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T-70-85
F. K. Clayton Group Limited et Frederick Keith Clayton (requérants)
c.
Ministre du Revenu national du Canada et James Bagnall, Directeur-Impôt du Bureau de district de London du ministère du Revenu national, Impôt (au 17 avril 1984) et R. O. Bailey, enquêteur spécial nommé en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, et procureur général du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: F. K. CLAYTON CROUP LTD. C. CANADA (M.R.N.)
Division de première instance, juge Walsh— Toronto, 18 mars; Ottawa, 27 mars 1986.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions ou saisies Saisie et retenue de documents en vertu de l'art. 231(1)d) et 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu Y a-t-il incompa- tibilité avec l'art. 8 de la Charte? L'art. 24(1) de la Charte exige-t-il une ordonnance de restitution de documents au propriétaire? Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24(1),(2) Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970- 71-72, chap. 63, art. 231(1)d),(2),(4),(9), 239 Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3) Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10(1)a).
Impôt sur le revenu Saisies Saisie et retenue de documents en vertu de l'art. 231(1)d) et 231(2) de la Loi Ces deux dispositions vont à l'encontre de l'art. 8 de la Charte Critère pour l'ordonnance de restitution de documents au propriétaire Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(1)d),(2),(4),(9), 239 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Impôt sur le revenu Saisie de documents en vertu de l'art. 231(1)d) de la Loi Retenue de documents en vertu de l'ordonnance rendue par un juge de la Cour de comté sous le régime de l'art. 231(2) de la Loi, en attendant une poursuite pénale Demande d'annulation: a) de la saisie, b) de la demande en vertu de laquelle l'ordonnance de retenue a été rendue L'art. 231(1)d) et 231(2) de la Loi va à l'encontre de l'art. 8 de la Charte La contestation de la retenue ne constitue pas une attaque indirecte contre l'ordonnance, puis- que la contestation ne vise pas l'ordonnance mais le droit de solliciter une ordonnance de retenue La saisie n'étant pas abusive et l'art. 24(1) de la Charte n'exigeant pas nécessaire- ment une ordonnance portant remise de documents au proprié- taire, les documents, même s'ils ont illégalement été obtenus, peuvent être retenus jusqu'à la fin de la poursuite pénale
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18, 28 Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(1)d),(2) Charte canadienne des droits et liber- tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 8, 24(1).
Au cours d'une vérification fiscale, un agent de l'impôt a découvert une violation possible de l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu et il a saisi divers documents, livres et registres conformément à l'alinéa 231(1)d) de la Loi. Sur demande fondée sur le paragraphe 231(2) de la Loi, un juge de la Cour de comté a rendu une ordonnance autorisant le Minis- tre à retenir les documents jusqu'à leur production dans une poursuite pénale.
Les requérants s'appuient sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 24 de la Charte pour conclure à une ordonnance portant annulation de la saisie et de la demande d'ordonnance de retenue. Ils font valoir que l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) de la Loi sont tous deux incompatibles avec l'article 8 de la Charte, et que la saisie et la demande sont de ce fait nulles et de nul effet. Ils soutiennent en outre que la fouille, la perquisition, la saisie, l'enlèvement et la possession des documents sont abusifs, illégaux, irréguliers, nuls et sans effet. Il est également sollicité une ordonnance portant restitu tion des documents.
Jugement: l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) de la Loi vont à l'encontre de l'article 8 de la Charte, mais les documents peuvent être retenus jusqu'à la fin de la poursuite pénale.
Compte tenu des faits, la conduite de l'agent de l'impôt qui a ordonné la saisie et le recours à l'alinéa 231(1)d) pour le faire n'ont rien de répréhensible. Il convient de souligner que, à cette époque, aucune des décisions (Kruger, Vespoli, Southam) les dispositions législatives sur les fouilles, perquisitions ou la saisie ont été déclarées invalides parce que contraires à l'article 8 de la Charte n'avait été rendue. La véritable question se pose de savoir si l'alinéa 231(1)d) enfreint la Loi constitutionnelle et rend donc inopérante la saisie. Compte tenu de l'arrêt majori- taire de la Cour d'appel dans Kruger et Vespoli—qui ont déclaré invalide le paragraphe 231(4)—et des déclarations très générales faites par la Cour suprême du Canada dans Sout- ham, force est de conclure que l'alinéa 231(1)d) et le paragra- phe 231(2) sont de la même catégorie que le paragraphe 231(4), et vont à l'encontre de l'article 8 de la Charte.
La contestation de la demande d'ordonnance de retenue ne constitue pas une attaque indirecte, par voie de bref de préroga- tive, de l'ordonnance rendue par le juge de la Cour de comté. Ce n'est pas l'ordonnance du juge de la Cour de comté elle- même qui est attaquée, mais plutôt le droit sous le régime du paragraphe 231(2) de solliciter une telle ordonnance, lequel droit dépend lui-même du droit de saisir les documents sous l'empire de l'alinéa 231(1)d).
La question principale se pose toutefois de savoir si le paragraphe 24(1) de la Charte exige la restitution des docu ments saisis. Cette disposition exige l'examen non seulement de la question de savoir si la saisie est inconstitutionnelle, mais aussi de la question de savoir si elle était abusive. Dans les faits, il n'aurait été ni possible ni raisonnable de différer la prise de possession des documents; la saisie était donc raisonnable. Etant donné les critères dégagés par la jurisprudence, le fait
que la saisie n'était pas abusive, que le paragraphe 24(1) de la Charte n'exige pas nécessairement la restitution au propriétaire des documents illégalement saisis et que le droit canadien n'exclut pas forcément de la preuve au procès les éléments de preuve illégalement obtenus, les documents pertinents peuvent être retenus jusqu'à la fin de la procédure pénale oui les intimés ont l'intention de les utiliser. Il convient de souligner que si la restitution des documents était ordonnée à ce stade, il serait difficile, voire impossible, pour le juge de première instance de les obtenir pour se prononcer sur leur admissibilité.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 84 DTC 6467; Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; 84 DTC 6478 (C.A.); Vespoli, D. et autres c. La Reine et autres (1984), 84 DTC 6489 (C.A.F.); Lewis, G.B. c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC 6550 (C.F. 1" inst.); The Queen v. Dzagic, D. (1985), 85 DTC 5252 (H.C. Ont.); Dobney Foundry Ltd. v. A. G. Can., [1985] 3 W.W.R. 626 (C.A.C.-B.); The Queen v. Rowbotham, et al., jugement en date du 20 novembre 1984, C.S. Ont., juge Ewaschuk, encore inédit.
DISTINCTION FAITE AVEC;
New Garden Restaurant and Tavern Limited et al. v. M.N.R. (1983), 83 DTC 5338 (H.C. Ont.); The Queen v.
Roth, R.A. et al. (1984), 84 DTC 6181 (H.C. Ont.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Bertram S. Miller Ltd. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 72 (1" inst.); R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.); Re Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employ ment Standards (1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.); Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd. c. Hunter, [1985] 1 C.F. 162; 15 C.R.R. 184 We inst.); Lagiorgia c. La Reine, [1985] 1 C.F. 438; 85 DTC 5554 (1m inst.); R. v. Jagodic et al. (1985), 15 C.R.R. 146 (C.S.N.E.); Re Chapman and The Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65 (C.A.); R. v. Cameron (1984), 13 C.R.R. 13 (C.A.C.-B.); R. v. Noble (1984), 48 O.R. (2d) 643 (CA.).
DÉCISIONS CITÉES:
Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967); R. v. Mar- coux, R. and C. (1985), 85 DTC 5453 (C. prov. Alta.); The Queen and Stickney, jugement en date du 22 janvier 1985, Alberta, juge McNaughton, encore inédit; Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 78 DTC 6528; Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 9 C.C.C. (3d) 97.
AVOCATS:
J. A. Giffen, c.r., pour les requérants. Susan P. Lee pour les intimés.
PROCUREURS:
Giffen & Partners, London (Ontario), pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Les requérants se fondent sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] et sur l'article 24 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] pour solliciter une ordonnance—
a) annulant la saisie de documents effectuée par l'intimé M. R. O. Bailey le 22 décembre 1983;
b) annulant la demande fondée sur le paragraphe 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)] et signée le 17 avril 1984 par l'intimé James Bagnall pour obtenir que le ministre du Revenu national retienne les documents jusqu'à leur production en cour.
POUR LES MOTIFS QUE:
i) L'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu vont à l'encontre de l'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982 et sont inopérants.
ii) Ladite demande est incompatible avec l'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982 et est inopérante.
iii) Ladite demande est illégale, irrégulière, nulle et sans effet.
iv) Les fouilles ou perquisitions ainsi que la saisie, l'enlèvement et la possession des effets saisis, par les intimés et leurs représentants, sont abusifs, illégaux, irréguliers et nuls et de nul effet.
Les requérants sollicitent également une ordon- nance en vue d'obtenir la restitution des docu ments et de leurs copies et extraits, saisis et empor- tés le 22 décembre 1983 par l'intimé R. O. Bailey et retenus en vertu de la demande présentée par l'intimé James Bagnall le 17 avril 1984.
Voici les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu applicables à l'époque en cause:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre, pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée ou des biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte, pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou regis- tres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l'entreprise et toute autre personne présente sur les lieux de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son examen, et de répondre à toutes questions appropriées se rapportant à la vérification ou à l'examen, soit oralement, soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le proprié- taire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui semble qu'une infraction à la présente loi ou à un règlement a été commise, cette personne autorisée peut saisir et empor- ter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis- tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous docu ments, registres, livres, pièces ou choses conformément à l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé- diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jus- qu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut rendre sur demande ex parte.
(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise ou sera probablement commise, il peut, avec l'agrément d'un
juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe du pouvoir de donner sur la présentation d'une demande ex parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l'assistance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s'il le faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet de l'infraction de toute disposition de la présente loi ou d'un règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la cour.
(9) Lorsqu'un livre, registre ou autre document a été saisi, examiné ou produit en vertu du présent article, la personne qui opère la saisie ou fait l'examen, ou à qui ces pièces sont produites, ou tout fonctionnaire du ministère du Revenu natio nal peut faire ou faire faire une ou plusieurs copies de ces pièces, et un document qui est réputé être certifié par le Ministre, ou par une personne autorisée à ce faire par le Ministre, comme étant une copie exécutée en conformité du présent article, est admissible comme preuve et possède la même valeur probante que le document original aurait eue si sa véracité avait été prouvée de la façon ordinaire.
Il est admis que, au cours d'une vérification fiscale effectuée chez F. K. Clayton Group Limi ted par R. O. Bailey, fonctionnaire du ministère du Revenu national, en vertu de l'article 231 de la Loi de l'impôt sur le revenu, on a examiné des regis- tres et d'autres livres et documents de la société portant sur les années 1977 à 1982, ainsi que des déclarations d'impôt de F. K. Clayton Group Limited et de Frederick Keith Clayton pour les années d'imposition 1978 1982.
Cette enquête a fait ressortir que certains achats de biens ou de services, qui auraient été effectués au bénéfice de F. K. Clayton ou de sa famille, avaient été imputés à la société et lorsque, le 21 décembre 1983, M. Bailey l'a interrogé à ce sujet en présence de R. J. Churchill, un autre fonction- naire du Ministère, M. Clayton aurait fait certains aveux relatifs à ces écritures et débours.
Dans son affidavit en date du 17 avril 1984, M. Bailey a déclaré que, vu la situation, il avait des motifs raisonnables pour croire que F. K. Clayton Group Limited et son président Frederick Keith Clayton avaient violé l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu; c'est ainsi que, au cours de son enquête, il a saisi, en application de l'alinéa 231(1)d) de la Loi, divers documents, registres,
livres, pièces ou choses ayant trait aux activités des requérants durant les exercices financiers de 1978 à 1982, cette saisie ayant été pratiquée le 22 décembre 1983; il a ajouté que ces documents pourraient servir à prouver en cour les infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu citées en détail dans son affidavit. Cet affidavit, établi à l'appui d'une demande fondée sur le paragraphe 231(2) de la Loi, a amené le juge Street de la Cour de comté de Middlesex, lieu de la saisie, à rendre le 19 avril 1984 une ordonnance autorisant le Ministre à retenir lesdits documents jusqu'à leur production en cour.
Dans un deuxième affidavit en date du 12 juin 1985, M. Bailey affirme que son enquête avait commencé en juin 1983, après qu'un autre vérifi- cateur lui eut renvoyé le dossier au sujet, semble- t-il, de dépenses que la société n'était pas autorisée à déduire et que M. Clayton n'avait pas incluses dans ses déclarations d'impôt. Il y a également eu des enquêtes faites auprès de tiers. Rendez-vous fut donc pris avec M. Clayton pour le 21 décem- bre. Dans son affidavit, M. Bailey déclare que ce dernier avait, lui semblait-il, sciemment contre- venu à l'article 239 de la Loi en faussant le montant de l'impôt à payer, que les registres, livres et autres documents étaient requis comme preuve desdites infractions et que, le contribuable ayant été confronté à la preuve des dépenses irrégulière- ment déclarées et déduites, il y avait lieu de proté- ger ces registres qui [TRADUCTION] «n'auraient pas été en sécurité entre les mains des contribua- bles». Il les a donc saisis, après en avoir dressé l'inventaire dont une copie a été envoyée à Clayton en date du 16 janvier 1984, date à laquelle, avec le consentement de celui-ci, il a obtenu d'autres rele- vés bancaires couvrant le mois de décembre 1982 pour les ajouter à ceux qui figuraient dans l'inven- taire et qui s'arrêtaient au 9 décembre. Ces relevés bancaires additionnels ne sont pas en cause pui- qu'ils n'ont pas été saisis, et qu'ils ont été retournés depuis lors.
Le 16 août 1985, diverses accusations ont été portées non seulement contre les requérants à l'ins- tance, mais aussi contre Gary M. Ballas, l'expert- comptable indépendant de Clayton. Il n'a pas saisi la Cour d'une demande semblable, pour ce qui est de documents saisis qui lui appartiendraient.
Il ressort de la liste abrégée des chefs d'accusa- tion qu'à l'exception d'un Betamex acheté le 18 décembre 1980, au prix de 1 710,93 $, aucun d'eux ne porte sur les dépenses qui auraient été abusive- ment inscrites pour les années antérieures à 1980, toutes les accusations se rapportant aux années d'imposition 1981 et 1982. Bien que cela ne figure pas dans le dossier, les avocats ont avisé la Cour que les instructions étaient prévues pour le 21 avril 1986.
S'appuyant sur le contre-interrogatoire de M. Bailey au sujet de ses affidavits, l'avocat des requérants fait valoir que ce dernier aurait dû, au lieu de prendre possession des documents, obtenir un mandat de perquisition en vertu du Code crimi- nel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. M. Bailey a déclaré qu'il avait eu des motifs raisonnables pour croire qu'on avait enfreint l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu. À la différence des paragra- phes 231(4) et 231(2) qui exigent tous deux une intervention judiciaire, l'alinéa 231(1)d) n'exige pas l'agrément ou l'autorisation d'un juge ou d'un juge de paix pour qu'un mandat puisse être décerné. Le paragraphe 231(4) a déjà été déclaré incompatible avec l'article 8 de la Loi constitu- tionnelle de 1982 par deux arrêts rendus par la Cour d'appel fédérale à la majorité dans Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; 84 DTC 6478, et Vespoli, D. et autres c. La Reine et autres (1984), 84 DTC 6489 (C.A.F.), ces deux jugements portant la date du 27 septem- bre 1984, ainsi que dans des affaires ultérieures, telles que Lewis, G.B. c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC 6550 (C.F. 1`e inst.); ces jugements n'ont pas fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême, mais l'affaire Hunter et autres c. Sou- tham Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 84 DTC 6467, quoique portant sur les paragraphes 10(1) et (3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23] plutôt que sur l'article 231 de la Loi de l'impôt sur le revenu, applique les mêmes principes. Il est dit ceci à la page 152 R.C.S.; 6470 DTC du jugement:
... à moins de circonstances exceptionnelles les dispositions de l'art. 443 du Code criminel, qui étendent aux enquêtes sur les infractions prévues au Code criminel les garanties en matière de procédure que la common law exige quant aux fouilles et aux perquisitions visant des biens volés, constituent les condi tions préalables minimales pour que des fouilles, des perquisi- tions et des saisies soient raisonnables dans le cas d'une enquête portant sur une infraction criminelle et notamment sur des
violations possibles de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Comme en l'espèce, ce n'était pas la conduite des appelants qui était en cause, mais plutôt la loi en vertu de laquelle ils ont agi. On ne s'est nulle- ment plaint de la conduite de M. Bailey.
Le juge Dickson [tel était alors son titre] s'est prononcé en ces termes aux pages 160 et 161 R.C.S.; 6474 DTC de l'arrêt Southam:
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle- ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie.
et il a continué à la page 161 en citant l'affaire américaine Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967):
Avec égards, néanmoins, je suis d'avis d'adopter en l'espèce la formulation du juge Stewart qui s'applique pareillement au concept du «caractère abusif» que l'on trouve à l'art. 8, et j'estime que la partie qui veut justifier une perquisition sans mandat doit réfuter cette présomption du caractère abusif.
Le contre-interrogatoire de M. Bailey portait sur le caractère abusif de la saisie des documents qu'il avait effectuée en vertu de l'alinéa 231(1)d) de la Loi. Il a indiqué qu'il lui aurait été très difficile d'obtenir un mandat le 22 décembre, esti- mant que cela prendrait quelques jours pour pré- parer les documents pertinents, bien que 5 ou 6 juges de la cour de comté et un certain nombre de juges de paix se trouvant dans l'immeuble voisin du service d'impôt de London eussent pu décerner un mandat de perquisition en vertu du Code crimi- nel. Ayant mis le contribuable en face des faits, il a estimé que la sécurité des registres serait com promise s'ils étaient laissés entre les mains de celui-ci. À la page 57 de son interrogatoire, il dit ceci:
[TRADUCTION] La difficulté que j'essaie de faire ressortir ici est que lorsqu'on doit mettre un contribuable en face des faits, la situation est alors différente de celle le contribuable n'a pas été saisi du problème, et on peut rédiger un affidavit et le présenter à un juge. En l'espèce, j'estime que j'ai mis le contribuable en face des faits et lui ai fait prendre conscience des infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu, et que je ne pouvais, à ce stade, laisser les dossiers échapper à mon contrôle parce que, à mon avis, les violations étaient assez graves et pouvaient donner lieu à une enquête générale et à des accusa tions sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il n'a donc pas jugé bon de laisser son associé M. Churchill sur place, pendant qu'il se présenterait devant un juge pour obtenir un mandat. La docu mentation qu'il a préparée et soumise au juge Street pour obtenir une ordonnance de rétention continue en vertu du paragraphe 231(2) tend à confirmer la nécessité d'une préparation considéra- ble.
Il faut se rappeler qu'il ne s'agissait pas de rechercher dans les registres des requérants la preuve de la perpétration d'infractions criminelles pour laquelle un mandat de perquisition était nécessaire, mais plutôt de continuer une vérifica- tion qui laissait pressentir des infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu; cette vérification, à mesure qu'elle mettait au jour de nombreuses ins criptions et factures supposément irrégulières, ten- dait à confirmer ces soupçons jusqu'à ce que M. Bailey eût des motifs raisonnables pour croire que tel était le cas, et informât M. Clayton qu'il s'agis- sait d'une situation grave qui pourrait donner lieu à une poursuite pénale. Il a alors pris possession des registres en question conformément à l'alinéa 231(1)d).
Il convient de noter que, à ce moment-là, les décisions Kruger, Vespoli et Southam n'avaient pas été rendues, et qu'il n'y avait pas lieu pour M. Bailey de douter de la légalité de la saisie des documents en vertu de cet article. L'avocat des requérants conteste non pas le droit du Ministre de faire enquête en se fondant sur l'article 231 de la Loi, mais simplement le droit de saisir et de retenir des documents en appliquant l'alinéa 231(1)d). Bien que, à certains égards, une enquête en matière d'impôt sur le revenu puisse ressembler à une perquisition, aucun mandat de perquisition de ce genre n'est requis dans la plupart des cas. Il faut faire la distinction entre une enquête effectuée dans le cadre d'une vérification et la saisie réelle de registres et de documents.
Bien que les notes rédigées par M. Bailey au cours de la première semaine de janvier 1984 relativement à ce qui s'est passé le 22 décembre 1983 diffèrent légèrement de ce qu'il dit dans ses affidavits et dans le contre-interrogatoire qui s'y rapporte, la différence ne revêt, à mon avis, aucune importance. Dans son aide-mémoire, il s'exprime en ces termes:
[TRADUCTION] Bailey a ensuite informé Clayton que, comme les mêmes dépenses se répétaient à chaque année, la situation exigeait un examen plus approfondi. Il a alors produit son autorisation ministérielle, et montré à Clayton l'alinéa 231(1)d) qui autorise la saisie de registres et de livres. Bailey a dit à Clayton que ses registres étaient saisis et seraient retenus pendant une période de 120 jours pour lui permettre de pour- suivre l'enquête. On déciderait à ce moment-là si la poursuite a besoin de ces registres comme moyen de preuve et, dans l'affirmative, on obtiendrait de la Cour une ordonnance permet- tant de les retenir.
Je n'attache non plus aucune importance au fait que Bailey avait déjà dans sa voiture des boites pour emporter les registres saisis, ni au fait que certains des registres saisis chez F. K. Clayton Group Limited appartenaient à Dianne Clayton (Mme F. K. Clayton) ou à M. Clayton, ni au fait qu'aucune accusation n'a été portée pour les années d'imposition 1977, 1978 ou 1979, une seule accusation ayant été portée pour 1980. Certes, il se peut qu'on ait saisi ou retenu plus de documents qu'il n'en faut maintenant pour la poursuite crimi- nelle; cependant, la question que la Cour doit trancher en l'espèce est de savoir non pas si quel- ques documents et registres apparemment inutiles doivent être retournés mais si tous les documents saisis doivent l'être.
Compte tenu des faits, je conclus que la con- duite de M. Bailey et la saisie qu'il a pratiquée en vertu de l'alinéa 231(1)d) de la Loi n'ont rien de répréhensible. La véritable question soumise à la Cour est de savoir si l'alinéa 231(1)d) va à l'encon- tre de la Loi constitutionnelle et si, de ce fait, la saisie est nulle.
On a cité l'affaire Bertram S. Miller Ltd. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 72 (1 `e inst.), où, à la page 83, le juge Dubé s'est prononcé en ces termes à propos de la fouille ou de la perquisition sans mandat sous le régime de la Loi sur la quaran- taine des plantes [S.R.C. 1970, chap. P-13]:
Il ne m'est pas possible de conclure à partir de la jurispru dence appliquée aux faits de l'espèce que les pouvoirs de fouille et de perquisition sans mandat conférés par l'alinéa 6(1)a) de la
Loi sur la quarantaine des plantes sont nécessairement abusifs et qu'ils entrent inévitablement en conflit avec l'article 8 de la Charte. Il peut exister des cas d'urgence il serait impossible d'obtenir un mandat. À mon avis, cependant, l'alinéa 6(1)a) est inopérant dans la mesure il est incompatible avec l'article 8, comme dans le cas présent il n'a pas été démontré qu'il était impossible ou même difficile d'obtenir un tel mandat.
Les avocats ont informé la Cour que ce jugement avait fait l'objet d'un appel, mais qu'aucun arrêt n'avait été rendu, l'appel ayant été entendu par la Cour au mois de janvier. Cela soulève une fois de plus la question de fait de savoir si, compte tenu des faits de l'espèce, il était impossible ou même difficile d'obtenir un mandat de perquisition en vertu du Code criminel. Il faut encore une fois souligner qu'il n'y avait pas lieu à perquisition au sens du paragraphe (4) de l'article 231 qui a été déclaré inopérant par l'affaire Kruger et par d'au- tres causes (précitées).
Dans l'affaire The Queen v. Dzagic, D. (1985), 85 DTC 5252, qui portait sur des documents reçus au cours d'une vérification qui a donné lieu à des poursuites contre le contribuable sous divers chefs d'évasion fiscale, la Haute Cour de justice de l'Ontario a jugé que l'alinéa 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu contrevenait à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La Cour n'a cependant pas conclu à l'inadmissibilité de ces documents en preuve, et elle a jugé que l'inconstitutionnalité ne suffisait pas en soi à justifier l'exclusion des élé- ments de preuve pertinents. D'autres raisons con- vaincantes seraient nécessaires. A propos de la constitutionnalité de l'alinéa 231(1)d), la Cour n'a pas suivi les décisions New Garden Restaurant and Tavern Limited et al. v. M.N.R. (1983), 83 DTC 5338 (H.C. Ont.), et The Queen v. Roth, R.A. et al. (1984), 84 DTC 6181 (H.C. Ont.), qui n'avaient pu s'inspirer de l'arrêt Southam. Il con- vient toutefois de souligner que la décision rendue à l'unanimité par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire Southam et confirmée par la Cour suprême, déclarant le paragraphe 231(4) inconsti- tutionnel, était antérieure à ces jugements. L'af- faire Southam a été mentionnée dans la cause New Garden Restaurant, mais n'a pas été suivie. Aux pages 5340 et 5341 du jugement publié dans
83 DTC 5338, le juge White s'exprime en ces termes:
[TRADUCTION] J'interprète l'arrêt de la Cour d'appel de l'Al- berta comme statuant que l'art. 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions implique nécessairement que, avant qu'une fouille ou perquisition ne soit effectuée, la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, qui autorisait ladite fouille ou perquisition, était déjà convaincue de la culpabilité probable de la partie visée. À mon avis, l'art. 231(1)d) de la Loi n'implique pas en soi une telle idée préconçue de culpabilité, et c'est ce qui, à mon avis, distingue l'affaire Southam de l'espèce présente.
À mon avis, l'art. 231(1)d) de la Loi ne suppose pas nécessai- rement une conduite abusive de l'enquêteur fiscal et, de par sa formulation même, ne porte pas atteinte à l'expectative raison- nable du contribuable concernant la protection de sa vie privée, droit qui est protégé par l'art. 8 de la Charte.
En effet, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit un système de perception de l'impôt fondé sur l'obligation du contribuable de faire une déclaration juste et honnête de son revenu. Un tel système fiscal exige que le gouvernement soit normalement habilité à vérifier les registres commerciaux du contribuable afin de s'assurer de l'exactitude raisonnable des déclarations d'impôt sur le revenu qui ont été produites. La vérification et la collation de ces registres par le gouvernement ne portent pas atteinte à l'expectative du contribuable concernant la protection de sa vie privée puisque, en produisant sa déclaration, celui-ci sait qu'il doit fournir des documents à l'appui de sa déclaration d'impôt sur le revenu, et que les documents utilisés pour la préparation de cette déclaration sont susceptibles de vérifica- tion au même titre que cette dernière. C'est seulement lors- qu'un enquêteur fiscal, se fondant sur des motifs raisonnables, est convaincu de la culpabilité du contribuable que l'expectative du contribuable concernant la protection de sa vie privée joue de nouveau à l'égard de ses registres et documents. Dans ces circonstances, l'obtention d'une ordonnance sous le régime de l'art. 231(4) de la Loi, qui est en fait un mandat de perquisi- tion, est une condition suspensive pour qu'une fouille, une perquisition et une saisie légales des registres du contribuable soient pratiquées par l'enquêteur, et une saisie sans mandat pratiquée en vertu de l'art. 231(1)d) de la Loi constituerait une violation des droits du contribuable.
De plus, l'intérêt public qui exige un système raisonnable- ment efficace de perception de l'impôt l'emporte sur l'expecta- tive du contribuable concernant la protection de sa vie privée dans les circonstances envisagées par l'art. 231(1)d) de la Loi qui, selon moi, autorise la saisie sans mandat lorsque l'enquê- teur fiscal trouve par hasard des pièces à conviction au cours de sa vérification, sans avoir été, antérieurement à la vérification, convaincu de la culpabilité de la personne faisant l'objet d'une fouille ou d'une perquisition.
Dans le même jugement, il ajoute à la page 5341:
[TRADUCTION] Pour les motifs invoqués ci-dessus, je conclus que l'art. 231(1)d) de la Loi ne suppose pas nécessairement, de par sa formulation même, une conduite abusive de l'enquêteur fiscal et ne viole donc pas, en soi, le droit des requérants à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. De même, je conclus, par voie de conséquence, que l'art. 231(2) de la Loi n'enfreint pas l'art. 8 de la Charte.
Conclure, comme je l'ai fait, que l'art. 231(1)d) et, par voie de conséquence, l'art. 231(2) de la Loi n'enfreignent pas, en soi, l'art. 8 de la Charte n'empêcherait toutefois pas les requérants, dans des actions subséquentes, d'invoquer l'art. 24(2) de la Charte pour solliciter une ordonnance excluant les registres et documents saisis en vertu de l'art. 231(1)d) de la Loi pour le motif que, compte tenu des faits, M. Piirik n'a procédé aux saisies en vertu de l'art. 231(1)d) qu'après avoir conclu à la culpabilité probable des requérants, au moment l'ordon- nance ou le mandat prévu à l'art. 231(4) de la Loi aurait être obtenu avant la saisie des documents.
L'avocat des requérants a également mentionné l'affaire R. v. Marcoux, R. and C., Cour provin- ciale de l'Alberta, (1985), 85 DTC 5453, qui portait sur la constitutionnalité du paragraphe 231(3) de la Loi, celui-ci n'étant pas en litige en l'espèce. À la page 5459 du jugement, on lit cet aveu, reproduit ici pour ce qu'il vaut:
[TRADUCTION] L'avocat de la Couronne a commencé par admettre que l'art. 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu est incompatible avec l'article 8 de la Charte des droits et libertés, et qu'il est donc inopérant.
S'appuyant sur la décision The Queen and Stick- ney, non publiée, rendue le 22 janvier 1985 par le juge McNaughton en Alberta, l'avocat de la Cou- ronne a cependant fait valoir que, même si l'alinéa 231(1)d) est inopérant, les documents saisis en vertu de celui-ci devraient être admis en preuve puisque la défense n'a pas établi le caractère dérai- sonnable des actes des fonctionnaires du ministère du Revenu national, et ce ne serait pas déconsidé- rer l'administration de la justice que d'admettre ainsi ces documents en preuve. Toutefois, dans l'affaire Marcoux, la Cour a jugé que les vérifica- teurs avaient déjà conclu à l'existence de contra dictions dans les registres et les déclarations d'im- pôt des défendeurs et qu'ils avaient eu des livres et registres en leur possession pendant plusieurs mois lorsqu'ils arrivèrent chez les Marcoux sous pré- texte de demander des explications et éclaircisse- ments au sujet de ces livres et registres. La Cour a jugé que les vérificateurs auraient mettre les livres à la disposition des Marcoux avant leur interrogatoire, et qu'en donnant à ces derniers un relevé inexact de leur actif net, ils ont agi injuste- ment et abusivement.
Comme le souligne l'avocate des intimés, le procureur des requérants s'est bien gardé de demander l'annulation de l'ordonnance rendue par le juge Street en vertu du paragraphe 231(2) de la Loi, puisque cette Cour n'aurait pas le droit de le
faire; il a simplement voulu faire annuler la demande formulée par James Bagnall en vertu de ce paragraphe pour retenir les documents jusqu'à leur production en cour.
L'avocate des intimés a fait valoir que la requête constitue une attaque indirecte contre l'ordon- nance du juge Street, puisque c'est lui qui devrait décider, avant de décerner l'ordonnance autorisant la garde des documents au-delà de 120 jours, s'ils avaient été valablement saisis. Selon cet argument, la Cour infirmerait l'ordonnance du juge Street si elle ordonnait la restitution des documents saisis pour le motif que l'alinéa 231(1)d) est inconstitu- tionnel. Pour être juste envers le juge Street, il faudrait souligner que son ordonnance constituait plutôt une procédure ex parte selon l'économie de l'article 231 de la Loi, et il est très improbable qu'il ait été saisi de la question constitutionnelle. À cet égard, l'avocate des intimés a cité l'arrêt de la Cour suprême du Canada Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 9 C.C.C. (3d) 97, le juge McIntyre a fait cette remarque à la page 604 R.C.S.; pages 120 et 121 C.C.C.:
Les arrêts déjà cités ainsi que la jurisprudence qui y est mentionnée confirment la règle bien établie et fondamentale- ment importante sur laquelle la Cour d'appel du Manitoba s'est, fondée en l'espèce. Cette règle porte qu'une ordonnance d'une cour, qui n'a été ni annulée ni modifiée en appel, ne peut faire l'objet d'une attaque indirecte et doit être appliquée intégralement.
Il a toutefois déclaré à la page 599 R.C.S.; 117 C.C.C.:
Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, con- cluante et a force exécutoire, à moins d'être infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu'une telle ordonnance ne peut faire l'objet d'une attaque indirecte; l'attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l'infirmation, la modification ou l'annula- tion de l'ordonnance ou du jugement.
Les requérants font valoir toutefois que le juge Street n'avait pas compétence pour rendre l'ordon- nance puisque celle-ci faisait suite à une demande fondée sur l'alinéa 231(1)d) qui est inconstitution- nel, ce qui fait que l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe 231(2) est inopérante. Dans l'af- faire Kruger (précitée), la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur l'argument selon lequel on ne saurait, au moyen d'un bref de prérogative, atta-
quer indirectement une ordonnance rendue par un juge d'une autre cour; le juge Pratte, qui rendait l'arrêt, s'est prononcé en ces termes à la page 545 C.F.; 6841 DTC:
L'avocat des appelants a également prétendu que l'autorisa- tion du Ministre ne peut être contestée par voie de certiorari parce qu'une telle contestation constitue en fait une contesta- tion indirecte de la décision du juge Ducros qui a approuvé l'autorisation. Comme la décision du juge Ducros ne pouvait être contestée directement par voie de certiorari, elle ne pou- vait, selon l'avocat, faire l'objet d'une contestation indirecte. En outre, l'avocat invoque la règle voulant que la décision d'un tribunal supérieur qui n'a été ni annulée ni modifiée par voie d'appel ne peut être attaquée subsidiairement. La réponse à cet argument est que la contestation par les intimés de l'autorisa- tion du Ministre ne constitue pas une contestation subsidiaire ou indirecte de l'approbation du juge Ducros. Les intimés contestent la validité de l'autorisation permettant les recherches et la saisie. Le juge Ducros a approuvé ladite autorisation, mais il ne l'a pas donnée. En fait, c'est au Ministre et non au juge que le paragraphe 231(4) confère le pouvoir d'autoriser des recherches et une saisie. En contestant l'autorisation du Minis- tre en se fondant sur des motifs de compétence, les intimés ne demandent pas à la Cour de ne pas tenir compte de l'approba- tion donnée par le juge Ducros; ils font simplement valoir que, malgré cette approbation et pour des motifs qui lui sont tout à fait étrangers, l'autorisation est nulle parce que le Ministre n'était pas habilité à la donner.
À propos de l'alinéa 231(1)d), aucune autorisation ministérielle n'est, bien entendu, nécessaire, mais on peut dire qu'il est encore moins exigeant que le paragraphe 231(4) en ce sens qu'il investit le vérificateur qui examine les livres du pouvoir dis- crétionnaire de saisir les registres s'il le juge néces- saire sans avoir à demander l'autorisation préala- ble de ses supérieurs ou d'une cour. Le paragraphe 231(2) ne fait que permettre de retenir les regis- tres pendant plus de 120 jours. Je vois difficile- ment comment l'alinéa 231(1)d) peut demeurer incontesté alors que le paragraphe 231(4) a été déclaré inconstitutionnel, et si l'alinéa 231(1)d) ne permet pas la saisie des documents au cours d'une vérification, à coup sûr, une ordonnance fondée sur le paragraphe 231(2) ne saurait permettre de les retenir.
Dans l'affaire Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 78 DTC 6528, cause antérieure à la pro mulgation de la Charte et portant sur le contrôle judiciaire exercé par la Cour d'appel sur une saisie pratiquée en vertu du paragraphe 231(4) de la Loi, la Cour a fait, à la page 509 R.C.S.; 6534 DTC, la distinction entre d'une part les actes du Ministre qui étaient de nature administrative et n'étaient pas soumis au contrôle prévu à l'article 28 et
d'autre part la compétence du juge qui agissait à titre de juge et non de persona designata en déci- dant de décerner le mandat sans que la Cour d'appel puisse intervenir après avoir été saisie d'une demande fondée sur l'article 28. La Cour a refusé de trancher la question de savoir si on pouvait interjeter appel, devant les cours provin- ciales, de l'autorisation du Ministre ou de l'agré- ment du juge.
L'avocate des intimés soutient toutefois que puisqu'il n'est nullement question d'autorisation ministérielle au paragraphe 231(2), les présentes procédures constituent une attaque directe contre l'ordonnance du juge Street, qui ne saurait être infirmée au moyen d'un bref de certiorari devant cette Cour.
Pour les motifs exposés ci-dessus et bien que la jurisprudence soit quelque peu contradictoire, je ne conclus pas que la demande visant à obtenir une ordonnance devrait être rejetée parce qu'elle cons- titue une attaque indirecte contre la décision du juge Street; le paragraphe 231(2) accorde en effet le droit de solliciter une ordonnance, lequel droit dépend du droit de saisir les documents en vertu de l'alinéa 231(1)d) et c'est ce droit qui est attaqué et non l'ordonnance du juge Street.
Le deuxième volet de l'argumentation des inti- més porte sur la constitutionnalité de l'alinéa 231(1)d). Certaines causes en la matière ont déjà été mentionnées, et il y en a d'autres, antérieures et postérieures à la Charte, qui traitent des fouil- les, perquisitions et saisies sans mandat.
Dans l'arrêt R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.) qui porte sur l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1], le juge Martin de la Cour d'appel tient ces propos à la page 96:
[TRADUCTION] À l'appui de son argument selon lequel les fouilles et perquisitions sans mandat sont acceptées partout au Canada, le procureur de la Couronne, M' Dambrot, nous a renvoyés à certaines lois fédérales qui confèrent aux fonction- naires désignés le pouvoir d'entrer dans des locaux commer- ciaux et d'y effectuer des fouilles ou des perquisitions, des inspections ou des vérifications, et ce, sans mandat. Ces lois sont énumérées à l'annexe .A». J'estime toutefois qu'il faut distinguer nettement le pouvoir général d'entrer dans des locaux privés sans mandat pour rechercher des marchandises de contrebande et des preuves d'infractions et le pouvoir conféré aux fonctionnaires désignés d'entrer dans des locaux aux fins d'inspection et de vérification et pour saisir des registres, échantillons ou produits relatifs aux activités d'une entreprise soumises à la réglementation gouvernementale.
Dans l'affaire Re Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employment Standards (1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.), qui est également posté- rieure à la Charte et dans laquelle l'arrêt Southam et d'autres décisions ont été discutés, il est dit ceci à la page 512:
[TRADUCTION] Les critères du caractère raisonnable d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie et de la nécessité d'un mandat pour les fins d'une enquête criminelle ne sauraient être les mêmes que pour les fouilles, les perquisitions ou saisies effectuées en application d'un règlement administratif. Sous l'empire de la Employment Standards Act, il n'est nullement nécessaire que le fonctionnaire ait la preuve qu'il y a eu violation de la Loi. En exerçant des fonctions administratives en vertu de la Loi, on peut effectuer ce qu'on appelle communé- ment «une vérification ponctuelle» pour s'assurer du respect de la Loi. Les pouvoirs limités conférés à cette fin, tels qu'ils sont exposés à l'article, ne sont pas déraisonnables. La «fouille, perquisition ou la saisie» en l'espèce, si perquisition ou saisie il y a, vise non pas à détecter une activité criminelle, mais plutôt, comme il a été indiqué, à faire observer les dispositions de la Loi qui a été adoptée pour protéger l'intérêt public.
L'avocate fait valoir que l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) font partie d'un régime ins- tauré par la Loi de l'impôt sur le revenu en raison de la nécessité reconnue de tous d'examiner et de vérifier les registres d'un contribuable.
Ces arguments sont d'autant plus convaincants que la jurisprudence est encore incertaine en la matière mais, vu la décision rendue à la majorité par la Cour d'appel fédérale dans les affaires Kruger et Vespoli (précitées) relativement au paragraphe 231(4), et les règles générales et fon- damentales énoncées par la Cour suprême dans l'affaire Southam, je dois conclure que l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) sont de la même catégorie que le paragraphe 231(4) et vont à l'en- contre de l'article 8 de la Charte.
L'affaire n'est pas tranchée pour autant, puisque le litige principal porte sur la restitution des docu ments saisis. L'avocate des intimés doute qu'on puisse ordonner la production de ces documents ou de leurs copies en vue d'une poursuite criminelle même s'ils étaient disponibles après avoir été retournés aux requérants. Si je devais en ordonner la restitution, je serais tenté de spécifier que les contribuables doivent les retenir pour usage ulté- rieur. Cela pourrait toutefois constituer une ingé- rence dans les affaires du juge présidant le procès criminel au cours duquel la question de la receva- bilité de ces documents peut être soulevée; mais
comme je n'en ordonne pas la restitution, je n'ai pas à trancher la question de savoir si une telle restitution pourrait être assujettie à des conditions.
À propos de la restitution des documents saisis, il existe une jurisprudence selon laquelle il devrait appartenir au juge de première instance de déter- miner si la preuve est admissible. Dans une cause toute récente, Lagiorgia c. La Reine, [1985] 1 C.F. 438; 85 DTC 5554 (ire inst.), le juge Joyal de cette Cour a examiné la jurisprudence en la matière, dont ma décision Lewis, G.B. c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC 6550 (C.F. 1'e inst.), le jugement rendu par le juge Denault dans l'affaire Skis Rossignol Canada LtéelLtd. c. Hunter, [1985] 1 C.F. 162; 15 C.R.R. 184 (ire inst.), et le jugement rendu par le juge Ewaschuk dans The Queen v. Rowbotham, et al., cause non publiée en date du 20 novembre 1984. Dans l'affaire Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd., le juge Denault, après avoir examiné la jurisprudence, notamment la décision Southam, a conclu la page 171 C.F.; 192 C.R.R.] qu'il n'avait été démontré aucune circonstance particulière lui permettant d'accorder les conclusions recherchées par les requérantes:
L'affidavit des intimés à l'effet qu'ils ont besoin de la preuve recueillie dans une plainte déjà portée contre les requérantes justifie la Cour de rejeter cette requête. Il appartiendra au juge de la Cour des sessions de la Paix d'évaluer si les éléments de preuve ainsi recueillis sont «susceptible[s] de déconsidérer l'ad- ministration de la justice».
La Cour a ordonné la restitution des documents saisis à l'exception de ceux qui étaient nécessaires à la poursuite pénale. Dans l'affaire Lagiorgia, le juge Joyal tient ces propos à la page 446 C.F.; 5559 DTC:
Effectivement, les décisions précitées du juge Walsh et du juge Denault mènent au même résultat. Chacune permet au juge d'instance de déterminer si la preuve qui lui serait soumise devrait ou ne devrait pas être admise, compte tenu du test qu'impose le paragraphe 24(2). Je reconnais le mérite aussi bien que la logique de cette disposition. La détermination que doit faire le juge d'instance peut se faire de façon beaucoup plus judicieuse. Le juge d'instance serait saisi non seulement de la preuve illégalement obtenue mais de toutes les autres cir- constances pertinentes du procès. Il pourrait juger de l'impor- tance des documents saisis comme preuves d'infraction, des moyens de défense autres que l'exclusion de la preuve auxquels le demandeur aurait recours, et des circonstances qui auraient entouré la saisie.
Cela dit, il a toutefois souligné que, étant donné l'aspect constitutionnel du paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui a été déclaré nul
parce qu'étant inconstitutionnel, la Cour doit imposer la sanction qui exige la restitution des documents saisis à leur propriétaire. L'autorité publique peut se prévaloir d'autres moyens légiti- mes pour remplir ses responsabilités légales et assurer le respect des lois.
Ainsi qu'il a été indiqué, c'est le paragraphe 24(1) de la Charte qui est en cause en l'espèce et non le paragraphe 24(2), sur lequel il appartient au juge de première instance de se prononcer.
Il semble toutefois que l'application du paragra- phe 24(1) ne se limite pas à la question de savoir si la saisie est inconstitutionnelle, mais embrasse aussi celle de savoir si elle est raisonnable. Dans l'affaire R. v. Jagodic et al. (1985), 15 C.R.R. 146 (C.S.N.-E.), on a examiné, aux pages 148 et 149, l'arrêt Southam dont les extraits suivants sont tirés des pages 157, 159 et 160 des motifs du juge Dickson [tel était alors son titre]:
... que la constitutionnalité d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie ou d'une loi autorisant une fouille, une perquisition ou une saisie doit être appréciée en fonction surtout de l'effet «raisonnable» ou «abusif» sur l'objet de la fouille, de la perquisi- tion ou de la saisie et non simplement en fonction de sa rationalité dans la poursuite de quelque objectif gouvernemen- tal valable.
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonna- blement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.
et de nouveau à la page 149 [page 161 R.C.S.]:
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie.
J'ai déjà conclu que, compte tenu des faits de l'espèce, il n'aurait été ni possible ni raisonnable de différer la saisie des documents étant donné les affidavits et documents très longs qu'il fallait pré- parer pour obtenir d'un juge un mandat de perqui-
sition en vertu du Code criminel, d'autant plus qu'il ne s'agissait pas d'une «perquisition» propre- ment dite, mais simplement d'une saisie.
Dans l'arrêt Dobney Foundry Ltd. v. A. G. Can. rendu par la Cour d'appel de la Colombie-Britan- nique, [1985] 3 W.W.R. 626, le juge d'appel Esson a discuté la page 635] d'un arrêt récent de la Cour d'appel de l'Ontario, Re Chapman and The Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65, le juge en chef adjoint MacKinnon de l'Ontario s'est prononcé en ces termes à la page 72:
[TRADUCTION] «Ces causes très récentes semblent corrobo- rer l'argument de la Couronne selon lequel la cour n'est en fait investie d'aucun pouvoir discrétionnaire, mais arrivent exacte- ment à la conclusion contraire quant au résultat—savoir que les articles saisis en vertu d'un mandat de perquisition illégal doivent être restitués. Je ne pense pas que cette règle soit absolue au même titre que l'argument avancé par la Couronne, à savoir que les articles doivent être retenus.»
Le juge en chef adjoint de l'Ontario, MacKinnon, a ajouté que l'adoption de la Charte a fait intervenir «un nouvel élément dans ce domaine». Si je comprends bien son argument, le paragraphe 24(1) de la Charte vient confirmer le pouvoir discrétionnaire de la cour qui, après avoir annulé un mandat de perquisition, peut ordonner la restitution des articles saisis en dépit du fait que la Couronne affirme qu'il s'agit de pièces à conviction dans une procédure pénale. Ce qui importe en l'espèce, c'est que cette décision n'étaie pas l'idée que les articles doivent être restitués.
Ce que signifie l'arrêt Chapman, c'est que, si la Couronne affirme que les articles doivent servir de pièces à conviction dans une poursuite pénale, la cour a le pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a lieu d'ordonner leur restitution ou de permettre à la Couronne de les retenir.
Voici les critères établis par le jugement Dobney Foundry à la page 636:
[TRADUCTION] (1) Lorsqu'elle annule un mandat de perqui- sition, une cour de révision peut ordonner la restitution de toutes les marchandises saisies en vertu du mandat.
(2) Si la Couronne prouve que les choses saisies doivent être retenues pour qu'elle puisse s'en servir à titre de pièces à conviction dans une poursuite déjà intentée ou imminente rela- tivement à une infraction pouvant donner lieu à une poursuite, la cour peut refuser d'en ordonner la restitution.
(3) La Couronne n'est subordonnée à aucune formalité parti- culière pour prouver la nécessité de retenir les choses saisies.
(4) Le pouvoir d'ordonner la restitution des marchandises est accessoire au pouvoir d'annulation, mais peut également décou- ler de l'art. 24(1) de la Charte si la fouille, la perquisition et la saisie sont abusives et illégales.
(5) La conduite des autorités poursuivantes qui ont procédé à la fouille, à la perquisition et à la saisie est un élément dont il faut tenir compte pour décider s'il y a lieu d'exercer le pouvoir discrétionnaire.
(6) Pour les fins de l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut prendre en considération d'autres facteurs tels que la gravité de l'infraction reprochée, la force probante des choses saisies, la nature de l'irrégularité du mandat et le préjudice qui pourrait être causé au propriétaire évincé.
Ce qui est en cause, ce n'est pas un mandat de perquisition proprement dit, mais les critères (2) à (6) s'appliquent; pour ce qui est du critère (5), on ne s'est nullement plaint de la conduite du vérifica- teur qui a saisi les articles en question; quant au critère (6), ce n'est que maintenant que la saisie est jugée irrégulière, le vérificateur ayant agi de bonne foi et en vertu d'un article qui n'avait pas encore été déclaré nul à l'époque, et les requérants évincés ne semblent pas avoir subi de préjudice. Il s'agit non pas de registres de l'année en cours dont l'absence nuirait à l'exploitation de leur entreprise, mais d'anciens registres se rapportant aux années d'imposition en question. Les requérants y ont accès.
Dans l'affaire The Queen v. Rowbotham, et al., dont le jugement non publié a été rendu le 20 novembre 1984, le juge Ewaschuk de la Cour suprême de l'Ontario s'est prononcé en ces termes, à la page 12, au sujet de l'admissibilité en preuve de documents saisis en vertu d'un mandat de per- quisition illégal:
[TRADUCTION] A supposer que le mandat de perquisition soit illégal au regard de la Loi applicable, la pratique établie veut qu'un juge d'une cour supérieure puisse trancher la question soulevée par la Charte qui est de •savoir si la fouille, la perquisition ou la saisie est abusive: Re Chapman and the Queen (1984), 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.). Si le juge décide que la fouille, la perquisition ou la saisie est abusive, il peut, en vertu de l'art. 24(1) de la Charte, ordonner la restitution des articles saisis: Re Chapman, précitée. Mais il est également clair que la restitution fondée sur l'art. 24(1) ne tranche pas la question de l'admissibilité de la preuve dans une action ulté- rieure. Il en est ainsi puisqu'une cour des requêtes «ne saurait "tenir compte de tous les faits", la raison étant que, à l'évi- dence, la Cour n'est pas saisie de tous les faits»: Re Chapman, à la p. 9.
Il me semble que, lorsque les articles saisis, par exemple des documents, ont une valeur probante, un juge d'une cour des requêtes devrait, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, ne pas ordonner la restitution des articles, même abusivement saisis, si la Couronne le convainc que les articles ont une valeur probante relativement aux accusations en cours.
Et à la page 8:
[TRADUCTION] Il me semble illogique de qualifier une fouille, une perquisition et une saisie d'abusives lorsqu'elles ont été pratiquées de bonne foi et en vertu de la loi en vigueur. Au contraire, il me semble très raisonnable que la police soit tenue de se conformer à la loi en vigueur le jour elle l'applique:
voir par analogie R. c. Ali (1980), 51 C.C.C. (2d) 282 (C.S.C.).
Dans R. v. Cameron (1984), 13 C.R.R. 13 (C.A.C.-B.), le sommaire porte notamment la page 14]:
[TRADUCTION] L'irrégularité du mandat n'a pas nécessaire- ment rendu abusives la fouille et la perquisition; toutes les fouilles et perquisitions illégales ne sont pas abusives, mais même quand elles le sont, cela ne permet pas de conclure qu'il faudrait exclure la preuve en vertu de l'art. 24 de la Charte.
Dans le sommaire de l'affaire R. v. Noble (1984), 48 O.R. (2d) 643 (C.A.), on peut lire notamment la page 645]:
[TRADUCTION] En décidant s'il y a lieu d'admettre la preuve, le juge de première instance peut examiner par exemple la nature et l'importance de l'illégalité, le caractère abusif de la conduite en cause et la question de savoir si les fonctionnaires ont agi de bonne foi ou ont sciemment violé les droits de l'accusé. Le fait qu'une situation d'urgence obligeât la police à agir rapidement pour prévenir la perte ou la destruction des éléments de preuve pourrait constituer également un facteur à prendre en considération. En conséquence, c'est à bon droit que, au procès de l'accusé, la cour a admis la preuve de la décou- verte d'une certaine quantité de stupéfiants dans une maison d'habitation, nonobstant le fait que la fouille et la perquisition, pratiquées en vertu d'un mandat de main-forte, ont été abusives et pratiquées à l'encontre de l'art. 8 de la Chârte des droits; il a en effet été prouvé que le fonctionnaire était de bonne foi en agissant en vertu de son mandat de main-forte, à un moment il n'existait aucun arrêt déclarant inconstitutionnels les man- dats de main-forte, qu'on a procédé à la fouille et à la perquisi- tion d'une manière raisonnable en tenant compte des autres droits constitutionnels de l'accusé et que le fonctionnaire a eu raison de croire qu'il faisait face à une situation d'urgence qui rendait difficile l'obtention d'un mandat.
Bien que ces deux dernières décisions portent sur l'admissibilité des éléments de preuve irréguliè- rement saisis, il s'agit là, comme je l'ai indiqué, d'une question que cette Cour n'a pas à trancher dans la présente requête, et qui concerne le para- graphe 24(2) plutôt que le paragraphe 24(1) de la Charte. Le fait pour la Cour d'ordonner mainte- nant la restitution des documents, en application du paragraphe 24(1) de la Charte, reviendrait à empêcher le juge de première instance de se pro- noncer sur leur admissibilité puisqu'il serait diffi- cile sinon impossible d'obtenir la production de ces documents devant ce dernier pour qu'il décide de leur admissibilité.
Je conclus donc que, bien que l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) de la Loi soient inconstitu- tionnels, la saisie pratiquée n'était pas abusive, qu'il n'y a pas lieu de conclure automatiquement
que les documents obtenus au moyen d'une saisie illégale doivent être retournés même s'ils doivent servir de pièces à conviction dans une poursuite pénale, et que le paragraphe 24(1) de la Charte n'exige pas nécessairement une telle ordonnance. Le droit canadien, à la différence de celui des États-Unis, n'écarte pas nécessairement de l'ins- truction les éléments de preuve illégalement obte- nus. Dans l'état actuel de notre droit, il existe suffisamment de précédents qui permettent de con- clure que les documents en question peuvent être retenus jusqu'à la fin des procédures pénales au cours desquelles les intimés ont l'intention de les utiliser; mais les documents qui ne sont pas néces- saires à ces procédures devraient être restitués sur-le-champ.
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