectif et (iii) aviser les membres du groupe de la tenue d’audiences, etc. étend l’application du régime au-delà de la portée prévue, ce qui perturbe l’équilibre entre les droits des titulaires de droits d’auteur, les droits à la vie privée et les intérêts des FSI.

IV.   Discussion

[67]      Les objectifs des recours collectifs sont bien connus : (i) faciliter l’accès à la justice grâce à la répartition des frais de justice entre les nombreux membres du groupe, (ii) conserver les ressources judiciaires en réduisant la duplication inutile du processus d’appréciation des faits et d’analyse du droit et (iii) modifier les comportements nuisibles en faisant en sorte que les malfaisants actuels ou éventuels prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger (Dutton, aux paragraphes 27 et 29; Hollick, aux paragraphes 15, 16 et 25). Ces avantages existent non seulement dans le cas d’un recours collectif ordinaire, mais également dans celui d’un recours collectif inversé, où des demandeurs poursuivent un groupe de défendeurs. Le recours collectif contre un groupe de défendeurs ou d’intimés est décrit comme étant [traduction] « un moyen d’offrir aux demandeurs un recours exécutoire lorsqu’il est par ailleurs impossible d’assurer la présence de tous les défendeurs potentiels et de veiller à ce que les personnes touchées par l’issue d’une action en justice soient suffisamment protégées, malgré leur absence » (Chippewas, aux paragraphes 16 et 17).

[68]      Compte tenu de ces avantages, les Règles des Cours fédérales permettent à des demandeurs ou à des défendeurs — que l’instance au principal soit une action ou une demande — de présenter une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif (paragraphes 334.14(2) et 334.14(3)).

[69]      Peu importe le type de recours collectif, le juge doit accorder l’autorisation s’il est satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles. Ces conditions sont les suivantes :

Conditions

334.16 (1) […]

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[70]      La Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision relativement à chaque condition essentielle. Je propose de tirer les conclusions que la Cour fédérale aurait dû tirer concernant les trois premières conditions, prévues aux alinéas 334.16(1)a), b) et c) des Règles. Cependant, les motifs de la Cour fédérale relativement aux quatrième et cinquième conditions (les alinéas 334.16(1)d) et e) des Règles) étant insuffisants pour fournir le fondement nécessaire à un examen en appel (R. c. G.F., 2021 CSC 20, 2021 CarswellOnt 6893 (G.F.), aux paragraphes 71 et 74), la requête en autorisation est renvoyée à la Cour fédérale afin qu’elle réexamine l’affaire à la lumière des alinéas 334.16(1)d) et e) des Règles.

1)    Les actes de procédure révèlent-ils une cause d’action valable?

[71]      Comme observation préliminaire, Voltage affirme que la question de savoir si l’acte de procédure révèle une cause d’action valable est chose jugée, la Cour fédérale ayant déjà décidé que les actes de procédure révélaient une prétention légitime lorsque l’ordonnance de type Norwich, qui a permis d’identifier M. Salna, a été accordée (Voltage-Norwich, au paragraphe 14). En outre, la Cour suprême du Canada n’a pas infirmé cette conclusion (Rogers). Cependant, la CIPPIC a raison de dire que la requête présentée à la Cour fédérale, en vue d’obtenir l’ordonnance de type Norwich, n’a pas été contestée sur cette question. Essentiellement, la CIPPIC affirme que les parties n’ont pas débattu la question. Par conséquent, notre Cour ne considérera pas la question comme chose jugée; elle exercera plutôt son pouvoir discrétionnaire pour l’examiner (Danyluk).

[72]      En ce qui concerne la première condition, le critère à appliquer est le même que pour une requête en radiation : les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable, si les faits allégués sont tenus pour avérés (Pro-Sys, au paragraphe 63).

[73]      La Cour fédérale a commis une erreur dans son application du critère. Au lieu de tenir les faits allégués pour avérés, en l’occurrence la prétention de Voltage selon laquelle M. Salna lui-même est un contrefacteur direct, la Cour fédérale a conclu que Voltage n’avait pas expliqué en quoi des abonnés à un compte Internet étaient des contrefacteurs directs (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 68 et 77). Le passage pertinent figure au paragraphe 42 de l’avis de demande modifié de Voltage :

[traduction]

M. Untel no 1 Salna et chaque membre du groupe proposé offrent de téléverser au moins une des œuvres, au moyen du protocole BitTorrent. Les parties qui se sont jointes à Voltage invoquent le fait que cette offre de téléversement est notamment une communication au public par télécommunication au sens de la Loi sur le droit d’auteur et, par conséquent, qu’elle constitue une violation du paragraphe 27(1) de cette loi.

[74]      La Cour fédérale a évalué la preuve étayant cet argument, puis elle a tiré des conclusions mixtes de fait et de droit et des conclusions à l’égard du fond de la demande, notamment de l’argument de M. Salna, selon lequel il n’est pas un contrefacteur direct. Il s’agit d’une erreur de droit, étant donné qu’à ce stade, il n’incombe pas à Voltage de prouver que M. Salna est un contrefacteur direct. En outre, les actes de procédure ne constituent pas de simples affirmations qui seraient écartées par l’application du critère applicable à une requête en radiation.

[75]      Le juge a également tenu pour concluante la preuve d’expert sur la nature de la distinction entre le [traduction] « téléversement » et le [traduction] « téléchargement » par BitTorrent (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 80). Il s’agit d’une erreur de droit qui a eu une incidence sur les conclusions de la Cour fédérale quant aux causes d’action concernant la violation initiale et la violation à une étape ultérieure. Un juge ne devrait pas procéder à une appréciation de la preuve d’expert lorsqu’il doit décider s’il existe une cause d’action valable.

[76]      La Cour fédérale a aussi commis une erreur en rejetant la cause d’action de Voltage, à savoir que les défendeurs ont autorisé la violation. Le juge a conclu que Voltage s’appuyait sur une interprétation trop large du commentaire du juge Binnie dans l’arrêt SOCAN, au paragraphe 127, où il fait observer que le fait de ne pas cesser le comportement illicite après avoir reçu l’avis « peut, dans certains cas, être considéré comme une “autorisation” » (soulignement ajouté par le juge de la Cour fédérale) (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 79).

[77]      Là encore, plutôt que de se demander si Voltage pouvait avancer cet argument, le juge a procédé à une analyse détaillée de cet argument. Il n’est pas opportun à ce moment-ci de l’instance d’entreprendre une analyse détaillée de l’argument et plus particulièrement de décider si l’argument envisagé est bien fondé (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2012 CF 454 (Merck & Co.), au paragraphe 28). De fait, l’emploi prudent du verbe « peut » signifie que la Cour suprême considère que la question est sujette à discussion.

[78]      Les paragraphes 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur accordent ensemble le droit d’autoriser la reproduction d’une œuvre. L’allégation de Voltage pourrait repousser les limites de ce qui constitue l’autorisation d’une violation, mais il ne s’agit pas du critère relatif à une requête en radiation. Bien que le sujet de l’« autorisation d’une violation » ait été examiné par les tribunaux, la Cour en l’espèce est en présence d’une application nouvelle du principe. Plus précisément, notre Cour doit étudier l’interdiction d’autoriser la violation dans le contexte de la technologie BitTorrent et du régime d’avis et avis.

[79]      Les principaux précédents, les arrêts CCH et SOCAN, découlaient de contextes juridiques et factuels distincts de la présente affaire. L’arrêt CCH portait sur une autorisation liée aux photocopieuses, tandis que l’arrêt SOCAN a été rendu avant l’adoption du régime d’avis et avis. Par conséquent, il n’est pas manifeste que cette jurisprudence fournisse l’orientation requise dans le présent contexte pour justifier que l’on écarte les allégations de violation directe et d’autorisation d’une violation, à l’étape de l’autorisation d’un recours collectif.

[80]      M. Salna n’a présenté aucun argument quant à la question de savoir s’il existait une cause d’action valable. Il a plutôt fait sien l’argument de l’intervenante.

[81]      La CIPPIC fait valoir que les affaires comme CCH, SOCAN et Century 21 ont exclu la possibilité qu’une partie puisse être tenue responsable de l’autorisation d’une violation, sans qu’elle l’ait autorisée explicitement. En d’autres termes, le simple fait de fournir l’accès à une technologie qui permettait la violation ne peut pas, à lui seul, prouver l’autorisation d’une violation.

[82]      La CIPPIC demande à la Cour de trancher de façon définitive la question de savoir si, au vu des faits, il existe une cause d’action valable. Ce n’est pas là le rôle d’une cour lorsqu’elle décide si une cause d’action est valable.

[83]      À ce stade, tout ce qu’une cour doit faire est de décider si elle devrait interdire à la partie qui présente la requête d’invoquer son argument devant le juge du procès (Merck & Co., au paragraphe 15). Au moment de rendre cette décision, « la Cour doit être généreuse et permettre dans la mesure du possible l’instruction de toute demande inédite mais soutenable » (Association of Chartered Certified Accountants c. Institut canadien des comptables agréés, 2011 CF 1516, 2011 CarswellNat 5998 (WLNextCan.), au paragraphe 9; Merck & Co., au paragraphe 24). Ce n’est qu’en permettant que des demandes inédites, mais soutenables, suivent leur cours « que nous pouvons nous assurer que la common law [...] v[a] continuer à évoluer pour répondre aux contestations judiciaires qui se présentent dans notre société […] moderne » (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 991, 1990 CanLII 90). En l’espèce, Voltage a démontré qu’elle a une demande inédite, mais soutenable.

[84]      Voltage a invoqué les faits nécessaires pour appuyer une allégation de violation directe. Certes, la CIPPIC affirme que Voltage n’a pas établi de lien entre les abonnés à un compte Internet et l’activité de violation directe qui se produisait sur BitTorrent. Or, il n’est pas nécessaire que Voltage établisse les faits confirmant ce lien. Il était suffisant que Voltage invoque le fait que les abonnés à un compte Internet eux-mêmes commettaient ces actes (voir, par exemple, les paragraphes 6 et 24 de l’avis de demande modifié). Ce n’est pas à la cour, à ce stade, d’évaluer la force de la preuve sous-jacente, en l’occurrence, le lien entre une adresse attribuée par un FSI, un abonné à un compte Internet et l’utilisation d’Internet assurée par un dispositif de connexion à Internet. À ce stade, la prétention de Voltage, selon laquelle M. Salna et les autres membres du groupe ont commis ces actes, est tenue pour avérée. Il reviendra à Voltage de prouver que c’est le cas à l’instruction de l’instance au fond.

[85]      Il est aussi manifeste que Voltage a invoqué les faits substantiels nécessaires pour étayer son allégation fondée sur une interprétation raisonnable de ce qui constitue l’autorisation d’une violation. Par exemple, comme il est mentionné au paragraphe 44 de l’avis de demande modifié, Voltage allègue que les membres du groupe proposé [traduction] « détenaient un contrôle suffisant à l’égard de l’utilisation de leurs comptes Internet ainsi que des ordinateurs et appareils connexes connectés à Internet, de sorte qu’ils ont autorisé, sanctionné, approuvé ou toléré les violations précisées en l’espèce ».

[86]      Malgré mes conclusions sur les causes d’action à l’égard de la violation directe et de l’autorisation d’une violation, Voltage n’a pas invoqué les faits substantiels nécessaires pour justifier sa prétention quant à une violation à une étape ultérieure. Si ce défaut n’enlève rien à la conclusion selon laquelle les actes de procédure de Voltage révèlent une « cause d’action valable » à l’égard de la violation directe et de l’autorisation d’une violation, il mérite une courte mention, car il pourrait avoir une incidence sur la thèse que défendra Voltage.

[87]      Le critère permettant d’établir une violation à une étape ultérieure comporte trois volets : (i) une violation initiale du droit d’auteur s’est produite; (ii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure savait ou aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation du droit d’auteur et (iii) l’auteur de la violation à une étape ultérieure a vendu, mis en circulation ou mis en vente les œuvres en cause (CCH, au paragraphe 81).

[88]      Bien que Voltage affirme avoir invoqué des faits substantiels relativement à chaque élément du critère permettant d’établir une violation à une étape ultérieure, l’acte de procédure ne satisfait pas au critère. Ainsi, l’exercice requis pour évaluer la possibilité que la demande soit accueillie ne peut pas être exécuté adéquatement (R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, au paragraphe 22).

[89]      Plus précisément, Voltage n’a pas invoqué les faits nécessaires pour étayer le critère de la connaissance. Pour qu’il soit satisfait au deuxième élément du critère permettant d’établir une violation à une étape ultérieure, l’auteur de la violation à une étape ultérieure devait savoir ou aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation du droit d’auteur. Autrement dit, l’auteur de la violation à une étape ultérieure savait ou aurait dû savoir que les copies des œuvres qui étaient en sa possession ont été créées au terme d’une violation du droit d’auteur sur les œuvres. Pour démontrer qu’elle invoque les faits substantiels permettant de satisfaire à cet élément du critère, Voltage renvoie la Cour aux paragraphes suivants de l’avis de demande modifié :

[traduction]

24. Aux fins de la présente instance, ce qui suit constitue les actes illégaux commis par chaque membre du groupe proposé, y compris M. Untel no 1 Salna :

[...]

(c) ne prendre aucune mesure, même raisonnable, pour s’assurer qu’une personne qui télécharge une œuvre a été autorisée à le faire par la loi.

[...]

[traduction]

43. […] M. Untel no 1 Salna et chaque membre du groupe proposé savaient ou auraient dû savoir que la production d’une copie de cette œuvre violerait le droit d’auteur sur cette œuvre si elle avait été créée au Canada par son auteur.

[90]      Ces paragraphes renvoient certes à la connaissance d’un contrefacteur possible, mais indiquent que le contrefacteur savait que ce qu’il faisait violerait le droit d’auteur de Voltage. Or, il ne s’agit pas du critère de la connaissance permettant d’établir la violation à une étape ultérieure qui est précisé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH, au paragraphe 81, d’après son interprétation du paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur. L’auteur de la violation à une étape ultérieure doit savoir ou aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation du droit d’auteur. Bien que Voltage ait opté pour une formulation semblable à celle de la Loi sur le droit d’auteur, au paragraphe 27(2) — à savoir que la personne « sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit [d’auteur], ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada » — elle établit un lien entre cette connaissance et les actes du membre du groupe, et non les œuvres en question.

[91]      Par conséquent, Voltage n’a pas fait valoir les faits nécessaires pour étayer une cause d’action fondée sur la violation à une étape ultérieure.

[92]      Les actes de procédure de Voltage révèlent néanmoins une cause d’action valable fondée sur la violation directe et l’autorisation d’une violation. La condition prévue à l’alinéa 334.16(1)a) des Règles est remplie.

2)    Il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes

[93]      La norme applicable aux quatre conditions d’autorisation restantes est celle de savoir si la partie qui présente la requête en autorisation a établi « un certain fondement factuel » pour chaque condition (Hollick, au paragraphe 25). Il s’agit d’une norme délibérément peu rigoureuse, moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités, car « à cette étape [autorisation] [traduction] “le tribunal n’est pas en mesure de statuer sur les éléments contradictoires de la preuve non plus que de déterminer sa valeur probante à l’issue d’une analyse nuancée” » (Pro-Sys, au paragraphe 102).

[94]      Pour décider si la norme de preuve est respectée, les tribunaux doivent trancher chaque affaire en fonction des faits qui lui sont propres. « Suffisamment de faits doivent permettre de convaincre le juge saisi des demandes que les conditions de certification sont réunies de telle sorte que l’instance puisse suivre son cours sous forme de recours collectif sans s’écrouler à l’étape de l’examen au fond à cause du nonrespect des conditions [d’autorisation] » (Pro-Sys, au paragraphe 104). En ce qui concerne la deuxième condition, notre Cour a déjà énoncé que « tout ce qu’il faut, c’est “un certain fondement factuel” à l’appui d’une définition objective du groupe qui a un lien rationnel avec les questions communes et qui ne dépend pas de l’issue du litige » (Brake, au paragraphe 71).

[95]      La Cour fédérale a commis une erreur dans son appréciation et son application de la norme de preuve qui joue à ce stade de l’analyse qu’appelle la requête en autorisation. Le juge a remplacé la norme d’un « certain fondement factuel » quant à l’existence d’un groupe d’au moins deux personnes par une exigence de preuve reposant sur la norme appliquée en matière civile.

[96]      La Cour fédérale a, à juste titre, rejeté la prétention de Voltage, selon laquelle elle était en possession de [au paragraphe 104] « milliers d’adresses IP qui auraient violé les droits d’auteur sur ses films ». Comme le juge le fait remarquer, cette affirmation ne constituait pas une preuve; elle figurait uniquement dans une note de bas de page du mémoire des faits et du droit.

[97]      Certes, si Voltage avait présenté en preuve d’autres adresses IP ou d’autres noms, après une ordonnance de type Norwich, l’existence d’un groupe formé d’« au moins deux personnes » aurait été établie de façon concluante. On peut en dire autant si les experts de Voltage avaient fourni une estimation du nombre d’adresses IP recensées ayant servi à la contrefaçon des œuvres. Cependant, la norme d’« un certain fondement factuel » n’est pas censée être rigoureuse : il n’est pas nécessaire de connaître l’identité des membres du groupe ni leur nombre au moment de l’autorisation (Dutton, au paragraphe 38; Jiang v. Peoples Trust Company, 2017 BCCA 119, 408 D.L.R. (4th) 1, au paragraphe 74). Il existe souvent, à l’étape de l’autorisation, un manque de clarté quant à la taille du groupe.

[98]      Si l’on applique le bon critère au dossier d’autorisation dont était saisie la Cour fédérale, on constate que les éléments de preuve étaient suffisants pour démontrer que l’instance ne s’effondrerait pas faute d’un « groupe formé d’au moins deux personnes ». En l’espèce, les éléments de preuve issus de l’affidavit et du contre-interrogatoire de M. Perino révèlent que [traduction] l’« adresse IP [de M. Salna] avait été choisie » (dossier d’appel, à la page 588; contre-interrogatoire de M. Perino, à la question 95). Cette affirmation laisse entendre que plus d’une adresse IP a été recensée, ce qui signifie que le groupe proposé comptait plus d’un abonné à un compte Internet. Voltage a établi un certain fondement factuel, même s’il est peu solide, quant à l’existence d’un groupe formé d’au moins deux personnes. Cependant, comme je l’explique plus loin, le peu d’éléments de preuve sur la taille du groupe crée des problèmes en aval, à l’analyse visant à décider s’il s’agit du meilleur moyen.

3)    Il existe des points de fait et de droit communs

[99]      Cette condition appelle la Cour à décider si la résolution d’une question est commune aux membres du groupe proposé. Il n’est pas nécessaire que la Cour se demande si l’issue ou la réponse à cette question est la même pour tous les membres du groupe proposé (Brake, aux paragraphes 75 à 78).

[100]   Plutôt que de suivre les directives données dans l’arrêt Brake, la Cour fédérale s’est surtout attachée à savoir si les issues des diverses questions pourraient être différentes pour les membres du groupe proposé (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 117, 119, 121, 123 et 125). Par exemple, au sujet des dommages-intérêts prévus par la loi, M. Salna affirme que le tribunal est tenu de mener une analyse au cas par cas, en application du paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur, et que par conséquent, l’issue pour chaque personne pourrait être différente (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 123). Cependant, la possibilité d’établir des sous-groupes ou différentes règles pour évaluer les dommages-intérêts est expressément prévue dans les recours collectifs (paragraphes 334.16(3), 334.26(1), Règles des Cours fédérales). La Cour fédérale n’a pas tenu compte de ce facteur.

[101]   M. Salna soulève la crainte qu’un FSI identifie de façon erronée le compte associé à une adresse IP liée à une prétendue violation du droit d’auteur. Selon lui, il ne faudrait alors répondre qu’aux deux premières questions. Le hic, c’est que la conclusion qu’un FSI a associé de façon erronée le compte d’un abonné à une adresse IP ayant servi à la contrefaçon peut certes justifier le retrait d’une personne du groupe proposé, mais la possibilité hypothétique d’une identification erronée fait intervenir la question commune plus générale de savoir si la personne a un moyen de défense valable (voir la question no 7 de Voltage). Une identification erronée constitue un moyen de défense valable.

[102]   Voltage affirme à bon droit que, même si les questions et les faits individuels prévalent sur les questions communes, cela n’empêche pas l’autorisation (Wenham, au paragraphe 77). La principale question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance. Certes, multiplier les exercices d’appréciation de faits individuels complique la gestion d’un recours collectif, mais il faut se demander si l’autorisation du recours favorise les trois principaux objectifs d’un recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice (Fischer, au paragraphe 22). Même la résolution d’une seule question, parmi de nombreuses autres, pourrait permettre de réaliser ces objectifs, par exemple, en éliminant les issues contradictoires susceptibles de survenir lorsque différents juges sont appelés à répondre à la même question, ainsi qu’en réduisant les ressources judiciaires consacrées à l’analyse de cette seule question.

[103]   Je ne trouve pas convaincantes les conjectures à l’égard d’une identification erronée ou de l’existence possible de plusieurs scénarios factuels différents. Deuxièmement, les dispositions des Règles des Cours fédérales applicables aux recours collectifs sont empreintes d’une certaine souplesse, en ce sens que ces dernières prévoient de nombreuses solutions pour régler des questions individuelles qui pourraient survenir (Brake, au paragraphe 92). Il s’agit notamment de la création de sous-groupes reposant sur des scénarios fondés sur des faits similaires (paragraphe 334.16(3)) et d’un processus d’évaluation individuelle supervisé par la Cour (règle 334.26). De plus, si le recours collectif lancé devient ingérable, les Règles des Cours fédérales permettent la modification des actes de procédure, voire le retrait de l’autorisation si les conditions d’autorisation ne sont plus respectées (règle 334.19).

[104]   La même réponse est donnée à l’argument selon lequel les réparations prévues par la loi demandées par Voltage nécessiteront une évaluation individuelle (voir le mémoire des faits et du droit des appelants en réponse à l’appel incident, aux sous-paragraphes 43d) et e)). L’alinéa 334.18a) des Règles précise ce qui suit :

Motifs ne pouvant être invoqués

334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci-après pour refuser refuser d’autoriser une instance comme recours collectif :

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle.

4)    Le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs.

[105]   Comme je l’indique plus haut, il incombe à la personne qui demande l’autorisation de démontrer que la thèse suivant laquelle le recours collectif constitue le meilleur moyen de régler les points communs est étayée d’un certain fondement factuel (M. Untel, au paragraphe 61). Les tribunaux doivent effectuer cette évaluation « à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice » (Fischer, au paragraphe 22). Les tribunaux doivent garder à l’esprit les principes directeurs énoncés au paragraphe 77 de l’arrêt Wenham et repris au paragraphe 85 de l’arrêt Brake :

[traduction]

a) le critère du meilleur moyen comporte deux concepts fondamentaux :

(i) premièrement, la question de savoir si le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance;

(ii) deuxièmement, la question de savoir si le recours collectif serait préférable à tous les autres moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe;

b) pour faire cette détermination, il faut examiner les questions communes dans leur contexte, en tenant compte de l’importance des questions communes par rapport à la demande dans son ensemble;

c) le critère du meilleur moyen peut être satisfait même lorsqu’il y a d’importantes questions individuelles; il n’est pas nécessaire que les questions communes prévalent sur les questions individuelles.

[106]   Lorsqu’on applique les principes directeurs à une affaire, il faut examiner toutes les questions pertinentes. Ce qui est pertinent dépend des faits d’une affaire et des arguments soulevés par l’avocat, mais il peut s’agir notamment des facteurs énumérés au paragraphe 334.16(2) des Règles.

[107]   La Cour fédérale n’a pas procédé à cette analyse. Elle a tenu compte du plan relatif à la poursuite de l’instance soumis par Voltage, après avoir mentionné au passage à quel point la situation des membres du groupe de défendeurs pouvait différer. Après avoir examiné le plan relatif à la poursuite de l’instance, la Cour fédérale a conclu que la réunion de causes d’action était la meilleure procédure. Cette conclusion ne peut être retenue.

[108]   C’est une erreur de droit de tenir compte des réserves sur le plan relatif à la poursuite de l’instance dans l’analyse servant à décider s’il s’agit du meilleur moyen. Cette condition appelle un examen général. En revanche, la condition du plan relatif à la poursuite de l’instance appelle un examen spécifique. La première demande s’il s’agit de la meilleure procédure pour résoudre les questions, tandis que la seconde demande, dans le cas où il s’agirait de la meilleure procédure, s’il existe un plan organisationnel efficace pour poursuivre l’instance.

[109]   La condition quant au meilleur moyen exige une analyse conceptuelle. Elle consiste à soupeser les avantages et les inconvénients des différentes procédures pour établir, à la lumière des objectifs des recours collectifs, celle qui serait préférable pour répondre aux questions de fait ou de droit. Il se peut que l’analyse du plan proposé relativement à la poursuite de l’instance soit permise dans l’examen de la quatrième condition si un détail précis du plan devenait particulièrement pertinent pour cet examen, par exemple, l’un des facteurs énoncés au paragraphe 334.16(2). Néanmoins, ces deux questions sont distinctes.

[110]   Une deuxième erreur a été commise à la quatrième étape de l’analyse. Le juge a simplement déclaré que la réunion de plusieurs causes d’action constatées par des déclarations invoquant une violation était le meilleur moyen.

[111]   On ne sait pas très bien ce qui a mené à cette conclusion.

[112]   Selon la preuve présentée à la Cour, Voltage avait recensé des milliers d’adresses IP ayant servi à la violation de ses droits d’auteur sur les œuvres. Il pourrait être difficile d’identifier les abonnés à un compte Internet associés à ces adresses IP. Ils pourraient être exclus du groupe proposé en raison du délai de six mois, étant donné qu’à défaut d’une ordonnance de type Norwich, il est impossible de les identifier. Cependant, même une faible proportion de ces adresses IP représenterait des centaines de contrefacteurs potentiels. Néanmoins, aucune analyse quant à la possibilité d’une réunion de ces nombreuses instances individuelles n’a été menée. Le dossier n’indique pas l’incidence qu’aurait sur l’administration des tribunaux, les parties et les ressources judiciaires le dépôt de déclarations, même dans une faible proportion de ces cas, ni ne mentionne la procédure comme telle de réunion ou l’utilité ou la faisabilité d’exécuter des jugements par défaut, le cas échéant.

[113]   La Cour fédérale a également conclu, dans son évaluation du plan relatif à la poursuite de l’instance, que la possibilité pour les membres de se retirer du recours collectif était une raison supplémentaire de ne pas autoriser le recours.

[114]   Il s’agit là d’une erreur de droit. La possibilité de retrait est prévue dans les Règles des Cours fédérales (voir, par exemple, l’alinéa 334.17(1)f) et la règle 334.21) et n’est pas un motif pour refuser une autorisation (voir, par exemple, les affaires Chippewas, aux paragraphes 34 et 37 et Berry v. Pulley, [2001] O.J. no 911, (2001), 197 D.L.R. (4th) 317, [2001] O.T.C. 156 (C. sup.), au paragraphe 46). Comme le soutient Voltage, si, en fait, chaque membre du groupe se retire du recours collectif, l’autorisation de ce dernier peut être retirée. Or, ce n’est pas une question pertinente au stade de l’autorisation. Supposer que ce choix serait exercé par tous les membres potentiels du groupe était une erreur.

[115]   Dans de telles circonstances, où il existe de multiples défendeurs, chacun pouvant être condamné à verser une faible somme d’argent, un recours collectif est un « moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance » (Wenham, au paragraphe 77). Les recours collectifs permettent de diminuer les répercussions financières liées aux frais de défense, car les membres du groupe font appel aux mêmes avocats et témoins experts et divisent entre eux le paiement des honoraires. Cet allègement du fardeau financier peut aussi atténuer la pression que ressentent les membres du groupe pour en venir à un règlement avant une décision au fond.

[116]   De plus, un recours collectif permet le règlement de certaines questions juridiques. En outre, si la situation personnelle de divers membres du groupe joue au cas par cas sur la responsabilité, les Règles des Cours fédérales prévoient un mécanisme permettant de trancher ces questions individuelles ou se rapportant à un groupe restreint (règles 334.26 et 334.27). Un règlement commun ou un cadre de règlement visant même quelques points de fait et de droit communs permet d’économiser des ressources judiciaires et de limiter les issues contradictoires susceptibles de découler d’actions similaires intentées individuellement.

[117]   J’aborde à nouveau la preuve lacunaire sur le nombre de membres potentiels du groupe et son incidence sur l’analyse visant à décider s’il s’agit du meilleur moyen. Comme il est mentionné plus haut, le fondement factuel est à mon avis suffisant pour établir qu’il y a plus d’un membre du groupe, compte tenu des éléments de preuve de l’affidavit et du contre-interrogatoire de M. Perino selon lesquels l’adresse IP de M. Salna a été [traduction] « choisie » ou sélectionnée. Il était raisonnable de conclure, au vu de cette preuve, qu’il y avait un groupe composé de plus d’un membre. Cependant, outre cela, l’unique autre élément est le fait que la société pour laquelle M. Perino travaille recense chaque jour au moins 100 000 cas de violation (dossier d’appel, à la page 588; contre-interrogatoire de M. Perino, question 95). Ce nombre représente les cas de violation que la société recense pour tous ses clients, pas seulement pour Voltage et pas uniquement des œuvres en question.

[118]   Il y avait donc peu d’éléments de preuve quant à la taille et à la composition approximatives du groupe proposé. D’autant plus que la nature du groupe ne cesse de changer. À la lumière des arguments qui nous ont été présentés, il semble aussi que le groupe proposé change de jour en jour. Faute de preuve sur la façon dont l’appartenance au groupe doit être établie et maintenue, et compte tenu de l’envergure de ce dernier, il est impossible de dire si un recours collectif serait préférable à d’autres options raisonnables. Cet état de fait joue sur l’analyse du meilleur moyen.

[119]   Il est difficile, au vu de la preuve, de procéder à une véritable analyse visant à déterminer si le recours collectif est préférable à des actions individuelles ou à une seule action contre plusieurs défendeurs. L’analyse diffère selon la taille du groupe. Bref, le tribunal n’a pas besoin de connaître le nombre exact de membres ni les limites précises du groupe. Il doit toutefois pouvoir conclure, sur le fondement d’une certaine preuve, que le recours collectif est le meilleur moyen.

[120]   En résumé, il ne s’agit pas d’une situation où notre Cour peut examiner la preuve et effectuer l’analyse à la place du juge.

5)    Il existe un représentant défendeur convenable

[121]   La cinquième condition, à savoir l’existence d’un membre représentant convenablement le groupe, fait intervenir quatre sous-conditions : le représentant défendeur (i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement, (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs, (iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[122]   L’analyse lacunaire sur ces questions pose un autre défi pour notre Cour, saisie de l’appel. La Cour fédérale a conclu que Voltage n’avait pas répondu à la condition exigeant qu’il existe un membre représentant du groupe, car elle n’avait pas démontré que M. Salna a la « motivation » pour opposer une défense au recours collectif. Dans le pire des cas, les dommages-intérêts prévus par la loi sont plafonnés à seulement 5 000 $. M. Salna n’a donc aucune motivation pour opposer une défense. Il n’existe donc aucun représentant défendeur qui représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe.

[123]   La faille dans le raisonnement de la Cour fédérale tient à ce qu’il mène à la conclusion qu’aucun recours collectif contre un groupe de défendeurs n’aura de représentant défendeur convenable dans les cas où les conséquences pécuniaires pour chaque membre du groupe sont modestes. Cette logique est contraire à la raison d’être des recours collectifs, où c’est « précisément lorsque le montant des dommages-intérêts accordés à chaque demandeur ne saurait être élevé que le recours collectif devient le meilleur moyen, et parfois le seul, d’assurer véritablement l’accès à la justice » (M. Untel, au paragraphe 65). Bien que la présente affaire, contrairement à l’affaire M. Untel, concerne un groupe de défendeurs, les principes qui justifient les recours collectifs continuent de s’appliquer. Les principes s’appliquent dans les deux sens.

[124]   La conclusion de la Cour fédérale suppose aussi qu’il serait moins onéreux pour un défendeur d’opposer une défense au recours si ce dernier n’était pas autorisé. On ne sait pas très bien sur quoi cette hypothèse est fondée. En fait, compte tenu de l’intention de Voltage de poursuivre les prétendus contrefacteurs, quoi qu’il en soit, la conclusion tirée par le juge est insoutenable. M. Salna sera donc responsable de se défendre, qu’il le désire ou non. En revanche, les recours collectifs répartissent les coûts entre les membres du groupe, ce qui permet d’alléger le fardeau financier qu’entraîne la poursuite d’une instance et qui pèse sur chacun des demandeurs ou défendeurs.

[125]   L’existence d’un plan relatif à la poursuite de l’instance est un élément de l’analyse qu’appelle la deuxième sous-condition. Il faut d’une part qu’il y ait un tel plan et d’autre part le plan doit proposer une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement.

[126]   Ces questions sont factuelles et méritent qu’on leur accorde une attention particulière, surtout vu les réserves de M. Salna concernant les conventions relatives aux honoraires et les conflits d’intérêts possibles, ainsi que le mécanisme de retrait, qui permet à d’autres membres du groupe de se soustraire à l’acquittement de leur part des frais. Vu l’erreur commise par la Cour fédérale dans son évaluation du plan relatif à la poursuite de l’instance et étant donné que les réserves exprimées touchent de près des questions de pratique et de procédure et le critère du meilleur moyen, l’examen de la cinquième condition est renvoyé à la Cour fédérale.

6)    Le recours au régime d’avis et avis

[127]   La Cour fédérale conclut que le recours proposé par Voltage au régime d’avis et avis, prévu à l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur, impose un fardeau excessif aux FSI et interprète à mauvais droit l’intention du Parlement de concilier les droits des intéressés (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 147 et 148).

[128]   L’analyse et les conclusions de la Cour fédérale relativement au régime d’avis et avis et à la possibilité d’y recourir comme outil de communication dans l’instruction du recours ne peuvent pas être retenues. La Cour fédérale n’a pas procédé à l’exercice d’’interprétation législative nécessaire pour répondre à cette question. Il ressort d’un examen sommaire du texte de loi, de l’historique législatif et du Hansard qu’il faut procéder à une analyse pour déterminer l’effet du régime d’avis et avis. Se limite-t-il à disculper les FSI qui hébergent une œuvre contrefaite, a-t-il simplement un objet « moralisateur » d’informer le public de sa responsabilité de ne pas commettre de violation ou s’agit-il d’un outil permettant aux titulaires de droits d’auteur de faire valoir leurs droits? Cette analyse doit s’effectuer selon les principes établis d’interprétation légale (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837; 1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association, 2020 CSC 22).

[129]   La CIPPIC a raison de dire que le régime d’avis et avis n’a pas pour but d’établir un cadre exhaustif au moyen duquel les cas de violation en ligne du droit d’auteur pourraient être totalement éliminés (Rogers, au paragraphe 24). Or, l’affaire Rogers a été tranchée avant les modifications apportées à l’article 41.26 en 2018 [L.C. 2018, ch. 27, art. 244], lorsque le législateur a précisé que l’avis ne devait pas inclure une offre visant le règlement, une demande ou exigence visant le versement de paiements ou l’obtention de renseignements personnels ou un renvoi à une telle offre, demande ou exigence (projet de loi C-86, Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27 [art. 244]). Parallèlement, la modification proposant un avis rédigé dans la forme prévue par règlement a été rejetée au motif que le régime devrait laisser la possibilité de mettre au point des « solutions provenant du marché » (Décret fixant à la date qui tombe six mois après la date de publication du présent décret la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, TR/2014-58, Gaz. C.2014 II 2121 (entrée en vigueur le 2 juillet 2014), aux pages 2121 et 2122).

[130]   La CIPPIC affirme qu’en restreignant le contenu de l’avis, le législateur avait l’intention d’empêcher le régime de servir d’interface aux recours civils pour violation du droit d’auteur. Voltage réplique que, dans ce cas, l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur ne vise qu’à dégager les FSI de toute responsabilité liée à la contrefaçon et ne fait rien pour protéger les titulaires de droits d’auteur.

[131]   Il est évident que les fins auxquelles le législateur destinait l’article 41.26 de la Loi n’ont pas encore été déterminées, et cette question nécessite une argumentation complète ainsi qu’un contexte factuel. Sans connaître les fins précises envisagées, il était prématuré et conjectural pour la Cour fédérale de conclure que les avis prévus à l’article 41.26 de la Loi outrepassaient les pouvoirs conférés par la loi et imposeraient un fardeau excessif aux FSI. Les questions d’interprétation législative qui nécessitent une compréhension du contexte ne devraient pas être tranchées dans un vide factuel.

[132]   L’arrêt R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171, 1996 CanLII 198, est instructif. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada refuse d’interpréter les modifications apportées au Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], soulignant qu’il est « difficile » voire « inapproprié » de le faire en l’absence de contexte factuel. Même si les modifications étaient accompagnées de définitions légales, il n’est pas possible « d’en tracer les limites » dans un vacuum factuel (au paragraphe 37). Le parallèle établi avec l’affaire dont nous sommes saisis est exact. J’ajouterais qu’il y a eu un examen judiciaire peu approfondi du champ d’application de l’article 41.26 de la Loi et, fait important, que le contenu de l’avis et les fins auxquelles il est destiné n’étaient pas suffisamment détaillés.

[133]   En conclusion, la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse des sous-conditions énoncées à l’alinéa 334.16(1)e) des Règles. Le juge a également commis une erreur en concluant qu’un fardeau excessif serait imposé aux FSI et que ceux-ci refuseraient d’envoyer des avis. Aucun élément de preuve n’étayait cette conclusion. Si les FSI ont des réserves quant à la façon dont le régime d’avis et avis est appliqué, ils peuvent intervenir et aborder la question devant la Cour fédérale. Le juge a commis une erreur en présumant que l’application proposée du régime emporterait telle conséquence.

[134]   À l’instar de la conclusion sur la condition prévue à l’alinéa 334.16(1)d) des Règles, notre Cour n’est pas en mesure de rendre la décision qui aurait dû avoir été prononcée. Étant donné que la Cour fédérale s’est trompée à l’égard du régime d’avis et avis, la seule mesure raisonnable est de renvoyer la question portant sur l’alinéa 334.16(1)e) à la Cour fédérale.

V.    Les dépens afférents à l’appel

[135]   Les deux parties contestent divers aspects de l’ordonnance de la Cour fédérale quant aux dépens. Elles affirment que les motifs fournis ne permettent pas un examen en appel. Je suis du même avis. Comme la Cour suprême du Canada l’explique récemment dans l’arrêt G.F., aux paragraphes 71 et 74, les « motifs doivent être suffisants autant sur le plan factuel que sur le plan juridique. Sur le plan des faits, les motifs doivent permettre de comprendre ce que le juge du procès a décidé et pourquoi ». En revanche, « [p]our que les motifs puissent être considérés comme suffisants en droit, il faut que la partie lésée soit capable d’exercer valablement son droit d’appel : Sheppard, par. 64-66. Les avocats doivent être capables de déterminer la viabilité d’un appel et les juridictions d’appel doivent être capables d’établir si une erreur s’est produite ».

[136]   En l’espèce, la Cour fédérale a adjugé des dépens, sans expliquer pourquoi. Cette décision va à l’encontre de la présomption selon laquelle un recours collectif est un régime sans dépens, sauf dans l’un des cas énoncés à l’article 334.39 des Règles. Cette décision était lacunaire tant sur les plans juridique que factuel, car notre Cour ne peut ni comprendre pourquoi la décision a été rendue, ni savoir si une erreur a été commise (G.F., aux paragraphes 71 à 73).

[137]   Quant au refus de débloquer les 75 000 $ consignés à titre de cautionnement pour dépens, la Cour fédérale a commis une erreur en rendant cette ordonnance après sa décision de ne pas autoriser le recours collectif. Le cautionnement pour dépens était ordonné « jusqu’à la requête en autorisation […] et incluant celle-ci » (Voltage Pictures, LLC c. Salna, 2017 CF 130, 2017 CarswellNat 6789 [au paragraphe 12], conf. sur ce point par 2017 CAF 221). Après l’issue de cette requête, les fonds auraient dû avoir été versés : la somme due à M. Salna aurait dû lui avoir été versée et le reste restitué à Voltage. Cependant, compte tenu de ma conclusion selon laquelle Voltage a obtenu gain de cause dans le présent appel, cette erreur est sans conséquence. La requête en autorisation étant renvoyée à la Cour fédérale, la question du cautionnement pour dépens suivra l’issue de la décision de la Cour fédérale concernant cette requête.

VI.   Conclusion

[138]   Par conséquent, j’accueillerais l’appel de l’ordonnance quant aux dépens et j’annulerais l’ordonnance. La question des dépens afférents à la requête en autorisation et celle de savoir si l’ordonnance de cautionnement devrait être annulée restent à l’entière discrétion du juge de la Cour fédérale désigné pour la poursuite de l’instance. Je ne rendrais aucune ordonnance quant aux dépens devant notre Cour.

[139]   J’accueillerais l’appel incident en partie et j’annulerais la décision de la Cour fédérale. La requête en autorisation est renvoyée à la Cour fédérale afin qu’elle réexamine les questions portant sur les alinéas 334.16(1)d) et e) des Règles des Cours fédérales en tenant compte des présents motifs.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Rivoalen, J.C.A. : Je suis d’accord.

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