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T-809-18

2021 CF 1185

Recours collectif envisagé

Chelsea Jensen et Laurent Abesdris (demandeurs)

c.

Samsung Electronics Co. Ltd., Samsung Semiconductor Inc., Samsung Electronics Canada, Inc., SK Hynix Inc., SK Hynix America, Inc., Micron Technology, Inc. et Micron Semiconductor Products, Inc. (défenderesses)

Répertorié : Jensen c. Samsung Electronics Co. Ltd.

Cour fédérale, juge Gascon—Par vidéoconférence, 26 au 28 octobre; Ottawa, 5 novembre 2021.

Pratique — Recours collectifs — Les demandeurs sollicitaient une ordonnance autorisant la présente instance comme recours collectif en vertu du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales — Les demandeurs ont soutenu que les fabricants de puces de mémoire vive dynamique (DRAM) avaient comploté pour limiter l’approvisionnement à l’échelle mondiale et pour hausser le prix des DRAM — Ils ont fait valoir que l’allégation de complot divulguait une cause d’action reconnue par l’article 36 de la Loi sur la concurrence (la Loi) pour des manquements visés aux articles 45 et 46 — Ils ont soutenu que toutes les exigences juridiques requises pour l’octroi de l’autorisation étaient remplies — Ils ont allégué que le complot entre les défenderesses avait été formé et réalisé au moyen de communications directes lors de réunions privées qu’elles avaient eues ou de « signaux » qu’elles s’envoyaient — La requête en autorisation a été déposée par les demandeurs à la suite d’un recours collectif parallèle intenté plus tôt aux É.-U. — Les demandeurs ont soutenu que leur requête en autorisation constituait un recours collectif typique en droit de la concurrence soulevant une allégation de complot visant à fixer les prix — Ils ont prétendu en outre qu’il n’y avait pas de différences importantes entre le présent dossier et une précédente affaire en matière de DRAM (Infineon Technologies AG c. Options Consommateurs (Infineon)) où l’autorisation a été confirmée par la Cour suprême — Les demandeurs ont demandé l’autorisation du recours collectif sur le fondement de six points communs — Ils ont fait valoir que la norme reposant sur un certain fondement factuel exige ce qu’on appelle une « approche en une étape » axée exclusivement sur la communauté des points soulevés, et que l’application d’une « approche en deux étapes » incorporerait une analyse de fond au critère d’autorisation — Il s’agissait principalement de savoir s’il existait un complot allégué et un comportement répréhensible en l’espèce — Les demandeurs n’ont pas satisfait à l’exigence relative à la cause d’action valable des requêtes en autorisation — La caractéristique distinctive de l’espèce était l’allégation principale de complot des demandeurs concernant l’élimination de l’offre — Le présent recours collectif envisagé en matière de droit de la concurrence constituait un cas rare où l’existence même du complot allégué à l’origine de la réclamation de perte et de dommages en vertu de l’article 36 de la Loi était contestée à l’étape de l’autorisation — L’existence d’un complot n’est généralement pas en litige dans de tels recours collectifs — Le précédent établi dans l’arrêt Infineon n’apportait aucun éclairage utile sur cette question principale — Il s’agissait de savoir s’il était « évident et manifeste » que les actes de procédure ne révélaient aucune cause d’action valable et qu’aucune réclamation n’existait — En l’espèce, la requête des demandeurs ne contenait ni allégations adéquates dans les actes de procédure ni un contexte factuel minimum tendant à indiquer que les défenderesses avaient expressément ou tacitement accepté d’agir dans un objectif commun — Les allégations étaient purement hypothétiques — Aucun fait concret n’a été présenté — Les allégations doivent être suffisamment précises et ne doivent pas être de simples assertions ou des affirmations non étayées de nature juridique fondées sur des hypothèses ou des conjectures — La présomption selon laquelle les allégations de fait sont vraies comporte certaines limites — Les allégations ne sont pas tenues pour avérées si elles ne sont pas suffisamment précises ou si elles ne sont que des conjectures — La Cour ne peut pas apprécier la preuve à l’étape de l’autorisation — Les allégations et le fondement factuel des événements circonstanciels doivent porter sur l’établissement d’un accord et sur le comportement des parties — En l’espèce, il n’y avait strictement aucune allégation ni aucun fait substantiel, et encore moins de fondement probatoire, concernant des « pratiques facilitantes » dans le comportement des défenderesses — Les déclarations publiques sur lesquelles s’appuyaient les demandeurs ne présentaient pas de faits substantiels à l’appui d’une allégation d’accord entre les défenderesses — Il ne suffisait pas de montrer qu’il existait un comportement parallèle pour étayer une allégation de complot et supposer qu’un accord était à l’origine d’un tel comportement — La déclaration reposait sur une recherche à l’aveuglette — Les allégations limitées formulées par les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences des règles 174 et 181 des Règles des Cours fédérales — Les demandeurs n’ont pas démontré, selon la norme de preuve reposant sur un certain fondement factuel, que les points communs envisagés à l’égard des actes répréhensibles qui seraient visés par les articles 45 et 46 existaient réellement — La norme reposant sur un certain fondement factuel appelle une approche en deux étapes concernant le critère du caractère commun des questions — Le critère en deux étapes régit toujours les décisions en matière d’autorisation au Canada — Il n’y a aucun conflit entre les arrêts Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation et Hollick c. Toronto (Ville) de la Cour suprême et l’abondante jurisprudence établissant qu’il doit y avoir un certain fondement probatoire pour démontrer l’existence d’une question commune, lequel fondement ne peut se résumer à une simple affirmation dans les actes de procédure — Pro-Sys appuie l’approche en deux étapes de l’exigence relative aux questions communes — Cet arrêt ne s’écarte pas de l’arrêt Hollick en tant qu’arrêt faisant autorité en ce qui a trait à la norme du certain fondement factuel — Les demandeurs ont déformé et mal compris l’approche en deux étapes au moment de la présenter comme un critère reposant sur le bien-fondé du recours — L’approche en deux étapes empêche l’autorisation de demandes qui seraient artificielles — L’arrêt Pro‐Sys n’avait pas pour but d’abaisser le critère relatif à l’autorisation déjà peu exigeant au point où les demandeurs seraient libérés de l’obligation de produire une preuve minimale que le préjudice qu’ils allèguent existe effectivement — En l’espèce, les diverses catégories de « preuve » n’étaient pas à la hauteur et ne satisfaisaient pas au critère peu exigeant du certain fondement factuel — L’adhésion légale à des associations professionnelles légales ne constitue aucun fondement factuel de l’existence d’un complot — Les renvois à des actes de procédure américains dans lesquels le même complot est allégué ne constituaient pas une preuve appropriée — La dimension procédurale du recours collectif n’a jamais été conçue pour réduire le processus d’autorisation à un processus dénué de sens ou pour devenir en quelque sorte comme une feuille de vigne qui sert à dissimuler les lacunes pures et simples de la requête d’un demandeur — Il incombe à la Cour, même à l’étape procédurale de l’autorisation, d’écarter une demande insoutenable, non fondée et conjecturale — Requête rejetée.

Concurrence — Les demandeurs souhaitaient faire autoriser une action comme recours collectif aux termes du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales — Les demandeurs soutenaient que les fabricants de puces de mémoire vive dynamique (DRAM) avaient comploté pour limiter l’approvisionnement à l’échelle mondiale et pour hausser le prix des DRAM — Ils ont fait valoir que l’allégation de complot divulguait une cause d’action reconnue par l’article 36 de la Loi sur la concurrence (la Loi) pour des manquements visés aux articles 45 et 46 — Les demandeurs soutenaient que leur requête en autorisation constituait un recours collectif typique en droit de la concurrence soulevant une allégation de complot visant à fixer les prix — Les demandeurs ont demandé l’autorisation du recours collectif sur le fondement de six points communs — Il s’agissait de déterminer l’existence en l’espèce du complot allégué et du comportement répréhensible — Ce recours collectif constituait un cas rare où l’existence même du complot allégué à l’origine de la réclamation de perte et de dommages en vertu de l’article 36 de la Loi était contestée à l’étape de l’autorisation — L’infraction de complot prévue à l’article 45 à l’origine du recours collectif envisagé par les demandeurs était fondée sur l’existence d’une entente visant à se livrer au comportement illicite — Les allégations étaient purement hypothétiques et n’étaient pas appuyées par des faits pertinents — Le « parallélisme conscient » n’est pas un comportement interdit par l’article 45 — Il est inexact d’employer indistinctement les expressions « entente tacite », « collusion tacite » et « parallélisme conscient » pour décrire une réalité semblable — La principale différence entre « parallélisme conscient » et tout autre comportement est l’absence d’accord — Il n’existe aucun précédent au Canada dans lequel on a reconnu que les « signaux publics » constituent un complot interdit par l’article 45 — L’article 46 établit une infraction pour les personnes qui ne participent pas directement à des complots visés par l’article 45 — Sans l’article 46, la compétence des tribunaux se limiterait à l’imposition de sanctions contre les parties au complot elles-mêmes par opposition aux entités au Canada qui se contentent de mettre en œuvre le complot sans être une partie directement impliquée — Les allégations de complot contenues dans les affirmations générales des demandeurs reproduisaient simplement le libellé de la Loi — La déclaration des demandeurs reposait sur une recherche à l’aveuglette — Le fait de permettre la poursuite du recours collectif envisagé par les demandeurs sur la foi du dossier présenté à la Cour aurait donné lieu à un dangereux précédent susceptible d’ouvrir la voie au dépôt de réclamations fondées sur l’article 36 uniquement en fonction d’effets anticoncurrentiels apparents et d’allégations et de conjectures non fondées concernant le comportement collusoire de parties soupçonnées de complot — L’article 45 ne prévoit pas que la preuve d’effets anticoncurrentiels constitue la preuve de l’existence d’un accord illicite entre concurrents, sans aucun fait substantiel ou élément probant quant au comportement concerté des concurrents — L’existence d’une entente explicite ou tacite constitue le cœur de la disposition sur le complot — L’absence d’enquête du Bureau de la concurrence sur la conduite contestée, bien qu’elle ne soit pas déterminante quant à l’existence d’un complot visé par l’article 45, est certainement révélatrice.

Il s’agissait d’une requête visant à faire autoriser une action comme recours collectif aux termes du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales. Dans leur recours collectif envisagé en droit de la concurrence, les demandeurs ont soutenu que les grands fabricants de puces de mémoire vive dynamique (DRAM) avaient comploté pour limiter l’approvisionnement à l’échelle mondiale et pour hausser le prix des DRAM[1].

Les demandeurs ont fait valoir que l’allégation de complot divulguait une cause d’action clairement reconnue par l’article 36 de la Loi sur la concurrence (la Loi), pour des manquements visés aux articles 45 et 46 de la Loi. Les demandeurs cherchaient à obtenir des dommages-intérêts ou une indemnisation au nom de toutes les personnes ou entités au Canada, excluant les défenderesses et leurs sociétés mères, filiales et sociétés affiliées, qui avaient acheté des DRAM fabriquées et/ou vendues par les défenderesses, ou des produits contenant des DRAM fabriquées et/ou vendues par les défenderesses (le groupe). Les demandeurs ont soutenu que toutes les exigences juridiques requises pour l’octroi de l’autorisation étaient remplies, à savoir (i) qu’il y avait une cause d’action valable; (ii) qu’il existait un groupe identifiable; (iii) qu’il existait des points de droit et de fait communs; (iv) qu’un recours collectif était le meilleur moyen de régler ces points; et (v) qu’il existait des représentants appropriés du groupe. Les défenderesses ont déclaré que (i) la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable; (ii) les points relevés par les demandeurs n’étaient pas admissibles à titre de points communs, car ces derniers n’avaient pas réussi à présenter un certain fondement factuel quant à l’existence de caractéristiques communes relativement à leur responsabilité ou aux dommages causés; et (iii) en l’absence de responsabilité et de dommages pouvant être autorisés à titre de points communs, un recours collectif ne constituait pas le meilleur moyen de régler le litige. Les demandeurs ont allégué que le complot entre les défenderesses avait été formé et réalisé au moyen de communications directes lors de réunions privées qu’elles avaient eues ainsi que de déclarations publiques ou « signaux » qu’elles s’envoyaient. Les demandeurs ont avancé en outre que cette réduction de l’offre avait occasionné, pour les DRAM et les produits utilisant des DRAM, des prix supra-concurrentiels qui n’auraient pas eu lieu sans le complot. Ils ont ajouté que cette « majoration » s’était répercutée sur les consommateurs finaux, comme les demandeurs. La requête en autorisation déposée par les demandeurs faisait suite à un recours collectif parallèle intenté plus tôt aux É.-U., sur lequel était directement fondée la réclamation sollicitée dans le présent recours collectif envisagé. La Cour de district des É.-U. avait conclu que, globalement, les allégations des demandeurs américains au sujet des « facteurs supplémentaires » ne présentaient pas une cause d’action plausible fondée sur le complot, et que leur réclamation ne présentait rien de plus qu’un « parallélisme conscient »[2]. Les demandeurs ont soutenu que leur requête en autorisation constituait un recours collectif typique en droit de la concurrence soulevant une allégation de complot visant à fixer les prix. Ils ont prétendu qu’il n’y avait pas de différences importantes entre le présent dossier et une précédente affaire en matière de DRAM où l’autorisation avait été confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Infineon Technologies AG c. Option consommateurs (Infineon). Les défenderesses ont contesté trois des cinq conditions à remplir pour autoriser un recours collectif : la cause d’action valable, l’existence de points de droit ou de fait communs et le meilleur moyen de régler le litige. Les demandeurs ont demandé à la Cour d’autoriser le recours collectif en l’espèce sur le fondement de six points communs. Les premier et deuxième points communs se rapportaient à l’existence et à la portée du complot allégué et de la responsabilité des défenderesses aux termes des articles 45 et 46 de la Loi. Les troisième et quatrième points communs portaient sur des allégations de pertes et de dommages découlant des actes répréhensibles allégués. Les deux derniers points communs concernaient des points supplémentaires liés aux intérêts et aux coûts d’enquête. Les demandeurs ont fait valoir que la norme reposant sur un certain fondement factuel exige ce qu’on appelle une « approche en une étape » axée exclusivement sur la communauté des points soulevés, et que l’application d’une « approche en deux étapes » incorporerait une analyse au fond au critère d’autorisation.

La question principale soulevée par la requête en autorisation des demandeurs était celle de savoir si le complot allégué et le comportement répréhensible existaient.

Ordonnance : la requête doit être rejetée.

Les demandeurs n’ont pas satisfait à l’exigence relative à la cause d’action valable des requêtes en autorisation. Ce recours collectif envisagé en matière de droit de la concurrence se distinguait considérablement des recours collectifs habituels de fixation des prix intentés devant les tribunaux canadiens en vertu de la disposition de la Loi sur la concurrence qui porte sur le complot (c.-à-d. l’article 45 et les dispositions qui l’ont précédé). Le complot allégué par les demandeurs en l’espèce n’était pas un complot typique de fixation des prix au sens de l’article 45 de la Loi. Il s’agissait plutôt d’un complot visant à éliminer l’approvisionnement de DRAM, lequel aurait entraîné une augmentation des prix de DRAM. L’allégation principale de complot des demandeurs concernait l’élimination de l’offre de DRAM. Il s’agissait d’un élément distinctif de cette affaire. Il n’existe aucun précédent où l’objet principal du recours collectif en matière de droit de la concurrence concernant une allégation de violation de l’article 45 de la Loi était l’élimination de la production. Ce recours collectif envisagé en matière de droit de la concurrence était un cas rare où l’existence même du complot allégué à l’origine de la réclamation de perte et de dommages en vertu de l’article 36 de la Loi était contestée et remise en question à l’étape de l’autorisation. L’existence d’un complot allégué n’est généralement pas en litige dans de tels recours collectifs. L’arrêt Infineon ne pouvait pas prédéterminer l’issue de cette requête en autorisation, car il y avait une différence fondamentale par rapport à la présente espèce concernant la question du complot allégué. Le précédent établi dans l’arrêt Infineon n’apportait aucun éclairage utile sur cette question principale. La première condition pour qu’il y ait autorisation — à savoir que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable — consiste à déterminer s’il est « évident et manifeste » que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable et qu’aucune réclamation n’existe. Pour les quatre autres éléments du critère relatif à l’autorisation, il incombait aux demandeurs de produire des éléments de preuve pour démontrer « un certain fondement factuel » pour chacune des conditions. En l’espèce, l’infraction de complot prévue à l’article 45 à l’origine du recours collectif envisagé par les demandeurs était fondée sur l’existence d’une entente visant à se livrer au comportement illicite. Il devait y avoir des allégations adéquates dans les actes de procédure ainsi qu’un contexte factuel minimum tendant à indiquer que les défenderesses avaient expressément ou tacitement accepté d’agir dans un objectif commun. Ces deux éléments étaient absents de la requête des demandeurs. Les allégations étaient purement hypothétiques, n’étaient pas appuyées par des faits pertinents et ne révélaient donc aucune cause d’action valable. Les actes de procédure des demandeurs ne présentaient aucun fait concret démontrant que les défenderesses avaient conclu un accord visant à éliminer l’approvisionnement de DRAM, directement ou indirectement, et étaient arrivées à une entente mutuelle. Pour que les allégations contenues dans les actes de procédure soient considérées comme énonçant des faits substantiels, elles doivent être suffisamment précises et ne doivent pas être de simples assertions ou des affirmations non étayées de nature juridique fondées sur des hypothèses ou des conjectures. La présomption selon laquelle les allégations de fait sont vraies comporte certaines limites. Il doit y avoir des faits précis et concrets, et les allégations ne seront pas tenues pour avérées si elles ne sont pas suffisamment précises ou si elles ne sont que des conjectures. Les documents mentionnés par les demandeurs dans leur déclaration faisaient partie intégrante de leur demande. Toutefois, à l’étape de la requête en autorisation, il n’appartient pas au juge d’examiner ces documents de manière détaillée et de déterminer si les demandeurs les ont interprétés correctement, car cela équivaudrait à apprécier la preuve, ce que la Cour ne peut pas faire à ce stade. Le droit canadien reconnaît depuis longtemps que le « parallélisme conscient » n’est pas un comportement interdit par l’article 45 de la Loi, puisqu’il constitue la réponse indépendante de chaque concurrent au comportement perçu et prévu des autres. Il est inexact d’employer indistinctement les expressions « entente tacite », « collusion tacite » et « parallélisme conscient » pour décrire une réalité semblable. La principale différence entre « parallélisme conscient » et tout autre comportement est l’absence d’accord. Par conséquent, l’utilisation des expressions « entente tacite » ou « collusion tacite » pour décrire un tel comportement parallèle est un oxymoron. Il n’existe aucun précédent au Canada dans lequel on a reconnu que les « signaux publics », c.-à-d. comploter au moyen de communications directes lors de réunions privées et d’échanges de déclarations publiques, constituent un complot interdit par l’article 45. L’article 46 complète l’article 45 en établissant une infraction pour les personnes qui ne participent pas directement à des complots visés par l’article 45. Sans l’article 46, la compétence des tribunaux se limiterait à l’imposition de sanctions contre les parties au complot elles-mêmes par opposition aux entités au Canada qui se contentent de mettre en œuvre le complot sans être une partie directement impliquée. Pour plaider adéquatement un complot, le demandeur doit notamment faire état de l’accord de complot conclu entre les défenderesses et de son objet ainsi que de tout comportement particulier, décrit avec clarté et précision, que chacune des parties au complot aurait adopté pour la réalisation du complot. Rien de tout cela n’est ressorti des affirmations générales formulées par les demandeurs dans la déclaration. Les allégations de complot contenues dans les affirmations générales des demandeurs reproduisaient simplement le libellé de la Loi. Les allégations et le fondement factuel des événements circonstanciels doivent porter sur l’établissement d’un accord et sur le comportement des parties. Les demandeurs ne pouvaient simplement alléguer des changements généraux observés dans les prix sans s’appuyer sur des faits substantiels liés au comportement des défenderesses. En l’espèce, il n’y avait strictement aucune allégation ni aucun fait substantiel, et encore moins de fondement probatoire, concernant des « pratiques facilitantes » dans le comportement des défenderesses. Les déclarations publiques sur lesquelles s’appuyaient les demandeurs ne présentaient pas de faits substantiels à l’appui d’une allégation d’accord entre les défenderesses en vue d’éliminer l’approvisionnement de DRAM, ni même visant à appuyer toute élimination, restriction ou limitation de l’offre de DRAM en tant que telle. L’action unilatérale d’un défendeur ne devient pas collusoire simplement du fait qu’une autre action unilatérale semblable d’un concurrent l’a précédée ou suivie. Il ne suffit pas de montrer qu’il existe un comportement parallèle pour étayer une allégation de complot et supposer qu’un accord est à l’origine d’un tel comportement. La déclaration reposait sur une recherche à l’aveuglette en ce qui concerne son allégation de complot illégal. Le fait de considérer les allégations des demandeurs comme suffisantes pour étayer une cause d’action relative à un complot visé par l’article 45 aurait pour effet de dénaturer l’article 45 de la Loi et de dépouiller cette disposition fondamentale de la Loi de ce qui constitue maintenant son élément le plus essentiel et central, à savoir le comportement des personnes qu’on soupçonne d’avoir comploté. Les allégations limitées formulées par les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences des règles 174 et 181 des Règles des Cours fédérales, confirmées par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale.

Les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer, selon la norme de preuve reposant sur un certain fondement factuel, que les points communs envisagés à l’égard des actes répréhensibles qui seraient visés par les articles 45 et 46 existaient réellement. La norme reposant sur un certain fondement factuel appelle une approche en deux étapes concernant le critère du caractère commun des questions. Il est manifeste que le critère en deux étapes régit toujours les décisions en matière d’autorisation au Canada. La grande majorité des tribunaux, avant et après l’arrêt Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation (Pro-Sys) de la Cour suprême, ont continué d’appliquer l’approche en deux étapes et à exiger que les demandeurs présentent des éléments de preuve (c.-à-d. un certain fondement factuel) concernant l’existence des questions communes et la communauté de chacune des questions communes proposées. Il n’y a aucun conflit entre les arrêts Pro-Sys, Hollick c. Toronto (Ville) et l’abondante jurisprudence qui a établi qu’il doit y avoir un certain fondement probatoire pour démontrer l’existence d’une question commune, lequel fondement ne peut se résumer à une simple affirmation dans les actes de procédure. L’arrêt Pro-Sys, après sa lecture dans son intégralité et après un examen objectif de cet arrêt au regard de son contexte, appuie l’approche en deux étapes de l’exigence relative aux questions communes. L’arrêt Pro-Sys n’appuie certainement pas la proposition selon laquelle un demandeur n’a pas l’obligation d’établir que les motifs allégués à l’appui de la cause d’action sont ancrés dans la réalité. L’arrêt Pro-Sys ne peut pas être interprété comme une tentative de s’écarter de l’arrêt Hollick en tant qu’arrêt faisant autorité en ce qui a trait à la norme du certain fondement factuel. Les demandeurs ont déformé et mal compris l’approche en deux étapes lorsqu’ils l’ont présentée comme un critère reposant sur le bien-fondé du recours. Il existe une différence fondamentale entre l’appréciation du bien-fondé de la réclamation (ce que les tribunaux ne peuvent pas faire au moment de l’autorisation) et la recherche d’une preuve minimale à l’appui de la réclamation (c.-à-d. le critère en deux étapes). L’approche en deux étapes est la seule approche qui permet aux tribunaux d’empêcher l’autorisation de demandes qui seraient entièrement artificielles, déconnectées de la réalité et dépourvues de certains éléments de preuve minimaux concernant les actes répréhensibles ou la cause d’action allégués. Ni l’arrêt Pro-Sys ni aucun autre précédent de la Cour suprême en matière de recours collectif n’avait pour but d’abaisser le critère relatif à l’autorisation déjà peu exigeant au point où les demandeurs seraient libérés de l’obligation de produire une preuve minimale que le préjudice qu’ils allèguent existe effectivement. Les diverses catégories de « preuve » que les demandeurs ont présentées en l’espèce n’étaient vraiment pas à la hauteur et ne satisfaisaient pas au critère peu exigeant du certain fondement factuel. D’abord, la preuve concernant l’enquête d’un gouvernement étranger ne permettait pas d’établir de fondement factuel pour une infraction de complot au Canada, alors qu’il n’y avait aucune preuve concernant la nature réelle de l’enquête et le comportement anticoncurrentiel précis visé par l’enquête; aucune preuve en ce qui concerne les organismes de réglementation étrangers ou les conclusions qu’ils ont tirées; aucune preuve que la portée de l’enquête comprenait ou s’étendait au Canada; et aucune preuve sur le droit étranger et sur la question de savoir si le comportement anticoncurrentiel faisant l’objet de l’enquête dans le pays étranger, et éventuellement d’une sanction dans ce pays, était également un comportement qui constituerait un accord illicite en vertu du droit canadien. Ensuite, le simple fait que l’industrie des DRAM soit un oligopole, ce qui n’est pas en soi anticoncurrentiel, ne constituait pas un élément de preuve suffisant pour permettre à la Cour d’autoriser le recours collectif en l’espèce. Les caractéristiques oligopolistiques d’une industrie sont tout aussi susceptibles d’être compatibles avec un comportement innocent qu’avec un comportement illégal. Aucun tribunal canadien n’a autorisé un recours collectif en matière de concurrence dans un marché oligopolistique au motif que le parallélisme conscient est un moyen de défense au fond. L’adhésion parfaitement légale à des associations professionnelles également parfaitement légales, voire la présence de participants à des rencontres d’associations professionnelles parfaitement légales, ne constituait aucun fondement factuel de l’existence d’un complot auquel participeraient les défenderesses. Il n’y avait aucun élément de preuve décrivant des interactions suspectes ou réelles entre les défenderesses lors de ces rencontres d’associations commerciales, ni d’interactions laissant entrevoir la conclusion d’un accord visant à limiter l’offre de DRAM ou à augmenter les prix des DRAM. Les rencontres d’associations commerciales ne peuvent en soi prouver que les membres de ces associations ont adopté un comportement répréhensible. Les renvois à des actes de procédure américains dans lesquels le même complot est allégué ne constituaient pas une preuve appropriée puisque ces actes de procédure ont été rédigés par des avocats et ne constituaient que des opinions ou des arguments juridiques. L’exigence relative aux questions communes requiert que les demandeurs établissent un certain fondement factuel pour leurs questions communes proposées, et non qu’ils présentent certaines allégations formulées dans une poursuite criminelle à l’étranger. Enfin, le simple fait de présenter un rapport d’expert ne suffit pas pour établir un certain fondement factuel relativement à une question commune proposée. En conclusion, le fait de permettre la poursuite du recours collectif envisagé par les demandeurs sur la foi du dossier présenté à la Cour concernant l’accord allégué aurait donné lieu à un dangereux précédent susceptible d’ouvrir la voie au dépôt de réclamations fondées sur l’article 36 uniquement en fonction d’effets anticoncurrentiels apparents et d’allégations et de conjectures non fondées concernant le comportement collusoire de parties soupçonnées de complot. L’article 45 ne prévoit pas que la preuve d’effets anticoncurrentiels réels ou probables constitue la preuve de l’existence d’un accord illicite entre concurrents, sans aucun fait substantiel ou élément probant quant au comportement concerté des concurrents. L’existence d’une entente explicite ou tacite constitue le cœur de la disposition sur le complot, d’autant plus que le nouvel article 45 interdit les cartels injustifiables et les érige en infractions automatiques en vertu de la Loi. La dimension procédurale du recours collectif n’a jamais été conçue pour réduire le processus d’autorisation à un processus dénué de sens ou pour devenir en quelque sorte comme une feuille de vigne qui sert à dissimuler les lacunes pures et simples de la requête d’un demandeur. Il incombe à la Cour, même à l’étape procédurale de l’autorisation, d’écarter une demande insoutenable, non fondée et conjecturale. Bien que l’absence d’enquête du Bureau de la concurrence sur un comportement reproché ne soit pas déterminante quant à l’existence d’un complot visé par l’article 45, il s’agit certainement de quelque chose de révélateur.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 36, 45, 46.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 174, 181, 334.16(1),(2), 334.18, 334.39.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION NON SUIVIE :

Crosslink v. BASF Canada, 2014 ONSC 1682 (CanLII), conf. par 2014 ONSC 4529 (CanLII) (quant à la nécessité d’une preuve indiquant la participation à un complot)

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Condon c. Canada, 2015 CAF 159; Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477; Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199; AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949; Atlantic Sugar Refineries Co. Ltd. et autres c. Procureur général du Canada, [1980] 2 R.C.S. 644; Mancuso c. Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227; Enercorp Sand Solutions Inc. c. Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 SCC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, confirmant 2011 QCCA 2116 (CanLII), infirmant 2008 QCCS 2781 (CanLII), 2008 CarswellQue 5729 (WL Can.); Crosslink v. BASF Canada, 2014 ONSC 1682 (CanLII), conf. par 2014 ONSC 4529 (CanLII).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

In re Dynamic Random Access Memory (DRAM) Indirect Purchaser Litigation, 2020 WL 8459279 (U.S. Dist. Ct. N.D. Cal.); Hazan c. Micron Technology Inc., 2021 QCCS 2710 (CanLII); Watson v. Bank of America Corporation, 2014 BCSC 532, mod. par 2015 BCCA 362; Pioneer Corp. c. Godfrey, 2019 CSC 42, [2019] 3 R.C.S. 295; Fanshawe College v. LG Philips LCD Co., 2011 ONSC 2484 (CanLII); Irving Paper Ltd. v. Atofina Chemicals Inc. (2009), 99 O.R. (3d) 358, [2009] O.J. no 4021 (QL) (C. sup.), autorisation d’appel refusée 2010 ONSC 2705 (CanLII), 103 O.R. (3d) 296 (C. div.); Lin c. Airbnb, Inc., 2019 CF 1563; Canada (Procureur général) c. Jost, 2020 CAF 212; L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltd., 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; Canada c. Greenwood, 2021 CAF 186, [2021] 4 R.C.F. 634, inf. en partie par 2020 CF 119; Desjardins Financial Services Firm Inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, [2020] 3 R.C.S. 298; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299 (CanLII); Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143; Merchant Law Group c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, [2010] 3 R.C.F. F-16; AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112; Das v. George Weston Limited, 2017 ONSC 4129 (CanLII), conf. par 2018 ONCA 1053 (CanLII); Johnston c. Canada, 2021 CF 20; Regina v. Armco Canada Ltd. and 9 other corporations (1976), 13 O.R. (2d) 32, 70 D.L.R. (3d) 287 (C.A.); Proulx c. R., 2016 QCCA 1425 (CanLII), [2016] J.Q. no 11393 (QL); Regina v. Canadian General Electric Company Ltd. et al. (1976), 15 O.R. (2d) 360, 1976 Carswell Ont. 449 (WL Can.) (S.C.); Gosselin c. R., 2017 QCCA 244 (CanLII), [2017] J.Q. no 988 (QL); Pelletier c. Canada, 2020 CF 1019; Baird c. Canada, 2007 CAF 48; Fehr v. Sun Life Assurance Company of Canada, 2018 ONCA 718 (CanLII); Kuiper v. Cook (Canada) Inc., 2018 ONSC 6487 (CanLII), conf. par 2020 ONSC 128 (CanLII), 149 O.R. (3d) 521; Dine v. Biomet, 2015 ONSC 7050 (CanLII); SunRype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58, [2013] 3 R.C.S. 545.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

In re Dynamic Random Access Memory (DRAM) Indirect Purchaser Litigation, 538 F.3d 1107 (9th Cir. 2008); Jones v. Micron Technology Inc., 400 F.Supp.3d 897 (N.D. Cal. 2019); In re Musical Instruments and Equipment Antitrust Litigation, 798 F.3d 1186 (9th Cir. 2015); Prokuron Sourcing Solutions Inc. v. Sobeys Inc. and Lexmark Canada Inc., 2019 ONSC 7403 (CanLII); 2038724 Ontario Ltd. v. Quizno’s Canada Restaurant Corp., 2009 CanLII 23374, 96 O.R. (3d) 252, [2009] O.J. no 1874 (QL) (C. div.), conf. par 2010 ONCA 466 (CanLII), 100 O.R. (3d) 721; Axiom Plastics Inc. v. E.I. DuPont Canada Co. (2007), 87 O.R. (3d) 352, [2007] O.J. no 3327 (QL) (C. sup.); Airia Brands v. Air Canada, 2015 ONSC 5352 (CanLII); Mancinelli v. Royal Bank of Canada, 2020 ONSC 1646 (CanLII); Pro-Sys Consultants Ltd. v. Infineon Technologies AG, 2009 BCCA 503, 312 D.L.R. (4th) 419; Ewert v. Nippon Yusen Kabushiki Kaisha, 2017 BCSC 2357, inf. pour d’autres motifs par 2019 BCCA 187; Shah v. LG Chem, Ltd., 2015 ONSC 6148 (CanLII), 390 D.L.R. (4th) 87, conf. par 2018 ONCA 819 (CanLII), 429 D.L.R. (4th) 514; Ford v. F. Hoffmann-La Roche Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 758, sub nom. Vitapharm Canada Ltd. v. F. Hoffmann-La Roche Ltd., [2005] O.J. no 1118 (QL) (C. sup.); Alfresh Beverages Canada Corp. v. Hoechst AG, [2002] O.J. no 79 (QL) (C. sup.); Buffalo c. Nation crie de Samson, 2008 CF 1308, [2009] 4 R.C.F. 3, conf. par 2010 CAF 165, [2010] 3 R.C.F. F-17; Kenney c. Canada (Procureur général), 2016 CF 367; Canada c. M. Untel, 2016 CAF 191; Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184; Simpson v. Facebook, 2021 ONSC 968 (CanLII); Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261; Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, [2020] 2 R.C.S. 420; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; McCracken v. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445 (CanLII), 111 O.R. (3d) 745; Murphy c. Compagnie Amway Canada, 2015 CF 958; Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Shah v. LG Chem Ltd., 2018 ONCA 819 (CanLII), 429 D.L.R. (4th) 514; Kastner c. Painblanc, [1994] A.C.F. no 1671 (QL) (C.A.); Evertz Technologies Limited v. Lawo AG, 2019 ONSC 1355 (CanLII); Aristocrat Restaurants Ltd. v. Ontario, [2003] O.J. no 5331 (QL), 2003 CarswellOnt 5574 (WL Can.) (C. sup.); Carten c. Canada, 2010 CF 857; McLarty c. Canada, 2002 CAF 206; Bouchard c. Canada, 2016 CF 983; Paul c. Canada, 2001 CFPI 1280, [2002] 2 C.F. F-20; Castrillo v. Workplace Safety and Insurance Board, 2017 ONCA 121 (CanLII), 136 O.R. (3d) 654; Nicholson c. CWS Industries Ltd., 2002 CFPI 1225, [2003] 3 C.F. F-36; Margem Chartering Co. Inc. c. Bocsa (Le), [1997] 2 C.F. 1001 (1re inst.); McCreight v. Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483 (CanLII), 116 O.R. (3d) 429; Singer v. Schering-Plough Canada Inc., 2010 ONSC 42 (CanLII); Mohr c. Ligue nationale de hockey, 2021 CF 488, [2021] 4 R.C.F. 408; R. v. Cominco Ltd. (1980), 46 C.P.R. (2d) 154, [1980] A.J. no 524 (QL) (C. sup.); R. v. Aluminum Co. of Canada Ltd. (1976), 29 C.P.R. (2d) 183, 1976 CarswellQue 94 (WL Can.) (C. sup.); R. v. Canada Cement Lafarge Ltd. (1973), 12 C.P.R. (2d) 12, 1973 CarswellOnt 1031 (WL Can.) (C. prov.); R. v. Canada Packers Inc. (1988), 19 C.P.R. (3d) 133, 1988 CarswellAlta 745 (WL Can.) (B.R.); Collins c. Canada, 2011 CAF 140; Simon c. Canada, 2011 CAF 6, [2011] 1 R.C.F. F-17; Pelletier c. Canada, 2016 CF 1356; Carom v. Bre-X Minerals Ltd. (1998), 41 O.R. (3d) 780, [1998] O.J. no 4496 (QL) (Div. gén.); Nation Crie Poundmaker c. Canada, 2017 CF 447, [2018] 1 R.C.F. F-6; Sivak c. Canada, 2012 CF 272; Hodge v. Neinstein, 2017 ONCA 494 (CanLII), 414 D.L.R. (4th) 303; Grossman v. Nissan Canada, 2019 ONSC 6180 (CanLII); Cirillo v. Ontario, 2019 ONSC 3066 (CanLII); Kalra v. Mercedes Benz, 2017 ONSC 3795 (CanLII); Fulawka v. Bank of Nova Scotia, 2012 ONCA 443 (CanLII), 352 D.L.R. (4th) 1; Stenzler v. TD Asset Management Inc., 2020 ONSC 111 (CanLII); Kaplan v. Casino Rama, 2019 ONSC 2025 (CanLII), 145 O.R. (3d) 736; Batten v. Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd., 2017 ONSC 6098 (CanLII); R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339; M. Untel c. R, 2015 CF 236; Harrison v. XL Foods Inc., 2014 ABQB 720 (CanLII); O’Brien v. Bard Canada Inc., 2015 ONSC 2470 (CanLII).

DOCTRINE CITÉE

Bureau de la concurrence Canada, Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents (Gatineau : Bureau de la concurrence, 2009).

Bureau de la concurrence Canada, Lignes directrices surla collaboration entre concurrents (Gatineau : Bureau dela concurrence, 2021).

REQUÊTE visant à faire autoriser une action comme étant un recours collectif aux termes du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales. Requête rejetée.

ONT COMPARU :

James C. Orr, Kyle R. Taylor, Annie (Qurrat-ul-ain) Tayyab, James Sayce, Nathalie Gondek et Adam Tanel pour les demandeurs.

Subrata Bhattacharjee, Caitlin R. Sainsbury, Pierre N. Gemson et Graham Splawski pour les défenderesses Samsung Electronics Co. Ltd., Samsung Semiconductor Inc. et Samsung Electronics Canada, Inc.

David W. Kent, James B. Musgrove et Samantha Gordon pour les défenderesses Micron Technology Inc. et Micron Semiconductor Products, Inc.

Sandra A. Forbes, Chantelle Cseh et Trevor N. May pour les défenderesses SK Hynix Inc. et SK Hynix America, Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Orr Taylor LLP et Koskie Minsky LLP, Toronto, pour les demandeurs.

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L., Toronto, pour les défenderesses Samsung Electronics Co. Ltd., Samsung Semiconductor Inc. et Samsung Electronics Canada, Inc.

McMillan LLP, Toronto, pour les défenderesses Micron Technology Inc. et Micron Semiconductor Products, Inc.

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les défenderesses SK Hynix Inc. et SK Hynix America, Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

Le juge Gascon :

I.     Aperçu

[1]        Les demandeurs, Mme Chelsea Jensen et M. Laurent Abesdris, sollicitent une ordonnance autorisant la présente instance comme recours collectif aux termes du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles). Dans leur recours collectif envisagé en droit de la concurrence, les demandeurs soutiennent que les trois principaux fabricants de puces de mémoire vive dynamique (DRAM) ont comploté pour limiter l’approvisionnement à l’échelle mondiale et pour hausser le prix des DRAM. Les DRAM sont un type de puce mémoire à semi-conducteurs utilisé dans la plupart des produits informatiques pour permettre le stockage électronique et la récupération rapide d’information. Les fabricants visés par le présent recours collectif envisagé sont Samsung Electronics Co. Ltd., Samsung Semiconductor Inc. et Samsung Electronics Canada, Inc. (collectivement désignées comme Samsung), SK Hynix Inc. et SK Hynix America, Inc. (collectivement désignées comme SK Hynix) et Micron Technology, Inc. et Micron Semiconductor Products, Inc. (collectivement désignées comme Micron) (collectivement désignées comme les défenderesses).

[2]        Les demandeurs font valoir que l’allégation de complot divulgue une cause d’action clairement reconnue par l’article 36 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (la Loi) pour des manquements visés aux articles 45 et 46. De façon générale, commettent une infraction criminelle visée à l’article 45 les concurrents ou concurrents éventuels qui complotent ou concluent un accord ou un arrangement pour fixer les prix, se partager des marchés ou limiter la production d’un produit. L’article 46 érige en infraction criminelle l’application par une personne morale exploitant une entreprise au Canada d’une directive ou d’une communication provenant d’une personne se trouvant dans un pays étranger ayant pour objet de donner effet à un complot intervenu à l’étranger qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45. Pour sa part, l’article 36 de la Loi prévoit un droit à une action privée afin de recouvrer des dommages-intérêts pour tout dommage subi en raison de certains comportements criminels prohibés par la Loi, incluant les comportements visés aux articles 45 et 46, ainsi que le coût des enquêtes et des poursuites engagées. En l’espèce, les demandeurs allèguent que les défenderesses ont comploté, au moyen de communications directes lors de réunions privées et de déclarations publiques qu’elles s’adressaient — ou de « signaux » qu’elles se sont envoyés —, afin d’éliminer la fourniture des DRAM et d’augmenter les prix des DRAM.

[3]        En qualité de représentants proposés pour les membres du groupe, les demandeurs cherchent à obtenir des dommages-intérêts ou une indemnisation de la part des défenderesses d’une somme de 1 000 000 000 $ au nom de toutes les personnes ou entités au Canada, excluant les défenderesses et leurs sociétés mères, filiales et sociétés affiliées, qui, entre le 1er juin 2016 et le 1er février 2018 (la période visée par le recours collectif), ont acheté des DRAM fabriquées et/ou vendues par les défenderesses, ou des produits contenant des DRAM fabriquées ou vendues par les défenderesses (le groupe).

[4]        Les demandeurs soutiennent que toutes les exigences juridiques requises pour l’octroi de l’autorisation sont remplies, à savoir (i) qu’il y a une cause d’action valable; (ii) qu’il existe un groupe identifiable; (iii) qu’il existe des points de droit et de fait communs; (iv) qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler ces points; et (v) qu’il existe des représentants appropriés du groupe. Les défenderesses s’opposent à l’autorisation du recours collectif et prétendent que les demandeurs n’ont pas réussi à s’acquitter de leur fardeau de démontrer que la présente action devrait être autorisée. Plus particulièrement, elles font valoir que le comportement décrit par les demandeurs ne constitue pas une infraction criminelle prévue par la Loi et qu’il n’équivaut pas à un complot passible de sanctions en application de l’article 45 ou à une directive étrangère illégale en application de l’article 46. Par conséquent, selon les défenderesses, (i) la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; (ii) les points relevés par les demandeurs ne sont pas admissibles à titre de points communs, car ces derniers n’ont pas réussi à présenter un certain fondement factuel quant à l’existence de caractéristiques communes relativement à leur responsabilité ou aux dommages causés; et (iii) en l’absence de responsabilité et de dommages pouvant être autorisés à titre de points communs, un recours collectif ne constitue pas le meilleur moyen de régler le litige. Les défenderesses ne contestent pas qu’il y aurait un groupe identifiable ou que les demandeurs seraient des représentants demandeurs appropriés du groupe.

[5]        La formation et l’existence d’un complot visé à l’article 45 dont font état les demandeurs constituent la question centrale en litige, car cette allégation centrale motive les actes de procédure des demandeurs et fournit le contexte des points communs proposés. J’ouvre une parenthèse pour faire observer qu’une telle situation est très inhabituelle dans le cadre de recours collectifs en droit de la concurrence intentés en vertu des articles 36 et 45 de la Loi. Dans la très grande majorité des cas, la question de savoir si les réclamations soulèvent des points communs concernant un complot n’est normalement pas litigieuse. La principale question en litige concerne généralement plutôt les points communs envisagés relativement aux conséquences des actes répréhensibles allégués, à savoir s’il existe un certain fondement factuel dans le dossier permettant d’établir la perte ou les dommages allégués à l’échelle d’un groupe. La plupart du temps, il s’agit de déterminer s’il existe une méthode crédible et plausible pour établir la perte ou les dommages à l’échelle du groupe. Comme on pouvait s’y attendre, les parties ont consacré une part importante de leurs observations écrites et orales sur ce point.

[6]        La présente affaire est toutefois différente et porte sur le comportement répréhensible allégué qui sous-tend le recours collectif en droit de la concurrence envisagé par les demandeurs. C’est ce comportement qui constitue, à mon avis, la question déterminante de la requête en autorisation des demandeurs.

[7]        Pour les motifs énoncés ci-dessous, je rejetterai la requête en autorisation des demandeurs, car leur preuve ne réussit pas à établir l’existence du complot visé par l’article 45 qui fait l’objet de leur recours collectif envisagé. Je conclus qu’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne divulguent aucune cause d’action valable fondée sur les articles 36, 45 et 46 de la Loi, puisque les allégations relatives à un complot passible de sanctions en application à l’article 45 et à une directive interdite visée à l’article 46 ne reposent pas sur des faits substantiels, sont des conjectures et se résument à de simples affirmations. Je conclus en outre qu’il n’y a aucun fondement factuel à l’appui des points communs présentés par les demandeurs en ce qui a trait au complot allégué aux termes de l’article 45. À cet égard, les demandeurs ne sont pas parvenus à présenter un fondement probatoire minimal à l’appui de l’existence du complot allégué. Cela suffit pour rejeter la requête des demandeurs et refuser l’autorisation. Vu les circonstances et l’absence de points communs relativement au comportement répréhensible allégué, aucun des autres points communs envisagés à l’égard de la perte ou des dommages allégués ne peut être autorisé. En l’absence de points communs, un recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les réclamations des membres du groupe proposé, et ne permettra pas de respecter les trois principes qui sous-tendent les recours collectifs, à savoir l’économie de ressources judiciaires, la modification du comportement et l’accès à la justice.

II.    Contexte

A.    Les parties

[8]        Les demandeurs sont des consommateurs finaux indirects de DRAM qui résident à Toronto, en Ontario. Mme Jensen a acheté un téléphone mobile contenant des DRAM en juin 2017. M. Abesdris a acheté un ordinateur portatif contenant des DRAM en janvier 2018.

[9]        La défenderesse Samsung fabrique, distribue et vend des produits semi-conducteurs, y compris des DRAM. Samsung fabrique également des produits électroniques de consommation et d’autres produits utilisant des DRAM comme l’une de leurs composantes. Samsung Electronics Co. Ltd. est une société dont le siège social est en Corée du Sud. Samsung Semiconductor Inc. est une filiale de Samsung Electronics Co. Ltd. établie aux États-Unis (É.-U.) et dont le siège social se trouve en Californie. Samsung Electronics Canada, Inc. est une filiale canadienne de Samsung Electronics Co. Ltd. dont le son siège social est en Ontario. Elle s’occupe de la vente d’appareils électroniques, mais pas de DRAM.

[10]      La défenderesse SK Hynix fabrique, distribue et vend des produits semi-conducteurs, y compris des DRAM. SK Hynix Inc. est une société dont le siège social est situé en Corée du Sud et qui possède des installations de fabrication en Corée du Sud et en Chine. SK Hynix America, Inc. est une filiale américaine de SK Hynix Inc., dont le siège social se trouve en Californie.

[11]      La défenderesse Micron fabrique, distribue et vend des produits semi-conducteurs, y compris des DRAM. Micron Technology Inc. est une société du Delaware dont le siège social se trouve dans l’État de l’Idaho, et elle possède des installations de production à Taïwan, à Singapour, aux É.-U., au Japon et en Chine. Micron Semiconductor Products, Inc. est la filiale de Micron constituée en personne morale dans l’État de l’Idaho.

B.    Contexte factuel

[12]      Les DRAM sont un type de dispositif de mémoire numérique qui stocke des bits de données dans des condensateurs situés dans des circuits intégrés, permettant aux ordinateurs, aux téléphones intelligents et à d’autres produits électroniques numériques de conserver l’information. Les DRAM sont un composant présent dans pratiquement tous les produits électroniques, y compris les ordinateurs personnels, les téléphones intelligents, les tablettes, les téléviseurs, les caméras ou appareils photo, les serveurs et d’autres articles remplissant une fonction informatique. Les DRAM sont un produit autonome n’ayant aucune utilité indépendante : elles doivent être insérées dans un appareil (comme un téléphone intelligent ou un ordinateur) pour avoir une fonction.

[13]      Les défenderesses fabriquent et vendent toutes des DRAM qui sont utilisées dans divers types de produits finaux. Elles vendent des DRAM principalement à des fabricants d’équipement d’origine (FEO), comme des fabricants d’ordinateurs, de téléphones mobiles, de clés USB et de cartes mémoire. Ces FEO incorporent ensuite les DRAM dans divers produits qu’ils vendent ensuite aux consommateurs ou à des détaillants, qui les vendent par la suite aux consommateurs. Les acheteurs directs de DRAM utilisent des DRAM dans les produits qu’ils fabriquent. Les acheteurs indirects de DRAM, quant à eux, achètent des produits contenant des DRAM. Le recours englobe tant les acheteurs directs qu’indirects.

[14]      L’industrie de la fourniture de DRAM est très concentrée, et les demandeurs ont décrit la production et la fabrication de DRAM comme un oligopole, à savoir une structure de marché fortement concentrée où quelques vendeurs dominent la fourniture d’un produit ou d’un service. Les défenderesses sont les trois plus grands fabricants de DRAM, et on estime qu’elles ont fabriqué 96 à 98 p.100 des DRAM vendues dans le monde en 2017–2018. Au cours de la période visée par le recours collectif, la majeure partie des ventes mondiales de DRAM a été réalisée par les défenderesses. Le marché canadien des DRAM représente environ 10 p.100 du marché mondial des DRAM, qui était estimé à 72,5 milliards de dollars en 2017.

[15]      Les demandeurs estiment que le groupe comprendra probablement presque tous les adultes au Canada, puisque la plupart des ménages canadiens possèdent un ou plusieurs appareils contenant des DRAM et que les défenderesses contrôlent plus de 96 p. 100 du marché mondial des DRAM.

C.   Contexte procédural

[16]      L’action a été introduite en mai 2018 et les demandeurs ont déposé leur deuxième déclaration modifiée le 23 avril 2019 (Déclaration). Dans leur requête en autorisation, les demandeurs sollicitent :

a.     une ordonnance autorisant la présente action comme recours collectif conformément aux Règles;

b.    une ordonnance nommant Mme Chelsea Jensen et M. Laurent Abesdris en tant que représentants demandeurs du groupe;

c.     une ordonnance définissant le groupe comme :

i.   Toutes les personnes ou entités au Canada qui, entre le 1er juin 2016 et le 1er février 2018, ont acheté des DRAM fabriquées ou vendues par les défenderesses ou des produits contenant des DRAM fabriquées ou vendues par les défenderesses. Les défenderesses et leurs sociétés mères, filiales et sociétés affiliées sont exclues du groupe;

d.    ou toute autre définition de groupe approuvée par la Cour;

e.    une ordonnance portant que la présente instance est autorisée à l’égard des six questions communes suivantes :

i.   Les défenderesses, ou certaines d’entre elles, ont-elles contrevenu à l’article 45 de la Loi?

ii.   Les défenderesses, ou certaines d’entre elles, ont-elles contrevenu à l’article 46 de la Loi?

iii.  Les membres du groupe ont-ils subi une perte ou des dommages en raison du comportement des défenderesses contraire à une disposition de la partie VI de la Loi?

iv.  Les membres du groupe ont-ils droit au recouvrement de dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi pour les pertes ou dommages subis et, dans l’affirmative, à quel montant?

v.  Les défenderesses, ou certaines d’entre elles, sont-elles tenues de payer des intérêts avant jugement et des intérêts après jugement conformément aux articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 et, dans l’affirmative, à quel montant devraient-ils s’élever?

vi.  Les frais d’enquête complets relatifs à la présente espèce, y compris le coût de l’instance ou d’une partie de celle-ci, devraient-ils être fixés ou taxés globalement conformément à l’article 36 de la Loi et, dans l’affirmative, à quel montant devraient-ils s’élever?

f.    une ordonnance nommant Koskie Minsky LLP et Affleck Greene McMurtry LLP comme avocats du groupe;

g.   une ordonnance approuvant le plan de litige proposé;

h.   une ordonnance suspendant toute autre instance fondée sur les faits ayant donné lieu au présent recours collectif envisagé;

i.     une ordonnance déclarant qu’aucune autre instance fondée sur les faits ayant donné lieu à la présente instance ne peut être engagée sans l’autorisation de la Cour; et

j.     une ordonnance prévoyant toute autre réparation que les avocats peuvent proposer et que la Cour estime juste.

[17]      Les demandeurs ont appuyé leur requête en autorisation par la présentation du dossier de preuve suivant :

•      L’affidavit, daté du 22 avril 2019, d’Annie (Qurrat-ul-aim) Tayyab, avocate chez Affleck Greene McMurtry LLP, qui est l’un des deux avocats du groupe, auquel 54 pièces étaient jointes (l’affidavit Tayyab). Les pièces jointes à l’affidavit Tayyab comprennent des articles concernant une enquête menée par l’organisme de réglementation de l’économie chinois (neuf pièces); des rapports et des documents financiers relatifs aux défenderesses (huit pièces); des déclarations publiques et des transcriptions de conférences en vue de la communication des résultats financiers et de conférences des investisseurs auxquelles ont participé les défenderesses (déclarations publiques) (35 pièces); des documents d’associations professionnelles de l’industrie des DRAM (trois pièces); et des documents relatifs à un complot antérieur auxquels ont participé les défenderesses (quatre pièces).

•      L’affidavit supplémentaire d’Annie (Qurrat-ul-aim) Tayyab, daté du 13 février 2020, auquel était joint la [traduction] « plainte modifiée visée par le recours collectif regroupant les acheteurs indirects demandeurs » (la plainte américaine modifiée) déposée dans le cadre d’un recours collectif connexe engagé aux É.-U. et fondé sur des faits étroitement semblables à ceux de la présente espèce.

•      L’affidavit, daté du 22 avril 2019, de la demanderesse Chelsea Jensen.

•      L’affidavit, daté du 21 avril 2019, du demandeur Laurent Abesdris.

•      Les affidavits, datés du 22 avril 2019 et du 12 février 2020, du Dr. Hal J. Singer. Dr. Singer est économiste et directeur général chez Econ One Research, Inc., à Washington, D.C. Il a présenté un rapport d’expert et un rapport d’expert en réponse (les rapports Singer). Dr. Singer a été contre-interrogé.

[18]      Les défenderesses se sont opposées à la requête en autorisation et ont présenté à l’appui le dossier de preuve suivant :

•      L’affidavit, daté du 19 décembre 2019, de Trevor May, stagiaire en droit chez Davies Ward Phillips and Vineberg LLP, avocats de SK Hynix, auquel dix pièces étaient jointes. Ces pièces comprennent des documents financiers et des transcriptions de diverses conférences en vue de la communication des résultats financiers et de conférences des investisseurs auxquelles ont participé les défenderesses.

•      L’affidavit, daté du 19 décembre 2019, de Dr. Mark A. Israel. Dr. Israel est économiste et directeur général principal chez Compass Lexecon, une société d’experts-conseils en économie, à Washington, D.C. Il a présenté un rapport d’expert en réponse à Dr. Singer. Dr. Israel n’a pas été contre-interrogé.

D.   Résumé des allégations des demandeurs

[19]      Dans leur Déclaration, les demandeurs invoquent une seule cause d’action au titre de l’article 36 de la Loi, à savoir la violation de l’article 45, qui interdit les complots, et de l’article 46, qui vise l’application d’une directive étrangère.

[20]      Au titre de l’article 45, les demandeurs allèguent que les défenderesses ont comploté ou conclu un accord ou un arrangement pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture de DRAM; attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture de DRAM; et fixer, maintenir, contrôler, prévenir, réduire ou d’éliminer la production ou la fourniture de DRAM (Déclaration, au paragraphe 135). Ce paragraphe de l’acte de procédure des demandeurs reprend essentiellement le libellé de l’article 45 de la Loi. Cependant, je remarque que, tout au long de la Déclaration, les demandeurs font référence à plusieurs reprises à un complot beaucoup plus étroit, soit un complot des défenderesses pour [traduction] « éliminer la fourniture de DRAM et faire augmenter les prix des DRAM » (voir, p. ex., la Déclaration, aux paragraphes 2, 5, 18, 22, 26, 45, 50, 52, 128, 129 et 130).

[21]      Au titre de l’article 46, les demandeurs allèguent que les défenderesses ont appliqué une directive, une instruction, un énoncé de politique ou une autre communication provenant de l’étranger, laquelle communication avait pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’étranger qui, s’il avait été conclu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45 de la Loi (Déclaration, au paragraphe 136). Encore une fois, ce paragraphe reproduit le libellé de la Loi.

[22]      En résumé, les demandeurs prétendent qu’avant 2016, les défenderesses se livraient une concurrence vigoureuse pour obtenir des parts de marché, mais qu’au début de 2016, elles ont comploté pour réduire la fourniture de DRAM afin de faire augmenter les prix. Tout au long de 2015 et du premier semestre de 2016, les prix des DRAM avaient diminué de façon constante. Toutefois, après le deuxième trimestre de 2016, la tendance a changé, et les prix ont commencé à remonter de façon marquée pour atteindre des sommets pour tous les types de DRAM, toutes les tailles et tous les marchés. Selon la Déclaration, les défenderesses ont à ce moment-là adopté la même politique consistant à refuser d’augmenter leurs propres stocks de DRAM. Elles ont envoyé des signaux, par des déclarations publiques à l’intention des investisseurs et lors de conférences sectorielles, de ce que les demandeurs présentent être des décisions coordonnées visant à limiter la fourniture de DRAM. Selon les demandeurs, par leurs déclarations publiques, Micron et de Samsung se rassuraient mutuellement et rassuraient également SK Hynix de leur participation continue au complot. Les demandeurs allèguent également que la nature du marché des DRAM, un oligopole dans le cadre duquel les défenderesses assuraient au moins 96 pour cent des ventes mondiales de DRAM, a favorisé cette collusion.

[23]      Selon les demandeurs, la réduction de la fourniture de DRAM par les défenderesses en deçà de la demande du marché a marqué une rupture avec le comportement antérieur sur le marché, où les défenderesses et d’autres participants au marché se faisaient concurrence principalement, pour ne pas dire uniquement, sur les prix dans le but d’accroître leur propre part de marché.

[24]      Les demandeurs allèguent que le complot entre les défenderesses a été formé et réalisé au moyen de communications directes lors de réunions privées qu’elles ont eues ainsi que de déclarations publiques ou « signaux » qu’elles se sont envoyés, lesquels, affirment les demandeurs, sont des formes de complot passibles de sanctions bien reconnues par la jurisprudence au Canada. En ce qui concerne le fondement probatoire, les allégations des demandeurs reposent sur ce qu’ils ont appelé quatre principaux indices de violation de l’article 45 de la Loi : premièrement, une enquête réglementaire lancée par les autorités anticoncurrentielles chinoises (l’enquête de la Chine); deuxièmement, des restrictions massives et coordonnées de la fourniture de DRAM et des augmentations de prix au cours de la période visée par le recours collectif, ce qui a entraîné des hausses marquées des prix des produits utilisant des DRAM et des revenus des défenderesses; troisièmement, les déclarations continues et répétées faites en privé et en public par les cadres supérieurs des défenderesses selon lesquelles ces dernières limiteraient la fourniture de DRAM et que leurs concurrents feraient de même; quatrièmement, un comportement anticoncurrentiel semblable admis par les défenderesses il y a quelques années dans la même industrie des DRAM.

[25]      Les demandeurs avancent que cette réduction de l’offre a occasionné, pour les DRAM et les produits utilisant des DRAM, des prix supra-concurrentiels qui n’auraient pas eu lieu sans le complot. Ils ajoutent que cette « majoration » s’est répercutée sur les consommateurs finaux (c.àd. les acheteurs indirects), comme les demandeurs, qui ont acheté des produits utilisant des DRAM. La majoration et le préjudice causé aux demandeurs et aux membres du groupe correspondent à la différence entre le prix réellement payé à cause du complot allégué et le prix qui aurait été demandé en l’absence d’un tel complot.

[26]      Les demandeurs soutiennent que le complot allégué a pris fin après l’annonce de la nouvelle concernant l’enquête des autorités anticoncurrentielles chinoises au sujet de soupçons de fixation des prix des DRAM.

[27]      Comme il a été mentionné au paragraphe 16, les demandeurs proposent six questions communes. Les deux premières portent sur les allégations de comportement répréhensible et de responsabilité pour violation des articles 45 et 46 de la Loi. Les deux questions suivantes portent sur les points relatifs aux dommages ou aux pertes découlant du comportement répréhensible allégué. Enfin, les deux dernières questions concernent les intérêts et les coûts d’enquête.

E.    Le recours collectif américain parallèle

[28]      Il convient de souligner que la requête en autorisation déposée par les demandeurs fait suite à un recours collectif parallèle intenté plus tôt aux É.-U., sur lequel est directement fondée la réclamation sollicitée dans le présent recours collectif envisagé. Les allégations formulées dans le cadre du recours collectif américain sont très semblables à celles formulées en l’espèce. Les deux demandeurs indiquent en fait, dans leurs affidavits respectifs, que ce sont les reportages sur le recours collectif américain qui les ont incités à intenter un recours collectif au Canada. Dans les documents qu’ils ont présentés dans le cadre de la présente affaire, les demandeurs ont en effet fait référence à l’instance parallèle intentée devant la Cour de district des É.-U. du district du Nord de la Californie mettant en cause la plupart des défenderesses (les défenderesses américaines), à savoir In re Dynamic Random Access Memory (DRAM) Indirect Purchaser Litigation [538 F.3d 1107 (9th Cir. 2008)]. De plus, les demandeurs ont déposé la plainte américaine modifiée présentée par les demandeurs américains comme pièce jointe à l’un de leurs affidavits fournis à l’appui de la présente requête. Cette plainte américaine modifiée avait été déposée à la suite d’une décision de la Cour de district des É.-U., laquelle avait accueilli en partie la requête des défenderesses américaines qui visait à faire rejeter la plainte initiale en raison de l’omission de formuler une allégation de complot en violation des lois anticoncurrentielles fédérales américaines, mais avait également autorisé les demandeurs américains à modifier la plainte (Jones v. Micron Technology Inc., 400 F.Supp.3d 897 (N.D. Cal. 2019) (Jones)).

[29]      Le 24 novembre 2020, après l’audition de la requête en autorisation devant notre Cour, la Cour de district des É.-U. a rendu une autre décision, par laquelle elle a rejeté en partie la plainte américaine modifiée, encore une fois pour omission de formuler une allégation de complot en violation des lois anticoncurrentielles fédérales américaines (In re Dynamic Random Access Memory (DRAM) Indirect Purchaser Litigation, ordonnance accueillant en partie et rejetant en partie les requêtes en rejet des défenderesses, Cour de district des É.-U., district du Nord de la Californie, le 24 novembre 2020 [2020 WL 8459279] (voir affaire no 4 :18-cv-2518-JSW-KAW, Dkt No. 119)). Dans une directive orale donnée le 7 décembre 2020, j’ai conclu que, dans les circonstances, cette dernière décision américaine était pertinente pour la requête en autorisation dont la Cour est saisie et qu’elle pouvait être acceptée aux fins de dépôt. Bien entendu, même s’ils se rapportent au même contexte factuel que celui de la présente espèce, ces précédents américains ne lient pas la Cour, et je suis conscient du fait qu’une requête américaine en rejet d’un recours collectif est assujettie à une norme différente de la norme canadienne applicable aux requêtes en autorisation et qu’elle nécessite un examen plus approfondi de la preuve. Je sais également que la décision du 24 novembre 2020 de la Cour de district des É.-U. a été portée en appel devant la Cour d’appel des É.-U. pour le neuvième circuit, et que cet appel est toujours en instance.

[30]      Cela dit, il convient de souligner que, dans ses décisions, la Cour de district des É.-U. a conclu que, globalement, les allégations des demandeurs américains au sujet des « facteurs supplémentaires » (plus factors) ne présentaient pas une cause d’action plausible fondée sur le complot, et que leur réclamation ne présentait rien de plus qu’un [traduction] « parallélisme conscient ». De façon générale, le terme « parallélisme conscient » désigne les situations où, en l’absence d’accord visant à limiter la concurrence, des concurrents adoptent unilatéralement des pratiques commerciales ou des prix semblables ou identiques dans le cadre de stratégies rationnelles de maximisation des profits fondées sur l’observation des tendances du marché et des activités des concurrents. Il s’agit d’un type de comportement fréquent dans les marchés oligopolistiques où les concurrents fondent en partie leurs actions sur les réactions anticipées de leurs rivaux. Aux É-U, selon les lois anticoncurrentielles applicables, un tel comportement parallèle n’est pas illégal en soi. Ainsi, un demandeur doit faire valoir la présence de certains « faits additionnels » (appelées « facteurs supplémentaires » aux É.-U.) pour montrer l’existence d’autres circonstances qui illustrent une convergence d’intentions des conspirateurs soupçonnés. Ces faits additionnels sont des actions et des résultats économiques qui s’éloignent largement d’un comportement unilatéral et légal, et qui sont pour la plupart compatibles avec une action explicitement coordonnée (In re Musical Instruments and Equipment Antitrust Litigation, 798 F.3d 1186 (9th Cir. 2015), à la page 1194).

[31]      Bien que les demandeurs américains aient allégué l’existence d’un comportement parallèle des défenderesses américaines, la Cour de district des É.-U. a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve « de facteurs supplémentaires » pour que l’on puisse conclure à une rencontre des volontés des défenderesses, qu’elle soit explicite ou tacite. Plus précisément, la Cour de district des É.-U. a jugé que les conditions générales du marché oligopolistique dans l’industrie de la DRAM n’étaient pas assimilables à des « facteurs supplémentaires » permettant de conclure à l’existence d’un complot, car elles étaient tout aussi susceptibles d’être compatibles avec un comportement innocent qu’un comportement illégal. La Cour de district des É.-U. a également conclu que l’adhésion à des associations commerciales et la participation à des réunions d’associations commerciales n’offraient rien de plus qu’une possibilité de comploter pour les défenderesses américaines, et qu’une seule opportunité, sans plus, est insuffisante pour conclure à l’existence d’un complot.

[32]      En ce qui a trait aux déclarations publiques des défenderesses américaines et aux allégations de signaux publics, la Cour de district des É.-U. a conclu que les déclarations figurant dans les actes de procédure ont été faites publiquement lors de conférences en vue de la communication des résultats financiers aux investisseurs ou lors de conférences sectorielles, qu’il s’agissait d’indications des défenderesses américaines individuelles concernant leur propre comportement futur, de descriptions de leur comportement passé, de prévisions quant aux tendances de l’industrie et d’observations à propos du comportement des concurrents, et que de telles déclarations n’étaient pas suffisantes pour fonder une inférence de complot, car elles n’étaient pas [traduction] « pour l’essentiel incompatibles avec un comportement unilatéral et illégal ». Au contraire, selon la Cour de district des É.-U., le comportement et les déclarations des défenderesses américaines étaient compatibles avec un parallélisme conscient et légal, et ne constituaient pas une preuve circonstancielle d’un complot.

[33]      La Cour de district des É.-U. a également conclu que les allégations relatives à des enquêtes antérieures dans l’industrie des DRAM ou à des plaidoyers de culpabilité antérieurs par les défenderesses américaines n’étaient pas suffisantes pour démontrer un complot contemporain, et que les allégations concernant des enquêtes ou des cas à l’extérieur des É.-U. n’étaient pas convaincantes, car les lois étrangères (dans cette affaire, les lois chinoises) peuvent interdire un comportement qui est légal en vertu des lois américaines.

[34]      J’ajouterais qu’à la fin de juin 2021, la Cour supérieure du Québec a refusé d’autoriser un recours collectif visant le même complot, à savoir un complot pour restreindre la production et augmenter les prix des DRAM, qui sous-tend la requête en autorisation des demandeurs (Hazan c. Micron Technology Inc., 2021 QCCS 2710 (CanLII) (Hazan)). Dans cette affaire, la Cour a conclu que les critères québécois d’autorisation du recours collectif n’étaient pas satisfaits en raison d’allégations vagues, imprécises et générales, et de l’absence d’éléments de preuve établissant, même sommairement, l’existence du complot allégué. Par conséquent, la Cour a jugé que la demande ne comportait pas une « cause défendable ».

[35]      Encore une fois, même si la décision Hazan porte sur le même contexte factuel que celui en l’espèce, ce précédent ne lie pas la Cour, et je suis conscient du fait qu’une demande d’autorisation d’un recours collectif au Québec n’est pas assujettie à exactement la même norme qui régit les requêtes en autorisation devant notre Cour. Cependant, je dois souligner que l’exigence relative à la « cause défendable » applicable au Québec a été décrite par la Cour suprême du Canada (C.S.C.) comme un fardeau de preuve « moins exigeant » et une norme moins rigoureuse que la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel qui s’applique ailleurs au Canada et devant notre Cour (Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600 (Infineon), au paragraphe 128). Comme c’est le cas pour la décision américaine parallèle précitée, la décision Hazan est actuellement en appel.

F.    La nature particulière de la présente affaire

[36]      Il est également nécessaire de souligner d’entrée de jeu les particularités du présent recours collectif envisagé. Les demandeurs soutiennent que leur requête en autorisation constitue un recours collectif typique en droit de la concurrence soulevant une allégation de complot visant à fixer les prix. Ils prétendent en outre qu’il n’y a pas de différences importantes entre le présent dossier et une précédente affaire en matière de DRAM où l’autorisation a été confirmée par la C.S.C., dans l’arrêt Infineon, et qu’il n’y a aucune raison de déroger à ce précédent faisant autorité.

[37]      En tout respect, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs.

1)    Il est question en l’espèce d’élimination de l’offre

[38]      Premièrement, le présent recours collectif envisagé en matière de droit de la concurrence se distingue considérablement des recours collectifs habituels de fixation des prix intentés devant les tribunaux canadiens en vertu de la disposition de la Loi sur le complot (c.-à-d. l’article 45 et les dispositions qui l’ont précédé). Malgré les tentatives répétées des avocats des demandeurs de le dépeindre ainsi, le complot allégué par les demandeurs en l’espèce n’est pas un complot typique de fixation des prix au sens de l’article 45 de la Loi; il s’agit plutôt d’un complot visant à éliminer la fourniture de DRAM, lequel aurait entraîné une augmentation des prix des DRAM. Lorsque la Déclaration est lue dans son contexte et dans son intégralité, il est manifeste que l’allégation principale de complot des demandeurs concerne l’élimination de la fourniture des DRAM[3]. En fait, dans la dernière itération de leur Déclaration, les demandeurs ont systématiquement remplacé les références à un [traduction] « complot de fixation des prix » ou à un [traduction] « complot pour fixer le prix des DRAM » par des références à un [traduction] « un complot visant à éliminer la fourniture mondiale de DRAM et à augmenter le prix des DRAM ». À mon avis, une lecture objective des actes de procédure me permet de conclure que la réclamation des demandeurs ne décrit pas de complot autonome et indépendant visant la fixation des prix, mais plutôt un complot visant à limiter la production, dont la conséquence serait une augmentation des prix des DRAM.

[39]      Il s’agit d’un élément distinctif de la présente affaire, et je ne connais aucun précédent où l’objet principal du recours collectif en matière de droit de la concurrence concernant une allégation de violation de l’article 45 de la Loi était l’élimination de la production, comme c’est le cas en l’espèce.

2)    Le complot allégué est contesté

[40]      Deuxièmement, le présent recours collectif envisagé en matière droit de la concurrence est un cas rare où l’existence même du complot allégué à l’origine de la réclamation de perte et de dommages en vertu de l’article 36 de la Loi est contestée et remise en question à l’étape de l’autorisation. Un examen de la jurisprudence canadienne sur les recours collectifs en matière de droit de la concurrence portant sur la fixation des prix et d’autres complots liés à la concurrence en vertu de l’article 45 et des dispositions qui l’ont précédé révèle que l’existence d’un complot n’est généralement pas en litige dans de tels recours collectifs. En fait, le litige ne vise habituellement pas l’allégation d’accord illégal et est axé sur la question de savoir si les dommages ou la perte qui découleraient du complot donnant ouverture à une action sont communs aux membres du groupe.

[41]      C’est la situation qui se présentait généralement pour diverses raisons. Dans certains cas, il y avait des accords, des règles ou des contrats explicites à l’origine du complot illégal dénoncé. Dans d’autres affaires, il y avait des aveux sur l’élément de complot du comportement reproché, ou des plaidoyers de culpabilité avaient déjà été inscrits par les défendeurs dans des procédures criminelles connexes au Canada ou à l’étranger. Dans d’autres affaires encore, les autorités canadiennes en matière de concurrence ou des autorités étrangères (dont l’action avait une incidence au Canada) menaient déjà une enquête criminelle. Toutes ces situations signifiaient qu’il y avait non seulement amplement de faits pertinents à l’appui des allégations de complot formulées dans les actes de procédure, mais aussi le minimum de fondement probatoire requis (c.-à-d. un certain fondement factuel) pour les points communs envisagés relativement au comportement répréhensible allégué.

[42]      Sous réserve d’une unique exception (dont je traiterai un peu plus loin), il s’agit effectivement de ce qui ressort des divers précédents cités par les demandeurs en l’espèce. Mentionnons, comme exemples de recours collectifs en matière de droit de la concurrence où il y avait des accords, des règles ou des contrats explicites ancrant le complot allégué, Prokuron Sourcing Solutions Inc. v. Sobeys Inc. and Lexmark Canada Inc., 2019 ONSC 7403 (CanLII) (Prokuron); Watson v. Bank of America Corporation, 2014 BCSC 532 (Watson), mod. par 2015 BCCA 362 (Watson CA); 2038724 Ontario Ltd. v. Quizno’s Canada Restaurant Corp. (2009), 96 O.R. (3d) 252, 2009 CanLII 23374, [2009] O.J. n° 1874 (QL) (C. div.), conf. par 2010 ONCA 466 (CanLII), (2010), 100 O.R. (3d) 721; et Axiom Plastics Inc. v. E.I. DuPont Canada Co. (2007), 87 O.R. (3d) 352, [2007] O.J. n° 3327 (QL) (C. sup.). Comme exemples d’affaires où l’enquête criminelle sous-jacente n’a laissé aucun doute quant à l’existence d’un complot au Canada, mentionnons Watson; Airia Brands v. Air Canada, 2015 ONSC 5352 (CanLII) (Airia); et Mancinelli v. Royal Bank of Canada, 2020 ONSC 1646 (CanLII) (Mancinelli). Enfin, comme exemples d’affaires où il y avait une enquête criminelle sous-jacente et des plaidoyers de culpabilité ou des aveux avaient été faits par les défendeurs concernant le complot allégué, mentionnons Pioneer Corp. c. Godfrey, 2019 CSC 42, [2019] 3 R.C.S. 295 (Godefroy); Infineon; Pro-Sys Consultants Ltd. v. Infineon Technologies AG, 2009 BCCA 503, 312 D.L.R. (4th) 419; Ewert v. Nippon Yusen Kabushiki Kaisha, 2017 BCSC 2357, inf. pour d’autres motifs par 2019 BCCA 187; Shah v. LG Chem, Ltd., 2015 ONSC 6148 (CanLII), 390 D.L.R. (4th) 87 (Shah), conf. par 2018 ONCA 819 (CanLII), 429 D.L.R. (4th) 514; Fanshawe College v. LG Philips LCD Co., 2011 ONSC 2484 (CanLII) (Fanshawe); Irving Paper Ltd. v. Atofina Chemicals Inc. (2009), 99 O.R. (3d) 358, [2009] O.J. no 4021 (QL) (C. sup.), autorisation d’appel refusée 2010 ONSC 2705 (CanLII), 103 O.R. (3d) 296 (C. div.) (Irving Paper); Ford v. F. Hoffmann-La Roche Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 758, sub nom. Vitapharm Canada Ltd. v. F. Hoffmann-La Roche Ltd., [2005] O.J. n° 1118 (QL) (C. sup.); et Alfresh Beverages Canada Corp. v. Hoechst AG, [2002] O.J. n° 79 (QL) (C. sup.) (Alfresh).

[43]      La présente espèce se distingue nettement de tous ces précédents, car la formation et l’existence du complot allégué à l’origine du recours collectif envisagé ne sont ni admises ni incontestées, mais au contraire fortement contestées par les défenderesses. En fait, il s’agit du principal litige opposant les parties en ce qui concerne à la fois l’exigence relative à la cause d’action valable et l’exigence relative aux points communs. La liste de précédents ci-dessus n’est aucunement exhaustive, mais elle illustre la nature exceptionnelle du recours collectif envisagé par les demandeurs dans la présente affaire.

[44]      J’ouvre une parenthèse pour ajouter ceci. Contrairement à ce que prétendaient les demandeurs, le fait que certains de ces recours collectifs antérieurs en matière de fixation des prix (tels que Mancinelli, Shah ou Watson) peuvent avoir concerné des affaires autorisées par les tribunaux dans des industries concentrées et des oligopoles n’est pas pertinent pour l’affaire qui nous occupe et pour la question principale soulevée par la requête en autorisation des demandeurs, à savoir l’existence du complot allégué et du comportement répréhensible. La raison est simple. Dans chaque affaire citée par les demandeurs où des recours collectifs en matière de fixation des prix ont été autorisés dans des industries oligopolistiques, la question de l’existence du complot n’était tout simplement pas en litige.

[45]      La seule exception digne de mention, sur laquelle s’appuient fortement les demandeurs dans leurs observations écrites et orales présentées à la Cour, est l’affaire Crosslink (Crosslink v. BASF Canada, 2014 ONSC 1682 (CanLII) (Crosslink 1), conf. par 2014 ONSC 4529 (CanLII) (Crosslink 2)). Dans l’affaire Crosslink, comme en l’espèce, le complot allégué était contesté par les défenderesses au motif que les demandeurs n’avaient pas invoqué de faits substantiels pour étayer l’allégation de complot et avaient omis de fournir un fondement factuel suffisant pour le complot allégué. Dans cette affaire, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que les exigences en matière d’autorisation étaient remplies à la fois en ce qui concerne la cause d’action valable et l’existence d’un fondement factuel pour les points communs (Crosslink 1, au paragraphe 71; Crosslink 2, au paragraphe 51). Comme nous le verrons en détail plus loin, je conclus en toute déférence que les faits de la présente affaire se distinguent de ceux de Crosslink et m’amènent donc à tirer une conclusion différente.

3)    La présente espèce diffère de l’affaire Infineon

[46]      Les demandeurs prétendent également qu’il n’y a pas de différences significatives entre la présente espèce et l’affaire Infineon tranchée par la C.S.C. en 2013, et qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de ce précédent contraignant à cette étape de l’autorisation. Dans l’arrêt Infineon, la C.S.C. a examiné un recours collectif québécois mettant en cause l’industrie des DRAM, les mêmes produits, les mêmes types de réclamations, certaines des mêmes défenderesses et les mêmes types d’acheteurs indirects de produits électroniques contenant des DRAM. Dans cette affaire, la C.S.C. a confirmé l’autorisation d’un recours très semblable intenté par des acheteurs indirects de produits contenant des DRAM.

[47]      Cependant, ce précédent ne peut prédéterminer l’issue de la présente requête en autorisation, car il y a une différence fondamentale entre la présente espèce et l’affaire Infineon dont était saisie la C.S.C. Cette différence, encore une fois, se rapporte à la question du complot allégué. Dans Infineon, le complot visait la fixation des prix des DRAM et n’était pas du tout en litige, puisque le complot international de fixation des prix avait en fait été admis par les défenderesses (Infineon, au paragraphe 5; Option Consommateurs c. Infineon Technologies AG, 2011 QCCA 2116 (CanLII), au paragraphe 16). De plus, il y avait des éléments de preuve, provenant directement des organismes responsables de la concurrence américains et européens concernés, quant à l’existence du complot mondial allégué, aux enquêtes en cours par ces autorités gouvernementales et aux ententes sur le plaidoyer conclues par les défenderesses (Infineon, aux paragraphes 80 à 139). Je répète qu’en l’espèce l’existence même du complot visant à éliminer la fourniture de DRAM constitue le principal litige entre les parties, et le précédent établi dans l’arrêt Infineon n’apporte donc aucun éclairage utile sur cette question principale.

III.   Cadre juridique des requêtes en autorisation

[48]      Dans ce contexte, le cadre législatif et les principes généraux régissant l’autorisation des recours collectifs devant notre Cour peuvent se résumer comme suit.

A.    Cadre législatif

[49]      La partie 5.1 des Règles énonce le cadre permettant d’établir et de gérer les recours collectifs devant la Cour. Les paragraphes 334.16(1) et (2) et la règle 334.18 des Règles constituent les dispositions principales régissant l’autorisation des recours collectifs. Ils sont reproduits intégralement à l’annexe A des présents motifs.

[50]      Le paragraphe 334.16(1) prévoit qu’un recours collectif doit être autorisé si les cinq conditions suivantes sont réunies : (i) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable; (ii) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes ; (iii) les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs; (iv) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs; et (v) il existe un représentant demandeur approprié. La première condition reprend une exigence applicable à toutes les actions entreprises par un demandeur. Les quatre autres conditions visent plus particulièrement les recours collectifs.

[51]      Le paragraphe 334.16(1) utilise un libellé contraignant, ce qui signifie que la Cour doit accorder l’autorisation lorsque les cinq conditions sont réunies. Étant donné que ces conditions sont cumulatives, la requête en autorisation doit être rejetée si le demandeur ne respecte pas l’une d’elles (Lin c. Airbnb, Inc., 2019 CF 1563 (Airbnb), au paragraphe 21; Buffalo c. Nation crie de Samson, 2008 CF 1308, [2009] 4 R.C.F. 3 (Buffalo), au paragraphe 35, conf. par 2010 CAF 165, [2010] 3 R.C.F. F-17, au paragraphe 3). Inversement, la Cour ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d’accorder l’autorisation si toutes les conditions sont respectées (Airbnb, au paragraphe 21).

[52]      La règle 334.18 décrit les facteurs qui ne peuvent, soit seuls, soit combinés aux autres facteurs énumérés, constituer un motif suffisant pour refuser l’autorisation (Airbnb, au paragraphe 22; Kenney c. Canada (Procureur général), 2016 CF 367 (Kenney), au paragraphe 17; Buffalo, au paragraphe 37). Cependant, ces facteurs peuvent être des éléments pertinents à prendre en considération dans une requête en autorisation, pourvu que la conclusion générale sous-jacente à un éventuel refus soit également fondée sur d’autres préoccupations (Airbnb, au paragraphe 22; Kenney, au paragraphe 17).

[53]      Les critères d’autorisation établis au paragraphe 334.16(1) des Règles sont semblables à ceux appliqués par les tribunaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique (Canada (Procureur général) c. Jost, 2020 CAF 212 (Jost), au paragraphe 23; Canada c. M. Untel, 2016 CAF 191 (M. Untel CAF), au paragraphe 22; Buffalo c. Nation crie de Samson, 2010 CAF 165, [2010] 3 R.C.F. F-17, au paragraphe 8; Airbnb, au paragraphe 23). Il n’est donc pas rare que notre Cour et la Cour d’appel fédérale (C.A.F.) renvoient à la jurisprudence en matière de recours collectifs émanant de ces provinces, car cette jurisprudence éclaire notre Cour.

B.    Principes généraux

[54]      Dans l’arrêt L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831 (Oratoire), la C.S.C. a rappelé que le véhicule procédural des recours collectifs poursuit plusieurs objectifs, « “à savoir faciliter l’accès à la justice, modifier des comportements préjudiciables et économiser les ressources judiciaires” » (Oratoire, au paragraphe 6, citant Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158 (Hollick), au paragraphe 15; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534 (Dutton), aux paragraphes 27 à 29, et Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3 (Vivendi), au paragraphe 1). Les critères d’autorisation mentionnés ci-dessus doivent toujours être évalués en tenant compte de ces trois objectifs généraux des recours collectifs. Premièrement et avant tout, il faut tenir compte du fait que les recours collectifs permettent de faire l’économie des ressources judiciaires, car cette méthode procédurale particulière permet d’éviter la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse juridique. Les actions intentées individuellement peuvent en effet être moins pratiques et moins efficaces que les recours collectifs (Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S 184 (Rumley), au paragraphe 38). Deuxièmement, les recours collectifs assurent un meilleur accès à la justice en rendant économiques les poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les intenter individuellement (voir, par exemple, Crosslink 1, au paragraphe 113). Troisièmement, les recours collectifs servent l’efficacité et la justice en faisant en sorte que les auteurs d’actes répréhensibles prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger et modifient leur comportement en conséquence (Airbnb, au paragraphe 25). Ce faisant, les recours collectifs servent d’importants objectifs stratégiques tels que la dissuasion des comportements répréhensibles (voir, par exemple, Alfresh, au paragraphe 16).

[55]      Par conséquent, au moment d’interpréter une loi sur les recours collectifs et de l’appliquer à une requête en autorisation, il est « essentiel […] que les tribunaux n’interprètent pas la [loi en matière de recours collectifs] de manière trop restrictive, mais qu’ils adoptent une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés par les rédacteurs » et aux objectifs généraux plus vastes de ce mécanisme procédural particulier (Hollick, au paragraphe 15; Dutton, aux paragraphes 27–29; Condon c. Canada, 2015 CAF 159 (Condon), au paragraphe 10).

[56]      L’objet principal d’une requête en autorisation est de déterminer si un recours collectif est le moyen procédural approprié pour l’instruction de l’action. Comme la C.S.C. l’a indiqué dans l’arrêt Hollick, l’étape de l’autorisation est axée sur la forme de l’action, et non sur le fond et le bien-fondé de la véritable demande. La question à cette étape « n’est pas s’il est vraisemblable que la demande aboutisse, mais s’il convient de procéder par recours collectif » (Hollick, au paragraphe 16; Vivendi, au paragraphe 37; Infineon, au paragraphe 65). En d’autres termes, les tribunaux doivent considérer la demande comme un moyen procédural, et l’objectif de l’autorisation est de déterminer si, d’un point de vue procédural, le recours collectif est le meilleur moyen de régler le litige (Hollick, au paragraphe 16; Jost, au paragraphe 27).

[57]      Il est bien établi que le fardeau de la preuve qui incombe à la partie qui demande l’autorisation n’est pas lourd, et le critère applicable pour l’octroi de l’autorisation a généralement été décrit comme étant peu élevé. Cela dit, un demandeur doit néanmoins présenter des actes de procédure suffisants et un fondement probatoire suffisant à l’appui de la demande d’autorisation. L’autorisation demeure un petit obstacle, mais il s’agit néanmoins d’un obstacle qui doit être franchi (Simpson v. Facebook, 2021 ONSC 968 (Simpson), au paragraphe 50).

[58]      La première condition pour qu’il y ait autorisation — à savoir que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable — est semblable à celle applicable à une requête en radiation ou en irrecevabilité (Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477 (Pro-Sys), au paragraphe 63; Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261 (Alberta Elder), au paragraphe 20; M. Untel CAF, au paragraphe 23). Il s’agit de savoir s’il est « évident et manifeste », dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable et qu’aucune réclamation n’existe (Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock, 2020 CSC 19, [2020] 2 R.C.S. 420 (Loteries de l’Atlantique), au paragraphe 14; Godefroy, au paragraphe 27; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45 (Imperial Tobacco), au paragraphe 17; Alberta Elder, au paragraphe 20; Hollick, au paragraphe 25; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 (Hunt), à la page 980; Canada c. Greenwood, 2021 CAF 186, [2021] 4 R.C.F. 634 (Greenwood), au paragraphe 91; Jost, au paragraphe 29). En d’autres termes, si une réclamation n’a aucune chance raisonnable de succès et est si clairement futile qu’il est certain qu’elle sera rejetée, elle ne devrait pas pouvoir être instruite (Hunt, à la page 980). Selon ce critère, la demande doit être si manifestement irrégulière qu’elle n’a « aucune chance d’être accueillie » (Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 (Wenham), aux paragraphes 27 à 33; Airbnb, au paragraphe 28). Le critère est plus clair s’il est énoncé par la négative, et les tribunaux doivent être convaincus que l’action envisagée n’a aucune chance raisonnable de succès et est vouée à l’échec (Wenham, au paragraphe 22).

[59]      Pour les quatre autres éléments du critère relatif à l’autorisation, il incombe aux demandeurs de produire des éléments de preuve pour démontrer « un certain fondement factuel » pour chacune des conditions (Hollick, au paragraphe 25; Pro-Sys, au paragraphe 99). Cette norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel signifie que toutes les conditions d’autorisation, hormis celle de la cause d’action, doivent reposer sur une preuve; cependant, l’emploi du mot « certain » indique que la preuve n’a pas à être exhaustive ni être une preuve propre à présider au débat sur le fond (AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949 (Fischer), au paragraphe 41, citant McCracken v. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445 (CanLII), aux paragraphes 75 et 76; Greenwood, au paragraphe 94). Étant donné la portée restreinte de l’examen factuel des tribunaux et leur incapacité à « déterminer sa valeur probante à l’issue d’une analyse nuancée » à l’étape de l’autorisation, le critère est peu élevé (Fischer, au paragraphe 40; Pro-Sys, aux paragraphes 102 et 104). Les tribunaux doivent s’abstenir d’apprécier le caractère suffisant des faits allégués sur le fond, et ils ne sont pas chargés de statuer sur les éléments contradictoires de la preuve. Il est bien établi que la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel est moins élevée que celle de la prépondérance des probabilités (Pro-Sys, au paragraphe 102; M. Untel CAF, au paragraphe 24). Cette norme ne peut toutefois être définie dans l’abstrait, et elle doit plutôt être examinée au cas par cas, en fonction des faits de chaque affaire (Fischer, au paragraphe 40; Pro-Sys, au paragraphe 104; Airbnb, au paragraphe 30).

[60]      Cela dit, il est important de souligner que, même s’il s’agit d’un critère peu élevé, il s’agit tout de même d’un seuil à atteindre à l’étape de l’autorisation, et celle-ci sera refusée en l’absence d’une cause d’action valable ou lorsque les faits sur lesquels reposent les demandes des membres du groupe ne sont pas suffisamment étayés par la preuve. Bien qu’une requête en autorisation ne soit pas un mécanisme de filtrage visant à déterminer le bien-fondé ou la solidité du recours collectif envisagé, elle doit néanmoins fonctionner comme un « mécanisme de filtrage efficace » (Pro-Sys, au paragraphe 103). Dans l’arrêt Pro-Sys, la C.S.C. a expressément indiqué que l’examen du caractère suffisant de la preuve selon la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel ne peut pas être superficiel au point « d’être strictement symbolique » (Pro-Sys, au paragraphe 103). Suffisamment de faits doivent permettre de convaincre le juge saisi des demandes d’autorisation que les conditions d’autorisation sont réunies « de telle sorte que l’instance puisse suivre son cours sous forme de recours collectif sans s’écrouler à l’étape de l’examen au fond » à cause du non-respect des conditions (Pro-Sys, au paragraphe 104). Plus récemment, dans le contexte de requêtes en autorisation introduites en vertu du régime québécois des recours collectifs et de l’application de la norme de la « cause défendable » de la législation québécoise, la C.S.C. a confirmé à maintes reprises qu’il « faut éviter de réduire le processus d’autorisation à une "simple formalité" » (Oratoire, au paragraphe 62; Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, [2020] 3 R.C.S. 298 (Desjardins), au paragraphe 74).

[61]      Les tribunaux jouent donc un rôle de filtrage important à l’étape de l’autorisation. Ce rôle comprend un filtrage pour écarter les demandes non fondées et frivoles, et pour veiller à ce que les parties ne soient pas obligées de se défendre contre des demandes insoutenables et d’y consacrer des ressources considérables (Desjardins, au paragraphe 27; Oratoire, aux paragraphes 7, 56 et 61; Vivendi, au paragraphe 37; Infineon, aux paragraphes 59, 61 et 65; Airbnb, au paragraphe 25). Comme l’a expliqué le juge Kasirer lorsqu’il siégeait à la Cour d’appel du Québec, [traduction] « [un] manque de rigueur à l’étape de l’autorisation peut certes peser lourdement sur les tribunaux en raison de demandes mal fondées, donnant lieu à un résultat pernicieux, à savoir que les règles en matière de recours collectifs servent à nier les valeurs mêmes d’accès à la justice qu’elles visaient à défendre » (Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299 (CanLII), au paragraphe 14).

[62]      J’ouvre à nouveau une parenthèse pour souligner que les objectifs généraux de l’économie des ressources judiciaires et de l’accès à la justice régissant les recours collectifs ne peuvent être examinés du seul point de vue des demandeurs. Certes, l’un des principaux objectifs du processus d’autorisation est de faciliter l’accès des demandeurs aux tribunaux, d’éviter la duplication des instances et de protéger les intérêts des membres éventuels du groupe qui n’auraient autrement pas leur mot à dire dans le litige. Toutefois, le processus d’autorisation existe aussi pour empêcher que les défenderesses, même les sociétés défenderesses bien nanties, fassent l’objet de poursuites sans fondement et soient contraintes de consacrer des ressources importantes pour contester des actions de grande envergure et de longue haleine qui n’ont aucune chance de succès ou qui n’ont pas le fondement factuel minimal requis. Autrement dit, en faisant en sorte que les recours collectifs sans fondement ne puissent pas monopoliser le système judiciaire au détriment des actions d’autres plaideurs, on préserve également l’accès à la justice pour tous les plaideurs. Les affaires sont liées les unes aux autres, et les recours collectifs se retrouvent devant les tribunaux avec des centaines d’autres affaires qui doivent être examinées. Comme l’a dit sommairement le juge Stratas, « [c]onsacrer des ressources à une affaire sans bonne raison en prive les autres sans bonne raison » (Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, au paragraphe 13).

IV.   Analyse

[63]      Trois des cinq conditions à remplir pour autoriser un recours collectif sont contestées par les défenderesses en l’espèce : la cause d’action valable, l’existence de points de droit ou de fait communs et le meilleur moyen de régler le litige.

[64]      Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus que la requête en autorisation des demandeurs doit être rejetée parce qu’elle ne satisfait pas au critère de la cause d’action valable et à l’exigence relative aux points communs. L’infraction de complot prévue à l’article 45 à l’origine du recours collectif envisagé par les demandeurs est fondée sur l’existence d’une entente visant à se livrer au comportement illicite. Il devait y avoir des allégations adéquates dans les actes de procédure ainsi qu’un contexte factuel minimum tendant à indiquer que les défenderesses avaient expressément ou tacitement accepté d’agir dans un objectif commun. J’estime que ces deux éléments sont absents de la requête des demandeurs. Premièrement, les allégations concernant les actes répréhensibles allégués, à savoir un complot visé à l’article 45, sont purement hypothétiques, ne sont pas appuyées par des faits pertinents et ne révèlent donc aucune cause d’action valable. Deuxièmement, la requête des demandeurs doit être rejetée parce que la condition relative aux points communs n’est pas respectée. En effet, leur allégation principale selon laquelle les défenderesses se livrent à un complot couvert par l’article 45 de la Loi n’est pas étayée par le fondement probatoire minimum requis par la norme de l’existence d’un certain fondement probatoire.

[65]      Cela suffit pour rejeter la requête en autorisation et, vu ces conclusions, je n’ai pas besoin de me pencher sur les autres arguments soulevés par les défenderesses, bien que je formulerai quelques brefs commentaires à ces égards.

[66]      Chacune de ces deux conclusions principales fera l’objet d’une analyse. Il pourrait évidemment y avoir un certain chevauchement dans l’analyse des deux critères d’autorisation liés respectivement à la cause d’action et aux points communs.

A.    Alinéa 334.16(1)a) des Règles : Cause d’action valable

[67]      Comme je l’ai déjà mentionné, les demandeurs invoquent dans la Déclaration une seule cause d’action fondée sur les articles 36, 45 et 46 de la Loi. Essentiellement, ils soutiennent que les défenderesses ont posé des actes qui constituent les éléments constitutifs de ces dispositions de la Loi : (i) les défenderesses étaient des concurrents; (ii) les filiales canadiennes des défenderesses ont suivi les instructions de leurs sociétés mères étrangères; (iii) les défenderesses ont comploté ou conclu un accord ou un arrangement pour fixer, maintenir et contrôler la fourniture de DRAM ou le prix des DRAM; et (iv) les membres du groupe ont subi une perte en raison du complot, de l’accord ou de l’arrangement.

[68]      Le complot, l’accord ou l’arrangement allégué est le principal élément invoqué à l’appui de la cause d’action des demandeurs. Les demandeurs allèguent que les défenderesses ont comploté, au moyen de communications privées directes et de signaux publics, pour restreindre la fourniture de DRAM et augmenter le prix des DRAM. Ils soutiennent que le droit canadien reconnaît que leurs allégations concernant les communications privées directes ainsi que celles concernant les signaux décrivent un comportement anticoncurrentiel donnant ouverture à une action et constituant une violation de l’article 45 de la Loi. En outre, les demandeurs font valoir que la C.S.C. a établi dans l’arrêt Atlantic Sugar Refineries Co. Ltd. et autres c. Procureur général du Canada, [1980] 2 R.C.S. 644 (Atlantic Sugar) qu’un accord anticoncurrentiel peut être « prouvé par déduction » (Atlantic Sugar, à la page 656). Ils prétendent que, pour conclure un accord anticoncurrentiel en vertu de l’article 45, ils doivent démontrer « une ligne de conduite qui implique acceptation » et la « communication de cette offre » (Atlantic Sugar, à la page 657). Ils ajoutent qu’en vertu du paragraphe 45(3) de la Loi, une allégation de complot donnant ouverture à un droit d’action peut être établie au moyen d’une preuve circonstancielle et, « lorsqu’un tel "parallélisme conscient" est combiné à des pratiques facilitantes comme la mise en commun de renseignements délicats sur le plan de la concurrence ou d’activités qui aident les concurrents à surveiller réciproquement leurs prix, un comportement parallèle pourrait suffire à prouver qu’un accord a été conclu entre les parties » (Bureau de la concurrence Canada, Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents (Gatineau : Bureau de la concurrence, 2009) (Lignes directrices CC), à la page 7).

[69]      Je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs et je conclus plutôt que la Déclaration ne contient pas les principaux éléments constitutifs susceptibles de révéler une cause d’action valable en vertu de l’article 36 pour une violation des articles 45 ou 46. Plus particulièrement, je conviens avec les défenderesses que la Déclaration ne contient pas une description suffisante de l’élément essentiel et fondamental des complots visés à l’article 45, à savoir l’existence d’un accord illégal. Les actes de procédure des demandeurs ne présentent aucun fait concret démontrant que les défenderesses ont conclu un accord visant à éliminer la fourniture de DRAM, directement ou indirectement, et sont arrivées à une entente mutuelle. Comme l’existence d’un accord illégal est la condition la plus essentielle qui doit sous-tendre la demande de dommages-intérêts présentée par les demandeurs, ce défaut fondamental vicie fatalement leur cause d’action.

1)    Le critère relatif à l’existence d’une cause d’action

[70]      Pour rejeter une requête en autorisation sur le fondement de l’exigence relative à la cause d’action, la Cour doit être convaincue, en supposant que les faits allégués soient avérés, qu’il est évident et manifeste que la cause d’action n’existe pas ou que l’action n’a aucune chance raisonnable de succès. Pour ce critère, aucune preuve ne peut être prise en considération et l’analyse se limite aux actes de procédure (Loteries de l’Atlantique, au paragraphe 87; Imperial Tobacco, au paragraphe 23; M. Untel CAF, aux paragraphes 23 et 37; Condon, au paragraphe 13; Murphy c. Compagnie Amway Canada, 2015 CF 958 (Murphy), au paragraphe 41). La Cour doit lire les actes de procédure dans leur intégralité et leur donner une interprétation libérale, afin de remédier à tout vice dans les allégations ou à toute carence rédactionnelle, et sans s’attacher aux questions de forme (Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 451; Wenham, au paragraphe 34; Mancuso c. Canada (Santé Nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227 (Mancuso), au paragraphe 18; M. Untel CAF, au paragraphe 51; Condon, aux paragraphes 21–22; Shah v. LG Chem Ltd., 2018 ONCA 819 (CanLII), 429 D.L.R. (4th) 514, aux paragraphes 74 et 76).

[71]      Il incombe toutefois à la partie qui demande l’autorisation d’alléguer des faits suffisants pour étayer une cause d’action légalement reconnue et sur lesquels elle entend s’appuyer pour faire valoir sa réclamation (Loteries de l’Atlantique, au paragraphe 89; Pro-Sys, au paragraphe 63; Imperial Tobacco, au paragraphe 22; Mancinelli, au paragraphe 129). Un demandeur n’a pas le droit de se fonder sur la possibilité que des faits nouveaux pourraient survenir au fur et à mesure que l’instruction progresse. Les faits allégués constituent plutôt le fondement solide sur lequel la Cour doit s’appuyer pour évaluer la possibilité de succès de la demande.

[72]      La règle 174 prévoit l’exigence particulière que des « faits substantiels » soient plaidés dans les procédures présentées à la Cour : « [t]out acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits ». Cette exigence a pour objectifs d’aviser les autres parties afin qu’elles puissent préparer une défense, de cerner les questions à trancher avec une précision raisonnable, d’encadrer le processus d’interrogatoire préalable, de permettre aux avocats de conseiller leurs clients, de préparer leur dossier et d’établir une stratégie en vue du procès, et de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès (Mancuso, aux paragraphes 16 et 17; Merchant Law Group c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, [2010] 3 R.C.F. F-16 (Merchant), au paragraphe 38). La règle 181 exige en outre que chaque acte de procédure contienne des détails sur chaque allégation qu’il contient.

[73]      La cause d’action ne sera généralement pas établie lorsque les allégations dans la déclaration ne renvoient pas adéquatement à tous les éléments constitutifs d’une cause d’action reconnue, ou lorsque les allégations faites dans la déclaration ne correspondent pas à celles d’une cause d’action reconnue (Mancinelli, au paragraphe 129).

[74]      Cela m’amène à faire des observations relativement à trois aspects du critère que la Cour doit appliquer quant à la première condition de l’autorisation, et qui sont particulièrement pertinents en l’espèce : l’exigence selon laquelle il faut présenter des détails suffisants, les limites de la présomption de véracité des allégations et le contenu des actes de procédure.

a)    Détails suffisants

[75]      Premièrement, comme l’a expliqué la C.A.F. dans l’arrêt Mancuso, il est fondamental pour le procès que le demandeur plaide des faits substantiels d’une manière suffisamment détaillée pour étayer la réclamation et la réparation sollicitée. La Cour et les parties adverses ne peuvent se permettre de formuler des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés pour appuyer la cause d’action. Ce qui constitue un fait substantiel sera déterminé en fonction de la cause d’action et de la réparation demandée dans chaque affaire particulière. Un demandeur doit donc plaider, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevés. Les actes de procédure doivent indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée. Un demandeur ne peut pas déposer des actes de procédure qui ne sont pas suffisants et compter sur un défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants (Mancuso, aux paragraphes 19 et 20). Les hypothèses, les conjectures et les faits qui ne sont pas suffisamment précis ne sont pas suffisants pour constituer des faits substantiels.

[76]      En résumé, l’acte de procédure doit cerner les questions avec une précision suffisante pour assurer « la saine gestion et l’équité » de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction (Mancuso, au paragraphe 18). Pour décider si les actes de procédure permettront d’assurer la saine gestion et l’équité, la Cour « doit examiner l’ensemble des circonstances, y compris la connaissance relative et les moyens de connaissance des parties » (Enercorp Sand Solutions Inc. c. Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 (Enercorp), au paragraphe 36). S’il est vrai que les conditions d’autorisation, y compris le caractère suffisant des faits allégués, doivent être interprétées avec souplesse et appliquées de façon libérale, la Cour ne peut aller jusqu’à présumer l’existence d’un élément essentiel à l’établissement d’une cause d’action.

[77]      Dans le même ordre d’idées, les allégations de faits substantiels ne peuvent pas être uniquement constituées de simples assertions de conclusions, car cela ne fonde pas une cause d’action (M. Untel CAF, au paragraphe 23; Mancuso, au paragraphe 27; Merchant, au paragraphe 34). Si la Cour devait permettre aux parties de plaider de simples allégations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient de cerner les questions en litige (Mancuso, aux paragraphes 16 et 17).

[78]      Dans [l'arrêt] Merchant, la C.A.F. a déclaré que, n’eût été la règle 174, « les parties pourraient faire valoir les arguments les plus vagues sans aucun élément de preuve pour les étayer et lancer leur filet à l’aveuglette » (Merchant, au paragraphe 34). La C.A.F. a poursuivi en citant l'arrêt Kastner c. Painblanc, [1994] A.C.F. no 1671 (QL) (C.A.), affirmant qu’« une action en justice n’est pas une enquête à l’aveuglette et une partie demanderesse qui intente des poursuites en se fondant sur le simple espoir qu’elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions utilise les procédures de la Cour de façon abusive » (Merchant, au paragraphe 34). De même, dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112 (AstraZeneca), la C.A.F. a statué que, même s’il ne faut pas confondre les faits substantiels avec « les moyens de preuve susceptibles d’établir ces faits […], une allégation qui ne repose sur aucun élément de preuve pour l’étayer est un abus de procédure » (AstraZeneca, au paragraphe 5). Lorsqu’un acte de procédure omet de divulguer des faits substantiels, il peut être radié au motif qu’il est frivole, vexatoire et abusif, car cela démontre qu’il ne présente aucun argument rationnel à l’appui de l’allégation (Evertz Technologies Limited v. Lawo AG, 2019 ONSC 1355 (CanLII), au paragraphe 23, citant Aristocrat Restaurants Ltd. v. Ontario, [2003] O.J. n° 5331 (QL) (C.S.J.), aux paragraphes 16 à 21).

[79]      Bref, pour que les allégations contenues dans les actes de procédure soient considérées comme énonçant des faits substantiels, elles doivent être suffisamment précises et ne doivent pas être de simples assertions ou des affirmations non étayées de nature juridique fondées sur des hypothèses ou des conjectures (Das v. George Weston Limited, 2017 ONSC 4129 (CanLII) (Das), au paragraphe 17, conf. par 2018 ONCA 1053 (CanLII) (Das CA), au paragraphe 74).

[80]      Il n’y a pas d’assouplissement des règles relatives au caractère suffisant de l’acte de procédure pour les recours collectifs; la Cour doit lire l’acte de procédure tel qu’il est rédigé plutôt que de la façon dont il aurait pu être rédigé (Merchant, au paragraphe 40). Comme notre Cour l’a récemment rappelé dans la décision Johnston c. Canada, 2021 CF 20 (Johnston), les règles normales relatives aux actes de procédure s’appliquent avec autant de force aux recours collectifs envisagés. L’ouverture d’un recours collectif est une question très sérieuse qui peut avoir une incidence sur les droits d’un grand nombre des membres du groupe ainsi que sur les responsabilités et intérêts des défendeurs, et « [l]a conformité aux Règles n’est pas sans importance ou optionnelle, elle est en vérité obligatoire et essentielle » (Johnston, au paragraphe 20, citant Merchant, au paragraphe 40).

b)    Véracité

[81]      Pour ce qui est maintenant de la présomption selon laquelle les allégations de fait sont vraies, il convient de souligner qu’elle a certaines limites. Les faits allégués sont tenus pour avérés, sauf s’ils « ne peuvent manifestement pas être prouvés » (Imperial Tobacco, au paragraphe 22). Les allégations de fait sont tenues pour avérées, pourvu qu’elles soient suffisamment précises pour garantir qu’elles étayent effectivement l’existence du droit revendiqué (Oratoire, au paragraphe 59; Infineon, aux paragraphes 67 et 114). Les allégations de faits qui se limitent à des affirmations vagues ou imprécises, ou à des généralités, ne peuvent être tenues pour avérées, car elles se rapprochent davantage de l’opinion personnelle ou de l’hypothèse (Oratoire, au paragraphe 59). Dans de tels cas, le tribunal ne peut ni présumer l’existence de quelque chose que les allégations ne contiennent pas ni inférer quelque chose qui aurait pu y figurer. Il doit y avoir des faits précis et concrets, et les allégations ne seront pas tenues pour avérées si elles ne sont pas suffisamment précises ou si elles ne sont que des conjectures.

[82]      Même si la Cour doit tenir pour avérés les faits substantiels tels qu’ils sont allégués, cette obligation ne s’étend pas aux simples allégations et aux affirmations catégoriques de nature juridique fondées sur des hypothèses ou des conjectures, car elles ne peuvent être prouvées. Autrement dit, les allégations qui reposent sur des hypothèses et des conjectures non étayées par des faits substantiels ne peuvent être tenues pour avérées (Carten c. Canada, 2010 CF 857, au paragraphe 29; Das CA, au paragraphe 74). En outre, la Cour n’est pas tenue d’admettre comme nécessairement véridiques les allégations de fait qui [traduction] « sont dénuées de bon sens, les documents incorporés par renvoi ou les preuves présentées comme irréfutables par les deux parties aux fins des requêtes » (Das, au paragraphe 27; Das CA, au paragraphe 74).

[83]      Il n’y a pas de démarcation nette entre la preuve, les faits substantiels et les simples allégations; ce sont plutôt des points sur une ligne continue (Mancuso, au paragraphe 18). Il appartient au juge saisi de la demande d’autorisation, qui examine les actes de procédure dans leur intégralité et dans toutes les circonstances, de s’assurer et d’être convaincu que les actes de procédure cernent les questions avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction.

c)    Contenu des actes de procédure

[84]      Je formule un dernier commentaire sur le contenu des actes de procédure pour ce qui concerne le critère de la cause d’action valable. À l’audience, les avocats des deux parties ont présenté des observations sur la question de savoir si la Cour devrait considérer, pour évaluer si le critère de la cause d’action valable a été respecté, que les documents cités, paraphrasés ou mentionnés dans les actes de procédure sont incorporés par renvoi et font partie des actes de procédure. En l’espèce, la Déclaration des demandeurs contient de multiples allégations renvoyant directement ou indirectement à des documents, des rapports, des transcriptions ou des articles qui ont été joints comme pièces à l’affidavit Tayyab déposé par les demandeurs à l’appui de la requête en autorisation (voir, par exemple, les déclarations publiques). Bien que ces documents ne soient pas expressément identifiés ou annexés à la Déclaration, les citations et les paraphrases contenues dans les actes de procédure peuvent facilement être reliées à des documents précis joints aux affidavits des demandeurs. Si les documents sont incorporés par renvoi, cela permet à la Cour de les examiner pour déterminer si le critère de la cause d’action valable a été respecté.

[85]      Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’en règle générale, les documents mentionnés dans les actes de procédure sont incorporés par renvoi puisqu’en s’y référant, les parties considèrent leur contenu comme des faits (McLarty c. Canada, 2002 CAF 206, au paragraphe 10; Bouchard c. Canada, 2016 CF 983, au paragraphe 18; Paul c. Canada, 2001 CFPI 1280, [2002] 2 C.F. F-20, au paragraphe 23; Das CA, au paragraphe 74; Castrillo v. Workplace Safety and Insurance Board, 2017 ONCA 121 (CanLII), 136 O.R. (3d) 654, au paragraphe 14). Toutefois, il convient de nuancer légèrement cette affirmation. La simple mention d’un document dans un acte de procédure ne suffit pas pour qu’il en fasse partie; un document sera considéré comme faisant partie de l’acte de procédure s’il est incorporé par renvoi et s’il est suffisamment crucial pour la demande pour constituer un élément essentiel ou une partie intégrante de la demande elle-même (Nicholson c. CWS Industries Ltd., 2002 CFPI 1225, [2003] 3 C.F. F-36, aux paragraphes 13, 16–17; Margem Chartering Co. Inc. c. Bocsa (Le), [1997] 2 C.F. 1001 (1re inst.), au paragraphe 17; McCreight v. Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483 (McCreight), au paragraphe 32; Das, au paragraphe 15). En d’autres termes, il doit faire partie de la matrice factuelle d’une déclaration (McCreight, au paragraphe 32).

[86]      Dans ces circonstances, il convient que le juge saisi de la demande d’autorisation lise les citations et les paraphrases contenues dans les actes de procédure dans leur contexte, en se reportant aux documents d’où ils sont tirés. Si un demandeur a attribué à ces paraphrases et citations un sens qui n’est pas compatible, à la simple lecture, avec les documents d’où elles sont tirées, et si les documents mentionnés dans les actes de procédure ne disent pas réellement ce que les demandeurs allèguent, la Cour ne peut considérer ces allégations comme des faits substantiels, car elles ne seraient pas vraies et ne pourraient être prouvées. En fait, l’avocat des demandeurs a admis à l’audience que, si les allégations formulées dans la Déclaration contiennent des affirmations, des paraphrases ou des faits qui sont faux ou inexacts et ne correspondent pas au contenu réel des documents sousjacents, il convient que la Cour ne les examine pas ou ne leur accorde aucun poids.

[87]      En l’espèce, je suis donc convaincu que les documents mentionnés par les demandeurs dans leur Déclaration, que ce soit au moyen de citations directes, de résumés ou de paraphrases des documents, font partie intégrante de leur demande. Les demandeurs s’appuient sur ces documents, plus particulièrement sur des extraits, paraphrasés ou directement cités, tirés des déclarations publiques formulées par les défenderesses lors de conférences sectorielles, de conférences d’investisseurs et de conférences en vue de la communication des résultats financiers, pour fonder leur allégation selon laquelle les défenderesses ont participé à un complot. Ces documents peuvent être considérés comme étant incorporés par renvoi aux actes de procédure des demandeurs. Toutefois, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire qu’à l’étape de la requête en autorisation, il n’appartient pas au juge d’examiner ces documents de manière détaillée et de déterminer si les demandeurs les ont interprétés correctement, car cela équivaudrait à apprécier la preuve, ce que la Cour ne peut pas faire à ce stade. Ce que la Cour peut faire, c’est chercher à savoir si ce que les demandeurs mentionnent dans la Déclaration reflète fidèlement ce qui a été expressément énoncé dans les extraits des documents.

2)    Fondement juridique des réclamations des demandeurs

[88]      Compte tenu des questions soulevées par la présente espèce concernant le complot auquel prendraient part les défenderesses, il importe d’établir le cadre juridique des réclamations formulées par les demandeurs au regard du droit de la concurrence. Les parties pertinentes des articles 36, 45 et 46 de la Loi sont reproduites intégralement à l’annexe B des présents motifs.

a)    L’esprit de la Loi

[89]      La Loi est une loi fédérale d’application générale qui vise les comportements commerciaux anticoncurrentiels au Canada. Comme la plupart des régimes régissant la concurrence qui existent partout dans le monde, la Loi traite de trois grands sujets : le comportement coordonné de concurrents, le comportement unilatéral d’entreprises ayant un pouvoir de marché, et les fusionnements. D’une manière plutôt inhabituelle comparativement à de nombreux autres régimes de droit de la concurrence ou de droit antitrust, la Loi traite également d’un certain nombre de pratiques « susceptibles d’examen » ainsi que d’une variété de pratiques commerciales trompeuses, comme la publicité mensongère.

[90]      La Loi adopte une approche à deux volets à l’égard des comportements anticoncurrentiels. D’une part, certains types de comportements sont considérés comme suffisamment graves pour la concurrence pour justifier des sanctions criminelles. Présentement, on dénombre quelque 25 infractions criminelles dans la Loi, la plus importante étant celle prévue à l’article 45 interdisant la fixation des prix et d’autres accords « injustifiables » entre concurrents s’apparentant à de la cartellisation. À l’inverse, d’autres types de comportements qui sont considérés uniquement comme étant potentiellement anticoncurrentiels ne sont pas traités comme des crimes. Ils sont plutôt assujettis à un examen civil et pourraient faire l’objet d’une interdiction prospective une fois qu’il a été établi que le comportement contesté a eu ou a des effets anticoncurrentiels, ou est susceptible d’en avoir. Ces comportements peuvent notamment viser des accords entre concurrents ne relevant pas du champ d’application de l’article 45 ainsi que des comportements unilatéraux d’entreprises ayant un pouvoir de marché, comme l’abus de position dominante, l’exclusivité, les ventes liées, le maintien des prix ou le refus de vendre. Ces comportements ne sont interdits que s’ils causent, ou sont susceptibles de causer, une diminution ou un empêchement sensible de la concurrence ou certains effets défavorables sur la concurrence dans le marché pertinent, auquel cas le Tribunal de la concurrence (Tribunal) peut ordonner que le comportement cesse.

b)    Article 36

[91]      L’article 36 de la Loi confère un droit d’action privée à toute personne qui a subi des pertes ou des dommages par suite d’un comportement contrevenant à l’une des dispositions criminelles de la Loi ou par suite d’un défaut de se conformer à une ordonnance du Tribunal ou d’un autre tribunal rendue en vertu de la Loi. En revanche, un comportement anticoncurrentiel qui ne relève pas du droit criminel, même s’il a de graves effets anticoncurrentiels, ne donne pas lieu à un recours en dommages-intérêts par des demandeurs privés.

[92]      Lorsqu’une violation d’une disposition criminelle est alléguée, les recours visés à l’article 36 peuvent être intentés sans qu’il y ait eu une déclaration de culpabilité, ou sans que les autorités en matière de concurrence mènent une enquête à l’égard du comportement contesté. Toutefois, il incombe toujours au demandeur de prouver les éléments du comportement criminel illicite. Le droit d’action prévu à l’article 36 est assorti d’un délai de prescription relativement court. L’action doit être intentée dans les deux ans suivant la date où le comportement a été commis ou, si elle est postérieure, la date à laquelle les instances criminelles sont réglées. Cependant, la règle de la possibilité de découvrir s’applique aux actions intentées en vertu de l’article 36 (Godfrey, aux paragraphes 31 à 50). Cela signifie que le début du délai de prescription est reporté jusqu’au moment où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du comportement anticoncurrentiel, bien que la règle de la possibilité de découvrir ne s’applique pas au délai de prescription de deux ans suivant le règlement d’une instance criminelle.

[93]      Pour établir le bien-fondé d’une réclamation en vertu de l’alinéa 36(1)a), un demandeur doit faire valoir que le défendeur a contrevenu à une disposition de la partie VI de la Loi (qui porte sur les « Infractions relatives à la concurrence ») et qu’il a subi une perte ou des dommages du fait du comportement criminel reproché. Le droit d’intenter une action en dommages-intérêts et de demander le recouvrement de certains frais d’enquête est assujetti à certaines limites importantes, y compris une limite quant aux dommages-intérêts compensatoires (c.-à-d. pas de dommages-intérêts punitifs ni de mesures injonctives).

[94]      L’article 36 est la disposition créant, dans les faits, la cause d’action des demandeurs en l’espèce (Godfrey, au paragraphe 76; Murphy, aux paragraphes 83 à 85; Singer v. Schering-Plough Canada Inc., 2010 ONSC 42 (CanLII), aux paragraphes 107 à 108). Pour avoir gain de cause, les demandeurs doivent donc prouver ce qui suit : (i) le comportement des défenderesses satisfait à tous les éléments constitutifs de l’infraction criminelle sous-jacente (en l’espèce, les articles 45 ou 46); (ii) la perte ou les dommages subis; (iii) un lien de causalité entre la perte ou les dommages subis et l’infraction criminelle.

c)    Article 45

[95]      L’interdiction prévue à l’article 45 est généralement considérée comme la pierre angulaire de la Loi. En 2009, le régime canadien régissant les complots a fait l’objet de modifications importantes qui sont entrées en vigueur le 12 mars 2010 [S.C. 2009, ch. 2, art. 410]. Ces modifications de 2009 ont créé un régime d’application de la loi en matière criminelle révisé pour les formes les plus flagrantes d’accords entre concurrents, tout en éliminant la menace de sanctions criminelles pour les collaborations légitimes afin d’éviter de décourager les concurrents de conclure des alliances potentiellement avantageuses. L’article 45 rend maintenant illégal en soi pour les concurrents ou concurrents potentiels de conclure un accord : (i) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture d’un produit; (ii) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture d’un produit; (iii) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture d’un produit. À la suite des modifications de 2009, la preuve du complot, de l’accord ou de l’arrangement sur l’un des trois types d’activités décrits à l’article 45 suffit pour établir l’infraction, sans qu’il ne soit nécessaire de prouver l’existence d’effets anticoncurrentiels réels ou vraisemblables ou d’un effet préjudiciable sur la concurrence dans un marché.

[96]      Par conséquent, depuis l’entrée en vigueur des modifications de 2009, l’objet de l’évaluation effectuée au titre de l’article 45, et l’élément clé de la disposition, est de déterminer s’il existe un accord entre concurrents (au sens du paragraphe 45(8)) pour se livrer à un comportement illicite. L’existence d’effets anticoncurrentiels réels ou vraisemblables n’est plus pertinente, puisque l’élément qui exigeait auparavant la démonstration d’effets anticoncurrentiels précis, comme une diminution ou un empêchement « indus » de la concurrence, a été éliminé. Le préjudice concurrentiel est maintenant présumé et implicite pour les comportements visés à l’article 45. En d’autres termes, l’article 45 décrit trois catégories d’accords qui ont une telle probabilité de nuire à la concurrence sans apporter d’avantages pro-concurrentiels qu’ils méritent d’entraîner des poursuites sans besoin d’enquête détaillée sur leurs effets réels à l’égard de la concurrence (Lignes directrices CC, à l’article 2.1; voir également Mohr c. Ligue nationale de hockey, 2021 CF 488, [2021] 4 R.C.F. 408, au paragraphe 57).

[97]      Enfreint donc l’article 45 quiconque : (i) complote, conclut un accord ou un arrangement; (ii) avec un concurrent de cette personne relativement à un produit ou à un service; (iii) pour faire l’une des trois choses mentionnées au paragraphe 45(1), à savoir fixer les prix; attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés, ou contrôler la production. Bien entendu, puisque l’infraction décrite à l’article 45 est criminelle, il faut également démontrer l’intention criminelle ou mens rea.

(i)    Exigence relative à un accord

[98]      L’élément constitutif principal et exigence préliminaire de base pour établir un complot visé à l’article 45 est l’existence d’une entente entre les parties collaboratrices. Les mots utilisés à l’article 45 (« complote ou conclut un accord ou un arrangement ») expriment tous l’acte de conclure et d’envisager [traduction] « d’arriver à une entente ou à un accord » (Regina v. Armco Canada Ltd. and 9 other corporations (1976), 13 O.R. (2d) 32, à la page 41, 70 D.L.R. (3d) 287 (C.A.) (Armco). Pour déterminer si un accord criminel a été conclu, il est nécessaire de prouver qu’il y a une « rencontre de volontés » entre deux ou plusieurs personnes non affiliées qui sont des « concurrentes ». L’accord peut être explicite ou tacite, et le paragraphe 45(3) de la Loi prévoit expressément qu’un tribunal peut déduire l’existence d’un accord à partir d’une preuve circonstancielle, même en l’absence de toute preuve de « communication directe » entre les parties au complot allégué. Cependant, l’exigence selon laquelle il doit y avoir une rencontre de volontés entre les concurrents fait en sorte qu’une certaine forme de communication bilatérale devient un aspect essentiel du complot. Autrement dit, même s’il n’y a pas de preuve directe d’un accord, il doit au moins y avoir une preuve indirecte ou circonstancielle d’un certain type de communication entre les parties pour qu’un accord soit inféré : « [l]’adoption d’une politique de prix comparables ou identiques, sans l’existence d’une entente qui par définition nécessite une rencontre de volontés, ne tombe pas sous le coup de l’article 45 » (Proulx c. R., 2016 QCCA 1425 (CanLII), [2016] J.Q. 11393 (QL) (Proulx), au paragraphe 32). Comme la Cour suprême de l’Ontario l’a déclaré dans l'arrêt Regina v. Canadian General Electric Company Ltd. et al. (1976), 15 O.R. (2d) 360, 1976 CarswellOnt 449 (WL Can.) (GE) il y a environ 45 ans, [traduction] « [l]a communication est l’essence de tout complot, car elle seule peut prouver un objectif commun » (GE, au paragraphe 158).

[99]      Cela a été confirmé par la C.S.C. dans l’arrêt Atlantic Sugar, une affaire criminelle. Dans cet arrêt faisant autorité quant à l’infraction de complot au Canada visée par la Loi, telle qu’elle était rédigée à l’époque, d’importants raffineurs de sucre ont été accusés de complot en vue de fixer le prix du sucre et de s’attribuer des parts de marché. Les grands raffineurs de sucre exploitaient leurs entreprises dans un marché oligopolistique très concentré et, pendant de nombreuses années, leurs parts de marché étaient demeurées relativement stables. À un certain moment, ils ont commencé une guerre des prix pour obtenir des parts de marchés, mais ils ont fini par revenir à leurs positions antérieures. Tout comme dans la présente espèce, les allégations dans l’affaire Atlantic Sugar indiquaient que l’abandon de la concurrence pour les parts de marchés par les parties constituait une collusion par « signaux », en contravention des dispositions de la Loi relatives au complot. La C.S.C. a confirmé les acquittements ordonnés par le juge de première instance et a confirmé que les « ententes tacites » survenant sans communication bilatérale n’étaient pas visées par la disposition sur le complot de la Loi.

[100]   La C.S.C. a admis qu’« un complot peut prendre diverses formes et peut être prouvé par déduction » (Atlantic Sugar, à la page 656), mais a importé certaines notions contractuelles concernant les accords (à savoir la communication d’une offre et l’acceptation d’une telle offre) dans l’analyse des éléments du complot : « [p]our conclure à une entente par acceptation tacite d’une offre, il ne suffit pas d’adopter une ligne de conduite qui implique acceptation, il faut également qu’il y ait eu communication de cette offre » (Atlantic Sugar, à la page 657; soulignement ajouté).

[101]   En ce qui concerne les prix uniformes des raffineurs de sucre et les accusations de fixation des prix, la C.S.C. a confirmé les conclusions du juge de première instance, qui avait conclu à l’absence d’« entente tacite », même si les accusées avaient publié leurs tarifs, les faisant immédiatement connaître à leurs concurrents. La C.S.C. a accepté la conclusion du juge de première instance selon laquelle il s’agissait d’un « résultat de décisions indépendantes appelées [traduction] "décisions consciemment parallèles" qui ne sont pas illégales » (Atlantic Sugar, à la page 656) et qu’il ne s’agissait pas d’un complot illicite, même si les tarifs ont été immédiatement portés à la connaissance des concurrents. En ce qui concerne la politique de vente traditionnelle fondée sur la part de marché, la C.S.C. a convenu qu’il n’y avait aucune preuve que la politique avait été portée à la connaissance des concurrents et qu’il n’y avait aucune preuve de la communication de cette politique. La C.S.C. a également confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle il n’y avait aucune « entente tacite » dans cette affaire.

[102]   En d’autres termes, ce qu’on appelle « ententes tacites » ne peut pas constituer un complot illégal sans une forme de communication et une ligne de conduite dont l’acceptation peut être déduite. L’adoption consciente, mais indépendante, d’une ligne de conduite uniforme ou parallèle par différentes parties, sans une telle rencontre de volontés, l’assentiment, la promesse ou la coordination entre les concurrents, ne constitue pas un accord visé par la disposition relative au complot. La simple attente selon laquelle un concurrent agira d’une façon donnée ne suffit pas à prouver l’accord nécessaire (c.-à-d. l’existence d’un accord des volontés ou une entente mutuelle).

[103]   Dans leurs observations respectives, les deux parties ont indiqué qu’une allégation de complot en vertu de l’article 45 doit donc présenter, entre autres, des faits substantiels et des détails complets sur (i) l’accord et ses objets et (ii) tout acte manifeste, décrit avec clarté et précision, qui aurait été commis par chacune des parties au complot en vue du complot (Prokuron, aux paragraphes 28–29; Mancinelli, aux paragraphes 142 et 143). J’ouvre une parenthèse pour faire observer que ces exigences concernent les allégations de complot civil par des « moyens illicites », et non l’infraction criminelle visée à l’article 45 de la Loi. Bien que la présence d’actes manifestes puisse permettre, selon les circonstances, d’inférer qu’il existe un accord illicite, il convient de souligner que l’infraction prévue à l’article 45 réside dans l’accord lui-même, et non dans l’exécution d’un tel accord par des actes manifestes.

(ii)   Parallélisme conscient

[104]   Il convient de dire un mot sur le parallélisme conscient. Contrairement à ce que les demandeurs semblent affirmer dans leurs observations écrites et orales, le droit canadien reconnaît depuis longtemps que le « parallélisme conscient » n’est pas un comportement interdit par l’article 45 de la Loi. Le parallélisme conscient a été décrit comme « un phénomène qui se produit lorsque les parties ne participant pas à un complot de fixation des prix choisissent délibérément d’ajuster leurs prix à ceux de leurs concurrents, sans qu’on puisse parler de collusion » [en italique dans l’original] (Godfrey, au paragraphe 190, la juge Côté étant dissidente, mais pas sur ce point). Autrement dit, le parallélisme conscient consiste en l’acte d’adopter de façon indépendante une ligne de conduite commune en étant conscient de la réaction probable des concurrents ou en réponse au comportement des concurrents. Le parallélisme conscient vise les situations où, en l’absence d’accord, les concurrents adoptent unilatéralement des pratiques commerciales ou des prix semblables ou identiques, à la suite de stratégies rationnelles et de maximisation des bénéfices fondées sur des observations des tendances du marché et de la façon dont se sont comportés les concurrents dans le passé. Un tel comportement parallèle est fréquent dans les marchés oligopolistiques où les grandes entreprises peuvent surveiller étroitement les réactions de leurs concurrents à l’évolution de leur comportement, et chaque entreprise tient compte de la réaction des autres pour prendre des décisions sur les prix et la production.

[105]   Puisqu’il constitue la réponse indépendante de chaque concurrent au comportement perçu et prévu des autres — contrairement au complot interdit par l’article 45, qui doit faire l’objet d’un accord et d’une certaine forme de communication bilatérale —, le « parallélisme conscient » n’est pas illégal et n’a jamais été jugé comme relevant de la disposition sur le complot contenue à la Loi, qu’il s’agisse de l’article 45 ou des dispositions qui l’ont précédé. Les tribunaux canadiens ont reconnu à maintes reprises que le parallélisme conscient ne peut être assimilé à un accord et qu’une politique de prix découlant d’un parallélisme conscient, si elle est menée sans collusion, ne constitue pas une infraction de complot (voir, par exemple, R. v. Cominco Ltd. (1980), 46 C.P.R. (2d) 154, [1980] A.J. no 524 (QL) (C. sup.); R. v. Aluminum Co. of Canada Ltd. (1976), 29 C.P.R. (2d) 183, 1976 CarswellQue 94 (WL Can.) (C. sup.); R. v. Canada Ciment Lafarge Ltd. (1973), 12 C.P.R. (2d) 12, 1973 CarswellOnt 1031 (WL Can.) (C. prov.) (Lafarge)). La simple communication ou le simple échange de points de vue entre les parties qui ne suscitent qu’une attente que chaque partie agira d’une certaine manière n’ont pas non plus été considérés comme un accord interdit par une version antérieure de l’article 45 (R. v. Canada Packers Inc. (1988), 19 C.P.R. (3d) 133, 1988 CarswellAlta 745 (WL Can.) (B.R.)).

[106]   Encore une fois, ces principes ont également été clairement confirmés dans l’arrêt Atlantic Sugar. Dans cette affaire, la C.S.C. a constaté un parallélisme conscient, mais pas un accord, et a donc acquitté les raffineurs de sucre malgré le fait qu’il y avait une concurrence moins que vigoureuse entre eux. La C.S.C. a confirmé que le parallélisme conscient n’est pas illégal (Atlantic Sugar, à la page 656) et a notamment fait remarquer qu’« [a]ucun des raffineurs n’était tenu de faire concurrence plus fortement qu’il ne l’estimait souhaitable dans son propre intérêt. Chacun des raffineurs avait le droit de décider de ne pas chercher à augmenter sa part du marché en autant que cette décision n’était pas le résultat d’une collusion » (Atlantic Sugar, à la page 657).

[107]   Je reconnais que l’arrêt Atlantic Sugar peut engendrer une certaine confusion, car il n’est pas toujours facile de comprendre dans cette affaire ce que la C.S.C. entendait par « entente tacite ». La C.S.C. a utilisé les mots « entente tacite » entre guillemets tout au long de sa décision, car il s’agissait du libellé utilisé par le juge de première instance pour décrire sa conclusion au sujet de ce que les raffineurs de sucre accusés avaient fait en ce qui concerne les parts de marché. Dans l'arrêt Atlantic Sugar, le juge de première instance avait conclu que le maintien des parts de marché traditionnelles résultait d’une « entente tacite » entre les accusées, mais qu’il ne s’agissait pas d’un complot interdit parce qu’il n’y avait pas eu de communication entre elles. Ce que le juge de première instance a qualifié d’« entente tacite » était en fait un parallélisme conscient et, à mon avis, l’utilisation de guillemets par la C.S.C. traduit le fait qu’elle interprétait l’expression « entente tacite » (utilisée par le juge de première instance) comme équivalant en fait à ce qu’elle appelait elle-même le parallélisme conscient.

[108]   J’ouvre une parenthèse pour ajouter que, dans de nombreuses décisions rendues par les tribunaux ainsi que dans la littérature juridique et économique, on confond souvent les expressions « entente tacite », « collusion tacite » et « parallélisme conscient », car elles sont utilisées indistinctement pour décrire une réalité semblable. Je ne suis pas d’accord. La principale différence entre « parallélisme conscient » et tout autre comportement est l’absence d’accord. Par conséquent, l’utilisation des expressions « entente tacite » ou « collusion tacite » pour décrire un tel comportement parallèle est un oxymoron. Pour plus de clarté, j’estime que les « ententes tacites » visées à la disposition canadienne sur le complot devraient être réservées aux situations où un accord peut être déduit à partir d’éléments de preuve circonstancielle et de communications indirectes entre les parties. Une entente tacite requiert une certaine forme de communication d’une offre ainsi qu’une ligne de conduite à partir de laquelle l’acceptation de l’offre peut être déduite (Atlantic Sugar, à la page 657). Inversement, les termes « entente », « accord » ou « collusion » ne doivent pas être utilisés pour décrire des situations de « parallélisme conscient », car ces dernières supposent un comportement unilatéral et parallèle sans aucune forme de communication bilatérale et d’acceptation mutuelle, explicite ou tacite, entre les parties concernées.

[109]   J’ajoute que le Commissaire de la concurrence (Commissaire), qui est responsable de l’application et de l’exécution de la Loi, partage l’opinion que le parallélisme conscient ne tombe pas sous le coup de l’article 45. Dans les Lignes directrices CC, le Bureau de la concurrence affirme expressément qu’il « ne considère pas que le simple fait d’adopter indépendamment un comportement commun en connaissant la réaction probable des concurrents ou en réponse au comportement des concurrents, qu’on appelle communément « parallélisme conscient », suffit à établir qu’il y a eu accord au sens du paragraphe 45(1) [de la Loi] » (Lignes directrices CC, à la section 2.2). Je fais observer que le Bureau de la concurrence a récemment réaffirmé cette position en n’apportant aucune modification ou révision dans sa nouvelle version à jour des Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents publiée le 6 mai 2021.

[110]   Toutefois, s’il y a quelque chose en plus du comportement consciemment parallèle, cette chose supplémentaire pourrait constituer une preuve circonstancielle suffisante pour satisfaire à l’élément relatif à l’accord nécessaire pour établir l’infraction de complot visée à l’article 45 de la Loi. En effet, dans les Lignes directrices CC, le Bureau de la concurrence indique qu’il considère que le fait qu’un « tel “parallélisme conscient” [soit] combiné à des pratiques facilitantes comme la mise en commun de renseignements délicats sur le plan de la concurrence ou d’activités qui aident les concurrents à surveiller réciproquement leurs prix » (soulignements ajoutés) pourrait éventuellement être suffisant pour établir un accord entre les parties en vertu de l’article 45 (Lignes directrices CC, à l’article 2.2). Ces « pratiques facilitantes » rappellent les « facteurs supplémentaires » identifiés par les tribunaux américains et peuvent comprendre, par exemple : des activités menées par les concurrents concernés visant l’application de mesures; des annonces préalables de changements de prix; l’échange de renseignements confidentiels sur les prix ou les coûts; l’adoption simultanée de nouveaux programmes d’établissement des prix; des campagnes pour convaincre les concurrents d’adopter une politique de prix ouverts; ou des efforts pour garder les réunions ou les communications secrètes (voir, par exemple, Armco ou Lafarge). Fait important, ces pratiques facilitantes se rapportent généralement au comportement des concurrents et supposent une certaine forme de communication mutuelle préalable ou continue entre les concurrents.

[111]   Incidemment, compte tenu de ce qui précède, le parallélisme conscient ne peut être qualifié de question nouvelle au regard de l’article 45. L’exigence relative à l’existence d’une entente, explicite ou tacite, est une question de droit bien établie dans la jurisprudence, et les tribunaux canadiens affirment depuis près de 50 ans que le comportement unilatéral parallèle sans collusion n’équivaut pas à une infraction de complot au sens de la Loi et qu’il est manifestement exclu du champ d’application de l’article 45.

(iii)  Signaux

[112]   Je formule un dernier commentaire sur la question des « signaux » au centre des allégations de complot fondées sur l’article 45 des demandeurs en l’espèce. Invoquant l’arrêt Atlantic Sugar et l’arrêt Gosselin c. R., 2017 QCCA 244, [2017] J.Q. no 988 (QL) (Gosselin), les demandeurs soutiennent que le droit canadien reconnaît que les « signaux publics » constituent une violation de l’article 45 ou des dispositions qui l’ont précédé. En toute déférence, il s’agit d’un énoncé de droit erroné. De la même façon que les tribunaux n’ont jamais reconnu que le parallélisme conscient équivalait à un complot interdit en vertu de la Loi, je ne connais aucun précédent au Canada dans lequel on a reconnu que les « signaux publics », en soi, peuvent constituer un complot interdit par l’article 45. En fait, ni l’un ni l’autre des deux arrêts cités par les demandeurs n’appuie cette proposition.

[113]   Comme je l’ai déjà mentionné, l’arrêt Atlantic Sugar a confirmé que le comportement unilatéral n’est pas visé par la disposition sur le complot contenue à la Loi. Dans la mesure où l’arrêt Atlantic Sugar pourrait être considéré comme une affaire portant sur la question des « signaux », il indique clairement qu’il ne peut y avoir d’accord illicite en vertu de l’article 45 sans une certaine forme de communication bilatérale entre les parties au complot, comportant une offre ou une invitation ainsi qu’un comportement à partir duquel l’acceptation de l’offre peut être déduite. En ce qui concerne l’arrêt Gosselin, il n’apporte aucune aide utile. Cet arrêt ne portait pas sur des signaux relativement aux prix ou du parallélisme conscient, car l’existence du complot dans cette affaire avait été prouvée au moyen de très nombreux éléments de preuve obtenus par écoute électronique, révélant des communications continues et des accords explicites entre les concurrents dans l’industrie de la vente au détail d’essence dans une région du Québec. De plus, certains coaccusés ont plaidé coupables et l’existence d’un complot a été clairement admise. En fait, dans cette affaire, le juge de première instance a rejeté la défense de « parallélisme conscient » présentée par le défendeur à la lumière des nombreux éléments de preuve relatifs à des discussions et à des conversations entre les concurrents confirmant l’existence d’un accord réel (Gosselin, aux paragraphes 58–60).

[114]   Les demandeurs ont également mentionné l’affaire Fanshawe comme exemple où la Cour se serait appuyée sur des déclarations publiques et des conclusions tirées dans d’autres procédures. Cependant, dans cette affaire, les défenderesses avaient plaidé coupables à un complot visant à fixer les prix, et aucune conclusion n’a été tirée sur une question liée aux signaux publics.

d)    Article 46

[115]   En ce qui concerne l’article 46 de la Loi, il prévoit qu’une personne morale exploitant une entreprise au Canada commet une infraction criminelle si elle applique, au Canada, une directive ou une communication provenant d’une personne se trouvant dans un pays étranger ayant pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’étranger qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45. Par conséquent, l’article 46 complète l’article 45 en établissant une infraction pour les personnes qui ne participent pas directement à des complots visés par l’article 45. Ainsi, l’article 46 permet de cibler les filiales qui exploitent des entreprises au Canada et qui suivent une communication étrangère, qu’elles sachent ou non qu’elles mettent en œuvre un complot, et ce, même si elles ne sont pas directement parties au complot. Sans l’article 46, la compétence des tribunaux se limiterait à l’imposition de sanctions contre les parties au complot elles-mêmes par opposition aux entités au Canada qui se contentent simplement de mettre en œuvre le complot sans être une partie directement impliquée.

[116]   En ce qui concerne les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 46, ils doivent donc comprendre les éléments de l’infraction de complot prévue à l’article 45 ainsi que les suivants : (i) une personne morale qui exploite une entreprise au Canada; (ii) qui applique une directive, une instruction ou un énoncé de politique ou autre communication; (iii) d’une personne au Canada en mesure de diriger ou d’influencer les principes suivis par la personne morale; (iv) lorsque la directive, l’instruction ou l’énoncé de politique ou la communication a pour objet de donner effet à un complot intervenu à l’étranger qui constituerait une infraction visée à l’article 45.

3)    Analyse

[117]   À mon avis, les demandeurs n’ont pas présenté d’actes de procédure qui révèlent une cause d’action valable. Malgré le fait qu’elle compte plus de 140 paragraphes, la Déclaration ne permet pas d’établir une cause d’action en contravention de l’article 45 ou de l’article 46, car les demandeurs ne présentent aucun fait substantiel quant à l’existence d’un accord illicite entre les défenderesses. Il s’agit de l’élément principal des complots visés à l’article 45 et, en l’absence d’un acte de procédure approprié relativement à l’accord, l’allégation de complot des demandeurs est sans fondement. Même si elle reçoit une interprétation libérale, la Déclaration ne contient aucun fait substantiel quant à la façon dont un accord aurait pu être conclu entre les défenderesses et quant au moment où il aurait pu l’être, quant à ce qui aurait pu faire l’objet d’un accord entre les défenderesses, quant à toute rencontre de volontés relativement à la perpétration de l’infraction de complot alléguée ou quant à tout acte manifeste commis par les défenderesses en vue de la réalisation d’un complot. La Déclaration est trop peu détaillée et insuffisante en ce qui concerne l’acte répréhensible allégué, ce qui fait en sorte que la demande des demandeurs ne peut manifestement pas être accueillie. En fin de compte, la Déclaration ne contient que des allégations vagues et générales qui ne constituent que de simples conjectures sur un accord soupçonné entre les défenderesses. Il en va de même pour le comportement répréhensible allégué en vertu de l’article 46 de la Loi.

a)    Article 45

(i)    Les allégations des demandeurs

[118]   Dans leur mémoire présenté en réponse, les demandeurs ont relevé les allégations formulées dans leur Déclaration qui, à leur avis, exposent le contexte requis pour les éléments constitutifs de l’infraction de complot. Concernant l’accord qui serait intervenu entre les défenderesses, les demandeurs ont reproduit les paragraphes suivants de la Déclaration :

[traduction]

•    [5]     Les défenderesses se sont rencontrées et ont communiqué entre elles, directement et indirectement, en personne, au téléphone et lors de réunions de diverses organisations commerciales de l’industrie.

•    [61]   Les défenderesses ont comploté afin de restreindre la capacité de production de DRAM, d’éliminer illégalement la fourniture de DRAM et d’augmenter ses prix.

•    [64-70] Exemples d’affirmations :

-     [64]     […] le 17 novembre 2015, lors de la conférence mondiale sur la technologie d’UBS, le directeur financier de Micron, M. Ernie Maddock, a prédit que les défenderesses prendraient des « décisions vraiment rationnelles », notamment quant à une « croissance inférieure de l’offre » et à l’absence de toute « augmentation importante de la capacité de production de DRAM ».

-     [66]     Samsung a rapidement annoncé qu’elle changeait de cap par rapport à son ancien plan visant à accroître la fourniture de DRAM. Le 29 janvier 2016, dans sa conférence téléphonique sur les résultats financiers du quatrième trimestre de 2015, Samsung a déclaré : « Cette année, nous nous concentrerons principalement sur la rentabilité plutôt que sur l’augmentation du volume ».

-     [70]     Le 25 mai 2016, juste avant le début de la période visée par le recours collectif, à la conférence mondiale sur les technologies des médias et des télécommunications de J.P. Morgan, le PDG de Micron, Mark Durcan, a mis en garde contre la croissance de la fourniture de DRAM dans l’industrie : « Nous allons tous profiter de l’offre excédentaire sur le marché ou en payer le prix ».

•    [73]   Tout au long de la période visée par le recours, les défenderesses ont confirmé leur adhésion au complot.

•    [74 à 101] Exemples d’affirmations :

o    [74]     […] le 16 juin 2016, à la conférence du programme des investisseurs du Nasdaq, le directeur financier de Micron, Ernie Maddock, a exprimé sa confiance en un consensus de l’industrie : « du moins jusqu’à maintenant, bon nombre des commentaires qui ont été faits publiquement, dont beaucoup viennent d’entreprises d’équipement, appuient l’idée qu’il s’agit d’une réduction générale des dépenses d’investissement en DRAM prévues par nos concurrents coréens et qui, selon nous, est tout à fait conforme aux autres messages que nous entendons sur le marché ».

o    [76]     Le 8 septembre 2016, à la conférence sur la technologie mondiale de Citi, M. Maddock a réitéré la volonté de l’industrie de limiter la fourniture de DRAM : « […] mais absolument aucun signe sur le marché ne donne à penser qu’il y a un plan pour accroître la capacité de production de plaquettes de DRAM. » Il a ajouté : « Eh bien, je dirais que nous avons essentiellement annoncé ce que nous avons l’intention de faire en matière de croissance des bits et nous nous en tenons à cela ».

o    [90]     Le 24 mai 2017, lors de la conférence mondiale des courtiers d’Internet, des médias et des technologies de J.P. Morgan, le directeur financier de Micron, Ernie Maddock, a insisté sur le consensus de l’industrie à l’égard du maintien de la discipline de production : « Nous ne parlons pas au nom de l’industrie, mais les autres participants se sont exprimés et ont fait état d’une grande discipline ».

o    [129]   Le comportement des défenderesses est le fruit d’un accord ou d’un arrangement coordonné visant à éliminer la fourniture de DRAM en deçà de la demande du marché. Un tel comportement visait à gonfler illégalement le prix des DRAM de manière à maximiser les profits des défenderesses au détriment du groupe. Un tel accord ou arrangement a été conclu grâce à un échange entre les défenderesses de renseignements sur la fourniture de DRAM et sur les prix, aux signaux envoyés par des moyens accessibles au public, comme DRAMeXchange et la communication des résultats financiers, et à des communications privées entre les défenderesses.

[119]   En ce qui concerne l’objectif des défenderesses de comploter et de s’entendre en vue d’éliminer la fourniture de DRAM ou d’augmenter les prix des DRAM (c.àd. l’intention), les demandeurs ont reproduit les paragraphes suivants :

[traduction]

•    [62]   L’une des méthodes utilisées par les défenderesses pour mettre en œuvre et surveiller leur complot consistait à faire des déclarations publiques en s’adressant les unes aux autres lors de conférences en vue de la communication des résultats financiers, de réunions et de conférences.

•    [129] Le comportement des défenderesses est le fruit d’un accord ou d’un arrangement coordonné visant à éliminer la fourniture de DRAM en deçà de la demande du marché. Un tel comportement visait à gonfler illégalement le prix des DRAM de manière à maximiser les profits des défenderesses au détriment du groupe.

[120]   Les défenderesses répondent que seulement sept paragraphes dispersés dans la déclaration (à savoir les paragraphes 5 et 6, 61 et 62, 101 à 103 et 129) contiennent des allégations concernant la conclusion et l’existence d’un accord, et que ces allégations constituent de simples affirmations catégoriques concernant des faits non établis.

[121]   Essentiellement, les demandeurs allèguent que l’accord illicite entre les défenderesses a été conclu, réalisé et maintenu par des communications directes dans le cadre de rencontres privées entre les défenderesses ainsi que par la transmission de signaux dans les déclarations publiques. Je souligne que, selon les défenderesses, l’allégation des demandeurs n’est pas que l’accord a été conclu au moyen de signaux, mais plutôt qu’il a été mis en œuvre, appliqué ou confirmé par de tels signaux (Déclaration, aux paragraphes 6 et 62). Je reconnais que, tels que rédigés, les actes de procédure laissent planer un doute sur la nature exacte des allégations en ce qui concerne les signaux. Toutefois, pour les besoins des présents motifs, je présume que, comme les demandeurs l’ont fait valoir, ils ont allégué que l’accord a été conclu et maintenu par les défenderesses au moyen de ces déclarations publiques.

(ii)   Affirmations générales

[122]   Avant de me pencher sur les allégations plus précises de communications privées directes et de « signaux », j’examinerai ce que j’appelle les « affirmations générales » formulées par les demandeurs à propos de l’accord allégué ou du complot. Ces allégations générales figurent aux paragraphes 5, 61 et 62, 129 et 135 de la Déclaration.

[123]   Je suis d’avis que ces allégations générales d’avoir [traduction] « comploté » en 2016 ou d’avoir conclu [traduction] « un accord ou […] un arrangement coordonné » en vue d’éliminer la fourniture de DRAM et d’augmenter les prix ne sont rien de plus que de simples affirmations catégoriques concernant des faits non établis, sans aucun fait substantiel à l’appui concernant la conclusion ou l’existence d’un accord ou d’une quelconque forme de coordination. Il s’agit d’allégations vagues et générales qui ne contiennent tout simplement pas le niveau de détail auquel on s’attendrait d’allégations constituant le fondement d’une action en dommages-intérêts intentée en vertu des articles 36 et 45. Plus important encore, elles ne reposent sur aucun fondement factuel. Comme l’ont souligné les défenderesses, il n’y a qu’une simple référence à un « accord ou arrangement » sans aucune explication ou élaboration. Ces affirmations catégoriques sont tout à fait insuffisantes pour révéler une cause d’action valable relativement à un complot, car elles ne présentent pas le niveau de détail minimal requis concernant le « comment » et le « ce qui » pourrait donner lieu à la responsabilité des défenderesses.

[124]   Plus précisément, ces affirmations générales ne contiennent ni fait substantiel ni détail à l’appui d’une allégation concernant un accord visant à fixer ou à augmenter les prix des DRAM, ni aucun fait substantiel ou détail à l’appui de la conclusion ou de l’existence d’un accord visant à éliminer la fourniture de DRAM. Elles ne contiennent que des affirmations catégoriques de nature juridique qui paraphrasent le libellé de l’article 45 de la Loi, la cause d’action est présentée comme s’il s’agissait d’un fait substantiel, ou des conjectures sont formulées comme s’il s’agissait de faits substantiels prouvés. Par conséquent, les demandeurs sont bien loin de plaider de manière suffisamment détaillée l’élément constitutif principal de la cause d’action soulevée.

[125]   Comme je l’ai déjà mentionné, un complot au sens de l’article 45 de la Loi exige une rencontre de volontés. Pour plaider adéquatement un complot, le demandeur doit notamment faire état de l’accord de complot conclu entre les défendeurs et de son objet ainsi que de tout comportement particulier, décrit avec clarté et précision, que chacune des parties au complot aurait adopté pour la réalisation du complot. Rien de tout cela ne ressort des affirmations générales formulées par les demandeurs dans la Déclaration.

[126]   Même à l’étape des actes de procédure, les allégations de complot exigent une certaine précision. Les allégations de complot contenues dans les affirmations générales des demandeurs reproduisent simplement le libellé de la Loi. Je conviens avec les défenderesses que le complot est plaidé de façon si générale et si générique qu’il est impossible de cerner précisément ce qui a donné lieu à la responsabilité des défenderesses et la façon dont l’accord allégué aurait pu être conclu. Il n’y a aucune allégation quant à la façon dont l’accord aurait pu se concrétiser en une élimination concertée de la fourniture de DRAM et en une augmentation de ses prix. En fait, il n’y a ni fait substantiel ni la moindre preuve (j’y reviendrai à la section IV.B ci-dessous) pour appuyer les allégations selon lesquelles la fourniture de DRAM a été éliminée, restreinte ou limitée par les défenderesses, encore moins de façon coordonnée, ce qui ne satisfait pas aux exigences des Règles quant à la formulation d’une cause d’action ni aux instructions de la C.A.F. dans l’arrêt Mancuso.

[127]   Les simples allégations ne sont pas combinées à des faits substantiels étayant l’existence possible de communications bilatérales ou d’une ligne de conduite à partir de laquelle on pourrait inférer l’existence d’un accord ou d’un complot entre les défenderesses. J’estime qu’il n’est ni gérable ni équitable pour les défenderesses d’avoir des actes de procédure comportant des allégations aussi simples et sans faits sous-jacents. Bref, les demandeurs formulent de très graves prétentions juridiques relatives à un complot illicite, et la loi exige à juste titre que de telles affirmations soient étayées par des détails et ne soient pas fondées sur de simples affirmations ou généralités.

[128]   Outre ces affirmations générales faisant état d’un complot entre les défenderesses, les demandeurs invoquent également des allégations plus précises de communications privées directes entre les défenderesses, d’échanges dans le cadre de réunions d’associations commerciales et de signaux au moyen de déclarations publiques formulées par les défenderesses. Chacune de ces allégations fera maintenant l’objet d’une analyse.

(iii)  Communications privées directes

[129]   En ce qui concerne les allégations de communications privées directes, la Déclaration ne contient qu’une seule allégation, au paragraphe 5, laquelle est répétée presque mot pour mot au paragraphe 102, selon laquelle les défenderesses [traduction] « se sont rencontrées et ont communiqué entre elles, directement et indirectement, au téléphone et en personne ». Ces paragraphes mentionnent également les réunions de diverses organisations commerciales de l’industrie, dont je traiterai dans la prochaine sous-section.

[130]   Une fois de plus, ces allégations de communications directes entre les défenderesses sont vagues, brèves et constituent des affirmations catégoriques. Je ne relève aucun fait substantiel, dans les actes de procédure eux-mêmes ou dans les documents mentionnés dans les actes de procédure, concernant les communications directes entre les défenderesses qui pourraient illustrer une rencontre de volontés. Essentiellement, les demandeurs avancent l’hypothèse, sans exposer de fait substantiel ni étayer leurs affirmations, que les défenderesses [traduction] « se sont rencontrées et ont communiqué entre elles ». Ces allégations vagues et génériques des demandeurs exigent essentiellement un acte de foi à l’égard de faits qui demeurent entièrement du domaine de la conjecture. La simple déclaration générique selon laquelle les parties au complot se sont rencontrées et ont communiqué [traduction] « au téléphone et en personne », sans plus, n’est manifestement pas suffisante pour invoquer un complot en vertu de l’article 45 ou un accord conclu au moyen de communications directes, et ne constitue pas un fait substantiel.

[131]   De plus, et je me pencherai également sur cette question à la section IV.B ci-dessous, il n’y a pas la moindre preuve au dossier à l’appui de la conjecture des demandeurs au sujet de communications directes entre les défenderesses.

(iv)  Rencontres d’associations professionnelles

[132]   Les demandeurs allèguent également que les défenderesses sont membres d’associations commerciales de l’industrie qui ont favorisé l’échange de renseignements, ont offert des occasions de communications directes et, selon les demandeurs, ont facilité le complot. Plus précisément, aux paragraphes 5, 51, 52, 71, 102 et 103 de la Déclaration, les demandeurs allèguent que les défenderesses se sont rencontrées et ont communiqué entre elles à l’occasion de rencontres prévues de différentes associations commerciales et d’organisations de l’industrie, et que les prix des DRAM ont augmenté au cours des mois ou des années qui ont suivi ces rencontres. Les demandeurs mettent l’accent sur certains événements sectoriels qu’ils décrivent au paragraphe 103 de la Déclaration.

[133]   J’estime une fois de plus que ces paragraphes sont assimilables à de simples affirmations ne permettant pas d’étayer une allégation d’accord illégal ayant pour objet d’éliminer la fourniture de DRAM ou d’en augmenter les prix. On ne décrit, dans ces paragraphes, aucune interaction suspecte ou réelle particulière entre les défenderesses lors de ces rencontres d’associations commerciales, ni d’interactions portant à croire qu’il y aurait eu conclusion d’un accord visant à limiter la fourniture de DRAM ou à augmenter les prix des DRAM. Ces paragraphes ne mentionnent aucunement le comportement des défenderesses. Il n’y a aucune allégation quant à l’objet des rencontres et des communications entre les défenderesses, pas plus que sur l’objet de l’accord intervenu entre les défenderesses à la suite de ces rencontres et communications qui auraient eu lieu dans le cadre de rencontres d’associations commerciales. Les demandeurs n’allèguent pas, et présentent encore moins de faits substantiels ou d’éléments de preuve à cet égard, démontrant que les défenderesses étaient présentes lors de rencontres « clés » précises qui auraient eu lieu et dont il est fait mention au paragraphe 103 de la Déclaration, qu’elles ont communiqué ou discuté entre elles lors de ces rencontres, qu’il y a eu des communications ou des discussions à propos de l’élimination de la fourniture de DRAM ou des prix des DRAM, ou que les défenderesses sont arrivées à une entente mutuelle ou qu’elles ont convenu de quoi que ce soit lors de ces rencontres. En outre, les demandeurs n’allèguent pas que la fourniture de DRAM a diminué après l’un ou l’autre de ces événements.

[134]   Les demandeurs n’ont rien allégué de plus que l’existence de ces rencontres d’associations commerciales ainsi que des déclarations unilatérales et indépendantes de chaque défenderesse.

[135]   Le seul fait d’être un participant de l’industrie et d’appartenir à des associations commerciales ne saurait suffire en soi à constituer un fait substantiel suffisant pour démontrer que ce participant a eu des communications avec ses concurrents à partir desquelles il est possible de déduire l’existence d’un accord et d’une coordination illicites en violation de l’article 45. Il faut bien plus à la Cour que des allégations générales portant sur l’existence et les dates de rencontres régulières d’associations commerciales et d’occasions de se réunir lors de telles rencontres, pour qu’elle puisse conclure que de telles allégations constituent des allégations légitimes concernant l’existence d’un accord de complot illicite. Il ne suffit pas de dresser une liste des rencontres prévues d’associations commerciales pour alléguer l’existence d’un accord, à plus forte raison lorsqu’il n’y a aucun fait substantiel pour confirmer l’identité des personnes présentes, l’objet des discussions et la question de savoir s’il y a eu une quelconque rencontre de volontés.

[136]   Le fait d’être membre d’associations commerciales et la participation à des rencontres commerciales aux côtés d’autres participants de l’industrie ne constituent rien de plus qu’une occasion de se rencontrer ou d’agir de concert. Or, une occasion, sans plus, ne suffit pas pour justifier une réclamation au titre de l’article 45. Comme l’ont eux-mêmes dit les demandeurs, ces rencontres d’associations commerciales n’ont offert aux participants que des occasions de se rencontrer (Déclaration, aux paragraphes 51 et 71).

[137]   Même dans le contexte d’un complot, l’obligation de formuler plus que des allégations générales, hypothétiques ou imprécises demeure, et elle doit conserver tout son sens et toute son importance. En l’espèce, les demandeurs ne formulent que des allégations générales qui se limitent à identifier les associations commerciales et les dates des rencontres régulières comme étant des endroits où les défenderesses se trouvaient ou auraient pu se trouver. Il n’y a aucun fait substantiel, qu’il soit allégué dans la déclaration ou qu’il figure dans les documents mentionnés dans les actes de procédure, indiquant que les défenderesses étaient présentes, se sont rencontrées, ont discuté ou ont convenu de quoi que ce soit. Les demandeurs n’ont rien fait d’autre que d’indiquer des endroits où les défenderesses auraient pu être présentes et se rencontrer et où une rencontre de volontés aurait pu survenir. Il s’agit là d’une conjecture. Les rencontres d’associations commerciales n’ont aucune valeur probante quant à la formation d’un complot ou ne peuvent étayer l’existence d’un accord illicite en l’absence d’une allégation de comportement inapproprié de la part des membres de ces associations commerciales. En l’espèce, les demandeurs formulent des allégations tout à fait gratuites et ne mentionnent aucune forme de comportement inapproprié de la part des défenderesses.

[138]   Il convient de souligner que les associations commerciales ont des fonctions et des objectifs tout à fait légitimes, comme fournir aux membres des renseignements sur le secteur, mener des recherches pour faire avancer des objectifs sectoriels, établir des normes sectorielles et promouvoir la demande de produits et de services. Compte tenu de tous ces objectifs valables, la présence à des événements commerciaux ne peut, en soi, laisser entendre ou permettre de déduire l’existence d’un accord anticoncurrentiel. En l’espèce, les demandeurs demandent à la Cour, par leurs prétentions, de considérer qu’une activité parfaitement légale a été utilisée pour adopter un comportement illégal, et ce, en l’absence de faits substantiels autres que l’existence d’un comportement parfaitement légal. Je ne suis pas d’accord et n’accepte pas que le fait d’être membre d’une association commerciale ou d’être présent à des rencontres d’associations commerciales, sans plus, puisse être suffisant pour fonder des allégations légitimes quant à l’existence d’un complot entre des participants de l’industrie, ou pour équivaloir à « un certain fondement factuel » quant à l’existence d’un acte répréhensible (comme je l’expliquerai ci-dessous à la section IV.B).

[139]   D’autre part, dans la mesure où les demandeurs tentent d’alléguer que les augmentations des prix des DRAM sont en corrélation avec certaines rencontres d’associations commerciales, je n’en suis pas convaincu. Ils n’ont pas allégué que les augmentations de prix des DRAM sont imputables à des communications ou à des discussions que les défenderesses ont eues au sujet de l’élimination de la fourniture de DRAM — soit la principale allégation de complot formulée par les demandeurs —, ni même des prix des DRAM. En fait, je fais remarquer que la Déclaration ne fait aucunement mention de faits substantiels se rapportant à toute forme d’échange ou de discussion entre les défenderesses concernant les prix des DRAM.

(v)   Les déclarations publiques

[140]   Les demandeurs s’appuient en outre sur leurs allégations de « signaux publics » de la part des défenderesses dans différentes déclarations faites par leurs dirigeants dans le cadre de conférences en vue de la communication des résultats financiers, de conférences pour les investisseurs et de conférences sectorielles. Ces signaux sont décrits de manière détaillée dans des dizaines de paragraphes dans la Déclaration. En fait, la réclamation des demandeurs repose en grande partie sur ces déclarations publiques des défenderesses, qui sont au cœur de la Déclaration. Elles figurent aux paragraphes 6 et 56 à 101 de la Déclaration.

[141]   Je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs à cet égard. Lorsque les allégations formulées quant aux déclarations publiques sont lues dans leur contexte — ce que la Cour est en droit de faire puisque les documents sont incorporés dans la Déclaration et font donc partie des actes de procédure — on s’aperçoit, comme l’ont fait remarquer les défenderesses, que les demandeurs ont mal cité, cité de façon sélective et présenté de façon erronée les déclarations attribuées aux défenderesses, et que les communications publiques des défenderesses n’étayent aucune allégation de complot illicite.

[142]   Les demandeurs font premièrement valoir que les « signaux » peuvent constituer une forme d’accord illicite reconnu par la jurisprudence et peuvent être assimilables à une preuve circonstancielle à partir de laquelle un tribunal peut déduire l’existence d’un accord. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne suis pas d’accord pour dire que les signaux unilatéraux constituent en soi une forme d’accord interdit aux termes de l’article 45 de la Loi. Cela ne correspond pas à l’état du droit au Canada. L’envoi de signaux n’est pas assimilable à un accord visé à l’article 45, pas plus que ne l’est le parallélisme conscient. Les signaux publics ne sont rien de plus que des renseignements communiqués unilatéralement par un participant au marché, et un tel comportement unilatéral n’est pas une cause d’action reconnue au titre de l’article 45 au Canada. Dans les dizaines de paragraphes relatifs aux exemples de signaux dans la Déclaration, on ne relève aucune allégation ni aucun fait substantiel concernant une communication bilatérale, une entente mutuelle ou une rencontre de volontés entre les défenderesses.

[143]   Dans la mesure où l’arrêt Atlantic Sugar pourrait être considéré comme une affaire portant sur les « signaux » comme l’ont fait valoir les demandeurs, la C.S.C. a clairement indiqué qu’il ne peut y avoir d’accord illicite en vertu de l’article 45 en l’absence d’une certaine forme de communication bilatérale entre les parties au complot découlant de leur comportement, comportant une offre ou une invitation ainsi qu’une certaine forme d’acceptation. La Déclaration ne comprend aucune allégation de cette nature, encore moins un fait substantiel permettant de penser qu’il y a eu des échanges ou une coordination entre les défenderesses.

[144]   Cela dit, je conviens que les demandeurs pourraient alléguer et démontrer l’existence d’un accord entre concurrents au moyen d’une preuve circonstancielle, et que le comportement public, le parallélisme conscient ou des signaux publics simultanés pourraient être utilisés conjointement avec d’autres éléments de preuve pour établir l’existence d’un accord illicite visé par l’article 45. Il s’agit des « pratiques facilitantes » mentionnées par le Bureau de la concurrence dans les Lignes directrices CC. Toutefois, les allégations de fait fondées sur une preuve circonstancielle doivent s’appuyer sur des faits substantiels permettant à la Cour d’inférer qu’il pourrait exister un accord illégitime. Autrement dit, les allégations et le fondement factuel des événements circonstanciels doivent porter sur l’établissement d’un accord et sur le comportement des parties. Les demandeurs ne peuvent simplement alléguer des changements généraux observés dans les prix sans s’appuyer sur des faits substantiels liés au comportement des défenderesses. En l’espèce, il n’y a strictement aucune allégation ni fait substantiel, et encore moins de fondement probatoire, concernant des « pratiques facilitantes » dans le comportement des défenderesses — comme le partage de renseignements de nature délicate sur le plan de la concurrence en ce qui concerne la production, la capacité ou les prix, la coordination entre les défenderesses, ou des activités facilitant la surveillance mutuelle — qui pourraient aller dans le sens d’une preuve circonstancielle d’un accord.

[145]   Deuxièmement, et plus important encore, les documents mentionnés ou paraphrasés dans les actes de procédure ne disent pas ce que les demandeurs tentent de leur faire dire dans la Déclaration, et les allégations d’accord qui en découlent ne peuvent donc pas être tenues pour avérées. Il va sans dire que la Cour ne peut tenir pour avérées des allégations qui sont manifestement inexactes ou fausses. Après en avoir effectué une lecture attentive, je conclus que les déclarations publiques sur lesquelles s’appuient les demandeurs ne présentent pas de faits substantiels à l’appui d’une allégation d’accord entre les défenderesses en vue d’éliminer la fourniture de DRAM, ni même visant à appuyer toute élimination, restriction ou limitation de l’offre de DRAM en tant que telle. En fait, dans la plupart des cas, les allégations des demandeurs découlant des déclarations publiques dénaturent ce que ces documents indiquent. Je conviens avec les défenderesses que les demandeurs ont fabriqué des allégations de complot à partir d’extraits et de documents qui n’indiquent tout simplement pas qu’un accord est intervenu entre les défenderesses ou qu’il y a eu une élimination coordonnée de la fourniture de DRAM. Les affirmations en ce sens contenues dans la Déclaration sont loin de permettre une conclusion raisonnable de collusion. Ces affirmations, qui sont toutes présentées comme reprenant ce qui a été dit lors de conférences en vue de la communication des résultats financiers ou à l’occasion de conférences sectorielles, constituent plutôt les indications des défenderesses quant à leur comportement individuel futur, des descriptions de leur propre comportement passé et leurs prévisions respectives des tendances de l’industrie.

[146]   Autrement dit, après avoir examiné les documents mentionnés dans les actes de procédure, je conclus que les extraits et les documents invoqués par les demandeurs ne suggèrent pas l’existence d’un complot, et que les affirmations des demandeurs qui sont censées résumer leur contenu dénaturent les faits pour qu’ils donnent l’impression qu’il y a un complot. Les demandeurs inventent essentiellement dans la Déclaration un scénario fictif d’intention, de communications et de coordination entre les défenderesses dont ne font pas foi les documents que les demandeurs prétendent paraphraser. Je ne relève ni fait substantiel ni fondement probatoire à l’appui de l’existence éventuelle d’un accord, d’une rencontre de volontés ou d’une entente mutuelle entre les défenderesses. Je ne relève non plus aucune allégation d’actes manifestes de la part des défenderesses qui pourraient donner à penser qu’il y a eu une forme quelconque de communication bilatérale ou de ligne de conduite dont on pourrait raisonnablement déduire l’acceptation d’une offre. Il n’y a que des extraits montrant l’état d’esprit et la réflexion de chacune des défenderesses. Dans les extraits et les documents sur lesquels s’appuient les demandeurs, chaque défenderesse expose et explique la politique et l’approche qui lui sont propres, en fonction de ce que font les autres. Il s’agit d’exemples faisant état d’une industrie concurrentielle à l’œuvre, dans laquelle les concurrents suivent ce qui se passe sur le marché et en sont conscients. On ne saurait tirer une inférence quant à l’existence d’un accord par ailleurs illicite en s’appuyant sur l’observation d’un intervenant de l’industrie selon laquelle sa conception de l’industrie n’est pas très différente de celle des autres joueurs (voir, par exemple, les déclarations de Micron dans la Déclaration, aux paragraphes 91 et 92).

[147]   En résumé, aucune des déclarations sur lesquelles se fondent les demandeurs ne donne à penser qu’une défenderesse avait conclu un accord illicite avec ses concurrents, que ce soit concernant la fourniture de DRAM ou ses prix. Au contraire, elles relatent des actes unilatéraux concernant l’offre de chaque défenderesse, sans intention explicite ou implicite de l’éliminer ou de la limiter, ni de partager des renseignements confidentiels sur la fourniture de DRAM. Le comportement et les déclarations des défenderesses sont plutôt compatibles avec un comportement unilatéral légal et un parallélisme conscient. Le fait de formuler des observations à propos du comportement d’autres concurrents ou de l’état du marché n’est pas une indication d’un complot ou d’un accord.

[148]   Je constate en outre que les commentaires ont été formulés par les défenderesses dans des contextes relativement publics, par exemple lors de conférences pour les investisseurs, de conférences en vue de la communication des résultats financiers et de conférences sectorielles, principalement en réponse aux questions des investisseurs et en réponse aux préoccupations ou aux sujets soulevés par ces derniers, ainsi qu’à l’occasion de discours et de présentations destinés à des groupes de l’industrie. Il s’agit du type de renseignements que les sociétés communiquent légitimement à leurs actionnaires.

[149]   Je me pencherai maintenant sur les affirmations plus précises formulées dans la Déclaration et qui étayent les allégations des demandeurs fondées sur les déclarations publiques. Les demandeurs formulent de nombreuses allégations au sujet de ce qu’ils appellent un [traduction] « consensus de l’industrie » (Déclaration, aux paragraphes 74, 83, 90, 91, 92, 94, 97 et 101), en s’appuyant sur des documents émanant des défenderesses. Le mot « consensus » suppose l’existence d’un accord général largement reconnu. Je soupçonne que c’est la raison pour laquelle les demandeurs l’ont choisi. Cependant, les déclarations publiques contenues dans les actes de procédure, les citations particulières mentionnées par les demandeurs ainsi que les documents eux-mêmes n’emploient pas le terme « consensus ». On n’y fait aucune mention d’un consensus de l’industrie. Au lieu de cela, on comprend simplement à leur lecture que les défenderesses ont fait preuve de cohérence dans leurs approches indépendantes respectives et que chacune d’elles s’harmonisait avec le reste de l’industrie. Le fait d’être cohérent avec les autres intervenants ne peut être assimilé à un « consensus de l’industrie », et n’indique certainement pas une forme quelconque d’accord ou de coordination. À mon avis, la description que font les demandeurs des déclarations, à savoir représentent un « consensus » convenu, ou pourraient éventuellement le faire, est à la fois inexacte et trompeuse.

[150]   Au contraire, certaines défenderesses ont expressément nié l’existence de tout accord et même de toute communication entre elles concernant la fourniture de DRAM dans les extraits mentionnés par les demandeurs aux paragraphes 76 et 90 de la Déclaration.

[151]   Pour éviter tout malentendu, lorsque je dis « trompeuse », je ne veux pas laisser entendre que les demandeurs ou leurs avocats avaient délibérément l’intention de tromper la Cour dans la Déclaration. Les allégations des demandeurs sont trompeuses en ce que, dans un effort manifeste pour satisfaire aux exigences de l’article 45 et illustrer l’apparence de complot illicite, les demandeurs ont fini par donner une description erronée des faits.

[152]   Les demandeurs présentent aussi plusieurs allégations concernant une [traduction] « intention de limiter la fourniture de DRAM » (Déclaration, aux paragraphes 69, 75 et 84) et un [traduction] « engagement » en vue d’éliminer, de restreindre ou de limiter la fourniture de DRAM (Déclaration, aux paragraphes 6, 76, 77, 79, 85, 86, 88, 93 et 96) de la part des défenderesses. L’utilisation par les demandeurs des mots [traduction] « intention » et [traduction] « engagement » fait manifestement allusion à l’état d’esprit des défenderesses. Après avoir examiné les allégations et les documents auxquels on réfère, je conclus qu’il s’agit encore une fois d’une description inexacte et trompeuse de ce que les défenderesses ont réellement dit dans les divers documents. Les affirmations contenues dans les actes de procédure, les citations mentionnées par les demandeurs et les documents eux-mêmes ne font jamais référence à un « engagement » commun à faire quoi que ce soit ni à une « intention » de limiter l’offre. Ils ne disent pas non plus que la fourniture de DRAM a été intentionnellement éliminée, restreinte ou limitée par les défenderesses. Au contraire, les documents cités indiquent qu’il y aura une certaine croissance de la fourniture de DRAM, mais qu’elle sera moins rapide que la croissance prévue de la demande, et que l’offre sera inférieure à la demande du marché. Une situation d’offre insuffisante est loin d’être une situation d’élimination, de restriction ou de limitation de la fourniture du produit. À mon avis, les déclarations publiques sur lesquelles les demandeurs disent s’appuyer ne présentent pas de faits substantiels qui corroboreraient l’existence d’un accord entre les défenderesses visant à limiter la fourniture de DRAM, d’une « intention » ou d’un « engagement » de leur part à le faire, ou même de toute forme d’élimination, de restriction ou de limitation de l’offre.

[153]   J’ajouterais qu’il existe une différence fondamentale entre remarquer, et déclarer qu’il y aura, une [traduction] « croissance inférieure de l’offre », comme les défenderesses l’ont effectivement dit dans leurs déclarations publiques et dans leurs documents, et présenter ces références comme une [traduction] « intention de ralentir » la croissance de la fourniture de DRAM, comme les demandeurs le font dans leur Déclaration. En fait, dans leur Déclaration, les demandeurs ont transformé ce qui était un adjectif utilisé par les défenderesses pour qualifier leur croissance respective prévue de la fourniture de DRAM (c.àd. [traduction] « une croissance inférieure de l’offre ») en un verbe actif (c.àd. [traduction] « ralentir la croissance de l’offre »), dans une tentative évidente d’imputer aux défenderesses une intention qui n’apparaît tout simplement pas dans ces documents et qui ne peut être déduite de ceux-ci. Des allégations fausses, manifestement incorrectes ou incohérentes lues à la lumière des documents dont elles sont censées découler ne présentent pas des faits substantiels et ne peuvent pas être présumées véridiques, car elles n’ont aucune valeur probante. C’est le cas en l’espèce en ce qui concerne les nombreuses allégations faites par les demandeurs sur la base de déclarations publiques.

[154]   Je conclus que les documents mentionnés par les demandeurs dans les actes de procédure font plutôt état de décisions et d’annonces unilatérales de chaque défenderesse concernant ses propres activités, sans aucune déclaration indiquant l’expression d’un accord ou d’une invitation quelconque faite aux autres concurrents en ce qui a trait à la fourniture de DRAM ou à ses prix.

[155]   Par exemple, Samsung parlait de l’accent mis sur la rentabilité (paragraphe 66 de la Déclaration), de ses attentes quant à l’augmentation de la fourniture de DRAM (paragraphe 69), de sa propre fourchette de croissance des « bits » (c.-à-d. les DRAM) (paragraphes 75 et 100), son accent mis non pas sur l’augmentation de sa propre part de marché, mais sur la maximisation des profits (paragraphes 78 et 95) et du fait qu’elle n’avait pas l’intention d’ajouter de la capacité (paragraphe 89).

[156]   Micron parlait de son propre [traduction] « avenir dans lequel aucune capacité supplémentaire de production de plaquettes de DRAM ne sera nécessaire » (paragraphe 65) et du fait qu’elle ne mettait pas l’accent sur la part de marché (paragraphe 68). La société parlait aussi de son propre plan de croissance des « bits » (paragraphes 76 et 77), de son niveau de croissance de l’offre (paragraphe 79), de l’augmentation de son offre de « bits » par rapport au niveau prévu de la demande (paragraphe 83), de ses plans selon lesquels elle n’ajouterait pas de plaquettes de DRAM (paragraphe 86), de son plan de croissance de l’offre dans une fourchette inférieure à la demande du marché et du fait qu’elle ne prévoyait pas d’augmentation de capacité (paragraphe 87), et son point de vue selon lequel la croissance des « bits » au sein de l’industrie était modérément inférieure à la demande du marché (paragraphes 93, 96 et 98).

[157]   Pour sa part, SK Hynix mentionnait sa propre croissance des « bits » (paragraphe 75), ses plans de croissance de 20 p 100 de l’expédition de « bits » de DRAM, ce qui est comparable avec le marché (paragraphes 85 et 94), ses prévisions de croissance de l’offre (paragraphe 88), son avis selon lequel la croissance des bits allait s’aligner avec le marché en 2018 (paragraphe 99), et le fait qu’elle avait elle-même augmenté sa capacité de production de plaquettes pour répondre à la demande croissante (paragraphe 117). Je conviens avec SK Hynix qu’aucun des paragraphes particuliers de la Déclaration faisant référence à des déclarations publiques faites par la défenderesse ne contient de faits substantiels pouvant appuyer les allégations présentées. Qu’il s’agisse de citations directes ou de paraphrases, elles ne reflètent pas ce qui est dit dans les documents d’où elles sont tirées. Rien ne peut confirmer l’existence d’un accord, quelle que soit sa forme, ni attester que cet accord a été confirmé ou renouvelé. Je ne trouve aucune discussion ou affirmation d’une intention de limiter la fourniture de DRAM ou d’un engagement pris à cet égard, ni de limitation réelle de l’offre, dans les documents venant de SK Hynix. Au contraire, les déclarations de SK Hynix font référence à la croissance de l’offre et à l’augmentation de sa fourniture de DRAM. Maintes déclarations sont faites au sujet du taux de croissance des expéditions de « bits » de SK Hynix, de son intention d’accroître sa part de marché et de répondre à la demande de DRAM sur le marché, et de son intention d’accroître sa capacité de production et sa fourniture de DRAM. En fait, les déclarations publiques de SK Hynix disent le contraire des propos que les demandeurs lui attribuent.

[158]   Ainsi, je conclus que, à bien des égards, les allégations des demandeurs relatives aux déclarations publiques constituent une distorsion troublante de ce qu’indiquent réellement les documents des défenderesses et ne peuvent pas être admises comme étant véridiques. Les déclarations publiques ne permettent pas de déduire ou de démontrer qu’un accord entre les défenderesses a été conclu. Les documents n’appuient aucune des allégations de restriction de l’offre. Ils ne font pas état d’agissements en vue d’un complot. Ils font plutôt état d’une conduite qui va dans le sens d’un comportement commercial unilatéral et indépendant. Selon les documents sur lesquels les demandeurs se sont fondés, la réalité est que, au cours de la période visée par le recours collectif, les défenderesses ont augmenté leur fourniture de DRAM, et que telle était leur intention, bien que la fourniture de DRAM ait augmenté moins rapidement que la demande du marché. Une fois de plus, une situation où la croissance de l’offre accuse du retard par rapport à la croissance de la demande est très différente de la situation alléguée où il y a une intention de « limiter » ou de restreindre l’offre, ou un engagement à cet égard. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas exposé de faits substantiels à l’appui de leurs allégations selon lesquelles les défenderesses ont planifié ensemble de limiter la fourniture de DRAM en deçà de la demande du marché. Aucun fait substantiel ne permet de croire que les défenderesses ont communiqué de façon collusoire avant de prendre leurs décisions respectives en matière d’offre, ni qu’il s’agissait d’un complot illégal.

[159]   Dans le même ordre d’idées, les seules allégations concernant les accords visant à augmenter les prix des DRAM sont les affirmations catégoriques figurant aux paragraphes 129 et 135 de la Déclaration, lesquelles ne reposent sur aucun fait substantiel. Je souligne qu’on ne fait aucune mention des prix des DRAM, encore moins de signaux relatifs aux prix ou d’un accord sur les prix, dans les dizaines de paragraphes de la Déclaration portant sur les déclarations publiques des défenderesses et dans les documents de ces dernières invoqués par les demandeurs.

[160]   À l’audience, l’avocat des demandeurs a insisté sur le fait que, à l’étape de l’autorisation, je ne devrais pas me livrer à une appréciation de la valeur de la preuve. Je ne le conteste pas. Je souligne toutefois que l’examen effectué ci-dessus des déclarations publiques et des allégations des demandeurs à cet égard n’est pas assimilable à un exercice d’interprétation de la preuve ou d’appréciation de la valeur de la preuve invoquée par les demandeurs dans leur Déclaration. Par cet examen, la Cour cherche plutôt à faire observer que, à la simple lecture des documents dont elle dispose, il est manifeste que les allégations formulées par les demandeurs dénaturent ou paraphrasent de manière erronée le contenu des déclarations publiques des défenderesses, sur lesquelles repose précisément la demande des demandeurs.

[161]   L’action unilatérale d’un défendeur ne devient pas collusoire simplement du fait qu’une autre action unilatérale semblable d’un concurrent l’a précédée ou suivie. Il ne suffit pas de montrer qu’il existe un comportement parallèle pour étayer une allégation de complot et supposer qu’un accord est à l’origine d’un tel comportement. Les annonces publiques indépendantes faites par un concurrent sur l’augmentation prévue de la fourniture d’un produit ne peuvent être transformées en une invitation à comploter ou à éliminer l’offre ni en un signal à cet effet, simplement parce qu’elles coïncident avec certaines augmentations du prix du produit, sans lien avec toute élimination de l’offre. Il ne s’agit pas d’une situation où il y a eu des invitations implicites à la collusion ou des déclarations sur les mesures que devaient prendre les concurrents en ce qui concerne la réduction de l’offre et de la capacité, ni dans laquelle un défendeur a fait part de sa volonté de limiter l’offre ou de réduire sa capacité si les autres défendeurs faisaient la même chose, ni dans laquelle il a été proposé de travailler de concert. Dans la présente affaire, je conclus qu’aucun comportement ou acte des défenderesses ne permet d’inférer l’existence d’un complot ou d’un accord illégal.

(vi)  Les complots et l’affaire Crosslink

[162]   Les demandeurs soutiennent que l’insuffisance de détails et de faits substantiels concernant les arrangements secrets des défenderesses est un moyen de défense contre l’autorisation qui a souvent été rejeté par les tribunaux, car [traduction] « ce qui peut être plaidé par les demandeurs dépend, bien entendu, de l’étendue des renseignements dont ces demandeurs pourraient raisonnablement disposer » (Watson CA, au paragraphe 133; Crosslink 1, au paragraphe 76).

[163]   Il est vrai que, dans les affaires de complot, les tribunaux ne peuvent établir une norme pratiquement impossible à satisfaire pour les demandeurs car, de par leur nature, les complots sont secrets, et les détails d’un complot se trouvent essentiellement entre les mains des parties au complot (Crosslink 1, au paragraphe 27; Mancinelli, au paragraphe 173). Je reconnais aussi que, à l’étape de l’autorisation, je suis tenu d’interpréter libéralement les actes de procédure, compte tenu notamment du manque d’accès des demandeurs à l’étape des actes de procédure à des documents importants ainsi qu’aux renseignements qui peuvent être obtenus à l’interrogatoire préalable. J’admets également qu’il s’agit d’un élément qui revêt une pertinence particulière dans les actes de procédure relatifs à un complot, étape où les demandeurs méconnaissent inévitablement le comportement reproché et où les éléments de preuve sont entre les mains et dans les esprits des personnes soupçonnées de complot.

[164]   Cependant, le fait de se montrer libéral à l’égard des actes de procédure ne veut pas dire qu’il faille faire preuve d’aveuglement concernant ce qu’ils ne contiennent pas. Même dans les affaires de complot, les actes de procédure ne peuvent se résumer à de simples conjectures ou reposer sur une recherche à l’aveuglette. Une allégation de complot doit tout de même présenter des faits substantiels et des détails suffisants à son appui. Ces faits comprennent les parties au complot, leur relation, l’accord qu’elles ont conclu, l’objet du complot, tout acte manifeste visant à exécuter le complot ainsi que tout dommage subi par le demandeur (Prokuron, aux paragraphes 28 et 29; Mancinelli, aux paragraphes 142 et 143). Un demandeur n’a pas l’obligation de prouver ses prétentions dans la déclaration, mais il doit néanmoins exposer les faits substantiels à l’appui des éléments constitutifs de la demande présentée.

[165]   Selon ma lecture et mon interprétation, la Déclaration repose sur une recherche à l’aveuglette en ce qui concerne son allégation de complot illégal. On n’y énonce ni faits substantiels ni détails sur les communications, la coordination et l’accord qu’auraient conclu les défenderesses, sur l’objet ou le but d’un tel accord ou sur des actes manifestes qui auraient été commis dans le cadre du complot (par exemple, l’utilisation d’une forme de communication pour coordonner et échanger des renseignements confidentiels sur l’offre, la capacité et la production). En d’autres mots, bien que la Déclaration décrive les parties au complot allégué et leur relation ainsi que le préjudice ou les dommages allégués, elle ne contient aucun fait substantiel concernant le comportement ou la conduite prétendument concertés des défenderesses.

[166]   Dans leurs observations formulées devant la Cour, les demandeurs ont mentionné à maintes reprises l’affaire Crosslink, en plus d’insister sur le fait que les allégations de complot (et le fondement probatoire) y ont été jugées suffisantes pour satisfaire aux conditions d’autorisation. Ils ont invité la Cour à dresser un parallèle avec la présente espèce et ont soutenu que je devrais adopter le même raisonnement, puisque les faits et les allégations dans les deux affaires étaient en grande partie semblables. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[167]   Dans l’affaire Crosslink, les demandeurs avaient présenté une requête en autorisation d’un recours collectif envisagé relatif à un complot de fixation des prix. Le juge Rady, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a accueilli la requête et a autorisé le recours collectif. En ce qui concerne la première étape du critère concernant l’autorisation, le juge Rady a conclu que, bien que [traduction] « peu détaillés », on alléguait dans les actes de procédure des faits suffisants [traduction] « pour fonder la cause de l’action sur l’existence d’un complot » (Crosslink 1, au paragraphe 76). Le juge Rady a conclu que, puisque les demandeurs avaient exposé dans leur acte de procédure [traduction] « une description des parties et de leurs relations, l’accord des défenderesses en vue de comploter, le but du complot, les actes manifestes commis pour exécuter le complot et le préjudice qui en découlait », cela était suffisant pour que la Cour puisse conclure que l’acte de procédure était adéquat (Crosslink 1, au paragraphe 77).

[168]   Dans l'affaire Crosslink, les actes de procédure, qui avaient été qualifiés de « peu détaillés » en ce qui a trait au complot, contenaient néanmoins plusieurs allégations concernant la manière dont les défenderesses auraient accepté de fixer les prix des produits en cause, l’objet de l’accord ainsi que certains actes manifestes commis par les parties au complot. Ces allégations comprenaient plusieurs exemples du comportement des concurrents, comme le fait d’avoir accepté de procéder à [traduction] « des augmentations de prix coordonnées », [traduction] « [d’]attribuer [entre elles] les volumes de ventes, les clients et les marchés » et de [traduction] « s’abstenir de soumissionner ou de soumettre des offres intentionnellement élevées, complémentaires et non concurrentielles pour des contrats de fournitures […] particuliers », d’avoir échangé [traduction] « des renseignements concernant les prix et les volumes de ventes » des produits [traduction] « dans le but de surveiller et de faire respecter les prix, les volumes de ventes et les marchés convenus », d’avoir donné pour directive aux [traduction] « membres du complot de ne pas divulguer l’existence du complot » et d’avoir pris [traduction] « des mesures actives pour dissimuler le complot illégal à leurs clients, aux autorités et au public » et sanctionner [traduction] « toute société qui ne s’est pas conformée au complot » (Crosslink 1, au paragraphe 75).

[169]   Ce n’est pas le cas en l’espèce, et les allégations des demandeurs sont loin d’offrir un niveau semblable de précision sur le comportement des défenderesses. Les faits qui sous-tendent la cause des demandeurs sont très différents du contexte factuel de l’affaire Crosslink. En comparant les allégations faites dans l’affaire Crosslink à ce que les demandeurs ont présenté en l’espèce, je ne relève pas d’allégations aussi détaillées concernant le comportement des défenderesses et la manière dont elles ont accepté de limiter la fourniture de DRAM ou ont pris des mesures coordonnées pour exécuter un quelconque accord. On n’y retrouve que des allégations vagues et générales selon lesquelles les défenderesses ont conclu un accord grâce à un échange de renseignements sur la fourniture de DRAM et sur les prix, de communications privées et de signaux en ayant recours à des moyens accessibles au public.

[170]   À l’audience, l’avocat des demandeurs a fait valoir que ses clients avaient présenté plus de détails dans leurs actes de procédure que ceux dans l’affaire Crosslink, qu’ils avaient indiqué les lieux où les défenderesses se sont rencontrées, les heures de ces rencontres, l’identité des personnes présentes, l’objet des discussions, le comportement qui traduit l’existence d’un accord, la formation de cet accord et la façon dont il a été suivi. En toute déférence, je ne suis pas d’accord et je conclus plutôt que les actes de procédure des demandeurs sont loin de contenir le niveau de détail et de faits substantiels invoqué.

[171]   Je souligne que les allégations formulées dans l’affaire Crosslink ont été jugées être à la limite de l’acceptable et considérées comme [traduction] « peu détaillées ». Les allégations des demandeurs sont encore plus limitées en l’espèce. Il n’y a que des allégations de décisions unilatérales prises par chaque défenderesse. Je ne suis pas convaincu qu’une observation selon laquelle plusieurs concurrents ont adopté un comportement semblable, sans plus, constitue un fait substantiel appuyant une allégation de comportement coordonné. Agir de façon cohérente et agir de concert sont deux comportements très différents. Pour tous ces motifs, l’affaire Crosslink est différente de celle qui nous occupe en raison des faits et n’étaye pas la position des demandeurs.

(vii)  Conclusion sur l’article 45

[172]   Vu ce qui précède, je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une cause d’action valable au titre de l’article 45, puisque les actes de procédure sont insuffisants quant à l’élément constitutif principal du comportement répréhensible allégué, à savoir l’existence possible d’une entente entre les défenderesses. En l’absence d’allégations appropriées sur le complot allégué, l’action des demandeurs est vouée à l’échec puisqu’elle comporte un vice fondamental. Autrement dit, j’estime qu’il est évident et manifeste que les allégations des demandeurs formulées dans la Déclaration n’exposent pas adéquatement un complot.

[173]   Je suis conscient du fait que le critère de la cause d’action valable est peu exigeant. Cependant, il ne saurait être aussi faible que le voudraient les demandeurs. Une interprétation libérale des actes de procédure ne veut pas dire que la Cour doit se montrer complaisante et insérer dans les actes de procédure l’élément constitutif principal de l’acte répréhensible allégué alors qu’il n’y figure manifestement pas. La Cour ne peut pas établir de liens lorsque les liens n’existent pas. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une question d’imperfection ou d’un manque de clarté des actes de procédure, mais d’une situation caractérisée par l’absence de faits substantiels à l’appui des allégations des demandeurs concernant un accord illicite.

[174]   Si des actes de procédure comme la Déclaration déposée en l’espèce pouvaient suffire pour satisfaire au critère de la cause d’action valable et pour autoriser un recours collectif en matière de droit de la concurrence visant un complot fondé sur l’article 45, cela voudrait essentiellement dire que les demandeurs canadiens pourraient déposer des recours collectifs en invoquant la simple observation de décisions parallèles en matière de prix ou d’offre prises par des concurrents, ou d’augmentations simultanées de prix d’une certaine ampleur et en présentant une affirmation vague et conjecturale selon laquelle les concurrents dans l’industrie doivent avoir comploté pour arriver à ces effets, sans plus. Autrement dit, si je considérais que les allégations des demandeurs sont suffisantes pour étayer une cause d’action relative à un complot visé par l’article 45, cela signifierait que la présentation de quelques faits sur l’apparence d’effets anticoncurrentiels réels ou possibles (comme des augmentations de prix d’un produit) et le simple fait de prononcer le mot « complot » dans une allégation suffiraient à déclencher une action en dommages-intérêts fondée sur les articles 36 et 45 de la Loi, et ce, même en l’absence de faits substantiels relatifs à un quelconque accord entre les personnes soupçonnées de complot ou au comportement de ces dernières. Selon moi, cela aurait pour effet de dénaturer l’article 45 de la Loi et de dépouiller cette disposition fondamentale de la Loi de ce qui constitue maintenant son élément le plus essentiel et central, à savoir le comportement des personnes qu’on soupçonne d’avoir comploté.

b)    Article 46

[175]   En ce qui concerne l’article 46, les allégations des demandeurs se limitent aux quatre paragraphes suivants de la Déclaration :

[traduction]

•    [18]      […] La direction de Samsung Electronics Co., Ltd. a expressément ordonné à Samsung Semiconductor, Inc. et Samsung Electronics Canada Inc. de participer au complot illicite visant à éliminer la fourniture de DRAM et à augmenter ses prix […]

•    [22]      […] La direction de SK Hynix, Inc. a expressément ordonné à SK Hynix America, Inc. de participer au complot illicite visant à éliminer la fourniture de DRAM et à augmenter ses prix […]

•    [26]      […] La direction de Micron Technology, Inc. a expressément ordonné à Micron Semiconductor Products, Inc. de participer au complot illicite visant à éliminer la fourniture de DRAM et à augmenter ses prix […]

•    [136]    Les défenderesses ont appliqué une directive, une instruction, un énoncé de politique ou une autre communication provenant de l’étranger, laquelle communication avait pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’étranger qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45 de la Loi sur la concurrence.

[176]   Les demandeurs font également valoir qu’en renvoyant aux ventes mondiales de DRAM des défenderesses, ils ont adéquatement allégué que les défenderesses réalisent des ventes au Canada.

[177]   Une lecture objective de la Déclaration mène à conclure que les allégations des demandeurs relatives à l’article 46 sont brèves et comportent des affirmations catégoriques, et sont essentiellement assimilables à une simple énonciation du libellé de la disposition. Comme pour leur demande fondée sur l’article 45, je conclus que les demandeurs n’ont pas allégué de faits substantiels ou de détails relativement à l’un ou l’autre des éléments requis pour une demande fondée sur l’article 46. Dans les paragraphes reproduits ci-dessus, on allègue simplement que chacune des défenderesses a appliqué une directive étrangère pour donner effet à un complot qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45 de la Loi. De telles affirmations catégoriques comportent des lacunes fatales et sont nettement insuffisantes pour révéler une cause d’action valable en vertu de l’article 46, car les demandeurs ne présentent aucun détail sur les principaux éléments constitutifs des directives étrangères alléguées. Les allégations limitées formulées par les demandeurs ne sont rien de plus que de simples assertions et affirmations catégoriques de nature juridique, et ne satisfont pas aux exigences des règles 174 et 181, confirmées par la jurisprudence de la C.A.F. La simple reprise du libellé de la Loi dans l’espoir que des faits surgiront un jour ne constitue pas un exposé de faits substantiels.

[178]   Comme je l’ai déjà indiqué, les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 46 comprennent les éléments de l’infraction de complot prévue à l’article 45 ainsi que les suivants : (i) une personne morale qui exploite une entreprise au Canada; (ii) qui applique une directive, une instruction, un énoncé de politique ou autre communication (iii) d’une personne au Canada en mesure de diriger ou d’influencer les politiques de la personne morale; (iv) lorsque la directive, l’instruction, l’énoncé de politique ou la communication a pour objet de donner effet à un complot intervenu à l’étranger qui constituerait une infraction visée à l’article 45. Outre répéter ou paraphraser le libellé de l’article 46, la déclaration ne présente aucun fait substantiel concernant des directives étrangères données par l’une des défenderesses ou la façon dont ces directives étrangères auraient pu être données pour faire appliquer un accord conclu à l’étranger.

[179]   Il s’agit une fois de plus d’une situation où les allégations ne reposent sur aucun fait particulier propre à l’affaire, sont assimilables à de simples assertions et des affirmations catégoriques de nature juridique fondées sur une conjecture, et équivalent à une recherche à l’aveuglette [Merchant, au paragraphe 34; Das CA, au paragraphe 74]. On ne saurait tenir pour avérées des déclarations juridiques aussi vagues, imprécises et générales, car elles ne sont pas suffisamment détaillées et elles sont conjecturales. L’absence de faits substantiels et de détails fait en sorte que le fondement de la Déclaration ne suffit pas à étayer les allégations formulées quant à un comportement répréhensible visé par l’article 46. Ces lacunes sont suffisamment importantes pour que la Cour conclue qu’il est évident et manifeste que la déclaration ne divulgue aucune cause d’action valable au titre de l’article 46.

4)    Conclusion

[180]   Pour l’ensemble des motifs énoncés ci-dessus, je conclus que les demandeurs ne satisfont pas à l’exigence relative à la cause d’action valable des requêtes en autorisation. Après examen des actes de procédure dans leur intégralité ainsi que de l’ensemble des circonstances, je conclus que la Déclaration des demandeurs ne cerne pas les questions avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction.

[181]   Les demandeurs ont fait valoir que, dans l’éventualité où j’en viendrais à la conclusion que leurs allégations comportent des lacunes et ne révèlent aucune cause d’action valable, je devrais les autoriser à modifier leur Déclaration. Je ne conteste pas le principe : lorsqu’un acte de procédure souffre de carences rédactionnelles, ne satisfait pas aux exigences relatives à une cause d’action valable et ne fournit pas les détails requis pour appuyer une cause d’action, l’autorisation de le modifier est habituellement accordée, sauf s’il est évident et manifeste que les vices ne peuvent être corrigés par une modification (Enercorp, au paragraphe 27; Collins c. Canada, 2011 CAF 140, au paragraphe 26; Simon c. Canada, 2011 CAF 6, [2011] 1 R.C.F. F-17, au paragraphe 8; Pelletier c. Canada, 2020 CF 1019 (Pelletier 2020), au paragraphe 60; Pelletier c. Canada, 2016 CF 1356, au paragraphe 28). Une demande ne sera radiée sans autorisation de la modifier que lorsque l’on considère qu’il « ne peut pas être remédié à ses défauts » et lorsque « toute modification est simplement impossible » (Baird c. Canada, 2007 CAF 48, au paragraphe 3). Cependant, si la modification de l’acte de procédure ne donnerait lieu qu’à une autre requête en radiation fructueuse pour cause d’absence de fondement juridique, la modification devrait être refusée (Pelletier 2020, au paragraphe 62, citant Carom v. Bre-X Minerals Ltd. (1998), 41 O.R. (3d) 780, [1998] O.J. no 4496 (QL) (Div. gén.)). Un vice peut être incurable s’il y a absence de fait révélant une cause d’action (Enercorp, au paragraphe 27).

[182]   Dans l’arrêt Jost, la C.A.F. nous a récemment rappelé que, étant donné l’interprétation libérale qu’il convient d’avoir à l’égard des lois relatives à une autorisation de recours collectif, « l’autorisation de modifier un acte de procédure dans le cadre d’un recours collectif proposé ne sera refusée que dans les cas les plus notoires, où il est évident et manifeste qu’aucune cause d’action défendable n’est possible selon les faits allégués et où il n’y a aucune raison de croire que la partie pourrait mieux défendre sa cause au moyen d’une modification » (Jost, au paragraphe 49). La Cour a de fait reconnu dans certaines affaires où elle était saisie de requêtes en autorisation que l’autorisation de modifier les actes de procédure devrait être accordée afin de corriger des carences rédactionnelles (voir, par exemple, Nation Crie Poundmaker c. Canada, 2017 CF 447, [2018] 1 R.C.F. F-6, au paragraphe 25; Sivak c. Canada, 2012 CF 272, aux paragraphes 1 et 94).

[183]   En l’espèce, je n’ai pas à trancher la question de savoir si l’autorisation de modifier devrait être accordée, car la requête des demandeurs n’est pas rejetée uniquement pour le premier volet du critère relatif à l’autorisation, qui concerne la cause d’action valable. Comme on le verra dans la section suivante des présents motifs, où on passera des faits présumés aux éléments de preuve présentés à l’appui de la requête en autorisation, les demandeurs ne satisfont pas au critère relatif aux points communs car, selon la norme de preuve reposant sur un certain fondement factuel, ils ne parviennent pas à démontrer que les points communs envisagés à l’égard des actes répréhensibles qui seraient visés par les articles 45 et 46 existent réellement. Cela signifie qu’il serait inutile d’accorder aux demandeurs l’autorisation de modifier leurs actes de procéder afin de présenter une nouvelle demande d’autorisation.

B.    Alinéa 334.16(1)c) des Règles : Points de droit ou de fait communs

[184]   Je me pencherai maintenant sur l’exigence voulant que les demandeurs démontrent, selon un certain fondement factuel, que les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, peu importe si ces points communs sont prédominants par rapport aux points touchant uniquement les membres individuels.

[185]   Les demandeurs demandent à la Cour d’autoriser le recours collectif en l’espèce sur le fondement de six points communs. Les premier et deuxième points communs se rapportent à l’existence et à la portée du complot allégué et de la responsabilité des défenderesses aux termes des articles 45 et 46 de la Loi. Les troisième et quatrième points communs portent sur des allégations de pertes et de dommages découlant des actes répréhensibles allégués. Les deux derniers points communs concernent des points supplémentaires liés aux intérêts et aux coûts d’enquête. Les demandeurs font valoir que les points communs liés au complot, incluant la question de savoir si les défenderesses ont commis une infraction visée aux articles 45 ou 46 de la Loi, [traduction] « dépendent exclusivement du comportement des défenderesses » et [traduction] « peuvent être tranchés sans référence aux circonstances individuelles des membres du groupe » (Crosslink 2, au paragraphe 51). Ils font valoir que les allégations concernant le comportement des défenderesses constituent des éléments importants de la réclamation de chaque membre du groupe et qu’elles feront avancer chaque réclamation, et qu’elles satisfont donc à l’exigence relative aux points communs. Les demandeurs affirment que les tribunaux ont toujours autorisé les recours collectifs présentant des questions semblables concernant l’existence et la portée d’un complot (Shah, aux paragraphes 260 à 267; Airia, au paragraphe 130; Crosslink 2, au paragraphe 51; Fanshawe, aux paragraphes 24 et 43; Irving Paper, au paragraphe 114). Ils s’appuient sur les éléments de preuve qui suivent pour démontrer l’existence d’un certain fondement factuel pour leurs points communs : (i) une enquête réglementaire qu’aurait menée le gouvernement chinois (c.-à-d. l’enquête de la Chine); (ii) des restrictions de l’offre et des augmentations de prix coordonnées pendant la période visée par le recours collectif; (iii) les communications privées alléguées et les déclarations publiques par les défenderesses; (iv) les admissions faites par les défenderesses concernant leur participation à un complot antérieur concernant les DRAM. Ils ont également mentionné la plainte américaine modifiée et les rapports Singer.

[186]   Je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs et je conclus plutôt que ces derniers n’ont pas réussi à présenter un fondement factuel de nature à soutenir l’existence d’un complot et qu’il n’existe par conséquent aucun fondement factuel pour satisfaire à l’exigence relative aux points communs. Je partage l’avis des défenderesses selon lequel les éléments de preuve présentés ne parviennent pas à établir un certain fondement factuel pour le complot allégué visant à éliminer la fourniture de DRAM. Par ailleurs, les demandeurs ont aussi omis de présenter un fondement probatoire pour étayer leur prétention fondée sur l’article 46 de la Loi selon laquelle les défenderesses ont appliqué une directive étrangère, ou une directive de sociétés qui étaient ou auraient pu être les destinataires de ces prétendues directives. Par conséquent, je conclus que les points communs proposés à l’égard du comportement et de la responsabilité ne peuvent être autorisés. Ainsi, aucun des autres points communs proposés relativement aux pertes, aux dommages ou aux paiements découlant des actes répréhensibles allégués ne peut être autorisé.

1)    L’exigence relative aux questions communes

[187]   L’existence de questions communes à trancher est un élément central des recours collectifs.

a)    Principes généraux

[188]   Pour qu’une question soit commune, il doit s’agir d’un élément important de la réclamation de chaque membre du groupe et sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe (Hollick, au paragraphe 18). La tâche de la Cour à cette étape n’est pas de déterminer précisément les questions communes, mais plutôt « d’évaluer si la résolution de la question est nécessaire pour régler la demande de chaque membre du groupe » (Wenham, au paragraphe 72). Lors de l’évaluation du caractère commun des questions, l’accent n’est pas mis sur les différences entre les membres du groupe, mais sur les points de droit ou de fait identiques, semblables ou connexes (Wenham, au paragraphe 72). Le juge saisi de la demande d’autorisation doit donc évaluer s’il existe des points communs découlant de faits pertinents pour tous les membres du groupe (Airbnb, au paragraphe 116). Si le fait est suffisamment important pour favoriser la résolution de la réclamation de tous les membres du groupe, la condition est remplie.

[189]   Dans l’arrêt Pro-Sys, le juge Rothstein a résumé les instructions de la C.S.C. pour définir l’exigence relative à la question commune énoncée précédemment dans l’arrêt Dutton. La notion de communauté, de même que le cadre général pour les recours collectifs, consiste à chercher à « savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique » (Pro-Sys, au paragraphe 108, citant Dutton, au paragraphe 39; Airbnb, au paragraphe 117). Autrement dit, les demandeurs doivent démontrer de manière adéquate la présence d’un lien rationnel entre le groupe et les questions communes proposées, et que la résolution de chaque question commune contribue à faire progresser la réclamation, peu importe si cette progression est en faveur ou en défaveur du groupe (Airbnb, au paragraphe 120). Les questions ne seront pas considérées comme étant communes si leur résolution dépend de conclusions de fait individuelles qu’il faudrait tirer pour chaque membre du groupe (Airbnb, au paragraphe 120).

[190]   Pour se prononcer sur le respect des exigences relatives aux questions communes, les tribunaux doivent garder à l’esprit les principes suivants : (i) il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet; (ii) une question n’est commune que lorsque sa résolution est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres du groupe; (iii) il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse; (iv) il n’est pas nécessaire que les questions communes l’emportent sur les questions non communes, même si les demandes des membres du groupe doivent partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif, car les tribunaux évaluent l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles; (v) le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous, puisque tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action, mais pas nécessairement dans la même proportion (Pro-Sys, au paragraphe 108; Airbnb, au paragraphe 117).

[191]   Dans l’arrêt Vivendi, la C.S.C. a souligné que le critère du succès commun ne doit pas être appliqué « rigidement » (Vivendi, au paragraphe 45). Ainsi, une question commune peut exister même si la réponse qu’on lui donne peut différer d’un membre à l’autre du groupe, bien que le succès d’un membre ne doive pas provoquer l’échec d’un autre membre (Vivendi, au paragraphe 45). En interprétant les principes énoncés dans les arrêts Dutton et Rumley, la C.S.C. a réitéré qu’une question sera considérée comme commune si elle permet de faire progresser le règlement de la réclamation de chacun des membres du groupe, laquelle peut exiger des réponses nuancées et diverses selon la situation de chaque membre (Vivendi, au paragraphe 46; Airbnb, au paragraphe 118). En d’autres termes, le critère du caractère commun des questions n’exige pas une réponse identique pour tous les membres du groupe, ni même que la réponse bénéficie dans la même mesure à chacun d’entre eux. Au contraire, il « suffit que la réponse à la question ne crée pas de conflits d’intérêts entre les membres du groupe » (Vivendi, au paragraphe 46).

[192]   Les questions communes sont au cœur des recours collectifs, parce que la résolution de questions communes est ce qui permet aux recours collectifs d’assurer efficacement l’accès à la justice, ce qui entraîne une utilisation économique des ressources judiciaires et une modification du comportement (Airbnb, au paragraphe 120). Dans l’arrêt Pro-Sys, la C.S.C. a décrit l’exigence d’une question commune comme étant fondamentale aux recours collectifs, dont l’objet est de permettre aux personnes qui soulèvent une question de droit commune d’obtenir le règlement de cette question dans le cadre d’une seule instance plutôt que d’une multitude inefficace d’instances répétitives (Pro-Sys, au paragraphe 106; Mancinelli, au paragraphe 212).

b)    Critère en une étape vs critère en deux étapes

[193]   Dans leurs observations écrites et orales sur l’exigence relative aux questions communes, les demandeurs ont insisté sur le fait que l’autorisation d’une question commune exige uniquement que le demandeur présente des éléments de preuve tendant à indiquer que la question proposée est commune et non des éléments de preuve portant sur l’existence de la question commune elle-même. Essentiellement, ils font valoir que la norme reposant sur un certain fondement factuel exige ce qu’on appelle une « approche en une étape » axée exclusivement sur la communauté des points soulevés, et que l’application d’une « approche en deux étapes » incorporerait une analyse au fond au critère d’autorisation. L’approche en une étape équivaut à procéder uniquement à une appréciation de la question de savoir s’il existe un certain fondement factuel pour étayer le caractère commun des questions communes proposées, alors que l’approche en deux étapes exige que le juge saisi de la requête en autorisation détermine s’il existe un « certain fondement factuel » dans les éléments de preuve présentés qui tend à indiquer que les questions communes proposées (1) existent effectivement et (2) qu’on peut y répondre de façon commune pour tous les membres du groupe.

[194]   Pour soutenir cette approche en une étape, les demandeurs s’appuient sur le passage souvent cité de l’arrêt Pro-Sys, au paragraphe 110, où le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :

La multitude de variables que font intervenir les actions d’acheteurs indirects pourrait fort bien présenter un défi de taille à l’étape de l’examen au fond […] Établir la communauté des questions n’exige pas la preuve que les actes allégués ont effectivement eu lieu. À ce stade, il faut plutôt établir que les questions soulevées sont communes à tous les membres du groupe. [Soulignement ajouté.]

[195]   Selon les demandeurs, en faisant observer qu’établir le caractère commun des questions « n’exige pas la preuve que les actes allégués ont effectivement eu lieu » et que la seule preuve factuelle requise est la preuve permettant d’« établir que les questions soulevées sont communes à tous les membres du groupe », la C.S.C. a éliminé la nécessité que le demandeur ait à présenter un élément de preuve quelconque établissant un certain fondement factuel pour les questions communes elles-mêmes (Pro-Sys, au paragraphe 110). En outre, les demandeurs signalent un autre passage dans l’arrêt Pro-Sys où le juge Rothstein a déclaré que la norme reposant sur un certain fondement factuel énoncée dans l’arrêt Hollick exige un certain fondement factuel établissant « chacune des conditions de certification » et non de savoir « si la demande a un certain fondement factuel » (Pro-Sys, au paragraphe 100).

[196]   Les demandeurs s’appuient également sur certaines décisions où, se fondant sur les mots utilisés par le juge Rothstein dans l’arrêt Pro-Sys, les tribunaux ontariens ont adopté l’approche en une étape et ont considéré que les demandeurs ne sont tenus que de démontrer un certain fondement factuel pour le caractère commun des questions communes proposées pour tous les membres du groupe (voir, par exemple, Hodge v. Neinstein, 2017 ONCA 494 (CanLII), 414 D.L.R. (4th) 303, au paragraphe 113; Grossman v. Nissan Canada, 2019 ONSC 6180 (CanLII), au paragraphe 39; Cirillo v. Ontario, 2019 ONSC 3066 (CanLII), aux paragraphes 67 à 69; Kalra v. Mercedes Benz, 2017 ONSC 3795 (CanLII), aux paragraphes 45 et 46).

[197]   En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs et je suis plutôt d’avis que la norme reposant sur un certain fondement factuel appelle une approche en deux étapes concernant le critère du caractère commun des questions.

[198]   Malgré l’incertitude récente dans la jurisprudence, il est manifeste que le critère en deux étapes régit toujours les décisions en matière d’autorisation au Canada. La grande majorité des tribunaux, avant et après l’arrêt Pro-Sys, ont continué d’appliquer l’approche en deux étapes et à exiger que les demandeurs présentent des éléments de preuve (c.-à-d. un certain fondement factuel) concernant l’existence des questions communes et la communauté de chacune des questions communes proposées (voir, par exemple, Greenwood c. Canada, 2020 CF 119 (Greenwood CF), au paragraphe 60; Fehr v. Sun Life Assurance Company of Canada, 2018 ONCA 718 (CanLII) (Fehr), au paragraphe 85; Fulawka v. Bank of Nova Scotia, 2012 ONCA 443 (CanLII), 352 D.L.R. (4th) 1 (Fulawka), au paragraphe 79; Simpson, au paragraphe 43; Mancinelli, au paragraphe 220; Stenzler v. TD Asset Management Inc., 2020 ONSC 111 (CanLII), au paragraphe 41; Kuiper v. Cook (Canada) Inc., 2018 ONSC 6487 (CanLII), conf. par 2020 ONSC 128 (CanLII), 149 O.R. (3d) 521 (Kuiper), aux paragraphes 26 à 36; Kaplan v. Casino Rama, 2019 ONSC 2025 (CanLII), 145 O.R. (3d) 736 (Kaplan), au paragraphe 54; Das, au paragraphe 623; Batten v. Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd., 2017 ONSC 6098 (CanLII), aux paragraphes 14 et 15; Dine v. Biomet, 2015 ONSC 7050 (CanLII) (Dine), aux paragraphes 15 à 19; Crosslink 2, aux paragraphes 34 et 35).

[199]   La norme reposant sur un certain fondement factuel a été énoncée par la C.S.C. dans l’arrêt Hollick. Dans cet arrêt, la C.S.C. a reconnu que les représentants du groupe sont « tenu[s] d’étayer [leur] demande de certification » et d’« établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions » autre que le premier critère de révéler une cause d’action valable (Hollick, au paragraphe 25). À l’époque, la C.S.C. n’avait pas formulé le critère en fonction d’une ou de deux étapes. Cependant, l’arrêt Hollick portait sur un recours collectif en matière environnementale envisagé, qui a été présenté par des personnes habitant à proximité d’une décharge et se plaignant du bruit et de la pollution physique qui provenait de celle-ci. Lorsqu’on fait une lecture minutieuse de cet arrêt en tenant compte du contexte, il est manifeste que la C.S.C. a effectivement appliqué une approche en deux étapes en ce qui concerne le critère du caractère commun des questions en exigeant la présence d’une « demande apparente » (Hollick, au paragraphe 19). Certes, la C.S.C. est arrivée à la conclusion que « l’appelant s’[était] acquitté de son obligation au chapitre de la preuve », en ce sens que les dossiers de plainte qu’il avait présentés montraient « que de nombreuses autres personnes que [lui] ont déploré le bruit et les rejets physiques provenant de la décharge » (Hollick, au paragraphe 26). Les dossiers de plainte dans l’affaire Hollick ont fait plus que démontrer qu’il y avait plus d’une personne partageant un intérêt à l’égard des questions communes soulevées dans cette affaire. Les dossiers présentaient aussi un fondement probatoire pour l’affirmation du demandeur selon laquelle il y avait effectivement une « question » concernant le bruit et la pollution physique provenant de la décharge. Autrement dit, il n’y avait aucun doute qu’il existait un certain fondement dans la preuve selon lequel la question commune énoncée existait effectivement, en plus d’un fondement permettant de déterminer que l’on pouvait y répondre de façon commune pour tous les membres du groupe proposé.

[200]   Dans l’arrêt Hollick, la C.S.C. a clairement établi qu’il faut plus que de simples allégations pour établir un certain fondement factuel pour les questions communes dans un recours collectif envisagé (Hollick, au paragraphe 25), principe que la C.S.C. a récemment réitéré au paragraphe 160 de l’arrêt Loteries de l’Atlantique. Notre Cour a aussi confirmé que, pour accorder l’autorisation, il faut un certain fondement factuel pour démontrer que les questions communes constituent plus qu’une simple affirmation dans les actes de procédure (Greenwood CF, au paragraphe 60). Bref, le demandeur est tenu [traduction] « de présenter des éléments de preuve démontrant qu’il y a une « demande apparente » ou un lien rationnel entre les membres du groupe définis et les questions communes proposées » (Kuiper, au paragraphe 27). Il ne suffit donc pas que le demandeur s’appuie uniquement sur de simples affirmations dans les actes de procédure pour prouver le caractère commun des questions; il doit plutôt y avoir un fondement probatoire suffisant démontrant l’existence de ces questions communes, et le demandeur est tenu de « présenter des faits qui sous-tendent les réclamations présentées au nom des membres du groupe » (Greenwood, au paragraphe 169).

[201]   Je ne vois aucun conflit entre les arrêts ProSys, Hollick et l’abondante jurisprudence qui a établi qu’il doit y avoir un certain fondement probatoire pour démontrer l’existence d’une question commune, lequel fondement ne peut se résumer à une simple affirmation dans les actes de procédure. Après lecture de l’arrêt ProSys dans son intégralité et après un examen objectif de cet arrêt au regard de son contexte comme il convient de le faire, je n’hésite pas à conclure qu’il appuie l’approche en deux étapes de l’exigence relative aux questions communes.

[202]   Dans l’arrêt ProSys, la C.S.C. a réaffirmé la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel établie dans l’arrêt Hollick. Elle l’a fait en dépit de l’argument de la défenderesse Microsoft selon lequel la norme de preuve reposant sur l’existence d’un certain fondement factuel était synonyme de preuve selon la prépondérance des probabilités. S’exprimant au nom de la C.S.C., le juge Rothstein a rejeté cet argument et a refusé d’élever le critère au niveau de la norme de la prépondérance des probabilités. En rejetant cet argument, il a formulé des observations utiles sur l’application de la norme reposant sur l’existence d’un certain fondement factuel. Plus particulièrement, il a affirmé ce qui suit aux paragraphes 102 à 104, en faisant référence à l’arrêt Hollick :

[...] Si la juge en chef McLachlin avait voulu que le respect des conditions de certification soit assujetti à la norme de la « prépondérance des probabilités », elle l’aurait précisé. Or, la règle établie est claire. Les tribunaux n’ont jamais considéré que l’arrêt Hollick exigeait une preuve selon la prépondérance des probabilités. En outre, en s’appuyant sur le droit américain, Microsoft adopte une approche nouvelle et rompt avec la norme de l’arrêt Hollick. La norme fondée sur l’existence d’« un certain fondement factuel » n’exige pas que le tribunal se prononce sur les éléments de fait et les éléments de preuve contradictoires à l’étape de la certification. Elle tient plutôt compte du fait que, à cette étape, [traduction] « le tribunal n’est pas en mesure de statuer sur les éléments contradictoires de la preuve non plus que de déterminer sa valeur probante à l’issue d’une analyse nuancée » (Cloud, par. 50; Irving Paper Ltd. c. Atofina Chemicals Inc. (2009), 99 O.R. (3d) 358 (C.S.J.), para 119, citant Hague c. Liberty Mutual Insurance Co. (2004), 13 C.P.C. (6th) 1 (C.S.J. Ont.)). La procédure de certification ne comporte pas d’examen au fond de la demande et elle ne vise pas à déterminer le bienfondé des allégations; [traduction] « elle intéresse plutôt la forme que revêt l’action pour déterminer s’il convient de procéder par recours collectif » (Infineon, par. 65).

De toute manière, plus d’une décennie s’est écoulée depuis Hollick et il convient de confirmer l’importance que revêt la procédure de certification comme mécanisme de filtrage efficace. La norme de preuve appliquée au stade de la certification n’emporte pas de [traduction] « conclusion sur le bienfondé de l’instance » (CPA, par. 5(7)); elle ne donne pas lieu non plus à un examen du caractère suffisant de la preuve qui soit superficiel au point d’être strictement symbolique.

Quoi qu’il en soit, j’estime en toute déférence qu’il serait peu utile de tenter de définir « un certain fondement factuel » dans l’abstrait. L’issue d’une affaire dépend des faits qui lui sont propres. Suffisamment de faits doivent permettre de convaincre le juge saisi des demandes que les conditions de certification sont réunies de telle sorte que l’instance puisse suivre son cours sous forme de recours collectif sans s’écrouler à l’étape de l’examen au fond à cause du nonrespect des conditions prévues au par. 4(1) de la CPA.

[203]   Dans l’arrêt ProSys, le juge Rothstein n’a jamais remis en question la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel, n’avait pas l’intention de modifier la norme établie dans l’arrêt Hollick, et n’a certainement pas traité directement de l’approche en une étape par opposition à l’approche en deux étapes. Il a plutôt insisté sur le fait que chaque recours collectif dépend des faits qui lui sont propres et doit être évalué individuellement, et a refusé de formuler une définition abstraite de la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel, car l’utilité d’une telle définition serait limitée. Dans certaines affaires, l’existence d’un certain fondement factuel pour le recours collectif sera manifeste, tandis que dans d’autres affaires elle ne le sera pas. Ce faisant, le juge Rothstein a fait remarquer que la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel n’oblige pas les tribunaux à soupeser et à régler des faits et des éléments de preuve contradictoires. Il s’agit d’une tâche que les tribunaux n’ont pas les moyens d’accomplir à l’étape de l’autorisation.

[204]   J’ouvre une parenthèse pour souligner que la principale question en litige dans l’arrêt ProSys portait sur la norme selon laquelle devait être évalué le témoignage de l’expert pour établir le caractère commun du préjudice, étant donné que la défenderesse, Microsoft, avait adopté la position selon laquelle la norme du certain fondement factuel obligeait le demandeur à prouver qu’il avait satisfait aux éléments du critère selon la prépondérance des probabilités. La C.S.C. a rejeté cet argument, et la déclaration du juge Rothstein selon laquelle on « n’exige pas la preuve que les actes allégués ont effectivement eu lieu » (soulignement ajouté) doit être interprétée dans ce contexte (Pro-Sys, au paragraphe 110). Cette déclaration est liée au critère de la prépondérance des probabilités préconisé par Microsoft. En affirmant qu’il n’était pas nécessaire de démontrer que les actes allégués « ont effectivement eu lieu », le juge Rothstein a en fait réaffirmé que la détermination des questions communes n’était pas un critère reposant sur le bien-fondé de la demande, et que le fondement probatoire pour établir l’existence d’une question commune n’était pas aussi élevé que la preuve selon la prépondérance des probabilités. L’observation n’a pas été formulée relativement à l’existence de la question commune, mais dans le contexte du critère à appliquer à l’évaluation de la preuve et du rejet, par le juge Rothstein, du critère fondé sur la prépondérance des probabilités proposé par Microsoft. La C.S.C. n’a jamais dit ou laissé entendre que la norme minimale de preuve d’un certain fondement factuel établi par l’arrêt Hollick pouvait être rejetée et n’était plus nécessaire.

[205]   Comme l’a rappelé la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Fehr, exiger qu’un acte répréhensible ait effectivement eu lieu étendrait l’application de la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel audelà du niveau de preuve minimal établi dans l’arrêt Hollick et la transformerait en une analyse axée sur un examen au fond (Fehr, au paragraphe 86; Kuiper, au paragraphe 34). Bien qu’il soit tout à fait raisonnable pour le juge saisi d’une demande d’autorisation de s’attendre à ce que les parties produisent des éléments de preuve pertinents pour déterminer s’il existe un certain fondement factuel à l’existence d’une question en litige et si celle-ci est commune à tous les membres du groupe, le fait d’exiger des éléments de preuve pour montrer que c’est effectivement le cas transformerait le critère en un critère reposant sur la prépondérance des probabilités et le bien-fondé de la demande.

[206]   En d’autres termes, l’arrêt Pro-Sys a confirmé que le fondement probatoire pour établir l’existence d’une question commune n’est pas aussi élevé que la preuve selon la prépondérance des probabilités et qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que les actes allégués « ont effectivement eu lieu » (voir également Greenwood, au paragraphe 169; Fulawka, au paragraphe 78; Crosslink 1, au paragraphe 66). Cependant, la C.S.C. n’a pas nié qu’il devait néanmoins exister un fondement probatoire suffisant (c.-à-d. un certain fondement factuel) indiquant qu’il existe effectivement une question commune, au-delà d’une simple affirmation dans les actes de procédure (Fulawka, au paragraphe 79; Simpson, au paragraphe 43). En outre, l’arrêt ProSys n’appuie certainement pas la proposition selon laquelle un demandeur n’a pas l’obligation d’établir que les motifs allégués à l’appui de la cause d’action sont ancrés dans la réalité. De simples affirmations sont insuffisantes sans fondement factuel (Infineon, au paragraphe 134).

[207]   Pour tous ces motifs, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que l’arrêt Pro-Sys peut être interprété comme une tentative de s’écarter de l’arrêt Hollick en tant qu’arrêt faisant autorité en ce qui a trait à la norme du certain fondement factuel. D’ailleurs, le juge Rothstein n’a pas réexaminé cette norme et a affirmé qu’il était peu utile de tenter de la définir dans l’abstrait. Je souligne également que, dans l’arrêt Fischer, rendu deux mois seulement après l’arrêt ProSys, la C.S.C. ne mentionne aucunement que l’arrêt ProSys s’écarte de l’arrêt Hollick. Dans l’arrêt Fischer, le juge Cromwell a renvoyé à des décisions confirmant qu’il doit y avoir un certain fondement factuel à l’égard de la question commune, à savoir plus qu’une simple affirmation dans les actes de procédure, réitérant la nécessité de démontrer l’existence de la question commune ainsi que son caractère commun (Fischer, aux paragraphes 39 à 43).

[208]   Bref, dans le contexte du critère des questions communes, je suis convaincu que la norme reposant sur l’existence d’un certain fondement factuel comporte une exigence en deux étapes : 1) la question commune proposée existe effectivement; 2) on peut répondre de façon commune à la question proposée pour tous les membres du groupe. Il est vrai que la norme du certain fondement factuel établit une norme de preuve peu exigeante pour les demandeurs, et un tribunal ne devrait pas statuer sur les éléments de fait et les éléments de preuve contradictoires à l’étape de l’autorisation, se prononcer sur les points forts de la cause des demandeurs ou chercher des éléments de preuve démontrant que l’inconduite alléguée a effectivement eu lieu. Toutefois, le tribunal doit chercher à savoir si les questions communes existent, en ce sens que les réclamations auxquelles les questions communes se rapportent sont étayées par un certain fondement factuel minimum, et si les questions sont communes à tous les membres du groupe. Cela signifie qu’un demandeur ne satisfera pas à la norme du certain fondement factuel et que la demande d’autorisation sera rejetée si les réclamations des membres du groupe ne sont pas à tout le moins plausibles, s’il y a des lacunes importantes dans le fondement probatoire des faits sur lesquels reposent les questions communes proposées, ou s’il n’y a aucun élément de preuve admissible à l’appui d’un fondement factuel.

[209]   J’ai deux observations supplémentaires à formuler.

[210]   Premièrement, les demandeurs déforment et comprennent mal l’approche en deux étapes lorsqu’ils la présentent comme un critère reposant sur le bien-fondé du recours. L’approche en deux étapes ne repose pas sur le bien-fondé, et les tribunaux ne se prononcent pas sur le fond de l’affaire en déterminant s’il existe un certain fondement probatoire (c.àd. un certain fondement factuel) pour les questions communes proposées.

[211]   Je ne conteste pas qu’à l’étape de l’autorisation, la preuve présentée pour étayer l’autorisation d’une question commune ne doit pas être évaluée quant au bien-fondé de l’action. L’objet d’une requête en autorisation est de déterminer la façon dont le litige doit se dérouler et non d’examiner le bien-fondé de la réclamation du demandeur. Le juge saisi de la requête en autorisation ne devrait pas non plus procéder à l’appréciation d’éléments de preuve contradictoires relatifs au fond de la demande. En fait, l’application de l’approche en deux étapes ne signifie pas que les tribunaux doivent procéder à la pondération de la preuve et à l’examen du bienfondé lorsqu’ils examinent le critère des questions communes. C’est toujours la norme du certain fondement factuel qui s’applique, et non la norme de la prépondérance des probabilités. De plus, on ne conteste pas que le certain fondement factuel constitue une « norme de preuve relativement peu exigeante » (SunRype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58, [2013] 3 R.C.S. 545 (SunRype), aux paragraphes 57 et 61). La norme de preuve peu exigeante doit toutefois reposer sur un fondement factuel, et l’absence d’éléments de preuve ou de simples conjectures ne suffiront pas (SunRype, au paragraphe 70).

[212]   Il existe une différence fondamentale entre l’appréciation du bienfondé de la réclamation (ce que les tribunaux ne peuvent pas faire au moment de l’autorisation) et la recherche d’une preuve minimale à l’appui de la réclamation (c.àd. le critère en deux étapes). Selon l’approche en deux étapes, il faut un certain fondement probatoire, mais pas un dossier exhaustif sur lequel le fond de l’affaire sera plaidé. La norme exige un certain fondement factuel, mais non une preuve de fait ou une preuve que les faits ont effectivement eu lieu. C’est en ce sens que le critère du certain fondement factuel se situe bien en deçà de la norme civile de la preuve selon la prépondérance des probabilités et ne peut être assimilé à un critère reposant sur le bien-fondé du recours.

[213]   Deuxièmement, l’approche en deux étapes du critère des questions communes est la seule approche qui soit cohérente avec les objectifs sous-jacents de l’autorisation, qui vise à « éliminer les réclamations manifestement non fondées et frivoles » (Airbnb, au paragraphe 25) et à s’assurer que le processus d’autorisation soit plus qu’un simple examen symbolique (Pro-Sys, au paragraphe 103; Airbnb, au paragraphe 31). Les critères d’autorisation ajoutent diverses exigences aux recours collectifs, en plus de celles qui s’appliquent aux actions individuelles. L’un d’eux est le critère du « certain fondement factuel » pour les questions communes proposées, qui est un élément essentiel pour faire en sorte que les requêtes en autorisation servent de "mécanisme de filtrage efficace" (Pro-Sys, au paragraphe 103). Comme le juge Belobaba l’a affirmé dans la décision Dine, [traduction] « [s]i tout ce dont on a besoin est une preuve de communauté à l’échelle du groupe et aucune preuve que la [question] commune proposée présente ne serait-ce qu’un fondement factuel minimal, presque tous les recours collectifs envisagés devraient être autorisés et le rôle de la requête en autorisation comme « mécanisme de filtrage efficace » serait détruit » (Dine, au paragraphe 15, note 9).

[214]   À mon avis, une question commune proposée qui n’est pas étayée par des éléments de preuve permettant de conclure que deux ou plusieurs membres du groupe partagent une question qui existe effectivement n’est pas une question qui mérite d’être autorisée. Si un demandeur n’est pas en mesure d’établir un certain fondement probatoire selon lequel une question commune proposée existe effectivement, il ne devrait pas être autorisé à soulever une question commune en s’appuyant sur cette question. Les conditions d’autorisation, aussi faibles soient-elles, n’ont pas pour but de permettre la poursuite de recours collectifs sur le fondement du caractère commun d’une question commune proposée inexistante. Une question inexistante ou fictive n’a pas plus de fondement ou de justification parce qu’elle est commune à un groupe de demandeurs. Une cause d’action sans fondement factuel ne devient pas en quelque sorte plus fondée parce qu’elle est commune à un groupe de demandeurs, et elle n’a pas plus de valeur ou de poids simplement parce qu’elle est partagée par des centaines, des milliers ou des millions de personnes. Il serait paradoxal que l’action d’un demandeur puisse être autorisée à titre de recours collectif simplement parce qu’il existe un certain fondement factuel quant au caractère commun d’une question pour les membres du groupe, sans aucun fondement factuel pour cette question.

[215]   Plus précisément, une question commune proposée visant un acte répréhensible, une inconduite, un contrat ou un vice doit avoir un certain fondement probatoire tendant à indiquer que l’acte répréhensible, l’inconduite, le contrat ou le vice allégué existe à l’égard des membres du groupe. Faciliter la recevabilité d’une question non fondée n’entraînerait certainement ni économie judiciaire ni amélioration de l’accès à la justice, et il n’y aurait aucun besoin d’encourager la modification d’un comportement en l’absence de transgresseurs.

[216]   En résumé, l’approche en deux étapes est la seule approche qui permet aux tribunaux d’empêcher l’autorisation de demandes qui seraient entièrement artificielles, déconnectées de la réalité et dépourvues de certains éléments de preuve minimaux concernant les actes répréhensibles ou la cause d’action allégués. Ce critère en deux volets quant à la preuve est le seul moyen permettant aux tribunaux d’évaluer si le règlement d’une question commune proposée fera progresser le litige en tant que recours collectif. La norme du certain fondement factuel permettant de démontrer le caractère commun des questions communes proposées est peu exigeante, mais elle ne doit pas être considérée comme étant [traduction] « sous-terraine » (Kuiper, au paragraphe 27). L’adoption d’une approche en une seule étape conduirait précisément la norme du certain fondement factuel dans ce territoire sous-terrain auquel elle n’appartient pas et n’a jamais été censée appartenir, et réduirait l’exigence relative aux questions communes à un exercice dénué de sens. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les questions communes proposées relativement aux actes répréhensibles, à l’inconduite ou au fondement juridique allégués qui sous-tendent la demande de dommages-intérêts d’un demandeur, comme c’est le cas en l’espèce.

[217]   Ni l’arrêt ProSys ni aucun autre précédent de la C.S.C. en matière de recours collectif n’avait pour but d’abaisser le critère relatif à l’autorisation déjà peu exigeant au point où les demandeurs seraient libérés de l’obligation de produire une preuve minimale que le préjudice qu’ils allèguent existe effectivement. Un tel abaissement ne saurait être ce que les conditions d’autorisation visent à régler et, à mon avis, l’adoption d’une approche en une seule étape à l’égard de l’exigence relative aux questions communes placerait le critère relatif à l’autorisation bien en deçà de la simple formalité et de l’examen symbolique contre lesquels la C.S.C. a maintes fois mis en garde.

2)    Analyse

[218]   Après avoir suivi l’approche en deux étapes, je conclus que les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer un « certain fondement factuel » à l’appui de leurs allégations fondamentales de complot et d’application d’une directive étrangère sous-jacentes à leurs deux premières questions communes relatives à la responsabilité. Les diverses catégories de « preuve » qu’ils ont présentées ne sont vraiment pas à la hauteur et ne satisfont pas au critère peu exigeant du certain fondement factuel. Plus précisément, les demandeurs n’ont présenté aucun fondement factuel à l’appui de l’allégation selon laquelle les défenderesses étaient parties à une restriction coordonnée de la fourniture de DRAM et ont conclu un accord en violation de l’article 45 de la Loi. Comme nous le verrons ci-dessous, la preuve requise sur laquelle s’appuient les demandeurs est non seulement déficiente en ce qui a trait à certains des « indices » qu’ils ont relevés, mais également entièrement insuffisante à l’égard de tous.

a)    Violation de l’article 45

(i)    Arguments des demandeurs

[219]   Les demandeurs invoquent les principaux indices suivants de violation de l’article 45 comme éléments de preuve à l’appui de l’existence du complot allégué : (i) l’enquête de la Chine; (ii) des restrictions coordonnées de l’offre et des augmentations de prix pendant la période visée par le recours collectif, ainsi que la structure de l’industrie; (iii) des communications privées et les déclarations publiques des défenderesses à propos des restrictions de la fourniture de DRAM; (iv) les admissions des défenderesses quant à leur participation à un complot antérieur concernant les DRAM; (v) la plainte américaine modifiée déposée dans le cadre du recours collectif parallèle aux É.-U.; (vi) les rapports Singer.

[220]   Dans leur mémoire présenté en réponse, les demandeurs ont également soutenu qu’ils s’étaient acquittés du fardeau de preuve qui leur incombait d’étayer l’existence d’un accord entre les défenderesses, invoquant à l’appui les éléments suivants, qui reprennent les divers indices de preuve qu’ils ont soulignés :

•      L’industrie des DRAM favorise la collusion (Déclaration, aux paragraphes 45 à 52).

•      Les prix des DRAM ont constamment baissé avant la période visée par le recours collectif, les défenderesses ayant augmenté l’offre et ayant lutté pour se tailler une part du marché (Déclaration, aux paragraphes 53 à 59). Les défenderesses ont changé de cap au début de la période visée par le recours collectif et ont exprimé leur accord illicite en vue d’éliminer la fourniture de DRAM et d’en augmenter les prix (Déclaration, aux paragraphes 64 à 75).

•      Dans une série de déclarations publiques, identifiées par la date, la personne et la déclaration, les défenderesses ont indiqué qu’elles étaient impliquées dans le complot et ont maintenu ce complot (Déclaration, aux paragraphes 64 à 101).

•      Les défenderesses se sont rencontrées et ont comploté en personne, notamment à Singapour et à Munich en 2016 (Déclaration, au paragraphe 103).

•      Le prix des DRAM et les produits de sa vente ont atteint des niveaux records pendant la période visée par le recours collectif : le prix d’un type courant de DRAM a augmenté de 130 p. 100 et les prix au comptant des DRAM, de 350 p. 100 (Déclaration, aux paragraphes 104 à 110).

•      L’organisme de réglementation économique de la Chine a examiné [traduction] « les mesures coordonnées possibles prises par un certain nombre d’entreprises pour obtenir le maximum de bénéfices en augmentant le prix du produit le plus possible » (Déclaration, aux paragraphes 111 à 114).

•      L’enquête réglementaire chinoise a amené au moins une défenderesse, Samsung, à conclure avec l’organisme de réglementation un protocole d’entente visant à accroître la capacité, ce qui a entraîné une baisse des prix après la période visée par le recours collectif (Déclaration, aux paragraphes 115 à 117).

•      Les allégations actuelles de complot sont compatibles avec un modèle de comportement collusoire mis au jour lorsque les mêmes défenderesses ont précédemment plaidé coupables à un comportement anticoncurrentiel criminel dans l’industrie des DRAM (Déclaration, aux paragraphes 118 à 122).

•      L’analyse économique a commencé à démontrer l’existence d’un complot et a fait ressortir le fait que les coûts des intrants et le cycle de vie de la technologie ne pouvaient expliquer une telle hausse des prix des DRAM (Déclaration, aux paragraphes 123 à 127).

[221]   Les demandeurs soutiennent que la cinquantaine de transcriptions, de rapports et d’articles joints à l’affidavit Tayyab ont une valeur probante et présentent un fondement factuel suffisant pour les allégations de complot. Ils font valoir qu’ils n’invoquent pas ces documents en raison de la véracité de leur contenu et qu’ils les ont été présenté à la Cour pour qu’elle tranche une question de procédure (c.-à-d. l’autorisation) et pour établir un certain fondement factuel en ce qui a trait au caractère commun des questions communes proposées. Ils soutiennent que la règle générale est que tous les éléments de preuve pertinents devraient être admis (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, au paragraphe 34). Pour que les éléments de preuve soient pertinents à l’étape de l’autorisation, ils doivent accroître ou diminuer la probabilité du caractère commun des réclamations, et il n’est pas nécessaire d’établir, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait (R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, au paragraphe 38). En l’espèce, les demandeurs soutiennent que les documents faisant état des déclarations publiques des défenderesses et les articles sur l’enquête de la Chine démontrent leur valeur probante en établissant le caractère commun des réclamations.

(ii)   Enquête de la Chine

[222]   La première catégorie d’éléments de preuve sur lesquels les demandeurs se sont appuyés concernant la violation de l’article 45 est la série d’articles concernant l’enquête de la Chine. Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que ces articles ne présentent pas un fondement factuel pour l’allégation des demandeurs voulant qu’il y ait eu complot au sens de l’article 45. Ils ne présentent que des éléments de preuve concernant une enquête menée par les autorités anticoncurrentielles chinoises au sujet d’un certain type de comportement anticoncurrentiel dans l’industrie des DRAM en Chine, en vertu des lois chinoises. Rien dans la preuve présentée n’indique que les autorités anticoncurrentielles chinoises ont conclu à l’existence d’une activité anticoncurrentielle, et je ne suis pas convaincu que les articles présentent un certain fondement factuel permettant de déduire l’existence d’un comportement qui contreviendrait au droit canadien.

[223]   À titre de question préliminaire, les demandeurs prétendent que la preuve relative à l’enquête de la Chine peut être acceptée à la présente étape de l’instance puisqu’elle n’est pas présentée pour la véracité de son contenu. Ils affirment qu’elle est présentée dans le but limité de démontrer l’existence de l’enquête de la Chine. Les demandeurs prétendent que cette preuve est présentée uniquement pour remplir des conditions d’autorisation et pour établir un certain fondement factuel quant au caractère commun des questions communes proposées concernant la responsabilité, à savoir que les défenderesses se sont livrées au comportement anticoncurrentiel allégué. Les demandeurs soutiennent en outre que les articles de presse sur l’enquête de la Chine corroborent d’autres éléments de preuve qu’ils ont présentés, dans lesquels les défenderesses reconnaîtraient l’existence de l’enquête.

[224]   Les parties ne contestent pas le fait qu’une preuve par ouï-dire peut être admise dans le cadre de requêtes en autorisation (voir, par exemple, M. Untel c. R, 2015 CF 236, aux paragraphes 7 à 12; Harrison v. XL Foods Inc., 2014 ABQB 720 (CanLII), aux paragraphes 24 et 25). De plus, une preuve qui n’est pas produite pour la véracité de son contenu ne constitue pas, à ce stade des procédures, du ouï-dire. Cela dit, je n’ai pas besoin d’approfondir cette question préliminaire. Même si je présume que la preuve des demandeurs au sujet de l’enquête de la Chine peut être admise et prise en considération à ce stade, j’estime qu’elle a une valeur probante limitée et ne me permet pas de conclure qu’elle offre un certain fondement factuel concernant l’existence (ou le caractère commun) du complot allégué.

[225]   En ce qui concerne l’enquête de la Chine, les demandeurs ont présenté neuf articles de presse joints à titre de pièces 1 à 9 à l’affidavit Tayyab. On peut les résumer comme suit :

•      Les pièces 1 à 3 sont des articles datés du 26 ou du 27 décembre 2017, dans lesquels un représentant du gouvernement chinois déclare que le gouvernement chinois [traduction] « porte une attention particulière » à la hausse du prix des cartes mémoire pour téléphones mobiles et qu’il [traduction] « pourrait examiner s’il y a eu fixation des prix » et [traduction] « des mesures coordonnées » de la part des entreprises qui les fabriquent. Un article a rapporté que le gouvernement chinois n’avait pas encore lancé un examen anticoncurrentiel officiel.

•      Les pièces 4 à 6 sont des articles datés des 2 et 5 février 2018, dans lesquels on rapporte que Samsung a signé un protocole d’entente (PE) avec le gouvernement chinois qui [traduction] « semble comprendre des détails relatifs à une coopération accrue dans l’industrie des semiconducteurs, par exemple une augmentation des investissements en Chine et une collaboration sur le plan technique ». Les articles portent sur les répercussions éventuelles du PE et indiquent que l’on devrait s’attendre à ce que le PE ait des [traduction] « répercussions sur le marché mondial de la mémoire de deux façons – la modération du prix et l’augmentation de la capacité de production » et qu’il [traduction] « influence l’augmentation de la capacité de production chez les chefs de file dans le domaine des DRAM ». Un des articles indique expressément que le PE n’avait [traduction] « rien à voir » avec les augmentations de prix [traduction] « relatives aux cartes mémoire ».

•      La pièce 7 est un article de mars 2018 qui ne fait aucune mention d’une enquête du gouvernement chinois.

•      La pièce 8 est un article daté du 4 juin 2018 qui indique que le gouvernement chinois a ouvert une enquête sur la fixation des prix dans l’industrie des DRAM.

•      La pièce 9 est un article daté du 19 novembre 2018, dans lequel on rapporte que les autorités de réglementation chinoises ont [traduction] « trouvé de "très nombreux éléments de preuve" de comportement anticoncurrentiel » de la part des défenderesses, sans fournir de détails sur le comportement anticoncurrentiel allégué ou sur l’étendue de l’enquête. L’article fait état de fonctionnaires à Pékin qui ont affirmé [traduction] « qu’une enquête sur la fixation des prix [...] a fait "d’importants progrès", sans donner d’exemples précis d’actes répréhensibles ». L’auteur de l’article mentionne en outre que [traduction] « [l]’enquête antitrust » a permis d’obtenir de très nombreux éléments de preuve et il affirme que l’enquête de la Chine [traduction] « fait suite à un recours collectif intenté aux É.-U., déposé en avril, dans le cadre duquel il est allégué que les trois sociétés ont comploté afin de gonfler les prix des DRAM ».

[226]   Après avoir examiné la preuve, je conclus pour commencer que les allégations et les observations des demandeurs décrivent encore une fois de manière erronée ce que la preuve révèle au sujet de l’enquête de la Chine.

[227]   Aux paragraphes 8 et 111 à 116 de leur Déclaration, les demandeurs allèguent que l’organisme de réglementation économique chinois, la Commission nationale du Développement et de la Réforme (CNDR), a lancé une enquête sur la fixation des prix par les défenderesses en 2017. Dans leurs observations, ils soutiennent aussi que l’enquête a permis d’obtenir [traduction] « de très nombreux éléments de preuve d’un complot » et que, à la suite de cette enquête, Samsung (le chef de file du marché des DRAM) a conclu un protocole d’entente avec la CNDR, aux termes duquel elle a convenu d’accroître sa capacité de production et sa fourniture de DRAM. Les neuf pièces déposées par les demandeurs à l’appui de leurs allégations concernant l’enquête de la Chine n’appuient pas ces commentaires généraux formulés par les demandeurs. Autrement dit, comme je l’ai mentionné à la section IV.A ci-dessus en ce qui concerne les déclarations publiques, les affirmations faites par les demandeurs au sujet de l’enquête de la Chine ne correspondent pas toujours à ce qu’indiquent réellement les documents sous-jacents déposés par les demandeurs.

[228]   Le premier article de presse sur le lancement d’une « enquête anticoncurrentielle » en Chine correspond à la pièce 8 de l’affidavit Tayyab et est daté du 4 juin 2018. On y mentionne que [traduction] « Pékin enquête sur des allégations de fixation des prix alors que les prix des DRAM ont fortement augmenté », et on y fait référence au recours collectif d’avril 2018 intenté aux É.-U. En d’autres termes, l’enquête de la Chine a suivi le recours collectif américain et ne l’a pas précédé. Dans la Déclaration, les demandeurs affirment ainsi à tort qu’à la fin de 2017, la CNDR [traduction] « avait ouvert une enquête sur la fixation des prix des DRAM par les défenderesses » (Déclaration, aux paragraphes 8 et 111). Rien ne prouve que les autorités anticoncurrentielles chinoises ont mené une enquête à ce moment-là, et on a seulement signalé que l’organisme de réglementation chinois accordait une plus grande attention aux problèmes futurs qui pourraient être engendrés dans l’industrie des DRAM. Il n’est mentionné dans aucun des articles de décembre 2017 (c.-à-d. les pièces 1 à 3 de l’affidavit Tayyab) qu’une enquête anticoncurrentielle a été lancée en Chine à ce moment-là.

[229]   De plus, dans leur Déclaration, les demandeurs affirment à tort (aux paragraphes 8 et 115) que Samsung avait conclu un protocole d’entente avec la CNDR [traduction] « pour accroître la capacité de fabrication », ce qui donne à penser que le protocole d’entente pourrait être lié d’une façon ou d’une autre à l’élimination coordonnée de la fourniture de DRAM alléguée par les demandeurs. Or, les articles joints aux pièces 4 à 6 de l’affidavit de Tayyab disent autre chose. Le protocole d’entente était un accord portant sur [traduction] « une coopération accrue dans l’industrie des semiconducteurs » visant notamment à augmenter les investissements en Chine et à collaborer davantage sur le plan technique. Il ne s’agissait pas d’un accord en vue d’accroître la capacité de production de DRAM. Les articles mentionnent simplement le fait que le protocole d’entente pouvait éventuellement amener Samsung à prendre des mesures concernant la hausse des prix de ses produits utilisant des DRAM et l’augmentation de sa capacité de production, et que le protocole d’entente influerait probablement sur l’augmentation de la capacité de production des fabricants de DRAM. Mais rien dans les articles ne précise que le but du protocole d’entente était d’accroître la capacité. De plus, il ressort clairement des articles de presse que le protocole d’entente n’a rien à voir avec l’augmentation observée des prix des cartes mémoire.

[230]   En outre, dans aucun article on n’affirme que l’enquête de la Chine a permis d’obtenir [traduction] « de très nombreux éléments de preuve d’un complot » ou d’un comportement de fixation des prix. Dans l’article joint comme pièce 9 à l’affidavit Tayyab, on mentionne plutôt que l’organisme de réglementation économique renvoie à de très nombreux éléments de preuve de « comportement anticoncurrentiel », sans donner d’exemples d’actes répréhensibles, et à une « enquête anticoncurrentielle » ayant permis d’obtenir de très nombreux éléments de preuve. Il n’y a aucune affirmation à propos de [traduction] « très nombreux éléments de preuve d’un complot » (soulignement ajouté) ou de fixation des prix. Le comportement anticoncurrentiel ou anti-monopole, d’une part, et la fixation des prix ou le complot, d’autre part, sont deux questions très différentes en vertu du droit de la concurrence canadien, et on ne saurait présumer que l’un est synonyme de l’autre. Le fait de confondre les deux reflète une mauvaise compréhension du droit de la concurrence au Canada. En vertu de la Loi, tous les comportements anticoncurrentiels ne sont pas sur le même pied d’égalité. Certains comportements sont criminels, d’autres ne le sont pas. Certains ouvrent la porte à un recours en vertu de l’article 36, d’autres non. La preuve d’un comportement « anticoncurrentiel » ou « anti-monopole » dans un pays étranger ne peut servir à établir un certain fondement factuel quant au caractère commun d’une question commune proposée relativement à une violation d’une disposition criminelle précise comme l’article 45, lorsque la preuve ne permet pas de déterminer le comportement anticoncurrentiel particulier qui est en jeu. J’ajouterais que le complot allégué par les demandeurs en l’espèce correspond à un accord visant à éliminer la fourniture de DRAM, dont la conséquence serait une augmentation des prix des DRAM. Il ne s’agit pas d’un complot visant à fixer les prix.

[231]   Enfin, contrairement à ce que les demandeurs allèguent dans leur Déclaration et font valoir dans leurs observations, l’enquête lancée par l’organisme de réglementation économique chinois en 2018 n’a pas été à l’origine de la conclusion par Samsung [traduction] « et le gouvernement chinois d’un accord selon lequel elle augmenterait sa fourniture de DRAM ». L’enquête anticoncurrentielle rapportée aux pièces 8 et 9 de l’affidavit Tayyab (documents datés respectivement du 4 juin et du 19 novembre 2018) n’a pas donné lieu au protocole d’entente. Les articles de presse sur l’enquête de la Chine indiquent plutôt expressément que le protocole d’entente (qui aurait été signé plus tôt en 2018) précédait l’enquête menée par les autorités anticoncurrentielles chinoises.

[232]   Encore une fois, comme c’était le cas pour les déclarations publiques dont il a été traité à la section IV.A ci-dessus, les demandeurs exagèrent certains faits dans une tentative d’établir un lien entre l’enquête de la Chine et leurs allégations relatives à l’existence d’un accord entre les défenderesses en vue d’éliminer la fourniture de DRAM et d’en augmenter les prix. Toutefois, les éléments de preuve qu’ils ont présentés n’appuient pas certaines de leurs allégations et de leurs observations. Dans la mesure où les documents relatifs à l’enquête de la Chine démontrent que les allégations tirées de ces documents sont erronées et inexactes, ils ne peuvent évidemment pas être acceptés comme fondement probatoire de l’existence de la question commune proposée relativement à une violation de l’article 45.

[233]   À l’audience devant cette Cour, les demandeurs ont allégué que, de toute façon, la preuve de l’enquête de la Chine concernant le comportement collusoire des défenderesses au Canada est contenue dans certains des rapports financiers de 2018 publiés par les défenderesses elles-mêmes. Après examen de la preuve sur laquelle se sont appuyés les demandeurs sur ce point, je ne suis pas convaincu par les observations des demandeurs et je ne suis pas d’avis que les défenderesses ont fait, dans leurs états financiers, des admissions de fait quant à l’existence de l’enquête de la Chine qui pourraient constituer un certain fondement factuel quant à l’existence d’une violation de l’article 45.

[234]   La pièce 10 de l’affidavit Tayyab est un rapport de Samsung renvoyant de façon générale à [traduction] « des réclamations, des litiges et des enquêtes menées par des organismes de réglementation », y compris des réclamations civiles concernant « la fixation des prix liés à la vente de TFT-LCD [un produit différent] » (à la page 225). Le rapport ne fait toutefois aucune mention d’enquêtes sur les prix des DRAM. La pièce 13 de l’affidavit Tayyab est un rapport de SK Hynix qui fait état de recours collectifs en fixation des prix déposés en Amérique du Nord (É.-U. et Canada) ainsi que d’une enquête anticoncurrentielle en Chine [traduction] « initiée pour enquêter sur la violation de la loi anticoncurrentielle concernant les ventes des principales entreprises de DRAM en Chine » (à la page 359). Je souligne que les états financiers de SK Hynix ne contiennent aucune référence à une enquête de « fixation des prix » ou d’« élimination de l’offre », ou à une enquête concernant un comportement ou des activités à l’extérieur de la Chine. La pièce 15 de l’affidavit Tayyab est un rapport de Micron faisant référence à [traduction] « un recours collectif apparemment déposé » (à la page 433) contre des fournisseurs de DRAM aux É.-U. et au Canada pour une fixation alléguée des prix des produits de DRAM au cours de la période du 1er juin 2016 au 1er février 2018. On y mentionne également que Micron a été avisée en mai 2018 par les autorités anticoncurrentielles chinoises qu’elles enquêtaient sur [traduction] « une collusion potentielle entre les fournisseurs de DRAM en Chine ». Une fois de plus, le rapport contient une référence qui se limite à une enquête concernant la Chine et qui ne fait aucune mention d’une enquête mondiale ou au Canada, sur la fourniture ou les prix des DRAM.

[235]   Cela dit, j’ai néanmoins procédé à un examen détaillé de la preuve des demandeurs relative à l’enquête de la Chine, et je conclus que les documents fournis ne présentent pas le fondement probatoire minimal requis pour étayer l’existence d’un accord conclu en violation de l’article 45. En d’autres termes, les articles de presse sur l’enquête de la Chine ne présentent pas un certain fondement factuel tendant à indiquer que la première question commune proposée par les demandeurs relativement à la responsabilité existe effectivement, car ils ne présentent pas le fondement probatoire minimal requis pour l’existence d’un complot illicite en vertu du droit canadien visant à limiter la fourniture de DRAM ou à faire augmenter indirectement les prix des DRAM au Canada.

[236]   Premièrement, je constate qu’aucun document n’émane de l’organisme anticoncurrentiel chinois lui-même. L’ensemble de la preuve fournie dans le cadre de l’enquête de la Chine consiste en des articles de presse faisant état du travail allégué des autorités anticoncurrentielles chinoises.

[237]   Deuxièmement, les articles de presse ne précisent pas clairement quel comportement anticoncurrentiel fait l’objet d’une enquête par les autorités anticoncurrentielles chinoises et indiquent que l’enquête de la Chine a une portée territoriale limitée. En effet, les documents font référence à une enquête sur le secteur des DRAM en Chine et sur les prix en Chine, et non pas sur un complot mondial touchant l’offre ou les prix des DRAM dans d’autres pays, dont le Canada. Rien dans la preuve relative à l’enquête de la Chine ne tend à indiquer ou ne permet de conclure que le comportement anticoncurrentiel examiné en Chine s’étend au-delà de la Chine.

[238]   Troisièmement, il n’y a aucune mention d’une enquête sur l’élimination, la restriction ou la limitation de la fourniture de DRAM, ni sur des augmentations des prix des DRAM découlant de cette élimination de l’offre, ce qui correspond au complot allégué par les demandeurs dans leur requête en autorisation.

[239]   Quatrièmement, il n’y a aucune mention d’un rapport, d’une conclusion ou d’une décision rendue par les autorités anticoncurrentielles chinoises, et aucune preuve n’indique si des conclusions réglementaires ont effectivement été tirées. On ne mentionne pas dans les articles les résultats de l’enquête de la Chine amorcée en 2018. De plus, ces articles n’indiquent pas que les sujets de l’enquête ont admis leur inconduite ou s’ils ont été sanctionnés pour celle-ci.

[240]   Cinquièmement, rien dans la preuve ne permet de conclure que l’enquête de la Chine porte sur des comportements qui pourraient contrevenir à l’article 45 de la Loi en vertu du droit canadien, ni de déduire l’existence d’un complot entre les défenderesses en violation de l’article 45. Il n’y a aucun élément de preuve concernant la loi applicable en Chine et rien n’indique que l’objet de l’enquête menée par les autorités anticoncurrentielles chinoises en vertu des lois chinoises constituerait un comportement interdit en vertu de l’une ou l’autre des dispositions criminelles de la Loi au Canada. Lorsqu’un demandeur a l’intention d’alléguer que certains comportements anticoncurrentiels faisant l’objet d’une enquête dans un pays étranger par un organisme étranger constituent un fondement probatoire concernant l’existence d’un accord illicite au Canada, il doit, à tout le moins, présenter des éléments de preuve à propos du comportement spécifique visé par l’enquête dans le pays étranger ainsi que des éléments de preuve démontrant que les lois du pays étranger interdisent un comportement qui serait illégal au Canada.

[241]   Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve de ce genre relativement à l’enquête de la Chine ou au comportement faisant l’objet d’une enquête par les autorités anticoncurrentielles chinoises.

[242]   Je souligne que le recours collectif en matière de concurrence envisagé par les demandeurs est une situation très rare où il n’y a ni allégation ni la moindre preuve concernant une enquête entreprise par une autorité en matière de concurrence ou une autorité anticoncurrentielle au Canada, aux É.-U., dans l’Union européenne ou dans un territoire de compétence autre que la Chine concernant la fourniture de DRAM ou les prix de ceux-ci. Or, les demandeurs prétendent que le complot qu’auraient ourdi les défenderesses a eu une incidence sur l’offre mondiale de DRAM.

[243]   Pour tous ces motifs, je conclus que la preuve relative à l’enquête de la Chine ne peut être considérée comme présentant un certain fondement factuel pour la question commune proposée par les demandeurs relativement à une violation de l’article 45 et à l’existence d’un complot criminel visant à restreindre la fourniture de DRAM et, par conséquent, à augmenter les prix des DRAM en vertu du droit canadien. La preuve concernant l’enquête d’un gouvernement étranger ne peut pas établir de fondement factuel pour une infraction de complot au Canada, lorsqu’il n’y a aucune preuve concernant la nature réelle de l’enquête et le comportement anticoncurrentiel précis visé par l’enquête, aucune preuve en ce qui concerne les organismes de réglementation étranges ou les conclusions qu’ils ont tirées, aucune preuve que la portée de l’enquête comprend ou s’étend au Canada, et aucune preuve sur le droit étranger et sur la question de savoir si le comportement anticoncurrentiel faisant l’objet de l’enquête dans le pays étranger, et éventuellement d’une sanction dans ce pays, est également un comportement qui constituerait un accord illicite en vertu du droit canadien.

(iii)  Restrictions de l’offre, augmentations de prix et structure de l’industrie

[244]   Le deuxième indice d’une violation de l’article 45 invoqué par les demandeurs comme preuve appuyant l’existence du complot se rapporte aux restrictions de l’offre et aux augmentations de prix coordonnées qu’ils dénoncent et, indirectement, à la structure de l’industrie des DRAM. Une fois de plus, je conviens avec les défenderesses que le dossier dont je dispose ne contient strictement aucune preuve sur ces points.

[245]   En ce qui concerne les « restrictions coordonnées de la fourniture » de DRAM mentionnées par les défenderesses, il n’y a aucune preuve concernant la « fourniture », les « restrictions » ou l’élément de « coordination » de cette affirmation.

[246]   Premièrement, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve relatif à la fourniture de DRAM : il n’y a aucune preuve concernant la capacité des défenderesses ou leur fourniture de DRAM avant ou après la période visée par le recours collectif, aucune preuve de la fourniture de DRAM pendant la période visée par le recours collectif et aucune preuve de ce à quoi la fourniture de DRAM aurait pu ressembler pendant la période visée par le recours collectif n’eût été les mesures que les défenderesses auraient prises pour éliminer l’offre.

[247]   Deuxièmement, aucun élément de preuve n’atteste de l’élimination, la restriction ou la limitation de la fourniture de DRAM par les défenderesses. Comme il est expliqué en détail dans l’analyse des déclarations publiques figurant ci-dessus (à la section IV.A), les éléments de preuve tirés des déclarations publiques présentés par les demandeurs font plutôt état d’augmentations, actuelles ou prévues, de la fourniture de DRAM pendant la période visée par le recours collectif. Il ressort des déclarations publiques auxquelles les demandeurs ont fait référence que les défenderesses ont augmenté leur fourniture de DRAM et qu’il y a eu une croissance de la fourniture de DRAM, bien que l’offre ait augmenté moins rapidement que la demande. De plus, les défenderesses ont exprimé à maintes reprises une intention claire d’accroître la fourniture de DRAM pendant la période visée par le recours collectif, et non de la limiter ou de la diminuer. En l’espèce, les éléments de preuve établissant une croissance de l’offre inférieure à la croissance de la demande ne décrivent pas une situation comparable à une forme de restriction concertée de la production visée à l’alinéa 45(1)c) de la Loi.

[248]   Troisièmement, il n’y a aucune preuve de « coordination » ou d’une action concertée entre les défenderesses en ce qui concerne la fourniture ou le prix des DRAM, et rien n’atteste que l’augmentation des prix des DRAM était liée d’une façon quelconque à l’état de la fourniture de DRAM.

[249]   En ce qui concerne les « augmentations de prix coordonnées » alléguées, il convient de souligner que je n’ai trouvé aucun élément de preuve dans les documents joints aux affidavits des demandeurs, ou ailleurs dans le dossier, signalant l’existence d’un accord, d’échanges ou de communications entre les défenderesses relativement aux prix des DRAM. On ne fait aucune référence aux prix des DRAM, et encore moins à des signaux relativement aux prix ou de tout accord sur les prix, dans les dizaines de paragraphes de la Déclaration portant sur les déclarations publiques des défenderesses ou dans les documents eux-mêmes. En résumé, il n’existe ni fait substantiel ni élément de preuve établissant un fondement factuel à l’égard des allégations des demandeurs selon lesquelles les défenderesses ont conclu un accord ou ont comploté en vue de limiter, de fixer ou d’augmenter, directement ou indirectement, les prix des DRAM.

[250]   Je ne commenterai que brièvement la structure de l’industrie des DRAM et sa nature oligopolistique. En bref, en conformité avec la conclusion de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Hazan (et celle de la Cour de district des É.-U. dans un recours collectif instruit parallèlement aux É.-U. dans l’affaire Jones), je conclus que le simple fait que l’industrie des DRAM soit un oligopole, ce qui n’est pas en soi anticoncurrentiel, ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour permettre à la Cour d’autoriser le recours collectif en l’espèce. La structure de l’industrie des DRAM et ses caractéristiques — comme la présence d’un petit nombre d’acteurs, l’inélasticité de la demande de produit, la nature du produit et les obstacles à l’accès dans l’industrie —, en l’absence de tout fondement factuel concernant un accord concerté entre les défenderesses, ne constituent pas des indices ou des éléments de preuve attestant l’existence du complot allégué en violation de l’article 45.

[251]   Même l’expert des demandeurs, Dr. Singer, a admis que, en présence d’un comportement et d’une structure oligopolistiques, mais en l’absence de coordination des prix, de la production ou de la capacité, et en l’absence de toute communication de renseignements sensibles sur la concurrence — ce qui correspond précisément à la situation en l’espèce —, [traduction] « il n’est pas possible de conclure qu’il s’agit d’une affaire anticoncurrentielle ». Autrement dit, les conditions générales du marché oligopolistique observées dans l’industrie des DRAM ne sont pas, en l’absence de preuves sur le comportement concerté des participants au marché, des pratiques de facilitation ou des « facteurs supplémentaires » qui permettraient à un tribunal de conclure ou de déduire qu’il y a eu ou aurait pu y avoir un complot illégal. Les caractéristiques oligopolistiques d’une industrie sont tout aussi susceptibles d’être compatibles avec un comportement innocent qu’avec un comportement illégal.

[252]   Je dois également insister sur le fait que les éléments de preuve sur l’augmentation générale des prix — même importante —, en l’absence de lien avec toute forme de comportement concerté ou coordonné, ne constituent pas un fondement de fait permettant de démontrer ou de déduire l’existence d’un complot illégal visé à l’article 45 de la Loi. Au Canada, les augmentations simultanées des prix ou même la fixation des prix qui peuvent sembler anticoncurrentielles ne constituent pas un comportement criminel. Seuls un complot ou un accord visant à fixer les prix, à répartir les parts de marché ou à restreindre la production constituent un comportement criminel. Le recours en dommages-intérêts prévu à l’article 36 de la Loi nécessite qu’il y ait eu un comportement illégal en violation de certaines dispositions criminelles de la Loi. La présence d’effets anticoncurrentiels ou d’une structure industrielle particulière ne suffit pas à justifier un recours en dommages-intérêts au titre de l’article 36.

[253]   J’ajouterais que, contrairement aux observations des demandeurs, aucun tribunal canadien n’a autorisé un recours collectif en matière de concurrence dans un marché oligopolistique au motif que le parallélisme conscient est un moyen de défense au fond. Dans les affaires citées par les demandeurs, le moyen de défense fondé sur le parallélisme conscient n’a pas été examiné à l’étape de l’autorisation parce qu’il y avait un certain fondement factuel incontesté appuyant l’existence du complot, et non parce que le parallélisme conscient était une question de fond. Ce fondement factuel avait été fourni au moyen d’aveux, de plaidoyers de culpabilité et d’éléments de preuve satisfaisants d’enquêtes portant sur le comportement reproché, et la question du respect des conditions d’autorisation pour les questions communes proposées en matière de responsabilité n’était tout simplement pas en cause.

(iv)  Communications privées et déclarations publiques des défenderesses

[254]   Comme troisième catégorie de preuve qui pourrait offrir un certain fondement factuel en ce qui concerne l’existence d’un accord visé par l’article 45, les demandeurs invoquent les communications privées alléguées entre les défenderesses.

[255]   Ces éléments ont été expliqués en détail dans l’analyse des exigences relatives à la cause d’action valable à la section IV.A ci-dessus, où je me suis penché sur les allégations des défenderesses et ai conclu à l’absence de faits substantiels. Concernant les communications privées directes et les déclarations publiques, je conclus également que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve établissant un certain fondement factuel à l’égard du complot allégué.

[256]   J’ai indiqué précédemment qu’il n’y a aucun fait substantiel à l’appui des allégations selon lesquelles les défenderesses [traduction] « se sont rencontrées et ont communiqué entre elles, directement et indirectement, au téléphone et en personne ». J’estime également qu’il n’y a strictement aucun élément de preuve établissant un certain fondement factuel à l’appui de l’allégation selon laquelle les défenderesses se sont déjà rencontrées en privé ou ont eu des communications directes entre elles. En fait, le dossier ne comprend pas la moindre preuve que les défenderesses se sont rencontrées ou ont communiqué directement entre elles à quelque moment que ce soit, encore moins pour discuter de la fourniture de DRAM ou des prix des DRAM.

[257]   Je tire la même conclusion en ce qui a trait aux réunions d’associations commerciales. Les demandeurs soutiennent que les défenderesses se sont rencontrées lors de réunions d’associations commerciales, faisant référence plus précisément à certaines réunions précises de la Global Semiconductor Alliance et du World Semiconductor Council. Toutefois, le dossier ne comprend aucun élément de preuve au sujet de telles rencontres, de la présence des défenderesses à celles-ci, ou de toute discussion privée ayant eu lieu ou de tout accord ayant été conclu dans le cadre de telles rencontres. La seule preuve produite par les demandeurs relativement à leurs allégations d’association commerciale consiste en des impressions des sites Web de la Global Semiconductor Alliance, de la Semiconductor Industry Association et de l’organisation World Semiconductor Trade Statistics  indiquant que les défenderesses appartiennent à ces organisations.

[258]   Cette preuve sur l’adhésion parfaitement légale à des associations professionnelles également parfaitement légales, voire sur la présence de participants à des rencontres d’associations professionnelles parfaitement légales, ne constitue aucun fondement factuel de l’existence d’un complot auquel participeraient les défenderesses.

[259]   Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve décrivant des interactions suspectes ou réelles entre les défenderesses lors de ces rencontres d’associations commerciales, ni d’interactions laissant entrevoir la conclusion d’un accord visant à limiter la fourniture de DRAM ou à augmenter les prix des DRAM. Encore une fois, les éléments de preuve ne disent rien sur le comportement des défenderesses, ou sur toute communication ou tout accord conclu par elles à la suite des réunions d’associations commerciales. À l’exception de l’appartenance des défenderesses à des associations commerciales, il n’y a aucun élément de preuve permettant de déduire que les défenderesses aient été présentes lors de rencontres « clés » qui auraient eu lieu et dont on fait mention au paragraphe 103 de la Déclaration, qu’elles aient communiqué ou discuté entre elles lors de ces rencontres, qu’il y ait eu des communications ou des discussions à propos de l’élimination de la fourniture de DRAM ou des prix des DRAM, ou que les défenderesses aient conclu une entente mutuelle ou qu’elles aient convenu de quoi que ce soit lors de ces rencontres. Aucune n’indique non plus que la fourniture de DRAM a diminué après l’un ou l’autre de ces événements d’association commerciale.

[260]   Les rencontres d’associations commerciales ne peuvent en soi prouver que les membres de ces associations ont adopté un comportement répréhensible. En somme, les documents des associations commerciales ne me permettent pas de conclure qu’il y a un quelconque fondement factuel à la violation alléguée de l’article 45.

[261]   En ce qui concerne les déclarations publiques des défenderesses faites lors de conférences en vue de la communication des résultats financiers et de conférences pour les investisseurs, elles ne comportent pas non plus d’éléments de preuve qui appuieraient l’allégation selon laquelle les défenderesses ont conclu un accord afin d’éliminer la fourniture de DRAM. En fait, comme il a été mentionné à la section IV.A, elles révèlent le contraire, soit l’intention indépendante des défenderesses d’accroître leur fourniture respective de DRAM pendant la période visée par le recours collectif, ainsi que la croissance effective de la fourniture de DRAM, bien qu’à un rythme inférieur à la croissance de la demande. À titre d’exemple, tout au long de la période visée par le recours collectif, SK Hynix a répété et systématiquement déclaré publiquement qu’elle allait augmenter sa capacité de production de plaquettes de DRAM et son offre, notamment grâce à des investissements massifs dans l’agrandissement de la zone de production d’une installation existante et dans la construction d’une nouvelle installation de fabrication de DRAM.

[262]   Aucune des déclarations publiques invoquées par les demandeurs ne présente un fondement probatoire à l’appui d’un accord visant à éliminer la fourniture de DRAM. Il n’y a aucune preuve d’élimination, de restriction ou de limitation de l’offre en soi. Il n’y a pas non plus de preuve d’une intention, d’un engagement ou d’un consensus à cet égard, à partir de laquelle on pourrait conclure à un accord ou en déduire l’existence. Les déclarations publiques ne présentent aucun fondement factuel à l’appui du complot allégué. En revanche, elles témoignent d’une absence de fondement probatoire du complot allégué.

[263]   Il n’y aucun fondement probatoire concernant des « pratiques facilitantes » se rapportant au comportement des défenderesses — comme le partage de renseignements de nature délicate sur le plan de la concurrence à propos de la production, la capacité ou les prix, la coordination entre les défenderesses ou des activités aidant à la surveillance mutuelle — qui pourraient fournir une preuve circonstancielle d’un accord.

[264]   Je n’ai pas besoin de répéter l’analyse détaillée quant à l’absence de faits substantiels faite à la section IV.A ci-dessus en ce qui concerne les déclarations publiques, le « consensus de l’industrie » allégué ou l’« intention » ou l’« engagement » allégués en vue de restreindre l’offre attribuée aux défenderesses. Tout comme je soulignais l’absence de faits substantiels, je ne relève aucun fondement probatoire à l’appui de l’existence possible d’un accord, d’une rencontre de volontés ou d’une entente mutuelle entre les défenderesses. Je souligne également l’absence de preuve d’actes manifestes de la part de l’une ou l’autre des défenderesses qui aurait pu indiquer une forme de communication bilatérale ou une ligne de conduite à partir de laquelle on pourrait raisonnablement déduire l’acceptation d’une offre. Il n’y a seulement que des documents montrant l’état d’esprit et la réflexion indépendante de chaque défenderesse, et des preuves d’actes unilatéraux concernant la fourniture de DRAM de chaque défenderesse, sans intention explicite ou implicite d’éliminer ou de limiter l’offre, sans échange de renseignements confidentiels sur l’offre, et sans invitation directe ou indirecte aux autres concurrents à participer à une forme quelconque d’actions concertées.

(v)   Comportement antérieur

[265]   La quatrième catégorie de preuve invoquée par les demandeurs se rapporte au comportement antérieur des défenderesses. Certains documents à ce propos sont joints comme pièces à l’affidavit Tayyab. Malgré la nature unique de leur réclamation concernant un complot visant à éliminer la fourniture de DRAM, les demandeurs invoquent l’enquête antérieure sur les DRAM ainsi que les recours collectifs subséquents dans l’affaire Infineon comme constituant un certain fondement factuel à l’égard des allégations concernant le comportement des défenderesses entre 2016 et 2018. Cette enquête antérieure sur les DRAM représentait un cas type de fixation des prix.

[266]   Les demandeurs allèguent que, dans l’affaire Infineon, chacune des défenderesses a déjà participé à des arrangements de fixation des prix concernant le marché des DRAM, à l’égard desquels elles ont plaidé coupables ou ont collaboré avec les autorités et payé d’importantes amendes. Les demandeurs font valoir que cette preuve sur le comportement antérieur des défenderesses est pertinente à la présente étape de l’autorisation. Ils soutiennent que, bien que le recours collectif qui a été accueilli relativement au complot international antérieur de fixation des prix des DRAM des défenderesses ne prouve pas le comportement actuel, il suggère que le recours collectif actuel, dans le cadre duquel on allègue des causes d’action et des questions communes semblables, peut être autorisé.

[267]   Je ne suis pas d’accord, et je conclus plutôt que ce comportement antérieur ne constitue pas un fondement factuel quant à l’existence du comportement différent désormais allégué par les demandeurs dans la requête en autorisation qui nous occupe.

[268]   Le fait qu’un recours collectif antérieur fondé sur un complot en vue de fixer les prix de la DRAM entre 1999 et 2002 a été autorisé ne permet pas d’établir un certain fondement factuel selon lequel les défenderesses ont convenu d’éliminer la fourniture de DRAM, comme il est allégué en l’espèce, quelque 15 ans plus tard, d’autant plus que l’affaire antérieure ne portait pas sur le même comportement (fixation des prix par opposition à l’élimination de l’offre) et que les défenderesses n’avaient pas contesté les allégations d’accord illégal dans cette affaire. Comme je l’ai mentionné précédemment à la section II.F, l’affaire qui nous occupe diffère considérablement de l’affaire Infineon. Dans cette affaire, le complot allégué visait la fixation des prix des DRAM et l’accord n’était pas du tout contesté, puisque les défenderesses avaient en fait reconnu le complot international concernant la fixation des prix (Infineon, au paragraphe 5). En outre, il y avait également des allégations de discussions directes au cours desquelles les prétendues parties au complot auraient fixé les prix des DRAM (Option Consommateurs c. Infineon Technologies, a.g., 2008 QCCS 2781 (CanLII), 2008 CarswellQue 5729 (WL Can.), au paragraphe 57). De plus, il y avait des éléments de preuve, provenant directement des organismes responsables de la concurrence américains et européens concernés, relativement à l’existence du complot mondial allégué, les enquêtes en cours par ces autorités gouvernementales et les ententes sur le plaidoyer conclues par les défendeurs (Infineon, aux paragraphes 80 à 139). En l’espèce, les demandeurs allèguent qu’un accord a été conclu en vue d’éliminer la fourniture de DRAM, en s’appuyant principalement sur des signaux dans des déclarations publiques, sans aveux ni plaidoyers de culpabilité, et sans qu’aucune enquête n’ait été menée par les autorités de la concurrence au Canada, aux É.-U. ou ailleurs relativement au comportement allégué d’élimination de la fourniture de DRAM.

[269]   Par ailleurs, le complot dans l’affaire Infineon que les demandeurs ont allégué a pris fin quelque 15 ans avant que le complot qu’ils dénoncent maintenant ne se produise. Comme les demandeurs le reconnaissent dans leurs documents, l’industrie des DRAM est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était à l’époque de l’affaire Infineon.

(vi)  La plainte américaine modifiée

[270]   Dans leurs observations présentées à la Cour, les demandeurs ont également renvoyé à la plainte américaine modifiée jointe comme pièce à l’un de leurs affidavits et ont soutenu qu’elle offrait un certain fondement factuel à l’égard des questions communes qu’ils proposaient en ce qui concerne la responsabilité. Les demandeurs soutiennent que la plainte américaine modifiée constitue notamment une preuve que certaines personnes non désignées au sein des organisations des défenderesses ont admis une certaine action concertée.

[271]   Je ne suis pas d’accord. La plainte américaine modifiée ne constitue pas une preuve des faits qu’elle contient et ne constitue qu’une preuve que les demandeurs américains ont formulé ces allégations. Comme l’a fait remarquer la Cour supérieure du Québec dans la décision Hazan, les renvois à des actes de procédure américains dans lesquels le même complot est allégué ne constituent pas une preuve appropriée puisque ces actes de procédure sont rédigés par des avocats et ne constituent que des opinions ou des arguments juridiques. L’exigence relative aux questions communes requiert que les demandeurs établissent un certain fondement factuel pour leurs questions communes proposées, et non qu’ils présentent certaines allégations formulées dans une poursuite criminelle à l’étranger.

(vii)  Les rapports Singer

[272]   Enfin, les demandeurs ont également mentionné à l’audience devant cette Cour, le rapport principal de Dr. Singer et certains extraits concernant la structure du marché de l’industrie des DRAM, pour fournir un certain contexte probatoire à l’appui du complot allégué.

[273]   Encore une fois, je ne suis pas convaincu que les rapports Singer fournissent des éléments de preuve qui constituent un certain fondement factuel de l’existence de la violation alléguée de l’article 45. Les renvois à la structure de marché des DRAM ou aux fluctuations de prix dans les rapports Singer n’établissent pas un certain fondement factuel quant à l’existence de la question commune proposée en lien avec une violation de l’article 45, puisque ces caractéristiques d’une structure de marché oligopolistique sont également compatibles avec un comportement parfaitement légal. Je remarque également que Dr. Singer indique clairement dans son rapport principal qu’on ne lui a pas demandé de se prononcer sur l’existence d’un accord entre les défenderesses ou sur l’existence d’une collusion.

[274]   Le simple fait de présenter un rapport d’expert ne suffit pas pour établir un certain fondement factuel relativement à une question commune proposée. Je dois être convaincu, sans examiner en détail la preuve, que le témoignage de l’expert sur la question en litige est suffisamment fiable pour présenter un certain fondement factuel quant à l’existence de la question commune. Je reconnais que la preuve à l’étape de l’autorisation, y compris les témoignages d’expert, doit être examinée selon une norme moins rigoureuse que celle à laquelle elle sera soumise au procès, mais il n’en demeure pas moins qu’il existe une norme qui doit être respectée. En l’espèce, Dr. Singer indique expressément que son rapport n’était pas censé présenter une opinion sur la question de l’existence du complot allégué et il ne l’a pas fait.

(viii)            L’affaire Crosslink

[275]   Pour revenir brièvement à l’affaire Crosslink, je fais simplement remarquer qu’elle contient une analyse très limitée de l’exigence du certain fondement factuel pour le complot allégué, puisque le juge de première instance dans cette affaire semble avoir supposé que le fondement probatoire nécessaire pour la question commune de la responsabilité proposée était respecté (Crosslink 1, aux paragraphes 104 à 111).

[276]   Dans la mesure où, dans l’affaire Crosslink 2, la cour semble avoir adopté une approche en une étape et avoir nié la nécessité de démontrer un certain fondement factuel pour l’existence de la question de la responsabilité commune, à savoir l’existence d’un complot, je ne suis pas d’accord avec ses conclusions (Crosslink 2, aux paragraphes 51 à 57). Je ne conteste pas le fait que, à l’étape de l’autorisation, il n’est pas nécessaire de présenter des éléments de preuve pour établir si un complot a effectivement eu lieu, mais il faut en présenter suffisamment (c.àd. un certain fondement factuel) pour établir qu’un complot existe effectivement. L’allégation de complot et la question commune proposée relativement au complot doivent être fondées sur certains éléments de preuve, et non seulement sur de simples affirmations et conjectures. Comme je l’ai déjà mentionné concernant le critère à deux étapes, le certain fondement factuel n’est pas simplement nécessaire pour déterminer le caractère commun de la question de la responsabilité, mais également pour établir l’existence du complot allégué.

b)    Violation de l’article 46

[277]   Passons maintenant à la deuxième question commune proposée concernant la responsabilité, à savoir la violation de l’article 46. Il suffit de dire que, s’il n’y a aucun fondement factuel pour une violation de l’article 45, il en va de même pour la violation de l’article 46, qui constitue un prolongement de l’article 45. J’ajouterais qu’en plus de l’absence de preuve en ce qui concerne un complot allégué en vertu de l’article 45, il n’y a pas la moindre preuve à l’égard des autres principaux éléments constitutifs d’une directive étrangère en violation de l’article 46 : les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve sur l’application d’une directive, d’une instruction, d’un énoncé de politique ou d’une autre communication étrangère par l’une des défenderesses, ou sur la façon dont cette directive, cette instruction, cet énoncé de politique ou cette communication a été faite dans le but de donner effet à un complot conclu à l’extérieur du Canada qui contreviendrait à l’article 45.

c)    Conclusion sur les questions communes proposées quant à la responsabilité

[278]   En résumé, non seulement les allégations des demandeurs au sujet du complot allégué sont insuffisantes pour satisfaire à l’exigence relative à la cause d’action valable, mais les demandeurs n’ont pas présenté non plus un certain fondement factuel en ce qui concerne les questions communes proposées relativement aux actes répréhensibles allégués, soit une violation de l’article 45, relatif au complot, ou de l’article 46, relativement aux directives étrangères. Je ne relève aucun élément de preuve ou fondement factuel appuyant toute élimination, restriction ou limitation de la fourniture de DRAM par les défenderesses. Je ne relève aucun élément de preuve ou fondement factuel démontrant que des augmentations des prix des DRAM sont liées à une forme quelconque d’élimination, de restriction ou de limitation de l’offre. Je ne relève aucun élément de preuve ou fondement factuel concernant une action concertée ou coordonnée de la part des défenderesses concernant la fourniture de DRAM ou de ses prix ni élément de preuve permettant de tirer une telle inférence. Je ne relève aucun élément de preuve ou fondement factuel de communications bilatérales entre les défenderesses portant sur la fourniture de DRAM ou ses prix ni de comportement de la part des défenderesses à partir duquel on pourrait déduire l’existence d’un accord de volontés ou d’une entente mutuelle. Bien au contraire, les seuls éléments de preuve présentés ne concernent qu’une série de comportements unilatéraux non criminels des défenderesses.

[279]   Je souligne qu’il ne s’agit pas d’une affaire où j’ai dû trancher des faits ou des éléments de preuve contradictoires, ce que je n’aurais pas pu faire à l’étape de l’autorisation. Il s’agit plutôt d’une affaire où je constate l’absence d’un contexte probatoire ou d’un fondement factuel à l’égard des actes répréhensibles allégués par les demandeurs.

d)    Questions communes proposées quant aux dommages et aux pertes

[280]   Vu ma conclusion selon laquelle il n’y a aucun fondement factuel aux questions communes proposées en ce qui concerne une violation des articles 45 ou 46 de la Loi, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions communes proposées soulevées par les demandeurs en ce qui concerne les dommages ou la perte ni d’examiner les intérêts et les frais d’enquête. S’il n’y a aucun élément de preuve et aucun fondement factuel à l’égard des questions communes proposées quant au comportement et à la responsabilité, ainsi qu’à l’existence du complot allégué, aucune des questions communes proposées concernant les dommages ou la perte allégués, ou les intérêts ou les frais d’enquête, ne peut être autorisée, puisque toutes ces autres questions communes proposées découlent du comportement ou de la responsabilité allégués (Simpson, aux paragraphes 26 et 45).

[281]   Je suis conscient du fait que les parties ont consacré une bonne partie de leurs observations écrites et orales à ces questions communes proposées en ce qui concerne les dommages causés ou la perte, et aux rapports Singer, plus particulièrement en ce qui concerne la question de savoir s’il existe un certain fondement factuel au dossier permettant d’établir la perte ou les dommages allégués à l’égard de tous les membres du groupe. Il s’agit habituellement de la principale question en litige dans les recours collectifs allégués en matière de concurrence fondés sur une violation de l’article 45, qui porte principalement sur l’existence d’une méthode suffisamment crédible et plausible pour établir la perte ou les dommages à l’échelle du groupe et le critère énoncé par la C.S.C. dans l’arrêt ProSys (Pro-Sys, au paragraphe 118).

[282]   En l’espèce, le préjudice allégué consiste en l’augmentation des prix des DRAM causée par des restrictions coordonnées de la fourniture de DRAM. Sans surprise, vu les divergences d’opinions entre les parties quant à l’existence du complot, le principal point en litige était la capacité de la méthode de Dr. Singer de faire la distinction entre les augmentations de prix résultant d’une collusion illégale et les augmentations de prix résultant d’un parallélisme conscient et légal. Selon les défenderesses, la méthode de Dr. Singer n’était pas en mesure de traiter les faits avancés en l’espèce (et n’était donc pas réaliste). Elles affirment que la méthode proposée ne faisait pas la distinction entre des comportements oligopolistiques légaux comme le parallélisme conscient, qui peut causer des prix supra-concurrentiels, et les complots illégaux, qui mènent, eux aussi, à des prix supra-concurrentiels. Selon les demandeurs, la méthode proposée par Dr. Singer était en mesure de contrôler et d’expliquer toutes les forces concurrentielles qui auraient pu avoir une incidence sur les prix des DRAM, car le modèle tient compte de l’effet des interactions oligopolistiques entre les fournisseurs de DRAM par les variables de l’offre et de la demande, et les tendances temporelles de son modèle.

[283]   Comme je l’ai déjà mentionné, étant donné mes conclusions sur les questions communes proposées quant à la responsabilité, je n’ai pas à déterminer si la méthode de Dr. Singer satisfait aux exigences du critère énoncé dans l’arrêt Pro-Sys, puisque les questions communes proposées en ce qui concerne les dommages ou la perte ne peuvent pas être autorisées de toute façon. Je ferai toutefois observer que, si la méthode de Dr. Singer ne pouvait effectivement pas tenir compte de la structure oligopolistique de l’industrie des DRAM et isoler le potentiel de parallélisme conscient des participants au marché — qui est un comportement parfaitement légal au Canada —, il ne s’agirait probablement pas d’une méthode crédible, plausible ou réaliste fondée sur les faits de la présente espèce permettant à la Cour d’établir la perte ou les dommages causés par un accord illégal. Toutefois, il ne s’agit pas d’une conclusion factuelle que je dois tirer pour conclure que le recours collectif des demandeurs ne peut être autorisé. Tant en ce qui concerne la cause d’action valable que l’exigence relative aux questions communes, la requête en autorisation des demandeurs échoue quant au complot allégué à l’origine de leurs réclamations, et c’est sur ce fondement que l’autorisation est refusée.

3)    Conclusion

[284]   Pour l’ensemble des motifs énoncés ci-dessus, je conclus que les demandeurs ne satisfont pas à l’exigence relative aux questions communes aux fins d’autorisation. En outre, si aucune des questions communes proposées ne peut être autorisée, il s’ensuit que le recours collectif envisagé ne peut être autorisé. En l’absence de questions communes, le recours collectif n’est pas justifié.

[285]   L’article 45 est la pierre angulaire de la Loi et a souvent été décrit comme sa disposition la plus importante. Les allégations de complots illégaux en violation de l’article 45 sont graves, et un recours dans lequel on allègue une violation de l’article 45 ne peut être entrepris à la légère, surtout lorsque les dommages-intérêts demandés s’élèvent à un milliard de dollars. Un recours collectif en droit de la concurrence relatif à un complot visé par l’article 45 de la Loi ne peut être autorisé sur le fondement de pures conjectures ou d’un vœu pieux quant à l’existence d’un accord ainsi que sur l’absence d’une preuve minimale de comportement illégal. C’est la situation qui nous a été présentée en l’espèce.

[286]   À mon avis, le fait de permettre la poursuite du recours collectif envisagé par les demandeurs sur la foi du dossier qui m’a été présenté concernant l’accord allégué donnerait lieu à un dangereux précédent susceptible d’ouvrir la voie au dépôt de réclamations fondées sur l’article 36 uniquement en fonction d’effets anticoncurrentiels apparents et d’allégations et de conjectures non fondées concernant le comportement collusoire de parties soupçonnées de complot. Essentiellement, cela voudrait dire qu’un recours collectif en droit de la concurrence visant à obtenir des dommages-intérêts en vertu de la Loi pour une violation de l’article 45 pourrait être autorisé en l’absence totale de tout fondement factuel ou d’une preuve minimale concernant l’élément fondamental de l’infraction de complot, à savoir l’existence d’un accord entre les défenderesses.

[287]   Il est assurément tentant de voir ou d’imaginer qu’un complot illégal a lieu entre des fournisseurs lorsqu’il y a des augmentations de prix simultanées — surtout lorsqu’il s’agit de hausses importantes — dans une industrie concentrée ou un oligopole. En fait, il s’agit d’un commentaire que nous entendons souvent au Canada quand il semble y avoir des augmentations simultanées du prix de l’essence au détail. Toutefois, c’est le comportement coordonné des concurrents qui rend en soi illégaux certains comportements en vertu de l’article 45 de la Loi et qui ouvre la voie à une demande en dommages-intérêts en vertu de l’article 36, et non l’existence réelle ou probable d’effets anticoncurrentiels comme un constat d’augmentations de prix. Les modifications apportées en 2009 à l’article 45 de la Loi ont créé le principe selon lequel trois types de comportements coordonnés de la part des concurrents (à savoir la fixation des prix, la répartition de marchés ou la restriction de la production) sont si manifestement préjudiciables à la concurrence qu’ils devraient être automatiquement interdits, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir des éléments de preuve sur leurs effets anticoncurrentiels négatifs. Cependant, la situation inverse n’est pas vraie. L’article 45 ne prévoit pas que la preuve d’effets anticoncurrentiels réels ou probables constitue la preuve de l’existence d’un accord illicite entre concurrents, sans aucun fait substantiel ou élément probant quant au comportement concerté des concurrents. Il doit y avoir une preuve directe ou circonstancielle du complot, de l’arrangement ou de l’accord allégué.

[288]   L’autorisation du recours collectif envisagé par les demandeurs en l’espèce obligerait essentiellement la Cour à faire fi de la structure fondamentale de la Loi et du fait qu’elle reconnaît que le comportement unilatéral et non criminel de concurrents, même s’il peut avoir des effets anticoncurrentiels et nuire à l’économie et aux Canadiens, n’ouvre pas la porte à des recours civils en dommages-intérêts en vertu de l’article 36. La Loi prévoit que plusieurs comportements ayant des effets anticoncurrentiels réels ou probables peuvent donner lieu à des mesures civiles d’application de la loi de la part du Commissaire ou sollicitées par des parties privées devant le Tribunal ainsi qu’à des mesures correctives imposées par le Tribunal. Toutefois, seule une liste limitée de comportements criminels précis permet aux demandeurs de solliciter des dommages-intérêts en vertu de l’article 36. Sous le régime canadien du droit de la concurrence, il faut plus que des augmentations de prix simultanées, aussi anormales soient-elles, pour fonder un recours en dommages-intérêts reposant sur une violation alléguée de l’article 45. Il faut un accord explicite ou tacite. Il faut un comportement criminel interdit. Il s’agit du lien essentiel qui est absent de la requête en autorisation des demandeurs, et voilà la raison pour laquelle leur réclamation trébuche à l’étape de l’autorisation.

[289]   L’existence d’une entente explicite ou tacite constitue le cœur de la disposition sur le complot, d’autant plus que le nouvel article 45 interdit les cartels injustifiables et les érige en infractions automatiques en vertu de la Loi. En l’espèce, les allégations des demandeurs et la preuve qui m’a été présentée ne me permettent même pas de déceler ne serait-ce qu’un pouls.

[290]   Je formule deux dernières observations.

[291]   L’argument selon lequel une requête en autorisation est un processus procédural et ne devrait pas être un examen au fond a été répété comme un refrain tout au long des observations écrites et orales des demandeurs. Les demandeurs et leurs avocats ont souvent brandi le spectre d’une incursion inappropriée dans le fond de l’affaire dès que la Cour — dans le but d’évaluer adéquatement les faits à l’origine de la requête en autorisation des demandeurs — examinait de plus près les allégations formulées dans les actes de procédure ou le contexte probatoire présenté par les demandeurs dans la requête.

[292]   Je ne remets pas en question le fait que les recours collectifs constituent un moyen procédural spécifique pour les parties et qu’une requête en autorisation n’est pas l’instrument approprié pour se concentrer sur le fond et le bien-fondé d’un recours collectif envisagé. Cependant, l’étape de l’autorisation n’en reste pas moins un important mécanisme de contrôle qui doit fonctionner comme un « mécanisme de filtrage efficace » et qui ne doit pas être considéré comme une « simple formalité » (Desjardins, au paragraphe 74; Oratoire, au paragraphe 62; Pro-Sys, au paragraphe 103). Contrairement à ce que les demandeurs semblaient laisser entendre, le fait pour un tribunal de procéder à un examen rigoureux de la requête en autorisation d’un demandeur et d’en examiner attentivement les allégations, les faits substantiels et les éléments de preuve présentés par un demandeur dans le cadre d’une requête en autorisation ne signifie pas que l’examen se métamorphose en un examen du fond de l’affaire. Comme la C.S.C. l’a souvent affirmé, ceci s’inscrit plutôt dans le rôle et l’obligation qu’ont les tribunaux de faire plus qu’approuver sans discussion et de procéder à un examen symbolique des recours collectifs envisagés à l’étape de l’autorisation, et de s’assurer que les conditions d’autorisation sont effectivement respectées.

[293]   Il s’agit de l’analyse que j’ai menée dans les présents motifs.

[294]   Les mises en garde répétées des demandeurs ont parfois donné l’impression que l’aspect procédural du processus d’autorisation était présenté comme un bouclier pour protéger la requête des demandeurs contre tout examen qui serait plus que timide et « léger » de la part de la Cour. En toute déférence, je ne suis pas d’accord pour dire que le processus d’autorisation peut être réduit à une portée aussi étroite et à un exercice aussi vide et futile. Il se peut fort bien que, lorsque la procédure constitue la principale logique à l’appui de l’autorisation d’un recours collectif envisagé, elle devienne le principal argument avancé par le demandeur. Toutefois, à mon avis, la dimension procédurale du recours collectif n’a jamais été conçue pour réduire le processus d’autorisation à un processus dénué de sens ou pour devenir en quelque sorte comme une feuille de vigne qui sert à dissimuler les lacunes pures et simples de la requête d’un demandeur. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, il y a un manque de faits substantiels et une absence du fondement probatoire minimum requis pour étayer le comportement illicite au cœur même du recours collectif envisagé, il incombe à la Cour, même à l’étape procédurale de l’autorisation, d’écarter une demande aussi insoutenable, non fondée et conjecturale.

[295]   Ma deuxième observation porte sur les particularités du recours collectif envisagé en droit de la concurrence fondé sur l’article 45. Comme je l’ai indiqué tout au long des présents motifs, la requête des demandeurs est un cas assez unique où l’existence même du complot allégué à l’origine de la demande de perte et de dommages en vertu de l’article 36 de la Loi est contestée et constitue le principal champ de bataille à l’étape de l’autorisation.

[296]   Dans presque toutes les affaires de recours prévus aux articles 36 et 45 de la Loi, avant de déposer leur recours civil en dommages-intérêts, les demandeurs s’appuient habituellement sur des accords, règles ou contrats explicites à l’origine du complot illicite contesté, sur des déclarations de culpabilité ou à des plaidoyers de culpabilité enregistrés par les défenderesses dans des procédures criminelles connexes, ou sur une enquête criminelle entreprise par le Bureau de la concurrence ou par des autorités étrangères en matière de concurrence (et affectant manifestement le Canada). Toutes ces situations signifient qu’il y a non seulement amplement de faits substantiels pour alimenter les allégations de complot et d’accord formulées par les demandeurs dans leurs actes de procédure, mais aussi le minimum de fondement probatoire requis (c.-à-d. un certain fondement factuel) pour les questions communes proposées relativement au comportement répréhensible allégué. En l’espèce, il s’agit plutôt d’une affaire où il n’y a pas de plaidoyers de culpabilité ou de déclarations de culpabilité mettant en cause les DRAM ou les défenderesses, où le Bureau de la concurrence n’a mené ni ne mène aucune enquête sur le comportement des défenderesses, et où aucune enquête n’est menée par une autorité anticoncurrentielle ou une autorité en matière de concurrence étrangère au sujet d’un complot allégué visant à éliminer la fourniture de DRAM.

[297]   Certes, rien dans l’article 36 n’empêche un demandeur d’intenter une action en dommages-intérêts fondée sur une infraction visée à l’article 45, sans qu’il y ait eu préalablement une déclaration de culpabilité, un plaidoyer de culpabilité ou une enquête menée par les autorités canadiennes en matière de concurrence. Toutefois, lorsque tous ces éléments font défaut, lorsque — comme c’est le cas en l’espèce — il n’y a pas d’acte d’accusation, pas de négociation de plaidoyer, pas de déclaration de culpabilité et pas d’enquête réglementaire par les autorités canadiennes, ni aucun autre élément de preuve semblable dans un territoire de compétence quelconque en ce qui a trait au comportement reproché, il est manifestement plus difficile et plus ardu pour un demandeur d’étayer des allégations de complot illicite au moyen de faits substantiels ou de présenter le fondement probatoire minimum requis pour les questions communes proposées à l’égard de l’acte illicite allégué. Toutefois, il incombe toujours au demandeur de le faire, et le choix d’un demandeur de déposer un recours collectif en matière de concurrence rapidement, sans un tel appui, ne le dispense pas de satisfaire aux exigences relatives au fondement probatoire minimum nécessaire et de présenter plus que de vagues conjectures au sujet de l’accord interdit allégué qui sous-tend le recours intenté en vertu de l’article 36.

[298]   Je dois souligner qu’il s’agit d’un domaine où une autorité publique (c.-à-d. le Commissaire) est investie de pouvoirs et d’outils considérables pour enquêter sur les comportements anticoncurrentiels criminels et appliquer les dispositions criminelles de la Loi. Le Commissaire a affirmé à maintes reprises que l’article 45 est la disposition la plus importante de la Loi et que la prise de mesures contre les cartels injustifiables constitue sa priorité. Je reconnais que l’absence d’enquête du Bureau de la concurrence sur un comportement reproché n’est pas déterminante quant à l’existence d’un complot visé par l’article 45. Toutefois, il s’agit certainement de quelque chose de révélateur.

C.   Alinéa 334.16(1)d) [des Règles] : Le meilleur moyen pour un règlement juste et efficace des questions communes de droit ou de fait

[299]   Le dernier critère remis en question par les défenderesses est celui du meilleur moyen énoncé à l’alinéa 334.16(1)d) et, même si je n’ai pas à le faire vu les conclusions que j’ai déjà tirées, je formulerai les brèves observations suivantes sur cette condition d’autorisation.

[300]   Les demandeurs font valoir qu’un recours collectif constitue le meilleur moyen en l’espèce de régler le litige puisqu’il favorise l’accès à la justice, l’économie judiciaire et la modification du comportement. De plus, ils soutiennent qu’ils satisfont à tous les facteurs énoncés au paragraphe 334.16(2) : les questions communes prédominent sur les questions individuelles; il n’y a aucune preuve que les membres du groupe ont un intérêt à contrôler des actions individuelles; il n’y a pas de procédures individuelles; un seul recours collectif a été déposé devant une cour provinciale (dans Hazan), sur le fondement d’une cause d’action différente; il n’y a pas d’alternative viable pour résoudre les réclamations; et le recours collectif ne créera pas de plus grandes difficultés que toute autre alternative.

[301]   Toutefois, en l’espèce, j’ai constaté une absence de questions communes proposées. Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’un recours collectif ne saurait être le meilleur moyen de régler une réclamation présentée au titre de l’article 36 de la Loi lorsque les actes répréhensibles allégués, et les dommages ou la perte allégués découlant du comportement répréhensible ne peuvent être autorisés à titre de questions communes. L’analyse du meilleur moyen dans le cadre d’un recours collectif en matière de concurrence est étroitement liée à la question de savoir si le tribunal dispose d’un fondement pour autoriser des questions communes comprenant les éléments de la responsabilité d’un défendeur (Ewert v. Nippon Yusen Kabushiki Kaisha, 2019 BCCA 187 (CanLII) [précité], au paragraphe 84). Pour ce faire, il faut à tout le moins que le complot illicite et les dommages soient admissibles à titre de questions communes, car ils constituent les éléments essentiels de toute réclamation présentée par tout demandeur en vertu de l’article 36 de la Loi pour une violation des articles 45 et 46.

[302]   Selon le critère énoncé par la C.S.C., pour satisfaire au critère du meilleur moyen, le représentant doit démontrer ce qui suit : (i) qu’un recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et de trancher les questions communes qui découlent des demandes de plusieurs demandeurs; (ii) qu’il serait préférable à tout autre moyen raisonnablement disponible pour résoudre les réclamations des membres du groupe (Fischer, au paragraphe 48; Hollick, au paragraphe 28; Wenham, au paragraphe 77). Pour déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen, l’analyse « s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice » (Fischer, au paragraphe 22; Wenham, aux paragraphes 81, 85 à 98; Airbnb, au paragraphe 143).

[303]   Il est évident que, s’il n’y a aucun fondement factuel en ce qui concerne les questions communes proposées, il n’y a aucun fondement factuel pour un recours collectif satisfaisant au critère du meilleur moyen (Kaplan, au paragraphe 87; O’Brien v. Bard Canada Inc., 2015 ONSC 2470 (CanLII), au paragraphe 221). En l’absence de questions communes, un recours collectif n’est pas le meilleur moyen pour le règlement juste et efficace des réclamations des membres de l’éventuel groupe, et ne permettra pas de réaliser les trois principes qui sous-tendent les recours collectifs, à savoir l’économie de ressources judiciaires, la modification du comportement et l’accès à la justice.

[304]   En l’espèce, il est manifeste que, compte tenu de l’absence de questions communes, les demandeurs ne satisfont pas non plus au critère du meilleur moyen.

V.    Conclusion

[305]   Pour les motifs qui précèdent, la requête en autorisation des demandeurs est rejetée.

[306]   Selon la règle 334.39, aucuns dépens ne sont habituellement accordés dans le cadre d’une requête en autorisation. Aucune des parties n’a demandé le remboursement des dépens, et rien ne permet de déroger au principe établi à la règle 334.39 et d’adjuger des dépens dans le cadre de la présente requête.

ORDONNANCE au dossier T-809-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.    La requête en autorisation est rejetée.

2.    Aucuns dépens ne sont adjugés.

ANNEXE A

Les paragraphes 334.16(1) et (2), et la règle 334.18 des Règles sont rédigés comme suit :

Autorisation

Conditions

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

Facteurs pris en compte

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

[…]

Motifs ne pouvant être invoqués

334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci-après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif :

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle;

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

d) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu;

e) il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe.

ANNEXE B

Voici le libellé des parties pertinentes des articles 36, 45 et 46 de la Loi :

Recouvrement de dommages-intérêts

36 (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

[…]

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

[…]

PARTIE VI

Infractions relatives à la concurrence

Complot, accord ou arrangement entre concurrents

45 (1) Commet une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement :

a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit;

b) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit;

c) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du produit.

Peine

(2) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable d’un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de quatorze ans et une amende maximale de 25 000 000 $, ou l’une de ces peines.

Preuve du complot, de l’accord ou de l’arrangement

(3) Dans les poursuites intentées en vertu du paragraphe (1), le tribunal peut déduire l’existence du complot, de l’accord ou de l’arrangement en se basant sur une preuve circonstancielle, avec ou sans preuve directe de communication entre les présumées parties au complot, à l’accord ou à l’arrangement, mais il demeure entendu que le complot, l’accord ou l’arrangement doit être prouvé hors de tout doute raisonnable.

[…]

Définitions

(8) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

concurrent S’entend notamment de toute personne qui, en toute raison, ferait vraisemblablement concurrence à une autre personne à l’égard d’un produit en l’absence d’un complot, d’un accord ou d’un arrangement visant à faire l’une des choses prévues aux alinéas (1)a) à c). (competitor)

prix S’entend notamment de tout escompte, rabais, remise, concession de prix ou autre avantage relatif à la fourniture du produit. (price)

[…]

Directives étrangères

46 (1) Toute personne morale, où qu’elle ait été constituée, qui exploite une entreprise au Canada et qui applique, en totalité ou en partie au Canada, une directive ou instruction ou un énoncé de politique ou autre communication à la personne morale ou à quelque autre personne, provenant d’une personne se trouvant dans un pays étranger qui est en mesure de diriger ou d’influencer les principes suivis par la personne morale, lorsque la communication a pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’étranger qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45, commet, qu’un administrateur ou dirigeant de la personne morale au Canada soit ou non au courant du complot, de l’association d’intérêts, de l’accord ou de l’arrangement, un acte criminel et encourt, sur déclaration de culpabilité, une amende à la discrétion du tribunal.



[1] Les DRAM sont un type de puce mémoire à semi-conducteurs utilisé dans la plupart des produits informatiques pour permettre le stockage électronique et la récupération rapide d’information.

[2] Le terme « parallélisme conscient » désigne les situations où, en l’absence d’accord visant à limiter la concurrence, des concurrents adoptent unilatéralement des pratiques commerciales ou des prix semblables ou identiques dans le cadre de stratégies rationnelles de maximisation des profits fondées sur l’observation des tendances du marché et des activités des concurrents.

[3] Dans les présents motifs, les mots « éliminer », « restreindre » ou « limiter » sont utilisés indifféremment pour décrire le complot allégué visant à éliminer la fourniture de DRAM dénoncée par les demandeurs.

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