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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

A-123-20

2022 CAF 80

Le Procureur général du Canada (demandeur)

c.

La Fédération de la police nationale (défenderesse)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Féderation de la police nationale

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Webb et Gleason, J.C.A.—Ottawa, 26 octobre, 2021 et 13 mai 2022.

Fonction publique — Relations du travail — Demande de contrôle judiciaire sollicitant l’annulation de la décision rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral qui a conclu que l’employeur la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) avait manqué au gel prévu à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral — La défenderesse a fait une demande d’accréditation à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation composée des membres réguliers et des réservistes de la GRC — Même si la demande d’accréditation de la défenderesse était toujours en instance et que le gel lié à l’accréditation était en vigueur, l’employeur a apporté la modification contestée à sa politique sur les promotions — L’employeur n’a pas avisé les membres de l’unité de négociation ni la défenderesse de la modification avant de l’apporter et il n’a pas demandé à la Commission d’y consentir — L’employeur a fait valoir qu’il était parvenu à la décision de mettre en œuvre la modification contestée de la politique avant le début de la période de gel — L’employeur a aussi soutenu que la Commission était tenue de suivre l’arrêt de la Cour suprême Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, qui permet la mise en œuvre de modifications unilatérales de l’employeur touchant les salaires et les conditions de travail lorsqu’un gel législatif est en vigueur, tant que les membres de la direction [traduction] « ont mis la machine en marche » pour procéder à la modification avant le début du gel ou tant que la modification est celle qu’un employeur raisonnable ferait — La Commission a conclu que la décision d’apporter la modification contestée avait été prise à une date nettement postérieure au début du gel — Elle a aussi estimé que la Cour suprême n’avait pas modifié de la manière avancée par l’employeur les principes applicables aux plaintes relatives au gel prévu par la loi — Elle a conclu que les employés n’avaient pas pu raisonnablement prévoir la modification contestée — L’employeur ne pouvait pas invoquer l’exception du cours normal des affaires — La Commission a conclu, entre autres choses, qu’il s’agissait d’une modification importante, mais qui n’était pas urgente — Elle a rejeté l’interprétation que proposait l’employeur de l’arrêt Wal-Mart, elle a adopté l’approche habituelle des tribunaux canadiens du travail relativement à la situation et elle a conclu que l’employeur avait contrevenu à l’article 56 de la Loi en apportant la modification contestée à sa politique sur les promotions — Le demandeur a soutenu que la Commission n’a pas suivi l’arrêt Wal-Mart — Il s’agissait de déterminer principalement si l’interprétation faite par la Commission de l’arrêt Wal-Mart était raisonnable — La décision de la Commission était raisonnable — La Commission a fourni des motifs plus que suffisants étayant son rejet de la thèse de l’employeur et a fait une interprétation tout à fait raisonnable de l’arrêt Wal-Mart — L’interprétation qu’a faite la Commission de l’arrêt Wal-Mart était tout à fait conforme à la jurisprudence en droit des relations de travail — L’interprétation que proposait le demandeur de l’arrêt Wal-Mart affaiblirait considérablement les dispositions législatives de gel des lois sur les relations du travail et elle permettrait aux employeurs d’apporter des modifications sans précédent aux salaires et conditions d’emploi des employés pendant une période de gel — La Cour suprême dans l’arrêt Wal-Mart a appliqué un critère objectif qui n’est pas sans ressembler au critère des attentes raisonnables des employés — En résumé, dans l’arrêt Wal-Mart, la Cour suprême avait l’intention de suivre, et non de modifier fondamentalement, les décennies de jurisprudence issue des tribunaux du travail — Demande rejetée.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral a conclu que l’employeur la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) avait manqué au gel prévu à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral — Même si la demande d’accréditation de la défenderesse était toujours en instance et que le gel lié à l’accréditation était en vigueur, l’employeur a apporté la modification contestée à sa politique sur les promotions — L’employeur a soutenu que la Commission était tenue de suivre l’arrêt de la Cour suprême Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, qui permet la mise en œuvre de modifications unilatérales de l’employeur touchant les salaires et les conditions de travail lorsqu’un gel législatif est en vigueur, tant que les membres de la direction [traduction] « ont mis la machine en marche » pour procéder à la modification avant le début du gel ou tant que la modification est celle qu’un employeur raisonnable ferait — La Commission a estimé que la Cour suprême n’avait pas modifié de la manière avancée par l’employeur les principes applicables aux plaintes relatives au gel prévu par la loi — Elle a rejeté l’interprétation que proposait l’employeur de l’arrêt Wal-Mart, elle a adopté l’approche habituelle des tribunaux canadiens du travail relativement à la situation — Le demandeur a soutenu que la Commission n’a pas suivi l’arrêt Wal-Mart — Il a soutenu que la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov que le fait de ne pas appliquer un précédent applicable rend une décision déraisonnable — La Cour suprême n’a pas établi, dans l’arrêt Vavilov, un critère de démarcation nette — L’approche de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov concernant le rôle des précédents est beaucoup plus nuancée et contextuelle — Le décideur administratif peut parfois déroger raisonnablement de ces précédents s’il fournit des motifs raisonnables à cet égard — Le contrôle doit porter principalement sur les motifs du décideur administratif — Pour ce qui est de l’incidence des précédents, la cour de révision, dans son analyse, doit se concentrer sur les motifs que le décideur administratif a donnés pour justifier son interprétation d’un précédent ou son refus de le suivre — Le précédent en question doit être interprété dans le contexte de l’affaire à son origine et dans le contexte plus large de la jurisprudence dans laquelle il s’inscrit — Les motifs donnés par le décideur administratif sur ces points revêtent une importance capitale, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, le précédent relève du domaine d’expertise du décideur administratif.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire sollicitant l’annulation de la décision rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) qui a conclu que l’employeur la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC) avait manqué au gel prévu à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la Loi).

Ce gel empêche les employeurs de modifier unilatéralement les conditions après le dépôt d’une demande d’accréditation ou après la signification d’un avis de négocier pour l’unité de négociation des employés. Les tribunaux du travail canadiens ont longtemps interprété les dispositions de gel comme exigeant un gel évolutif et non un gel statique. Par conséquent, ils ont conclu que les dispositions de gel permettent que l’employeur continue d’exercer ses activités en suivant les tendances antérieures ou, dans certains cas, s’il n’y a pas de telles tendances, d’une manière conforme à ce à quoi les employés peuvent raisonnablement s’attendre. En 2017, la défenderesse a fait une demande d’accréditation à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation composée des membres réguliers et des réservistes de la GRC. Même si la demande d’accréditation de la défenderesse était toujours en instance et que le gel lié à l’accréditation était en vigueur, la GRC a apporté la modification contestée à sa politique sur les promotions. L’employeur n’a pas avisé les membres de l’unité de négociation ni la défenderesse de la modification avant de l’apporter et il n’a pas demandé à la Commission d’y consentir. Devant la Commission, l’employeur a fait valoir qu’il était parvenu à la décision de mettre en œuvre la modification contestée de la politique avant le début de la période de gel lors d’une réunion de l’État-major supérieur s’étant tenue le 27 juin 2016. L’employeur a aussi soutenu que la Commission était tenue de suivre l’arrêt Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada (Wal-Mart) de la Cour suprême, suivant lequel la demande de la défenderesse devrait être rejetée. Plus précisément, l’employeur a fait valoir que l’arrêt Wal-Mart permet la mise en œuvre de modifications unilatérales de l’employeur touchant les salaires et les conditions de travail lorsqu’un gel législatif est en vigueur, tant que les membres de la direction [traduction] « ont mis la machine en marche » pour procéder à la modification avant le début du gel ou tant que la modification est celle qu’un employeur raisonnable ferait. La Commission a conclu que la décision d’apporter la modification contestée avait été prise au plus tôt le 23 octobre 2017, soit une date nettement postérieure au début du gel lié à l’accréditation. La Commission a aussi estimé que la Cour suprême n’avait pas modifié de la manière avancée par l’employeur les principes applicables aux plaintes relatives au gel prévu par la loi. La Commission a conclu, comme dans ces précédents, que les employés n’avaient pas pu raisonnablement prévoir la modification contestée apportée à la politique vu qu’il n’existait pas de tendance antérieure concernant des modifications similaires et qu’ils n’avaient pas été informés de la modification imminente avant le début du gel prévu par la loi. Elle a également estimé que l’employeur ne pouvait pas invoquer l’exception du cours normal des affaires puisqu’il n’avait jamais mis en œuvre de modifications similaires auparavant et que les employés n’avaient reçu aucun avis avant le début du gel. La Commission n’a pas retenu l’argument de l’employeur concernant l’importance de l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême. La Commission a conclu, entre autres choses, qu’il s’agissait d’une modification importante, mais qui n’était pas urgente. La Commission a également fait remarquer qu’il aurait été raisonnable que l’employeur attende avant de mettre en œuvre la modification, étant donné qu’elle avait reçu de la part des superviseurs des commentaires négatifs au sujet des répercussions que cette modification aurait. Elle a aussi souligné que l’employeur aurait pu demander l’accord de la Commission concernant la modification mais qu’elle s’est abstenue de le faire. Ensemble, ces facteurs ont amené la Commission à conclure qu’un employeur raisonnable n’aurait pas mis en œuvre la modification dans des circonstances similaires. La Commission a donc rejeté l’interprétation que proposait l’employeur de l’arrêt Wal-Mart, elle a adopté l’approche habituelle des tribunaux canadiens du travail relativement à la situation et elle a conclu que l’employeur avait contrevenu à l’article 56 de la Loi en apportant la modification contestée à sa politique sur les promotions. Le demandeur a présenté deux observations interreliées relativement au caractère raisonnable de l’interprétation par la Commission de l’arrêt Wal-Mart. Il a soutenu d’abord que la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov (Vavilov) que le fait de ne pas appliquer un précédent applicable rend une décision déraisonnable, puis il a soutenu que la Commission n’a pas suivi l’arrêt Wal-Mart alors qu’elle était tenue de le faire.

Il s’agissait de déterminer principalement si l’interprétation faite par la Commission de l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême était raisonnable.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La décision de la Commission en l’espèce était raisonnable. En ce qui concerne l’observation sur le droit administratif, contrairement à ce que le demandeur a soutenu, la Cour suprême n’a pas établi, dans l’arrêt Vavilov, un critère de démarcation nette qui voudrait que le défaut de suivre une jurisprudence donne nécessairement lieu à l’annulation de la décision administrative. Bien au contraire, dans l’arrêt Vavilov, l’approche de la Cour suprême concernant le rôle des précédents est beaucoup plus nuancée et contextuelle. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a formulé des observations sur les conséquences liées au défaut de se conformer à deux types de précédents, à savoir ceux établis par le décideur administratif lui-même et ceux établis par les cours. La Cour suprême a conclu que, lorsqu’il étudie les précédents de son propre tribunal, le décideur administratif peut parfois déroger raisonnablement de ces précédents s’il fournit des motifs raisonnables à cet égard. En ce qui concerne le fait de déroger à la jurisprudence, la Cour suprême a également conclu que, tant que des explications raisonnables sont fournies, le décideur administratif peut parfois s’abstenir de suivre une décision rendue par les cours, selon les circonstances. Ainsi, si la Commission n’a pas suivi l’arrêt Wal-Mart et a justifié de manière adéquate cette décision, il s’ensuit que sa décision en l’espèce n’était pas nécessairement déraisonnable. En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles le décideur administratif peut refuser de se conformer à un précédent, l’arrêt Vavilov enseigne que le contrôle doit porter principalement sur les motifs du décideur administratif lorsqu’ils sont fournis. Pour ce qui est de l’incidence des précédents, à l’instar de toute autre question examinée en contrôle judiciaire, la cour de révision, dans son analyse, doit se concentrer sur les motifs que le décideur administratif a donnés pour justifier son interprétation d’un précédent ou son refus de le suivre. Dans cet examen, le précédent en question doit être interprété dans le contexte de l’affaire à son origine et dans le contexte plus large de la jurisprudence dans laquelle il s’inscrit. Lorsqu’on se penche sur ce contexte, les motifs donnés par le décideur administratif sur ces points revêtent une importance capitale, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, le précédent relève du domaine d’expertise du décideur administratif.

La Commission a fourni des motifs plus que suffisants étayant son rejet de la thèse de l’employeur et a fait à une interprétation tout à fait raisonnable de l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada. L’interprétation qu’a faite la Commission de l’arrêt Wal-Mart était tout à fait conforme à la jurisprudence en droit des relations de travail antérieure et postérieure à l’arrêt Wal-Mart. Il s’agissait d’indices forts, voire décisifs, du caractère raisonnable de son interprétation. En fait, si l’interprétation que proposait le demandeur de l’arrêt Wal-Mart était retenue, elle affaiblirait considérablement les dispositions législatives de gel des lois sur les relations du travail et elle permettrait aux employeurs d’apporter des modifications sans précédent aux salaires et conditions d’emploi des employés pendant une période de gel, tant que la décision serait motivée par des considérations administratives qui ne seraient pas entachées de sentiment antisyndical et que la direction avait pris la décision à l’interne avant le début du gel. Le demandeur a sorti de leur contexte certaines des observations de l’arrêt Wal-Mart et a accordé trop d’importance à quelques-uns des termes utilisés par les juges majoritaires de la Cour suprême. La Cour suprême a conclu que l’intimée la Compagnie Wal-Mart du Canada avait violé le gel puisqu’il était déraisonnable que l’entreprise ferme un magasin rentable après l’accréditation alors qu’elle n’avait pas eu au préalable l’intention de le faire. Pour tirer cette conclusion, la Cour suprême a appliqué un critère objectif qui n’est pas sans ressembler au critère des attentes raisonnables des employés. L’élément à examiner est la question de savoir si la décision d’imposer une modification est raisonnable à la lumière de l’interdiction d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi des employés pendant la période de gel. En d’autres termes, la Cour suprême a en fait examiné si un employeur raisonnable, averti et soucieux de se conformer aux dispositions de gel aurait fermé le magasin. Elle a répondu par la négative, notamment parce qu’en agissant de la sorte, l’employeur serait allé à l’encontre des attentes raisonnables de ses employés. En résumé, dans l’arrêt Wal-Mart, la Cour suprême avait l’intention de suivre, et non de modifier fondamentalement, les décennies de jurisprudence issue des tribunaux du travail.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code du travail, RLRQ, ch. C-27, art. 59.

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365, art. 34(1).

Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, art. 56, 107, 186(1),(2).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION NON SUIVIE :

Service d’administration P.C.R. ltée c. Reyes, 2020 CF 659.

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323; Canadian Union of United Brewery, Flour, Cereal, Soft Drink & Distillery Workers v. Simpsons Limited, [1985] O.L.R.B. Rep. April 594, 9 C.L.R.B.R. (N.S.) 343, 1985 CanLII 949; Ontario Public Service Employees Union v. Royal Ottawa Health Care Group Institute of Mental Health Research, 1999 CanLII 20151 (C.R.T. de l'Ont.).

DÉCISION MENTIONNÉES :

Syndicat des employés de banque, sections locales 2104 et 2100 c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [1980] 1 Can. L.R.B.R. 307, 1979 CarswellNat 726 (WL Can.); Syndicat des Teamsters, section locale 362 de la Fraternité internationale d’Amérique des camionneurs, chauffeurs, préposés d’entrepôts et aides c. Mid-Continental Tank Lines Inc., (1986), 12 C.L.R.B.R. (N.S.) 138, 1986 CarswellNat 909 (WL Can.); S.P.A.T.E.A. v. Spar Aerospace Products Ltd., [1978] O.L.R.B. Rep. 859, 1978 CarswellOnt 1117 (WL Can.); Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74; 2019 LNCRTESPF 56 (QL); Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216, 2021 CarswellNat 4869 (WL Can.); Gulia c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 106, 2021 CarswellNat 1617 (WL Can.); Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121; Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 68, 2016 LNCRTEFP 68 (QL); Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau c. Hélicoptères Canadiens limitée (Hélicoptères Canadiens Offshore), sub nom. Hélicoptères Canadiens limitée faisant affaire sous la raison sociale Hélicoptères Canadiens Offshore, 2018 CCRI 891, sub nom. Hélicoptères Canadiens Ltée (f.a.s. Hélicoptères Canadiens Offshore) (Re), [2018] D.C.C.R.I. no 21 (QL), conf. par Canadian Helicopters Limited c. Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau, 2020 CAF 37, [2020] A.C.F. no 169 (QL); Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 52; Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, Bureau de la sécurité des transports et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 91, 2018 LNFPSLREB 95 (QL); Public Service Alliance of Canada v. Anishinabek Police Service, [2018] O.L.R.B. Rep. 635, 2018 CanLII 81987; Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters c. 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation, sub nom. 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation, 2018 CCRI 894, sub nom. 669779 Ontario ltée (f.a.s. CSA Transportation (Re)), [2018] D.C.C.R.I. no 29 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 16, 2017 LNCRTESPF 16 (QL); Syndicat des agents correctionnels – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 47, 2016 LNCRTEFP 47 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11, 2017 LNCRTESPF 11 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107, 2016 LNCRTEFP 107 (QL); Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local Union 647, affiliated with the International Brotherhood of Teamsters v. Canada Bread Company Limited, [2016] O.L.R.B. Rep. March/April 161, 2016 CanLII 25094; L’Association des chefs d’équipes des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26, 2016 LNCRTEFP 26 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, 2016 LNCRTEFP 19 (QL); Alberta Union of Provincial Employees and Shepherd’s Care Foundation, [2016] Alta. L.R.B.R. 33, sub nom. Shepherd’s Care Foundation and AUPE, Re, 2016 CarswellAlta 796 (WL Can.), sub nom. Shepherd’s Care Foundation (Re), [2016] A.L.R.B.D. no. 30 (QL); New Brunswick (Board of Management) (Re) (2014), 252 C.L.R.B.R. (2d) 149, [2014] N.B.L.E.B.D. no 27 (QL) (C.T.E. du N.-B.); Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit-CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, sub nom. Conseil des Innus de Pessamit, 2016 CCRI 831, 18 C.L.R.B.R. (3d) 214; Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit-CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, sub nom. Conseil des Innus de Pessamit, 2017 CCRI 861, 51 C.L.R.B.R. (3d) 246; Corporation de l’École Polytechnique de Montréal v. Association syndicale des salarié-e-s étudiant-e-s de la Polytechnique, 2015 CanLII 13848 (Qc SAT); Union internationale des employés des services, Local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al. (1973), [1975] 1 R.C.S. 382, 1973 CanLII 191; S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227, 1979 CanLII 23; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction Publique du Canada, 2019 CAF 41, [2019] A.C.F. no 217 (QL); Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161, [2021] F.C.J. no 848 (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire sollicitant l’annulation de la décision rendue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44) qui a conclu que l’employeur la Gendarmerie Royale du Canada avait manqué au gel prévu à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Kieran Dyer et Richard Fader pour le demandeur.

Christopher Rootham pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Nelligan O’Brien Payne s.r.l., Ottawa, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Gleason, J.C.A.:

[1]        Dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada, les lois du travail imposent le gel des conditions d’emploi des employés appartenant à une unité de négociation. Ce gel empêche les employeurs de modifier unilatéralement les conditions après le dépôt d’une demande d’accréditation ou après la signification d’un avis de négocier pour l’unité de négociation des employés. La Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi), contient ce type de disposition de gel. L’article 56 de la Loi s’applique après qu’un employeur a été avisé qu’une demande d’accréditation a été présentée. Il s’agit de ce qu’on appelle parfois le « gel lié à l’accréditation ». L’article 107, quant à lui, s’applique après la signification d’un avis de négocier. Il s’agit de ce qu’on appelle parfois le « gel lié aux négociations ».

[2]        Les tribunaux du travail canadiens, notamment la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et ses prédécesseures (collectivement, la Commission), ont longtemps interprété les dispositions de gel comme exigeant un gel évolutif et non un gel statique. Par conséquent, ils ont conclu que les dispositions de gel permettent, et exigent parfois, que l’employeur continue d’exercer ses activités en suivant les tendances antérieures (y compris en continuant à mettre en œuvre des décisions prises et annoncées aux employés avant le début de la période de gel) ou, dans certains cas, s’il n’y a pas de telles tendances, d’une manière conforme à ce à quoi les employés peuvent raisonnablement s’attendre. La jurisprudence a reconnu que ces approches comprenaient le critère des « pratiques antérieures » ou du « cours normal des affaires » et le critère des « attentes raisonnables des employés ».

[3]        Les tribunaux du travail ont aussi conclu que les dispositions de gel sont censées fournir aux syndicats des salaires et des conditions de travail de base stables à partir desquels négocier et que le gel lié à l’accréditation vise aussi à empêcher l’érosion du soutien au syndicat après l’accréditation. Ainsi, comme l’a fait observer la défenderesse au paragraphe 31 de son mémoire des faits et du droit, les dispositions de gel ont [traduction] « une relation symbiotique avec l’obligation de reconnaître le syndicat et de négocier de bonne foi ».

[4]        Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite l’annulation de la décision Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44, 2020 LNCRTESPF 41 (QL), rendue par la Commission. Dans cette décision, la Commission a conclu que l’employeur avait manqué au gel prévu à l’article 56 de la Loi en mettant en œuvre unilatéralement un changement à l’admissibilité des employés à une promotion parce qu’il avait pris la décision d’effectuer ce changement après le début de la période de gel et que cette décision avait été communiquée aux employés après le début du gel. Pour rendre cette décision, la Commission a suivi et appliqué sa propre jurisprudence de longue date ainsi que celle d’autres tribunaux du travail concernant l’interprétation des dispositions législatives de gel.

[5]        Le demandeur fait valoir que, pour rendre cette décision, la Commission a tiré une conclusion déraisonnable, car le résultat est en contradiction avec l’arrêt de la Cour suprême du Canada Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323 (Wal-Mart), lequel, selon le demandeur, modifie fondamentalement l’interprétation des dispositions législatives de gel. Le demandeur affirme qu’en raison de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), rendu par la Cour suprême du Canada, l’omission par la Commission de suivre l’arrêt Wal-Mart signifie que sa décision est déraisonnable et qu’elle doit être annulée.

[6]        Le demandeur soutient en outre que la Commission a indûment inversé le fardeau de la preuve et qu’elle a tiré une conclusion de fait déraisonnable en concluant que la décision en question avait été prise après le début de la période de gel. Le demandeur affirme également qu’il y a eu manquement à son droit à l’équité procédurale dans l’examen de cette question parce que la date à laquelle la décision avait été prise n’a pas été discutée devant la Commission.

[7]        Je suis en désaccord avec le demandeur sur tous ces points et, pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande, avec dépens.

I.     Contexte et décision de la Commission

[8]        Il convient de commencer par énoncer les dispositions législatives applicables.

[9]        L’article 56 de la Loi (la disposition de gel lié à l’accréditation que prévoit la Loi) était rédigé ainsi durant la période pertinente en l’espèce :

Maintien des conditions d’emploi

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

[10]      Comme la Commission l’a fait observer dans la décision faisant l’objet du contrôle, l’article 56 de la Loi a par la suite été modifié, mais ces modifications ne sont pas pertinentes en l’espèce.

[11]      La présente affaire est la première où la Commission a interprété l’article 56 de la Loi, qui est entré en vigueur en 2005. La Commission n’avait pas été appelée auparavant à interpréter cet article, vraisemblablement parce qu’il y a eu ces dernières années relativement peu de demandes d’accréditation dans le secteur public fédéral qui est, depuis un certain temps, fortement syndiqué. Cependant, dans de nombreuses décisions rendues avant celle faisant l’objet du présent contrôle, la Commission a interprété l’article 107 de la Loi, le gel lié aux négociations. Cette disposition est actuellement rédigée ainsi :

Obligation de respecter les conditions d’emploi

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a)    dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b)    dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[12]      Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Commission a conclu que la jurisprudence interprétant l’article 107 de la Loi était utile à l’interprétation de l’article 56 de la Loi, car des principes similaires s’appliquent aux deux dispositions législatives de gel (au paragraphe 45).

[13]      Ni l’une ni l’autre des parties ne conteste le fait que la jurisprudence portant sur l’article 107 de la Loi soit applicable aux affaires portant sur une violation alléguée de l’article 56 de la Loi. En fait, d’autres tribunaux du travail ont adopté cette approche et ont parfois appliqué dans des affaires relatives à un gel lié à l’accréditation leur jurisprudence portant sur un gel lié aux négociations (voir, par exemple, Syndicat des employés de banque, sections locales 2104 et 2100 c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [1980] 1 Can. L.R.B.R. 307, 1979 CarswellNat 726 (WL Can.); Syndicat des Teamsters, section locale 362 de la Fraternité internationale d’Amérique des camionneurs, chauffeurs, préposés d’entrepôts et aides c. Mid-Continental Tank Lines Inc., (1986), 12 C.L.R.B.R. (N.S.) 138, 1986 CarswellNat 909 (WL Can.); S.P.A.T.E.A. v. Spar Aerospace Products Ltd., [1978] O.L.R.B. Rep. 859, 1978 CarswellOnt 1117 (WL Can.), ainsi que les motifs de la Commission en l’espèce au paragraphe 45.)

[14]      Les faits donnant lieu à la présente demande sont examinés en détail dans la décision de la Commission et, pour les besoins des présents motifs, il suffit de les rappeler brièvement.

[15]      Le litige en l’espèce est survenu entre le Conseil du Trésor (qui est désigné à titre d’employeur devant la Commission) et la Fédération de la police nationale (la Fédération). Le 18 avril 2017, la Fédération a présenté à la Commission une demande d’accréditation à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation composée des membres réguliers et des réservistes de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Les membres de la GRC n’étaient pas syndiqués auparavant parce qu’ils étaient exclus de la négociation collective avant les modifications apportées à la Loi en 2017 à la suite de l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3.

[16]      Le gel lié à l’accréditation est resté en vigueur pendant 30 jours après la date d’accréditation de la Fédération, le 12 juillet 2019 (voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74, 2019 LNCRTESPF 56 (QL)).

[17]      Même si la demande d’accréditation de la Fédération était toujours en instance et que le gel lié à l’accréditation était en vigueur, la GRC a apporté la modification contestée à sa politique sur les promotions. Elle n’avait antérieurement apporté qu’une autre modification quelque peu semblable à sa politique.

[18]      Avant que ne soit apportée la modification en cause en l’espèce, les sergents de la GRC pouvaient demander une promotion au grade de sergent d’état-major et les caporaux pouvaient présenter une demande de promotion au grade de sergent avant d’avoir terminé le Programme de perfectionnement des gestionnaires ou le Programme de perfectionnement des superviseurs de la GRC. Ces programmes durent douze mois et sont constitués d’abord d’apprentissage en ligne, puis de plusieurs jours d’enseignement en classe et de l’application des enseignements en milieu de travail.

[19]      Le 20 novembre 2017, alors que le gel lié à l’accréditation était encore en vigueur, la GRC a modifié son Manuel de la gestion des carrières (la politique sur les promotions) pour exiger que les sergents promus après le 31 mars 2018 réussissent le Programme de perfectionnement des gestionnaires avant qu’ils puissent demander d’être promus au rang de sergent d’état-major et que les caporaux promus après le 31 mars 2019 réussissent le Programme de perfectionnement des superviseurs avant qu’ils puissent demander d’être promus au rang de sergent.

[20]      L’employeur n’a pas avisé les membres de l’unité de négociation ni la Fédération de la modification avant de l’apporter et il n’a pas demandé à la Commission d’y consentir. Les membres de l’unité de négociation et la Fédération n’ont pas été satisfaits de la modification apportée à la politique sur les promotions qui, selon beaucoup de leurs membres, limiterait injustement l’accès aux promotions en raison de l’impossibilité d’accéder au Programme de perfectionnement des gestionnaires et au Programme de perfectionnement des superviseurs. Cette nouvelle exigence préoccupait particulièrement le personnel spécialisé et les personnes travaillant dans des zones éloignées au sein de plus petits détachements, qui, pour des motifs opérationnels, seraient moins susceptibles d’être libérés pour participer au Programme de perfectionnement des gestionnaires et au Programme de perfectionnement des superviseurs. Le 15 février 2018, la Fédération a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant une violation de l’article 56 de la Loi.

[21]      Devant la Commission, l’employeur a fait valoir deux principaux arguments.

[22]      Premièrement, il a fait valoir, sur des bases factuelles, qu’il était parvenu à la décision de mettre en œuvre la modification contestée de la politique avant le début de la période de gel, lors d’une réunion de l’État-major supérieur (l’EMS) s’étant tenue le 27 juin 2016.

[23]      Deuxièmement, il a soutenu que la Commission était tenue de suivre l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada, suivant lequel la demande de la Fédération devrait être rejetée. Plus précisément, l’employeur a fait valoir que l’arrêt Wal-Mart permet la mise en œuvre de modifications unilatérales de l’employeur touchant les salaires et les conditions de travail lorsqu’un gel législatif est en vigueur, tant que les membres de la direction [traduction] « ont mis la machine en marche » pour procéder à la modification avant le début du gel ou tant que la modification est celle qu’un employeur raisonnable ferait. Selon l’employeur, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Wal-Mart, que les attentes raisonnables des salariés ne sont pas pertinentes lorsque le gel est assujetti à l’approche du cours normal des affaires, car les deux critères sont indépendants et distincts. L’appelant a donc fait valoir que, suivant l’arrêt Wal-Mart, il n’est pas nécessaire qu’une modification imminente ait été révélée aux employés ou à leur syndicat avant le début du gel, même s’il n’existait pas de tendance antérieure quant à l’application de modifications similaires, tant que [traduction] « la machine a été mise en marche » pour la mise en œuvre de la modification avant le début du gel. L’employeur ayant affirmé que la mise en œuvre de la modification de la politique sur les promotions de la GRC avait été décidée avant le début du gel lié à l’accréditation, il a fait valoir qu’il était libre d’apporter la modification en question.

[24]      La Commission n’a pas souscrit aux arguments de l’employeur.

[25]      Elle a tiré la conclusion de fait que la décision d’apporter la modification contestée avait été prise au plus tôt le 23 octobre 2017, lorsque la modification a été approuvée, soit une date nettement postérieure au début du gel lié à l’accréditation.

[26]      Contrairement à ce que le demandeur soutient, les parties ne s’entendent pas sur la date de la modification contestée. Dans sa demande et ses observations écrites, la Fédération a affirmé que la modification contestée de la politique sur les promotions de la GRC avait été apportée le 20 novembre 2017, date à laquelle la GRC a modifié son manuel des politiques. L’employeur, dans sa réponse déposée auprès de la Commission, a reconnu qu’il s’agissait de la date pertinente, mais, à l’audience devant la Commission, il a modifié sa thèse et a produit des éléments de preuve pour tenter d’établir que la décision avait été prise lors de la réunion de l’EMS du 27 juin 2016.

[27]      Bien que les arguments que les parties ont présentés à la Commission aient semblé porter surtout sur les répercussions de l’arrêt Wal-Mart, la date de la modification contestée était de toute évidence en cause devant la Commission. Cela ressort de la demande et des observations écrites que la Fédération a déposées auprès de la Commission.

[28]      En ce qui concerne la date de la modification contestée, la Commission a noté que l’employeur avait refusé de faire comparaître des membres de l’EMS pour témoigner de ce qui avait été décidé lors de la réunion de l’EMS du 27 juin 2016. Elle a conclu que les documents consignant les décisions prises lors de cette réunion ne révélaient pas qu’il y avait eu décision d’exiger, comme condition pour demander une promotion, la réussite du Programme de perfectionnement des gestionnaires ou du Programme de perfectionnement des superviseurs. Sur ce point, comme elle était habilitée à le faire, la Commission n’a pas retenu le témoignage d’un témoin de l’employeur qui était présent à la réunion. Elle s’est plutôt fondée sur les éléments de preuve documentaire et d’autres éléments de preuve qui étayaient la conclusion selon laquelle la décision de modifier la politique sur les promotions de la GRC avait été prise après l’entrée en vigueur du gel lié à l’accréditation.

[29]      À l’appui de cette conclusion, la Commission a noté qu’après la réunion de l’EMS du 27 juin 2016, on a demandé aux membres de la direction d’échelons subalternes leurs commentaires sur la modification proposée à la politique sur les promotions. La plupart des commentaires obtenus étaient critiques à l’égard de la modification proposée. La Commission a également noté que la modification avait été mise en suspens à un moment donné, sans qu’aucune explication ne soit donnée quant à la raison. De plus, la Commission a constaté que la politique avait été rédigée puis reformulée jusqu’à l’obtention du texte définitif le 23 octobre 2017. La Commission a en outre noté que, dans certains cas, le va-et-vient qui a caractérisé le processus de reformulation des modifications de la politique concernait des questions de fond dont les membres de la haute direction de la GRC ont continué à débattre et qu’ils ont continué à examiner au cours de la période du 27 juin 2016 au 23 octobre 2017. La Commission a donc conclu que la décision d’apporter la modification contestée à la politique sur les promotions a été prise au plus tôt le 23 octobre 2017, une date nettement postérieure à celle de l’entrée en vigueur du gel lié à l’accréditation.

[30]      En ce qui concerne l’interprétation de l’arrêt Wal-Mart, la Commission n’a pas retenu la thèse soutenue par l’employeur et a estimé que la Cour suprême du Canada n’avait pas modifié de la manière avancée par l’employeur les principes applicables aux plaintes relatives au gel prévu par la loi. La Commission a procédé à un examen minutieux de l’arrêt Wal-Mart, de sa propre jurisprudence et de celle de plusieurs autres tribunaux du travail, et cette jurisprudence comporte de nombreuses affaires où on a appliqué le critère des attentes raisonnables des employés dans des circonstances analogues à celles en l’espèce.

[31]      La Commission a conclu, comme dans ces précédents, que les employés n’avaient pas pu raisonnablement prévoir la modification contestée apportée à la politique vu qu’il n’existait pas de tendance antérieure concernant des modifications similaires et qu’ils n’avaient pas été informés de la modification imminente avant le début du gel prévu par la loi. Elle a également estimé que l’employeur ne pouvait pas invoquer l’exception du cours normal des affaires puisqu’il n’avait jamais mis en œuvre de modifications similaires auparavant et que les employés n’avaient reçu aucun avis avant le début du gel.

[32]      La Commission a fait observer que les arguments comme ceux avancés par l’employeur n’avaient pas été retenus par d’autres tribunaux du travail. Elle a également conclu que, si la thèse de l’employeur était retenue, cela « signifierait ignorer des décennies de jurisprudence des commissions des relations du travail » (au paragraphe 74). La Commission n’a donc pas retenu l’argument de l’employeur concernant l’importance de l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada.

[33]      La Commission a conclu que l’employeur avait contrevenu à l’article 56 de la Loi et elle a rendu des ordonnances octroyant des mesures de redressement. Ces ordonnances enjoignaient à l’employeur de faire ce qui suit :

a.    permettre aux caporaux et aux sergents de la GRC de présenter une demande de promotion aux grades de sergent et de sergent d’état-major, respectivement, sans avoir suivi le Programme de perfectionnement des superviseurs ou le Programme de perfectionnement des gestionnaires;

b.    faire la liste des employés dont la candidature a été rejetée pour des promotions aux rangs de sergent et de sergent d’état-major, respectivement, parce qu’ils n’avaient pas terminé le Programme de perfectionnement des superviseurs ou le Programme de perfectionnement des gestionnaires et réévaluer la candidature de ces employés pour cette promotion, indépendamment du fait qu’ils aient suivi ou non ces programmes;

c.    achever l’établissement de cette liste et cette réévaluation et en communiquer les résultats à la Fédération de la police nationale dans les 120 jours; et

d.    payer à tout employé identifié à la suite de cet exercice et qui est admissible à une promotion toutes les pertes de salaire et d’avantages qu’il aurait reçus s’il avait été promu sans la violation de l’article 56 de la Loi.

II.    Discussion

[34]      La norme de contrôle applicable au contrôle des décisions de la Commission est celle de la décision raisonnable. Quant à l’équité procédurale, bien que notre Cour ne soit pas unanime à ce sujet, l’avis le plus souvent exprimé pour le moment est qu’il appartient à notre Cour d’établir si la Commission a manqué au droit à l’équité procédurale du demandeur (voir, par exemple, les arrêts Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216, 2021 CarswellNat 4869 (WL Can.), au paragraphe 2; Gulia c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 106, 2021 CarswellNat 1617 (WL Can.), au paragraphe 8; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, au paragraphe 54).

A.    Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[35]      Je me penche d’abord sur le manquement allégué à l’équité procédurale qui découlerait de la conclusion que la modification contestée à la politique sur les promotions de la GRC a été apportée après le début du gel lié à l’accréditation. À la lumière des allégations formulées dans la demande et les observations écrites de la Fédération, la date à laquelle la modification contestée a été apportée a été une question fortement débattue devant la Commission. Le demandeur ne peut donc pas alléguer qu’il a été pris de court lorsque la Commission a tranché la question. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

B.    La Commission a-t-elle inversé le fardeau de la preuve?

[36]      Passons ensuite à l’allégation du demandeur selon laquelle la Commission a indûment inversé le fardeau de la preuve.

[37]      Il est reconnu, dans la jurisprudence de la Commission que, dans le contexte d’une plainte présentée en vertu de l’article 107 de la Loi, le syndicat demandeur doit établir : 1) qu’une condition d’emploi existait le jour où le gel a commencé; 2) que cette condition a été modifiée sans le consentement de l’agent négociateur; 3) que la modification a été apportée pendant la période de gel; et 4) que la condition peut être incluse dans une convention collective. La Commission a affirmé qu’il faut ensuite examiner les moyens de défense invoqués par l’employeur. Dans la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110, la Commission a formulé les observations suivantes au paragraphe 137 :

Dans les affaires visées par l’art. 107, la Commission procède souvent à ce qui est en réalité une analyse en deux étapes. En premier lieu, la Commission vérifie si un plaignant s’est acquitté du principal fardeau de présentation lui incombant, soit d’établir qu’un avis de négocier a été signifié, qu’un employeur a subséquemment modifié une condition d’emploi qui pouvait faire partie d’une convention collective et qui était en vigueur à la date de la signification d’un avis de négocier, et que le plaignant n’y consentait pas. À la deuxième étape, la Commission examine la défense présentée par l’employeur selon laquelle, bien qu’une condition d’emploi ait été modifiée au sens de l’art. 107, ses actes n’ont donné lieu à aucune violation dudit article, le plus souvent parce que l’employeur maintenait ses pratiques habituelles. Dans certains cas, la Commission assimile les pratiques habituelles à une approche qui autorise un plaignant à s’acquitter du fardeau de la preuve en démontrant qu’une condition d’emploi était en place avant la signification d’un avis de négocier, mais que l’employeur l’a modifiée subséquemment, en violation de l’art. 107.

[38]      Contrairement à ce que le demandeur affirme, une lecture raisonnable des motifs de la Commission montre qu’elle ne s’est pas écartée de ces principes dans la décision faisant l’objet du contrôle et qu’elle n’a pas imposé à l’employeur le fardeau de la preuve. En fait, elle a tiré des conclusions liées à la preuve en se fondant sur l’ensemble des témoignages qu’elle a entendus et la question de savoir à quelle partie incombe le fardeau de la preuve n’a joué aucun rôle dans sa décision.

[39]      Par conséquent, je conclus que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à l’égard du fardeau de la preuve.

C.   La conclusion de fait de la Commission était-elle raisonnable?

[40]      Je me penche maintenant sur la question de savoir si la conclusion de fait qu’a tirée la Commission selon laquelle la modification contestée a été apportée après le début de la période de gel était raisonnable. Compte tenu des nombreux éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission et sur lesquels celle-ci s’est fondée pour étayer sa conclusion selon laquelle la décision de mettre en œuvre la modification n’a pas été prise avant le 23 octobre 2017, cette conclusion était tout à fait raisonnable.

[41]      Contrairement à ce que le demandeur affirme, la Commission n’était pas tenue de retenir la preuve présentée par le témoin de l’employeur qui a parlé de la nature de la décision prise lors de la réunion du 27 juin 2016 de l’EMS et du pouvoir exercé par l’EMS. Au contraire, il était loisible à la Commission de se fonder sur d’autres éléments de preuve qui étayaient sa conclusion selon laquelle la décision de modifier la politique sur les promotions a été prise après le début du gel lié à l’accréditation.

[42]      Comme la Commission l’a indiqué au paragraphe 131 de sa décision, sa conclusion concernant la date à laquelle la décision a été prise constituait en soi un motif suffisant pour accueillir la plainte, étant donné que l’employeur n’avait pas [traduction] « mis la machine en marche » avant le début de la période de gel prévue par la loi. Ainsi, comme la défenderesse le soutient à juste titre, ma conclusion selon laquelle cette conclusion de fait était raisonnable implique que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Par conséquent, à proprement parler, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les observations des parties concernant la signification de l’arrêt Wal-Mart.

[43]      Malgré cela, il me semble important de le faire, étant donné la nature de ces observations qui, si elles étaient retenues, représenteraient un changement radical par rapport à la façon dont la plupart des tribunaux du travail appliquent les dispositions législatives de gel depuis les dernières décennies.

D.   L’interprétation faite par la Commission de l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada était-elle raisonnable?

[44]      Comme je l’ai indiqué plus haut, le demandeur a présenté deux observations interreliées relativement au caractère raisonnable de l’interprétation par la Commission de l’arrêt Wal-Mart. Il soutient d’abord que la Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Vavilov que le fait de ne pas appliquer un précédent applicable rend une décision déraisonnable, puis il soutient que la Commission n’a pas suivi l’arrêt Wal-Mart alors qu’elle était tenue de le faire.

[45]      Je ne souscris à aucune de ces deux affirmations.

1)    Conséquence d’une dérogation à un précédent

[46]      En ce qui concerne l’observation sur le droit administratif, contrairement à ce que le demandeur soutient, la Cour suprême du Canada n’a pas établi, dans l’arrêt Vavilov, un critère de démarcation nette qui voudrait que le défaut de suivre une jurisprudence donne nécessairement lieu à l’annulation de la décision administrative. Bien au contraire, dans l’arrêt Vavilov, l’approche de la Cour suprême concernant le rôle des précédents est beaucoup plus nuancée et contextuelle.

[47]      À cet égard, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a formulé des observations sur les conséquences liées au défaut de se conformer à deux types de précédents, à savoir ceux établis par le décideur administratif lui-même et ceux établis par les cours.

[48]      La Cour suprême a conclu que, lorsqu’il étudie les précédents de son propre tribunal, le décideur administratif peut parfois déroger raisonnablement de ces précédents s’il fournit des motifs raisonnables à cet égard. Aux paragraphes 131 et 132, les juges majoritaires ont formulé les observations suivantes :

La question de savoir si une décision en particulier est conforme à la jurisprudence de l’organisme administratif est elle aussi une contrainte dont devrait tenir compte la cour de révision au moment de décider si cette décision est raisonnable. Lorsqu’un décideur s’écarte d’une pratique de longue date ou d’une jurisprudence interne constante, c’est sur ses épaules que repose le fardeau d’expliquer cet écart dans ses motifs. Si le décideur ne s’acquitte pas de ce fardeau, la décision est déraisonnable. En ce sens, les attentes légitimes des parties servent à déterminer à la fois la nécessité de motiver la décision et le contenu des motifs : Baker, par. 26. Nous le répétons, il ne s’ensuit pas pour autant que les décideurs administratifs sont liés par les décisions antérieures au même titre que les cours de justice. Cela veut plutôt dire qu’une décision dérogeant à une pratique de longue date ou à une jurisprudence interne établie sera raisonnable si cette dérogation est justifiée, ce qui réduit le risque d’arbitraire, lequel a un effet préjudiciable sur la confiance du public envers les décideurs administratifs et le système de justice dans son ensemble.

Comme nous l’avons expliqué, certains ont soutenu qu’un contrôle selon la norme de la décision correcte s’imposerait dans les cas où des questions de droit « sèment constamment la discorde » dans les décisions d’un organisme administratif. Nous estimons que point n’est besoin d’une telle catégorie de questions où la norme de la décision correcte s’applique; nous devons toutefois souligner que les cours de révision ont un rôle à jouer lorsqu’il s’agit de réduire le risque d’interprétations juridiques constamment discordantes ou contradictoires dans les décisions d’un organisme administratif. Lorsqu’elle dispose d’une preuve concernant l’existence d’un désaccord au sein d’un organisme administratif sur la façon de trancher des questions de droit, une cour de révision pourrait estimer opportun d’en faire mention dans ses motifs et d’encourager le recours aux mécanismes internes pour résoudre le désaccord. Et si le désaccord interne persiste, il pourrait devenir de plus en plus difficile pour l’organisme administratif de justifier des décisions qui ne serviraient qu’à perpétuer la discorde.

[49]      En ce qui concerne le fait de déroger à la jurisprudence, la Cour suprême a également conclu que, tant que des explications raisonnables sont fournies, le décideur administratif peut parfois s’abstenir de suivre une décision rendue par les cours, selon les circonstances. La question est intrinsèquement contextuelle; la mesure dans laquelle un précédent liera le décideur administratif dépendra de la nature du précédent et des motifs que le décideur administratif donnera pour justifier sa décision d’y déroger. Les juges majoritaires de l’arrêt Vavilov ont déclaré ce qui suit aux paragraphes 112 et 113 :

Tout précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables. La décision d’un organisme administratif peut être déraisonnable en raison de l’omission d’expliquer ou de justifier une dérogation à un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition. Si, par exemple, une cour de justice a examiné une disposition législative dans un jugement pertinent, il serait déraisonnable que le décideur administratif interprète ou applique celleci sans égard à ce précédent. Le décideur devrait être en mesure d’indiquer pourquoi il est préférable d’adopter une autre interprétation, par exemple en expliquant pourquoi l’interprétation de la cour de justice ne fonctionne pas dans le contexte administratif : M. Biddulph, « Rethinking the Ramification of Reasonableness Review : Stare Decisis and Reasonableness Review on Questions of Law » (2018), 56 Alta. L.R. 119, p. 146. Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il est tout simplement déraisonnable que le décideur administratif n’applique ou n’interprète pas une disposition législative en conformité avec un précédent contraignant. Par exemple, dans les cas où une cour de justice compétente en matière d’immigration est appelée à décider si un acte constitue une infraction criminelle en droit canadien (voir, p. ex., la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 35 à 37), il serait à l’évidence déraisonnable que le tribunal retienne une interprétation d’une disposition pénale qui soit incompatible avec l’interprétation que lui ont donnée les cours criminelles canadiennes.

Cela dit, les décideurs administratifs ne seront pas nécessairement tenus d’appliquer les principes d’equity et de common law de la même façon qu’une cour de justice pour que leurs décisions soient raisonnables. Par exemple, il serait raisonnable pour le décideur d’adapter une doctrine de common law ou d’equity au contexte administratif qui lui est propre : voir Nor-Man Regional Health Authority, par. 56, 4445, 52, 54 et 60. En revanche, le décideur qui applique de manière rigide une doctrine de common law sans l’adapter au contexte administratif pertinent agit peutêtre de manière déraisonnable : voir Delta Air Lines, par. 1617 et 30. Bref, la question de savoir si le décideur administratif a agi raisonnablement en adaptant une règle de droit ou d’equity appelle un examen fondé dans une très large mesure sur le contexte.

[50]      Ainsi, si la Commission n’a pas suivi l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada et a justifié de manière adéquate cette décision, il s’ensuit que sa décision en l’espèce n’était pas nécessairement déraisonnable.

[51]      En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles le décideur administratif peut refuser de se conformer à un précédent, la Fédération soutient que la décision Service d’administration P.C.R. ltée c. Reyes, 2020 CF 659 (P.C.R. ltée), de la Cour fédérale (sous la plume du juge Grammond) fournit une méthode d’analyse pratique. Dans cette décision, la Cour fédérale a conclu que, lorsqu’elle examine le caractère contraignant d’un précédent, la cour de révision doit d’abord évaluer le degré de contrainte juridique qui découle du précédent, puis elle doit évaluer le caractère raisonnable de la décision eu égard au caractère de cette contrainte. La Cour fédérale a exposé sa méthode au paragraphe 24 de la décision P.C.R. ltée de la manière suivante :

[..j’estime que, pour analyser une allégation selon laquelle un décideur administratif a appliqué le « mauvais critère » en s’écartant d’un précédent, qu’il soit judiciaire ou administratif, la méthode suivante est indiquée :

1.  On doit évaluer le degré de contrainte juridique qui découle du précédent invoqué, ce qui nécessite la prise en compte des facteurs suivants :

a)   La place de l’auteur du précédent dans la hiérarchie judiciaire ou administrative;

b)   Le degré de consensus dont le précédent allégué fait l’objet;

c)   Si le précédent invoqué porte sur une demande de contrôle judiciaire, la possibilité que d’autres issues soient jugées raisonnables;

d)   Le fait que, pour trancher la question qui fait l’objet du précédent allégué, le décideur doit soupeser un ensemble de facteurs;

2.  On doit ensuite déterminer si la décision contestée est raisonnable, ce qui peut, selon le cas, soulever les questions suivantes :

a)   Si le décideur s’écarte explicitement du précédent, a-t-il donné des raisons adéquates?

b)   Prise dans son ensemble, la décision est-elle incompatible avec le précédent allégué?

[52]      En toute déférence, je ne pense pas qu’il soit utile d’imposer l’application de ce cadre analytique parce que son point de départ n’est pas le bon et qu’il est trop cartésien. Cette méthode risque, selon moi, d’entraîner la compartimentation d’une liste de facteurs que la cour de révision devra dans tous les cas prendre en considération, même lorsque ce ne serait pas nécessaire ni approprié. En outre, cette méthode est contraire à celle imposée par l’arrêt Vavilov, où la Cour suprême a conclu que l’analyse requise comprend un examen fondé dans une très large mesure sur le contexte, soit l’antithèse de la méthode consistant à appliquer machinalement une liste de facteurs. À mon avis, il n’est pas souhaitable d’imposer une méthode d’analyse à appliquer dans toutes les affaires qui va au-delà du cadre général établi par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov.

[53]      L’arrêt Vavilov enseigne que le contrôle doit porter principalement sur les motifs du décideur administratif lorsqu’ils sont fournis. Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont indiqué, aux paragraphes 82 à 84, ce qui suit :

Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à donner effet à l’intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit : voir Dunsmuir, par. 27-28 et 48; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 10; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’ÎleduPrinceÉdouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 10.

Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles-mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28 (CanLII); voir aussi Ryan, par. 50-51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif –– ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les motifs écrits fournis par le décideur administratif servent à communiquer la justification de sa décision. Toute méthode raisonnée de contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse avant tout aux motifs de la décision. Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion : voir Dunsmuir, par. 48, citant D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286.

[54]      Ainsi, pour ce qui est de l’incidence des précédents, à l’instar de toute autre question examinée en contrôle judiciaire, la cour de révision, dans son analyse, doit se concentrer sur les motifs que le décideur administratif a donnés pour justifier son interprétation d’un précédent ou son refus de le suivre. Dans cet examen, le précédent en question doit être interprété dans le contexte de l’affaire à son origine et dans le contexte plus large de la jurisprudence dans laquelle il s’inscrit. Lorsqu’on se penche sur ce contexte, les motifs donnés par le décideur administratif sur ces points revêtent une importance capitale, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, le précédent relève du domaine d’expertise du décideur administratif.

2)    La manière dont la Commission a interprété l’arrêt Wal-Mart

[55]      En gardant ce contexte à l’esprit, j’examine maintenant le caractère raisonnable de la manière dont la Commission a interprété l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada et, comme l’enseigne l’arrêt Vavilov, je commence mon analyse par un examen plus détaillé de ce que la Commission a indiqué dans ses motifs au sujet de l’arrêt Wal-Mart. Étant donné que les motifs de la Commission sont très réfléchis et qu’ils présentent un examen très rigoureux des questions pertinentes, il vaut la peine de les regarder en détail.

a)    Examen détaillé des motifs de la Commission

[56]      La Commission a commencé son examen de la thèse de l’employeur en faisant observer qu’« il est admis depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission et d’autres commissions des relations de travail que [...] certaines modifications peuvent être apportées sans violer [une disposition législative sur le gel], si elles s’inscrivent dans le cours normal des affaires de l’employeur ou si elles répondent aux attentes raisonnables des employés, ou les deux » (au paragraphe 49).

[57]      La Commission a ensuite formulé sa conclusion concernant la thèse de l’employeur aux paragraphes 50 et 51, en indiquant ce qui suit :

L’employeur fait valoir que les deux critères sont distincts et que les attentes des employés ne peuvent pas être prises en compte dans une analyse concernant le cours normal des affaires. Il ajoute que de mélanger les deux critères va non seulement à l’encontre de leur évolution historique, mais qu’il a été confirmé par l’approche de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart qu’il s’agissait d’une erreur d’agir ainsi.

Je suis en désaccord avec l’employeur sur les deux points. La jurisprudence qui applique ces deux approches analytiques de manière complémentaire et interreliée est entièrement conforme à la façon dont ces critères ont évolué historiquement. En outre, je ne vois rien dans l’arrêt Wal-Mart qui change cela ou qui suggère même qu’une évaluation des attentes des employés ne devrait pas faire partie d’une analyse relative au cours normal des affaires.

[58]      Dans les sections suivantes de sa décision, la Commission a exposé les motifs de cette conclusion.

[59]      La Commission a commencé par un survol historique de la jurisprudence interprétant les dispositions législatives de gel. Elle a noté que les tribunaux du travail, dès le départ, ont établi le critère relatif au cours normal des affaires et rejeté l’idée d’un gel statique parce qu’ils ont reconnu que les employeurs doivent continuer à exploiter leur entreprise pendant les périodes de gel, qui sont parfois longues. La Commission a ensuite indiqué que « la question de savoir si une modification enfreint une disposition de gel n’est pas une science exacte » et que « le critère relatif au cours normal des affaires ne s’est pas avéré utile dans toutes les situations » (au paragraphe 53). La Commission a noté que les tribunaux du travail ont en conséquence établi le critère des attentes raisonnables des employés, lequel, selon la Commission, n’est pas un nouveau développement (au paragraphe 55).

[60]      La Commission a ensuite cité de larges extraits de la décision charnière Canadian Union of United Brewery, Flour, Cereal, Soft Drink & Distillery Workers v. Simpsons Limited, [1985] O.L.R.B. Rep. April 594, 9 C.L.R.B.R. (N.S.) 343,1985 CanLII 949, de la Commission des relations de travail de l’Ontario (la C.R.T.O.). Dans cette affaire, la CRTO devait déterminer si des licenciements effectués pendant une grave récession, alors qu’il n’y avait jamais eu auparavant de licenciements similaires, constituaient une violation du gel prévu par la loi. Pour en arriver à la conclusion que ces licenciements ne constituaient pas une violation, la C.R.T.O., dans l’extrait cité par la Commission, a énoncé le critère des attentes raisonnables des employés [aux paragraphes 30 à 34] :

[traduction]

Les dispositions sur le gel visent deux catégories d’événements. Il y a les changements qui peuvent être comparés à une tendance (aussi difficile qu’elle soit à préciser), et l’historique précis des activités de cet employeur, qui sont pertinents lors de l’évaluation de l’incidence du gel. Il y a aussi les événements survenant pour la première fois, une catégorie pour laquelle le principe relatif au cours normal des activités n’est pas toujours utile pour mesurer la portée des privilèges des employés […]

[...] la [C.R.T.O.] juge appropriée d’évaluer les privilèges des employés qui sont gelés en vertu de la loi et, par conséquent, de délimiter les droits autrement illimités de l’employeur, en se concentrant sur les attentes raisonnables des employés. L’approche fondée sur les attentes raisonnables, de l’avis de la [C.R.T.O.], répond aux deux catégories d’événements visés par le gel, intègre la jurisprudence de la [C.R.T.O.] et établit un équilibre approprié entre les droits des employeurs et les privilèges des employés dans le contexte de la disposition législative.

Le langage relatif aux attentes raisonnables est apparu dans un certain nombre de décisions portant sur la disposition sur le gel. [...] Ainsi, de l’avis de la [C.R.T.O.], les attentes raisonnables des employés en tant que mesure appropriée des privilèges accordés aux employés qui sont protégés par le gel constituent un fil conducteur commun aux décisions antérieures. En l’espèce, la [C.R.T.O.] formule expressément le critère.

L’approche des attentes raisonnables intègre clairement la pratique de l’employeur dans la gestion de ses activités. La norme est objective : quels privilèges (ou « avantages », pour reprendre un terme souvent utilisé dans la jurisprudence) un employé raisonnable considère-t-il comme acquis dans les circonstances propres à cet employeur […] [Renvois omis.]

L’approche des attentes raisonnables inclut également les affaires qui confirment le droit de l’employeur de mettre en œuvre des programmes pendant le gel, lorsque de tels programmes ont été adoptés avant le gel et communiqués (expressément ou implicitement) aux employés avant le début du gel […]

[61]      La Commission a ensuite fait observer que la Commission et le Conseil canadien des relations industrielles (le C.C.R.I.) ont conclu auparavant que le critère du cours normal des affaires et celui des attentes raisonnables des employés ne sont pas mutuellement exclusifs (en renvoyant à sa décision Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 68, 2016 LNCRTEFP 68 (QL); à la décision du C.C.R.I. Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau c. Hélicoptères Canadiens limitée (Hélicoptères Canadiens Offshore) [sub nom. Hélicoptères Canadiens limitée faisant affaire sous la raison sociale Hélicoptères Canadiens Offshore] 2018 CCRI 891 [sub nom. Hélicoptères Canadiens Ltée (f.a.s. Hélicoptères Canadiens Offshore) (Re)] [2018] D.C.C.R.I. no 21 (QL); et aux arrêts de notre Cour Canadian Helicopters Limited c. Syndicat international des employées et employés professionnels(les) et de bureau, 2020 CAF 37 [sub nom. Hélicoptères Canadiens limitée (f.a.s. Hélicoptères Canadiens Offshore) (Re)], [2020] A.C.F. no 169 (QL); et Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 52).

[62]      La Commission a conclu sur ce point en formulant les observations suivantes, au paragraphe 61 :

De toute évidence, le critère des attentes raisonnables des employés s’est développé historiquement comme une approche alternative, mais complémentaire, pour déterminer si une modification constituait le cours normal des affaires ou si elle violait un gel statutaire en posant la question, [traduction] « quelles seraient les attentes d’un employé raisonnable quant à ses conditions d’emploi ou ses avantages sociaux dans les circonstances particulières de son employeur? » Un examen de la jurisprudence ne révèle aucune différence dans la façon dont ces approches analytiques ont été appliquées depuis leurs tout débuts, il y a une quarantaine d’années, jusqu’à aujourd’hui.

[63]      Dans la section suivante de ses motifs, la Commission a souligné l’importance de l’interprétation téléologique des dispositions de gel, en citant de la jurisprudence de la C.R.T.O. à l’appui de cette affirmation.

[64]      La Commission a ensuite examiné l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême et a conclu que cette dernière n’avait pas établi que « les attentes raisonnables des employés n’étaient pas pertinentes à la prise en considération de toute défense fondée sur le cours normal des affaires ni que ces critères [du cours normal des affaires et des attentes raisonnables des employés] doivent d’une manière ou d’une autre être séparés et distincts » (au paragraphe 72).

[65]      La Commission a noté que les faits dans l’arrêt Wal-Mart se rapportaient à la fermeture d’un magasin Wal-Mart rentable après une accréditation, alors que rien ne laissait présager sa fermeture avant la syndicalisation. Elle a aussi souligné que la Cour suprême a rétabli la décision de l’arbitre, qui avait conclu que la fermeture violait les dispositions de gel du Code du travail du Québec, RLRQ, ch. C-27, art. 59.

[66]      Lorsqu’elle a déterminé que l’arrêt Wal-Mart n’avait pas recadré le droit applicable à l’interprétation des dispositions législatives de gel comme l’employeur l’avait soutenu, la Commission a mis en évidence plusieurs passages dans les motifs de la Cour suprême révélant que les attentes des employés avaient été prises en considération, dont les paragraphes 42, 95 et 96 des motifs des juges majoritaires dans l’arrêt Wal-Mart. Ils sont rédigés ainsi :

La condition du maintien du lien d’emploi est intégrée de manière implicite au contrat de travail, sans qu’il soit nécessaire de la stipuler expressément. En effet, c’est le propre de tout contrat que d’obliger chacune des parties à exécuter ses prestations, tant et aussi longtemps que l’autre en fait autant ou que n’intervient pas une autre cause reconnue d’extinction des obligations (art. 1458, al. 1 et art. 1590, al. 1 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). En soumettant la résiliation du contrat à la démonstration d’un « motif sérieux » (art. 2094 C.c.Q.) ou d’une « cause juste et suffisante » (art. 124 L.n.t.) ou à la communication d’un avis raisonnable (art. 2091 C.c.Q. et art. 82 L.n.t.), le droit applicable au contrat de travail ne fait pas exception à ce principe. Jusqu’à ce que survienne un de ces cas, l’employeur se trouve lié par une obligation de maintenir le salarié dans son emploi. D’ailleurs, ce principe est d’autant plus fondamental, dans notre société moderne, que l’importance systémique du travail rend la grande majorité des salariés totalement dépendants de leur emploi [...]. Dans ce contexte, on peut affirmer qu’il existe chez ces salariés une attente raisonnable que l’employeur ne remettra pas en cause leur emploi, sauf dans la mesure et les circonstances prévues par la loi.

[…]

Dans ses commentaires sur la règle des « pratiques habituelles de gestion » et sur son application en l’espèce, l’arbitre Ménard n’a pas imposé à l’employeur un fardeau de preuve inapproprié. En effet, à l’examen de la décision, il ressort clairement de son analyse de la preuve présentée par le Syndicat que celui-ci avait démontré que le magasin n’était pas dans une situation laissant présager sa fermeture. À titre d’exemple, au tout début de ses motifs, Me Ménard indique qu’il retient notamment ce qui suit de « compléments de preuve » :

[L]’employeur n’a jamais révélé à quiconque qu’il entendait cesser ses activités ou encore qu’il rencontrait des difficultés financières. Au contraire, il laissait savoir que, dans une perspective de cinq (5) ans, le magasin évoluait très bien et que les objectifs étaient rencontrés. [par. 2]

Un peu plus loin, il cite un extrait du témoignage de Gaétan Plourde, dans lequel ce dernier révèle que le directeur de l’établissement lui avait laissé entendre que des bonis seraient versés pour l’année 2003 (par. 2).

Dans ce contexte, on comprend que, lorsqu’il affirme que l’employeur n’a pas démontré que la fermeture s’inscrivait dans le cours normal des affaires de l’entreprise, il retient que le Syndicat a déjà présenté suffisamment d’éléments de preuve pour le convaincre que la modification n’était pas conforme aux pratiques antérieures de gestion de l’employeur ou à celles d’un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. En effet, on peut raisonnablement conclure que cet employeur raisonnable n’aurait pas fermé les portes d’un établissement qui « évoluait très bien » et où « les objectifs étaient rencontrés », à tel point que des bonis étaient promis.[Italique dans l’original; renvois omis.]

[67]      La Commission a aussi fait observer que la Cour suprême n’avait mentionné nulle part dans l’arrêt Wal-Mart qu’elle avait l’intention d’abandonner des décennies de jurisprudence des tribunaux du travail, en indiquant ce qui suit au paragraphe 74 :

[...] Même en l’absence d’analyse tenant compte des attentes raisonnables des employés, je ne conclurais pas que la Cour suprême du Canada avait l’intention de tracer une frontière artificielle entre deux approches analytiques utilisables, mais imparfaites, qui se sont incontestablement révélées plus utiles dans la plupart des situations lorsqu’elles sont appliquées ensemble. Rien dans la décision ne le suggère. Interpréter l’arrêt Wal-Mart de cette façon signifierait ignorer des décennies de jurisprudence des commissions des relations du travail, dont la grande majorité a utilisé les deux critères de façon complémentaire. Une telle interprétation signifierait également de le faire en l’absence de toute suggestion de la Cour suprême du Canada que telle était son intention.

[68]      La Commission a ensuite fait observer que l’approche préconisée par l’employeur serait contraire aux affirmations fermes des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Wal-Mart concernant le rôle capital des dispositions de gel et l’importance de les interpréter de manière téléologique. La Commission [au paragraphe 75] a renvoyé aux paragraphes 34 à 37, 49 et 51 des motifs de la majorité de l’arrêt Wal-Mart, qui sont libellés ainsi :

[...] [la disposition législative de gel du Code du travail du Québec] ne vise pas seulement à créer un équilibre ni à assurer le statu quo, mais plus exactement à faciliter l’accréditation et à favoriser entre les parties la négociation de bonne foi de la convention collective [...]

En effet, le « gel » des conditions de travail que codifie cette disposition législative limite l’utilisation du moyen principal dont disposerait autrement l’employeur pour influencer les choix de ses employés : son pouvoir de gestion au cours d’une période critique. Or, en limitant ainsi le pouvoir de décision unilatérale de l’employeur, le « gel » restreint l’influence potentielle de celui-ci sur le processus associatif, diminue les craintes des employés qui exercent activement leurs droits et facilite le développement de ce qui deviendra éventuellement le cadre des relations de travail au sein de l’entreprise.

Dans ce contexte, il importe de reconnaître la fonction véritable de [la disposition législative de gel du Code du travail du Québec], qui consiste à favoriser l’exercice du droit d’association

En codifiant un mécanisme destiné à faciliter la mise en œuvre du droit d’association, [la disposition législative de gel du Code du travail du Québec] crée donc plus qu’une simple garantie de nature procédurale. Pour ainsi dire, en imposant à l’employeur le devoir de ne pas modifier le cadre normatif existant dans l’entreprise au moment de l’arrivée du syndicat, cette disposition reconnaît aux employés un droit substantiel au maintien de leurs conditions de travail durant la période prévue par la loi. Ceci étant dit, puisque les employés sont titulaires de ce droit, il leur appartient de veiller à sa mise en œuvre.

[…]

Sur ce point, je tiens à souligner que le fait d’accepter la thèse contraire — à savoir que l’employeur peut toujours modifier ses normes de gestion, parce qu’il jouissait de ce pouvoir avant l’arrivée du syndicat — priverait [la disposition législative de gel du Code du travail] de tout effet. Cette [disposition législative de gel du Code du travail du Québec], je le rappelle, a été édictée dans le but précis d’empêcher l’employeur d’« utiliser in extremis sa grande liberté de manœuvre pour être particulièrement généreux ou exercer quelque autre moyen de pression » [...]. Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber.

[…]

Une interprétation laissant à l’employeur toute la latitude qu’il possédait avant le dépôt de la requête en accréditation violerait les prescriptions de l’art. 41 de la Loi d’interprétation, RLRQ, ch. I-16, lesquelles privilégient une interprétation large et téléologique de la disposition. Il m’apparaît que cette interprétation ferait aussi abstraction du fait que, après l’arrivée du syndicat, l’employeur ne contrôle désormais plus seul les relations de travail dans son entreprise. En effet, à partir du dépôt de la demande d’accréditation, il fait face à « l’éventualité de l’implantation d’un nouvel ordre de relations du travail dans l’entreprise, un régime dorénavant institutionnalisé » et dont il doit tenir compte dans l’exercice de son pouvoir de gestion [...] [Italique dans l’original; renvois omis.]

[69]      La Commission a conclu cette partie de son raisonnement en formulant les observations suivantes à propos de la thèse de l’employeur [aux paragraphes 76 et 77] :

Je précise également que l’employeur ne prétend pas que les attentes des employés ne sont absolument pas pertinentes. Il déclare simplement qu’elles ne sont pertinentes que pour le critère des attentes raisonnables d’un employé et qu’elles ne peuvent pas être utilisées dans le cadre d’une analyse relative au cours normal des affaires. Tel qu’il a été mentionné, je considère cet argument sans mérite; il est même difficile de conceptualiser une application complètement distincte de ces approches. Cependant, même si j’acceptais le fait que les attentes raisonnables des employés ne peuvent être appliquées qu’à titre de critère séparé et distinct, à mon avis, cela conduirait à la même conclusion.

L’employeur a soutenu que, bien que la Commission puisse appliquer le critère des attentes raisonnables des employés (quoique séparément), celui-ci ne l’emporterait pas sur le critère relatif au cours normal des affaires. En faisant cet argument, l’employeur suggère implicitement que le cours normal des affaires devrait l’emporter sur les attentes raisonnables des employés. Le fondement de cette proposition n’est pas clair, mais, en tout état de cause, à mon avis, cet argument est également sans fondement. Ni l’une ni l’autre de ces approches analytiques complémentaires ne l’emporte sur l’autre; ce n’est tout simplement pas ainsi qu’elles fonctionnent.

[70]      La Commission a ensuite appliqué le critère des attentes raisonnables des employés. Elle a conclu que, conformément à sa propre jurisprudence de longue date et celle d’autres tribunaux du travail, pour qu’il soit satisfait à ce critère, « un changement doit faire partie d’une tendance établie de telle sorte que les employés s’y attendraient raisonnablement, ou il doit y avoir eu une décision ferme d’apporter le changement qui a été communiquée aux employés avant le début de la période de gel » (au paragraphe 78). Puisqu’il n’existait pas de telle tendance et que la GRC n’avait rien communiqué aux employés, la Commission a conclu que les modifications contestées violaient le gel prévu à l’article 56 de la Loi.

[71]      Dans les parties suivantes de ses motifs, la Commission a examiné d’autres critères qui auraient pu être appliqués et elle a conclu qu’ils auraient tous produit le même résultat.

[72]      L’un d’entre eux consistait à déterminer si la modification apportée à la politique était le genre de modification pouvant être négociée collectivement et si elle aurait « perturb[é], entach[é] ou fauss[é] indûment [le] processus de négociation » (pour citer l’une des décisions auxquelles renvoie la Commission, la décision de la C.R.T.O. Ontario Public Service Employees Union v. Royal Ottawa Health Care Group Institute of Mental Health Research, [1999] O.L.R.B. Rep. 711, 1999 CanLII 20151, au paragraphe 89). La Commission a conclu que la modification à la politique sur les promotions de la GRC était ce genre de modification et, en conséquence, que ce critère mènerait aussi à la conclusion que l’adoption de la modification à la politique, après le début du gel, contrevenait à l’article 56 de la Loi.

[73]      La Commission a ensuite examiné la défense fondée sur le cours normal des affaires. À cet égard, la Commission s’est concentrée sur les paragraphes tirés de l’arrêt Wal-Mart que l’employeur a invoqués, soit les paragraphes 55 à 57. Dans cet arrêt, les juges majoritaires ont formulé les observations suivantes :

Quelle que soit la source des éléments de preuve qu’il considérera, l’arbitre dispose de deux moyens pour se prononcer sur la conformité entre un changement donné et les pratiques habituelles de gestion de l’employeur. Dans un premier temps, pour que la décision de l’employeur ne soit pas assimilée à une modification des conditions de travail au sens de [la disposition législative de gel du Code du travail du Québec], l’arbitre devra être convaincu qu’elle a été prise en conformité avec ses pratiques antérieures de gestion. Pour reprendre l’expression du juge Auclair, il devra être en mesure de conclure que la décision patronale a été prise « selon les paramètres qu’il s’est lui-même imposés avant la venue du syndicat chez lui » [...]

Dans un deuxième temps, la jurisprudence reconnaît que l’entreprise doit rester en mesure de s’adapter au contexte variable de l’environnement commercial dans lequel elle évolue. Par exemple, dans certains scénarios où il est difficile ou impossible de déterminer si une pratique de gestion donnée existait avant le dépôt de la requête en accréditation, la jurisprudence pertinente admet qu’il est possible de considérer qu’une décision « raisonnable », de « saine gestion », conforme à ce qu’aurait fait un « employeur raisonnable placé dans la même situation », relève des pratiques habituelles de gestion [...]

Un changement pourra donc être déclaré conforme à la « politique habituelle de gestion » de l’employeur (1) s’il est cohérent avec ses pratiques antérieures de gestion ou, à défaut, (2) s’il est conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. En d’autres mots, la modification « qui aurait été administrée de la même façon, en dehors d’un processus de syndicalisation ou de renouvellement de convention collective, ne doit pas être considérée comme un changement dans les conditions de travail visé par [la disposition législative de gel du Code du travail du Québec] » [...] [Italique dans l'original; renvois omis.]

 

[74]      La Commission a d’abord examiné si la modification apportée aux politiques sur les promotions de la GRC s’inscrivait dans les pratiques de gestion antérieures de la GRC, le premier type de situation examiné par la Cour suprême aux paragraphes 55 à 57 de ses motifs de l’arrêt Wal-Mart. La Commission a conclu que la modification contestée à la politique sur les promotions de la GRC ne s’inscrivait pas dans les pratiques de gestion antérieures, étant donné qu’une modification similaire n’avait été apportée auparavant qu’une seule fois et qu’« [u]ne modification antérieure ne révèle pas une tendance établie de pratiques de gestion antérieures en ce qui concerne les modifications de fond aux politiques » (au paragraphe 98).

[75]      Bien que l’employeur n’ait pas invoqué la deuxième exception énoncée dans les paragraphes 55 à 57 de l’arrêt Wal-Mart, la Commission a ensuite examiné si un employeur raisonnable se trouvant dans la même situation aurait procédé à la modification en question ou si cette modification correspondait à la manière dont la GRC aurait agi s’il n’y avait pas eu de demande d’accréditation. La Commission a répondu par la négative aux deux questions.

[76]      En jugeant qu’un employeur raisonnable n’aurait pas mis en œuvre la modification, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’une modification importante, mais qui n’était pas urgente. À cet égard, elle a fait observer qu’avant sa mise en œuvre, la modification avait été à l’étude pendant un certain temps et avait même été suspendue à un moment donné. La Commission a également fait remarquer qu’il aurait été raisonnable que la GRC attende avant de mettre en œuvre la modification, étant donné qu’elle avait reçu de la part des superviseurs des commentaires négatifs au sujet des répercussions que cette modification aurait. Elle a aussi souligné que la GRC aurait pu demander l’accord de la Commission concernant la modification — une option dont disposent les employeurs en vertu de l’article 56 de la Loi — mais qu’elle s’est abstenue de le faire. Ensemble, ces facteurs ont amené la Commission à conclure qu’un employeur raisonnable n’aurait pas mis en œuvre la modification dans des circonstances similaires.

[77]      En ce qui concerne les termes utilisés par les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada au paragraphe 57 de l’arrêt Wal-Mart, selon lequel, pour qu’une modification soit possible, elle doit être une modification « qui aurait été administrée de la même façon, en dehors d’un processus de syndicalisation ou de renouvellement de convention collective », la Commission a conclu que « cette notion n’est qu’une autre façon d’examiner si l’employeur a géré son entreprise comme il l’aurait fait normalement » (au paragraphe 109).

[78]      La Commission a fermement rejeté l’argument de l’employeur, selon lequel la Cour suprême avait décidé « qu’un employeur pouvait satisfaire au critère relatif au cours normal des affaires simplement en démontrant qu’il aurait agi de la même façon en l’absence d’une demande d’accréditation », en concluant que « [l]a jurisprudence du travail dans toutes les administrations du pays a toujours explicitement rejeté une telle notion » (aux paragraphes 110 et 111). La Commission a ensuite fait observer que, si cette notion était acceptée, cela reviendrait à exiger qu’il existe un sentiment antisyndical pour qu’il y ait violation de la disposition de gel — une idée fermement rejetée par la jurisprudence et par la Cour suprême elle-même, au paragraphe 38 de l’arrêt Wal-Mart, où le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité, a écrit ce qui suit :

Comme [la disposition législative de gel du Code du travail du Québec] ne vise pas directement à punir un comportement antisyndical, je tiens d’abord à souligner qu’une preuve indiquant que la décision de l’employeur est motivée par un quelconque animus antisyndical n’est pas nécessaire pour que s’applique la prohibition édictée par cet article [...]. En effet, la question essentielle dans la mise en œuvre de [la disposition] consiste à décider si l’employeur a modifié unilatéralement les conditions de travail de ses employés durant la période prohibée [Italique dans l'original; renvois omis.].

[79]      La Commission a conclu en indiquant [au paragraphe 119] que, dans l’arrêt Wal-Mart, la Cour suprême :

[...] n’avait pas l’intention de modifier et n’a pas modifié la jurisprudence de manière substantielle, que ce soit pour retirer toute considération relative aux attentes raisonnables des employés d’une analyse portant sur le cours normal des affaires, ou pour suggérer qu’un employeur pourrait établir une défense fondée sur le cours normal des affaires simplement en démontrant qu’il aurait agi de la même façon s’il n’y avait pas eu de demande d’accréditation.

[80]      À l’appui de cette conclusion, la Commission a renvoyé à une kyrielle de décisions qui ont été rendues après l’arrêt Wal-Mart, dans lesquelles les tribunaux du travail ont continué à appliquer les mêmes approches à l’égard des dispositions législatives de gel qu’elles appliquent depuis plusieurs décennies (les décisions Hélicoptères Canadiens limitée faisant affaire sous la raison sociale Hélicoptères Canadiens Offshore, 2018 CCRI 891 [précitée]; Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, Bureau de la sécurité des transports et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 91, 2018 LNFPSLREB 95 (QL); Public Service Alliance of Canada v. Anishinabek Police Service, [2018] O.L.R.B. Rep. 635, 2018 CanLII 81987 (C.R.T. de l'Ont.); Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters c. 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation [sub nom. 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation] 2018 CCRI 894 [sub nom. 669779 Ontario ltée (f.a.s. CSA Transportation (Re)], [2018] D.C.C.R.I. no 29 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 16, 2017 LNCRTESPF 16 (QL); Syndicat des agents correctionnels – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 47, 2016 LNCRTEFP 47 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11, 2017 LNCRTESPF 11 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107, 2016 LNCRTEFP 107 (QL); Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local Union 647, affiliated with the International Brotherhood of Teamsters v. Canada Bread Company Limited, [2016] O.L.R.B. Rep. March/April 161, 2016 CanLII 25094 (C.R.T. de l’Ont.); Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 68, 2016 LNCRTEFP 68 (QL); L’Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26, 2016 LNCRTEFP 26 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, 2016 LNCRTEFP 19 (QL); Alberta Union of Provincial Employees and Shepherd’s Care Foundation, [2016] Alta. L.R.B.R. 33 [sub nom. Shepherd's Care Foundation and AUPE, Re, 2016 CarswellAlta 796 (WL Can.), sub nom. Shepherd's Care Foundation (Re), [2016] A.L.R.B.D. No. 30 (QL); [New Brunswick (Board of Management) v. Canadian Union of Public Employees, Local 1840, sub nom.] New Brunswick (Board of Management) (Re), [2014] N.B.L.E.B.D. no 27 (QL), 252 C.L.R.B.R. (2d) 149).

[81]      La Commission a ensuite mis certaines affaires en évidence, dans lesquelles des thèses semblables à celles défendues par l’employeur ont été rejetées (à savoir les décisions Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110; Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit-CSN c. Conseil des Innus de Pessamit, [sub nom. Conseil des Innus de Pessamit], 2016 CCRI 831, 18 C.L.R.B.R. (3d) 214; Syndicat des enseignantes et enseignants de la communauté Innue de Pessamit-CSN c. Conseil des Innus de Pessamit [sub nom. Conseil des Innus de Pessamit] 2017 CCRI 861, 51 C.L.R.B.R. (3d) 246; Corporation de l’École Polytechnique de Montréal c. Association syndicale des salarié-e-s étudiant-e-s de la Polytechnique, 2015 CanLII 13848 (Qc SAT)).

[82]      La Commission a donc rejeté l’interprétation que proposait l’employeur de l’arrêt Wal-Mart, elle a adopté l’approche habituelle des tribunaux canadiens du travail relativement à la situation et elle a conclu que la GRC avait contrevenu à l’article 56 de la Loi en apportant la modification contestée à sa politique sur les promotions.

b)    La manière dont la Commission a interprété l’arrêt Wal-Mart était-elle raisonnable?

[83]      Je me penche maintenant sur l’affirmation de l’employeur selon laquelle l’interprétation qu’a faite la Commission de l’arrêt Wal-Mart était déraisonnable.

[84]      D’emblée, il convient de rappeler que les décisions comme celle en l’espèce sont relativement dépourvues de contraintes du fait de leur objet, du mandat légal de la Commission et de sa spécialisation dans l’exécution de ce mandat. Ainsi, concrètement, les décisions de la Commission dans ce type d’affaire font l’objet d’une grande déférence. L’interprétation du gel prévu par la loi est au cœur de l’établissement de l’équilibre des pouvoirs dans les relations patronales-syndicales, une question que les législateurs ont expressément confiée aux tribunaux spécialisés des relations de travail et sur laquelle ces derniers ont acquis un grand savoir-faire en traitant un grand nombre d’affaires dans ce domaine.

[85]      Depuis plus d’un demi-siècle, les cours de ce pays ont uniformément conclu que les décisions de cette nature ne peuvent pas être infirmées à la légère. Il s’agit de l’approche qui a été adoptée à leur égard depuis les années 1970, dans les décisions Union internationale des employés des services, Local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al. (1973), [1975] 1 R.C.S. 382, 1973 CanLII 191, et S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227, 1979 CanLII 23, et jusqu’à ce jour.

[86]      La disposition privative du paragraphe 34(1) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365, est un indice fort de l’obligation de faire preuve de retenue, comme notre Cour l’a conclu dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction Publique du Canada, 2019 CAF 41, [2019] A.C.F. no 217 (QL), au paragraphe 34, et Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161, aux paragraphes 122–123.

[87]      En l’espèce, la Commission a fourni des motifs plus que suffisants étayant son rejet de la thèse de l’employeur et a fait à une interprétation tout à fait raisonnable de l’arrêt Wal-Mart de la Cour suprême du Canada.

[88]      Le demandeur ne conteste pas le fait que la Commission a fourni des motifs suffisants, mais il fonde plutôt sa thèse essentiellement sur l’affirmation selon laquelle l’interprétation qu’il a faite de l’arrêt Wal-Mart correspondait à celle que la Commission était tenue de suivre. Je ne suis pas de cet avis, et ce, pour plusieurs raisons.

[89]      Premièrement, et peut-être l’élément le plus important, le demandeur invite notre Cour à s’engager dans ce qui s’apparente à une analyse fondée sur la norme de la décision correcte et à substituer notre interprétation de l’arrêt Wal-Mart à celle de la Commission afin que le caractère raisonnable de l’interprétation qu’il propose soit examiné par rapport à l’interprétation de notre Cour. Cependant, comme mentionné plus haut, il s’agit précisément, selon les enseignements de l’arrêt Vavilov, de ce qu’il ne faut pas faire.

[90]      Deuxièmement, l’interprétation qu’a faite la Commission de l’arrêt Wal-Mart est tout à fait conforme à la jurisprudence en droit des relations de travail antérieure et postérieure à l’arrêt Wal-Mart. Il s’agit d’indices forts, voire décisifs, du caractère raisonnable de son interprétation.

[91]      En fait, si l’interprétation que propose le demandeur de l’arrêt Wal-Mart était retenue, elle affaiblirait considérablement les dispositions législatives de gel des lois sur les relations du travail et elle permettrait aux employeurs d’apporter des modifications sans précédent aux salaires et conditions d’emploi des employés pendant une période de gel, tant que la décision serait motivée par des considérations administratives qui ne seraient pas entachées de sentiment antisyndical et que la direction avait pris la décision à l’interne avant le début du gel. Cependant, d’autres dispositions des lois sur les relations du travail interdisent les actions des employeurs qui sont entachées d’un sentiment antisyndical (dans la Loi, par exemple, les paragraphes 186(1) et 186(2)). Si on suivait l’interprétation du demandeur, la portée des dispositions de gel serait à peu près la même que celle des autres dispositions, ce qui mènerait à l’issue déraisonnable que les dispositions de gel seraient en grande partie superflues.

[92]      Troisièmement, j’estime que le demandeur a sorti de leur contexte certaines des observations formulées aux paragraphes 55 à 57 de l’arrêt Wal-Mart et qu’il a accordé trop d’importance à quelques-uns des termes utilisés par les juges majoritaires de la Cour suprême dans ces paragraphes. Comme il a été noté plus haut, les faits dans l’affaire Wal-Mart portaient sur la fermeture d’un magasin. Les arguments de l’employeur dans l’arrêt Wal-Mart étaient axés sur ce qui était soi-disant un principe fondamental, selon lequel l’employeur ne peut pas être contraint de poursuivre l’exploitation d’une entreprise contre son gré et qu’il possède le droit fondamental de mettre fin à cette entreprise. Par définition, il ne peut pas exister de tendance antérieure concernant la cessation de l’exploitation d’une entreprise. Ainsi, l’exception du cours normal des affaires relativement au gel prévu par la loi cadrait mal avec la situation dans l’arrêt Wal-Mart.

[93]      La Cour suprême a conclu que Wal-Mart avait violé le gel puisqu’il était déraisonnable que l’entreprise ferme un magasin rentable après l’accréditation alors qu’elle n’avait pas eu au préalable l’intention de le faire. Pour tirer cette conclusion, la Cour suprême a appliqué un critère objectif qui n’est pas sans ressembler au critère des attentes raisonnables des employés.

[94]      Que l’on se place du point de vue de l’employeur ou des employés, l’élément à examiner est la question de savoir si la décision d’imposer une modification est raisonnable à la lumière de l’interdiction d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi des employés pendant la période de gel. En d’autres termes, la Cour suprême a en fait examiné si un employeur raisonnable, averti et soucieux de se conformer aux dispositions de gel aurait fermé le magasin. Elle a répondu par la négative, notamment parce qu’en agissant de la sorte, l’employeur serait allé à l’encontre des attentes raisonnables de ses employés.

[95]      En résumé, je suis d’accord avec la Commission pour dire que, dans l’arrêt Wal-Mart, la Cour suprême avait l’intention de suivre, et non de modifier fondamentalement, les décennies de jurisprudence issue des tribunaux du travail. Les nombreux passages cités plus haut de l’arrêt Wal-Mart le démontrent parfaitement.

[96]      Enfin, il faut garder à l’esprit que les affaires de gel sont intrinsèquement factuelles par nature. Dans ces affaires, les tribunaux du travail sont tenus de déterminer si la modification qu’un employeur entend apporter est raisonnable et s’il peut la mettre en œuvre à la lumière de toutes les circonstances pertinentes et d’une interprétation téléologique des dispositions législatives de gel. Lorsqu’il existe des éléments de preuve qui étayent les conclusions de fait tirées par le tribunal du travail, la cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard de l’examen fait par le tribunal du travail. Au bout du compte, les législateurs ont établi que ces questions doivent être tranchées par les tribunaux du travail et non par les cours de révision.

[97]      Ainsi, pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de la Commission en l’espèce était raisonnable.

III.   Dispositif proposé

[98]      Par conséquent, je rejetterais la présente demande, avec dépens, fixés à la somme globale convenue de 2 500 $ qui, à mon avis, est appropriée.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Wyman, J.C.A. : Je suis d’accord.

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