NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
IMM-11480-22
2023 CF 380
Mandeep Singh (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défenderesse)
Répertorié : Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge adjointe Tabib—Ottawa, 20 mars 2023.
Citoyenneté et Immigration –– Pratique en matière d’immigration –– Requête présentée par le demandeur visant à révoquer le désistement réputé de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, à rouvrir son dossier et à proroger le délai pour mettre son dossier en état –– Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) en vertu des Règles des cours fédérales sur la citoyenneté, l’immigration et la protection des réfugiés (les RCFCIPR) –– Il était tenu de signifier et de produire son dossier visant à mettre la demande d’autorisation en état le 19 décembre 2022, mais a fait défaut de se conformer à cette échéance –– Or, le 6 décembre 2022, le juge en chef de la Cour fédérale a publié un Avis à la profession intitulé « Désistement réputé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire non mise en état dans les instances en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » (l’Avis) –– En vertu de cette pratique administrative, le demandeur serait présumé s’être désisté de sa DACJ conformément à la règle 165 des Règles des Cours fédérales (les RCF) dès son défaut de mettre sa demande en état dans le délai imparti à la règle 10 des RCFCIPR — Le demandeur était tenu de signifier et déposer son dossier au plus tard le 19 décembre 2022, mais cela a été fait seulement le 20 décembre, donc hors délai –– Il a déposé une requête informelle le 30 janvier 2023 expliquant le retard, mais la Cour a décliné de considérer la requête informelle, l’invitant à déposer un requête formelle –– La requête formelle devait être signifiée et déposée au plus tard le 7 février 2023, mais elle n’a été signifiée et soumise pour dépôt que le 8 février 2023 –– La Cour a néanmoins permis que le dossier de requête soit déposé — Le dossier de requête a fourni une explication pour le délai de 20 jours entre la lettre du défendeur du 10 janvier 2023 ne s’opposant pas à la requête et le dépôt de la requête informelle, mais ne comprenait pas des preuves pour appuyer ces déclarations –– Il s’agissait de savoir si la requête du demandeur devait être accueillie —L’application du désistement réputé prévu dans l’Avis ne modifie pas le cadre analytique applicable à une requête en prorogation du délai pour mettre une DACJ en état –– La Cour doit considérer ces requêtes comme s’il s’agissait de simples requêtes en prorogation de délai –– Donc, la requête en prorogation du demandeur a été considérée telle que présentée –– L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly établit les facteurs à considérer sur une requête en prorogation de délai : le demandeur a-t-il fourni une justification raisonnable pour la durée complète du délai; le demandeur a-t-il démontré une intention constante de poursuivre sa demande; la demande mérite-t-elle d’être entendue; le défendeur subirait-il un préjudice en raison de la prorogation? –– Les faits relatés par le demandeur n’étaient pas établis par un affidavit, et la justification du demandeur pour le retard était invraisemblable –– De plus, face à la directive de la Cour exigeant la signification et le dépôt d’une requête formelle au plus tard le 7 février 2023, le demandeur a accusé un retard supplémentaire d’une journée, pour lequel aucune justification n’a été fournie –– Il appartenait au demandeur de démontrer, dans son dossier de requête, que sa demande présentait des chances raisonnables de succès, ce qu’il n’a pas fait — Le demandeur n’a donc pas démontré que sa DAJC présentait un mérite potentiel –– Finalement, il n’était pas dans l’intérêt de la justice de détourner les ressources limitées de la Cour au profit d’une partie qui n’a démontré ni diligence, ni l’existence d’une cause méritoire — Requête rejetée.
Il s’agissait d’une requête présentée par le demandeur visant à révoquer le désistement réputé de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, à rouvrir son dossier et à proroger le délai pour mettre son dossier en état. Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) en vertu des Règles des cours fédérales sur la citoyenneté, l’immigration et la protection des réfugiés (les RCFCIPR). Il était tenu de signifier et de produire son dossier visant à mettre la demande d’autorisation en état le 19 décembre 2022, mais a fait défaut de se conformer à cette échéance. Or, le 6 décembre 2022, le juge en chef de la Cour fédérale a publié un Avis à la profession intitulé « Désistement réputé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire non mise en état dans les instances en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés »[i] (l’Avis). En vertu de cette pratique administrative, le demandeur serait présumé s’être désisté de sa DACJ conformément à la règle 165 des Règles des Cours fédérales (les RCF) dès son défaut de mettre sa demande en état dans le délai imparti à la règle 10 des RCFCIPR. Le défendeur a choisi de ne pas intervenir sur la requête et de laisser le tout à la discrétion de la Cour.
Le demandeur était tenu de signifier et déposer son dossier au plus tard le 19 décembre 2022. Une communication du greffe au demandeur datée du 20 décembre 2022 l’a avisé que la signification du dossier au défendeur, effectuée le 19 décembre 2022 après 17 h, était réputée avoir été faite le 20 décembre, donc hors délai. Le greffe a demandé si le demandeur comptait faire une requête en prorogation ou s’il désirait que le tout soit envoyé à la Cour pour directive. Le 30 janvier 2023, le demandeur a déposé une requête informelle, en vertu des Lignes directrices générales consolidées datées du 8 juin 2022. Cette requête expliquait que l’employé qui était chargé de vérifier le dossier du demandeur pour fautes de grammaire et autres fautes de frappe avant de le transmettre au défendeur et à la Cour a transmis le dossier, hors délai, à 22 h le 19 décembre 2022, parce qu’il croyait que « tous les dossiers fédéraux pouvaient être soumis avant 11 :59 :59PM à la date limite ». La requête informelle était accompagnée d’une lettre du défendeur datée du 10 janvier 2023 indiquant qu’il ne s’opposait pas à la requête. Le 2 février 2023, la Cour a émis une directive déclinant de considérer la requête informelle. La directive du 2 février 2023 invitait le demandeur à déposer une requête formelle pour révoquer le désistement réputé, rouvrir l’instance et proroger le délai pour déposer son dossier. Il fallait que cette requête soit signifiée et déposée au plus tard le 7 février 2023. Cependant le dossier de requête du demandeur a été signifié et soumis pour dépôt le 8 février 2023, soit un jour plus tard que le délai prévu dans la directive de la Cour. La Cour a néanmoins permis qu’il soit déposé. Le dossier de requête a fourni une explication pour le délai de 20 jours entre la lettre du défendeur du 10 janvier 2023 et le dépôt de la requête informelle. Cette explication indiquait que, n’ayant pas reçu de réponse à sa demande de consentement à prorogation, le procureur du demandeur aurait téléphoné au procureur du défendeur le 13 janvier 2023. La lettre du défendeur aurait été incluse dans un courriel envoyé le vendredi 13 janvier 2023 vers 17 h, qui serait allé dans la boîte de courrier indésirable du procureur du demandeur. Le procureur du demandeur n’aurait réalisé la chose qu’en faisant un second suivi auprès du défendeur après quelques jours ouvrables. Finalement, le dossier de requête n’incluait pas le dossier que voulait déposer le demandeur et les déclarations écrites n’étaient pas appuyées d’une preuve recevable.
Il s’agissait de savoir si la requête du demandeur devait être accueillie.
Ordonnance : la requête doit être rejetée.
Une analyse de l’Avis et ses effets juridique a été effectuée. En assimilant l’effet du désistement réputé prévu par l’Avis à celui du désistement prévu à la règle 165 des RCF, on confère erronément à l’Avis l’effet d’une norme procédurale nouvelle. Ni les RCFCIPR, ni les RCF ne prévoient de mécanisme établissant la présomption qu’une partie qui fait défaut d’accomplir une étape procédurale essentielle à la détermination du litige se soit désistée de son recours. La création d’un nouveau mode de désistement ou de terminaison obligatoire d’une instance qui affecte les droits procéduraux des parties et qui ne serait liée qu’au simple écoulement du temps est à ce point exorbitante de l’économie des règles qu’elle ne peut être accomplie par voie de Directive de pratique. Elle requiert une modification aux RCF ou aux RCFCIPR, qui n’a pas eu lieu. Compte tenu de ces éléments, il convient d’interpréter l’Avis de façon à limiter son effet à l’atteinte des objectifs administratifs qu’il poursuit. La recommandation contenue dans l’Avis voulant qu’une requête déposée subséquemment à l’opération du désistement réputé devrait inclure des conclusions en révocation du désistement réputé et en réouverture de l’instance n’implique pas qu’il s’agisse d’un remède indépendant de la requête en prorogation. On pouvait donc conclure que l’application du désistement réputé prévu dans l’Avis ne modifie pas le cadre analytique applicable à une requête en prorogation du délai pour mettre une DACJ en état. La Cour doit considérer ces requêtes comme s’il s’agissait de simples requêtes en prorogation de délai. Conséquemment, la requête en prorogation du demandeur en l’espèce a été examinée telle que présentée.
L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly établit les facteurs à considérer sur une requête en prorogation : le demandeur a-t-il fourni une justification raisonnable pour la durée complète du délai; le demandeur a-t-il démontré une intention constante de poursuivre sa demande; la demande mérite-t-elle d’être entendue; le défendeur subirait-il un préjudice en raison de la prorogation?
Concernant la justification du retard en l’espèce, les faits relatés dans les représentations écrites du demandeur pour tenter de justifier le délai entre le 10 janvier 2023 et le dépôt de la requête informelle initiale, le 30 janvier 2023, n’étaient pas établis par un affidavit ou une autre preuve recevable. Cela était troublant, considérant que la Cour a spécifiquement attiré l’attention du demandeur au besoin de fournir cette justification. Qui plus est, l’explication donnée était invraisemblable. Une partie qui est en défaut de respecter une échéance est tenue d’agir avec diligence pour remédier au défaut. Même si les faits relatés dans les représentations écrites du demandeur étaient pris pour avérés, le demandeur n’a pas fait preuve de diligence en attendant au 30 janvier 2023 pour déposer une requête informelle. Il n’y avait pas de justification raisonnable au délai de 20 jours encourus entre le 10 janvier 2023 et le 30 janvier 2023. De plus, face à la directive de la Cour exigeant la signification et le dépôt d’une requête formelle au plus tard le 7 février 2023, le demandeur a accusé un retard supplémentaire d’une journée, pour lequel aucune justification n’a été fournie.
Relativement à l’intention constante du demandeur de procéder, il a été pris pour acquis que le demandeur avait une intention constante de poursuivre sa demande. Cela a été déduit du fait que le dossier de demande semble avoir été préparé et finalisé en date du 19 décembre 2022, et que le procureur du demandeur a fait certaines démarches pour obtenir une prorogation de délai.
Quant au critère de l’existence d’une cause méritoire, il appartenait au demandeur de démontrer, dans son dossier de requête, que sa demande présentait des chances raisonnables de succès. Or, le demandeur se limitait à faire en particulier des affirmations générales relatives à l’existence de problèmes d’hostilité entre le membre de la Section de la protection des réfugiés et le représentant du demandeur. En ne soumettant pas au soutien de sa requête le dossier de demande qu’il désirait déposer, ni même la décision qui faisait l’objet du contrôle judiciaire, le demandeur a privé la Cour de la capacité d’apprécier le caractère raisonnable de ce motif. Donc, le demandeur n’a pas démontré que sa DACJ présentait un mérite potentiel.
En ce qui concerne le préjudice à la partie adverse, étant donné la position du défendeur à l’effet qu’il ne s’opposait pas au remède recherché, il a été présumé, pour les fins de l’analyse, qu’il ne subirait pas de préjudice.
Finalement, l’Avis relatif au désistement réputé décrit les difficultés auxquelles la Cour fait face en raison de l’augmentation significative du volume des DACJ en matière de citoyenneté et de protection des réfugiés. L’Avis met en lumière le fardeau administratif que représente le traitement administratif des DACJ non mises en état. Dans ce contexte, il convenait d’accorder un poids significatif à la raison initiale du retard. Lorsqu’en raison du manque de diligence d’une partie, une demande de prorogation est présentée, c’est le traitement d’autres causes méritoires, dans lesquelles les parties ont fait preuve de diligence, qui est retardé. On s’attendrait d’un demandeur qui a une cause méritoire qu’il s’empresse de le démontrer et de prendre les moyens pour faire valoir ce droit sans délai. Le demandeur en l’instance n’en a rien fait. À ce manque de diligence s’ajoutait le défaut de démontrer que la demande présentait un certain mérite. On devait accorder à ces facteurs une importance déterminante en l’espèce. L’intention constante du demandeur de poursuivre la demande et l’absence de préjudice causé au défendeur ne suffisaient pas dans les circonstances à justifier l’octroi d’une prorogation. Donc, il n’était pas dans l’intérêt de la justice de détourner les ressources limitées de la Cour au profit d’une partie qui n’a démontré ni diligence, ni l’existence d’une cause méritoire.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Règles des cours fédérales sur la citoyenneté, l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/93–22, règles 10, 14.
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 22.3.
Règles des Cours fédérales DORS/98-106, règles 53, 54, 165, 167, 168, 210, 318, 380, 382.4, 385.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 45.1, 46.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 75.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION NON-SUIVIE :
Virk c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 143.
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204.
DÉCISION EXAMINÉE :
Abikan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 149.
DÉCISIONS MENTIONNÉES :
Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79; Bayer Inc. c. Teva Canada Limited, 2019 CF 1370; Canada (Procureur général) c. Tran, 2008 CF 297; Chin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1033.
DOCTRINE CITÉE
Cour fédérale, Avis à la communauté juridique, « Désistement réputé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire non mises en état dans les instances en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur la citoyenneté » (22 décembre 2022).
REQUÊTE présentée par le demandeur visant à révoquer le désistement réputé de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, à rouvrir son dossier et à proroger le délai pour mettre son dossier en état. Requête rejetée.
ONT COMPARU :
Kwadwo Damoa Yeboah pour la demanderesse.
Chantal Chatmajian pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Kdy Legal Inc., Montréal, pour la demanderesse.
La sous-procureure générale du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus en français par
La juge adjointe Tabib :
[1] Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) en vertu des Règles des cours fédérales sur la citoyenneté, l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/93-22 (les RCFCIPR). Il était tenu de signifier et de produire son dossier visant à mettre la demande d’autorisation en état le 19 décembre 2022, mais a fait défaut de se conformer à cette échéance.
[2] Or, le 6 décembre 2022, le juge en chef de la Cour fédérale a publié un Avis à la profession intitulé « Désistement réputé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire non mise en état dans les instances en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » (l’Avis). (L’Avis a été modifié le 22 décembre 2022 pour inclure la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985) ch. C-29 (la LC), mais son contenu demeure essentiellement inchangé). En vertu de cette pratique administrative, le demandeur serait présumé s’être désisté de sa DACJ conformément à la règle 165 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les RCF) dès son défaut de mettre sa demande en état dans le délai imparti à la règle 10 des RCFCIPR.
[3] La présente requête vise à révoquer le désistement réputé, à rouvrir le dossier et à proroger le délai pour mettre le dossier du demandeur en état.
[4] Je considérerai, dans les motifs qui suivent, d’abord les questions de l’effet juridique de l’Avis et des facteurs à considérer, le cas échéant, pour révoquer le désistement présumé, et ensuite, les facteurs applicables à la prorogation des délais et leur application aux faits en l’instance.
I. L’Avis
[5] Le dispositif de l’Avis se lit comme suit :
À compter de la date du présent avis, dans les demandes en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur la Citoyenneté qui demeurent non complétées après l’expiration des délais prévus à la règle 10, le demandeur sera réputé s’être désisté de la demande conformément à la règle 165 des Règles des Cours fédérales, sans qu’il ne soit nécessaire que le demandeur donne un avis officiel ou que la Cour rende une ordonnance. Le greffe avisera les parties par le biais d’une inscription enregistrée dans le plumitif en ligne sur le site Web de la Cour (Dossiers de la Cour).
Si, conformément à la nouvelle pratique administrative décrite ci-dessus, une instance est considérée avoir fait l’objet d’un désistement dans un dossier pour lequel le demandeur avait l’intention de déposer une requête en prolongation de délai pour mettre son dossier en état, une requête en révocation du désistement réputé, en réouverture de l’instance et en prolongation de délai peut être déposée pour examen par la Cour.
[Souligné dans l’original.]
[6] Le demandeur a déposé, le 30 janvier 2023, une requête informelle visant à proroger le délai pour la signification et le dépôt de son dossier. Cette requête ne mentionnait pas l’Avis et ne comportait pas de conclusions visant à révoquer le désistement réputé ni à rouvrir le dossier. Ma collègue, la juge adjointe Steele, a émis une directive le 2 février 2023 déclinant de considérer la demande comme requête informelle et invitant le demandeur à procéder par voie de requête formelle et d’y inclure les conclusions et représentations appropriées. La directive attire par ailleurs l’attention des parties aux décisions récentes de la Cour concernant l’interprétation et l’application de l’Avis afin de guider leurs représentations. Il s’agit des décisions suivantes, rendues par mon collègue le juge adjoint Duchesne, Abikan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 149 (Abikan) et Virk c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 143 (Virk).
[7] Dans ses représentations écrites, le demandeur reconnaît les décisions Abikan et Virk, mais ne discute pas de leur bien-fondé. Le défendeur a choisi de ne pas intervenir sur la requête et de laisser le tout à la discrétion de la Cour. Cela est malheureux, considérant la nouveauté de la question et son importance sur l’issue d’un nombre considérable de telles requêtes pendantes devant notre Cour. Il importe néanmoins de considérer cette jurisprudence dans l’analyse qui suit.
[8] L’affaire Virk constitue la première, et à ma connaissance, la seule décision portant sur l’interprétation et l’effet de l’Avis. Dans son analyse, mon confrère s’interroge sur le cadre de l’analyse qui devrait être suivie et sur les facteurs que la Cour devrait prendre en considération dans le traitement d’une requête visant à relever une partie du désistement involontaire imposé par l’Avis. Son analyse part des principes applicables aux requêtes visant la révocation d’un désistement volontairement déposé en vertu de la règle 165, tels qu’établis dans l’arrêt Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79 et plusieurs autres décisions l’ayant considéré et appliqué. Il en conclut que la norme applicable à la révocation d’un désistement volontaire est l’existence d’une circonstance exceptionnelle ou d’un événement fondamental qui a pour effet de renverser la décision de se désister (Virk, au paragraphe 32). Considérant cependant que le désistement présumé imposé par l’Avis s’opère automatiquement et sans que le demandeur n’ait exprimé une intention positive de se désister de sa demande, le juge adjoint propose un critère qui reformule cette norme pour reconnaître que le désistement présumé découle non pas d’une intention clairement exprimée de se désister, mais de l’inaction du demandeur (Virk, aux paragraphes 33 à 34). Il conclut [au paragraphe 35] que :
À mon avis, et sous réserve de ce qui suit plus loin dans les présents motifs, une partie ne doit échapper aux effets d’un désistement réputé découlant de son inaction et de l’application de la pratique du désistement réputé que dans les circonstances où elle peut établir que son inaction et son défaut à mettre sa DACJ en état en temps opportun sont le résultat de circonstances exceptionnelles ou d’un événement d’importance fondamentale qui a nui à sa capacité à mettre sa DACJ en état au moment requis, peu importe si elle faisait par ailleurs preuve de diligence en prenant les mesures nécessaires pour mettre sa DACJ en état dans les délais.
[9] Il propose donc que les requêtes en révocation d’un désistement réputé, en réouverture de dossier et en prorogation de délai soient déterminées suivant une analyse en deux étapes. La première consiste à déterminer si la requête contient une preuve visant à établir que la DACJ n’a pas été mise en état dans les délais prévus en raison de circonstances exceptionnelles ou d’un événement fondamental ayant affecté la capacité du demandeur de rencontrer les délais malgré qu’il ait agi avec diligence. Ce n’est que si cette première étape est franchie que la Cour considérera la seconde, c’est-à-dire, si le demandeur rencontre les critères établis pour bénéficier d’une prorogation de délai (Virk, au paragraphe 42).
[10] L’affaire Abikan n’élabore pas sur cette analyse. En effet, la requête en rétractation du désistement avait été déposée antérieurement à la décision Virk, et ne comportait pas de preuve visant à satisfaire le premier critère de l’analyse préconisée dans la décision Virk. La Cour ayant conclu que le demandeur ne rencontrait de toute façon pas les critères applicables à la seconde étape de l’analyse, elle a déterminé qu’il n’était pas nécessaire ou opportun de se pencher sur le premier critère (Abikan, au paragraphe 11).
[11] L’analyse de mon confrère dans la décision Virk est rigoureuse et bien étoffée. Là où j’hésite à le suivre, c’est dans la détermination que le désistement réputé prévu dans l’Avis a le même effet que le désistement volontaire prévu à la règle 165 (Virk, au paragraphe 33). Cette conclusion prend pour acquis que l’Avis peut valablement avoir l’effet de déterminer ou de modifier les droits procéduraux des parties. Or, je suis d’avis que cette prémisse de départ est erronée.
[12] C’est en vain que l’on chercherait, dans la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (LCF), la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), la LC, les RCF ou les RCFCIPR, un dispositif attribuant au juge en chef [de] l’une [ou l’autre] des deux Cours fédérales le pouvoir de réglementer la pratique et la procédure de ces Cours, ou de modifier une règle établie par les RCF ou les RCFCIPR. Les articles 46 de la LCF, 75 de la LIPR et 22.3 de la LC attribuent ce pouvoir au Comité des Règles constitué en vertu de l’article 45.1 LCF. À leur tour, les RCF et RCFCIPR octroient à la Cour, dans l’application de certaines règles, le pouvoir de donner des directives procédurales aux parties. C’est le cas des règles 53, 54, 318, et 385 des RCF, pour n’en citer que quelques-unes.
[13] En marge de ces règles, des directives générales relatives à la pratique sont parfois émises par les juges en chef des Cours fédérales. Qu’elles soient appelées Avis aux parties et à la communauté juridique, Directives sur la pratique ou Lignes directrices, j’utiliserai le terme Directives de pratique pour désigner ces avis et directives dans ces motifs.
[14] Les Directives de pratique visent parfois à établir des procédures administratives pour gérer l’information que les parties doivent donner à la Cour, la conduite des audiences et la façon dont le greffe doit traiter certaines procédures afin de faciliter le travail de la Cour. Elles servent parfois à aviser les parties de la façon dont les juges en chef comptent exercer leur discrétion dans l’établissement des rôles d’audience et l’attribution des ressources judiciaires. Elles peuvent aussi informer les parties sur les pratiques procédurales préconisées par la Cour en vue d’uniformiser la pratique des plaideurs, ou établir des protocoles procéduraux propres à faciliter l’exercice des droits prévus par les règles, la préparation des audiences et la prise de décision.
[15] Les Directives de pratique jouent donc un rôle important dans la gestion des procédures devant la Cour. À ce titre, elles doivent dans la mesure du possible être suivies par les parties. La Cour doit aussi prendre les Directives de pratique en considération dans l’exercice de sa discrétion. En effet, elles peuvent servir de guide et éclairer la Cour dans la détermination de certaines requêtes. Par exemple, les lignes directrices et pratiques préconisées peuvent aider à apprécier le caractère raisonnable de la conduite des parties.
[16] Les Directives de pratique ne constituent cependant pas l’exercice du pouvoir réglementaire conféré par les Lois. Il faut donc se garder de les interpréter ou de les appliquer comme établissant des règles de pratique ou des règles de preuve contraignantes (voir, par exemple, l’analyse effectuée dans Bayer Inc. c. Teva Canada Limited, 2019 CF 1370, aux paragraphes 24 à 27 et 45 à 47).
[17] En assimilant l’effet du désistement réputé prévu par l’Avis à celui du désistement prévu à la règle 165, comme il a été fait dans la décision Virk, on confère erronément à l’Avis l’effet d’une norme procédurale nouvelle.
[18] Rappelons que ni les RCFCIPR, ni les RCF ne prévoient de mécanisme établissant la présomption qu’une partie qui fait défaut d’accomplir une étape procédurale essentielle à la détermination du litige se soit désistée de son recours. Tous les mécanismes qui sont expressément prévus pour mettre fin à un litige à la suite du défaut d’une partie de poursuivre une instance avec diligence ou de respecter certains délais requièrent l’intervention judiciaire de la Cour et l’émission d’une ordonnance. C’est le cas, notamment, du paragraphe 14(1) des RCFCIPR, des règles 167, 168, 210 et 380 à 382.4 des RCF.
[19] La création d’un nouveau mode de désistement ou de terminaison obligatoire d’une instance qui affecte les droits procéduraux des parties et qui ne serait liée qu’au simple écoulement du temps est à ce point exorbitante de l’économie des règles qu’elle ne peut être accomplie par voie de Directive de pratique. Elle requiert une modification aux RCF ou aux RCFCIPR, qui n’a pas eu lieu.
[20] En considération de ce qui précède, il convient d’interpréter l’Avis de façon à limiter son effet à l’atteinte des objectifs administratifs qu’il poursuit. Les circonstances qui ont mené à l’adoption de l’Avis, et qui permettent de discerner ces objectifs, sont présentées comme suit dans son préambule :
La Cour a connu une augmentation significative de la charge de travail en 2022 en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il y a également eu une augmentation correspondante du nombre d’instances pour lesquelles le demandeur n’a pas mis en état la demande d’autorisation dans le délai prescrit par la règle 10 des Règles de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, et a effectivement abandonné l’instance.
La pratique de longue date du greffe a été d’attendre un certain temps pour les éventuelles demandes tardives de mise en état de la demande d’autorisation, puis, si le dossier n’est toujours pas mis en état, de le renvoyer à la Cour pour qu’elle le rejette par ordonnance en vertu de la règle 14. Toutefois, cette pratique oblige le personnel du greffe à détourner ses ressources limitées pour traiter un grand nombre de dossiers pour examen par la Cour. Le personnel doit ensuite traiter l’ordonnance de rejet de l’autorisation qui en résulte, y compris les mises à jour du plumitif et les étapes de suivi liées à la confirmation de la réception par les parties.
[21] L’Avis fait état du fardeau administratif considérable que représente la pratique précédemment suivie par le greffe de renvoyer à la Cour, pour détermination en vertu de la règle 14 RCFCIPR, les demandes d’autorisation qui n’ont pas été mises en état, et d’ensuite traiter, enregistrer, transmettre et assurer le suivi des ordonnances de rejet en résultant. Le but poursuivi par l’Avis est donc d’alléger ce fardeau administratif en modifiant la pratique du greffe. Ce but est accompli par le biais d’une présomption administrative de désistement. Le dossier étant considéré par le greffe comme ayant fait l’objet d’un désistement, il n’est donc pas transmis à la Cour pour en être déterminé selon la règle 14 RCFCIPR. Il est donc possible de donner à l’Avis une portée purement administrative, qui affecte la façon dont le greffe traite des dossiers sans pour autant affecter les droits procéduraux des parties. Cette interprétation concorde, d’ailleurs, avec le libellé de l’Avis, qui réfère à « la nouvelle pratique administrative décrite ci-dessus » en vertu de laquelle « une instance est considérée avoir fait l’objet d’un désistement ».
[22] Dans cette optique, la recommandation contenue dans l’Avis à l’effet qu’une requête déposée subséquemment à l’opération du désistement réputé devrait inclure des conclusions en révocation du désistement réputé et en réouverture de l’instance n’implique pas qu’il s’agisse d’un remède indépendant de la requête en prorogation. Plutôt, l’ajout de ces conclusions dans une ordonnance de prorogation de délai permet de régulariser la tenue administrative du dossier et n’est que purement formel et administratif.
[23] Ainsi, je conclus que l’application du désistement réputé prévu dans l’Avis ne modifie pas le cadre analytique applicable à une requête en prorogation du délai pour mettre une DACJ en état. La Cour doit considérer ces requêtes comme s’il s’agissait de simples requêtes en prorogation de délai. Dans l’exercice de sa discrétion, la Cour peut prendre en considération les circonstances particulières applicables aux DACJ et la problématique soulevées dans l’Avis, mais pas à titre de question préliminaire ouvrant droit au remède. Dans la mesure où la Cour, appliquant les critères jurisprudentiels reconnus, conclut qu’il est dans l’intérêt de la justice de proroger les délais, les conclusions en révocation du désistement réputé et en réouverture de l’instance seront inclues dans l’ordonnance à être rendue à titre d’accessoires nécessaires pour donner effet à la prorogation.
[24] Je procède donc à considérer la requête en prorogation telle que présentée.
II. La requête en prorogation
A. Les faits et la preuve
[25] Les faits entourant le dépôt de la requête formelle, tels qu’ils apparaissent du dossier de la Cour, sont les suivants.
[26] Le demandeur était tenu de signifier et déposer son dossier au plus tard le 19 décembre 2022. Une communication du greffe au demandeur datée du 20 décembre 2022 l’avise que la signification du dossier au défendeur, effectuée le 19 décembre 2022 après 17h, est réputée avoir été faite le 20 décembre, donc hors délai. Le greffe demande si le demandeur compte faire une requête en prorogation ou s’il désire que le tout soit envoyé à la Cour pour directive.
[27] Le 30 janvier 2023, le demandeur dépose une requête informelle, en vertu des Lignes directrices générales consolidées datées du 8 juin 2022. Cette requête explique que l’employé qui était chargé de vérifier le dossier du demandeur pour fautes de grammaire et autres fautes de frappe avant de le transmettre au défendeur et à la Cour a transmis le dossier, hors délai, à 22h le 19 décembre 2022, parce qu’il était sous l’impression que « tous les dossiers fédéraux pouvaient être soumis avant 11:59:59PM à la date limite, exactement comme la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en matière d’immigration ». La demande informelle est accompagnée d’un échange de correspondance entre les procureurs entre les 20 et 26 décembre 2022, ainsi que d’une lettre du défendeur datée du 10 janvier 2023 indiquant qu’il ne s’oppose pas à la requête et laisse le tout à la discrétion de la Cour.
[28] Le 2 février 2023, la Cour émet la directive susmentionnée, déclinant de considérer la requête informelle. En plus de l’incidence de l’Avis relatif au désistement réputé, la directive mentionne les préoccupations suivantes :
La Cour note également que l’ensemble du délai n’est pas expliqué, en particulier pourquoi le demandeur a mis 20 jours après la réception de la lettre du défendeur du 10 janvier 2023 pour déposer sa demande informelle.
[29] La directive du 2 février 2023 invite le demandeur à déposer une requête formelle pour révoquer le désistement réputé, rouvrir l’instance et proroger le délai pour déposer son dossier du demandeur « et dans lequel l’ensemble des questions sera traité ». Elle ajoute qu’« [u]ne telle requête doit être signifiée et déposée au plus tard le 7 février 2023 ».
[30] Le dossier de requête dont la Cour est maintenant saisie a été signifié et soumis pour dépôt le 8 février 2023, soit un jour plus tard que le délai prévu dans la directive de la Cour. La Cour a néanmoins permis qu’il soit déposé.
[31] Le dossier de requête ne comporte qu’un seul affidavit, celui de l’employé qui était chargé de signifier et de déposer le dossier le 19 décembre 2022. Cet affidavit confirme les prétentions contenues dans la requête informelle du 30 janvier 2023, à l’effet que l’employé avait l’impression que les délais expiraient à 23h59, comme devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il ajoute que, croyant avoir tout son temps, il a mis ce dossier de côté et a travaillé sur de nombreux autres dossiers, y compris ses travaux scolaires. Il a ainsi finalisé et transmis le dossier au défendeur avant 23h59 le 19 décembre 2022, mais après 17h.
[32] Le dossier de requête fournit une explication pour le délai de 20 jours entre la lettre du défendeur du 10 janvier 2023 et le dépôt de la requête informelle, mais uniquement dans les représentations écrites. Cette explication est à l’effet que, n’ayant pas reçu de réponse à sa demande de consentement à prorogation, le procureur du demandeur aurait téléphoné au procureur du défendeur le 13 janvier 2023. La lettre du défendeur aurait été incluse dans un courriel envoyé le vendredi 13 janvier 2023 vers 17 h, qui serait allé dans la boîte de courrier indésirable du procureur du demandeur. Le procureur du demandeur n’aurait réalisé la chose qu’en faisant un second suivi auprès du défendeur « [a]près quelques jours ouvrables ».
[33] Finalement, le dossier de requête n’inclut pas le dossier que voudrait déposer le demandeur, malgré le fait qu’il devrait pourtant être prêt depuis longtemps. Les représentations écrites du demandeur, encore une fois, non appuyées d’une preuve recevable, affirment que cette affaire a un mérite potentiel, car « la SPR a commis une erreur de droit en continuant l’audience alors qu’il y avait une hostilité manifeste entre le membre et le représentant et que des questions d’équité procédurale ont été soulevées au cours de l’audience […] que cette affaire était devant la Section d’appel des réfugiés, qui a commis une erreur de droit en écrivant qu’il n’y avait pas de problème d’équité procédurale dans cette affaire tout en admettant en même temps qu’il y avait des problèmes d’hostilité entre le membre et le représentant, et finalement, […] que la Section de la protection des réfugiés aurait dû permettre au demandeur de faire des amendements ce qui a causé une erreur de la part de la commission dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur du statut de réfugié ».
B. Le droit applicable
[34] L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190 (C.A.F.), établit comme suit les facteurs à considérer sur une requête en prorogation :
1. Le demandeur a-t-il fourni une justification raisonnable pour la durée complète du délai ?
2. Le demandeur a-t-il démontré une intention constante de poursuivre sa demande ?
3. La demande mérite-t-elle d’être entendue ?
4. Le défendeur subirait-t-il préjudice de la prorogation ?
[35] Tel que le mentionne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 [au paragraphe 62] :
Ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice (Grewal, ci-dessus, aux pages 277 et 278). L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (voir, de façon générale, l’arrêt Grewal, aux pages 278 et 279; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 33; Huard c. Canada (Procureur général), 2007 CF 195, 89 Admin LR (4th) 1).
[36] Notons aussi que l’obligation de justifier le délai vaut à l’égard de la période complète du délai, y compris le temps écoulé entre le moment où la partie a réalisé que l’échéance prévue ne pouvait ou n’a pas été rencontrée et le moment où la requête est déposée. Une partie qui découvre qu’une étape procédurale n’a pas été accomplie en temps opportun doit agir pour remédier au défaut le plus tôt possible (voir, à titre d’exemple, les décisions Canada (Procureur général) c. Tran, 2008 CF 297, aux paragraphes 24 à 28, Abikan, précité, au paragraphe 28).
[37] Finalement, bien que les avocats plaident souvent que leur client ne devrait pas être préjudicié par l’erreur ou la négligence de l’avocat, en matière de requête en prorogation de délai, l’avocat et son client ne font qu’un. L’avocat agit — ou fait défaut d’agir — au nom de son client, de sorte que le client ne peut compter être exempté des conséquences du manque de diligence de son procureur (Chin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1033).
C. Application des critères aux faits
1) La justification du retard.
[38] Le demandeur soumet que le retard initial dans la signification du dossier, dû à la méprise de l’employé quant à l’heure effective de la signification au défendeur, est « une malencontreuse erreur administrative qui ne relève pas d’une insouciance de sa part ». Je ne souscris pas à cette caractérisation. Il revient à l’avocat qui confie à son employé la tâche de transmettre des documents dans un délai imparti de donner à cet employé l’information nécessaire à l’accomplissement de cette tâche. Le délai en l’instance résulte du défaut du procureur de fournir à son employé une information de base. Il ne s’agit pas là d’une erreur administrative, mais d’un manque de diligence de la part du procureur. Le manque de diligence ne constitue pas une justification raisonnable au délai.
[39] J’accepte que la durée de ce délai était restreinte et que le procureur a fait preuve de diligence en communiquant promptement avec le procureur du défendeur pour lui demander s’il consentirait à une prorogation de délai. Pour les fins de la présente analyse, je ne prends pas en considération la période des vacances judiciaires saisonnières, entre le 21 décembre 2022 et le 7 janvier 2023.
[40] Les faits relatés dans les représentations écrites du demandeur pour tenter de justifier le délai entre le 10 janvier 2023 et le dépôt de la requête informelle initiale, le 30 janvier 2023, ne sont pas établis par un affidavit ou une autre preuve recevable. Cela est troublant considérant que la Cour a spécifiquement attiré l’attention du demandeur au besoin de fournir cette justification. Qui plus est, l’explication donnée est invraisemblable. Il n’est pas crédible qu’un procureur agissant dans le domaine de l’immigration opère avec un système courriel qui renvoie les courriels du Ministère de la Justice du Canada, son interlocuteur principal, dans la boîte de courrier indésirable. Je ne peux donc prendre en considération cette explication dans la détermination de la requête.
[41] J’ajoute qu’une partie qui est en défaut de rencontrer une échéance est tenue d’agir avec diligence pour remédier au défaut. Les Lignes directrices générales consolidées du 8 juin 2022 permettent aux parties de procéder par voie de requête informelle lorsqu’elles peuvent démontrer que la partie adverse consent ou ne s’objecte pas au remède recherché. Cette directive a été mise sur pied pour simplifier la procédure en vue d’accélérer le processus de détermination des requêtes. Rien n’oblige cependant la partie en défaut à procéder d’abord à rechercher le consentement de la partie adverse en vue de procéder de façon informelle. Au contraire, son obligation est d’agir avec diligence pour déposer la demande de prorogation à la Cour dès que possible.
[42] Rappelons que la dispense de formalisme prévue aux Lignes directrices générales consolidées demeure sujette à la discrétion de la Cour. La Cour peut exiger une requête formelle même lorsque la partie adverse consent à la requête ou ne s’y objecte pas. La partie adverse n’est pas tenue de prendre l’une ou l’autre de ces positions. Une partie ne peut donc pas compter être exemptée de l’obligation de présenter une requête formelle pour obtenir une prorogation de délai. Ainsi, une partie qui demande le consentement de la partie adverse mais ne reçoit pas de réponse en temps utile n’est pas justifiée de continuer à ne rien faire en attendant d’avoir reçu une réponse. Son obligation de diligence exige qu’elle prenne le parti de présenter sa requête de façon formelle, sans délai additionnel.
[43] Ainsi, même si les faits relatés dans les représentations écrites du demandeur devaient être pris pour avérés, je conclurais que le demandeur n’a pas fait preuve de diligence en attendant au 30 janvier 2023 pour déposer une requête informelle. Il n’y a pas de justification raisonnable au délai de 20 jours encourus entre le 10 janvier 2023 et le 30 janvier 2023.
[44] Je note, finalement, que face à la directive de la Cour exigeant la signification et le dépôt d’une requête formelle au plus tard le 7 février 2023, le demandeur a accusé un retard supplémentaire d’une journée, pour lequel aucune justification n’est fournie.
2) L’intention constante de procéder
[45] Pour les fins de la présente analyse, je prends pour acquis que le demandeur avait une intention constante de poursuivre sa demande. Je déduis cette intention du fait que le dossier de demande semble avoir été préparé et finalisé en date du 19 décembre 2022, et que le procureur du demandeur a fait certaines démarches pour obtenir une prorogation de délais.
3) L’existence d’une cause méritoire
[46] Il appartenait au demandeur de démontrer, dans son dossier de requête, que sa demande présente des chances raisonnables de succès. Or, le demandeur se limite à faire des affirmations générales relatives à l’existence de problèmes d’hostilité entre le membre de la SPR et le représentant du demandeur, et à l’effet que la SPR aurait dû permettre au demandeur de faire des amendements.
[47] À l’instar de mon collègue dans l’affaire Abikan (aux paragraphes 23 à 24), il m’est impossible de déterminer si ces prétentions sont fondées ou si la DACJ a du mérite, parce que le demandeur n’a pas soumis de preuve permettant d’appuyer ces prétentions. Une hostilité entre le membre de la SPR et le représentant, même si la Section d’appel avait reconnu son existence, ne consiste pas à elle seule un motif de contrôle judiciaire. Tout dépend des circonstances et des motifs donnés par la SAR. En ne soumettant pas au soutien de sa requête le dossier de demande qu’il désire déposer, ni même la décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire, le demandeur prive la Cour de la capacité d’apprécier le caractère raisonnable de ce motif. Il en est de même du refus allégué de permettre des amendements, dont la nature n’est même pas spécifiée.
[48] La décision du demandeur de ne pas soumettre son dossier de demande au soutien de sa requête laisse d’autant plus perplexe que l’attention du demandeur avait été portée aux motifs rendus dans l’affaire Abikan, qui insistent sur l’importance de fournir cet élément de preuve. Force m’est de conclure que le demandeur n’a pas démontré que sa DACJ présente un mérite potentiel.
4) Le préjudice à la partie adverse
[49] Étant donné la position du défendeur à l’effet qu’il ne s’oppose pas au remède recherché, je présume, pour les fins de l’analyse, qu’il n’en subira pas préjudice.
5) L’appréciation des facteurs et l’intérêt de la justice
[50] L’Avis relatif au désistement réputé décrit les difficultés auxquelles la Cour fait face en raison de l’augmentation significative du volume des DACJ en matière de citoyenneté et de protection des réfugiés. L’Avis met en lumière le fardeau administratif que représente le traitement administratif des DACJ non mises en état. De la même façon, chaque manipulation requise par un dossier, y compris le traitement de requêtes informelles, représente un fardeau administratif supplémentaire pour une Cour déjà surchargée. Un retard, si minime qu’il soit, entraîne une requête en prorogation. Dans le processus de recevoir cette requête, de la transmettre à la Cour pour détermination, d’enregistrer l’ordonnance au plumitif, de la transmettre aux parties et d’en assurer le suivi, ce sont de précieuses ressources administratives et judiciaires qui sont détournées d’autres dossiers. De plus, ce processus doit trop souvent être répété lorsqu’une requête informelle est incomplète, comme ce fut le cas dans le présent dossier, et que la Cour doit exiger le dépôt d’une requête formelle.
[51] Dans ce contexte, il convient d’accorder un poids significatif à la raison initiale du retard. Lorsqu’en raison du manque de diligence d’une partie, une demande de prorogation est présentée, c’est le traitement d’autres causes méritoires, dans lesquelles les parties ont fait preuve de diligence, qui est retardé.
[52] On s’attendrait d’un demandeur qui a une cause méritoire qu’il s’empresse de le démontrer et de prendre les moyens pour faire valoir ce droit sans délai. Le demandeur en l’instance n’en a rien fait. Des 33 jours écoulés entre l’expiration de l’échéance prévue aux RCFCPRI et le dépôt de la requête formelle (sans compter les vacances saisonnières), près de 20 jours, soit plus de la moitié, ne sont pas adéquatement justifiés. À ce manque de diligence s’ajoute le défaut de démontrer que la demande présente un certain mérite.
[53] J’accorde à ces facteurs une importance déterminante en l’espèce. L’intention constante du demandeur de poursuivre la demande et l’absence de préjudice causé au défendeur ne suffisent pas dans les circonstances à justifier l’octroi d’une prorogation. Il n’est pas dans l’intérêt de la justice de détourner les ressources limitées de la Cour au profit d’une partie qui n’a démontré ni diligence, ni l’existence d’une cause méritoire.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La requête est rejetée.
[i] L’Avis a été modifié le 22 décembre 2022 pour inclure la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985) ch. C-29, mais son contenu demeure essentiellement inchangé.