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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

IMM-7772-19

2021 CF 1071

Abdelhak Sedki, Zineb el Aoud (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Sedki c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge McHaffie—Par vidéoconférence, 21 septembre; Ottawa, 15 octobre 2021.

Citoyenneté et Immigration –– Statut au Canada – Résidents permanents –– Motifs d’ordre humanitaire –– Contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de l’Ambassade du Canada au Maroc rejetant la demande de M. Sedki (demandeur) pour un visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire (demande CH) — L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur parce qu’il était interdit de territoire, sans traiter les considérations d’ordre humanitaire soulevées par celui-ci –– Le demandeur a déposé une demande de visa de visiteur en 2017 qui a été refusée –– L’agent évaluant cette demande a déterminé que le demandeur avait fait de fausses déclarations –– Il était donc interdit de territoire pendant cinq ans en vertu de l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés –– Le demandeur a toutefois déposé une demande de résidence permanente au mois de novembre 2018, parrainé par son épouse Mme el Aoud, et y a joint une demande humanitaire pour enlever l’interdiction de territoire –– Un suivi à la demande de parrainage et à la demande CH a été déposé, en faisant expressément référence à l’article 25 de la Loi –– La décision de l’agent refusant la demande ne faisait pas mention de la demande CH ou des considérations d’ordre humanitaire; elle ne faisait pas non plus référence au paragraphe 40(3) ni à l’article 25 de la Loi –– Il s’agissait principalement de savoir s’il était raisonnable pour l’agent de refuser la demande de parrainage des demandeurs à cause de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, sans traiter leur demande CH en vertu de l’article 25 de la Loi –– La décision de l’agent devait être lue dans son contexte administratif –– Même s’il n’a pas fait mention de la demande CH en particulier, il pouvait être compris que l’agent a examiné la demande des demandeurs et a conclu que la demande entière, y compris la demande CH, devait être rejetée parce que le demandeur était interdit de territoire et le paragraphe 11(1) exigeait qu’il ne le soit pas –– Donc, le simple fait de ne pas avoir fait référence à la demande CH ne rendait pas la décision de l’agent déraisonnable –– La référence par l’agent au paragraphe 11(1) était sensée –– Le rôle de l’agent est de faire le « contrôle » visé au paragraphe 11(1) et ce paragraphe donne des instructions importantes quant au fait qu’un visa peut être délivré sur preuve que l’étranger n’est pas interdit de territoire –– Par contre, l’agent n’a pas considéré le contexte législatif du paragraphe 11(1) et, particulièrement, le paragraphe 25(1) de la Loi qui était soulevé par la demande CH du demandeur –– Même si l’analyse de l’agent a commencé de façon sensée, le manque de considération du contexte législatif a miné sa raisonnabilité –– Par conséquent, la décision de l’agent ne démontrait pas un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement l’amener à conclure comme il l’a fait –– Les motifs de l’agent n’étaient pas raisonnables et sa décision ne pouvait être soutenue –– Ni le texte du paragraphe 40(3) ni celui du paragraphe 25(1) de la Loi ne fait référence à l’autre –– Néanmoins, le paragraphe 25(1) énonce explicitement plusieurs cas dans lesquels le défendeur ne peut pas considérer une demande CH –– Ce paragraphe ne mentionne pas l’interdiction de territoire pour fausses déclarations prévu à l’article 40 –– L’absence de l’article 40 du texte du paragraphe 25(1) suggère fortement et clairement que l’intention du Parlement n’était pas d’empêcher l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations de présenter une demande CH –– Le texte, le contexte et l’objet des dispositions ayant été considérés, la seule interprétation raisonnable des paragraphes 40(3) et 25(1) de la Loi était que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations n’est pas empêché par la prohibition au paragraphe 40(3) de présenter une demande CH en vertu du paragraphe 25(1) –– Une question a été certifiée en l’espèce quant à savoir si une personne dans les mêmes circonstances que le demandeur peut déposer une demande CH –– Demande accueillie.

Citoyenneté et Immigration –– Contrôle judiciaire –– Compétence de la Cour fédérale –– Contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de l’Ambassade du Canada au Maroc rejetant la demande de M. Sedki (demandeur) pour un visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire (demande CH) — L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur parce qu’il était interdit de territoire, sans traiter les considérations d’ordre humanitaire soulevées par celui-ci –– Mme el Aoud (demanderesse), l’épouse du demandeur (soit la répondante qui a parrainé celui-ci), a déposé un appel de la décision à la Section d’appel de l’immigration (SAI) –– Toutefois, elle l’a retiré suite au dépôt auprès de la SAI par le défendeur d’une demande en rejet d’appel pour défaut de compétence –– Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande malgré l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) –– La Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande des demandeurs –– Par contre, la SAI aurait eu compétence pour entendre l’appel de la demanderesse en tant que répondante –– L’alinéa 72(2)a) de la Loi stipule qu’une demande d’autorisation à la Cour fédérale ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées –– Selon cet alinéa, s’il y a un droit d’appel en vertu de la Loi, une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’une fois l’appel déterminé –– L’article 72 de la Loi ne crée pas un droit au contrôle judiciaire d’une décision prise dans le cadre de la Loi –– Cette compétence est conférée à la Cour fédérale par la Loi sur les Cours fédérales –– Donc, si la Loi ne donne pas de droit d’appel à la SAI, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée — Ici, puisque la demande de résidence permanente parrainée était accompagnée d’une demande CH en vertu de l’article 25, un droit d’appel à la SAI existait — Néanmoins, dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour fédérale avait compétence malgré celle de la SAI puisque Mme el Aoud avait retiré son appel auprès de la SAI après que le défendeur eut pris la position que la SAI n’avait pas compétence.

Citoyenneté et Immigration –– Pratique en matière d’immigration –– Contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de l’Ambassade du Canada au Maroc rejetant la demande de M. Sedki (demandeur) pour un visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire (demande CH) — L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur parce qu’il était interdit de territoire, sans traiter les considérations d’ordre humanitaire soulevées par celui-ci –– Mme el Aoud (demanderesse), l’épouse du demandeur (soit la répondante qui a parrainé celui-ci), a déposé un appel de la décision à la Section d’appel de l’immigration (SAI) –– Toutefois, elle l’a retiré suite au dépôt auprès de la SAI par le défendeur d’une demande en rejet d’appel pour défaut de compétence –– Il s’agissait de savoir si la SAI avait compétence pour entendre un appel de la décision de l’agent –– Un individu ayant déposé une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel à la SAI du refus de délivrer un visa de résident permanent en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) –– Il y a une exception à ce droit d’appel dans le cas d’un refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations –– L’article 65 de la Loi limite les appels dans lesquels la SAI peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire –– Le droit d’appel à la SAI, lorsqu’un étranger dépose une demande de résidence permanente parrainée alors qu’il est interdit de territoire selon l’article 40 (fausses déclarations), existe dans des circonstances spécifiques, notamment lorsque la demande est accompagnée d’une demande CH en vertu de l’article 25 de la Loi –– Donc, la demanderesse en l’espèce avait un droit d’appel à la SAI –– Néanmoins, dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour fédérale avait aussi compétence malgré celle de la SAI puisque Mme el Aoud avait retiré son appel auprès de la SAI après que le défendeur eut pris la position que la SAI n’avait pas compétence.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de l’Ambassade du Canada au Maroc rejetant la demande de M. Sedki (demandeur) pour un visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire (demande CH). L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur parce qu’il était interdit de territoire, sans traiter les considérations d’ordre humanitaire soulevées par celui-ci.

Le demandeur a déposé une demande de visa de visiteur en 2017. Cette demande a été refusée le 6 décembre 2017. L’agent évaluant cette demande a déterminé que le demandeur avait fait de fausses déclarations au sujet de son emploi et de ses moyens financiers. Il était donc interdit de territoire pendant cinq ans en vertu de l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi). Le demandeur n’a pas contesté cette décision antérieure dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Il était donc admis qu’il était interdit de territoire conformément à l’article 40 de la Loi, et ce, jusqu’au 6 décembre 2022. Comme l’indique le paragraphe 40(3), l’étranger qui est interdit de territoire pour fausses déclarations ne peut pas présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent pendant la période d’interdiction. Le demandeur a toutefois déposé une demande de résidence permanente au mois de novembre 2018, parrainé par son épouse, Mme el Aoud (demanderesse). Dans une lettre de motivation, la consultante des demandeurs a souligné l’interdiction de territoire et a noté qu’elle joignait à la demande « une demande humanitaire pour enlever l’interdiction de territoire ». Le 23 octobre 2019, n’ayant pas eu de réponse, la consultante a déposé un suivi à la demande de parrainage et à la demande CH, en faisant expressément référence à l’article 25 de la Loi. Elle a aussi déposé quelques documents supplémentaires, y compris une lettre de la demanderesse. Le 25 octobre 2019, l’agent a rendu sa décision, rejetant la demande. La décision de l’agent ne faisait pas mention de la demande CH ou des considérations d’ordre humanitaire. Elle ne faisait pas non plus référence au paragraphe 40(3) ni à l’article 25 de la Loi. En rendant sa décision, l’agent a noté que le paragraphe 11(1) de la Loi stipule qu’un visa ne sera pas délivré si l’étranger est interdit de territoire. La demanderesse a déposé un appel de la décision à la Section d’appel de l’immigration (SAI) le 30 octobre 2019. Toutefois, elle l’a retiré après que le défendeur eut déposé auprès de la SAI une demande en rejet d’appel pour défaut de compétence. Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 20 décembre 2019.

Il s’agissait principalement de savoir s’il était raisonnable pour l’agent de refuser la demande de parrainage des demandeurs à cause de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, sans traiter leur demande CH en vertu de l’article 25 de la Loi; si la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande malgré l’alinéa 72(2)a) de la Loi, et si la SAI avait compétence pour entendre un appel de la décision de l’agent.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La décision de l’agent devait être lue dans son contexte administratif et ne devait pas être jugée selon une norme de perfection. Même s’il n’a pas fait mention de la demande CH en particulier, il pouvait être compris que l’agent a examiné la demande des demandeurs et a conclu que la demande entière, y compris la demande CH, devait être rejetée parce que le demandeur était interdit de territoire et le paragraphe 11(1) exigeait qu’il ne le soit pas. Donc, le simple fait de ne pas avoir fait référence à la demande CH dans le cadre de son analyse ne rendait pas la décision de l’agent déraisonnable en raison du défaut de tenir compte d’un aspect central de la demande. Ceci dit, l’analyse législative que proposait maintenant le ministre n’était pas l’analyse qu’a effectuée l’agent. L’agent s’est appuyé exclusivement sur les paragraphes 40(1), 40(2) et 11(1) de la LIPR alors que le ministre s’appuyait surtout sur le paragraphe 40(3). Quoiqu’un décideur peut avoir tiré des conclusions implicites sur une question d’interprétation législative, en l’espèce, il ne pouvait pas être conclu que l’agent a tiré une conclusion implicite sur l’interaction entre les paragraphes 40(3) et 25(1) alors qu’il n’a fait référence qu’aux paragraphes 40(1), 40(2) et 11(1) de la Loi.

La référence par l’agent au paragraphe 11(1) était sensée. Le rôle de l’agent est de faire le « contrôle » visé au paragraphe 11(1) et ce paragraphe donne des instructions importantes quant au fait qu’un visa peut être délivré sur preuve que l’étranger n’est pas interdit de territoire. Par contre, l’agent a terminé son analyse avec ce paragraphe. Il n’a pas considéré le contexte législatif du paragraphe 11(1) et, particulièrement, le paragraphe 25(1) qui était soulevé par la demande CH du demandeur. Le paragraphe 25(1) prévoit que l’étranger hors du Canada peut présenter une demande de visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire. Il ressort clairement de ce texte que le paragraphe 25(1) est disponible dans au moins certains cas d’interdiction de territoire. Le paragraphe 11(1) ne peut donc pas signifier, comme l’agent a conclu, qu’une demande CH pour un visa de résident permanent doit être rejetée simplement parce que le demandeur est interdit de territoire. En conséquence, même si l’analyse de l’agent a commencé de façon sensée, le manque de considération du contexte législatif a miné sa raisonnabilité. Malheureusement, l’analyse de l’agent s’est arrêtée à ce point. Quoique l’agent s’est appuyé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations et les paragraphes 40(1) et (2), sa décision ne pouvait être lu comme incluant une analyse implicite du paragraphe 40(3) et de l’interaction entre ce paragraphe et le paragraphe 25(1). Donc, l’agent ne semble pas avoir considéré le texte ou le contexte des dispositions applicables avant de conclure que la demande CH du demandeur devait être rejetée en raison de son interdiction et du paragraphe 11(1). Par conséquent, la décision de l’agent ne démontrait pas un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement l’amener à conclure comme il l’a fait. Les motifs de l’agent n’étaient pas raisonnables et sa décision ne pouvait être soutenue.

Le paragraphe 40(3) empêche l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent tandis que le paragraphe 25(1) permet à l’étranger hors du Canada de présenter une demande CH pour obtenir le statut de résident permanent, à quelques exceptions près. Ni le texte du paragraphe 40(3) ni celui du paragraphe 25(1) ne fait référence à l’autre. Néanmoins, le paragraphe 25(1) énonce explicitement plusieurs cas dans lesquels le défendeur ne peut pas considérer une demande CH. Ces cas incluent notamment l’interdiction de territoire selon les articles 34, 35 ou 37 de la Loi. Le paragraphe 25(1) ne mentionne pas l’interdiction de territoire pour fausses déclarations prévu à l’article 40. L’absence de l’article 40 du texte du paragraphe 25(1) suggère fortement et clairement que l’intention du Parlement n’était pas d’empêcher l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations de présenter une demande CH. Si le Parlement voulait que l’étranger interdit de territoire selon l’article 40 ne puisse pas présenter une demande CH, il suffirait d’ajouter l’article 40 aux articles 34, 35 et 37 dans le texte du paragraphe 25(1). Le fait que le Parlement n’ait pas inclus l’article 40 dans cette liste est une indication textuelle claire. Le texte des paragraphes 25(1) et 40(3), lus ensemble, indique de façon préliminaire une seule interprétation raisonnable, à savoir que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations peut déposer une demande CH en vertu du paragraphe 25(1). Le contexte législatif et administratif de ces articles renforce cette conclusion. Le contexte et, en particulier, les autres dispositions de la Loi, les guides d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ainsi que des cas antérieurs du traitement des demandes CH soutiennent l’interprétation textuelle selon laquelle l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations n’est pas empêché de présenter une demande CH et ne milite pas en faveur de l’interprétation contraire. Par ailleurs, une considération de l’objet des dispositions en cause n’affectait pas grandement l’interprétation. Il s’agissait d’un facteur surtout équivoque. Le texte, le contexte et l’objet des dispositions ayant été considérés, la seule interprétation raisonnable des paragraphes 40(3) et 25(1) de la Loi était que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations n’est pas empêché par la prohibition au paragraphe 40(3) de présenter une demande CH en vertu du paragraphe 25(1).

La Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande des demandeurs. Par contre, la SAI aurait eu compétence pour entendre l’appel de la demanderesse en tant que répondante. L’alinéa 72(2)a) de la Loi stipule qu’une demande d’autorisation à la Cour fédérale ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées. Selon cet alinéa, s’il y a un droit d’appel en vertu de la Loi, une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’une fois l’appel déterminé. L’article 72 de la Loi ne crée pas un droit au contrôle judiciaire d’une décision prise dans le cadre de la Loi. Cette compétence est conférée à la Cour fédérale par la Loi sur les Cours fédérales. L’article 72 prévoit simplement des exigences procédurales additionnelles dans le contexte d’immigration, lors de l’exercice de ce droit. Donc, si la Loi ne donne pas de droit d’appel à la SAI, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée. La question était donc effectivement de savoir si la SAI avait la compétence pour entendre un appel de la décision de l’agent et pour prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire.

La compétence de la SAI pour entendre un appel de la décision de l’agent [en-tête au-dessus de 119] dépend de l’interaction entre les articles 40, 63 et 64 de la Loi, ainsi que de la jurisprudence de la Cour fédérale. Un individu ayant déposé une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel à la SAI du refus de délivrer un visa de résident permanent en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi. Il y a une exception à ce droit d’appel dans le cas d’un refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations. L’article 65 limite les appels dans lesquels la SAI peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire. Le droit d’appel à la SAI lorsqu’un étranger dépose une demande de résidence permanente parrainée, alors qu’il est interdit de territoire selon l’article 40 (fausses déclarations), existe dans des circonstances spécifiques. En particulier, dans le cas où la demande est accompagnée par une demande CH, l’agent doit traiter la demande CH selon l’article 25. Dans le cas où la demande est refusée, si le demandeur fait partie de la catégorie du regroupement familial et il est l’époux, le conjoint de fait ou l’enfant du répondant, le répondant peut faire appel à la SAI, qui a compétence pour statuer sur les motifs d’ordre humanitaire et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’une fois que les voies d’appel du répondant soient épuisées (Loi, alinéa 72(2)a). [130(2)(c)] Ici, le demandeur est l’époux de la demanderesse, Mme el Aoud. Sa demande de résidence permanente parrainée était accompagnée d’une demande CH en vertu de l’article 25. Donc, sa demande était recevable et Mme el Aoud avait un droit d’appel à la SAI.

Néanmoins, dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour fédérale avait compétence malgré celle de la SAI. Le fait que la demanderesse a commencé un appel devant la SAI et l’a retiré après que le défendeur ait pris la position que la SAI n’avait pas compétence, ne pouvait pas l’empêcher de déposer ou de continuer la présente demande et ne pouvait pas enlever la compétence de la Cour fédérale.

Une question a été certifiée en l’espèce quant à savoir si une personne dans les mêmes circonstances que le demandeur peut déposer une demande CH.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)d),f.1),i), 11(1), 15, 20.1, 20.2(1), 25, 34, 35, 36, 37, 40, 46 (1)c), 48, 49, 63, 64, 65, 72, 74d).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 10–12, 66, 70(2), 117.

Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16, art. 9, 16.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18, 18.1.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] R.C.S. 653; Habtenkiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, [2015] R.C.F. 327; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 33.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3; Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 391, [2019] 2 R.C.F. F-17; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289; Pretashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 817; Mella c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1587; McMurray c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 59936 (C.I.S.R.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Sheikh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 199; Yuzer c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157, [2022] R.C.F. 153; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, [2019] 2 R.C.F. F-3; Tan c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 186, [2019] 2 R.C.F. 648; Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52, [2019] 2 R.C.F. F-7; Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44, [2015] 3 R.C.S. 147; JK v. Gowrishankar, 2019 ABCA 316; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Zeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1586, [2020] 3 R.C.F. F-2; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 700; Khandaker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 985, [2020] 4 R.C.F. 638; Hassan c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1096; Kumari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424; Brar c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 691; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mora, 2013 CF 332; Balarezo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1060; Nguyen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27; Mohammed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 271; Abdullah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 954; Mun v. Canada (Citizenship and Immigration), 2020 CanLII 15298 (C.F.); Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351 (C.I.S.R.); H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2021 CAF 159, [2022] 1 R.C.F. 105; Somodi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26; Zaghbib c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182, [2017] 1 R.C.F. 392; Seshaw c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 181; Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 31073 (C.I.S.R.); Lefter c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CanLII 10743 (C.I.S.R.); Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 102071 (C.I.S.R.); Delos Reyes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), SAI TB7-032340, 19 novembre 2018.

DOCTRINE CITÉE

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Instructions et lignes directrices opérationnelles. « Considérations d’ordre humanitaire : réception des demandes et admissibilité » (date de modification : 2019-06-21).

Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., n° 151 (24 septembre 2012).

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 41e lég., 1re sess., n° 054 (24 octobre 2012).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent de l’Ambassade du Canada au Maroc rejetant la demande de M. Sedki (demandeur) pour un visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire à cause de l’interdiction de territoire, sans traiter les considérations d’ordre humanitaire soulevées par le demandeur. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Guillaume Cliche-Rivard pour les demandeurs.

Lynne Lazaroff pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cliche-Rivard, Avocats inc., Montréal, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

Le juge McHaffie :

I.     Aperçu

[1]        L’étranger qui est interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations ne peut, pendant la période d’interdiction, présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent. Cette prohibition empêche-t-elle l’étranger de présenter une demande pour un visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire (demande CH) en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)? Cette demande de contrôle judiciaire soulève cette question centrale.

[2]        Abdelhak Sedki est interdit de territoire pour fausses déclarations faites lors d’une demande précédente pour un visa de visiteur. Son interdiction de territoire de cinq ans continue jusqu’au 6 décembre 2022. Selon le paragraphe 40(3) de la LIPR, M. Sedki « ne peut […] présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent » pendant cette période. M. Sedki a néanmoins déposé une demande de résidence permanente au titre du regroupement familial, parrainé par son épouse Zineb el Aoud. La demande cite des motifs d’ordre humanitaire [CH] et l’article 25 de la LIPR. Un agent de l’Ambassade du Canada au Maroc a rejeté la demande le 25 octobre 2019 à cause de l’interdiction de territoire, sans traiter les considérations d’ordre humanitaire soulevées par M. Sedki.

[3]        Je conclus que la décision de l’agent était déraisonnable. L’agent a rejeté la demande de M. Sedki en citant seulement son interdiction de territoire et le paragraphe 11(1) de la LIPR. Il n’a considéré ni le paragraphe 25(1), ni l’effet de la prohibition prévue au paragraphe 40(3) sur la capacité de M. Sedki de présenter une demande CH. À mon avis, l’analyse de l’agent n’était pas conforme au texte, au contexte et à l’objet de la LIPR.

[4]        Le ministre prétend que le manque d’analyse sur ce point ne peut pas rendre la décision déraisonnable parce que M. Sedki ne pouvait pas, de toute façon, déposer une demande CH. Le ministre soutient que la Cour devrait confirmer la décision de l’agent pour motif que le paragraphe 40(3) de la LIPR empêche une demande CH en vertu du paragraphe 25(1).

[5]        Je ne suis pas d’accord. Au contraire, ayant entendu les arguments du ministre et des demandeurs, je conclus que la seule interprétation raisonnable des dispositions pertinentes est que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations peut toujours déposer une demande CH en vertu du paragraphe 25(1). Selon le libellé de l’article 25, le législateur a expressément empêché certains étrangers interdits de territoire de déposer une demande CH. Les étrangers interdits selon l’article 40 pour fausses déclarations ne sont pas parmi ceux énumérés à l’article 25. Cet indice législatif fort est confirmé par d’autres indications dans la LIPR, dans certains guides publiés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et dans la jurisprudence de cette Cour. Ces indications démontrent, sans permettre une autre interprétation raisonnable, que l’agent avait la discrétion de traiter la demande CH, ce qu’il n’a pas fait.

[6]        La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et la demande CH de M. Sedki, accompagnée par sa demande de résidence permanente parrainée, est renvoyée à un autre agent d’IRCC pour évaluation sur le fond.

[7]        Ceci dit, je conviens avec les parties (i) que la question posée au premier paragraphe est déterminante pour cette demande, (ii) qu’il n’y a pas de réponse établie à la question dans la jurisprudence, (iii) qu’elle a des conséquences importantes pour plusieurs étrangers assujettis à une interdiction de territoire pour fausses déclarations, et (iv) qu’elle transcende donc les intérêts des parties au litige. Je conclus que les critères pour une question certifiée sont présents et j’accorde la demande des parties de certifier la question suivante :

L’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), pendant la période énoncée à l’alinéa 40(2)(a) de la LIPR, peut-il présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent pour considérations d’ordre humanitaire au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR, malgré l’interdiction de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent prévue au paragraphe 40(3) de la LIPR ?

II.    Question en litige et norme de contrôle

[8]        Cette demande soulève les questions en litige suivantes :

A.    Était-il raisonnable pour l’agent de refuser la demande de parrainage des demandeurs à cause de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, sans traiter leur demande CH en vertu de l’article 25 de la LIPR?

B.    Cette Cour a-t-elle compétence pour entendre cette demande malgré l’alinéa 72(2)a) de la LIPR et/ou la Section d’appel de l’immigration (SAI) avait-elle compétence pour entendre un appel de la décision de l’agent?

C.   Est-ce que l’intitulé devrait être amendé pour enlever le nom de Mme el Aoud comme demandeur?

[9]        La norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision de l’agent de refuser la demande des demandeurs : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] R.C.S. 653, aux paragraphes 16–17 et 23–25. Les parties n’ont pas prétendu autrement. Cette norme s’applique donc à la première question. Je vais traiter de l’application de cette norme de façon plus approfondie en discutant de la décision de l’agent.

[10]      La deuxième question soulève la compétence de cette Cour et de la SAI. Lorsque la compétence de la Cour est en jeu, la Cour se penche souvent sur cette question en premier lieu. Dans cette affaire, les parties sont d’accord que la Cour a compétence et je suis du même avis. Ma conclusion sur cette question est liée au résultat de la première question. Je vais donc traiter de la question de compétence en deuxième lieu. La SAI n’a pas discuté de la question de sa compétence, même implicitement, parce que Mme el Aoud a retiré son appel devant la SAI à la suite de l’opposition du ministre. À mon avis, la question de la compétence de cette Cour est à décider sans appliquer une norme de contrôle même si elle est complémentaire à la compétence de la SAI : Habtenkiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, [2015] R.C.F. 327, au paragraphe 23.

[11]      La troisième question soulève la capacité de Mme el Aoud de participer en tant que demanderesse dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. Aucune norme de contrôle ne s’applique.

III.   Analyse

A.    La décision de l’agent était déraisonnable

1)    Contexte : l’interdiction et le refus de la demande de résidence permanente

[12]      M. Sedki a déposé une demande de visa de visiteur en 2017. Cette demande a été refusée le 6 décembre 2017. L’agent évaluant cette demande a déterminé que M. Sedki avait fait de fausses déclarations au sujet de son emploi et de ses moyens financiers. Il était donc interdit de territoire pendant cinq ans en vertu de l’article 40 de la LIPR, qui stipule ce qui suit :

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

[…]

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

[…]

Interdiction de territoire

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent. [Je souligne.]

[13]      M. Sedki ne conteste pas cette décision antérieure dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Il est donc admis pour les fins actuelles qu’il est interdit de territoire conformément à l’article 40 de la LIPR, et ce, jusqu’au 6 décembre 2022. Tel qu’indique le paragraphe 40(3), l’étranger qui est interdit de territoire pour fausses déclarations ne peut pas présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent pendant la période d’interdiction.

[14]      M. Sedki a toutefois déposé une demande de résidence permanente au mois de novembre 2018, parrainé par Mme el Aoud. Dans une lettre de motivation, la consultante des demandeurs a souligné l’interdiction de territoire et a noté qu’elle joignait à la demande « une demande humanitaire pour enlever l’interdiction de territoire ». Le 23 octobre 2019, n’ayant pas eu de réponse, la consultante a déposé un suivi à la demande de parrainage et à la demande CH, en faisant expressément référence à l’article 25 de la LIPR. Elle a aussi déposé quelques documents supplémentaires, y compris une lettre de Mme el Aoud.

[15]      Le 25 octobre 2019, l’agent a rendu sa décision, rejetant la demande. L’analyse substantielle dans la décision se lit comme suit :

J’ai maintenant terminé l’examen de votre demande et j’en suis arrivé à la conclusion que vous ne répondez pas aux critères pour être admis au Canada au titre de regroupement familiale-époux.

À l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il est dit que l’étranger est interdit de territoire pour avoir, directement ou indirectement, fait une « présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». L’alinéa 40(2)a), précise que l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si l’étranger n’est pas au pays.

En effet, le 6 décembre 2017, votre demande de visa de résidence temporaire a été refusée pour fausse déclaration. Vous êtes donc inadmissible au Canada jusqu’au 6 décembre 2022.

Cette période ne s’étant pas écoulée, vous êtes toujours concerné par cette interdiction.

Le paragraphe11(1) de la Loi stipule que « l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par le règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ». Pour les raisons exposées précédemment, je suis convaincu(e) que vous devez être interdit de territoire et je refuse donc votre demande.

[Je souligne.]

[16]      La décision de l’agent ne fait pas mention de la demande CH ou des considérations d’ordre humanitaire. Elle ne fait pas non plus référence au paragraphe 40(3) ni à l’article 25 de la LIPR. Les notes dans le Système mondial de gestion de cas (SMGC) n’en font pas plus mention, faisant seulement référence au paragraphe 40(2) et à l’interdiction de territoire jusqu’au 6 décembre 2022. L’agent a simplement conclu que M. Sedki était interdit de territoire et a noté que le paragraphe 11(1) stipule qu’un visa ne sera pas délivré si l’étranger est interdit de territoire.

[17]      Mme el Aoud a déposé un appel de la décision à la SAI le 30 octobre 2019. Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 20 décembre 2019.

[18]      Au mois d’avril 2020, le ministre a déposé auprès de la SAI une demande en rejet d’appel pour défaut de compétence. Le ministre a allégué que la SAI ne pouvait pas entendre l’appel, soulevant pour la première fois la prohibition prévue au paragraphe 40(3). Après avoir reçu la demande du ministre, Mme el Aoud a retiré son appel à la SAI le 29 juillet 2020 et a poursuivi la présente demande de contrôle judiciaire.

2)    Le cadre d’analyse

a)    La raisonnabilité et le manque de raisonnement quant à la demande CH

[19]      Lorsque la Cour effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, elle tient compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement du décideur afin de s’assurer que la décision est « transparente, intelligible et justifiée » : Vavilov, au paragraphe 15. La décision raisonnable doit être à la fois fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifié à la lumière des contraintes juridiques et factuelles, y compris le régime législatif applicable et les observations des parties : Vavilov, aux paragraphes 99–101, 108–110 et 127–128.

[20]      Les observations des parties constituent une contrainte importante qui a une incidence sur une décision administrative : Vavilov, aux paragraphes 127–128. La majorité de la Cour suprême a expliqué que « [l]es principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » : Vavilov, au paragraphe 127. Comme le prétendent les demandeurs, si une décision administrative ne s’attaque pas de façon significative aux questions clés, la Cour de révision peut se demander si le décideur était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise : Vavilov, au paragraphe 128.

[21]      Dans le cas en l’espèce, l’agent n’a pas expressément mentionné la demande CH des demandeurs. Il a simplement rejeté la demande intégralement sur la base de l’interdiction de territoire de M. Sedki et du paragraphe 11(1) de la LIPR. Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent est déraisonnable et devrait être infirmée dû au seul fait que l’agent n’a même pas abordé l’existence de la demande CH.

[22]      Or, la situation devient plus compliquée parce que le ministre prétend que l’agent n’était pas obligé de statuer sur la demande CH. Il affirme que M. Sedki ne pouvait pas présenter de demande CH à cause du paragraphe 40(3) et, qu’en conséquence, l’agent n’était pas tenu de traiter de la demande ni même d’aborder le fait qu’il n’était pas tenu de ce faire. En effet, le ministre plaide que le fait que l’agent n’a pas fait référence à la demande CH ne peut pas rendre sa décision déraisonnable parce que M. Sedki était empêché de présenter une telle demande.

[23]      La décision de l’agent doit être lue dans son contexte administratif et ne doit pas être jugée selon une norme de perfection : Vavilov, au paragraphe 91; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3, au paragraphe 40. Le contexte administratif pertinent comprend le grand nombre de demandes de parrainage et d’autres demandes de visa reçues par les missions canadiennes : Sheikh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 199, aux paragraphe 51 et 68; Yuzer c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781, aux paragraphe 9, 15 et 20.

[24]      Même s’il n’a pas fait mention de la demande CH en particulier, on peut comprendre que l’agent a examiné la demande des demandeurs et a conclu que la demande entière, y compris la demande CH, devrait être rejetée parce que M. Sedki est interdit de territoire et le paragraphe 11(1) requiert de la preuve qu’il ne l’est pas. Je ne suis donc pas satisfait que le simple fait de ne pas avoir fait référence à la demande CH dans le cadre de son analyse rend la décision de l’agent déraisonnable en raison du défaut de tenir compte d’un aspect central de la demande.

[25]      Ceci dit, l’analyse législative que propose maintenant le ministre n’est pas l’analyse qu’a effectuée l’agent. L’agent s’est appuyé exclusivement sur les paragraphes 40(1), 40(2) et 11(1) de la LIPR alors que le ministre s’appuie surtout sur le paragraphe 40(3). À mon avis, il faut commencer avec le raisonnement de l’agent, parce que ses motifs servent à communiquer la justification de sa décision : Vavilov, aux paragraphes 81 et 84.

[26]      À cet égard, j’accepte qu’un décideur puisse avoir tiré des conclusions implicites sur une question d’interprétation législative : Mason, au paragraphe 41. Toutefois, en l’espèce, je ne peux pas conclure que l’agent a tiré une conclusion implicite sur l’interaction entre les paragraphes 40(3) et 25(1) alors qu’il n’a fait référence qu’aux paragraphes 40(1), 40(2) et 11(1). À mon avis, cela franchirait la ligne entre la lecture respectueuse, globale et contextuelle des motifs et la fabrication de nouveaux motifs pour appuyer une décision : Vavilov, au paragraphe 96; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 157, [2022] R.C.F. 153, aux paragraphes 8–10. La question, pour l’instant, n’est pas à savoir si le même résultat pouvait être atteint via un autre raisonnement. Un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné : Vavilov, au paragraphe 86.

b)    La raisonnabilité et l’interprétation législative

[27]      Comme je l’ai indiqué, l’agent a effectivement conclu qu’à la lumière du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’interdiction de territoire de M. Sedki selon l’article 40 nécessitait le refus de sa demande, y compris sa demande CH. Cette analyse soulève une question d’interprétation législative.

[28]      Quand il s’agit d’une telle question, le « principe moderne » en matière d’interprétation s’applique aux décideurs administratifs ainsi qu’aux cours : Vavilov, au paragraphe 118. Selon ce principe, les mots d’une disposition sont lus « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur », c’est-à-dire selon le texte, le contexte et l’objet de la loi : Vavilov, aux paragraphes 117–121, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26.

[29]      Bien qu’un décideur administratif devrait appliquer ces principes d’interprétation, il n’est pas tenu dans tous les cas d’entreprendre une « interprétation formaliste » de la loi, même s’il émet des motifs écrits : Vavilov, au paragraphe 119. Par contre, l’interprétation doit être conforme au texte, au contexte et à l’objet des dispositions de la loi : Vavilov, au paragraphe 120. Pour évaluer la décision du décideur, la cour de révision « ne procède pas à une analyse de novo de la question », et ne cherche pas l’interprétation « correcte » : Vavilov, aux paragraphes 116 et 124; Mason, aux paragraphes 11–13. L’analyse vise simplement à déterminer si la décision est conforme aux principes d’interprétation.

[30]      La Cour d’appel a récemment souligné le « danger » qui est créé par le fait que la Cour et le tribunal administratif appliquent les mêmes principes d’interprétation : Mason, aux paragraphes 11–13. Pour éviter ce danger, la cour de révision doit garder en vue (i) que plusieurs interprétations peuvent être ouvertes au décideur administratif; (ii) que le décideur peut avoir une meilleure appréciation des interprétations que la Cour étant donné son expertise; et (iii) que la loi donne la responsabilité d’interprétation au décideur et non à la cour de révision : Mason, au paragraphe 16, citant Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, [2019] 2 R.C.F. F-3, aux paragraphes 13–17.

[31]      Dans Mason, la Cour d’appel a suggéré une approche où la cour de révision entreprend une analyse « préliminaire » du texte, du contexte et de l’objet de la loi, sans jugement ou conclusion, avant d’examiner l’interprétation du décideur administratif et les arguments des parties : Mason, aux paragraphes 17–20. Cependant, il ne faut pas présumer que la même analyse est appropriée dans chaque contexte administratif ni prendre une « position d’accord par défaut » [ma traduction] : Mason, aux paragraphes 23 et 24. L’analyse de la décision en cause par la majorité de la Cour suprême dans Vavilov offre un autre exemple d’une analyse d’une question d’interprétation législative selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov, aux paragraphes 171–196; voir aussi Alexion, aux paragraphes 34–69.

3)    L’analyse de l’agent n’était pas raisonnable

[32]      L’agent a invoqué le fait que M. Sedki est interdit de territoire, ce qui n’est pas contesté, ainsi que le paragraphe 11(1) de la LIPR. Il a conclu que la demande devrait être rejetée puisqu’il était convaincu que M. Sedki est interdit de territoire.

[33]      À mon avis, la référence par l’agent au paragraphe 11(1) est sensée. Le rôle de l’agent est de faire le « contrôle » visé au paragraphe 11(1) et ce paragraphe donne des instructions importantes quant au fait qu’un visa peut être délivré sur preuve que l’étranger n’est pas interdit de territoire.

[34]      Par contre, l’agent a terminé son analyse avec ce paragraphe. Il n’a pas considéré le contexte législatif du paragraphe 11(1) et, particulièrement, le paragraphe 25(1) qui était soulevé par la demande CH de M. Sedki. Le paragraphe 25(1) prévoit que l’étranger hors du Canada peut présenter une demande de visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[Je souligne.]

[35]      Il ressort clairement de ce texte que le paragraphe 25(1) est disponible dans au moins certains cas d’interdiction de territoire. Cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada : Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, au paragraphe 20. La juge Abella dans [l’arrêt] Kanthasamy a fait référence à la règle générale du paragraphe 11(1) en particulier avant de noter que le paragraphe 25(1) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser des exigences habituelles de la LIPR dans certains cas : Kanthasamy, aux paragraphes 9 et 10. Par exemple, le ministre admet que l’étranger hors du Canada qui est interdit de territoire en vertu de l’article 36 de la LIPR peut déposer une demande CH et peut recevoir un visa de résident permanent à l’issue de cette demande, malgré le paragraphe 11(1).

[36]      Le paragraphe 11(1) ne peut donc pas signifier, comme l’agent semble avoir conclu, qu’une demande CH pour un visa de résident permanent doit être rejetée simplement parce que le demandeur est interdit de territoire. Sinon, l’étranger interdit de territoire qui est hors du Canada ne pourrait jamais présenter une demande CH pour un visa de résident permanent avec succès, ce qui n’est évidemment pas le cas. Je note que le ministre ne s’appuie pas sur le paragraphe 11(1) pour étayer sa position ou le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[37]      En conséquence, je trouve, comme l’a trouvé la Cour suprême dans [l’arrêt] Vavilov, que même si l’analyse de l’agent a commencé de façon sensée, le manque de considération du contexte législatif mine sa raisonnabilité : Vavilov, aux paragraphes 174–176. Malheureusement, l’analyse de l’agent s’est arrêtée à ce point. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, l’agent s’est appuyé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations et les paragraphes 40(1) et (2), mais je ne peux pas lire sa décision comme incluant une analyse implicite du paragraphe 40(3) et de l’interaction entre ce paragraphe et le paragraphe 25(1). Autrement dit, l’agent n’a pas considéré, explicitement ou implicitement, le texte, le contexte ou l’objet du paragraphe 25(1) ou du paragraphe 40(3) ou, s’il l’a fait, ses motifs ne peuvent être discernés : Alexion, au paragraphe 66.

[38]      Je n’ai donc pas confiance que l’agent a considéré le texte ou le contexte des dispositions applicables avant de conclure que la demande CH de M. Sedki doit être rejetée en raison de son interdiction et du paragraphe 11(1) : Vavilov, au paragraphe 122. Il ne s’agit pas d’aspects mineurs ni d’omission de quelques détails après la considération de presque tous les éléments de texte, de contexte et d’objet : Vavilov, aux paragraphes 100 et 122; Mason, au paragraphe 41.

[39]      Je conclus donc que la décision de l’agent ne démontre pas un mode d’analyse qui puisse raisonnablement l’amener à conclure comme il l’a fait : Vavilov, aux paragraphes 102 et 122. Les motifs de l’agent n’étaient pas raisonnables et sa décision ne peut être soutenue.

[40]      Ceci ne termine pas l’analyse, par contre. Quand une décision est déraisonnable, le recours habituel est la cassation et le renvoi : Vavilov, au paragraphe 141. Or, comme je l’ai indiqué, le ministre soutient dans cette affaire que M. Sedki n’avait pas le droit de déposer une demande CH en vertu du paragraphe 25(1) en raison du paragraphe 40(3). En effet, le ministre prétend que, peu importe l’analyse de l’agent, la seule interprétation raisonnable des paragraphes est que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations ne peut pas déposer une demande CH. Le ministre soutient qu’il n’était pas nécessaire, dans ces circonstances, que l’agent statue sur la question et il n’est pas nécessaire de retourner la question au décideur.

[41]      Les demandeurs, eux aussi, prétendent qu’il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable, et qu’il ne sert à rien de renvoyer la question à un agent d’IRCC. Par contre, les demandeurs plaident que l’interprétation contraire est la seule interprétation raisonnable, nommément que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations peut néanmoins déposer une demande CH.

[42]      Je suis d’accord avec les parties que s’il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable des paragraphes pertinents, il ne sert à rien de renvoyer la question à un agent d’IRCC pour reprendre la décision simplement parce que l’agent en l’espèce n’a pas fait d’analyse adéquate ou raisonnable : Vavilov, aux paragraphes 142 et 195; Tan c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 186, [2019] 2 R.C.F. 648, aux paragraphes 121 et 122 par le juge Rennie au nom de la majorité. À l’opposé, si la LIPR peut supporter deux ou plusieurs interprétations raisonnables, la Cour devrait renvoyer l’affaire pour réexamen, parce que le décideur administratif est celui qui devrait statuer sur la question en premier lieu : Vavilov, au paragraphe 140; Alexion, aux paragraphes 67 et 70; Tan, aux paragraphes 135–141 par le juge Pelletier, dissident en partie.

[43]      Pour répondre à la question à savoir s’il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable et, le cas échéant, laquelle, il faut considérer les arguments des parties sur l’interprétation législative. Est-ce que la Cour devrait même entreprendre cet exercice? Je conclus dans cette affaire que la réponse est oui. La Cour suprême a souligné qu’il y a des cas dans lesquels une seule interprétation législative est raisonnable et le renvoi pour nouvel examen serait contraire au souci de résolution rapide et efficace : Vavilov, aux paragraphes 124 et 142. Il est effectivement impossible de déterminer si le cas actuel est un de ces cas sans considérer les arguments des parties sur l’interprétation applicable aux dispositions législatives.

[44]      À cet égard, la « résolution rapide et efficace » de la demande de M. Sedki est certainement en jeu. Sa demande CH pour rejoindre son épouse au Canada avant l’expiration de son interdiction de territoire a été déposée il y a presque trois ans. Son interdiction de territoire ne durera que 14 mois de plus et sa demande CH n’a pas encore été traitée sur le fond. La demande risque de devenir théorique si la question à savoir si M. Sedki peut même présenter sa demande CH, en plus du traitement de la demande sur le fond, est renvoyée pour réexamen. Le prochain demandeur risque aussi de se trouver dans la même situation étant donné la durée de l’interdiction de territoire et la durée de la procédure de contrôle judiciaire. Ceci ne peut être le souhait du législateur : Vavilov, au paragraphe 142.

[45]      Comme je l’ai indiqué, la réponse à la question d’interprétation affecte aussi la deuxième question de la compétence de cette Cour dans cette demande. Il est donc nécessaire de déterminer s’il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable pour cette raison aussi.

[46]      Je demeure tout de même conscient de la volonté du législateur de confier la décision au décideur administratif et de la nécessité d’éviter « un examen selon la norme de la décision correcte, mais déguisé » sous forme de l’évaluation de l’existence d’une seule interprétation raisonnable : Vavilov, aux paragraphes 140 et 142; Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52, [2019] 2 R.C.F. F-7, au paragraphe 61. Comme l’a indiqué la majorité dans Vavilov, la Cour devrait « généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation d’une disposition qui relève de la compétence d’un décideur administratif » : Vavilov, au paragraphe 124.

[47]      Pour essayer d’éviter ces problèmes, je vais examiner les arguments des parties et analyser les interprétations suggérées comme s’ils étaient le raisonnement de l’agent, appliquant ainsi les principes de la norme de la raisonnabilité en matière d’interprétation législative. Si les deux arguments pouvaient être considérés raisonnables, ou si l’analyse d’interprétation législative mènerait à deux interprétations raisonnables, la décision devrait être renvoyée. À l’opposé, si seulement une des interprétations peut être considérée raisonnable si elle était la décision de l’agent, ceci confirmera que le renvoi serait inutile. Je ne suggère pas que cette approche est universelle ou qu’elle devrait être entreprise dans chaque cas. Par contre, je conclus que cette analyse est appropriée pour déterminer la question mise devant la Cour par les parties en l’espèce.

[48]      Cette analyse nécessite l’évaluation des arguments du ministre qui ne constituaient pas le raisonnement de l’agent et des arguments des demandeurs qui n’étaient pas devant l’agent. Ces arguments ne sont généralement pas permis dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44, [2015] 3 R.C.S. 147, aux paragraphes 65–69; JK v. Gowrishankar, 2019 ABCA 316, au paragraphe 51; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, aux paragraphes 22–26; Mason, au paragraphe 73.

[49]      Quant aux arguments du ministre, j’ai expliqué ci-dessus les motifs pour lesquels je suis prêt à examiner la question à savoir si la prohibition au paragraphe 40(3) peut raisonnablement être interprétée comme empêchant l’étranger interdit de territoire de présenter une demande CH, et ce, malgré l’absence de cette analyse par l’agent. Pour ce faire, la Cour doit, par définition, considérer les arguments qui n’étaient pas ceux de l’agent.

[50]      Quant aux arguments des demandeurs, ils n’ont pas présenté des observations sur l’interaction entre le paragraphe 25(1) et le paragraphe 40(3) à l’agent. Ceci s’explique par le fait que l’agent est celui qui a soulevé pour la première fois dans sa décision la possibilité que la demande CH devrait être refusée pour la seule raison que M. Sedki est interdit de territoire. De plus, le ministre a allégué pour la première fois dans sa demande en rejet d’appel à la SAI que le paragraphe 40(3) empêche M. Sedki de déposer une demande CH. Ce n’est donc pas une situation où les arguments des demandeurs auraient pu être plaidés devant le tribunal administratif mais ne l’ont pas été : Alberta Teachers, au paragraphe 23. Ce n’est pas non plus une question par rapport à laquelle une preuve supplémentaire est nécessaire : Alberta Teachers, au paragraphe 28. Le ministre ne s’est pas opposé aux arguments des demandeurs en raison de leur nouveauté, objection qui serait difficile à justifier étant donné les nouveaux arguments du ministre. Dans ces circonstances, je suis satisfait que la Cour a, et doit exercer, la discrétion de considérer les arguments des deux parties.

4)    Il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable

[51]      Tout cela mène à la question centrale soulevée par les parties. Est-ce que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations est interdit par le paragraphe 40(3) de présenter une demande CH au titre du paragraphe 25(1)? Ou, pour mieux poser la question dans le contexte de cette demande de contrôle judiciaire, y a-t-il une seule réponse raisonnable à cette question? La réponse émane de l’examen du texte, du contexte et de l’objet des dispositions de la LIPR.

a)    Le texte : les dispositions pertinentes

[52]      Le paragraphe 40(3) de la LIPR est reproduit au paragraphe 12 ci-dessus. Au risque de me répéter, il prévoit que « [l]’étranger interdit de territoire [pour fausses déclarations] ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent. » À première lecture, cette prohibition n’est pas limitée. Comme le prétend le ministre, elle parle simplement d’une « demande pour obtenir le statut de résident permanent ».

[53]      La « période visée à l’alinéa (2)a) » court pour les cinq ans suivant (i) la décision en dernier ressort, si la personne est hors du Canada, ou (ii) l’exécution de la mesure de renvoi si la personne est au pays. Il est à noter que cette période n’est pas nécessairement limitée à cinq ans. Pour quelqu’un qui est au Canada, les conséquences de l’interdiction de territoire s’imposent dès la décision jugeant qu’il y a eu fausses déclarations, et non au moment de l’exécution de la mesure d’exclusion qui en résulte : Zeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1586, [2020] 3 R.C.F. F-2, au paragraphe 43; LIPR, articles 48 et 49. Si une mesure de renvoi n’est pas exécutée pendant une période après la prise d’effet de la mesure, la période d’interdiction de territoire peut courir pendant plus de cinq ans. Ce résultat est davantage confirmé dans la version anglaise de l’alinéa, qui indique que le résident permanent ou l’étranger continue d’être interdit de territoire (« continues to be inadmissible ») pour les cinq ans qui suivent l’exécution de la mesure de renvoi : LIPR, alinéa 40(2)a).

[54]      Les paragraphes 40(2) et (3) indiquent donc que l’étranger interdit de territoire, s’il est au Canada ou hors du pays, ne peut présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent pendant la période d’interdiction d’au moins cinq ans.

[55]      Or, le paragraphe 25(1), qui est reproduit au paragraphe 34, prévoit que l’étranger interdit de territoire qui se trouve au Canada, et tout étranger hors du Canada, peut présenter une demande de visa de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire. Il y a deux éléments pertinents à remarquer dans le texte du paragraphe 25(1).

[56]      Premièrement, seul l’étranger au Canada qui demande le statut de résident permanent ou l’étranger hors du pays qui demande un visa de résident permanent peut présenter une demande CH au titre du paragraphe 25(1) : Kanthasamy, au paragraphe 20. Comme le souligne le ministre, ceci est conforme à l’article 66 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), qui prévoit qu’une demande en vertu du paragraphe 25(1) doit être accompagnée d’une demande de séjour à titre de résident ou, pour l’étranger hors du Canada, d’une demande de visa de résident permanent : Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 391, [2019] 2 R.C.F. F-17 (Dhillon (2019)), au paragraphe 12.

[57]      Deuxièmement, le paragraphe énonce certaines situations dans lesquelles une demande CH ne peut pas être présentée. Le paragraphe est « sous réserve du paragraphe (1.2) ». Ce dernier prévoit cinq cas dans lesquels le ministre ne peut étudier une demande CH faite au titre du paragraphe 25(1). De même, le texte du paragraphe 25(1) stipule qu’une demande CH ne peut pas non plus être présentée par l’étranger interdit de territoire au titre des articles 34 (sécurité), 35 (atteinte aux droits humains ou internationaux) et 37 (activités de criminalité organisée) : Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 700, aux paragraphes 101 et 106.

[58]      Donc, en lisant leurs textes indépendamment, on voit que le paragraphe 40(3) empêche l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent tandis que le paragraphe 25(1) permet l’étranger hors du Canada de présenter une demande CH pour obtenir le statut de résident permanent, à quelques exceptions près. La question est donc effectivement si, en les lisant ensemble, le paragraphe 40(3) fait exception au paragraphe 25(1) ou si le paragraphe 25(1) fait exception au paragraphe 40(3).

[59]      Ni le texte du paragraphe 40(3) ni celui du paragraphe 25(1) ne fait référence à l’autre. Néanmoins, comme le soulignent les demandeurs, le paragraphe 25(1) énonce explicitement plusieurs cas dans lesquels le ministre ne peut pas considérer une demande CH. Ces cas incluent notamment l’interdiction de territoire selon les articles 34, 35 ou 37. Le paragraphe ne mentionne pas l’interdiction de territoire pour fausses déclarations prévu à l’article 40.

[60]      Je suis d’accord avec les demandeurs que l’absence de l’article 40 du texte du paragraphe 25(1), alors que plusieurs autres interdictions de territoire sont énumérées, suggère fortement et clairement que l’intention du Parlement n’était pas d’empêcher l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations de présenter une demande CH.

[61]      Si le Parlement voulait que l’étranger interdit de territoire selon l’article 40 ne puisse pas présenter une demande CH, il suffirait d’ajouter l’article 40 aux articles 34, 35 et 37 dans le texte du paragraphe 25(1). Le fait que le Parlement n’ait pas inclus l’article 40 dans cette liste est une indication textuelle claire. Ceci est surtout le cas puisque le paragraphe 40(3) a été ajouté à la LIPR dans le cadre de la même loi qui a modifié le paragraphe 25(1) pour exclure de son application l’étranger interdit de territoire en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 : Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16, articles 9 et 16.

[62]      Le ministre prétend que l’absence de l’article 40 dans le paragraphe 25(1) s’explique par le fait que l’interdiction à l’article 40 est temporaire et non permanente comme celle des articles 34, 35 ou 37. Je ne vois pas comment ce fait pourrait raisonnablement être considéré comme affectant la possibilité d’inclure l’article 40 dans le paragraphe 25(1) si le Parlement voulait empêcher une demande CH. Si l’article 40 se trouvait dans le paragraphe 25(1), l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations ne pourrait déposer une demande CH qu’une fois les cinq ans écoulés, date à laquelle il ne serait plus interdit de territoire au titre de l’article.

[63]      De plus, il y a d’autres exceptions temporaires à la possibilité de déposer une demande CH. Elles sont énumérées au paragraphe 25(1.2). Par exemple, le ministre ne peut étudier la demande CH si l’étranger a présenté une demande CH qui est toujours pendante ou si l’étranger a présenté une demande d’asile qui est pendant devant la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés : LIPR, alinéas 25(1.2)a)–b). Encore une fois, par contre, le Parlement n’a pas énuméré l’interdiction de territoire pour fausses déclarations dans cette liste d’exceptions. Le Parlement a précisé que le paragraphe 25(1) est « sous réserve » du paragraphe 25(1.2), mais n’a pas pour autant indiqué qu’il est « sous réserve » du paragraphe 40(3).

[64]      Le ministre prétend aussi que l’absence de référence à l’article 40 au paragraphe 25(1) n’affecte pas la prohibition au paragraphe 40(3). Il soutient que le fait qu’une demande CH doit être accompagnée par une demande de résidence permanente signifie qu’une telle demande ne peut pas être faite par un étranger à qui s’applique le paragraphe 40(3), parce que cet étranger ne peut pas déposer une telle demande. Le ministre allègue donc que l’interdiction de déposer toute demande de visa de résident permanent empêche « par ricochet » toute demande CH. Je ne trouve pas cette analyse raisonnable pour deux raisons.

[65]      En premier lieu, je trouve ce raisonnement circulaire. En effet, il présume que le paragraphe 40(3) crée une exception au paragraphe 25(1) pour conclure que le paragraphe 40(3) crée une exception au paragraphe 25(1). On ne peut faire cette présomption sans considérer le texte du paragraphe 25(1) et l’absence de l’article 40 dans la liste d’exceptions.

[66]      En deuxième lieu, l’argument est miné par les dispositions au sujet de l’étranger désigné. Le paragraphe 20.2(1), qui porte sur l’étranger désigné en vertu de l’article 20.1, est la seule autre disposition de la LIPR qui stipule que l’étranger « ne peut présenter de demande de résidence permanente ». Similairement à l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, cette prohibition s’applique à l’étranger désigné pour une période de cinq ans qui commence à s’écouler à des moments différents selon les circonstances : LIPR, alinéas 20.2(1)a)–c), 40(2)a)–b). Malgré cette prohibition, qui est exprimée de la même façon que celle au paragraphe 40(3), l’article 25 comprend un paragraphe spécifique qui stipule que l’étranger désigné ne peut pas faire une demande CH en vertu de l’article 25 pour la même période de cinq ans : LIPR, paragraphe 25(1.01). Cette prohibition expresse au sujet de l’étranger désigné selon l’article 20.1 suggère que l’absence d’une prohibition équivalente pour l’étranger interdit de territoire selon l’article 40 est un choix législatif délibéré de ne pas empêcher ce dernier de présenter une demande CH.

[67]      À mon avis, le texte des paragraphes 25(1) et 40(3), lus ensemble, indique de façon préliminaire une seule interprétation raisonnable, à savoir que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations puisse déposer une demande CH en vertu du paragraphe 25(1). Pour les motifs suivants, je trouve que le contexte législatif et administratif de ces articles renforce cette conclusion, tandis que l’objet de la loi n’a pas d’influence significative sur l’interprétation.

b)    Le contexte : les autres dispositions, les guides, le contexte administratif et la jurisprudence non déterminante

(i)    Les autres dispositions de la LIPR

[68]      Le contexte législatif des paragraphes 25(1) et 40(3) comprend notamment les autres dispositions pertinentes de la LIPR. J’ai mentionné ci-dessus le paragraphe 25(1.2) et les articles 34, 35 et 37 de la LIPR. Ces dernières dispositions sont expressément inclues dans le libellé du paragraphe 25(1). Les demandeurs s’appuient aussi sur l’article 36 tandis que le ministre s’appuie sur les articles 63 à 65.

[69]      L’article 36 de la LIPR porte sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité, soit les paragraphe 36(1) et paragraphe 36(2), respectivement. Le premier prévoit, entre autres, une interdiction de territoire pour avoir été déclaré coupable d’une infraction qui est punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans : LIPR, paragraphe 36(1); Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289, aux paragraphes 2 et 5. Les parties sont d’accord que le paragraphe 25(1), qui fait référence aux articles 34, 35 et 37 et non à l’article 36, n’empêche pas une demande CH par un étranger interdit de territoire pour grande criminalité.

[70]      Les demandeurs soutiennent qu’il serait peu cohérent de la part du Parlement de permettre à quelqu’un qui a été reconnu coupable d’un crime sérieux de déposer une demande CH, mais d’en empêcher quelqu’un qui n’a pas déclaré, par exemple, le refus d’un visa antérieur.

[71]      Tel qu’indiqué par le ministre, le Parlement peut dicter ses propres priorités législatives. Il n’est pas à la Cour de les questionner. Le Parlement peut conclure que le problème de fausses déclarations en matière d’immigration est plus grave et mérite une plus grande sanction que le problème de crime sérieux. Par contre, on s’attendrait que le Parlement exprime une telle conclusion de façon claire, ce qu’il n’a certainement pas fait en omettant l’article 40 de la liste des interdictions qui empêchent une demande CH prévue au paragraphe 25(1). Je note à cet égard que, dans le cadre de l’arrêt Tran de la Cour suprême du Canada, la juge Côté a conclu qu’il serait « absurde » qu’une personne coupable d’un crime moins grave reçoive une conséquence plus sévère en ce qui a trait à son statut d’immigration, et que cette absurdité supportait l’interprétation contraire : Tran, aux paragraphes 32–34.

[72]      Le ministre fait référence aux droits d’appel à la SAI, prévus par les articles 63 à 65 de la LIPR. Ces articles sont traités de manière plus approfondie ci-dessous dans le cadre de la deuxième question sur la compétence de la Cour. Pour les fins actuelles, il suffit de noter que le paragraphe 63(1) donne un droit d’appel du refus de délivrer le visa de résident permanent au répondant d’une demande de parrainage. Dans le cas d’un refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, le paragraphe 64(3) limite ce droit d’appel à l’époux, le conjoint ou l’enfant du répondant. Finalement, l’article 65 stipule que la SAI ne peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire dans un appel portant sur une demande au titre du regroupement familial que si l’étranger fait bien partie de cette catégorie.

[73]      Le ministre soutient que ces dispositions aident à expliquer pourquoi l’article 40 n’est pas mentionné au paragraphe 25(1) et pourquoi le Parlement veut empêcher ceux qui ont été jugés interdits de territoire pour fausses déclarations de déposer des demandes CH. À cet égard, le ministre fait une distinction entre une « première demande », soit celle lors de laquelle la détermination de fausses déclarations est faite, et une « deuxième demande », soit une demande subséquente qui est présentée pendant la période d’interdiction pour fausses déclarations. Le ministre note que l’époux étranger qui est jugé avoir fait de fausses déclarations lors de sa première demande de parrainage a un droit d’appel à la SAI : LIPR, paragraphes 63(1) et 64(3). Lors de cet appel, l’époux peut soulever des motifs d’ordre humanitaire : LIPR, article 65. Le ministre soutient que ce fait explique la prohibition de faire une deuxième demande soulevant des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25.

[74]      Le ministre prétend que la distinction entre une « première demande » et une « deuxième demande » est appuyée par l’arrêt Gill, décision à laquelle je retournerai lorsqu’il sera question de la compétence de la Cour : Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 33. Dans l’affaire Gill, la juge Simpson a conclu qu’une demande de parrainage faite pendant la période d’interdiction est nulle et qu’en conséquence il n’est pas possible d’appeler à la SAI son refus : Gill, aux paragraphes 16 et 21.

[75]      Je ne trouve pas que les arguments du ministre au sujet des droits d’appel puissent raisonnablement étayer son interprétation. Même si on accepte que la disponibilité d’une opportunité antérieure de présenter des motifs d’ordre humanitaire puisse soutenir une interprétation qui empêche une demande CH subséquente pendant la période d’interdiction, la LIPR est claire que ce n’est pas tous les étrangers soumis au paragraphe 40(3) qui auraient eu un droit d’appel. Notamment, si la « première demande » n’était pas une demande donnant un droit d’appel à la SAI, telle qu’une demande de visa temporaire, ou si les motifs d’ordre humanitaire sont exclus de considération lors de l’appel, comme pour un étranger qui ne fait pas partie du regroupement familial, il n’y aurait pas d’opportunité antérieure pour soulever des considérations humanitaires : LIPR, articles 63–65. Ceci est le cas de M. Sedki, qui a été jugé interdit de territoire pour fausses déclarations lors d’une demande de visa temporaire et qui n’avait donc pas de droit d’appel à la SAI. Dans une telle situation, l’interprétation du ministre enlèverait toute possibilité de considération de motifs d’ordre humanitaire, y compris dans les cas où le Parlement a expressément contemplé la considération de tels motifs, comme le parrainage d’un époux.

[76]      Le ministre a aussi fait référence aux articles 10 à 12 du RIPR dans son mémoire, mais n’a pas insisté fortement sur ces dispositions dans ses plaidoiries orales. À mon avis, ces dispositions portent sur la forme et le contenu de toute demande faite en vertu du RIPR et sur le retour des demandes si elles ne sont pas conformes. Je ne trouve pas ces dispositions pertinentes quant à la question de l’interprétation des paragraphes 25(1) et 40(3). Je tire la même conclusion au sujet de l’article 15 de la LIPR, qui permet à un agent de procéder à un contrôle de toute demande faite selon la LIPR. Cette disposition n’aide pas à déterminer si une demande particulière est faite conformément à la LIPR ou non.

(ii)   Les guides IRCC

[77]      Les guides publiés par IRCC sont un autre aspect du contexte soulevé par les demandeurs. Les guides, instructions et lignes directrices opérationnelles d’IRCC n’ont pas force de loi et ne lient pas la Cour, mais ils peuvent aider à interpréter une disposition de la LIPR et à évaluer la raisonnabilité de son application : Khandaker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 985, [2020] 4 R.C.F. 638, au paragraphe 64; Hassan c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1096, au paragraphe 20.

[78]      Les demandeurs ont déposé un guide IRCC intitulé « Considérations d’ordre humanitaire (CH) : réception des demandes et admissibilité » (date de modification 2019-06-21). Ce guide, qui semble s’adresser aux demandeurs, comprend l’extrait suivant :

Présentation d’une demande

[…]

Demande faite à l’étranger : Les demandeurs doivent utiliser l’un des trois formulaires de demande du Ministère correspondant aux trois catégories d’immigration (regroupement familial, catégorie de l’immigration économique ou demande d’asile) et fournir par écrit des renseignements supplémentaires à l’appui de leur demande aux termes du paragraphe L25(1).

Qui peut présenter une demande

L’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la Loi ou au Règlement peut présenter une demande écrite au titre du paragraphe L25(1). Des restrictions s’appliquent à l’examen des demandes CH. Elles sont expliquées dans les tableaux ci-dessous.

[…]

Restrictions applicables à l’examen des demandes

Plusieurs restrictions s’appliquent à l’examen des demandes CH, notamment :

•    Certaines personnes ayant une demande CH en instance

•    Interdictions de territoire pour lesquelles une dispense ne peut être demandée

•           Autres restrictions applicables aux demandes CH. [Je souligne.]

[79]      Chacune des « restrictions applicables » est expliquée dans le guide. La partie du guide qui explique la restriction « Interdictions de territoire pour lesquelles une dispense ne peut être demandée » fait référence aux interdictions au titre des articles 34, 35 ou 37, mais ne mentionne pas l’article 40. Le guide indique aux demandeurs qu’ils ne peuvent pas présenter de demande CH s’ils sont interdits de territoire selon les articles 34, 35 ou 37, mais ne suggère pas que l’interdiction de territoire pour fausses déclarations empêche une telle demande. Ceci est conforme avec l’interprétation des demandeurs.

[80]      De la même manière, le guide IRCC « Considération d’ordre humanitaire : traitement des demandes présentées hors du Canada » (date de modification : 2014-07-24), qui semble s’adresser aux agents d’IRCC, comprend une section intitulée « Évaluation des demandes de dispense à l’étape 1 ». Cette section donne les directives suivantes :

En évaluant une demande de dispense, gardez en tête les éléments suivants :

•    les objectifs de la Loi;

•    envisagez d’accorder une dispense à l’égard de tout critère ou obligation applicable de la Loi, y compris les interdictions de territoire (sauf les interdictions de territoire prévues aux articles 34, 35 et 37 si la demande a été présentée après le 19 juin 2013), lorsque l’étranger a explicitement demandé une dispense ou lorsqu’il est clair d’après les documents soumis qu’il demande une dispense (voir aussi Accorder une dispense de sa propre initiative). [Je souligne.]

[81]      Ce guide ne suggère pas aux agents que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations ne peut pas présenter une demande CH. Comme l’admet le ministre, on ne trouve pas de référence à l’incapacité d’un étranger interdit de territoire pour fausses déclarations de présenter une demande CH dans les guides IRCC.

[82]      Le ministre prétend que cette absence s’explique par le fait que les guides s’appliquent seulement aux « premières demandes » et non aux « deuxièmes demandes ». Cette explication n’est pas raisonnable. Il n’y a aucune indication dans les guides qu’ils s’appliquent seulement aux « premières demandes » ni d’autres guides qui s’appliquent aux « deuxièmes demandes » et qui révèlent l’interprétation du ministre. IRCC, l’organisme gouvernemental qui administre la LIPR, n’a apparemment pas conclu antérieurement que l’interdiction de territoire pour fausses déclarations empêche une demande CH en vertu du paragraphe 25(1). Donc, si un agent concluait que la demande CH d’un étranger interdit de territoire pour fausses déclarations doit être rejetée à cause de l’article 40, cette conclusion ne serait pas fondée sur les guides IRCC et serait, en fait, contraire à ces guides. Ceci suggère que cette interprétation serait déraisonnable : Hassan, au paragraphe 20.

(iii)  Le contexte administratif

[83]      Le ministre souligne le contexte administratif des agents de visa et leur charge de travail importante, contexte auquel j’ai fait référence plus tôt : Sheikh, aux paragraphes 51 et 68; Yuzer, au paragraphe 15. Le ministre prétend qu’il n’est pas raisonnable dans ce contexte de demander aux agents de visa de fouiller dans une demande, qui peut avoir des centaines de pages, pour voir si la demande fait référence aux motifs d’ordre humanitaire.

[84]      Le contexte administratif est important, mais je ne peux pas accepter que l’argument du ministre étaye raisonnablement son interprétation proposée. Pour commencer, l’argument n’est qu’hypothétique en l’espèce. Les demandeurs ont indiqué clairement sur la première page de leur lettre d’accompagnement qu’ils faisaient une demande CH en vertu de l’article 25. De toute façon, la jurisprudence de cette Cour explique les circonstances dans lesquelles une demande de résidence permanente peut être considérée, entièrement ou en partie, comme étant une demande en vertu de l’article 25, même si le demandeur n’y fait pas référence : Kumari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 9; Brar c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 691, au paragraphe 58; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mora, 2013 CF 332, aux paragraphes 35–37; Balarezo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1060, aux paragraphes 18–20.

[85]      De plus, je suis d’accord avec l’observation des demandeurs que la commodité administrative ne peut pas justifier la suppression de l’opportunité de présenter une demande CH. Elle ne peut pas non plus justifier une interprétation de la LIPR qui n’est pas soutenue par une lecture contextuelle de son texte. De toute façon, si le contexte administratif des agents de visa et leur charge de travail appuyait l’interprétation du ministre, on présumerait que les guides d’IRCC, qui seraient au courant de ce contexte, en feraient mention.

(iv)  Le contexte jurisprudentiel

[86]      Il n’y a pas de jurisprudence qui détermine la question qui est maintenant devant la Cour. Par contre, quelques décisions y touchent, directement ou indirectement. En particulier, je fais référence aux décisions de cette Cour dans Pretashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 817 et Mella c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1587, et à la décision de la SAI dans McMurray c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 59936 (C.I.S.R.), demande d’autorisation refusée par cette Cour (IMM-2421-21, 22 juin 2021).

[87]      Les parties ont signalé l’arrêt Pretashi à la Cour après l’audience. Dans cette affaire, M. Pretashi a été jugé interdit de territoire pour fausses déclarations en 2017. Son appel à la SAI a été rejeté au mois de janvier 2019 et une demande de contrôle judiciaire a été rejetée au mois d’août 2019 : Pretashi, aux paragraphe 6–7. À cause de cette décision et de la prise d’effet de la mesure de renvoi, M. Pretashi a perdu son statut de résident permanent : Pretashi, aux paragraphes 39, 41 et 64; LIPR, alinéa 46(1)c). Au mois de décembre 2019, alors qu’il était toujours au Canada, M. Pretashi a présenté une demande CH : Pretashi, au paragraphe 9.

[88]      Quand sa demande CH a été présentée, M. Pretashi était un étranger interdit de territoire pour fausses déclarations et la période d’interdiction s’écoulait toujours. Selon l’interprétation du ministre, le paragraphe 40(3) s’appliquerait et la demande CH aurait dû être rejetée pour cette raison. Par contre, la demande CH a été traitée et rejetée sur le fond : Pretashi, aux paragraphes 9–18. On comprend que l’agent a conclu, du moins implicitement, que M. Pretashi pouvait présenter une demande CH malgré le paragraphe 40(3). Dans ce contexte, la juge Kane a observé que l’exemption selon l’article 25, si elle était accordée, permettrait de surmonter l’interdiction de territoire pour fausses déclarations de M. Pretashi : Pretashi, au paragraphe 44.

[89]      Dans l’affaire Pretashi, le ministre semble ne pas avoir pris la position qu’il prend dans ce contrôle judiciaire, soit que la demande CH ne pouvait même pas être présentée à cause du paragraphe 40(3) : Pretashi, aux paragraphes 36–43. La juge Kane n’a donc pas eu à traiter la question. Ses commentaires doivent être considérés dans ce contexte. En même temps, cette décision donne l’exemple d’une situation dans laquelle une demande CH a été traitée pendant la période d’interdiction. D’autres décisions portent aussi sur des demandes CH faites au Canada lors de la période d’interdiction sans suggestion apparente du ministre que le paragraphe 40(3) les empêche de ce faire : Nguyen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, aux paragraphes 5–6; Mohammed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 271, aux paragraphes 4–6; Abdullah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 954, aux paragraphes 1 et 7–12; Mun v. Canada (Citizenship and Immigration), 2020 CanLII 15298 (C.F.), aux paragraphes 2 et 5–6.

[90]      D’autre part, dans l’arrêt Mella, le juge Norris a aussi fait référence à la possibilité de déposer une demande CH malgré une interdiction de territoire antérieure pour fausses déclarations, sans décider la question. Dans le contexte d’une demande d’annulation pour présentations erronées, Mme Mella a soulevé la défense de « contrainte ». Le juge Norris a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés que cette défense ne s’applique pas dans le contexte d’annulation parce que les conséquences de fausses déclarations ne visent pas à punir. Dans ce contexte, le juge Norris a noté que l’annulation entraîne une interdiction de territoire selon l’article 40, y compris la prohibition au paragraphe 40(3) : Mella, aux paragraphes 28–29. Par contre, il a observé ce qui suit : « [f]ait important, il est possible de demander une dispense de l’application de l’alinéa 40(2)a) et du paragraphe 40(3) de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. » : Mella, au paragraphe 30; voir aussi les paragraphes 36 et 40. Toutefois, la question de l’interaction entre le paragraphe 40(3) et le paragraphe 25(1) n’était encore une fois pas devant le juge Norris comme question directe et ses propos doivent être considérés dans ce contexte.

[91]      Le ministre a soulevé l’affaire McMurray surtout par rapport à la question de compétence. Par contre, la décision de la SAI contient une observation pertinente sur l’interaction entre les paragraphes 25(1) et 40(3). Mme McMurray et son époux ont déposé une demande de parrainage lorsque son époux était interdit de territoire. La demande ne comprenait pas une demande CH. La question portait sur la compétence de la SAI pour entendre un appel du refus de la demande de parrainage au motif que le mariage n’était pas authentique. S’appuyant sur Gill, la SAI a conclu que la demande était nulle en vertu du paragraphe 40(3) et que la SAI n’avait donc pas compétence : McMurray, aux paragraphes 1–5 et 11–13.

[92]      Même si elle s’est trouvée liée par la décision dans Gill, la SAI a répondu aux arguments de Mme McMurray sur le fond. Un de ses arguments était que l’existence de l’article 25 indique que la SAI devrait avoir la compétence pour entendre un appel d’un refus fondé sur le paragraphe 40(3) et pour prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire dans le cadre de l’appel : McMurray, aux paragraphes 6, 7 et 10. La SAI n’a pas accepté cet argument, indiquant que le paragraphe 40(3) « ne peut être corrigé par le paragraphe 25(1). Interpréter le paragraphe 40(3) autrement le rendrait inutile » : McMurray, au paragraphe 17. Étant donné que cette référence est la seule indication de la part d’un décideur administratif qu’une demande CH n’est pas disponible pour exempter l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, je dois la considérer sérieusement.

[93]      Néanmoins, je ne peux pas conclure que ce raisonnement obiter est raisonnable ou contribue à l’interprétation de la loi. La SAI n’a pas entrepris une analyse de sa déclaration que le paragraphe 40(3) ne peut être corrigé par le paragraphe 25(1), à part l’observation que l’interprétation alternative le rendrait inutile. Elle n’a pas considéré le texte du paragraphe 25(1) et les exceptions expresses qui y sont énumérées. Ceci n’est pas surprenant parce que Mme McMurray n’a pas présenté une demande CH en vertu du paragraphe 25(1) et la question n’était donc pas directement soulevée. De plus, la justification donnée, soit que le paragraphe 40(3) serait rendu « inutile » si un étranger pouvait toujours déposer une demande CH, me semble incompatible avec le fait que le paragraphe 40(3) continuerait d’avoir comme effet de prévenir toute autre demande et d’empêcher un appel à la SAI si une demande CH n’est pas faite. C’était le cas dans McMurray. La seule raison donnée par la SAI pour sa conclusion me semble donc dénuée de fondement.

[94]      Ce n’est pas pour dire que la conclusion ultime de la SAI dans McMurray était déraisonnable. Comme je l’ai indiqué, Mme McMurray n’avait pas fait de demande CH. L’analyse dans le passage ci-dessus n’était donc pas déterminante, surtout alors que la SAI a conclu qu’elle était liée par la décision dans l’affaire Gill. Le résultat dans l’affaire McMurray sur la compétence de la SAI s’accorde avec mes conclusions sur cette question dans la prochaine partie de ces motifs.

[95]      Je conclus donc que le contexte et, en particulier, les autres dispositions de la LIPR, les guides IRCC et les exemples antérieurs du traitement des demandes CH, soutiennent l’interprétation textuelle selon laquelle l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations n’est pas empêché de présenter une demande CH et ne milite pas en faveur de l’interprétation contraire.

c)    L’objet : l’intention du Parlement, les modifications à la LIPR et les débats

[96]      Les parties n’ont pas mis beaucoup d’accent dans leurs prétentions sur l’objet de la LIPR en général ni sur l’objet des paragraphes 25(1) et 40(3). À mon avis, une considération de l’objet des dispositions n’affecte pas grandement l’interprétation. Il s’agit d’un facteur surtout équivoque.

[97]      Comme je l’ai indiqué, le paragraphe 40(3) a été adopté dans une loi qui a fait plusieurs modifications à la LIPR, soit la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers. Entre autres amendements, cette loi a modifié le paragraphe 25(1) pour empêcher une demande CH pour ceux qui sont interdits de territoire selon les articles 34, 35 ou 37, a augmenté la période d’interdiction de territoire prévue au paragraphe 40(2) de deux ans à cinq ans et a ajouté la prohibition prévue au paragraphe 40(3).

[98]      L’objet de l’article 40 est clairement d’imposer des sanctions pour les fausses déclarations et, de cette façon, de décourager les fausses déclarations, de souligner l’importance de la vérité et de l’exactitude dans les demandes et dans toutes communications avec IRCC, et de promouvoir l’intégrité de la mise en application de la LIPR et du système d’immigration au Canada. En ce qui concerne l’objet du paragraphe 40(3) en particulier, la prohibition semble aussi renforcer la gravité d’une fausse déclaration et les conséquences d’une telle infraction. Il existe peut-être un aspect administratif aussi, comme cette disposition peut servir à faciliter le traitement des demandes non permises. Cet objet est évidemment lié à l’objectif général de la LIPR de « préserver l’intégrité du système d’immigration canadien grâce à la mise en place d’une procédure équitable et efficace » : LIPR, alinéa 3(1)f.1).

[99]      L’objet du paragraphe 25(1) a été expliqué par la juge Abella dans l’affaire Kanthasamy. La disposition a pour objectif d’offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » : Kanthasamy, au paragraphe 21, citant Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351 (C.I.S.R.), à la page 364. Cet objet, ainsi que la référence aux articles 34, 35 et 37 comme exceptions, est évidemment lié à l’objectif général de la LIPR de « promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité » : LIPR, alinéa 3(1)i). Dans certains cas, il peut être aussi lié à l’objectif général de « veiller à la réunification des familles au Canada » : LIPR, alinéa 3(1)d).

[100]   Ces deux objectifs sont importants. Par contre, il n’y a pas d’indication claire que le Parlement souhaitait que l’objet important de l’article 40 prime sur l’objet tout aussi important de l’article 25. Encore, le contraste entre le traitement des articles 34, 35 et 37 et celui de l’article 40 est marquant.

[101]   Le ministre a déposé auprès de la Cour des extraits de débats parlementaires sur la Loi accélérant le renvoi des criminels étrangers. Il faut faire preuve de prudence en faisant référence aux débats : Alexion, au paragraphe 53. Ceci dit, les débats parlementaires peuvent servir à clarifier le contexte et l’objet d’un texte législatif, malgré leur valeur probante restreinte : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, au paragraphe 106; Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2021 CAF 159, [2022] 1 R.C.F. 105, aux paragraphes 70–72; Vavilov, aux paragraphes 180 et 195.

[102]   En présentant la loi modifiant la LIPR, le secrétaire parlementaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, M. Rick Dykstra, a déclaré ce qui suit :

Nous refuserons toute demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soumise par un étranger interdit de territoire pour des raisons de sécurité, d’atteinte aux droits de la personne ou universels, de participation au crime organisé. Nous préciserons aussi que le ministre de la Sécurité publique, lorsqu’il étudie une demande de dispense ministérielle, ne pourra tenir compte que de facteurs relatifs à la sécurité publique et nationale. Nous circonscrirons les décisions qu’un ministre, qu’il soit au portefeuille de la Sécurité publique ou de la Citoyenneté et de l’Immigration, sera autorisé à prendre de son propre chef.

[…]

À l’heure actuelle, la conséquence d’une fausse déclaration est une interdiction de territoire de deux ans. Nous allons faire passer la durée de cette interdiction à cinq ans. De plus, nous allons interdire aux personnes qui font de fausses déclarations de présenter une demande de statut de résident permanent pendant cette période de cinq ans. Depuis que je suis secrétaire parlementaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, soit près de quatre ans, je me suis rendu compte à maintes reprises que nous recevons de fausses demandes de la part d’autres pays simplement parce que les personnes font des déclarations mensongères ou présentent faussement leur situation, leur famille ou les raisons pour lesquelles elles souhaitent obtenir le statut de résident permanent au Canada, que ce soit par le biais des voies normales ou dans le cadre du processus d’accueil des réfugiés. Par conséquent, les personnes qui souhaitent venir au Canada en tant que réfugiés et qui présentent faussement leur situation ou mentent carrément dans leur demande seront dorénavant interdites de territoire pendant cinq ans au lieu de deux, comme c’est le cas à l’heure actuelle. Ces changements permettront également au ministère de faire en sorte que les personnes qui présentent faussement leur situation ne puissent pas faire de demande de statut de résident permanent au Canada pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. [Je souligne.]

« Projet de loi C-43, Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers », 2e lecture, Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, n° 151 (24 septembre 2012), à la page 10316.

[103]   Il ressort clairement de ce passage que le problème de fausses déclarations motivait les modifications à l’article 40. Par contre, en ce qui a trait au paragraphe 40(3) spécifiquement, M. Dykstra n’a fait que paraphraser la disposition. Aucun indice significatif ne peut être inféré quant à l’objet ou à l’interprétation de ce paragraphe. Par contre, M. Dykstra a discuté des modifications au paragraphe 25(1), indiquant qu’une demande pour motif d’ordre humanitaire déposée par un étranger interdit de territoire pour des raisons de sécurité, d’atteinte aux droits de la personne ou universels, ou de participation au crime organisé, sera refusée. Il s’agit encore d’une paraphrase du paragraphe 25(1). Le refus des demandes pour motif d’ordre humanitaire et l’interdiction de territoire pour fausses déclarations ont été tous les deux directement abordés, sans qu’il y ait suggestion que l’interdiction au paragraphe 40(3) s’étende aux demandes en vertu de l’article 25.

[104]   Les autres références dans les débats sont similaires. L’élimination de l’opportunité de présenter une demande CH pour ceux visés par les articles 34, 35 et 37 est traité comme un sujet distinct de la prohibition dans le paragraphe 40(3).

[105]   Le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme de l’époque, l’honorable Jason Kenney, a répondu aux questions lors d’une session du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. En réponse à une question sur le fonctionnement de la prohibition au paragraphe 40(3), le ministre a même suggéré que la prohibition existait déjà en substance, bien qu’elle soit limitée à une période de deux ans :

M. John Weston (West Vancouver—Sunshine Coast—Sea to Sky Country, PCC) :

[…]

L’une des modifications prévues par le projet de loi tient à ce que les personnes qui font de fausses déclarations devront enfin en subir les conséquences, c’est-à-dire attendre de deux à cinq ans avant d’avoir l’autorisation de présenter une nouvelle demande. Ma question est la suivante : pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionnera?

[…]

L’hon. Jason Kenney :

[…]

Tout d’abord, sous le régime de la version actuelle de la LIPR, une personne qui s’est rendue responsable de fausse déclaration au moment, par exemple, de présenter une demande pour séjourner ou immigrer au Canada, peut se voir interdire de présenter une nouvelle demande pendant une période de deux ans. Nous proposons d’augmenter à cinq ans la durée de cette période puisque, comme vous le savez probablement, la fraude est un problème très grave au sein du régime d’immigration.

L’une des raisons pour lesquelles, dans certains pays, nous rejetons une proportion assez élevée des demandes de visa de résident temporaire, par exemple, c’est le nombre de demandes frauduleuses qui sont souvent soumises par des agents d’immigration malhonnêtes et sans scrupules travaillant à l’étranger. Comme vous le savez, et comme je l’ai déjà signalé, il existe toute une industrie qui fabrique toutes sortes de faux documents, qu’il s’agisse de relevés bancaires, d’itinéraires de vol, de certificats de décès ou de mariage, et j’en passe. C’est cette industrie qui crée vraiment de graves problèmes pour l’administration efficiente de nos lois en matière d’immigration et pour les personnes de bonne foi qui veulent séjourner légitimement au Canada.

Nous devons faire clairement comprendre aux personnes qui se trouvent ici ou à l’étranger que le fait de soumettre une demande frauduleuse entraînera de graves conséquences, à savoir l’interdiction de présenter une nouvelle demande afin de revenir au pays pendant cinq ans. Cela ne s’appliquera pas aux gens qui font simplement une erreur — une erreur de bonne foi —, qui oublient de joindre un document à leur demande ou qui commettent une erreur mineure. Ces règles s’appliqueront aux personnes qui avaient manifestement l’intention de faire de fausses déclarations. C’est la raison pour laquelle nous avons accru la rigueur de la sanction. [Je souligne.]

Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, 41e lég., 1re sess., n° 054 (24 octobre 2012), aux pages 10–11.

[106]   Le ministre à l’époque semble avoir perçu les modifications apportées à l’article 40 surtout comme une prolongation de l’interdiction de territoire. Ceci ne change pas le libellé de la loi, évidemment, mais il n’argue pas que l’objet de la loi était d’enlever la possibilité de présenter une demande CH selon l’article 25.

[107]   Étant donné ces références assez équivoques dans les débats législatifs, je trouve qu’elles n’influencent pas significativement l’interprétation des dispositions pertinentes de la LIPR.

d)         Conclusion

[108]   Ayant considéré le texte, le contexte et l’objet des dispositions, il me semble évident que leur interaction « [ouvre] la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause » : Vavilov, au paragraphe 124. Je conclus que la seule interprétation raisonnable des paragraphes 40(3) et 25(1) de la LIPR est que l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations n’est pas empêché par la prohibition au paragraphe 40(3) de présenter une demande CH en vertu du paragraphe 25(1). Comme le paragraphe 11(1), le paragraphe 40(3) ne peut raisonnablement être interprété de façon isolée comme empêchant une demande CH sans considération du texte du paragraphe 25(1) qui prévoit une telle demande.

[109]   L’article 25 exclut expressément les demandes CH faites par ceux qui sont interdits de territoires en vertu des articles 34, 35 et 37. L’article exclut également les demandes CH faites par des étrangers désignés, qui sont aussi empêché de présenter des demandes de résidence permanente. Malgré ces exclusions expresses, l’étranger interdit de territoire en vertu de l’article 40 n’est pas mentionné à l’article 25. Cette indication du choix législatif express est effectivement déterminante. Les autres aspects contextuels, y compris l’absence d’indice dans les guides d’IRCC qu’une demande CH d’un étranger interdit de territoire pour fausses déclarations est irrecevable, réaffirment davantage cette interprétation.

[110]   Autrement dit, si l’agent en l’espèce avait conclu autrement, même en présentant comme motifs tous les arguments que présente maintenant le ministre, je trouverais cette conclusion déraisonnable. Dans cette situation, il serait peu utile de renvoyer la question de l’interprétation à un agent pour une réexamination ou pour mieux motiver la décision : Vavilov, aux paragraphe 124 et 142.

[111]   En conséquence, mon ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire stipulera que la demande CH de M. Sedki et la demande de parrainage associée seront renvoyées pour détermination sur le fond par un autre agent.

B.    Cette Cour a compétence pour entendre la demande

[112]   Les parties ont soulevé la compétence de la Cour fédérale pour entendre cette demande, une question étroitement liée à la compétence de la SAI. Les parties s’entendent que la Cour a compétence, mais pour des motifs quelque peu différents. Le ministre a donc demandé à la Cour « une ordonnance écrite détaillée » sur la question de la compétence de la Cour et, en corollaire, la compétence de la SAI.

[113]   Je suis d’accord avec les parties que la Cour a compétence pour entendre la demande de M. Sedki et de Mme el Aoud. Par contre, pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAI aurait eu compétence pour entendre l’appel de Mme el Aoud en tant que répondante.

(1)  Compétence de la Cour fédérale en contrôle judiciaire selon la LIPR

[114]   L’alinéa 72(2)a) de la LIPR stipule qu’une demande d’autorisation à la Cour ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées :

Demande d’autorisation

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées. [Je souligne.]

[115]   Selon cet alinéa, s’il y a un droit d’appel en vertu de la LIPR, une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’une fois l’appel déterminé. Cette règle s’applique même si le droit d’appel est celui du répondant et non celui du demandeur : Somodi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26, aux paragraphes 21–23 et 29.

[116]   Comme l’a souligné le juge Pelletier au nom de la Cour d’appel fédérale, l’article 72 de la LIPR ne crée pas un droit au contrôle judiciaire d’une décision prise dans le cadre de la LIPR. Cette compétence est conférée à cette Cour par la Loi sur les Cours fédérales : Zaghbib c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182, [2017] 1 R.C.F. 392, aux paragraphes 29–31; Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, articles 18 et 18.1. L’article 72 prévoit simplement des exigences procédurales additionnelles dans le contexte d’immigration, lors de l’exercice de ce droit : Zaghbib, au paragraphe 31.

[117]   Donc, si la LIPR ne donne pas de droit d’appel à la SAI, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée. La Cour d’appel fédérale a aussi confirmé qu’une décision qui porte sur une demande CH peut être contrôlée par la Cour si le tribunal d’appel ne peut pas prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire : Habtenkiel, aux paragraphes 36–38; Seshaw c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 181, aux paragraphes 19–22. Ceci est le cas si le demandeur ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial ou si le répondant n’a pas la qualité réglementaire : Habtenkiel, au paragraphe 37; LIPR, article 65; RIPR, paragraphe 117(9). Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée dans un tel cas parce que le pouvoir de la Cour de procéder à un contrôle judiciaire ne peut pas être supprimé sans porter atteinte au principe de la primauté du droit : Habtenkiel, au paragraphe 38.

[118]   La question est donc effectivement à savoir si la SAI avait la compétence pour entendre un appel de la décision de l’agent et pour prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire.

(2)  Compétence de la Section d’appel de l’immigration

[119]   La compétence de la SAI pour entendre un appel de la décision de l’agent dépend de l’interaction entre les articles 40, 63 et 64 de la LIPR, ainsi que de la jurisprudence de cette Cour.

[120]   Tel que mentionné ci-haut, un individu ayant déposé une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel à la SAI du refus de délivrer un visa de résident permanent en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR :

Droit d’appel : visa

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

[121]   Il y a une exception à ce droit d’appel dans le cas d’un refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations. Cette exception est elle aussi sujette à une exception dans certains cas, qui est prévue au paragraphe 64(3) de la LIPR :

Fausses déclarations

64 (3) N’est pas susceptible d’appel au titre du paragraphe 63(1) le refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, sauf si l’étranger en cause est l’époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant. [Je souligne.]

[122]   L’article 65 limite les appels dans lesquels la SAI peut prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire :

Motifs d’ordre humanitaires

65 Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire. [Je souligne.]

[123]   Le refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations ne peut donc être porté en appel à la SAI que si l’étranger est l’époux, le conjoint, ou l’enfant du parrain. Dans la présente affaire, l’étranger (M. Sedki) est l’époux de la répondante (Mme el Aoud). Est-ce que ceci signifie qu’un appel à la SAI était disponible?

[124]   Le ministre soumet que la réponse à cette question se trouve dans l’arrêt récent Gill, auquel je me réfère plus tôt. Dans cette affaire, la juge Simpson a conclu qu’une demande de résidence permanente présentée pendant la période de prohibition est nulle parce qu’elle est contraire au paragraphe 40(3) de la LIPR. Puisque la demande est nulle, il n’y a pas de décision valide à contrôler et la SAI n’a pas compétence pour entendre un appel : Gill, aux paragraphes 16 et 21.

[125]   La décision Gill porte sur la situation d’une simple demande parrainée pour obtenir le statut de résident permanent. Il n’y avait pas de demande CH en vertu de l’article 25, comme l’a observé la SAI dans sa décision : Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 31073 (C.I.S.R.) (Gill (SAI)), à la note 16. La demande dans Gill était donc interdite par le paragraphe 40(3), la rendant alors nulle. La SAI ne pouvait donc pas entendre un appel de son rejet. Tel que susmentionné, la SAI a appliqué Gill dans sa décision dans l’arrêt McMurray.

[126]   Cependant, comme j’ai conclu ci-dessus, une demande CH en vertu de l’article 25 n’est pas interdite par le paragraphe 40(3). Une telle demande n’est donc pas nulle et l’arrêt Gill ne s’applique pas.

[127]   L’article 66 du RIPR prévoit qu’une demande CH en vertu du paragraphe 25(1) faite hors du Canada doit être accompagnée d’une demande de visa de résident permanent. Comme l’indique le guide d’IRCC sur les demandes CH, reproduit au paragraphe 79 ci-dessus, le demandeur hors du Canada doit utiliser l’un des trois formulaires de demande du Ministère correspondant aux trois catégories d’immigration (regroupement familial, catégorie de l’immigration économique ou demande d’asile) : Dhillon (2019), au paragraphe 12; RIPR, paragraphe 70(2).

[128]   Une demande CH en vertu de l’article 25, accompagnée par une demande dans la catégorie de l’immigration économique ou de demande d’asile, ne crée pas un droit d’appel à la SAI. Par contre, si la demande CH est accompagnée par une demande de parrainage ou est faite dans le contexte d’une telle demande, le répondant est quelqu’un qui a « déposé […] une demande de parrainage au titre du regroupement familial ». Une telle personne peut interjeter appel du refus d’une telle demande selon le paragraphe 63(1) de la LIPR, pourvu que l’exception prévue au paragraphe 64(3) ne s’applique pas.

[129]   Si la demande CH est faite quand le demandeur est interdit de territoire pour fausses déclarations, le refus de la demande signifie que l’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifient pas une exception à l’interdiction. À mon avis, un tel refus reste un refus « fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations ». L’exception prévue au paragraphe 64(3) s’applique alors et un appel est disponible seulement si le demandeur est l’époux, le conjoint de fait ou l’enfant du répondant. De plus, si la personne n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial, la SAI ne peut pas prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire, comme était le cas dans l’affaire Habtenkiel : LIPR, article 65; Habtenkiel, aux paragraphes 7–10 et 36–37.

[130]   Basé sur ces dispositions de la LIPR et les arrêts Gill et Habtenkiel, je conclus que le droit d’appel à la SAI lorsqu’un étranger dépose une demande de résidence permanente parrainée alors qu’il est interdit de territoire selon l’article 40, s’applique comme suit :

(1)   Si la demande n’est pas accompagnée par une demande CH selon l’article 25, elle est nulle et il n’y a pas de droit d’appel à la SAI même si l’agent a traité la demande. La SAI n’a pas compétence et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire peut être déposée : Gill, au paragraphe 16.

(2)   Si la demande est accompagnée par une demande CH, l’agent doit traiter la demande CH selon l’article 25. Si la demande est refusée, c’est-à-dire que l’agent a conclu expressément ou implicitement que les motifs d’ordre humanitaire ne justifient pas une exemption à l’interdiction :

(a)     si le demandeur ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial, la SAI n’a pas compétence pour statuer sur les motifs d’ordre humanitaire et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire peut être déposée : Habtenkiel, au paragraphe 38; LIPR, article 65; RIPR, article 117;

(b)     si le demandeur fait partie de la catégorie du regroupement familial, mais n’est pas l’époux, le conjoint de fait ou l’enfant du répondant, il n’y a pas d’appel à la SAI et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire peut être déposée : LIPR, paragraphe 64(3); et

(c)     si le demandeur fait partie de la catégorie du regroupement familial et il est l’époux, le conjoint de fait ou l’enfant du répondant, le répondant peut faire appel à la SAI, qui a compétence pour statuer sur les motifs d’ordre humanitaire et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’une fois que les voies d’appel du répondant soient épuisées : LIPR, alinéa 72(2)a).

(3)   Application à la présente affaire

[131]   M. Sedki est l’époux de Mme el Aoud. Il n’a pas été suggéré qu’il ne fait pas partie du regroupement familial. Sa demande de résidence permanente parrainée était accompagnée d’une demande CH en vertu de l’article 25 ou, vu d’une autre façon, sa demande CH en vertu de l’article 25 était accompagnée d’une demande de résidence permanente parrainée. Selon les conclusions ci-dessus, sa demande était recevable et Mme el Aoud avait droit d’appel à la SAI.

[132]   Néanmoins, dans les présentes circonstances particulières, je conclus que la Cour a compétence malgré celle de la SAI. Mes motifs sont les suivants.

[133]   Dans la présente affaire, Mme el Aoud a déposé un appel à la SAI à la suite de la décision de l’agent. Au mois d’avril 2020, le ministre a déposé auprès de la SAI une demande en rejet d’appel pour défaut de compétence. Le ministre prétendait que la SAI ne pouvait pas entendre l’appel, faisant référence au paragraphe 40(3) et à quatre décisions de la SAI, Gill (SAI), au paragraphes 24–28; Lefter c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CanLII 10743 (C.I.S.R.), aux paragraphes 9–11; Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 102071 (C.I.S.R.) (Dhillon (2018)), aux paragraphes 15–16; et Delos Reyes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), (SAI TB7-032340), 19 novembre 2018, au paragraphe 5. Il est à noter que la demande a été déposé après la décision de la juge Simpson dans Gill, mais le ministre a seulement fait référence à la décision de la SAI dans l’affaire.

[134]   Suite à la demande du ministre, Mme el Aoud a retiré son appel à la SAI.

[135]   Pour les motifs expliqués ci-dessus, je conclus que la demande du ministre était mal fondée. La situation de Mme el Aoud se distingue de celle des appelants dans Gill, Lefter, Dhillon (2018) et Delos Reyes parce que Mme el Aoud portait en appel le refus de sa demande CH et de sa demande parrainée et la SAI pouvait prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire selon l’article 65. La SAI aurait donc eu compétence dans la situation de M. Sedki et Mme el Aoud. Normalement, cette compétence signifierait qu’un appel doit être intenté devant la SAI avant qu’une demande de contrôle judiciaire puisse être présentée devant cette Cour.

[136]   Dans la situation actuelle, je conclus que le fait que Mme el Aoud a commencé un appel devant la SAI et l’a retiré après que le ministre ait pris la position que la SAI n’avait pas compétence ne peut pas l’empêcher de déposer ou de continuer la présente demande et ne peut pas enlever la compétence de la Cour. Autrement dit, ayant commencé un appel devant la SAI et l’ayant retiré face à une objection du ministre contestant la compétence de la SAI, Mme el Aoud a « épuisé » sa voie d’appel à la SAI et la demande de contrôle judiciaire n’est pas forclose par l’alinéa 72(2)a) de la LIPR. La Cour a donc compétence pour entendre cette demande.

C.   Mme el Aoud ne sera pas enlevée de l’intitulé de la cause comme demandeur

[137]   Le ministre demande que l’intitulé de la cause soit modifié pour que seul M. Sedki soit le demandeur. La seule observation faite au soutien de cette demande est qu’il « va de soi que c’est seulement le demandeur, M. Sedki, qui peut être le demandeur dans l’intitulé de la présente cause ». Sans autres motifs pour appuyer cette demande, je ne suis pas satisfait que Mme el Aoud doit être supprimée de l’intitulé de cause.

[138]   L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales stipule qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Le ministre n’a pas suggéré que Mme el Aoud n’est pas directement touchée par le refus de sa demande de parrainage ni par la demande CH de M. Sedki qui l’accompagne. Je note que dans l’affaire Dhillon (2019), qui porte sur une demande CH accompagnée d’une demande de parrainage dans la catégorie de regroupement familial, les répondants citoyens ainsi que la demanderesse parrainée étaient tous demandeurs dans le cadre du contrôle judiciaire : Dhillon (2019), aux paragraphes 1, 3 et 4.

[139]   En l’absence d’autres justifications de la part du ministre, je ne suis pas prêt à radier le nom de Mme el Aoud de l’intitulé de cause.

D.   Question certifiée

[140]   Les parties demandent que je certifie une question en vertu du paragraphe 74d) de la LIPR. Je suis d’accord avec les parties que la question de l’interprétation des paragraphes 25(1) et 40(3) de la LIPR constitue « une question grave de portée générale » : LIPR, alinéa 74(d).

[141]   La Cour d’appel fédérale a confirmé qu’une question certifiée « doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » : Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674, au paragraphe 46. Ce teste signifie que la question doit découler de la demande elle-même et non simplement de la façon dont la Cour a statué sur la demande. Une question qui n’a pas à être tranchée ne devrait pas être certifiée : Lunyamila, au paragraphe 46.

[142]   À mon avis, la question à savoir si l’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations peut présenter une demande CH rencontre ces critères. Quant au premier critère, la question découle de la demande elle-même. Elle a été soulevée par les parties comme question déterminante et les parties ont concentré leurs observations sur cette question. Même si j’ai conclu que le refus par l’agent de la demande CH des demandeurs fondé sur le paragraphe 11(1) n’était pas raisonnable, la cassation de la décision et son renvoi pour détermination de la demande CH n’auraient pas pu être déterminés sans décider la question interprétative du paragraphe 40(3).

[143]   Quant au deuxième critère, le paragraphe 40(3) s’applique à tout étranger jugé interdit de territoire pour fausses déclarations. La question à savoir si tous ces étrangers sont empêchés de présenter une demande CH transcende alors les intérêts des parties. Ceci était le contexte factuel dans l’affaire Pretashi. La question a aussi été soulevée devant moi dans l’affaire Zeng, mais je n’ai pas eu besoin de l’aborder : Zeng, aux paragraphes 12–13 et 56–57. Je note aussi qu’il est pertinent que la question n’ait pas été déterminée auparavant. Il n’y a donc pas de guide jurisprudentiel de cette Cour pour les agents recevant une demande CH de la part d’une personne interdite de territoire pour fausses déclarations.

[144]   Étant donné l’importance et la portée de la question, je certifie la question suivante en vue d’un appel :

L’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), pendant la période énoncée à l’alinéa 40(2)(a) de la LIPR, peut-il présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent pour considérations d’ordre humanitaire au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR, malgré l’interdiction de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent prévue au paragraphe 40(3) de la LIPR ?

IV.   Conclusion

[145]   Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande CH de M. Sedki, accompagnée de la demande de parrainage des demandeurs, est renvoyée à un autre agent d’IRCC pour évaluation sur le fond.

JUGEMENT dans le dossier IMM-7772-19

LA COUR STATUE que

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande CH de M. Sedki, accompagnée par la demande de parrainage des demandeurs, est renvoyée à un autre agent d’IRCC pour évaluation sur le fond.

2.    La question suivante est certifiée en vue d’un appel :

L’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) pendant la période énoncée à l’alinéa 40(2)(a) de la LIPR, peut-il présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent pour considérations d’ordre humanitaire au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR, malgré l’interdiction de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent prévu au paragraphe 40(3) de la LIPR ?

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