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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

A-7-20

2022 CAF 21

John Joseph Goodman (appelant)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimés)

Répertorié : Goodman c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Boivin et Laskin, J.C.A.—Par vidéoconférence; Ottawa, 7 février 2022.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Motifs d’ordre humanitaire — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de l’appelant visant à obtenir un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soient déclarées inopérantes — La question de savoir si lee paragraphe 25(1) de la Loi contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits a été certifiée — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit pas à un étranger le droit à un examen discrétionnaire des motifs d’ordre humanitaire — Le législateur avait donc le droit de restreindre le recours des étrangers interdits de territoire au Canada en vertu des articles 34, 35 et 37 de la Loi aux motifs d’ordre humanitaire de l’article 25 de la Loi — La question a reçu une réponse négative — Appel rejeté.

Déclaration des droits — Devant la Cour fédérale, l’appelant a demandé un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soient déclarées inopérantes — La question de savoir si le paragraphe 25(1) de la Loi contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits a été certifiée — L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit pas à un étranger le droit à un examen discrétionnaire des motifs d’ordre humanitaire — La question a reçu une réponse négative.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Devant la Cour fédérale, l’appelant a demandé un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soient déclarées inopérantes — La question de savoir si lee paragraphe 25(1) de la Loi contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits a été certifiée — La Cour fédérale a correctement souligné les différences entre les principes de justice fondamentale dont il est question à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et ceux prévus à l’alinéa 2e) — Elle a conclu que les droits garantis par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ont une portée plus étroite — Les motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas un principe de justice fondamentale aux fins de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits — La question a reçu une réponse négative.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de l’appelant visant à obtenir un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soient déclarées inopérantes. Devant la Cour fédérale, l’appelant, qui est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, avait affirmé que le retrait des motifs d’ordre humanitaire des articles de la LIPR, y compris l’alinéa 34(1)f) — entre en conflit avec l’obligation d’équité prévue par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (Déclaration des droits). La Cour fédérale n’était pas d’accord avec l’appelant. La Cour fédérale a certifié la question de savoir si le paragraphe 25(1) de la Loi, qui empêche les personnes interdites de territoire en application des articles 34, 35 et 37 d’avoir accès au processus d’examen des facteurs d’ordre humanitaire, contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Les questions relatives à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits n’auraient pas dû être examinées par la Cour fédérale puisqu’elles étaient juridiquement irrecevables. Les questions qui n’ont pas été soulevées devant le décideur administratif ne devraient pas être acceptées aux fins de contrôle judiciaire. Toutefois, même si ces questions n’avaient pas été soulevées devant le décideur administratif, en l’espèce, elles n’avaient aucun fondement juridique essentiellement pour les mêmes motifs que ceux exprimés par la Cour fédérale. La Cour fédérale a conclu que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit pas à un étranger le droit à un examen discrétionnaire des motifs d’ordre humanitaire. Ainsi, le législateur avait le droit de restreindre le recours des étrangers interdits de territoire au Canada en vertu des articles 34, 35 et 37 de la Loi aux motifs d’ordre humanitaire de l’article 25 de la Loi. Plus précisément, la Cour fédérale a correctement souligné les différences qui existent entre les principes de justice fondamentale dont il est question à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et ceux prévus à l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits. Elle a conclu que les droits garantis par l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits ont une portée plus étroite que les droits garantis par l’article 7 de la Charte. Il s’ensuivait que les motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas un principe de justice fondamentale aux fins de l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits.

Par conséquent, la question certifiée a reçu une réponse négative.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 [L.R.C. (1985), appendice III], art. 2e).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 34, 35, 37.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION EXAMINÉE :

Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257; Landau c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 12; Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, [2003] 1 R.C.S. 884; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, [1985] A.C.S. no 73 (QL); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, [1985] A.C.S. no 11 (QL).

APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2019 CF 1569, [2020] 3 R.C.F. 143) rejetant la demande de l’appelant visant à obtenir un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soient déclarées inopérantes. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Benjamin Liston et Alyssa Manning pour l’appelant.

John Loncar et Nicholas Dodokin pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique Ontario, Bureau du droit des réfugiés, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour rendus par

[1]        Le juge Boivin, J.C.A. : La Cour est saisie de l’appel d’un jugement de la Cour fédérale (le juge Barnes) en date du 9 décembre 2019 (2019 CF 1569, [2020] 3 R.C.F. 143). Devant la Cour fédérale, l’appelant, qui reconnaît être interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), a demandé notamment un jugement déclarant que les modifications de 2013 apportées à l’article 25 de la LIPR soient déclarées inopérantes. L’appelant a affirmé que le retrait des motifs d’ordre humanitaire des articles de la LIPR, y compris l’alinéa 34(1)f) — entre en conflit avec l’obligation d’équité prévue par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44. La Cour fédérale n’était pas d’accord avec l’appelant et a rejeté sa demande.

[2]        Notre Cour est saisie du présent appel par la voie d’une question certifiée. La Cour fédérale a certifié la question suivante :

1.  Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui empêche les personnes interdites de territoire en application des articles 34, 35 et 37 d’avoir accès au processus d’examen des facteurs d’ordre humanitaire, contrevient-il à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44?

[3]        Dans l’ensemble, nous sommes d’accord sur l’analyse et les conclusions de la Cour fédérale.

[4]        Les questions relatives à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits n’auraient pas dû être examinées par la Cour fédérale puisqu’elles étaient juridiquement irrecevables. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, nous avise de ne pas accepter d’examiner des questions, dans le cadre du contrôle judiciaire, qui n’ont pas été soulevées devant le décideur administratif. Par conséquent, les questions portant sur l’alinéa 2e) devaient être soulevées devant le décideur administratif (Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257; Landau c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 12), qui est le juge du fond dans le cadre de ce régime législatif. Toutefois, même si ces questions n’ont pas été soulevées devant le décideur administratif, nous sommes tous d’avis qu’elles n’avaient aucun fondement juridique essentiellement pour les mêmes motifs exprimés par la Cour fédérale. L’intervention de notre Cour n’est donc pas justifiée.

[5]        Dans une analyse approfondie et détaillée, la Cour fédérale a conclu que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit pas à un étranger le droit à un examen discrétionnaire des motifs d’ordre humanitaire. Ainsi, le législateur avait le droit, sans qu’il ait besoin d’invoquer la disposition de dérogation de la Déclaration canadienne des droits, de restreindre le recours des étrangers qui sont interdits de territoire au Canada en vertu des articles 34 (Sécurité), 35 (Atteinte aux droits humains ou internationaux) et 37 (Activités de criminalité organisée) de la LIPR aux motifs d’ordre humanitaire de l’article 25 de la LIPR.

[6]        Plus précisément, dans sa décision, la Cour fédérale a correctement souligné les différences qui existent entre les principes de justice fondamentale dont il est question à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) et ceux prévus à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. La Cour fédérale a passé en revue la jurisprudence pertinente et a déterminé que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits n’englobe que les principes de justice fondamentale liés à une audience équitable, alors que l’article 7 de la Charte comprend les principes d’équité, tant substantiels que procéduraux, liés à la « vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». La Cour fédérale a donc conclu que les droits garantis par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ont une portée plus étroite que les droits garantis par l’article 7 de la Charte. Il s’ensuit que les motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas un principe de justice fondamentale aux fins de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 18 à 21 et 34, renvoyant à l’arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, [2003] 1 R.C.S. 884; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, [1985] A.C.S. no 73 (QL); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, [1985] A.C.S. no 11 (QL). Compte tenu de la jurisprudence ayant force obligatoire, la Cour fédérale a également conclu que l’appelant avait recours à la Déclaration canadienne des droits pour revendiquer un droit, alors que, dans le présent contexte, cela est limité à un privilège (mémoire des intimés, aux paragraphes 25 à 28). Ces arrêts de la Cour suprême sur lesquels ces principes sont fondés nous lient, et, malgré le fait que l’appelant nous demande de s’en écarter, nous considérons que toute dérogation à ces principes doit être autorisée par la Cour suprême.

[7]        Nous devons répondre à la question certifiée de la façon suivante :

Question : Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui empêche les personnes interdites de territoire en application des articles 34, 35 et 37 d’avoir accès au processus d’examen des facteurs d’ordre humanitaire, contrevient-il à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44?

Réponse : Non.

[8]        Malgré les observations habiles de Me Liston, l’appel sera rejeté.

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